T-1559-88
Sa Majesté la Reine (requérante)
c.
Subah Sadiq (intimé)
T-1360-90
Subah Sadiq (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CANADA c. SADIQ (1" INST.)
Section de première instance, juge Cullen—Cal-
gary, 21 novembre; Ottawa, 3 décembre 1990.
Citoyenneté — Demande d'annulation de la citoyenneté au
motif qu'elle a été obtenue au moyen de fausses déclarations
— Les demandes de résidence permanente et de citoyenneté ne
révélaient pas l'existence de mesures d'expulsion — Envoi
d'un avis d'annulation quatre ans et demi après l'attribution
de la citoyenneté — Les procédures d'annulation sont de
nature civile et la prescription prévue par l'art. 31 de la Loi
sur la citoyenneté ne s'applique pas — Le retard constituait un
manquement à l'obligation d'être équitable — L'annulation de
la citoyenneté est une question grave qui exige qu'on s'en
occupe sans tarder — Les fonctionnaires avaient l'obligation
de vérifier les renseignements fournis dans la demande de
citoyenneté — Demande rejetée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Les art. 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, qui
régissent l'annulation de la citoyenneté, ne sont pas incompati
bles avec l'art. 7 de la Charte — L'objet et l'effet de la Loi
sont pertinents — L'objet n'est pas inconstitutionnel — Le but
poursuivi pour assurer le respect des règles en matière d'im-
migration appuie l'annulation de la citoyenneté obtenue au
moyen de fausses déclarations.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Il n'y a rien d'intrinsèquement cruel
et inusité dans l'annulation de la citoyenneté — L'art. 12 de la
Charte n'a pas été violé.
Fin de non-recevoir — Procédures engagées par le ministre
pour faire annuler la citoyenneté — L'intimé (demandeur) a
prétendu que la demande était prescrite parce qu'elle avait été
présentée trop tard et que les droits qui lui sont garantis par la
Charte avaient été violés — Ce retard constituait-il un
acquiescement à la fraude empêchant le Ministre d'engager
des procédures? — La fin de non-recevoir est un recours en
equity et celui qui s'adresse à un tribunal d'equity doit avoir
un comportement irréprochable — On ne peut établir si le
demandeur a fait de fausses déclarations sans le contre-inter-
roger au sujet du contenu de ses affidavits.
Le juge en chef adjoint a ordonné que soient entendues
ensemble la demande présentée par le Secrétaire d'État sous le
régime de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté pour faire
annuler la citoyenneté de l'intimé au motif qu'elle a été obtenue
par fraude ou au moyen de la dissimulation intentionnelle de
faits essentiels, et l'action tendant à l'obtention de jugements
déclaratoires portant que les articles 10 et 18 de la Loi sont
inopérants parce qu'ils contreviennent aux droits garantis par
les articles 7 et 12 de la Charte et que la demande du
Secrétaire d'État était prescrite parce qu'elle a été présentée
trop tard.
Sadiq est originaire du Pakistan. Il est entré au Canada en
1974 en qualité de visiteur, y est demeuré au-delà de la durée
prévue dans son visa et a fait l'objet d'une mesure d'expulsion
en 1978. Il a aussitôt épousé une canadienne, puis est rentré de
son plein gré dans son pays natal. En 1979, il a présenté une
demande de résidence permanente parrainée par sa femme. Il a
omis de divulguer qu'il avait été visé par une mesure d'expul-
sion lorsqu'il a quitté le Canada. Sadiq a obtenu le statut de
résident permanent en 1980. Dans la demande de citoyenneté
qu'il a présentée en mars 1983, il affirmait n'avoir jamais fait
l'objet d'une mesure d'expulsion du Canada. En août, une
nouvelle mesure d'expulsion a été prise contre lui au motif qu'il
aurait fait une fausse déclaration dans sa demande de résidence
permanente. Pourtant, en décembre de la même année, Sadiq a
obtenu la citoyenneté canadienne. En 1980, Sadiq a divorcé
d'avec la personne qui l'avait parrainé. À l'heure actuelle, il est
en instance de divorce, cette fois d'avec une femme qu'il avait
épousée au Pakistan, et il vit en concubinage avec une cana-
dienne qui est enceinte et donnera naissance à l'enfant de
Sadiq.
Sadiq prétend qu'au moment où il a demandé la résidence
permanente, puis la citoyenneté, il ignorait qu'il avait déjà fait
l'objet d'une mesure d'expulsion. Il soutient cependant que les
autorités qui lui ont accordé la résidence permanente, puis la
citoyenneté, auraient dû être au courant de ce fait. Selon lui,
l'article 31 de la Loi faisait obstacle aux procédures d'annula-
tion de la citoyenneté, les articles 10 et 18 de la Loi contrevien-
nent aux articles 7 et 12 de la Charte et le retard dans le
commencement des procédures d'annulation a violé les droits
qui lui sont garantis par ces deux articles de la Charte. La
demande de réparation aux termes du paragraphe 24(1) de la
Charte repose sur le préjudice que Sadiq aurait subi à cause de
ce retard.
