T-1505-90
Christopher Williams (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des
Prairies (Service correctionnel du Canada) et
Michael Gallagher, directeur de l'établissement
d'Edmonton (intimés)
T-1506-90
Harold Dubarry (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des
Prairies (Service correctionnel du Canada) et
Michael Gallagher, directeur de l'établissement
d'Edmonton (intimés)
T-1507-90
Ken McIntyre (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des
Prairies (Service correctionnel du Canada) et
Michael Gallagher, directeur de l'établissement
d'Edmonton (intimés)
T-1508-90
Arthur Winters (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des
Prairies (Service correctionnel du Canada) et
Michael Gallagher, directeur de l'établissement
d'Edmonton (intimés)
T-1509-90
Eugene Campbell (requérant)
c.
Comité régional des transfèrements, Région des
Prairies (Service correctionnel du Canada) et
Michael Gallagher, directeur de l'établissement
d'Edmonton (intimés)
RÉPERTORIÉ: WILLIAMS c. CANADA (SERVICE CORRECTION-
NEL, COMITÉ RÉGIONAL DES TRANSFÈREMENTS, RÉGION DES
PRAIRIES) (1 1Q INST.)
Section de première instance, juge Rouleau—Cal-
gary, 28 août; Ottawa, 24 septembre 1990.
Pénitenciers — Transfèrement involontaire d'urgence d'un
détenu à un établissement à sécurité maximale élevée après
une bagarre au couteau, le refus de réintégrer sa cellule et la
détention d'agents dans une unité — Le directeur avait des
motifs raisonnables de croire que le transfèrement était néces-
saire pour la bonne administration de l'établissement — Il n'y
a pas eu violation de l'art. 7 de la Charte ou de l'obligation
d'agir équitablement du fait que le détenu n'avait pas reçu de
résumé de l'évolution du cas, contrairement à la Directive du
commissaire — Le droit à l'assistance d'un avocat prévu à
l'art. 106) de la Charte se rapporte à l'arrestation ou à la
détention initiales, et non pas aux personnes détenues dans un
pénitencier — Il n'y a pas eu délégation irrégulière du pouvoir
de prendre une décision au sujet du transfèrement.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Transfèrement involontaire d'urgence d'un détenu
après une bagarre au couteau, le refus de réintégrer sa cellule
et la détention d'agents dans une unité — Le directeur avait
des motifs raisonnables de croire que le transfèrement était
nécessaire pour la bonne administration de l'établissement —
Le fait de ne pas avoir fourni de résumé de l'évolution du cas,
contrairement à la Directive du commissaire, ne constituait
pas une violation de l'art. 7 de la Charte — Les avis de
transfèrement contenaient suffisamment de détails pour per-
mettre au requérant de fournir une réponse sérieuse.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Un détenu s'est vu refuser la possibi-
lité de recourir à l'assistance d'un avocat avant son transfère-
ment involontaire d'urgence à un établissement à sécurité
maximale élevée — Il n'y a pas eu violation de l'art. IOb) de la
Charte — Le droit de recourir à l'assistance d'un avocat
dépend des circonstances — L'expression «en cas d'arrestation
ou de détention» figurant à l'art. 106) s'applique à l'arresta-
tion initiale et non pas aux personnes détenues dans un péni-
tencier — L'absence d'un avocat n'a pas entravé le requérant
dans l'exposé de son point de vue.
