A-144-90
Maurice Dansereau, pompier (requérant)
c.
Guy Saint-Hilaire, en qualité de président d'un
comité d'appel institué aux termes du paragraphe
31(2) de la Loi sur l'emploi dans la fonction
publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, Commission
de la fonction publique, corps politique dûment
constitué aux termes des dispositions de la Loi sur
l'emploi dans la fonction publique, l'administra-
teur général du ministère des Transports, aux fins
de l'application de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique, Réseau des aéroports interna-
tionaux de Montréal/Corporatif (intimés)
RÉPERTORIÉ: DANSEREAU c. CANADA (COMITÉ D'APPEL DE LA
FONCTION PUBLIQUE) (C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et
Décary, J.C.A.—Montréal, 4 et 5 octobre;
Ottawa, 24 octobre 1990.
Fonction publique — Fin d'emploi — Incompétence — Un
comité d'appel de la fonction publique a entériné une recom-
mandation ministérielle portant renvoi d'un employé de longue
date pour incompétence — Aucun avertissement ne lui a été
donné disant que son travail était insatisfaisant — Le comité a
commis une erreur en ne concluant pas que l'absence d'un
avertissement était pertinente — La règle du secteur privé
selon laquelle il faut avertir un employé avant qu'il ne puisse
être congédié s'applique à la fonction publique en l'absence de
circonstances extraordinaires ou pressantes — Le silence de
l'employeur relativement à des incidents survenus avant la
date à laquelle le rendement du requérant a été remis en
question pour la première fois constitue une renonciation à son
droit de faire la preuve de la conduite antérieure de ce dernier,
même si des évaluations du rendement favorables n'absolvaient
pas l'employé d'une conduite antérieure qui n'a fait l'objet
d'aucun reproche particulier — Le dossier contient tant d'élé-
ments de mauvaise foi que la conclusion d'absence de mau-
vaise foi constitue une erreur grossière.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Un comité
d'appel de la fonction publique a entériné une recommandation
ministérielle visant à congédier un employé de longue date
pour incompétence même si celui-ci n'a reçu aucun avertisse-
ment — Cette omission viciait la décision de congédier l'em-
ployé pour incompétence — L'absence d'avertissement n'est
pas une preuve de mauvaise foi mais elle peut l'être si on la
considère avec d'autres éléments de preuve.
Il s'agit d'une demande visant à faire annuler l'entérinement
par un comité d'appel de la fonction publique d'une recomman-
dation ministérielle proposant le renvoi du requérant pour
incompétence en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi
dans la fonction publique. Le requérant a travaillé à titre de
pompier à la caserne de l'aéroport de Dorval de 1966à 1975
alors qu'il a accédé au poste de surveillant d'équipe. Les
rapports d'appréciation indiquaient que le requérant répondait
à toutes les exigences depuis septembre 1985. En 1986, il y eu
une mort tragique dans sa famille. Il s'est absenté du travail du
1e` février 1987 au 24 mars 1988 en raison d'une accusation
criminelle dont il a été blanchi. Lorsqu'il est retourné au travail
en mars 1988, il a été affecté à des fonctions sans responsabilité
de surveillance. Il a repris ses fonctions de capitaine au mois de
mai sans qu'on l'avertisse que son rendement était inadéquat. Il
a toutefois reçu, en juin 1988, trois rapports de rendement
insatisfaisants pour la période commençant en septembre 1985.
Deux de ces rapports avaient été préparés par le supérieur du
requérant qui espérait que ce dernier ne revienne jamais au
travail. Le Ministère a avisé le requérant qu'il recommandait sa
rétrogradation au poste de pompier en raison de son incompé-
tence dans l'exercice de ses fonctions de surveillance. Le requé-
rant a interjeté appel de cette décision. En novembre 1988, le
rapport d'appréciation indiquait que le requérant satisfaisait
aux critères requis pour la fonction de pompier. Six jours avant
l'audition de l'appel, le Ministère a substitué à la recommanda-
tion de rétrogradation celle de renvoi. Le Comité d'appel a
refusé l'amendement. Le Ministère a envoyé un nouvel avis
informant le requérant de la décision de recommander son
renvoi pour incompétence. Celui-ci a interjeté appel mais le
Comité d'appel a confirmé la recommandation de renvoi, sta-
tuant que la simple omission d'avertir le requérant de la
possibilité de son renvoi ne justifiait pas l'annulation d'une
décision de renvoi pour incompétence qui est autrement valide.
Le Comité a refusé de suivre une autre décision d'un comité
d'appel dans l'affaire Dickinson c. ministère du Revenu natio
nal (Impôt) où il a été jugé qu'il faut donner un avertissement
sans équivoque avant de renvoyer un employé pour incompé-
tence et que le défaut d'avertissement est une preuve de mau-
vaise foi. Le requérant a soutenu que l'absence d'avertissement
suffisait à elle seule à annuler la décision et qu'elle était en
outre une preuve de mauvaise foi. Il s'agissait de savoir (1) si
l'absence d'avertissement viciait la recommandation de renvoi
(2) si le Comité devait uniquement tenir compte des événe-
ments survenus après le mois de septembre 1985, époque à
laquelle le rendement du requérant a été remis en question pour
la première fois et (3) si le Comité a rendu sa décision en se
fondant sur des conclusions de fait erronées et sans tenir
compte de la preuve.
Arrêt (le juge Marceau, J.C.A. étant dissident): la demande
devrait être accueillie.
Le juge Décary, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le
juge MacGuigan, J.C.A.): (1) Le requérant avait droit à un
avertissement avant d'être congédié pour incompétence et le
Comité a commis une erreur en ne concluant pas que l'absence
d'avertissement était pertinente et en ne se demandant pas si
des circonstances extraordinaires ou pressantes pouvaient justi-
fier un tel congédiement. L'approche adoptée dans l'affaire
Dickinson aurait dû être suivie. La règle générale suivie dans le
secteur privé selon laquelle, en l'absence de circonstances
extraordinaires ou pressantes, un avertissement doit être donné
à un employé avant qu'il ne puisse être congédié pour cause
d'incompétence, surtout lorsqu'il exerce ses fonctions depuis
nombres d'années, s'applique à la fonction publique. Le type
d'avertissement et la période de correction varieront au gré des
circonstances.
Ne pas trancher la question de savoir si l'absence d'avertisse-
ment suffit en elle-même à vicier la décision ou si elle établit
simplement la mauvaise foi de l'employeur qui a vicié la
décision, n'est pas des plus sain, pour l'administration de la
justice. Le requérant a misé sur les deux tableaux, même si les
deux approches sont difficilement conciliables au sein d'un
même tribunal administratif. L'absence d'avertissement n'est
pas en soi une preuve de mauvaise foi mais combinée à d'autres
éléments de preuve, elle peut démontrer que l'employeur n'était
pas de bonne foi, si cette démonstration doit être faite lorsque le
défaut d'avertissement vicie en lui-même une décision de congé-
dier pour cause d'incompétence.
(2) Le Comité a commis une erreur en permettant à l'em-
ployeur de faire la preuve d'incidents survenus avant
septembre 1985. Dans sa recommandation de renvoi, celui-ci a
limité ses allégations d'incompétence à celles figurant dans les
rapports d'évaluation pour la période commençant en
septembre 1985. Par son silence sur les incidents survenus
avant cette date, l'employeur a renoncé à son droit de déterrer
dans la conduite antérieure de son employé des éléments justifi-
catifs de sa décision de renvoi. Bien qu'un rapport de rende-
ment favorable ne soit pas une absolution de tous les gestes
posés par un employé qui n'ont fait l'objet d'aucun reproche
particulier, l'employeur peut, par ses propres agissements au
moment du congédiement, renoncer à recourir à un passé plus
lointain et établir contre lui-même une fin de non-recevoir.