Le ministre s'est appuyé sur les fausses déclarations de Sadiq
et a soutenu que celui-ci avait été admis au Canada en 1980
sans l'autorisation du ministre, qui est exigée par le paragraphe
55(1) de la Loi sur l'immigration, et que le retard était
attribuable à l'enquête qu'il a fallu faire. Le ministre a refusé
d'admettre que l'un des droits garantis à Sadiq par la Charte
avait été violé.
Jugement: la demande d'annulation de la citoyenneté doit
être rejetée.
La prescription prévue par l'article 31 ne s'applique pas aux
procédures d'annulation car cet article ne vise que les poursui-
tes criminelles. L'annulation de la citoyenneté est une procé-
dure de nature civile et aucun délai de prescription ne la régit.
Dans l'arrêt Canada c. Charran, on a statué que la «sécurité
de la personne» pouvait englober le droit à la protection contre
un préjudice grave, qu'il soit de nature physique ou autre. On a
toutefois conclu que le retard dans l'examen de l'annulation de
la citoyenneté n'avait pas causé un préjudice grave de nature
autre que physique, parce que plus longtemps l'annulation était
retardée, plus longtemps l'intimée pouvait demeurer au
Canada. Il n'y a pas eu de préjudice à la personne. Le même
raisonnement s'applique aux «traitements ou peines cruels et
inusités». Il n'y a rien d'intrinsèquement «cruel et inusité» dans
l'annulation de la citoyenneté.
L'objet et l'effet de la Loi sont tous deux importants pour
déterminer si une loi est compatible avec la Charte. Rien ne
prouve que la Loi sur la citoyenneté a un objet inconstitution-
nel. Quant aux effets de la Loi, le but poursuivi pour assurer le
respect des règles en matière d'immigration est une indication à
l'appui de la mesure qu'est l'annulation de la citoyenneté
obtenue au moyen de fausses déclarations.
La Charte a été violée parce qu'il y a eu un manquement à
l'obligation d'être équitable. Le retard long et indû des fonc-
tionnaires du gouvernement était inacceptable vu la décision
Askov de la Cour suprême du Canada. Les fonctionnaires de la
Citoyenneté n'ont jamais vérifié si Sadiq était visé par une
mesure d'expulsion. Ils auraient dû savoir que des mesures
d'expulsion avaient été prises contre lui et ils n'auraient pas dû
se fier à la déclaration qu'il a faite dans sa demande. L'annula-
tion de la citoyenneté est une question grave qui exigeait qu'on
s'en occupe plus rapidement qu'on ne l'a fait ici. La Cour a le
pouvoir discrétionnaire de refuser l'annulation aux termes de
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale si les procédures ont
été engagées avec un retard injustifié. Le même pouvoir discré-
tionnaire s'applique aux procédures prises en application de la
Loi sur la citoyenneté.
On pourrait considérer le retard dans le commencement des
procédures comme un acquiescement à la fraude que Sadiq
pourrait avoir commise, ce qui empêcherait le ministre d'enga-
ger des procédures. Toutefois, la fin de non-recevoir est un
recours en equity, et celui qui s'adresse à un tribunal d'equity
doit avoir un comportement irréprochable. Si Sadiq a fait de
fausses déclarations, il pourrait se voir privé du droit d'obtenir
un redressement en equity. Pour décider si Sadiq a obtenu la
citoyenneté au moyen de fausses déclarations, la Cour devait
examiner la preuve et établir la crédibilité de Sadiq. En raison
de la gravité des procédures, la norme de preuve était celle d'un
niveau élevé de probabilités. On ne pouvait établir la crédibilité
du requérant par la seule lecture de ses affidavits, sans le
soumettre à un contre-interrogatoire ou entendre son témoi-
gnage. Il ne pouvait être trouvé coupable de fausses
déclarations.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7, 12, 24(1).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]. art. 52
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), chap. C-29, art.
10, 18, 31.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 18.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 55.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Régie
900.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens, [1989] 2 C.F.
125; (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 231 (1'e inst.); Canada
(Secrétaire d'État) c. Delezos, [1989] 1 C.F. 297; (1988),
22 F.T.R. 135; 6 Imm. L.R. (2d) 12 (1" inst.); Canada
(Secrétaire d'État) c. Charran (1988), 6 Imm. L.R. (2d)
138; 21 F.T.R. 117 (C.F. 1'e inst.); Reyes c. Procureur
général du Canada, [1983] 2 C.F. 125; (1983), 149
D.L.R. (3d) 748; 3 Admin. L.R. 141; 13 C.R.R. 235 (1"
Inst.); Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152; (1982), 137
D.L.R. (3d) 687; 68 C.C.C. (2d) 438; 1 C.R.R. 346 (1t"
Inst.); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] I
R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321;
[1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta L.R. (2d) 97; 18 C.C.C.