Il s'agissait d'une demande de certiorari visant l'annulation
de la décision de transférer le requérant de l'établissement
d'Edmonton à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier
de la Saskatchewan. Le requérant et plusieurs autres détenus
ont refusé de réintégrer leurs cellules après une bagarre au
couteau et la récupération d'une seule des armes utilisées ainsi
que la détention de deux agents correctionnels dans l'unité. Le
directeur a estimé que les activités du requérant menaçaient le
maintien de l'ordre et de la discipline dans l'établissement et
qu'il avait manifesté un tel potentiel de comportement violent
qu'il constituait un risque persistant et grave pour la sécurité
des autres. Le requérant a reçu un avis de recommandation de
transfèrement involontaire pour les raisons ci-dessus. Il ne fut
pas autorisé à retenir les services d'un avocat. Deux jours plus
tard, le requérant a reçu un avis supplémentaire, auquel il a
répondu par écrit. Le Comité régional des transfèrements a
approuvé le transfèrement. Le requérant a allégué: (1) qu'il n'y
avait pas suffisamment de preuves pour justifier le transfère-
ment involontaire; (2) que l'omission de fournir un résumé de
l'évolution du cas, contrairement aux dispositions en matière de
procédure énoncées dans la Directive du commissaire 540
constituait une violation des principes d'équité en matière de
procédure et de l'article 7 de la Charte; (3) qu'il avait été privé
du droit que lui garantit l'alinéa 106) de la Charte d'avoir
recours à l'assistance d'un avocat; et (4) qu'il y avait eu
délégation irrégulière de pouvoirs au Comité car celui-ci ne
jouissait pas de la compétence nécessaire pour prendre une
décision au sujet de son transfèrement.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
(1) La décision de transférer un détenu doit être justifiée par
des motifs raisonnables de croire que celui-ci doit être envoyé
ailleurs pour assurer le maintien d'une administration ordonnée
et convenable de l'établissement. Il ressort des faits que le
directeur avait des motifs raisonnables de croire que le requé-
rant devait être transféré d'urgence, tout comme l'étaient ses
motifs de croire que le requérant avait été impliqué, de façon
importante, dans une affaire grave en ce qui avait trait à la
sécurité.
(2) L'absence d'un résumé de l'évolution du cas n'équivalait
ni à un manquement à l'obligation d'agir équitablement ni à
une violation de l'article 7 de la Charte. L'obligation d'agir
équitablement exige seulement que l'on fournisse un avis suffi-
sant ainsi qu'une possibilité équitable de répondre aux alléga-
tions. Les avis contenaient suffisamment de détails pour per-
mettre au requérant de connaître les accusations portées contre
lui et d'y répondre d'une façon sérieuse. Bien qu'il n'ait pas été
satisfait à l'exigence, énoncée dans la Directive du commissaire,
d'annexer à l'avis le résumé de l'évolution du cas, les vices de
procédure n'invalideront pas nécessairement le transfèrement,
si le processus général a été équitable. La question n'est pas de
savoir s'il y a eu infraction aux règles de la prison mais s'il y a
eu manquement à l'obligation d'agir équitablement dans toutes
les circonstances. Il n'y a eu aucun manquement ou infraction
de ce genre. De plus, comme aucun résumé de l'évolution du
cas n'avait été rédigé, ce n'était pas une question de refus de
communiquer des renseignements.
(3) Compte tenu des faits existant en l'espèce et de l'urgence
de la situation, le refus de permettre au requérant de recourir à
l'assistance d'un avocat n'a pas constitué un manquement à
l'obligation d'agir équitablement ni à aucun des droits que la
Charte garantit au requérant. Le détenu qui fait l'objet d'un
transfèrement involontaire effectué de toute urgence ne jouit
pas du droit absolu d'avoir recours à l'assistance d'un avocat,
ainsi que le prévoit l'article 10 de la Charte. La question de
savoir si une personne a le droit d'être représentée par un
avocat dépend des circonstances de l'espèce. En outre, on a
interprété l'expression «en cas d'arrestation ou de détention,
employée à l'alinéa 10b) de la Charte comme étant une priva
tion de liberté, soit physique soit à la demande ou en applica
tion des directives d'une personne occupant un poste d'autorité.
Il a été jugé que le droit d'avoir recours à l'assistance d'un
avocat s'applique uniquement à l'arrestation ou à la détention
initiales, et non pas aux personnes incarcérées dans un péniten-
cier. L'absence d'un avocat n'a pas entravé le requérant dans
l'exposé de son point de vue.
(4) II n'y a pas eu délégation irrégulière de pouvoirs au
Comité régional des transfèrements pour ce qui est de la
décision de transférer le requérant. Parmi les personnes autori-
sées par les Directives du commissaire à approuver les transfè-
rements à l'intérieur d'une région, il avait le sous-commissaire
adjoint aux opérations. Le transfèrement du requérant a été
approuvé par la personne agissant en cette qualité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7, 10b).
