T-1430-90
John D. Merko (requérant)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: MERKO c. M.R.N. (I'» INST.)
Section de première instance, juge Cullen—Cal-
gary, 9 octobre; Ottawa, 17 octobre 1990.
Impôt sur le revenu — Application — Demande de déduc-
tion d'importantes pertes d'entreprise dans une société en
commandite — Requête en révision de la mise en demeure,
faite conformément à l'art. 231.6 de la Loi de l'impôt sur le
revenu, de fournir des «renseignements ou documents étran-
gers» portant sur les activités de la société en commandite
il ne s'agit ni d'un abus de la procédure prévue par la Loi, ni
d'une mise en demeure déraisonnable compte tenu de la nature
très étendue de la société en commandite et de l'importance de
la perte réclamée.
Il s'agit d'une requête en révision de la mise en demeure,
faite au requérant par le ministre du Revenu national, confor-
mément à l'article 231.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu, de
fournir des «renseignements ou documents étrangers» portant
sur les activités d'une société en commandite à l'égard de
laquelle il a demandé la déduction de pertes d'entreprise de
110 000 $. Revenu Canada a refusé de traiter la déclaration du
requérant pour 1986 tant que le résultat d'une vérification
visant la société en commandite ne serait pas disponible, et
offert à la place de traiter la déclaration sans la déduction des
pertes d'entreprise. Le requérant a répondu que l'omission soit
de rejeter les déductions avec motifs à l'appui pouvant donner
lieu à un appel, soit de traiter sa déclaration telle qu'elle avait
été produite constituait un abus de procédure. Revenu Canada
a alors traité la déclaration sans accorder la déduction pour les
pertes d'entreprise et le requérant a produit un avis d'opposi-
tion. La Section de l'évitement fiscal de Revenu Canada a alors
expédié au requérant une lettre lui demandant de fournir, dans
les 90 jours, des renseignements et documents portant sur les
activités de la société en commandite. En mai 1990, le requé-
rant a obtenu communication des motifs du rejet. Le requérant
prétend que la mise en demeure était déraisonnable puisque les
documents demandés n'étaient pas «nécessaires pour établir
convenablement une cotisation» et qu'ils «n'aideraient pas le
ministre à établir convenablement une cotisation» selon les
expressions figurant dans les notes techniques fournies par le
ministère des Finances lors de l'adoption de l'article 231.6
autorisant de telles mises en demeure. L'intimé a prétendu que
la demande était raisonnable et qu'il incombait au requérant de
prouver quelle était déraisonnable. Les points en litige étaient
les suivants: la mise en demeure de fournir des renseignements
étrangers était-elle un abus de la procédure prévue par la Loi?
La demande était-elle exprimée en des termes trop larges?
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Comme l'article 231.6 n'a pas encore fait l'objet d'un examen
judiciaire, la jurisprudence n'est d'aucun secours. Le paragra-
phe 231.6(6) établit que le fait que des renseignements étran-
gers soient sous la garde d'une personne non résidante qui n'est
pas contrôlée par la personne à qui l'avis de mise en demeure
est signifié ou envoyé ne rend pas déraisonnable la mise en
demeure de fournir ces renseignements si ces deux personnes
sont liées, c'est-à-dire s'il s'agit d'une société mère non rési-
dante et de sa filiale canadienne. Par conséquent, l'un des
points litigieux en l'espèce porte sur la question de savoir si la
mise en demeure de produire des renseignements était «indiquée
dans les circonstances» ou «raisonnable». Il s'agit d'une question
de fait. La formulation de l'article 231.6 indique que le législa-
teur a eu l'intention de donner à Revenu Canada des pouvoirs
importants, étendus et d'une grande portée pour obtenir «des
renseignements ou des documents étrangers». La Loi ne prévoit
aucune période pour la demande de renseignements et manifes-
tement le ministre n'est pas obligé de faire la mise en demeure
au cours de l'établissement de la cotisation ou de la nouvelle
cotisation du contribuable, malgré l'emploi du mot «cotisation»
dans les notes techniques. Même si le contribuable a déjà
engagé des procédures judiciaires, Revenu Canada peut tou-
jours exiger que le contribuable ou un tiers fournisse des
renseignements ou des documents étrangers, s'il peut soutenir
que ceux-ci sont nécessaires à l'application ou à l'exécution de
la Loi. Le contribuable est protégé du recours abusif à cette
disposition législative par la possibilité de contester la mise en
demeure par requête à un juge, qui pourra la confirmer, la
modifier ou la déclarer sans effet.