(3) Le Comité d'appel a fondé sa conclusion selon laquelle il
n'y avait aucune mauvaise foi sur des conclusions de fait
erronées et sans tenir compte de la preuve qui lui a été soumise.
Le dossier était tissé d'éléments de mauvaise foi si manifestes
que le Comité ne pouvait sans commettre une lourde erreur
conclure à l'absence de mauvaise foi. Il a également commis
une erreur en fondant son refus de conclure à la mauvaise foi
sur les affaires R. c. Larsen et Le procureur général du Canada
c. Loiselle. Ce n'est pas se mêler de la façon dont le Ministère
entend disposer du fonctionnaire évincé que de se demander si
ledit Ministère a fait preuve de mauvaise foi dans la façon de
congédier le requérant.
Le juge Marceau, J.C.A. (dissident): (1) Le Comité n'a pas
commis d'erreur en concluant que l'absence d'avertissement
n'invalidait pas automatiquement une recommandation de
renvoi. Une mise en demeure n'est requise que si elle peut avoir
une fin utile. Le renvoi pour incompétence en vertu de l'article
31 de la Loi est habituellement attribuable à un défaut intrinsè-
que du titulaire qui ne lui permet pas de fournir la qualité de
prestation de service attendue. Une mise en demeure peut servir
à déterminer si un problème de rendement en est un de
discipline ou d'inaptitude mais il est possible de porter un
jugement valide sur l'incompétence d'un employé sans le
recours à cette mise en demeure.
(2) Le Comité n'a pas commis d'erreur non plus en prenant
en considération les incidents survenus avant septembre 1985.
Il n'avait pas à se cantonner dans une période précise et limitée
pour vérifier si l'employeur avait raison d'alléguer l'incompé-
tence, surtout qu'il lui fallait s'assurer que les allégations ne se
rattachaient pas plutôt à une réaction suscitée par des faits
récents. Les remarques générales contenues dans les rapports
annuels de rendement n'ont pas une force probante péremp-
toire. La lettre adressée à la Commission de la fonction publi-
que à l'appui de la recommandation de renvoi ne constituait pas
un engagement à ne pas aller au-delà des faits qui y étaient
expressément notés car cela lui aurait attribué un effet détermi-
nant que même un acte de procédure devant une cour de justice
n'a pas. Le type de preuve admissible dans un cas de licencie-
ment disciplinaire diffère de celui qui est admissible dans un
cas de licenciement pour incompétence. Dans le premier cas, les
actes d'inconduite doivent être précisés de façon à ce que le
tribunal puisse être convaincu qu'ils ont bien été commis et que
leur gravité était suffisante pour justifier la sanction. Dans le
second cas, la preuve ne saurait porter sur des faits positifs du
même ordre ni être aussi stricte et précise.
(3) La Cour n'avait pas compétence pour intervenir en vertu
de l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale. Le Comité
d'appel a rendu une décision détaillée dans laquelle tous les
faits ont été discutés, analysés et pris en considération. La
décision n'a pas été rendue de façon abusive ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments dont il dispose.
Le Comité ne pouvait pas substituer la rétrogradation au
renvoi. Une fois qu'il était convaincu de la bonne foi du
Ministère et qu'il reconnaissait que l'évincement du requérant
de son poste était justifié, il était lié par la recommandation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 28(1)c).
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C.
(1985), chap. P-33, art. 31.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Dickinson c. ministère du Revenu national (Impôt),
[1987] DCA [8-1] 162 (C.A.C.F.P.); Ahmad c. La Com
mission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644;
(1974), 51 D.L.R. (3d) 470; 6 N.R. 287 (C.A.); L'État
portoricain c. Hernandez, [1973] C.F. 1206; (1973), 42
D.L.R. (3d) 541; 15 C.C.C. (2d) 56 (C.A.); infirmé à
[1975] 1 R.C.S. 228; (1973), 41 D.L.R. (3d) 549; 14
C.C.C. (2d) 209.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hailé c. Bell Canada (1989), 99 N.R. 149 (C.A.F.); R. c.
Larsen, [1981] 2 C.F. 199; (1980), 117 D.L.R. (3d) 377
(C.A.); Le procureur général du Canada c. Loiselle,
[1981] 2 C.F. 203 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Produits Pétro-Canada Inc. c. Moalli, [1987] R.J.Q.
261; (1986), 6 C.A.Q. 114; 26 Admin. L.R. 64; 16
C.C.E.L. 18 (C.A.); Re Service Employees International
Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home
et al. and two other applications (1984), 48 O.R. (2d)
225; 13 D.L.R. (4th) 220; 12 C.R.R. 86; 5 O.A.C. 371
(C.A.); Re Service Employees' International Union,
Local 204 and Broadway Manor Nursing Home et al.
and two other applications (1983), 44. O.R. (2d) 392; 4
D.L.R. (4th) 231; 10 C.R.R. 37 (C. Div.); Banque cana-
dienne impériale de commerce c. Rifou, [1986] 3 C.F.
486; (1986), 13 C.C.E.L. 293; 86 CLLC 14,046; 25
C.R.R. 164; 72 N.R. 12 (C.A.); Mojica c. Le ministre de
la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 458;
(1976), 14 N.R. 162 (C.A.).
DOCTRINE
Audet, George et Bonhomme, Robert, Le congédiement
en droit québécois, 2e éd., Cowansville (Qué.): Éditions
Yvon Blais Inc., 1988.
Aust, Edward A. Le contrat d'emploi, Cowansville
(Qué.): Éditions Yvon Blais Inc., 1988.
Harris, David Wrongful Dismissal, Rev. and Cons.
Toronto: Richard De Boo, 1990.
AVOCATS:
François Garneau pour le requérant.
R. Morneau pour l'intimé.
PROCUREURS:
Desjardins, Ducharme, Montréal, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (dissident): Je
regrette, mais je ne partage pas les vues de mon
collègue, le juge Décary, J.C.A.. Je me permets,
avec égards, de contester que cette Cour soit dans
l'une ou l'autre des conditions requises par l'article
28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap.
F-7] de sa Loi habilitante pour intervenir et annu-
ler la décision du Comité d'appel. Je vais essayer
de m'expliquer le plus rapidement possible.
1. Sur le plan du droit, je ne vois aucune erreur
dans l'approche du Comité d'appel.
D'une part, je ne crois pas que l'on puisse repro-
cher au Comité d'avoir refusé d'admettre que l'ab-
sence de préavis rendait en droit automatiquement
irrégulière une recommandation de renvoi en vertu
de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33.
Voici ce que le Comité dit sur ce point:
On prétend que la décision de renvoyer l'appelant pour
incompétence est irrégulière étant donné qu'il n'avait jamais été
confronté aux raisons motivant son renvoi, ni été prévenu d'une
menace de renvoi à moins d'amélioration. Même s'il apparaît
exact que l'appelant n'ait pas été formellement prévenu d'une
possibilité de renvoi faute d'amélioration, je ne peux faire droit
à l'appel pour une raison de ce genre.