(3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81.
DÉCISIONS CITÉES:
Penner c. La Commission de délimitation des circons-
criptions électorales (Ont.), [1976] 2 C.F. 614 (1te inst.);
R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199.
AVOCATS:
Mark A. Gottlieb pour l'intimé/demandeur.
D. Bruce Logan pour la requérante/défende-
resse.
PROCUREURS:
Mark A. Gottlieb, Calgary, pour l'intimé/
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante/défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CULLEN: Cette demande présentée par
Subah Sadiq (Sadiq) tend à l'obtention d'un juge-
ment déclaratoire contre la Couronne en vertu de
la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985) chap.
C-29 (la Loi), ainsi que d'une ordonnance portant
annulation d'un renvoi adressé à la Cour par le
Secrétaire d'État. Dans le dossier n° T-1559-88, le
Secrétaire d'État (le ministre) a demandé au gou-
verneur en conseil conformément à l'article 10 de
la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), chap.
C-29, d'annuler la citoyenneté de l'intimé Sadiq au
motif que cette citoyenneté avait été obtenue «par
fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de
la dissimulation intentionnelle de faits essentiels».
Cette demande a été renvoyée à la Cour fédérale
par le ministre en application de l'article 18 de la
Loi. Le 19 décembre 1989, Sadiq a présenté une
demande dans le dossier n° T-1559-88 en vue
d'obtenir un jugement déclaratoire portant que les
articles 10 et 18 de la Loi sont inopérants parce
qu'ils contreviennent aux droits qui lui sont garan-
tis par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), Appendice II, n° 44]] (la Charte).
Cette demande a été ajournée sine die par le juge
McNair. Le 17 mai 1990, Sadiq a, déposé une
déclaration (T-1360-90) en vue d'obtenir:
(1) un jugement déclaratoire aux termes du para-
graphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
[Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. 1985, Appendice II, n°
44] ] portant que les articles 10 et 18 de la Loi sur
la citoyenneté sont inopérants parce qu'ils contre-
viennent aux droits qui sont garantis au deman-
deur par les articles 7 et 12 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés; '
(2) un jugement déclaratoire portant que la
demande tendant à l'annulation de la citoyenneté
adressée au gouverneur en conseil et le renvoi dont
la Cour a été saisie ont été présentés trop tard et
sont par conséquent prescrits à cause de ce retard;
(3) un jugement tendant à l'annulation du renvoi
ou à la suspension des procédures engagées à cet
égard.
L'avocat de Sadiq a demandé que la demande
fondée sur la Charte versée au dossier n°
T-1559-88 et le redressement demandé dans la
déclaration versée au dossier n° T-1360-90 soient
entendus ensemble. Le juge en chef adjoint a fait
droit à cette demande.
FAITS
Le 11 avril 1974, Sadiq est entré au Canada en
qualité de visiteur en provenance de son pays
natal, le Pakistan. Il est demeuré au Canada au-
delà de la durée prévue dans son visa de visiteur et
a fait l'objet d'une mesure d'expulsion le 9 mai
1978. Six jours plus tard, soit le 15 mai 1978,
Sadiq a épousé une citoyenne canadienne nommée
Lucia Dizep. Il a quitté le Canada de son plein gré
et à ses frais le 20 mai 1978.
Le 25 juillet 1979, Sadiq a présenté, du Pakis-
tan, une demande de résidence permanente au
Canada qui était parrainée par sa femme. Dans
cette demande, il ne mentionnait pas qu'il avait été
visé par une mesure d'expulsion lorsqu'il a quitté le
Canada. Le 24 janvier 1980, la demande de rési-
dence permanente a été approuvée et Sadiq a été
admis au Canada à titre de résident permanent le
15 février 1980.
Le 8 mars 1983, Sadiq a demandé la citoyenneté
canadienne. Dans cette demande, il affirmait
n'avoir jamais fait l'objet d'une mesure d'expulsion
du Canada. Le 23 août 1983, une nouvelle mesure
d'expulsion a été prise contre lui au motif qu'il
aurait fait une fausse déclaration au sujet de son
statut à son départ du Canada le 20 mai 1978, afin
d'obtenir le statut de résident permanent au
Canada. Sadiq a fait appel de la mesure d'expul-
sion devant la Commission d'appel de l'immigra-
tion, mais l'appel a été suspendu en attendant que
soit tranchée la demande présentée par le Secré-
taire d'État pour faire annuler la citoyenneté de
Sadiq, dont la demande avait été approuvée par un
juge de la citoyenneté le 30 août 1983. Sadiq a
obtenu la citoyenneté lorsqu'il a prêté le serment
de citoyenneté canadienne le 15 décembre 1983.
Depuis 1980, Sadiq travaille chez Domtar Pac
kaging. En décembre 1980, il a divorcé d'avec
Lucia Dizep. En janvier 1984, il a épousé Farida
Haji Yousef au Pakistan, dont il a parrainé la
demande de résidence permanente au Canada.