La mise en demeure n'était pas déraisonnable et elle ne
constituait pas un abus de procédure; elle devrait être confir-
mée. La demande de renseignements étrangers était à première
vue raisonnable compte tenu de la nature très étendue des
activités de la société en commandite et de l'importance de la
perte réclamée par le requérant.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 231.6 (édicté par L.C. 1988, chap. 55, art. 175),
251 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 140,
art. 129; 1988, chap. 55, art. 190).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Canterra Energy Ltd c La Reine, [1985] 1 CTC 329;
(1985), 85 DTC 5245 (C.F. lt» inst.); Edmonton Liquid
Gas Ltd c La Reine, [1984] CTC 536; (1984), 84 DTC
6526; 56 N.R. 321 (C.A.F.); R. c. McKinlay Transport
Ltd., [1990] 1 R.C.S 627; (1990), 106 N.R. 385.
AVOCATS:
H. George McKenzie et Leslie E. Skingle
pour le requérant.
J. N. Shaw pour l'intimé.
PROCUREURS:
Bell, Felesky, Flynn, Calgary, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Il s'agit d'une requête en
révision de la mise en demeure, faite au requérant,
John D. Merko, par le ministre du Revenu natio
nal, de fournir des «renseignements ou documents
étrangers» qui peuvent être pris en compte pour
l'application ou l'exécution de la Loi de l'impôt
sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63], confor-
mément au paragraphe 231.6(2) [ajouté par L.C.
1988, chap. 55, art. 175] de la Loi.
Le requérant a produit une déclaration de
revenu pour l'année d'imposition 1986, dans
laquelle il demandait un remboursement de
19 930,80 $ fondé sur un revenu négatif de
32 627 $. Dans le calcul du revenu net négatif
étaient comprises deux pertes d'entreprise totali-
sant la somme de 130 000 $, soit la quote-part du
requérant, à titre d'associé commanditaire, des
pertes subies par les sociétés en commandite sui-
vantes: CRL Management and Overhead Limited
Partnership (CRL)-20 000 $, et First Taxinves-
tors Limited Partnership-110 000 $.
Il est nécessaire de décrire les communications
écrites entre les parties.
Dans une lettre datée du 22 juillet 1987,
Revenu Canada a informé le requérant que les
pertes ne pouvaient être incluses dans la déclara-
tion de revenu du requérant, en attendant le résul-
tat de vérifications qui devaient avoir lieu auprès
des sociétés en commandite. La lettre était très
précise; en voici un extrait:
[TRADUCTION] Nous désirons vous informer que les pertes
d'entreprise de 20 000 $ découlant de votre participation dans
la société en commandite CRL Management and Overhead
Limited Partnership et de 110 000 $ de votre participation dans
la société en commandite First Taxinvestors Limited Partners
hip feront l'objet d'une vérification avant que ne soit traitée
votre déclaration de revenu. Cette vérification sera effectuée
par notre bureau du district de Calgary. Par conséquent, votre
déclaration de revenu sera en suspens jusqu'à la fin de la
vérification.
Toutefois, si vous voulez que nous traitions votre déclaration
sans la déduction des pertes d'entreprise réclamée à l'égard des
sociétés en commandite CRL Management and Overhead
Limited Partnership et First Taxinvestors Limited Partnership,
vous n'avez qu'à nous faire parvenir votre demande par écrit à:
[l'adresse suit]. [Souligné par mes soins.]
Le requérant n'a pas trouvé la situation drôle et
il a répondu le 28 mars 1988 par la lettre suivante:
[TRADUCTION] La présente lettre a pour objet de dénoncer
formellement votre refus de traiter ma déclaration de revenu de
1986 de façon efficiente et raisonnable. La seule correspon-
dance que j'ai reçue est une lettre, dont vous trouverez copie
ci-jointe, dans laquelle vous m'informez que vous «vérifiez ma
participation dans la société en commandite», ce que, selon moi,
vous étiez censés avoir fait l'été dernier.