D'abord, rien dans la Loi n'exige de faire une pareille mise
en demeure avant de prendre la décision de renvoyer un
fonctionnaire en vertu de l'article 31 de la Loi. Ensuite, le
renvoi prévu à cet article n'est pas une sanction disciplinaire à
des actes répréhensibles posés volontairement par un fonction-
naire qui pourrait s'amender et être incité à le faire par une
telle mise en demeure, mais le retrait d'un poste ou d'un
ensemble de fonctions d'un fonctionnaire n'arrivant pas à
accomplir adéquatement ce que la gestion est en droit d'atten-
dre de lui, et cela pour des motifs totalement en dehors du
contrôle de sa volonté, comme une certaine forme d'impéritie,
d'inhabilité, d'inaptitude, de faiblesse fondamentale, d'insuffi-
sance, ou de manque d'adresse ou de capacité. En pareil cas,
même la plus sérieuse des mises en demeure n'est pas de nature
à changer significativement quoique ce soit, puisque l'absence
de la performance attendue n'est pas attribuable au simple
contrôle de la volonté mais à un défaut, vice ou faiblesse
intrinsèque du titulaire ne lui permettant pas de fournir la
qualité de prestation de service légitimement attendue. J'estime
donc que le seul défaut de mettre en demeure le fonctionnaire
concerné n'annule pas le bien-fondé d'une décision de renvoi
pour incompétence prise à son endroit.
La représentante de l'appelant a fait référence à la décision
Dickinson, [1987] DCA [8-1] 162 (Girard), où l'appel a été
maintenu parce que l'employé n'avait pas été suffisamment
prévenu du risque qu'il encourait de perdre son emploi s'il
n'améliorait pas sa performance avant que la décision de le
renvoyer ne soit prise. Je respecte l'opinion que mon collègue
peut avoir sur le sujet, mais je ne suis pas persuadé, pour ma
part, que le seul défaut d'avoir prévenu un employé d'une
possibilité de renvoi s'il ne s'améliorait pas permette d'annuler
une décision de renvoi pour incompétence par ailleurs bien
fondée. Évidemment, il faut s'assurer que l'employé n'est réelle-
ment pas en mesure de bien faire ce qu'on attend de lui, et la
mise en demeure peut parfois être un des moyens importants
mis en branle pour vérifier si le problème de rendement identi-
fié n'en serait pas un de discipline plutôt que d'inaptitude. Il
m'apparaît toutefois possible de porter un jugement raisonna-
blement bien fondé sur l'incompétence d'un employé sans le
recours à cette mise en demeure.
Je partage cette façon de voir et je crois que
cette Cour, dans l'arrêt Hallé c. Bell Canada
(1989), 99 N.R. 149 (C.A.F.), s'est justement
prononcée en ce sens. Cet arrêt Bell Canada était
rendu dans le cadre de l'article 61.5 (aujourd'hui
242 [L.R.C. (1985), chap. L-2 (mod. par L.R.C.
(1985) (1" suppl.) chap. 9, art. 16)1) du Code
canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1]
(ajouté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21;
1980-81-82-83, chap. 47, art. 27; 1984, chap. 39,
art. 11), l'emploi là en étant un du secteur privé,
mais le raisonnement, qui repose en somme sur
l'idée qu'une mise en demeure ne saurait être
requise que si elle peut être utile, ne pourrait
différer à l'égard d'un emploi du secteur public.
D'autre part, je ne crois pas non plus que l'on
puisse reprocher au Comité d'appel d'avoir pris en
considération des faits et incidents survenus avant
septembre 1985. Rien à mon sens ne forçait en
droit le Comité à se cantonner dans une période de
temps précise et limitée pour vérifier si l'em-
ployeur avait raison de prétendre à incompétence
pure et simple, surtout qu'il lui fallait s'assurer que
les allégations ne se rattachaient pas plutôt à une
réaction suscitée par des faits récents. Il y avait, il
est vrai, pour les années antérieures à 1985, des
rapports annuels de rendement favorable et ces
rapports avaient leur importance, mais il est évi-
dent qu'on ne saurait donner aux remarques géné-
rales contenues à ce genre de rapport une force
probante péremptoire. Il y avait aussi, j'en con-
viens, la lettre du 27 août 1989, adressé à la
Commission de la fonction publique à l'appui de la
recommandation de renvoi, un document qui
devait se voir reconnaître un rôle central et être
soumise à explication soignée, mais pour en tirer
une renonciation de l'employeur à aller au-delà des
faits qui y étaient expressément notés il faudrait
lui attribuer définitivement un effet déterminant
que même un acte de procédure devant une cour
de justice n'a pas, lui qui est toujours sujet à
amendement.
Ce qui me paraît, ici encore, mise en cause est
l'importance de distinguer entre les deux grands
types de licenciement, le licenciement disciplinaire
et celui basé sur l'incompétence. Comme je le
disais dans la cause Bell Canada (supra), si per-
sonne n'a de peine à distinguer sur le plan des
concepts entre un congédiement imposé à cause de
l'inconduite de l'employé et un licenciement résul-
tant de l'incapacité de l'employé d'exécuter les
fonctions de sa tâche avec l'habilité et la compé-
tence requises, en pratique la confusion entre les
deux types de licenciement semble fort fréquente.
On peut comprendre qu'il en soit ainsi, le défaut
de l'employé de remplir sa tâche se rattachant
souvent tout à la fois à des fautes de comportement
et à des faiblesses d'aptitude, mais, on ne peut que
le regretter. C'est que la distinction entre les deux
types de licenciement a, à mon avis, des consé-
quences importantes sur le rôle qu'un arbitre ou un
tribunal peut être appelé à jouer dans la mise en
oeuvre du recours de l'employé. Dans le cas de
licenciement disciplinaire, l'arbitre ou le tribunal
ne peut se satisfaire sans la preuve que l'acte ou les
actes d'inconduite reprochés ont bien été commis
et que leur gravité était suffisante pour justifier la
sanction, et l'on voit tout de suite, dans cette
optique, le rôle que l'on peut attribuer à des règles
comme celle du préavis ou de la nécessité de
préciser les actes reprochés. Mais dans le cas de
licenciement pour cause d'incompétence, la vérifi-
cation à assurer est de toute autre espèce et la
preuve à considérer ne saurait porter sur des faits
positifs de même ordre, ni être aussi stricte et
précise.
2. Sur le plan des faits, je n'admets pas, je le dis
toujours avec égards, que cette Cour, dans l'exer-
cice de son rôle de révision, soit habilitée à
intervenir.
Ce que l'on affirme, c'est que le Comité d'appel
aurait dû statuer que l'employeur avait agi . de
mauvaise foi en recommandant le renvoi du requé-
rant. Et pour appuyer l'affirmation, on remet en
lumière certains agissements des autorités du
Ministère; on relève principalement qu'il a préparé
et émis trois rapports d'évaluation à quelques
semaines d'intervalle, deux d'entre eux se rappor-
tant à des périodes antérieures; qu'il a enlevé au
requérant, en pratique, ses responsabilités de chef
d'équipe; qu'il a dirigé le requérant chez un méde-
cin pour vérification médicale sans lui indiquer
qu'il s'agissait d'un psychiatre; qu'il a, à la der-
nière minute, changé sa recommandation de rétro-
gradation en recommandation de renvoi; qu'il a
fait parvenir à la Commission, avec sa recomman-
dation, une lettre qui contenait des affirmations
équivoques.
Ma réaction est simple. Le Comité d'appel a
rendu une décision de quelque vingt longues pages
écrites de façon particulièrement soignée. La
partie centrale de sa décision a consisté à repren-
dre en détail la preuve et à expliquer pourquoi il en
était venu à la conclusion que, malgré le caractère
à première vue étonnant de certains faits—qui
s'expliquait par le caractère fort exceptionnel de la
situation d'ensemble—les supérieurs du requérant
avaient agi de bonne foi. Il est vrai qu'il n'est pas
fait mention dans la décision de la lettre accompa-
gnatrice de la recommandation, mais cette lettre se
rapportait à la procédure devant la Commission
plutôt qu'aux relations entre le requérant et ses
supérieurs ou compagnons de travail, et destinée
qu'elle était à être versée au dossier, elle n'avait
certes pas été écrite en vue de tromper qui que ce
soit. Mais à part cette lettre à laquelle je n'attache
pour ma part, je l'ai dit déjà et je le répète avec
respect, aucun caractère déterminant, tous les faits
cités plus haut sont discutés, analysés et pris en
considération.
