A-463-90
Norman Severud (requérant)
c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada (intimée)
RÉPERTORIÉ: SEVERUD C. CANADA (COMMISSION DE L'EM-
PLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone,
J.C.A.—Vancouver, 28 et 31 janvier 1991.
Contrôle judiciaire — Demandes de révision — Assurance-
chômage — Le conseil arbitral avait-il le pouvoir de «clari-
fier» sa première décision — La règle functus officio doit
s'appliquer aux tribunaux administratifs avec souplesse.
Assurance-chômage — Le conseil arbitral avait-il le pou-
voir de «clarifier» sa première décision — Absence d'autorisa-
tion législative — Dans sa première décision, le conseil a omis
de trancher l'une des questions dont il avait été saisi et,
d'après le bon sens, celui-ci devrait pouvoir terminer ce qu'il a
commencé.
La Cour a été saisie d'une demande d'annulation d'une
décision par laquelle un juge-arbitre agissant en vertu de la Loi
sur l'assurance-chômage a rejeté l'appel formé par le requé-
rant contre une décision du conseil arbitral qui prétendait
«clarifier» une décision antérieure. Le conseil devait se pronon-
cer sur deux questions distinctes mais liées. Le conseil a
accueilli l'appel sans préciser laquelle des question il tranchait,
même s'il était logiquement impossible d'accueillir l'appel sur
les deux questions. Le requérant a soutenu qu'il avait eu gain
de cause sur les deux questions. Selon la Commission, la
décision ne portait que sur une question. À la demande du
requérant, le conseil a tenu une deuxième audience pour inter-
préter sa première décision. Il a statué qu'il avait omis de
trancher l'une des questions dans sa première décision et que
l'appel sur cette question devrait être rejeté. La question en
litige dans la présente demande était de savoir si le conseil avait
le pouvoir de «clarifier» sa première décision.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Si le conseil n'est pas compétent, ni la demande de clarifica
tion formulée par le requérant ni le fait que la clarification soit
la seule interprétation logique ne peuvent être attributifs de
compétence. Toutefois, dans les circonstances particulières de
l'espèce, le conseil, même en l'absence d'une autorisation légis-
lative expresse, avait le pouvoir de clarifier ou d'interpréter sa
première décision parce qu'il lui était logiquement impossible
d'accueillir l'appel sur les deux questions, et la décision était
incomplète parce qu'elle omettait de rejeter l'appel sur l'autre
question. Bien que cette décision eût pu être portée en appel
devant le juge-arbitre, l'article 80 de la Loi sur l'assurance-
chômage limite un tel appel aux questions de droit et de
compétence. On ne peut affirmer que le principe functus officio
ne s'applique pas aux tribunaux administratifs; il ne devrait
cependant pas s'appliquer de manière formaliste et rigide aux
décisions d'un conseil qui ne font l'objet d'un appel que sur des
questions de droit.
Dans sa première décision, le conseil a omis de trancher l'une
des questions dont il était saisi. C'était une question qu'il était
habilité par la Loi à trancher. Cette Loi ne précise pas les
moyens de redressement que le conseil est habilité à appliquer,
et le conseil n'a pas, dans les faits, prétendu choisir un moyen
de redressement particulier. D'après le bon sens, il devrait
pouvoir terminer ce qu'il a commencé, car lui seul pouvait
accomplir cette tâche. Tant qu'elle restait inachevée, le litige
entre les parties, à l'égard duquel la Loi prévoit des modes de
règlement rapides et peu coûteux, demeurait non résolu.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), chap. U-1,
art. 9(6), 79, 80, 86.
Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C., chap. 1576,
art. 66.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2
R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577;
[1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40
Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277.
AVOCATS:
R. Tim Louis pour le requérant.
Paul Partridge pour l'intimée.
PROCUREURS:
Tim Louis & Company, Vancouver, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: La présente
demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour
fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] attaque une
décision par laquelle le juge Reed, qui siégeait en
qualité de juge-arbitre aux termes de la Loi sur
l'assurance-chômage [L.R.C. (1985), chap. U-1],
a rejeté l'appel interjeté par le requérant contre
une décision du conseil arbitral en date du 16 mars
1988. Par cette décision, le conseil, qui agissait à la
demande du requérant, a prétendu [TRADUCTION]
«clarifier> une décision qu'il avait prise le 28 octo-
bre 1987.