Je vous demande donc de traiter immédiatement ma déclara-
tion. Refusez les déductions à l'égard de mes investissements
dans les sociétés en commandite et donnez vos motifs de sorte
que je puisse interjeter appel, ou traitez ma déclaration comme
elle a été produite. Procéder autrement, c'est commettre un
abus de procédure. Cela est d'autant plus vrai que vous disposez
de trois ans pour établir de nouvelles cotisations, à votre gré.
Le 11 avril 1988, Revenu Canada a écrit la
lettre suivante:
[TRADUCTION] La présente fait suite à votre lettre du 28 mars
1988 adressée à M. Elstyme au sujet de la décision du Minis-
tère de reporter le traitement de votre déclaration de revenu
pour 1986 en attendant les résultats des vérifications qui sont
effectuées auprès des entreprises dans lesquelles vous êtes un
associé ou un investisseur.
Vous avez indiqué qu'à votre avis Revenu Canada—Impôt
devrait traiter votre déclaration de revenu de façon efficiente et
raisonnable et que toute modification découlant des vérifica-
tions devrait faire l'objet d'une nouvelle cotisation à une date
ultérieure.
Même si les examens sont effectués le plus rapidement possible,
il y a toujours des retards dans l'obtention de tous les renseigne-
ments nécessaires à l'achèvement de ces vérifications. Voilà
pourquoi vous avez l'option de nous permettre d'établir la
cotisation relative à votre déclaration sans la déduction des
pertes d'entreprise réclamée à l'égard des sociétés en comman-
dite CRL Management and Overhead Limited Partnership et
First Taxinvestors Limited Partnership avant la fin des vérifica-
tions de ces entreprises. Cette option vous a été accordée depuis
le 22 juillet 1987, date de la première lettre, et elle vous offre la
possibilité d'exercer votre droit d'appel.
Vous avez mentionné que le fait de tenir votre déclaration de
1986 en suspens est un abus de procédure. La responsabilité qui
incombe au Ministère de maintenir la confiance du public dans
l'intégrité du système d'auto-cotisation de l'impôt au Canada
est extrêmement importante. Par conséquent, des mesures pré-
ventives comme celles-ci sont nécessaires pour faire en sorte que
le Ministère s'acquitte publiquement de sa responsabilité et
protège les biens de la Couronne. De plus, la présomption
d'honnêteté ou d'innocence établie dans la «Déclaration des
droits du contribuable» s'applique toujours. Le personnel du
Ministère a la responsabilité de procéder à une détermination
impartiale du droit et des faits de façon à assurer le prélève-
ment du montant exact d'impôt, ni plus ni moins. Toutefois, le
Ministère ne peut se soustraire à sa responsabilité en matière
d'application et d'exécution de la Loi en fermant les yeux sur
des domaines qui peuvent faire problème, et il doit prendre
toutes les mesures qu'il estime nécessaires pour s'acquitter de
ses responsabilités.
En ce qui a trait à CRL Management and Overhead Limited
Partnership et à First Taxinvestors Limited Partnership, ces
vérifications sont toujours en cours. A l'heure actuelle, il est
difficile de déterminer exactement quand ces vérifications pren-
dront fin.
Ainsi que vous l'avez demandé dans votre lettre comme l'un des
choix proposés, et puisque nous ne sommes pas prêts à traiter
votre déclaration de revenu de 1986 comme elle a été produite,
nous établirons une cotisation relative à votre déclaration de
revenu de 1986 sans la déduction des pertes d'entreprise récla-
mée à l'égard de CRL Management and Overhead Limited
Partnership et de First Taxinvestors Limited Partnership. [Sou-
ligné par mes soins.]
Ainsi, pour les raisons susmentionnées, Revenu
Canada a envoyé un avis de cotisation le 26 juillet
1988 refusant les pertes d'entreprise. Le requérant
a produit un avis d'opposition daté du 27 juillet
1988. Un avis de nouvelle cotisation daté du 2 no-
vembre 1988 a établi une nouvelle cotisation rela
tive à la déclaration de revenu de 1986 du requé-
rant à l'égard d'une question qui ne porte pas sur
les pertes d'entreprise. Le 5 janvier 1989, le requé-
rant a signifié un avis d'opposition au ministre.