Cette demande a été approuvée en 1985. Un
enfant appelé Omar est né de ce mariage le 22
janvier 1986. Les époux sont maintenant divorcés.
Sadiq vit actuellement en concubinage avec une
citoyenne canadienne qui est enceinte et donnera
naissance à l'enfant de Sadiq.
POSITION DE SADIQ
Sadiq prétend qu'au moment où il a demandé la
résidence permanente, il ignorait qu'il avait fait
l'objet d'une mesure d'expulsion du Canada. Il
prétend aussi qu'il ne savait pas qu'il avait été visé
par une mesure d'expulsion lorsqu'il a présenté sa
demande de citoyenneté. Pour appuyer ses dires, il
déclare qu'il a demandé conseil à un avocat, M. G.
Jamieson, et invoque le fait qu'il a pu épouser une
citoyenne canadienne le 15 mai 1978 et qu'il a
quitté le Canada de son plein gré le 20 mai 1978.
En substance, il déclare que le ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration et le Secrétaire d'État
auraient dû savoir, au moment où lui ont été
accordés le statut de résident permanent, le 24
janvier 1980, et la citoyenneté canadienne, le 30
août 1983, que des mesures d'expulsion avaient été
prises contre lui le 9 mai 1978 et le 23 août 1983.
Sadiq affirme par ailleurs que l'article 31 de la
Loi fait obstacle à toute autre procédure d'annula-
tion de sa citoyenneté. En voici le libellé:
31. Les poursuites visant une infraction à la présente loi ou
aux règlements punissable par procédure sommaire se prescri-
vent par trois ans à compter de sa perpétration.
Sadiq demande que soit rendue une ordonnance
aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi consti-
tutionnelle de 1982 portant que les articles 10 et
18 de la Loi sur la citoyenneté sont inopérants
parce qu'ils contreviennent aux articles 7 et 12 de
la Charte et, partant, une ordonnance suspendant
les procédures d'annulation engagées en applica
tion de la Loi sur la citoyenneté. Il demande aussi
que soit rendue une ordonnance aux termes du
paragraphe 24(1) de la Charte suspendant ces
procédures au motif que les droits qui lui sont
garantis par les articles 7 et 12 de la Charte ont
été violés. La violation reprochée réside principale-
ment dans le préjudice que subirait Sadiq à cause
du retard dans la présentation de la demande
d'annulation de sa citoyenneté.
POSITION DU MINISTRE
Dans le renvoi qu'il a adressé à la Cour pour
obtenir l'annulation de la citoyenneté de Sadiq, le
ministre déclare que Sadiq a obtenu la citoyenneté
en faisant de fausses déclarations dans sa demande
de citoyenneté canadienne, ou en dissimulant
intentionnellement des faits essentiels, vu qu'il a
faussement déclaré tant dans sa demande de rési-
dence permanente que dans sa demande de
citoyenneté qu'il n'avait jamais été expulsé du
Canada. Le ministre affirme en outre que lorsque
Sadiq a été admis au Canada le 15 février 1980, il
n'avait pas l'autorisation du ministre de l'Emploi
et de l'Immigration qui est exigée dans ces circons-
tances par le paragraphe 55(1) de la Loi sur
l'immigration, L.R.C. (1985) chap. I-2. Ce para-
graphe prévoit que:
55. (1) Sous réserve de l'article 56, quiconque fait l'objet
d'une mesure d'expulsion ne peut plus revenir au Canada sans
l'autorisation écrite du ministre, sauf si la mesure est annulée
en appel.
Le ministre soutient que si retard il y a eu, il est
attribuable aux démarches qu'il a fallu faire pour
enquêter sur les circonstances de l'affaire et exa
miner les conséquences qu'entraînerait pour Sadiq
la perte de sa citoyenneté. Quant aux arguments
fondés sur la Charte, le ministre refuse d'admettre
que des droits garantis par la Charte ont été violés.
QUESTIONS EN LITIGE
1. L'article 31 de la Loi sur la citoyenneté fait-il
obstacle aux procédures d'annulation?
2. Le préjudice, s'il en est, causé par le commence
ment en retard des procédures d'annulation viole-
t-il les droits garantis à Sadiq par les article 7 et
12 de la Charte?
3. Les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté
sont-ils incompatibles avec les articles 7 et 12 de la
Charte et, par conséquent, inopérants dans la
mesure de cette incompatibilité, aux termes du
paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de
1982?
ANALYSE
Les procédures d'annulation sont régies par les
articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, qui
sont ainsi conçus:
10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en
conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre,
que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la
citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue
sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une
fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits
essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à
compter de la date qui y est fixée:
a) soit perd sa citoyenneté;
b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.
(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse
déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la
personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au
Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces
trois moyens.
18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du
rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé
l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou
l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée:
a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date
d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant
la Cour;
b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu
fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de
faits essentiels.