Or cette décision, le Comité l'a rendue aux
termes d'une audition qui a duré six jours au cours
desquels il a pu entendre et interroger treize
témoins, douze convoqués par l'employeur: supé-
rieurs du requérant, agents de personnel, compa-
gnons de travail, responsable syndical, et un seul
par le requérant, une personne manifestement de
l'extérieur identifiée comme «un vendeur».
Je ne vois tout simplement pas, encore une fois
je le dis avec égards, comment cette Cour, qui ne
dispose même pas de la transcription de ces témoi-
gnages, puisse prétendre que la conclusion de
bonne foi du Comité est erronée, qu'elle a été
«tirée» pour utiliser les termes mêmes de l'alinéa
28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale, «de façon
absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des
éléments portés à sa connaissance» et qu'il faut lui
substituer une conclusion de mauvaise foi.
Il me faut toucher un dernier point. J'ai été, moi
aussi, quelque peu troublé par le caractère définitif
d'un licenciement et me suis demandé si le Comité
n'aurait pas dû imposer au lieu une rétrogradation.
Le Ministère n'avait-il pas changé sa recomman-
dation sur le tard; les supérieurs du requérant
n'avaient-ils pas reconnu, dans un rapport d'éva-
luation, qu'il pouvait remplir des tâches de simple
pompier de façon satisfaisante; l'essentiel de la
preuve d'incapacité n'avait-il par porté sur la tâche
de chef d'équipe? À la réflexion, j'ai réalisé cepen-
dant que le Comité ne pouvait opérer de lui-même
la substitution. Dès lors qu'il ne mettait plus en
doute la bonne foi du Ministère, jugeant satisfai-
santes les explications fournies, et qu'il reconnais-
sait que l'évincement du requérant du poste de
chef d'équipe qui était le sien était, selon la preuve,
justifié, le Comité était lié par la recommandation.
C'est la position que cette Cour a adopté dans
deux arrêts de principe. R. c. Larsen, [1981] 2
C.F. 199 et Le procureur général du Canada c.
Loiselle, [1981] 2 C.F. 203, et de laquelle elle n'a
jamais depuis dérogé. L'argument de texte invoqué
au soutien de ces décisions n'est peut-être pas
pleinement convaincant, je le reconnais, mais l'ar-
gument tiré de l'économie générale de la Loi et des
conséquences pratiques insolubles qu'une position
différente pourrait engendrer paraît irréfutable.
De toute façon, je ne crois pas qu'il y ait lieu de
répudier maintenant l'autorité de ces décisions. Si
elles étaient mal fondées, étant donné leur impor
tance évidente, il aurait été facile au Parlement
d'intervenir et il aurait eu amplement le temps de
le faire.
Ainsi, je suis d'avis que cette Cour n'est pas
dans les conditions pour donner effet à cette
demande d'annulation de la décision du Comité.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Nous sommes saisis
d'une demande d'annulation présentée en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale à
l'encontre d'une décision rendue par un comité
d'appel de la fonction publique présidé par l'intimé
Saint-Hilaire. Cette décision entérinait la recom-
mandation de renvoi pour incompétence du requé-
rant formulée par l'administrateur général du
ministère des Transports en vertu de l'article 31 de
la Loi sur l'emploi dans la fonction publique («la
Loi»).
LES FAITS
Les principaux faits ne portent pas vraiment à
litige. Le requérant a été embauché par le minis-
tère des Transport en 1966 en qualité de pompier à
la caserne de l'aéroport de Dorval. Il a accédé au
poste d'officier pompier (capitaine) en 1975. Le
titre de ce poste était changé, en 1988, en celui de
surveillant d'équipe de pompiers. Les rapports
d'appréciation du requérant, jusqu'à septembre
1985, étaient à l'effet que son rendement répondait
à toutes les exigences et il n'appert pas que quel-
que mise en garde, réprimande ou mise en
demeure de quelque nature que ce soit lui ait été
adressée avant qu'il reçoive, en juin 1988, son
rapport de rendement visant la période commen-
çant en septembre 1985. En juillet 1986, la fille du
requérant décédait tragiquement. Du 1 er février
1987 au 24 mars 1988, le requérant s'absentait de
son travail en raison d'une accusation criminelle
dont il a été blanchi le 23 mars 1988 la suite
d'une motion de non-lieu présentée après que la
Couronne eût complété sa preuve. L'enquête
devant le Comité d'appel a révélé que le supérieur
en titre du requérant, le chef Authiér, et certains
de ses collègues qui avaient suivi le procès espé-
raient que le requérant ne revienne jamais au
travail. En février 1988, alors qu'il attendait le
dénouement des procédures criminelles, le requé-
rant reçut l'ordre de se présenter pour fins d'exa-
men médical au cabinet d'un certain docteur
Brunet, sans qu'on ne lui précisât que ce docteur
était un psychiatre. L'examen psychiatrique ne
révéla rien d'anormal chez le requérant.
Le requérant est retourné au travail le 25 mars
1988 et il fut alors affecté à des fonctions sans
responsabilité de surveillance afin de faciliter sa
réintégration. Le 16 mai 1988, il reprit ses fonc-
tions habituelles de capitaine, sans qu'on ne lui
indiquât que sa compétence laissait à désirer ou
qu'il avait des lacunes à corriger.
À peine un mois plus tard, le requérant reçut, en
l'espace d'une semaine, soit les 14, 15 et 22 juin
1988, trois rapports de rendement visant respecti-
vement les périodes septembre 1985—août 1986,
septembre 1986 janvier 1987 et mars 1988—juin
1988. Ces rapports, dont deux sont en tous points
identiques, indiquaient, pour la première fois de sa
carrière, un rendement inférieur aux exigences
requises. Deux de ces rapports avaient été préparés
par le chef Authier.. Aucun d'eux n'avait été
soumis au comité de révision, contrairement aux
rapports favorables que le requérant avait reçus
jusqu'en septembre 1985. Des «résumés de l'éva-
luation du rendement» du requérant étaient joints
à ces rapports, mais ces résumés n'étaient ni datés
ni signés.
Sur réception du troisième rapport, le 22 juin
1988, le Ministère retirait immédiatement et sans
autre avis au requérant ses fonctions de chef
d'équipe et lui assignait des fonctions de simple
pompier. Le 27 octobre 1988, le Ministère l'avisait
de sa décision de recommander sa rétrogradation
au poste de pompier en raison de son incompétence
à accomplir les fonctions de surveillance de son
poste de capitaine. Le requérant en appelait alors
de cette décision. Le 18 novembre 1988, le supé-
rieur du requérant, dans un rapport d'appréciation,
concluait que son rendement correspondait aux
exigences requises pour la fonction de pompier.
Le 19 avril 1989, six jours avant l'audition de
l'appel relatif à la recommandation de rétrograda-
tion et sans autre explication ni avertissement, le
Ministère se ravisait et informait le requérant que
la recommandation de rétrogradation était modi-
fiée et remplacée par une recommandation de
renvoi. Le 25 avril 1989, lors de l'audition de
l'appel, le Comité d'appel refusait l'amendement et
suggérait au Ministère de recommencer à zéro, ce
que le Ministère fit aussitôt en transmettant au
requérant, le 27 avril 1989, un avis daté de la veille
l'informant officiellement de la décision prise de
recommander son renvoi de la fonction publique
pour «incompétence à accomplir les fonctions du
poste de (capitaine)». Ce même 27 avril 1989, dans
un document plus étoffé dont le requérant ne reçut
pas copie, le Ministère transmettait à la Commis
sion de la fonction publique sa recommandation de
renvoi'.