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 129,
279(2) (mod. par L.R.C. (1985) (1" suppl.), chap. 27,
art. 39).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Camphaug c. Canada (1990), 34 F.T.R. 165 (C.F. Ir
inst.); Demaria c. Comité régional de classement des
détenus, [1987] 1 C.F. 74; (1986), 21 Admin. L.R. 227;
30 C.C.C. (3d) 55; 53 C.R. (3d) 88; 5 F.T.R. 160; 69
N.R. 135 (C.A.); Martineau c. Comité de discipline de
l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979),
106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d)
1; 15 C.R. (3d) 314; 30 N.R. 119; Howard c. Établisse-
ment Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 19
D.L.R. (4th) 502; 11 Admin. L.R. 63; 19 C.C.C. (3d)
195; 45 C.R. (3d) 242; 17 C.R.R. 5; 57 N.R. 280 (C.A.);
Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F.
734; (1984), 9 D.L.R. (4th) 393; 5 Admin. L.R. 70; 12
C.C.C. (3d) 9; 39 C.R. (3d) 78 (1r' inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Hnatiuk c. Canada (1987), 12 F.T.R. 44 (C.F. 1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correc-
tionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329; (1989), 36 Admin.
L.R. 261; 68 C.R. (3d) 173; 25 F.T.R. 79; 92 N.R. 292
(C.A.); Jamieson c. Commissaire aux Services correc-
tionnels (1986), 51 C.R. (3d) 155; 2 F.T.R. 146 (C.F. 1"
inst.); Mitchell c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255; (1986), 1
F.T.R. 138 (1 inst.).
AVOCATS:
Charalee F. Graydon pour les requérants.
Larry M. Huculak pour les intimés.
PROCUREURS:
Bishop & McKenzie, Edmonton, pour les
requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Le requérant, qui est un
détenu dans un pénitencier fédéral, soit l'établisse-
ment d'Edmonton, demande une ordonnance sous
forme de bref de certiorari infirmant la décision
du directeur de le transférer de l'unité «A» de
l'établissement à l'unité à sécurité maximale élevée
du pénitencier de la Saskatchewan et infirmant
également la décision de le placer en isolement
préventif après son retour à l'établissement
d'Edmonton.
Le 5 novembre 1989, il s'est produit une bagarre
au couteau entre deux détenus dans la cour de
l'établissement d'Edmonton. Étant donné qu'une
seule des armes utilisées dans la bagarre a été
retrouvée, le directeur adjoint, qui était à ce
moment-là chargé de l'établissement, a ordonné un
isolement cellulaire dans toute la prison, procédure
selon laquelle tous les détenus doivent réintégrer
leur cellule. Les détenus de l'unité «A», y compris
le requérant, ont refusé d'obéir à l'ordre et en
outre de laisser deux agents correctionnels quitter
l'unité. Ces incidents ont porté le directeur à con-
clure que les activités du requérant et des autres
détenus en cause menaçaient le maintien de l'ordre
et de la discipline dans l'établissement. Le direc-
teur était également d'avis que le requérant avait
manifesté un tel potentiel de comportement violent
qu'il constituait un risque persistant et grave pour
la sécurité du personnel et des détenus de l'établis-
sement d'Edmonton et qu'il devait donc être trans-
féré de toute urgence à l'unité à sécurité maximale
élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Cette
décision a été prise le 6 novembre 1989.
À la même date, le requérant a reçu un avis de
recommandation de transfèrement involontaire
selon lequel, il avait empêché l'isolement cellulaire
immédiat dans toute la prison, le 5 novembre
1989, et devait être transféré de toute urgence à
une unité à sécurité élevée. Le requérant a
demandé à communiquer avec un avocat au sujet
du transfèrement involontaire recommandé, mais
cette demande a été rejetée. Il a été placé à bord
d'un avion et transféré à l'unité à sécurité maxi-
male élevée du pénitencier de la Saskatchewan.
Sur l'avion, le requérant a reçu une copie d'un
avis de recommandation de transfèrement involon-
taire en date du 6 novembre 1989 signé par le
directeur. Le 8 novembre 1989, ou vers cette date,
il a reçu un autre avis de recommandation de
transfèrement involontaire daté du 7 novembre
1989 et signé par le directeur, qui était supplémen-
taire au premier avis de recommandation de trans-
fèrement involontaire. Les deux avis signifiés au
requérant précisaient les motifs de la recomman-
dation de transfèrement faite par le directeur ainsi
que le droit du requérant d'y répondre par écrit.