(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté
qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédi-
tion, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la
Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier
recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.
(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est
définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non
susceptible d'appel. [C'est moi qui souligne.]
Il convient aussi de faire mention des Règles 900
et suivantes des Règles de la Cour fédérale
[C.R.C., chap. 663].
Il s'agissait donc pour la Cour saisie du renvoi
d'établir si la citoyenneté a été obtenue au moyen
de fausses déclarations ou frauduleusement. A
cette fin, la Cour devait analyser la preuve pro-
duite et évaluer la crédibilité de Sadiq. Vu la
gravité des procédures d'annulation, la norme de
preuve devant être appliquée à cette prétendue
fraude de nature civile sera celle d'un niveau élevé
de probabilités. Comme l'a conclu le juge Collier
dans l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c. Luit-
jens, [1989] 2 C.F. 125 (ife inst.), à la page 134:
La norme de la preuve requise en matière civile est la
prépondérance de la preuve ou la prépondérance des probabili-
tés. Mais il peut y avoir, dans cette norme, certains degrés
quant à la qualité de la preuve requise.
La position que j'adopterai ici est celle que lord Scarman a
exposée dans l'arrêt Khawaja v. Secretary of State for the
Home Dept, [1983] 1 All ER 765 (H.L.), à la page 780. Il me
semble qu'il doit y avoir un niveau élevé de probabilités dans
une affaire telle que la présente. C'est une question très impor-
tante qui est en jeu ici; le droit de garder la citoyenneté
canadienne, ainsi que les conséquences graves qui peuvent
découler de la perte de cette citoyenneté.
Application du délai prévu à l'article 31:
Le délai de trois ans dont il est question à
l'article 31 de la Loi au sujet des poursuites visant
des infractions à la Loi ne s'applique pas aux
procédures d'annulation. Ces dispositions régissent
uniquement les poursuites intentées devant des
tribunaux de juridiction criminelle. L'annulation
de la citoyenneté n'est pas une procédure de nature
criminelle. Dans l'arrêt Canada (Secrétaire
d'État) c. Delezos, [1989] 1 C.F. 297 (i re inst.), le
juge Muldoon a conclu (à la page 303) qu'une
procédure engagée sous le régime des dispositions
relatives à l'annulation de la citoyenneté est une
procédure «de caractère purement civil et non ...
une poursuite en droit pénal>. Comme cette procé-
dure ne comporte aucune conséquence pénale, le
terme «infraction» mentionné à l'article 31 ne sau-
rait s'appliquer aux procédures d'annulation.
Quoi qu'il en soit, il convient de noter que
l'article 10 de la Loi précise que la citoyenneté
d'une personne est annulée dès que le gouverneur
en conseil est convaincu qu'elle a été obtenue par
fraude ou au moyen d'une fausse déclaration, sous
réserve du seul article 18 de la Loi. À mon sens, les
dispositions qui s'appliquent au gouverneur en con-
seil s'appliquent, compte tenu des adaptations de
circonstance, à la Cour fédérale lorsque la per-
sonne concernée demande le renvoi de l'affaire à la
Cour. Il serait certainement anormal qu'une per-
sonne puisse contourner les dispositions relatives à
l'annulation de la citoyenneté en s'adressant à la
Cour fédérale trois ans après la date de la fausse
déclaration, si l'article 31 devait s'appliquer, mais
pas le Cabinet. Le délai prévu à l'article 31 n'a pas
été conçu pour s'appliquer aux procédures d'annu-
lation devant le gouverneur en conseil ou la Cour
fédérale, et celles-ci ne sont jamais prescrites.
On pourrait considérer le retard dans le com
mencement des procédures comme un acquiesce-
ment à la fraude que Sadiq pourrait avoir com-
mise, ce qui empêcherait alors le ministre
d'engager des procédures. Or pour qu'on puisse
opposer une telle fin de non-recevoir, il faut que
l'une des parties ait fait une déclaration à l'autre.
Le ministre fait état dans l'une des requêtes d'une
note de service du ministère de l'Immigration qui
pourrait servir de fondement à cette fin de non-
recevoir. Toutefois, la fin de non-recevoir est un
recours en equity, et celui qui s'adresse à un
tribunal d'equity doit avoir un comportement irré-
prochable. Si Sadiq a fait de fausses déclarations,
il pourrait se voir privé du droit d'obtenir un
redressement en equity. La Cour fédérale a le
pouvoir discrétionnaire de refuser le redressement
demandé en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] si les
procédures ont été engagées avec un retard injusti-
fié: Penner c. La Commission de délimitation des
circonscriptions électorales (Ont.), [ 1976] 2 C.F.
614 (Ire inst.). On peut toutefois se demander si la
Cour jouit du même pouvoir discrétionnaire à
l'égard des procédures prises en application de la
Loi sur la citoyenneté. J'estime que oui, car les
considérations générales seraient les mêmes. De
toute façon, cela ne ferait que donner à la Cour le
pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande du
ministre.