La seule question de conséquence en l'espèce est
de savoir si le conseil avait la compétence de
rendre la deuxième décision et d'entreprendre de
clarifier ou d'interpréter sa première décision.
Il convient de faire plusieurs observations préli-
minaires. En premier lieu, le conseil n'est pas
habilité par la Loi à faire ce qu'il a fait, puisqu'il
est reconnu que les conditions préalables à l'exer-
cice des pouvoirs conférés par l'article 86 de la Loi
sur l'assurance-chômage' n'ont pas été remplies
en l'espèce.
Deuxièmement, le fait que le conseil ait entre-
pris de clarifier sa première décision à la demande
expresse du requérant en l'espèce ne peut en soi
être attributif de compétence s'il n'en existe
aucune en droit.
Enfin, même si la clarification ou l'interpréta-
tion formulée par le conseil était effectivement,
comme le juge-arbitre l'a décidé, la seule qui
logiquement s'offrait à lui, ce fait ne donne pas au
conseil, au juge-arbitre ou à la présente Cour le
pouvoir de rendre un jugement déclaratoire obliga-
toire à cet effet dans la présente espèce. Il peut,
bien entendu, rendre la présente demande théori-
que et, en définitive, parfaitement vaine pour le
requérant, mais cela n'a aucun rapport avec la
question purement juridique.
Dans la décision qu'il a rendue le 28 octobre
1987, le conseil devait se prononcer sur deux ques
tions distinctes mais liées. Premièrement, il y avait
l'appel que le requérant a interjeté contre la déci-
sion en date du 20 août 1987 de la Commission de
rejeter sa demande de prestations au motif que sa
période de référence ne comptait que douze semai-
nes d'emploi assurable, alors qu'il devait avoir à
son actif au moins seize semaines d'emploi assura-
ble (dossier d'appel, à la page 38). Deuxièmement,
il y avait le refus de la Commission d'accéder à la
demande du requérant (conformément au paragra-
phe 9(6)) de mettre fin volontairement et rétroac-
tivement au 7 décembre 1986 à une période de
prestations qui avait été établie en sa faveur à
86. La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre
peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande
particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux
ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit
connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à
un tel fait.
partir du 10 août 1986. Dans les observations
qu'elle a soumises au conseil, la Commission a
fidèlement exposé les points litigieux:
[TRADUCTION] Après avoir travaillé pour B & C List (1982)
Ltd., Norman Severud a formulé une demande d'assurance-
chômage qui a pris effet le 10 août 1986 (pièce 2.1, 2.2). Il a
formulé une nouvelle demande plusieurs semaines plus tard,
après avoir de nouveau travaillé pour B & C List (1982) Ltd.
(pièce 3.1, 3.2, 4). Sa demande du 10 août 1986 a été renouve-
lée le 7 décembre 1986 (pièce 5).
M. Severud s'est par la suite renseigné au sujet de la possibilité
de mettre fin à sa demande afin d'en formuler une nouvelle, et,
après qu'on lui eut fait part du pour et du contre, il a décidé de
ne pas modifier la demande initiale (pièce 6). Sa demande a
pris fin à l'expiration de la durée maximale qui avait été
prévue, après quoi le prestataire a formulé une nouvelle
demande (pièce 7.1-7.3).
On a avisé M. Severud qu'il n'avait pas suffisamment de
semaines d'emploi assurable pour pouvoir formuler une nou-
velle demande (pièce 10). Il a fait appel de cette décision et, ce
faisant, a rappelé la décision qu'il avait prise de ne pas mettre
fin à sa demande du 10 août 1986, en disant qu'il s'était appuyé
sur des renseignements erronés fournis par la Commission
(pièce 11). La Commission a étudié la demande de M. Severud
de mettre fin volontairement et rétroactivement à sa première
demande et a refusé d'y accéder (pièce 12). Par conséquent, le
conseil arbitral est saisi de deux questions, à savoir la demande
de M. Severud de mettre fin volontairement et rétroactivement
à sa demande et l'incapacité de ce dernier de justifier d'un
nombre suffisant de semaines d'emploi assurable pour formuler
une autre demande (pièce 10). Si l'appel de M. Severud est
accueilli sur la question de la cessation volontaire rétroactive, il
pourrait formuler une demande prenant effet le 7 décembre
1986, vu que les conditions requises à ce moment différaient de
celles en vigueur en août 1987. Le conseil n'aurait donc pas
besoin de se prononcer sur l'incapacité de M. Severud de
formuler une demande en août 1987.