Le requérant a d'ailleurs présenté une réponse
écrite à l'avis pour nier les allégations faites dans
celui-ci et présenter sa version des faits relatifs à
l'incident en question.
Le 22 décembre 1989, le requérant et quatre
autres détenus de l'unité «A» ont reçu des lettres
les informant que le Comité régional des transfère-
ments avait examiné les renseignements présentés
par l'établissement d'Edmonton pour justifier leur
transfèrement ainsi que leurs réponses écrites. A la
lumière de cette information, il a été décidé d'ap-
prouver le transfèrement de chacun des détenus à
l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier
de la Saskatchewan. Le 10 mai 1990, le requérant
a réintégré l'établissement d'Edmonton, où il est
resté en isolement préventif en attendant une
enquête préliminaire relativement aux accusations
portées en vertu de l'article 129 et du paragraphe
279(2) [mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.), chap.
27, art. 39] du Code criminel [L.R.C. (1985),
chap. C-46] jusqu'à sa mise en liberté le 26 mai
1990.
Le requérant demande maintenant un bref de
certiorari pour le motif que le Comité régional des
transfèrements n'était pas autorisé à approuver le
transfèrement, qu'il n'a pas exercé sa compétence
puisqu'il n'a pas mené une enquête distincte et
indépendante sur le cas du requérant, que les
intimés ont agi contrairement aux principes
d'équité en matière de procédure et à l'article 7 de
la Charte [Charte canadienne des droits et liber-
tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]] en ce qui concerne la recom-
mandation et la décision de le transférer, que les
intimés l'ont privé de son droit prévu à l'alinéa
10b) de la Charte d'avoir recours à l'assistance
d'un avocat et que le directeur de l'établissement
d'Edmonton a agi de façon déraisonnable et con-
traire aux principes d'équité en matière de procé-
dure et à l'article 7 de la Charte en plaçant le
requérant en isolement préventif.
Le requérant maintient que la jurisprudence a
établi l'obligation d'assurer l'équité de procédure
et que l'article 7 de la Charte exige qu'un détenu
qui fait l'objet d'une recommandation de transfè-
rement involontaire soit dûment informé et mis au
courant des raisons du transfèrement, en plus de se
voir offrir la possibilité de présenter des observa
tions pour s'opposer à ce transfèrement. Le requé-
rant soutient que les dispositions en matière de
procédure énoncées à la Directive du commissaire
540 définissent la conduite que doivent suivre les
autorités correctionnelles en ce qui concerne tant
un transfèrement d'urgence qu'un transfèrement
involontaire à une unité à sécurité maximale
élevée. Selon cette directive, un détenu qui fait
l'objet d'un transfèrement involontaire doit notam-
ment se voir remettre un résumé de l'évolution du
cas. Ce genre de rapport fournit un compte rendu
détaillé des incidents qui ont donné lieu au transfè-
rement; n'en sont exclus que les renseignements en
matière de sécurité ou provenant d'informateurs
ainsi que les renseignements relatifs à des incidents
ou, comportements antérieurs qui ont contribué à
la décision de recommander un transfèrement
involontaire. D'après le requérant, on ne lui a
jamais remis un résumé de l'évolution du cas pour
justifier son transfèrement ni fourni de renseigne-
ments confidentiels ou en matière de sécurité qui
ont pu entrer en ligne de compte en ce qui con-
cerne le transfèrement.
Le requérant maintient en outre que les intimés
n'ont pas respecté leur obligation d'assurer l'équité
en matière de procédure et qu'ils ont violé l'article
7 de la Charte en ne faisant pas un examen
distinct et indépendant du transfèrement involon-
taire du requérant à l'unité à sécurité maximale
élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Selon
lui, en outre, les intimés ont enfreint l'alinéa 106)
de la Charte en lui refusant la possibilité de com-
muniquer avec un avocat, le 6 novembre 1989,
lorsqu'il a été placé sous garde et transféré à
l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier
de la Saskatchewan.
Selon le requérant, les autorités se sont trompées
en approuvant le transfèrement involontaire en
l'absence de toute preuve qu'il avait manifesté un
tel potentiel de comportement violent au point de
poser un risque persistant et grave à la sécurité du
personnel ou des détenus de tout établissement
d'un niveau de sécurité inférieur.