Violation des articles 7 et 12 de la Charte:
Sadiq prétend que le retard dans le commence
ment des procédures et le préjudice qu'il subirait
contreviennent aux droits qui lui sont garantis par
les articles 7 et 12 de la Charte. Ces deux articles
sont ainsi libellés:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou
peines cruels et inusités.
Dans l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c.
Charran (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 138 (C.F. 1`e
inst.), le juge Dubé devait examiner si le retard
dans l'examen de l'annulation de la citoyenneté
violait le droit d'une personne de ne pas être privée
de la sécurité de sa personne, sauf en conformité
avec les principes de justice fondamentale. Le juge
Dubé a reconnu [à la page 144] que l'expression
«sécurité de sa personne» pouvait englober une
foule d'intérêts, y compris le droit à la protection
«contre un préjudice grave, qu'il soit de nature
physique ou autre». Dans cette affaire, le passeport
et le certificat de naissance de l'intimée avaient été
saisis et cette dernière affirmait qu'elle vivait dans
la crainte d'une contestation de son statut au
Canada parce qu'elle n'était pas en possession de
ces documents pendant l'instance. Le juge Dubé a
toutefois conclu que ce retard n'avait pas entraîné
la violation de l'article 7 vu l'absence de préjudice
à la personne. Il a déclaré, aux pages 144 et 145:
Même si j'utilisais «l'interprétation large», je ne pourrais con-
clure en l'espèce que le retard dans l'examen de la révocation de
la citoyenneté de l'intimée lui a causé un préjudice grave de
nature autre que physique. Il est évident que plus longtemps la
révocation était retardée, plus longtemps elle pouvait demeurer
au Canada; elle aurait sans doute été plus heureuse si le retard
s'était prolongé sa vie durant. Elle a certes souffert beaucoup
d'avoir été privée de ses documents d'identité, mais elle était
coupable de fausses déclarations, de s'être fait passer pour une
autre et elle n'a qu'à s'en prendre à elle-même si son passeport
canadien lui a été retiré. Quant à son certificat de naissance, je
pense qu'elle pourrait rapidement s'en procurer une copie certi-
fiée de son pays d'origine puisqu'il ne s'agit évidemment pas
d'un document canadien. Parce qu'elle est entrée au pays sous
de faux prétextes et qu'elle s'est fait prendre par les autorités,
elle ne peut en aucun cas leur reprocher son angoisse actuelle.
On pourrait tenir le même raisonnement à
propos de l'argument fondé sur les «traitements ou
peines cruels et inusités». En droit, il n'y a rien
d'intrinsèquement «cruel et inusité» dans l'annula-
tion de la citoyenneté. Dans l'arrêt Reyes c. Pro-
cureur général du Canada, [1983] 2 C.F. 125 (lie
inst.), le juge Cattanach a conclu qu'il n'y avait
rien de cruel et d'inusité dans un décret refusant
l'attribution de la citoyenneté qu'avait pris le
Cabinet en application de l'article 18 de la Loi,
dans sa version antérieure, parce qu'il estimait que
l'octroi de la citoyenneté porterait atteinte à la
sécurité du Canada. Il faut reconnaître que le
requérant dans l'affaire Reyes aurait pu continuer
de séjourner au Canada même s'il n'avait pas la
citoyenneté canadienne. Toutefois, le juge Maho-
ney a affirmé dans l'arrêt Gittens (In Re), [1983] 1
C.F. 152 (lie inst.), que l'exécution des ordonnan-
ces d'expulsion en général ne constitue pas un
traitement cruel et inusité. Il a ajouté à la page
161:
Peu importe les conséquences de l'expulsion, celles-ci ne sau-
raient constituer un traitement cruel et inusité à l'égard d'une
personne d'âge adulte.
En qualité de norme, l'exécution d'une ordonnance d'expul-
sion ne peut, dans l'abstrait, constituer un traitement cruel et
inusité.
Par conséquent, si l'expulsion ne constitue pas
un traitement cruel et inusité, cela veut dire que
l'annulation de la citoyenneté qui pourrait se
solder par une expulsion ne constitue pas non plus
un traitement cruel et inusité.
Quant au jugement déclaratoire demandé au
sujet de la nullité des articles 10 et 18 de la Loi sur
la citoyenneté, il ressort clairement de l'arrêt R. c.
Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S.
295, que l'objet et l'effet de la loi sont tous les
deux importants pour déterminer si une loi est
compatible avec la Charte. En l'espèce, rien ne
prouve que la Loi a un objet inconstitutionnel.
L'analyse qui précède s'applique également aux
effets de la Loi. Le but poursuivi par le pays pour
assurer le respect des règles en matière d'immigra-
tion est une indication à l'appui de la mesure
qu'est l'annulation de la citoyenneté obtenue au
moyen de fausses déclarations.