Dans ses motifs, le juge-arbitre a repris et déve-
loppé la remarque faite par la Commission dans la
dernière phrase de l'extrait précité, lorsqu'elle a
affirmé:
[TRADUCTION] Si le conseil accueillait l'appel du prestataire
sur la première question, alors, il n'était pas nécessaire qu'il
examine la deuxième question. Inversement, si le conseil
accueillait l'appel du prestataire sur la deuxième question, il
aurait été superflu qu'il tranche la première question.
La décision rendue par le conseil le 28 octobre
1987 était la suivante:
[TRADUCTION] Deux questions:
(1) Période de prestations non établie — Articles 17 et 18 de
la Loi sur l'assurance-chômage
(2) Cessation volontaire de la demande — Paragraphes
20(3)(6) de la Loi sur l'assurance-chômage
Le prestataire a comparu et il était assisté de son avocat, Me
Tim Louis.
Me Louis a indiqué au conseil que le prestataire n'avait aucun
argument à faire valoir au sujet des faits contenus dans le
dossier. La question était de savoir si l'on avait renseigné à fond
M. Severud au sujet des options qu'il pouvait exercer, dans le
document concernant [TRADUCTION] «le pour et le contre»
déposé comme pièce 6. La variable qu'était le taux de chômage
ne figurait pas au nombre des facteurs mentionnés, en dépit de
sa fluctuation possible. Ce taux dépassait 11,5 % au moment
où le prestataire a pris la décision de conserver sa demande
initiale le 20 janvier 1987 lorsqu'il a pris sa décision; entre le 19
juillet 1987 et le 15 août 1987, ce taux s'établissait à 11,4 %.
M. Severud a signé le formulaire qui lui avait été remis et a
compris les options telles qu'elles étaient exposées, mais le
document ne mentionnait rien au sujet du facteur clé qu'était le
taux de chômage. Au nom du prestataire, Me Louis faisait
reposer son appel sur le motif du «consentement éclairé».
Après avoir analysé l'argumentation orale et écrite, le conseil
en arrive à la conclusion que le prestataire n'a pas été renseigné
à fond sur le pour et le contre, et l'appel est accueilli.
Le [TRADUCTION] «pour et le contre» dont parle
le conseil est un document (dossier d'appel, à la
page 31) portant ce titre que la Commission a
remis au requérant le 20 janvier 1987 pour aider
ce dernier à décider, à ce moment, s'il devait ou
non mettre fin volontairement à sa période de
prestations initiale (celle du 10 août 1986) et
établir une nouvelle période prenant effet le 7
décembre 1986. Il est clair que ce document con-
cernait uniquement la question de la cessation
volontaire rétroactive (que le conseil a décrite
comme la question n° 2), car il ne pouvait absolu-
ment pas avoir rapport avec la question de savoir si
le requérant avait à son actif le nombre nécessaire
de semaines d'emploi assurable en août 1987, soit
sept mois plus tard.
Selon l'interprétation de la Commission, la déci-
sion en date du 28 octobre 1987 du conseil ne
portait que sur la question de la cessation volon-
taire rétroactive. Par contre, le requérant ne parta-
geait pas cet avis. S'appuyant sur les trois derniers
mots de cette décision, [TRADUCTION] «l'appel est
accueilli», il a soutenu qu'il avait eu gain de cause
sur les deux questions et qu'il avait le droit à la
fois de mettre fin rétroactivement à la période de
prestations du mois d'août 1986 et de conserver
l'avantage de cette première période, tout en étant
admissible à une nouvelle période commençant en
août 1987, même s'il n'avait à son actif que douze
semaines d'emploi assurable au lieu du minimum
de seize semaines exigé.
