A-132-89
Brent Bradasch (intimé) (demandeur)
c.
James Warren, John Berry, Gordon Geiger et Sa
Majesté la Reine (appelants) (défendeurs)
A-133-89
James Workman (intimé) (demandeur)
c.
James Warren, John Berry, Gordon Geiger et Sa
Majesté la Reine (appelants) (défendeurs)
A-134-89
Glen Kane (intimé) (demandeur)
c.
James Warren, John Berry, Gordon Geiger et Sa
Majesté la Reine (appelants) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: BRADASCH C. WARREN (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Hugessen,
J.C.A.—Whitehorse (Yukon), 26 avril 1990.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — Couronne — Responsabilité délictuelle — Action
intentée contre des membres de la GRC pour voies de fait,
actes de violence et emprisonnement illégal — Appel de la
décision par laquelle la Section de première instance a rejeté
la requête en autorisation de déposer un acte de comparution
conditionnelle et en radiation de la déclaration pour défaut de
compétence — Appel rejeté — La conclusion du juge des
requêtes était fondée, mais il a fait erreur dans ses motifs —
Application de l'arrêt rendu par la CSC dans ITO c. Miida
Electronics quant aux diverses conditions de l'existence de la
compétence Attribution de compétence figurant à l'art.
17(5)6) de la Loi sur la Cour fédérale — Toutefois, le juge des
requêtes a eu tort de conclure que l'action reposait sur le droit
fédéral en application de la Loi sur la Cour fédérale, de la Loi
sur la responsabilité de l'État et de la Loi sur la Gendarmerie
royale du Canada — En vertu de la Loi constitutionnelle de
1871 et de l'Acte du Territoire du Yukon, le droit du Yukon
est dans son entier un droit fédéral — Ainsi donc, le droit de la
responsabilité délictuelle du Yukon relève du droit fédéral, et
ce droit s'applique en l'espèce par l'effet de la Loi sur le
Yukon, une loi du Canada.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Dans la
dichotomie d'un système fédéral, toute autorité d'État doit
être soit fédérale soit provinciale — Seul le Parlement du
Canada peut prendre des mesures législatives pour un terri-
toire non compris dans une province — Le Parlement a exercé
son pouvoir législatif en créant le Territoire du Yukon gui
faisait alors partie des Territoires du Nord-Ouest — Le droit
du Yukon est dans son entier un droit fédéral — Les pouvoirs
conférés à la législature territoriale ont seulement été délégués
par le Parlement qui a retenu son emprise sur ces pouvoirs.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte du Territoire du Yukon, 1898, 61 Vict., chap. 6
(Can.) [L.R.C. (1985), Appendice II, n° 19], art. 9.
Loi constitutionnelle de 1871, 34-35 Vict., chap. 28
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 5) [L.R.C. (1985), Appendice II, n° 11], art.
4.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
17(5)b).
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C.
(1985), chap. R-10.
Loi sur la responsabilité de l'État, L.R.C. (1985), chap.
C-50, art. 3a), 10.
Loi sur le Yukon, L.R.C. (1985), chap. Y-2, art. 23(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
324.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28
D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241.
DÉCISION CITÉE:
Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511; (1987), 33 C.C.C.
(3d) 340; 73 N.R. 149 (C.A.).
AVOCATS:
Stan F. Benda pour les appelants (défen-
deurs).
Buffy B. Blakley pour l'intimé (demandeur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants (défendeurs).
Cable, Veale, Morris & Kilpatrick, White-
horse (Yukon), pour l'intimé (demandeur).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Il s'agit d'un appel
formé contre la décision par laquelle la Section de
première instance [(1989), 27 F.T.R. 70 (C.F. 1"°
inst.)] a rejeté la requête introduite par les défen-
deurs en vertu de la Règle 324 [Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663] et visant à obtenir
l'autorisation de déposer un acte de comparution
conditionnelle pour faire radier la déclaration pour
défaut de compétence.
Les défendeurs particuliers étaient à l'époque en
cause membres de la Gendarmerie royale du
Canada. Les demandeurs ont pousuivi ces défen-
deurs et la Couronne pour les délits allégués,
savoir des «voies de fait et actes de violence» et un
«emprisonnement illégal».
Nous sommes tous d'avis que les motifs pronon-
cés par le juge des requêtes ne sauraient être
confirmés. Il a confondu les différentes conditions
requises pour la compétence de cette cour énoncées
dans l'arrêt ITO—International Terminal Opera
tors Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre':
I. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du
Parlement fédéral.
2. 11 doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui
soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de
l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada»
au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Personne ne saurait contester que la première
condition est remplie, et l'attribution de compé-
tence figurant à l'alinéa 17(5)b) de la Loi sur la
Cour fédérale 2 est sans équivoque. Toutefois, le
juge des requêtes semble s'appuyer sur cet alinéa,
ainsi qu'il est cité dans un extrait de l'arrêt rendu
par cette Cour dans l'affaire Dag c. Canada 3 , et
sur l'alinéa 3a) et l'article 10 de la Loi sur la
responsabilité de l'État", pour étayer l'idée que
l'action du demandeur repose sur une règle de
droit fédérale. Il s'agit manifestement d'une
erreur, et il suffit de prendre connaissance des
textes cités pour se rendre compte qu'ils ne sau-
raient être le fondement d'un droit d'action contre
un préposé de la Couronne.
' [1986] 1 R.C.S. 752, à la p. 766.