' Les extraits pertinents de ce document se lisent comme suit:
Motifs de la recommandation:
Monsieur Dansereau occupe son poste actuel depuis le 6
février 1975. Les trois (3) derniers rapports d'appréciation
préparés à son égard démontrent un rendement insatisfaisant
(copies déjà en votre possession). Les rapports couvrent les
périodes du ler sept. 1985 au 30 août 1986, de sept. 1986 au
31 janvier 1987, et du 25 mars 1988 au 22 juin 1988.
Les rapports révèlent que:
— M. Dansereau n'assume pas sa responsabilité de diriger
et surveiller les activités quotidiennes de son équipe;
— M. Dansereau est incapable de diriger et donner des
cours de formation;
— durant une courte période de 5 semaines et demie, il est
arrivé un incident où M. Dansereau a fait des erreurs
graves, mettant en cause la sécurité de ses employés;
— aucune amélioration du rendement de M. Dansereau ne
fut reflétée depuis les rapports d'évaluation précédents
où son rendement était inférieur aux exigences requises
par le poste.
— quoique celui-ci atteint un niveau de rendement accepta
ble du côté technique, M. Dansereau démontre des
problèmes d'intégration et de relations interpersonnelles
avec ses collègues. Il crée ainsi un climat de travail
pouvant compromettre sa sécurité et celle des autres
pompiers dans l'équipe.
Face à cette situation, nous n'avons d'autre alternative que
de recommander son renvoi et ce, en vertu de l'article 31 de
la Loi sur l'emploi de la Fonction publique (sic). Monsieur
Dansereau fut informé de notre décision et de son droit d'en
appeler de celle-ci le 26 avril 1989 (copie de la lettre
ci-jointe) et nous joignons à la présente copie, un accusé de
réception attestant que la lettre aurait été livrée en main
propre à Monsieur Dansereau le 27 avril 1989.
Le requérant en a appelé à un Comité d'appel de
la décision de recommander son renvoi. Le Comité
d'appel, dans la décision attaquée devant nous, a
confirmé la recommandation de renvoi.
LES ARGUMENTS
Le requérant a soumis plusieurs motifs de révi-
sion, que je regrouperai comme suit:
1. le Comité d'appel aurait erré en droit en
statuant que l'absence d'avertissement ne ren-
dait pas par le fait même arbitraire ou abusive
la recommandation de renvoi;
2. le Comité d'appel aurait erré en droit en
prenant en considération des faits et des inci
dents survenus avant septembre 1985, alors que
le rendement du requérant n'avait jusqu'alors
jamais été remis en question par l'employeur;
3. le Comité d'appel aurait fondé sa décision sur
des conclusions de faits erronées et sans tenir
compte des éléments de preuve devant lui, en ne
statuant pas que l'employeur du requérant avait
agi de mauvaise foi en recommandant son
renvoi;
et, dans l'hypothèse où aucun de ces trois
moyens n'était retenu:
4a) le Comité d'appel aurait outrepassé sa com-
pétence en entérinant la recommandation de
renvoi en l'absence de toute preuve indiquant
que le requérant était incompétent comme pom-
pier, poste qu'il occupait au moment de la
recommandation;
4b) le Comité d'appel aurait refusé d'exercer sa
compétence en refusant d'exercer la discrétion
que lui conférerait l'alinéa 31(3)b) de la Loi et
de suggérer de transformer la recommandation
de renvoi en une recommandation de rétrogra-
dation.
1. L'absence d'avertissement
Le Comité d'appel a reconnu, dans sa décision,
que le requérant n'avait jamais été formellement
prévenu d'une possibilité de renvoi s'il n'améliorait
pas son rendement. Pis encore, non seulement le
requérant n'a-t-il jamais été informé, avant juin
1988, que son rendement ne rencontrait pas les
exigences de son poste, mais de plus avait-il tou-
jours été informé jusque-là que son rendement
était satisfaisant.
C'est là, de soutenir le procureur du requérant,
un vice fatal à la recommandation de renvoi, et il
appuie sa prétention sur l'affaire Dickinson c.
ministère du Revenu national (Impôt) 2 , où un
Comité d'appel, force jurisprudence et pratique
gouvernementale à l'appui, avait conclu ce qui suit
[aux pages 164à 177]:
La seule question à considérer consiste à. déterminer si M.
Dickinson avait reçu ou avait le droit de recevoir un avis
concernant l'intention du sous-chef de recommander sa rétro-
gradation pour incompétence.
Comme nous l'avons déjà vu, le seul argument de l'appelant,
hormis son témoignage principal selon lequel certains éléments
de l'évaluation de travail étaient erronés, concernait le fait que
le ministère avait fait preuve de mauvaise foi devant cette
recommandation, car il ne lui avait pas signalé les problèmes,
ce qui lui aurait donné l'occasion de se reprendre, et ne l'avait
pas averti des conséquences éventuelles.
Le point crucial, cependant, concerne l'avertissement qui
touche le coeur même du principe de la justice élémentaire. Il
est vrai que la présente enquête prévoit que l'appelant a le droit
absolu d'être entendu et que la question de son potentiel ne
relève pas du présent comité d'enquête. Néanmoins, le fait
d'avertir un employé des conséquences qu'il encourt s'il conti
nue à agir de façon inacceptable représente plus qu'une forma-
lité ou qu'une politesse dont on en fait [sic] profiter que les
employés appréciés par ailleurs; c'est un principe de justice
élémentaire. Le ministère a reconnu que normalement, on sert
ce genre d'avertissement que l'on fait suivre d'une période au
cours de laquelle le travail est contrôlé, mais il a soutenu que
dans des circonstances extraordinaires comme en l'espèce, il
fallait déplacer l'appelant malgré que cet avertissement n'avait
pas été donné au préalable. Or, je ne vois pas de circonstances
extraordinaires. En fait, je trouve particulièrement troublant de
constater l'incohérence entre cette allégation d'une part et le
fait que le ministère ait attendu depuis la première semaine de
décembre jusqu'à la troisième semaine de janvier pour consta-
ter que les circonstances qu'il connaissait parfaitement début
décembre justifiaient le renvoi fin janvier. Une telle période,
soit de sept à huit semaines, aurait tout aussi bien pu servir de
période d'avertissement au cours de laquelle on aurait exposé
ses faiblesses à l'appelant en lui faisant comprendre que s'il ne
les surmontait pas avant la fin de la période, sa rétrogradation
serait recommandée.
J'estime qu'il incombe à l'employeur de donner à l'employé un
avertissement clair et sans équivoque des conséquences qu'il
encourt s'il continue à accomplir son travail d'une façon non
satisfaisante et spécifiée.
Dans le domaine des relations employeur-employé, l'importance
fondamentale de ces avertissements est reconnue depuis
longtemps ...
2 [1987] DCA [8-1] 162.
Comme on peut le voir dans ce qui précède, il est essentiel, dans
le champs [sic] des relations de travail, de donner un avertisse-
ment sans équivoque avant de prendre des mesures comme la
rétrogradation ou la destitution; il s'agit également, d'après
mon expérience, d'une pratique universelle dans la Fonction
publique fédérale. Je ne connais aucun cas d'application de
l'article 31 où ce genre d'avertissement n'a pas été donné, et
dans les appels du même genre que j'ai entendus et auxquels
participait ce ministère en général, et M. Ladd et Mme Brown
en particulier, l'employé a toujours reçu ce genre d'avertisse-
ment, comme le ministère l'a d'ailleurs reconnu. Encore une
fois, je ne vois aucune circonstance pressante ou extraordinaire
justifiant le fait de pas avoir donné cet avertissement en
l'espèce.