Comme les parties étaient dans une impasse, le
requérant a présenté une demande d'audience au
conseil [TRADUCTION] «pour tenter d'obtenir des
clarifications» au sujet de la décision. Le conseil a
accédé à sa demande et, dans une décision en date
du 16 mars 1988, il a jugé à la majorité qu'il
[TRADUCTION] «avait omis de trancher la question
n° 1» dans sa première décision, et que l'appel sur
cette question devait être rejeté. Le membre dissi
dent a indiqué que, à son avis, le conseil avait
voulu accueillir l'appel sur les deux questions dans
sa décision du 28 octobre 1987, et l'avait effective-
ment accueilli. Comme je l'ai mentionné, l'appel
devant le juge-arbitre a été infructueux.
Je suis d'avis que, dans les circonstances parti-
culières de l'espèce, le conseil, même en l'absence
d'une autorisation législative expresse, avait le
pouvoir de faire ce qu'il a fait. Sa première déci-
sion était ambiguë parce que, même s'il était saisi
de deux questions, il lui était logiquement impossi
ble d'accueillir l'appel sur les deux questions en
même temps. Les mots [TRADUCTION] «l'appel est
accueilli» pouvaient uniquement signifier que le
requérant avait eu gain de cause sur l'une ou
l'autre question. De plus, la décision était incom-
plète parce qu'elle omettait de rejeter l'appel sur
l'autre question. Bien que cette décision eût pu être
portée en appel devant le juge-arbitre, l'article 80
de la Loi sur l'assurance-chômage limite un tel
appel aux questions de droit et de compétence.
Dans l'arrêt Chandler c. Alberta Association of
Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, la Cour suprême
du Canada devait examiner une question de com-
pétence fort semblable au cas qui nous occupe. Un
tribunal administratif, à savoir la Commission de
la révision des pratiques de l'Association des archi-
tectes, avait tenu une audience et présenté un
rapport contenant plusieurs conclusions qui outre-
passaient sa compétence. La Commission a ensuite
indiqué qu'elle avait l'intention de poursuivre l'au-
dience initiale afin de décider s'il convenait de
rédiger un autre rapport. On s'y est opposé en
faisant valoir que la Commission était functus
officio, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas compétence.
Le juge Sopinka, parlant au nom de la majorité de
la Cour suprême, a répondu à cet argument de la
façon suivante [aux pages 860-8621:
J'estime cependant qu'il faut plutôt traiter de l'application du
principe functus officio dans le contexte de la qualification
suivante de l'état actuel des procédures devant la Commission.
La Commission a tenu une audience valide au sujet de certaines
pratiques des appelants. À la fin de l'audience, au lieu d'envisa-
ger de formuler des recommandations et des directives, elle a
formulé un certain nombre de conclusions et d'ordonnances
ultra vires qui étaient nulles et qui ont été annulées. Dans ces
circonstances, la décision de la Commission est-elle définitive,
ce qui justifierait l'application du principe du functus officio?
Functus officio
La règle générale portant qu'on ne saurait revenir sur une
décision judiciaire définitive découle de la décision de la Court
of Appeal d'Angleterre dans In re St. Nazaire Co. (1879), 12
Ch. D. 88. La cour y avait conclu que le pouvoir d'entendre à
nouveau une affaire avait été transféré à la division d'appel en
vertu des Judicature Acts. La règle ne s'appliquait que si le
jugement avait été rédigé, prononcé et inscrit, et elle souffrait
deux exceptions:
1. lorsqu'il y avait eu lapsus en la rédigeant, ou
2. lorsqu'il y avait une erreur dans l'expression de l'intention
manifeste de la cour. Voir Paper Machinery Ltd. v. J. O.
Ross Engineering Corp., [ 1934] R.C.S. 186.