Enfin, le requérant soutient qu'il y a eu déléga-
tion irrégulière de pouvoirs au Comité régional des
transfèrements parce que, selon lui, ce comité ne
jouissait pas de la compétence nécessaire pour
prendre une décision au sujet de son transfèrement
à l'unité à sécurité maximale élevée du pénitencier
de la Saskatchewan.
En réponse à ces allégations, les intimés main-
tiennent que l'obligation d'assurer l'équité de pro-
cédure et l'obligation que prévoit l'article 7 de la
Charte ont été respectées. Il est vrai que le requé-
rant n'a pas reçu un résumé de l'évolution du cas,
comme le prévoient les directives. D'après eux,
toutefois, dans un cas de transfèrement urgent de
cette nature, l'avis de recommandation de transfè-
rement et les motifs de cette action peuvent être
dûment signifiés à un détenu au moment du trans-
fèrement ou peu après celui-ci, à condition que des
détails suffisants au sujet de ces raisons soient
donnés au détenu pour le permettre de fournir par
écrit une réponse valable à ceux-ci au moment de
l'examen du transfèrement. Selon les intimés, la
question qui se pose est non pas celle de savoir si
un détenu a reçu tous les documents relatifs au
transfèrement, mais plutôt s'il peut répondre de
façon convenable à l'avis de transfèrement et s'il
s'est vu accorder une chance équitable de répondre
par écrit aux allégations.
En ce qui concerne la prétendue violation de
l'alinéa 10b) de la Charte, les intimés maintien-
nent qu'un transfèrement involontaire est un acte
administratif et qu'il ne donne par conséquent pas
lieu aux droits absolus du requérant d'avoir
recours à l'assistance d'un avocat.
Enfin, les intimés soutiennent qu'il n'y a pas eu
délégation irrégulière de pouvoirs au Comité régio-
nal des transfèrements, qui sert de comité consul-
tatif. C'est le sous-commissaire adjoint par inté-
rim, Opérations, en conformité avec la Directive
du commissaire 540, qui a décidé d'approuver le
transfèrement après examen des éléments de
preuve portés à sa connaissance, y compris l'exposé
écrit du requérant.
J'ai l'intention de me pencher tout d'abord sur le
manque de preuve justifiant le transfèrement invo-
lontaire qu'allègue le requérant. Selon la Directive
du commissaire (D.C.) 540, article 13, la seule
raison pour laquelle un détenu peut être transféré
à un établissement à sécurité maximale élevée est
qu'il «a manifesté un tel potentiel de comporte-
ment violent qu'il pose un risque persistant et
grave à la sécurité du personnel ou des détenus»
dans l'établissement à niveau de sécurité infé-
rieure. Dans Camphaug c. Canada (1990), 34
F.T.R. 165 (C.F. 1" inst.), le juge Strayer, se
reportant à la décision du juge d'appel Marceau
J.C.A. dans l'affaire Gallant c. Canada (Sous-
commissaire, Service correctionnel Canada),
[1989] 3 C.F. 329 (C.A.), a affirmé que la déci-
sion de transférer un détenu n'est pas comme une
condamnation pour une infraction: il suffit que le
décisionnaire ait des motifs raisonnables de croire
que le détenu doit être envoyé ailleurs pour assurer
le maintien d'une administration ordonnée et con-
venable de l'établissement.
C'est un lieu commun de dire que la fonction de
cette Cour, dans ce genre de requête, n'est pas de
substituer sa propre décision à la décision d'un
directeur de recommander un transfèrement ou à
celle d'un sous-commissaire adjoint par intérim,
Opérations, d'approuver ce transfèrement. La
Cour ne prendra pas la place des autorités admi-
nistratives en ce qui concerne l'évaluation des faits
et de la crédibilité.