Que le fait de donner cet avertissement, même s'il s'agit d'une
obligation imposée par l'usage ou des principes fondamentaux
de justice du droit commun, constitue ou non une «directive
légale ou juridique» comme il est exposé dans Ahmad, il est
certain que le fait de ne pas le donner constitue une «preuve de
mauvaise foi de la part de ceux dont les observations et le
jugement sont en cause». Rappelons que l'appelant n'a jamais
eu connaissance des renseignements sur lesquels se fondait le
ministère pour recommander sa rétrogradation et qu'il n'a pas
été averti des conséquences qu'il encourait s'il ne remédiait pas
à la situation. Je ne veux pas dire ici que l'appelant avait droit à
une enquête avant la formulation de cette recommandation,
mais plutôt qu'il avait le droit d'être avisé du danger qu'il
courait. Ainsi, même si la preuve dans son ensemble ne dément
pas la thèse de l'incompétence, on en sait pas [sic] quel aurait
été le résultat si l'appelant avait été traité de façon juste et
raisonnable, c'est-à-dire si on l'avait averti clairement et sans
équivoque des problèmes décelés, d'autant plus qu'il s'agissait
surtout de problèmes d'attitude et des conséquences qui s'y
rattachaient.
Le Comité d'appel a refusé de suivre, en l'es-
pèce, la décision Dickinson et a rejeté l'argument
du requérant dans les termes suivants:
Je respecte l'opinion que mon collègue peut avoir sur le sujet,
mais je ne suis pas persuadé, pour ma part, que le seul défaut
d'avoir prévenu un employé d'une possibilité de renvoi s'il ne
s'améliorait pas permette d'annuler une décision de renvoi pour
incompétence par ailleurs bien fondée. Évidemment, il faut
s'assurer que l'employé n'est réellement pas en mesure de bien
faire ce qu'on attend de lui, et la mise en demeure peut parfois
être un des moyens importants mis en branle pour vérifier si le
problème de rendement identifié n'en serait pas un de discipline
plutôt que d'inaptitude. Il m'apparaît toutefois possible de
porter un jugement raisonnablement bien fondé sur l'incompé-
tence d'un employé sans le recours à cette mise en demeure.
Il n'est pas clair si, dans Dickinson, l'employé
congédié avait eu recours à l'argument d'absence
d'avertissement de façon directe—cette absence
vicierait en elle-même la décision—ou de façon
indirecte—cette absence établirait la mauvaise foi
de l'employeur, laquelle vicierait la décision de ce
dernier. Dans le cas présent, le procureur du
requérant, si j'ai bien compris ses prétentions, mise
sur les deux tableaux.
La présence de deux orientations dont aucune ne
serait manifestement déraisonnable mais qui
seraient l'une et l'autre difficilement conciliables,
au sein d'un même tribunal administratif, relative-
ment à une question aussi fondamentale que celle
de l'obligation du gouvernement employeur de
donner un avertissement à un employé avant de le
congédier pour cause d'incompétence, n'est pas des
plus saines en termes d'administration de la justice
et constitue une invitation à trancher le débat que
ne saurait refuser un tribunal exerçant, comme
nous le faisons en l'espèce, un pouvoir de surveil
lance et de contrôle 3 .
Avec déférence, j'estime que l'approche privilé-
giée dans l'affaire Dickinson devrait, dans ses
grandes lignes, être suivie de préférence à celle
retenue en l'espèce.
Outre la jurisprudence citée dans l'affaire Dic-
kinson, il y a lieu, en effet, de consulter celle citée
par David Harris 4 , qui établit la règle générale
qu'à moins de circonstances extraordinaires ou
pressantes, un avertissement doit être donné à un
employé avant qu'il ne puisse être congédié pour
cause d'incompétence. L'obligation de donner un
tel avertissement se fait encore plus impérative
lorsque l'employé en question exerce ses fonctions
depuis nombre d'années. Les mêmes principes ont
été dégagés par la jurisprudence québécoises.
Bien que développés dans un cadre non-gouver-
nemental, je suis d'avis que ces principes sont
également applicables dans les cas de renvoi pour
cause d'incompétence de la fonction publique fédé-
rale, et ce quelle que soit la nature juridique
précise des relations entre l'employeur-gouverne-
ment et l'employé-fonctionnaire. Le gouvernement
fédéral, tel qu'il appert de l'affaire Dickinson, met
lui-même ces principes en pratique lorsqu'il congé-
die un employé pour cause d'incompétence.
3 Voir: Produits Pétro-Canada Inc. c. Moalli, [1987] R.J.Q.
261 (C.A.) aux p. 266-268; Re Service Employees Internatio
nal Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home et
al. and two other applications (1984), 48 O.R. (2d) 225 (C.A.)
et (1983), 44 O.R. (2d) 392 (C. Div.), à la p. 399.
^ Wrongful Dismissal, Toronto, De Boo, 1990 aux p. 3-138
et seq.
5 E. A. Aust, Le contrat d'emploi, Cowansville, Yvon Biais
Inc., 1988 la p. 91; G. Audet et R. Bonhomme, Le congédie-
ment en droit québécois, 2' éd., Cowansville, Yvon Biais Inc.,
1988à la p. 51.
Aussi, je conclus sur ce point, pour les fins du
présent dossier, que lorsqu'un employé qui a exercé
les mêmes fonctions pendant plusieurs années
reçoit de façon constante des rapports de rende-
ment satisfaisants et n'est l'objet d'aucune critique
sérieuse de la part de son employeur, il se dégage
une présomption qu'il a la compétence voulue pour
exercer lesdites fonctions et l'employeur, sauf cir-
constances extraordinaires ou pressantes, ne sau-
rait le congédier pour cause d'incompétence à
moins qu'il ne l'ait informé des lacunes qui lui sont
reprochées, qu'il ne lui ait donné la possibilité de
les corriger et qu'il ne lui ait indiqué les dangers de
congédiement auxquels il s'exposait s'il ne les cor-
rigeait pas. Chaque cas, bien sûr, en sera un
d'espèce et le type d'avertissement ainsi que la
période de correction varieront au gré des circons-
tances 6 . Dans le cas présent, le requérant, fort de
rapports de rendement satisfaisants et d'une car-
rière jusque-là sans reproches sérieux dans des
fonctions qu'il occupait depuis plus de dix ans,
aurait dû, à moins de circonstances extraordinaires
ou pressantes, recevoir un avertissement avant
d'être congédié, et le Comité d'appel a erré en
droit en ne jugeant pas pertinent ce défaut d'aver-
tissement ou en ne se demandant pas si des cir-
constances extraordinaires ou pressantes pouvaient
le justifier.
Par ailleurs, je ne crois pas qu'un défaut d'aver-
tissement fasse en lui-même preuve de mauvaise
foi, mais je crois que ce défaut, combiné à d'autres
éléments, pourrait servir à démontrer que l'em-
ployeur n'était pas de bonne foi, si tant est que
cette démonstration doive être faite lorsque le
défaut d'avertissement vicie en lui-même une déci-
sion de congédier pour cause d'incompétence.
2. Le recours à des incidents antérieurs
Le procureur du requérant soumet que l'intimé
a erré en droit en prenant en considération des
faits et des incidents survenus antérieurement à
septembre 1985, puisque le rendement du requé-
rant n'avait jusqu'alors jamais été remis en ques-
6 L'arrêt de cette Cour dans Hailé c. Bell Canada (1989), 99
N.R. 149, prononcé dans le context différent d'une plainte pour
congédiement injuste déposée en vertu de l'article 242 du Code
canadien du travail, signifie, à mon avis, non pas qu'un avertis-
sement, règle générale, n'est pas nécessaire, mais qu'il n'existe
pas de formule-type et qu'un employeur n'a pas à suivre «à la
lettre la procédure de congédiement décrite dans ses directives
internes».
tion par l'employeur et avait au contraire toujours
été jugé satisfaisant. C'est, en quelque sorte, une
forme d'estoppel, de fin de non-recevoir qui est
opposée au Ministère intimé.