Dans Grillas c. Ministre de la Main-d'Oeuvre et de l'Immi-
gration, [1972] R.C.S. 577, le juge Martland, s'exprimant en
son propre nom et en celui du juge Laskin, s'est dit d'avis que le
même raisonnement ne s'appliquait pas à la Commission d'ap-
pel de l'immigration dont les décisions ne pouvaient faire l'objet
d'un appel que sur une question de droit. Même s'il s'agissait
d'une opinion dissidente, seul le juge Pigeon, parmi les cinq
juges ayant entendu l'affaire, n'y a pas souscrit. Le juge
Martland affirme, à la p. 589:
Le même raisonnement ne s'applique pas aux décisions de la
Commission, dont il n'y a pas d'appel, sauf sur une question
de droit. Il n'y a pas d'appel par voie de nouvelle audition.
Dans R. v. Development Appeal Board, Ex p. Canadian
Industries Ltd., la Chambre d'appel de la Cour suprême de
l'Alberta a exprimé l'avis que la législature albertaine recon-
naissait l'application de la restriction énoncée dans l'affaire
St. Nazaire Company aux commissions administratives, puis-
que des dispositions expresses prévoyant une nouvelle audi
tion avaient été insérées dans les lois établissant certaines
commissions provinciales, tandis que, dans le cas du Develop
ment Appeal Board en question, il n'y en avait pas. La Cour
a poursuivi en signalant que l'un des buts de la création de
ces commissions était d'arriver rapidement au règlement de
problèmes administratifs.
Il a ensuite conclu que le texte de la loi exprimait l'intention
d'habiliter la Commission à entendre d'autres éléments de
preuve, dans certains cas, même si une décision définitive avait
été rendue.
Je ne crois pas que le juge Martland ait voulu affirmer que le
principe functus officio ne s'applique aucunement aux tribu-
naux administratifs. Si l'on fait abstraction de la pratique suivie
en Angleterre, selon laquelle on doit hésiter à modifier ou à
rouvrir des jugements officiels, la reconnaissance du caractère
définitif des procédures devant les tribunaux administratifs se
justifie par une bonne raison de principe. En règle générale,
lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question
dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut
revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis,
parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compé-
tence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le
faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une
erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper
Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.
Le principe du functus officio s'applique dans cette mesure.
Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le
caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énon-
cée relativement aux jugements officiels d'une cour de justice
dont la décision peut faire l'objet d'un appel en bonne et due
forme. C'est pourquoi j'estime que son application doit être plus
souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par
des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l'objet d'un
appel que sur une question de droit. Il est possible que des
procédures administratives doivent être rouvertes, dans l'intérêt
de la justice, afin d'offrir un redressement qu'il aurait par
ailleurs été possible d'obtenir par voie d'appel.
Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de
façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu'une
décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d'exer-
cer la fonction que lui confère sa loi habilitante. C'était le cas
dans l'affaire Grillas, précitée.
De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une
question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures
et qu'il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante,
on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la
loi. Cependant, si l'entité administrative est habilitée à trancher
une question d'une ou de plusieurs façons précises ou par des
modes subsidiaires de redressement, le fait d'avoir choisi une
méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures
pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le
droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l'avenir,
à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des
décisions provisoires ou temporaires. [C'est moi qui souligne.]
À mon sens, les mots soulignés décrivent exacte-
ment ce qui s'est produit en l'espèce. Dans sa
première décision, le conseil arbitral a omis de
trancher l'une des questions dont il était saisi.
C'était une question qu'il était habilité par la Loi à
trancher. Cette Loi ne précise pas les moyens de
redressement que le conseil est habilité à appli-
quer 2 , et le conseil n'a pas, dans les faits, prétendu
choisir un moyen de redressement particulier. Il a
simplement accueilli l'appel sans préciser laquelle
des décisions de la Commission il estimait mal
fondée. D'après le bon sens et la logique, le conseil
devrait pouvoir terminer ce qu'il a commencé. Lui
seul pouvait accomplir cette tâche, et, tant qu'elle
restait inachevée, le litige entre les parties, à
l'égard duquel la Loi prévoit des modes de règle-
ment rapides et peu coûteux, demeurait non résolu.
2 De fait, l'art. 79 de la Loi sur l'assurance-chômage et l'art.
66 du Règlement sur l'assurance-chômage [C.R.C., chap.
1576] sont tout à fait muets quant au fond de la décision du
conseil et ne traitent que de questions de forme.
Je rejetterais la demande.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.