CONCLUSION
Le renvoi adressé par le Secrétaire d'État à la
Cour est opportun. La demande d'annulation de la
citoyenneté n'est pas prescrite. Il est cependant
évident que la Charte a été violée. Les fonctionnai-
res de la Citoyenneté ont l'obligation d'être équita-
bles et, à mon sens, ils ont manqué à cette obliga
tion, compte tenu du retard.
Sadiq a obtenu le statut de résident permanent
le 24 janvier 1980. Le 8 mars 1983, il a demandé
la citoyenneté canadienne. Même si Sadiq a fait
l'objet d'une nouvelle mesure d'expulsion le 23
août 1983, sa demande de citoyenneté a été
approuvée le 30 août .1983 et il a prêté le serment
de citoyenneté canadienne le 15 décembre 1983.
Les fonctionnaires de la Citoyenneté n'ont jamais
vérifié si Sadiq était visé par une mesure d'expul-
sion. Les fonctionnaires de l'Immigration étaient
au courant de ce fait le 28 mai 1979; ils l'étaient
certainement au mois d'avril ou de mai 1981. Ils
n'ont pas transmis ce renseignement aux fonction-
naires de la Citoyenneté, ce qui n'est guère éton-
nant; en revanche, ce qui est incroyable, c'est que
les fonctionnaires de la Citoyenneté n'ont jamais
posé la moindre question. À ce propos, ils se sont
contentés de dire qu'ils s'étaient fiés à la réponse
du requérant. On peut se demander s'ils font des
vérifications auprès de la GRC lorsqu'une per-
sonne affirme n'avoir aucun casier judiciaire. La
suite des événements après que Sadiq a obtenu la
citoyenneté canadienne aide aussi un peu à com-
prendre l'attitude quasiment apathique des fonc-
tionnaires de la Citoyenneté. Après avoir fait lec
ture de l'affidavit de Mme Lane, l'avocat de Sadiq
a déclaré, et je souscrit à cette affirmation:
[TRADUCTION] Nous nous expliquons la situation ainsi: les
retards sont monnaie courante mais ils ne sont pas justifiés, peu
importe comment on interprète la façon dont un organisme
fédéral comme la Citoyenneté devrait fonctionner. Ce sont des
retards que la Cour suprême du Canada n'approuverait pas,
votre seigneurie, eu égard à la décision Askov.
Les faits, ou du moins les dates, ne sont pas
contestés: la demande de citoyenneté canadienne
de Sadiq a été approuvée le 30 août 1983 et Sadiq
a prêté le serment de citoyenneté canadienne le 15
décembre 1983. Selon Mme Lane, greffière à l'en-
registrement de la citoyenneté, l'avis d'annulation
a été signé le 21 juillet 1987 (bien que le document
remis à la Cour soit daté du 7 juin 1988). Quoi
qu'il en soit, au moins quatre années et demie,
sinon cinq se sont écoulées avant que Sadiq reçoive
un avis d'annulation.
L'affidavit de Mme Lane nous révèle que les
bureaux d'Immigration Canada à Calgary ont
averti les fonctionnaires de la Citoyenneté le 21
mars 1984 que des mesures d'expulsion avaient été
prises contre Sadiq à deux reprises, la première
fois en 1978 et la seconde en 1983. (La pièce A
jointe à l'affidavit de Sadiq est une note aller-
retour confirmant qu'il avait été expulsé, qu'on lui
avait permis de quitter le Canada de son plein gré
et que rien ne s'opposait à son retour).
À la page 19 de la transcription, l'avocat de
Sadiq dit ceci:
[TRADUCTION] À mon humble avis, il est incroyable de consta-
ter qu'un tel manque de communication a pu exister, au cours
des années 80, entre deux ministères fédéraux qui ont des
relations si étroites, et qu'il a fallu trois ans pour que les
fonctionnaires de la Citoyenneté apprennent que M. Sadiq
avait été visé par une mesure d'expulsion. Et certainement,
Monsieur, compte tenu du fait qu'il a présenté sa demande le 6
mars 1983, il est tout aussi scandaleux de voir qu'il a fallu un
an avant que quelqu'un à l'Immigration téléphone aux fonction-
naires de la Citoyenneté pour leur dire que des mesures d'ex-
pulsion avaient été prises contre M. Sadiq à deux reprises. Et
quand on voit la suite des événements relatés dans cet affidavit,
on remarque chez les fonctionnaires de la Citoyenneté une
apathie et un manque d'empressement tout aussi étonnants
pour demander l'annulation de la citoyenneté.
Quels sont les faits selon Mme Lane?
1. 21 mars 1984 — Les fonctionnaires de la
Citoyenneté sont avertis des mesures d'expulsion.
2. 17 juillet 1984 (quatre mois plus tard) — L'af-
faire est soumise à un agent de programme qui est
chargé de l'examiner et d'y donner suite.
3. 16 novembre 1984 (après quatre autres mois)
— On demande aux Services juridiques du Minis-
tère de fournir un avis juridique.