2 L.R.C. (1985), chap. F-7:
17....
(5) La Section de première instance a compétence concur-
rente, en première instance, dans les actions en réparations
intentées:
b) contre un fonctionnaire ou préposée de la Couronne
pour des faits—actes ou omissions—survenus dans le cadre
de ses fonctions.
[1987] 2 C.F. 511.
L.R.C. (1985), chap. C-50.
(Suite à la page suivante)
Le recours, par le juge des requêtes, à la Loi sur
la Gendarmerie royale du Canadas était un peu
plus justifiable mais toujours erroné en l'espèce. Il
s'est prononcé en ces termes [à la page 72]:
Les défendeurs n'auraient vraisemblablement pas pu commet-
tre les délits qui leur sont reprochés s'ils n'avaient pas été
investis des obligations et pouvoirs qui leur sont conférés
comme «membres de la Gendarmerie» conformément à la Loi
sur la Gendarmerie royale du Canada, loi authentique du
Canada.
Il se peut bien que les «obligations et pouvoirs»
que les défendeurs particuliers tiennent d'une loi
fédérale forment le fondement d'un moyen invoqué
par l'un ou plusieurs d'entre eux pour se défendre
à l'action intentée à leur encontre, mais la cause
d'action elle-même ne dépend nullement de la Loi
sur la Gendarmerie royale du Canada.
Cela étant dit, toutefois, nous estimons égale-
ment que la conclusion tirée par le juge des requê-
tes était fondée, mais pour des raisons très
différentes.
Dans leur action, les demandeurs concluent à la
responsabilité délictuelle. Le délit allégué a été
commis au Yukon. Dans la dichotomie d'un sys-
tème fédéral, dans lequel toute autorité d'État doit
être en dernière analyse soit fédérale soitprovin-
ciale, le droit du Yukon est dans son entier un
droit fédéral. En termes constitutionnels, seul le
Parlement du Canada peut prendre des mesures
législatives relatives à
4. ... l'administration des territoires non compris dans les
provinces existantes, à la paix et à l'ordre dans leurs limites
ainsi qu'à leur bon gouvernement.
(Voir l'article 4 de la Loi constitutionnelle de 1871
[34 — 35 Vict., chap. 28 (R.-U.) (mod. par la Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
(Suite de la page précédente)
3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est
assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour
a) les délits civils commis par ses préposés.
10. L'État ne peut être poursuivi, sur le fondement de
l'alinéa 3a), pour les actes ou omissions de ses préposés que
lorsqu'il y a lieu en l'occurrence, compte non tenu de la
présente loi, à une action en responsabilité civile délictuelle
contre leur auteur ou ses représentants.
5 L.R.C. (1985), chap. R-10.
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 5)
[L.R.C. (1985), Appendice II, n° 11]]).
Le Parlement a exercé son pouvoir législatif.
C'est l'Acte du Territoire du Yukon de 1898 6 , une
loi fédérale, qui a créé le Territoire du Yukon qui
faisait alors partie des Territoires du Nord-Ouest.
Cette loi prévoyait un pouvoir législatif et exécutif
pour le territoire et a créé une cour supérieure
pour l'administration de la justice dans ce dernier.
Son article 9 portait:
9. Sous réserve des dispositions du présent acte, les lois
relatives aux matières civiles et criminelles et les ordonnances,
telles qu'elles seront dans les Territoires du Nord-Ouest au jour
de la sanction de cet acte, continueront de s'exécuter dans le
Territoire du Yukon, en tant qu'elles auront leur application
jusqu'à ce qu'elles aient été modifiées ou abrogées par le
Parlement du Canada, ou par quelque ordonnance du Gouver-
neur en conseil ou du commissaire en conseil, faite sous l'auto-
rité du présent acte.
Des dispositions semblables ont été reprises dans
des révisions législatives successives, et le paragra-
phe 23 (1) de la Loi sur le Yukon' est ainsi rédigé:
23.(l) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi,
les règles de droit en vigueur dans les Territoires du Nord-
Ouest au 13 juin 1898 en matière pénale et civile le demeurent
dans le territoire, dans la mesure où elles peuvent s'y appliquer
et n'ont pas été par la suite abrogées ou modifiées par une loi
fédérale ou par une ordonnance.
Ainsi donc, le droit de la responsabilité délic-
tuelle dans le Yukon relève, en termes constitu-
tionnels, du droit fédéral, et ce droit s'applique en
l'espèce par l'effet de la Loi sur le Yukon, une loi
du Canada 8 . Les deuxième et troisième conditions
posées dans l'arrêt ITO—International Terminal
Operators précité ont été remplies.
Les appels seront rejetés avec dépens.
6 61 Vict., chap. 6 (Can.) [L.R.C. (1985), Appendice II, n°
19].
' L.R.C. (1985), chap. Y-2.
Bien entendu, nous savons que le statut de facto du Yukon
connaît une évolution rapide, et que les institutions d'un gou-
vernement démocratique qui y sont en place font que le Terri-
toire ressemble beaucoup à une province. Il demeure, toutefois,
que, quelle que soit l'étendue des pouvoirs conférés à la législa-
ture territoriale, ils sont, sur le plan juridique, des pouvoirs qui
ont jusqu'à maintenant seulement été délégués par le Parle-
ment; celui-ci ne s'en est pas départi et a expressément retenu
son emprise sur ces pouvoirs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.