Je dois plutôt juger si les autorités avaient des
motifs raisonnables de croire que le détenu devait
être transféré. Je n'hésite aucunement à, affirmer,
qu'à mon avis, le directeur de l'établissement d'Ed-
monton a agi de façon raisonnable en prenant la
décision qu'on sait. Vu l'information qui lui a été
fournie, il y avait des motifs raisonnables de croire
que le requérant avait participé de façon significa-
tive à de graves incidents en matière de sécurité à
l'établissement d'Edmonton. À cause de ces inci
dents, le directeur avait aussi un motif raisonnable
de croire que le requérant devait être transféré de
toute urgence à un établissement à niveau de
sécurité plus élevé. Selon moi, les faits appuient
l'avis du directeur: une bagarre au couteau par
suite de laquelle on a retrouvé une seule arme, le
refus du requérant d'obéir à l'ordre d'isolement
czllulaire dans toute la prison et le rôle joué par le
requérant dans la séquestration de deux agents
correctionnels.
L'autre question sur laquelle il faut se pencher
est le fait que les intimés n'ont pas fourni au
requérant un résumé de l'évolution du cas. L'arti-
cle 7 de l'annexe A de la Directive du commissaire
540 précise les renseignements qui doivent être
inclus dans l'avis de recommandation de transfère-
ment involontaire. Essentiellement, il faut que
l'avis renferme suffisamment de renseignements
pour permettre au détenu de connaître les accusa
tions qui sont portées contre lui et d'y répondre.
Selon l'article 8, lorsqu'il s'agit d'un transfèrement
à un établissement à sécurité maximale élevée, il
faut aussi inclure les raisons pour lesquelles le
détenu est considéré comme un risque grave pour
la sécurité du personnel ou des détenus.
En l'espèce, on a satisfait à ces exigences. Le
requérant a reçu deux avis de recommandation de
transfèrement involontaire. Il a été informé de son
droit de présenter des observations par écrit au
sujet de ces avis, ce qu'il a fait. Les avis renfer-
maient suffisamment de détails pour lui permettre
de connaître les accusations portées contre lui et
d'y répondre d'une façon sérieuse. Après examen
des avis, je suis en effet convaincu que les autorités
ont communiqué au requérant autant de rensei-
gnements que ce dernier pouvait raisonnablement
s'attendre d'obtenir sans qu'il soit porté atteinte à
la sécurité de l'établissement.
Selon l'article 10 de l'annexe A de la Directive
du commissaire 540, une copie du résumé de l'évo-
lution du cas doit être jointe à l'avis de recomman-
dation de transfèrement involontaire. Le résumé
doit être signé par le détenu ou renfermer une
mention du refus du détenu de le signer. Il n'y a
aucun doute, en l'occurrence, que l'article 10 n'a
pas été respecté. La question que je dois trancher
est celle de savoir si l'omission du résumé de
l'évolution du . cas représente un vice grave de la
procédure suivie par les autorités au point d'exiger
l'émission d'un bref de certiorari pour corriger
toute injustice résultante.
La jurisprudence est unanime quant à un point:
la Cour doit faire preuve de modération pour ce
qui est d'intervenir dans des actes essentiellement
administratifs comme celui qui est en question
dans ce cas. Toutefois, elle doit en même temps
être convaincue du respect des exigences fonda-
mentales en matière d'équité.
Un détenu ne jouit pas du droit d'avoir une
audience orale avant son transfèrement. (Voir:
Jamieson c. Commissaire aux Services correction-
nels (1986), 51 C.R. (3d) 155 (C.F. lie inst.);
Mitchell c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255 (lie inst.);
Hnatiuk c. Canada (1987), 12 F.T.R. 44 (C.F. i'
inst.)). Ce que la jurisprudence a établi est qu'un
détenu a droit, en application de la D.C. 540, à
être avisé par écrit des motifs du transfèrement et
de son droit de présenter des oppositions par écrit
dans les 48 heures. Il a également droit à une
décision écrite quant à l'approbation du transfère-
ment, y compris à une indication quelconque du
fait que sa réponse est entrée en ligne de compte
dans la décision.
Dans Demaria c. Comité régional de classement
des détenus, [1987] 1 C.F. 74 (C.A.), la Cour a
déclaré que le devoir d'agir de façon équitable en
ce qui concerne le transfèrement d'un prisonnier à
un établissement à niveau de sécurité plus élevé
inclut l'obligation de donner un avis convenable et
d'accorder une chance équitable de répondre aux
allégations. Lorsqu'il n'est pas question de tenir
une audience, il importe que l'avis relatif à la
prétendue conduite soit aussi détaillé que possible
pour garantir que le droit de répondre ne devienne
pas illusoire. La Cour a insisté sur le fait que c'est
aux autorités qu'il appartient de démontrer que les
seuls renseignements qui n'ont pas été divulgués
sont uniquement ceux qu'il fallait cacher pour
protéger l'identité d'un informateur. Comme le
déclare le juge Hugessen, J.C.A., à la page 78:
En dernière analyse, il s'agit de déterminer non pas s'il existe
des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseigne-
ments mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent
à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve
présentée contre elle.