Cette prétention s'appuie sur les conclusions
auxquelles en arrive David Harris'. après une revue
de la jurisprudence pertinente. Mais s'il est exact,
comme le constate Harris, que
[TRADUCTION] Un principe fondamental veut que l'em-
ployeur qui accepte sciemment une certaine norme de mauvaise
conduite est considéré la tolérer, et qu'il ne peut par conséquent
l'invoquer comme motif de renvoi.
il est également exact, comme il le souligne lui-
même plus loin, que
Même s'il est démontré que l'on a pardonné la mauvaise
conduite, celle-ci devient pertinente plus tard s'il était démontré
qu'elle s'est manifestée de nouveau. L'absolution est toujours
assujettie à la condition implicite d'un amendement durable.
Je ne crois pas, en effet, qu'on puisse voir dans un
rapport de rendement favorable une absolution de
tous les gestes qui auraient pu être reprochés à
l'employé au cours de la période visée par le
rapport et qui n'ont fait l'objet d'aucun reproche
particulier. Ce serait là donner à des rapports de
rendement une importance et une finalité démesu-
rées. Qu'un rendement ait été dans son ensemble
satisfaisant, qu'aucun reproche précis n'ait été
adressé, ne signifient pas qu'il ne se soit pas glissé
quelque geste non alors digne de mention qui ne
puisse avec le temps et la survenance de gestes
subséquents prendre une toute autre dimension.
Lorsque, par exemple, la décision de congédier un
employé est prise en raison d'une accumulation de
gestes qui, pris isolément, ne justifieraient pas un
renvoi ni même, au départ, une mention dans un
rapport de rendement, ce serait rendre le fardeau
de l'employeur impossible que de l'empêcher de
faire la preuve de gestes antérieurs au motif qu'il
n'avait pas alors congédié l'employé ou qu'il n'en
avait pas fait état dans ses rapports de rendement
précédents. L'incompétence, quand elle est cause
de renvoi, se manifeste rarement d'un seul coup, et
de même un employé de longue date a-t-il généra-
lement le droit, comme je le concluais plus haut,
d'être informé de ses lacunes avant d'être congé-
dié, de même l'employeur devrait-il avoir le droit
de retracer des incidents devenus pertinents dans le
dossier de l'employé, du moins dans un passé pas
7 Supra, note 4 aux p. 3-159 et s.
trop lointain. Empêcher systématiquement un
Comité d'appel de remonter dans le temps„ équi-
vaudrait à mettre à l'abri de toute décision de
renvoi pour cause d'incompétence l'employé dont
l'incompétence, et ce sera généralement le cas, se
manifeste ou prend forme graduellement:
Cela dit, l'employeur n'en peut pas moins, par
ses propres agissements au moment du congédie-
ment, renoncer à recourir à un passé plus lointain
et établir contre lui-même une fin de non-recevoir.
En l'espèce, dans la recommandation de renvoi
qu'il adressait à, la Commission de la fonction
publique, le 27 avril 1989, l'employeur a de lui-
même restreint ses motifs d'incompétence à ceux
qui apparaissaient dans les rapports de rendement
visant la période écoulée depuis septembre 1985.
Par le silence qu'il a alors gardé relativement à des
incidents qui se seraient produits antérieurement à
septembre 1985, l'employeur renonçait à déterrer
dans la conduite antérieure de son employé des
éléments justificatifs de sa décision de renvoi, et le
Comité d'appel a erré en droit en permettant à
l'employeur, lors de l'audition de l'appel, de faire
la preuve d'incidents survenus avant septembre
1985.
3. La mauvaise foi
Cette Cour, dans l'arrêt Ahmad', exprimait
l'opinion qui suit:
Qu'une personne soit compétente ou incompétente pour un
poste est une question d'opinion; en l'absence de directives
juridiques spéciales, tout ce qu'on peut légalement demander à
ce sujet est que l'opinion ait été formée d'une manière honnête
et que, au départ au moins, elle soit fondée sur l'observation par
les supérieurs hiérarchiques de la personne dont la compétence
est mise en question, de la façon dont cette dernière remplit ses
fonctions ... A mon avis, en l'absence
b) de la preuve de mauvaise foi de la part de ceux dont les
observations et le jugement sont en cause,
un comité de révision établi conformément à l'article 31 ne
pourrait pas à bon droit décider qu'il ne doit donner aucune
suite à une recommandation d'un sous-chef ... [Mes
soulignements.]
La mauvaise foi de l'employeur ne se présume
pas et l'employé qui cherche à en faire la preuve
entreprend une tâche particulièrement difficile. Ce
n'est pas, en soi, chez un employeur, signe de
mauvaise foi que de monter un dossier contre un
8 Ahmad c. La Commission de la Fonction publique,
[1974] 2 C.F. 644, aux p. 646 et 647.
employé et de préparer de longue date un congé-
diement. Ainsi que le souligne à juste titre le
Comité d'appel, «ce n'est pas de la mauvaise foi ou
de la discrimination que de chercher à évincer de
ses fonctions un employé que l'on n'estime pas
compétent à les exercer». Encore faut-il, toutefois,
que le dossier soit monté «de manière honnête» et
sans «mauvaise foi de la part de ceux dont les
observations et le jugement sont en cause».
Ayant échoué devant le Comité d'appel dans sa
tentative d'établir la mauvaise foi de l'employeur,
le requérant avait fort à faire pour convaincre
cette Cour qu'elle pouvait remettre en question la
décision du Comité d'appel. Je n'ai pas à rappeler
notre réticence viscérale à intervenir sur des ques
tions d'appréciation des faits. Dans l'exercice du
pouvoir de révision et d'annulation que nous con-
fère l'alinéa 28(1)c) de notre Loi constitutive»,
nous n'interviendrons que
... lorsque l'erreur commise dans l'appréciation du, dossier
soumis est si lourde qu'elle ne constitue pas seulement une
erreur de jugement quant à l'effet d'une preuve marginale, mais
un tel mépris des éléments de preuve présentés à la Cour que
cela revient à une erreur de droit ou porte à conclure qu'on a
fait application d'un principe erroné, ... 10
Après un examen minutieux de la décision du
Comité d'appel et des pièces au dossier, j'en arrive
à la conclusion, pour les raisons qui vont suivre,
que la prétention du requérant est bien fondée et
que le dossier est tissé d'éléments de mauvaise foi
si nombreux et si manifestes que le Comité d'appel
ne pouvait sans commettre une lourde erreur con-
clure, comme il l'a fait, à l'absence de mauvaise
foi.
» 28. (1) ... la Cour d'appel est compétente pour les deman-
des de révision et d'annulation d'une décision ou ordonnance
... rendue par un office fédéral ou à l'occasion de procédures
en cours devant cet office au motif que celui-ci, selon le cas:
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments dont il dispose.
1° L'État portoricain c. Hernandez, [1973] C.F. 1206 (C.A.),
à la p. 1208, M. le juge Thurlow [tel était son titre]. Cet arrêt a
été infirmé, mais pour d'autres motifs, à [1975] 1 R.C.S. 228
[Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez]. Les propos
cités ont été repris par cette Cour, notamment dans Mojica c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1
C.F. 458, la p. 461. Voir aussi Banque canadienne impériale
de commerce c. Rifou, [ 1986] 3 C.F. 486, la p. 497.