Par la suite, selon moi, la Section de l'évitement
fiscal de Revenu Canada a fait une erreur et a mal
interprété ou mal appliqué le paragraphe 231.6(3),
et expédié au requérant une lettre datée du 18
septembre 1989 lui demandant de fournir, dans les
30 jours de cette date, certains renseignements et
documents portant entre autres sur son investisse-
ment dans BOHAR Investment Club et CRL, et sur
la conversion subséquente de ceux-ci ,en Morning
Land Ventures Ltd. et/ou en Cold Spring Resour
ces Ltd. (Voir la pièce H jointe à l'affidavit de
John Merko fait sous serment le 15 mai 1990.)
Apparemment pour corriger cette erreur, la Sec
tion de l'évitement fiscal a expédié au requérant
une nouvelle lettre datée du 5 janvier 1990, qui
comportait notamment l'extrait suivant:
[TRADUCTION] La lettre de mise en demeure ci-jointe remplace
la lettre de mise en demeure qui vous a été expédiée en
septembre 1989. La SEULE modification apportée est la sui-
vante: le paragraphe de la Loi de l'impôt sur le revenu qui est
cité n'est plus le paragraphe 231.6(1), mais le paragraphe
231.6(2). Le délai de 90 jours pour répondre à la nouvelle mise
en demeure court à compter de la date de la présente lettre.
Toutefois, la lettre du 18 septembre 1989 ne com-
portait aucune mention du paragraphe 231.6(1), et
l'on avait donné 30 jours et non 90 jours pour
répondre. Dans sa lettre de septembre 1989, l'in-
timé n'avait manifestement pas respecté ses pro-
pres exigences énoncées dans la loi. L'erreur n'est
toutefois pas fatale.
La Section de l'évitement fiscal a expédié une
autre lettre fondée sur le paragraphe 231.6(2) de
la Loi de l'impôt sur le revenu pour mettre le
requérant en demeure de fournir des renseigne-
ments et des documents liés aux vastes questions
qui y étaient décrites, dans un délai de 90 jours. Il
s'agissait d'activités de First Taxinvestors Limited
Partnership.
Dans une lettre du 4 mai 1990, signée par le
chef de la Section de l'évitement fiscal de l'intimé,
le requérant était avisé de l'intention de l'intimé de
rejeter la déduction des pertes d'entreprise à
l'égard de l'année d'imposition 1986, de même que
des motifs de ce rejet. C'est la première fois que le
requérant obtenait communication des motifs fon
dant le rejet de la déduction des pertes d'entre-
prise. Le requérant a alors demandé à son avocat
d'en appeler de la nouvelle cotisation devant la
Cour fédérale du Canada. Dans un avis de requête
daté du 17 mai 1990, le requérant a demandé que
soit déclarée sans effet la mise en demeure du
26 février 1990 lui enjoignant de fournir des ren-
seignements étrangers à l'égard des activités de
First Taxinvestors Limited Partnership.
LA POSITION DU REQUÉRANT
Le requérant prétend que l'envoi de la mise en
demeure constitue un abus de procédure et que de
toute façon les modalités de la mise en demeure
sont déraisonnables et, partant, qu'elles devraient
être déclarées sans effet ou modifiées. Le requé-
rant a produit des copies des notes techniques
fournies par le ministère des Finances lors de
l'adoption de l'article 231.6 de la Loi, et il en a
souligné les passages suivants: «qui lui sont néces-
saires pour permettre une bonne application de la
Loi fiscale canadienne»; «qui pourraient aider le
Ministre à établir convenablement une cotisation»;
et «obtenir les renseignements nécessaires pour
établir convenablement une cotisation d'impôt en
application de la Loi fiscale canadienne». Le
requérant a prétendu que les documents demandés
par Revenu Canada n'étaient pas nécessaires pour
établir convenablement une cotisation et qu'ils
n'aideraient pas le ministre à établir convenable-
ment une cotisation.
Dans son exposé des faits et du droit, le requé-
rant se fonde aussi sur deux décisions: Canterra
Energy Ltd c La Reine, [1985] 1 CTC 329 (C.F.
1" inst.); et Edmonton Liquid Gas Ltd c La Reine,
[1984] CTC 536 (C.A.F.). Les questions de fond
dans ces affaires ne portent pas sur l'article 231.6,
mais ces décisions contiennent des directives sur
des points de preuve. Dans la décision Canterra, le
juge Reed a admis un document du budget à
l'appui de l'interprétation d'un règlement donnée
par la Couronne, en lui accordant toutefois très
peu de poids. Dans l'arrêt Edmonton Liquid Gas,
la Cour a cité les remarques du ministre des
Finances à l'égard de l'interprétation de certaines
dispositions de la Loi de l'impôt sur lé revenu. Le
requérant a cité ces décisions à l'appui de sa
tentative de se fonder sur les passages susmention-
nés des notes techniques.