4. Trois mois plus tard, un avis juridique est
obtenu et on apprend que l'affaire est soumise au
ministère de l'Emploi et de l'Immigration (EIC).
5. Cinq mois plus tard, Mme Lane est mise au
courant de la position de EIC ainsi que de l'exis-
tence d'autres cas au sujet desquels l'annulation de
la citoyenneté est envisagée.
(Par conséquent, EIC a fait connaître aux fonc-
tionnaires de la Citoyenneté sa position au sujet de
Sadiq sept ans après que la première mesure d'ex-
pulsion a été prise contre celui-ci et un an et demi
après qu'il a demandé la citoyenneté.)
6. 17 novembre 1985 (cinq mois plus tard) — En
réponse à une demande d'un agent de programme,
les bureaux d'Immigration Canada à Calgary
fournissent la dernière adresse connue de Sadiq.
7. 10 mars 1986 — On se prépare à soumettre le
cas de Sadiq et de six autres personnes à l'atten-
tion du Ministre.
8. 24 octobre 1986 (six mois plus tard) — Un
document est rédigé à l'intention du ministre au
sujet de sept personnes qui auraient, à ce que l'on
prétend, obtenu la citoyenneté de la même façon
que Sadiq. Ce document contient des avis
juridiques.
9. 21 juillet 1987 (neuf mois plus tard) — Un avis
d'annulation est signé, puis envoyé à Sadiq. Il est
retourné avec la mention «Non distribuable».
(Combien de temps a-t-il fallu pour que Postes
Canada retourne l'envoi — des semaines, deux
semaines?)
10. 3 septembre 1987 — On demande à la GRC
de localiser Sadiq.
11. 5 janvier 1988 — La GRC fournit l'adresse de
Sadiq.
12. 7 janvier 1988 — un deuxième avis d'annula-
tion est signé et expédié à Sadiq.
Selon Mme Lane, il n'y avait pas moyen de
savoir le 15 décembre 1983 ou avant cette date que
Sadiq avait fait l'objet de deux mesures d'expul-
sion. Je me permets de faire remarquer qu'elle
aurait pu donner un coup de fil, ou envoyer une
lettre ou une note aller-retour à EIC, au lieu
d'ajouter foi à ce qu'affirmait Sadiq dans sa
demande. Si les fonctionnaires de la Citoyenneté
ignoraient, peu de temps après que Sadiq a pré-
senté sa demande le 15 mars 1983, qu'une mesure
d'expulsion avait été prise contre lui, ils auraient
dû le savoir. Je pris connaissance des autres
«motifs» du retard, et ils ne m'apparaissent tout
simplement pas plausibles.
Ce qui s'est vraiment passé en l'espèce, c'est que
les fonctionnaires ont beaucoup trop tardé à agir
et, pendant ce temps, Sadiq en a profité pour
s'établir au Canada. L'affaire n'a pas été traitée
avec toute la diligence voulue. L'annulation de la
citoyenneté canadienne est une question grave et
exigeait qu'on s'en occupe plus rapidement qu'on
ne l'a fait ici.
D'autre part, je ne pense pas qu'on puisse arri-
ver à établir la crédibilité de Sadiq par la seule
lecture de ses affidavits, sans le soumettre à un
contre-interrogatoire ou entendre son témoignage.
Toutefois, il ne fait aucun doute que si Sadiq avait
demandé, après un an, l'approbation ministérielle
exigée par la Loi sur l'immigration, il l'aurait très
certainement obtenue. Le, document déposé par
l'avocat de Sadiq montre nettement que le Minis-
tère ne s'opposait pas à son retour au Canada et
que les fonctionnaires de l'Immigration ne considé-
raient pas qu'il s'était marié pour la forme, mais
jugeaient son mariage valide. Dans son affidavit,
Sadiq affirme qu'il a demandé un avis juridique,
donne le nom de l'avocat à qui il s'est adressé, et
déclare qu'il a quitté le Canada de son plein gré et
à ses frais, et que les fonctionnaires lui ont permis
de se marier avant de partir. Sadiq n'a pas été
contre-interrogé au sujet du contenu de son affida
vit; c'est un choix qu'il pouvait exercer relative-
ment à l'annulation de la citoyenneté, mais il ne l'a
pas fait. Tout compte fait, j'estime qu'en raison
d'un long et malencontreux retard, Sadiq n'a pas
été traité comme il aurait dû l'être, c'est-à-dire de
manière équitable. Dans l'arrêt Canada (Secré-
taire d'État) c. Charran (précité), le juge Dubé a
conclu que l'intimée avait fait de fausses représen-
tations. Je ne puis arriver à la même conclusion
dans la présente espèce, vu les directives du juge
Collier dans l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c.
Luitjens (précité).
Par conséquent, comme les fonctionnaires de la
Citoyenneté ont manqué à leur obligation envers
Sadiq, je suis d'avis de rejeter la demande d'annu-
lation, sans adjudication des dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.