Toutefois, ceci ne signifie pas que les vices de
procédure invalideront nécessairement un transfè-
rement si le procédé général a été équitable. Dans
l'arrêt Hnatiuk précité, le juge a déclaré que le fait
de ne pas remplir intégralement un formulaire
exigé ne constituait pas une infraction, de la part
des agents de l'établissement, au devoir d'agir
équitablement. La Cour s'est fondée sur l'affirma-
tion souvent citée du juge Dickson, à l'époque,
dans son arrêt Martineau c. Comité de discipline
de l'Institution Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602,
page 630:
5. I1 faut souligner que les cours n'interviendront pas dans
tous les cas de violation des règles de procédure carcérale. La
nature même d'un établissement carcéral requiert que des
décisions soient prises «sur-le-champ» par les fonctionnaires et
le contrôle judiciaire doit être exercé avec retenue. Une inter
vention ne sera pas justifiée dans le cas d'incidents triviaux ou
purement théoriques. Il ne s'agit pas de savoir s'il y a eu une
violation des règles carcérales, mais plutôt s'il y a eu une
violation de l'obligation d'agir équitablement compte tenu de
toutes les circonstances. Les règles ont leur importance pour
répondre à cette question: elles révèlent le degré de protection
procédurale dont doivent jouir les détenus, de l'avis des autori-
tés carcérales. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, je suis convaincu que, dans toutes
les circonstances, les intimés n'ont pas enfreint le
devoir d'agir équitablement en ne signifiant pas au
requérant le résumé de l'évolution du cas. Pour
prendre une décision équitable en ce qui concerne
le transfèrement d'un détenu, il n'est pas obliga-
toire de fournir à ce dernier tous les détails au
sujet de tous les prétendus méfaits. Il suffit que le
détenu puisse faire des observations pour démon-
trer que la recommandation de le transférer est
déraisonnable. Il est clair qu'on a fourni au requé-
rant suffisamment de détails pour lui permettre de
connaître les accusations dont il devait répondre et
pour présenter ses observations au sujet des motifs
à l'appui de la recommandation. Les faits prouvent
que le requérant a pu répondre sérieusement à
l'avis de transfèrement et qu'on lui a donné une
chance équitable de réfuter par écrit les alléga-
tions.
Je suis en outre convaincu du bien-fondé de ma
conclusion que l'absence d'un résumé de l'évolu-
tion du cas ne doit pas amener la Cour à intervenir
dans le processus décisionnel des intimés du fait
qu'aucun rapport de ce genre n'a été produit. On
n'a pas caché de renseignements au requérant; les
personnes chargées de la rédaction de ces résumés
participaient plutôt, aux dates en question, à une
grève.
Je suis en dernière analyse convaincu que l'ab-
sence d'un résumé de l'évolution du cas, dans les
circonstances, ne constitue pas une infraction, de
la part des intimés, à leur devoir d'agir équitable-
ment ni une infraction à l'article 7 de la Charte.
Examinons maintenant la question du refus des
intimés de permettre au requérant, après qu'il l'eut
demandé le 5 novembre 1989, d'avoir recours à
l'assistance d'un avocat. La question de savoir si
un détenu qui fait l'objet de mesures disciplinaires
a droit de recourir à l'assistance d'un avocat a été
examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984]
2 C.F. 642. Dans cette affaire, le détenu était
accusé d'infraction aux consignes disciplinaires en
vertu de l'article 39 du Règlement sur le service
des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, et a dû se
soumettre à une audience en matière disciplinaire
pour laquelle il a demandé à être représenté par un
avocat, demande qui a été refusée. Le juge en chef
Thurlow a énoncé le critère suivant pour détermi-
ner si une personne peut être considérée comme
jouissant d'un droit intrinsèque à l'assistance d'un
avocat à la page 663:
... il me semble que la question de savoir si oui ou non une
personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des
circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa
complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la
cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive.
Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la
requête d'un détenu en vue d'être représenté par avocat peut
être légalement refusée ne peut être considérée comme une
question de discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque
les circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéqua-
tement la cause du détenu exige la représentation par avocat.
En outre, on a interprété l'expression «en cas
d'arrestation ou de détention» employée à l'alinéa
10b) de la Charte comme étant une privation dé
liberté, soit physique soit à la demande ou en
application des directives d'une personne occùpânt
un poste d'autorité.
Dans l'arrêt Latham c. Solliciteur général du
Canada, [1984] 2 C.F. 734 (ife inst.), il a été
déclaré qu'un prisonnier qui comparaît devant la
Commission des libérations conditionnelles pour
un examen de la suspension de sa liberté condition-
nelle ne jouit pas du droit absolu d'avoir recours à
l'assistance d'un avocat au sens de l'alinéa 10b) de
la Charte. Ce droit, ainsi que l'a déclaré la Cour,
s'applique uniquement en cas d'arrestation ou de
détention, et toute autre application de l'alinéa
10b), dans un contexte carcéral, entraînerait une
obligation constante de la part des autorités carcé-
rales d'informer les prisonniers de leur droit
d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, au jour
le jour.
À mon avis, un détenu qui fait l'objet d'un
transfèrement involontaire effectué de toute
urgence ne jouit pas du droit absolu d'avoir
recours à l'assistance d'un avocat, ainsi que le
prévoit l'article 10 de la Charte. Ceci ne signifie
pas qu'un détenu ne pourra jamais invoquer la
protection des droits enchâssés à l'alinéa 10b). Je
conviens toutefois avec le juge en chef Thurlow: ce
sont les circonstances qui existent dans chaque cas
qui déterminent si ce droit absolu existe. En l'es-
pèce, je suis convaincu que le requérant connaissait
parfaitement les raisons du transfèrement et qu'il
était capable de réfuter sérieusement les preuves
présentées contre lui. On lui a amplement donné
l'occasion de faire convenablement valoir son point
de vue, ce qu'il a d'ailleurs fait. L'absence d'un
avocat n'a pas entravé le requérant dans l'exposé
de son point de vue. Compte tenu des faits existant
en l'espèce et de l'urgence de la situation, le refus
de permettre au requérant de recourir à l'assis-
tance d'un avocat n'a pas constitué un manque-
ment à un devoir quelconque des autorités carcéra-
les d'agir équitablement et il n'a pas non plus été
contraire aux droits que la Charte garantit au
requérant.
Enfin, la preuve n'appuie pas l'affirmation du
requérant selon laquelle il y a eu délégation irrégu-
lière de pouvoirs au Comité régional des transfère-
ments pour ce qui est de la décision de le transfé-
rer. Selon la Directive du commissaire 540, c'est
au sous-commissaire régional, au sous-commissaire
adjoint, Opérations, et à l'administrateur régional
des Opérations communautaires et institutionnel-
les qu'il appartient d'approuver les transfèrements
à l'intérieur d'une région. C'est M. Linklater, en sa
qualité de sous-commissaire adjoint par intérim,
Opérations, après examen des preuves portées à sa
connaissance, y compris les observations écrites du
requérant, qui a approuvé le transfèrement de ce
dernier. Il n'y a donc pas eu délégation irrégulière
de pouvoirs au Comité régional des transfère-
ments.
Pour tous ces motifs, je ne puis conclure que les
intimés n'ont pas respecté leur obligation d'agir
équitablement ni que leurs actions ont violé des
droits quelconques que la Charte garantit au
requérant. La requête est par conséquent rejetée
avec dépens.
Les motifs de l'ordonnance écrits dans le cas du
requérant Christopher Williams, n° du greffe
T-1505-90, s'appliquent également aux requérants
suivants: Harold Dubarry, T-1506-90; Ken McIn-
tyre, T-1507-90; Arthur Winters, T-1508-90; et
Eugene Campbell, T-1509-90. Il convient de signa-
ler que malgré les légers écarts éventuels quant
aux faits dans chacune de ces affaires, les principes
contestés sont les mêmes.
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