LA POSITION DE L'INTIMÉ
En ce qui a trait à la question de l'abus de
procédure, l'intimé déclare qu'il n'y a aucun abus
de procédure, puisque l'envoi de la mise en
demeure de fournir des renseignements était une
question administrative relevant du ministre, et
qu'il n'a aucun rapport avec les procédures devant
cette Cour. L'intimé fait valoir de plus que de
toute façon la demande est raisonnable et que le
fardeau de prouver qu'elle est déraisonnable
incombe au requérant. A l'appui de cette position,
l'intimé cite l'arrêt récent R. c. McKinlay Trans
port Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, dans lequel la
Cour suprême du Canada a conclu que la demande
visant la production de certains documents prévue
au paragraphe 231(3) de la Loi constitue une
saisie raisonnable et ne viole pas l'article 8 de la
Charte [Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada,
chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II,
n° 44]].
DISPOSITION LÉGISLATIVE
L'article 231.6 a été adopté en 1988 et porte:
231.6 (1) Pour l'application du présent article, un renseigne-
ment ou document étranger s'entend d'un renseignement acces
sible, ou d'un document situé, en dehors du Canada, qui peut
être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la
présente loi.
(2) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, le
ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par
courrier recommandé ou certifié, mettre en demeure une per-
sonne résidant au Canada ou une personne n'y résidant pas
mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements
ou documents étrangers.
(3) L'avis doit à la fois:
a) indiquer le délai raisonnable, d'au moins 90 jours, dans
lequel les renseignements ou documents étrangers doivent
être fournis;
b) décrire les renseignements ou documents étrangers
recherchés;
c) préciser les conséquences prévues au paragraphe (8) du
défaut de fournir les renseignements ou documents étrangers
recherchés dans le délai ci-dessus.
(4) La personne à qui l'avis est signifié ou envoyé peut, dans
les 90 jours suivant la date de signification ou d'envoi, contes-
ter, par requête à un juge, la mise en demeure du ministre.
(5) À l'audition de la requête, le juge peut:
a) soit confirmer la mise en demeure;
b) soit modifier la mise en demeure de la façon qu'il estime
indiquée dans les circonstances;
c) soit déclarer sans effet la mise en demeure s'il est con-
vaincu que celle-ci est déraisonnable.
(6) Pour l'application de l'alinéa (5)c), le fait que des ren-
seignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés
chez une personne non résidante qui n'est pas contrôlée par la
personne à qui l'avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la
garde de cette personne non résidante, ne rend pas déraisonna-
ble la mise en demeure de fournir ces renseignements ou
documents, si ces deux personnes sont liées.
(7) Le délai qui court entre le jour où une requête est
présentée conformément au paragraphe (4) et le jour où il est
décidé de la requête ne compte pas dans le calcul:
a) du délai indiqué dans l'avis correspondant à la mise en
demeure qui a donné lieu à la requête;
b) du délai dans lequel une cotisation peut être établie
conformément au paragraphe 152(4).
(8) Si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des
renseignements et documents étrangers visés par la mise en
demeure signifiée conformément au paragraphe (2) et si la
mise en demeure n'est pas déclarée sans effet par un juge en
application du paragraphe (5), tout tribunal saisi d'une affaire
civile portant sur l'application ou l'exécution de la présente loi
doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve par
cette personne de tout renseignement ou document étranger
visé par la mise en demeure.
LES POINTS EN LITIGE
1. La mise en demeure de fournir des renseigne-
ments étrangers est-elle un abus de la procédure
prévue par la Loi de l'impôt sur le revenu?
2. Subsidiairement, la demande est-elle exprimée
en des termes trop larges?