Le Comité d'appel n'a nulle part fait état, dans
sa décision, de la lettre du 29 avril 1989 que j'ai
reproduite à la note 1. Cette lettre, pourtant, est
déterminante à plus d'un égard. Elle restreint les
motifs de la recommandation à ceux énoncés dans
les trois derniers rapports de rendement; elle n'in-
forme pas la Commission de la fonction publique
que ces trois rapports ont été préparés en l'espace
d'une semaine et que le premier de ces rapports n'a
été remis au requérant qu'environ deux ans après
la période visée; elle reproche au requérant de
n'avoir pas amélioré son rendement en fonction de
rapports qui ne lui avaient pas été remis; elle
n'informe pas la Commission du fait qu'actuelle-
ment le requérant accomplit un travail satisfaisant
dans le poste de simple pompier; elle indique à la
Commission qu'il n'existe aucune autre alternative
que le renvoi, alors que sur la foi d'exactement les
mêmes documents, donc pour les mêmes motifs, la
rétrogradation plutôt que le renvoi était la solution
encore retenue huit jours plus tôt.
Devant les rapports de rendement antérieurs à
septembre 1985, qui concluaient que le rendement
du requérant répondait à toutes les exigences, le
Comité d'appel ne pouvait pas conclure, comme il
l'a fait à plusieurs reprises, que < span> problèmes de
compétence de l'appelant n'ont pas commencé avec
son accusation, mais bien avant», que «ce qui pré-
cède montre, à mon avis, que bien avant les accu
sations de l'appelant au criminel le Ministère était
préoccupé par ses problèmes de performance et de
compétence», qu'ail est clair pour moi que dès
avant les démêlés judiciaires de l'appelant ses
supérieurs doutaient sérieusement de sa compé-
tence». Nulle part, dans cette partie de sa décision
qui constitue son appréciation de la preuve, le
Comité d'appel n'a-t-il fait référence à ces rap
ports de rendement.
Devant la preuve que le supérieur du requérant,
le chef Authier, espérait qu'il ne reprenne plus le
travail à la caserne et que deux des rapports de
rendement défavorables au requérant, après son
retour au travail, avaient été préparés par ce même
chef Authier, le Comité d'appel ne pouvait pas
conclure qu'ail s'agit en l'espèce de personnes dont
l'honnêteté foncière n'a pas été mise en doute et au
jugement desquelles on devait normalement pou-
voir se fier, et on n'a fait valoir aucun motif
expliquant pourquoi dans ce cas elles auraient pu
être portées à fausser leur appréciation de la
réalité».
Par ailleurs, le Comité d'appel a erré en se
fondant sur les arrêts de cette Cour dans R. c.
Larsen" et Le procureur général du Canada c.
Loiselle' 2 , pour refuser de tirer quelque conclusion
que ce soit de la façon dont le Ministère a évincé le
requérant de son poste. Ce que ces arrêts ont
décidé, c'est, dans Larsen, qu'un Comité d'appel
ne pouvait substituer une recommandation de
rétrogradation à une recommandation de renvoi et,
dans Loiselle, qu'un Comité d'appel ne pouvait
imposer à un sous-chef, avant de recommander le
renvoi d'un employé incompétent, l'obligation de
considérer sérieusement la possibilité d'une muta
tion plutôt que d'un renvoi. Dans le cas présent,
l'une des questions que devait se poser le Comité
d'appel était la suivante: l'employeur ayant fait ce
qu'il a fait et étant par hypothèse en droit de faire
ce qu'il a fait, l'a-t-il fait de bonne foi? Ce n'est
pas, contrairement à ce que soutient le Comité
d'appel, «s'immiscer dans la question de savoir si le
Ministère aurait pu le rétrograder plutôt que le
renvoyer» ni «se mêler de la façon dont le Minis-
tère entend disposer du fonctionnaire évincé», que
de se demander si le Ministère, ayant d'abord
rétrogradé le requérant dans un poste à l'égard
duquel il le jugeait compétent, s'étant ensuite
ravisé à quelques jours de l'audition de l'appel
relatif à la rétrogradation et l'ayant alors congédié
pour les mêmes motifs que ceux qui l'avaient
amené à le rétrograder, a fait preuve, ce faisant, de
mauvaise foi.
À l'audience, le procureur des intimés a soutenu
que la décision de congédier plutôt que de rétro-
grader avait été prise en raison d'événements qui
se seraient produits le 17 novembre 1988. Or, le 18
novembre 1988, un rapport spécial était préparé
sur le rendement du requérant dans ses fonctions
de pompier, et ce rapport, favorable au requérant,
ne faisait même pas état de ces événements. L'em-
ployeur n'a d'ailleurs pas expliqué pourquoi il
aurait attendu jusqu'en avril 1989 avant de décider
de congédier sur la base d'événements survenus en
novembre 1988.
" [1981] 2 C.F. 199 (C.A.).
12 [1981] 2 C.F. 203 (C.A.).
En l'espèce, de par les agissements du Ministère,
le requérant se trouve dans une situation bien
curieuse. S'il n'en avait point appelé de la recom-
mandation de rétrogradation, il serait encore au-
jourd'hui un pompier à l'emploi du Ministère.
Comme il en a appelé, et comme le Ministère a
contré cet appel par une recommandation de
renvoi, le requérant se retrouve aujourd'hui privé
et de son poste de capitaine et de ses fonctions de
pompier, même si son rendement, dans ces derniè-
res fonctions, a été jugé satisfaisant par l'em-
ployeur qui ne l'en prive pas moins. C'est là,
sûrement, un fait sur lequel le Comité d'appel
aurait dû se pencher.
De plus, quand on fait le bilan des constatations
suivantes: le changement d'attitude du Ministère
relativement à la compétence du requérant dès que
sont portées contre lui des accusations criminelles
à l'égard desquelles son supérieur immédiat et de
nombreux collègues de travail souhaitaient qu'il
fût reconnu coupable; la tentative déguisée d'ex-
pertise psychiatrique; la préparation subite, à quel-
ques jours d'intervalle, de trois rapports de rende-
ment défavorables dont aucun n'a fait l'objet de
révision, dont deux sont en tous points identiques
et qui couvrent une période de près de trois années;
la rétrogradation subite et sans avertissement dès
réception du troisième rapport; la modification
subite et inexpliquée, six jours avant l'audition de
l'appel relatif à la rétrogradation, de la recomman-
dation de rétrogradation en une de renvoi, et ce sur
la base des mêmes documents et motifs; l'absence
de tout avertissement relativement au renvoi; la
preuve de la compétence du requérant dans le
poste où on a d'abord voulu le rétrograder; le
recours, lors de l'audition devant le Comité d'ap-
pel, à des événements d'un passé lointain dont le
requérant n'avait jusque-là jamais été informé;
l'envoi à la Commission de la fonction publique, à
l'insu du requérant, pour justifier la recommanda-
tion de renvoi, d'une lettre dont la teneur n'est pas
des plus conforme à la réalité . .., force est de
conclure que le Comité d'appel a fondé sa conclu
sion d'absence de mauvaise foi sur des conclusions
de fait erronées et sans tenir compte des éléments
de preuve devant lui.
4. L'excès de compétence ou le refus d'exercer
compétence
Vu la conclusion à laquelle j'en arrive relative-
ment aux trois premiers moyens du requérant, il ne
m'est pas nécessaire de me pencher sur ce qua-
trième moyen.
DISPOSITIF
Pour ces motifs je suis d'avis que cette demande
faite en vertu de l'article 28 devrait être accueillie,
que la décision du Comité d'appel devrait être
annulée et que l'affaire devrait être renvoyée à un
Comité d'appel différemment constitué pour qu'il
procède, sur la base de la preuve déjà accumulée y
inclus les témoignages entendus et toute autre
preuve que le nouveau Comité pourrait juger utile,
à un nouvel examen qui tienne compte des motifs
de la présente décision.
MACGUIGAN, J.C.A.: J'y souscris.
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