L'article 231.6 a été adopté en 1988 dans le but
d'aider le ministre à obtenir des renseignements ou
des documents qui sont accessibles. ou situés en
dehors du Canada et qui peuvent être nécessaires à
l'application et à l'exécution de la Loi. Une per-
sonne résidant au Canada ou une personne n'y
résidant pas mais y exploitant une entreprise doit,
lorsqu'elle reçoit un avis du ministre, fournir des
«renseignements ou documents étrangers» qui sont
définis comme suit: un renseignement ou docu
ment étranger s'entend d'un renseignement acces
sible, ou d'un document situé, en dehors du
Canada, qui peut être pris en compte pour l'exécu-
tion de la Loi. Si la personne avisée ne fournit pas
la totalité, ou presque, des renseignements et docu
ments étrangers visés par la mise en demeure, elle
peut se voir refuser le dépôt en preuve de ces
renseignements dans toute affaire civile portant
sur l'application de la Loi.
La personne à qui l'avis de mise en demeure est
signifié ou envoyé peut, dans les 90 jours suivant
la date de signification ou d'envoi, contester par
requête à un juge la mise en demeure. À l'audition
de la requête en révision, le juge peut, en vertu du
paragraphe 231.6(5), soit confirmer la mise en
demeure, soit la modifier de la façon qu'il estime
indiquée dans les circonstances, soit la déclarer
sans effet s'il est convaincu qu'elle est déraisonna-
ble.
La question de savoir si la mise en demeure est
«indiquée dans les circonstances» ou «raisonnable»
est une question de fait qui doit être déterminée en
fonction des faits de l'espèce. Malheureusement,
l'article 231.6 n'a pas encore fait l'objet d'un
examen judiciaire et la jurisprudence ne comporte
aucune indication à ce sujet. La disposition, législa-
tive établit toutefois, au paragraphe 231.6(6), que
le fait que des renseignements étrangers soient
sous la garde d'une personne non résidante qui
n'est pas contrôlée par la personne à qui l'avis de
mise en demeure est signifié ou envoyé ne rend pas
déraisonnable la mise en demeure de fournir ces
renseignements si ces deux personnes sont liées,
c'est-à-dire s'il s'agit d'une société mère non rési-
dante et de sa filiale canadienne. La question du
lien de dépendance avec une personne non rési-
dante est prévue à l'article 251 [mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 140, art. 129; 1988, chap.
55, art. 190] de la Loi.
Par conséquent, l'un des points litigieux en l'es-
pèce porte sur la question de savoir si la mise en
demeure de produire des renseignements est «rai-
sonnable» ou s'il est «indiqué [...] dans les circons-
tances» de modifier la mise en demeure ou de la
déclarer sans effet. À mon avis, les passages souli-
gnés des notes techniques sur lesquels se fonde
l'argument du requérant afin de déterminer si les
renseignements demandés sont nécessaires pour
établir convenablement une cotisation sont tout
simplement une autre façon de dire «raisonnable»
ou «indiqué [...] dans les circonstances».
COMMENTAIRES
Comme je l'ai dit plus haut, l'article 231.6 a été
adopté en 1988 et, à ma connaissance, c'est la
première fois qu'il fait l'objet d'un examen
judiciaire.
Dès le départ, l'avocat du requérant a précisé
qu'il parlait d'un abus de la procédure prévue par
la Loi de l'impôt sur le revenu et non d'un abus de
la procédure de la cour par l'intimé. Il a précisé
que le régime de la Loi prévoit l'auto-cotisation de
la part du contribuable, l'établissement d'une coti-
sation ou d'une nouvelle cotisation par le Revenu
national, la possibilité pour le contribuable de
produire un avis d'opposition, et finalement la
possibilité pour Revenu Canada d'accepter l'avis
d'opposition ou de confirmer la cotisation (ou la
nouvelle cotisation) antérieure. Si à ce moment le
contribuable n'est pas satisfait, il peut porter la
question devant la Cour canadienne de l'impôt ou
devant la Cour fédérale.
En l'espèce, la nouvelle cotisation du requérant
a été établie par l'intimé le 2 novembre 1988; le
9 janvier 1989, le requérant a produit un avis
d'opposition. Au 17 mai 1990, l'intimé n'avait pas
avisé le requérant de sa décision d'annuler ou de
confirmer la nouvelle cotisation (voir le
paragraphe 8 de la déclaration produite le 17 mai
1990). Toutefois, au paragraphe 15 de l'affidavit
de John Merko, établi sous serment le 15 mai
1990, Merko affirme que le chef de la Section de
l'évitement fiscal lui avait adressé une lettre le 4
mai 1990 pour l'aviser du rejet des pertes d'entre-
prise par Revenu national et des motifs fondant
cette décision (ce point n'a pratiquement aucune
importance en l'espèce).
CONCLUSIONS
Il ressort clairement de l'énoncé de la disposition
législative (précitée) que le législateur a eu l'inten-
tion de donner à Revenu Canada des pouvoirs
importants, étendus et d'une grande portée pour
obtenir «des renseignements ou des documents
étrangers». Dans la définition qu'il donne d'un
«renseignement ou document étranger», l'article
231.6 prévoit qu'il s'agit «d'un renseignement
accessible, ou d'un document situé, en dehors du
Canada». Afin d'obtenir ces renseignements ou ces
documents, Revenu Canada n'a qu'à démontrer
qu'ils peuvent «être pris en compte pour l'applica-
tion ou l'exécution de la présente loi». La Loi ne
prévoit aucune période pour la demande de rensei-
gnements et manifestement le Ministère n'est pas
obligé de faire la mise en demeure au cours de
l'établissement de la cotisation ou de la nouvelle
cotisation du contribuable, malgré l'argument
vigoureux présenté par l'avocat du requérant et
l'emploi du mot «cotisation» dans les copies des
notes techniques publiées par le ministère des
Finances au moment de l'adoption de
l'article 231.6 de la Loi. Si le législateur avait
voulu limiter l'emploi de ce pouvoir considérable à
la période comprise entre la date de l'établissement
de la cotisation (ou de la nouvelle cotisation) et
celle de l'avis d'opposition (ou de la décision de
confirmer ou de rejeter l'opposition), il lui aurait
été facile de l'exprimer. Il ne l'a pas fait. Même si
le contribuable a déjà engagé des procédures judi-
ciaires, Revenu national peut toujours exiger que
le contribuable ou un tiers fournisse des renseigne-
ments ou des documents étrangers, s'il peut soute-
nir que ceux-ci sont nécessaires à l'application ou à
l'exécution de la Loi.
Le contribuable est protégé du recours abusif à
cette disposition législative par la possibilité de
contester la mise en demeure par requête à un
juge, qui pourra soit confirmer la mise en
demeure, soit la modifier de la façon qu'il estime
indiquée dans les circonstances, soit la déclarer
sans effet s'il est convaincu qu'elle est déraisonna-
ble. Par conséquent, pour les raisons susmention-
nées, je conclus que la mise en demeure, faite par
l'intimé, de produire des renseignements dans les
circonstances de l'espèce n'est pas un abus de la
procédure prévue par la Loi de l'impôt sur le
revenu.
La demande est-elle raisonnable? Dans la for
mulation de la Loi, le législateur établit sans l'om-
bre d'un doute que la demande de renseignements
ou de documents étrangers est à première vue
raisonnable, ce qui s'applique particulièrement en
l'espèce compte tenu de la nature très étendue de
la société en commandite et de l'importance de la
perte réclamée par le requérant. Le requérant doit
clairement tenter d'obtenir les renseignements ou
les documents étrangers, à moins qu'il ne prétende
que la mise en demeure ou la demande est dérai-
sonnable, et qu'il ait alors recours à la procédure
prévue pour faire valoir son point de vue, soit la
requête présentée devant cette Cour. Je ne puis
conclure que la demande est déraisonnable. Il
n'existe aucune obligation de fournir les renseigne-
ments ou les documents, mais il y a toujours la
sanction établie au paragraphe 231.6(8), qui pré-
voit que le contribuable qui omet de fournir des
renseignements ou des documents demandés ne
peut les employer dans une procédure civile subsé-
quente. La mise en demeure précise au contribua-
ble la nature des renseignements demandés, que lui
et d'autres sont appelés à fournir. Il peut choisir de
chercher à obtenir toutes les données possibles et
de les remettre au ministère du Revenu national; il
peut aussi indiquer qu'une partie ou la totalité des
renseignements demandés ne peuvent être fournis
ou qu'ils ne seront pas fournis. Dans ce dernier cas,
la sanction prévue au paragraphe 231.6(8) sus-
mentionné s'applique.
Puisque en l'espèce il n'y a pas abus de la
procédure prévue par la Loi de l'impôt sur le
revenu et que la mise en demeure est raisonnable
dans les circonstances, je confirmerai la mise en
demeure. L'intimé a droit à ses dépens à l'égard de
la présente requête quelle que soit l'issue de la
cause principale.
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