T-2012-89
Jamal Saleh (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: SALEH C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Ottawa,
25 octobre et 14 novembre 1989.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition
— Visant à interdire à la Commission de l'immigration et du
statut de réfugié, section du statut de réfugié de poursuivre
l'enquête en raison des remarques du président à l'égard
d'articles de journaux produits en preuve — En raison du rejet
de la première demande d'ajournement, le procureur a allégué
qu'il y avait manquement à la justice naturelle et a exigé un
ajournement pour soumettre l'affaire à la Cour fédérale et
pour se rendre à une autre enquête prévue pour plus tard dans
la journée — Le président a refusé mais il a accordé un délai
d'une semaine pour produire une argumentation écrite plutôt
que de continuer la plaidoirie — Les circonstances ne sont pas
telles qu'il y a eu violation des droits du requérant — Le
président a répondu à la plainte en permettant la production
d'observations écrites — L'intervention de la Cour n'est pas
justifiée — Les droits du requérant ne sont pas irrémédiable-
ment compromis — L'art. 70 de la Loi sur l'immigration
permet à l'enquête de la section du statut de se dérouler
rapidement, avec souplesse et sans trop de formalisme
L'art. 70 permet de respecter le sens commun et la réalité des
choses pour contrebalancer le formalisme que la doctrine
pourrait créer dans les procédures administratives — Chaque
affaire est en quelque sorte un cas d'espèce — Les règles de
procédure administrative reflètent la doctrine de l'équité.
Immigration — Pratique — L'art. 70 de la Loi sur l'immi-
gration permet aux enquêtes de la Commission de l'immigra-
tion et du statut de réfugié, section du statut du réfugié, de
procéder avec souplesse, sans trop de formalisme et de façon
expéditive — L'art. 70 permet de tenir compte du sens
commun et de la réalité des choses pour contrebalancer le
formalisme que la doctrine pourrait créer dans les procédures
administratives.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), Appendice II, n° 44], art. 7, 24.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 46(3) (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 14), 70
(mod., idem, art. 18).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Singh et autre c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422;
12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 17; 58 N.R. 1; Gonzales
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2
C.F. 781; Re Patchett et al. and Law Society of British
Columbia et al. (No. 2) (1979), 101 D.L.R. (3d) 210;
[1979] 4 W.W.R. 534; 12 B.C.L.R. 82.
DÉCISIONS CITÉES:
Komo Construction Inc. et al. v. Commission des Rela
tions de travail du Québec et al., [1968] R.C.S. 172;
(1967), 1 D.L.R. (3d) 125; Arumugam c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration (1986), 72 N.R. 388
(C.A.F.); Le procureur général du Canada c. Lachapelle,
[1979] 1 C.F. 377; (1978), 91 D.L.R. (3d) 674 (P° inst.);
Plombelec Inc. c. Melançon, [1978] R.P. 31 (C.A. Qué.).
DOCTRINE
de Smith, Stanley A. Judicial Review of Administrative
Action, 3rd ed. London: Stevens & Sons Ltd., 1973.
AVOCATS:
Denis Buron pour le requérant.
Serge Frégeau pour l'intimé.
PROCUREURS:
Saint-Pierre et Buron, Montréal, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE JOYAU Les faits que soulève cette
requête pour l'émission d'un bref de prohibition
ainsi qu'un redressement en vertu de l'article 24 de
la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, n°
44]] ne sont pas contredits.
Ces faits reposent sur le texte d'un procès-verbal
à l'occasion d'une enquête devant la Commission
de l'immigration et du statut de réfugié, section du
statut de réfugié, qui se tenait à Montréal le 15
septembre 1989. Le requérant était alors un reven-
dicateur du statut de réfugié qui avait franchi le
seuil de crédibilité suite à une enquête de l'arbitre
sous le paragraphe 46(3) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52 (mod. par
L.C. 1988, chap. 35, art. 14)].
Le requérant, libanais d'origine, prétendait que
les risques à sa sécurité au Liban remplissaient les
exigences de la Convention des Nations-Unies sur
le statut de réfugié [28 juillet 1951, 189 N.U.R.T.
137]. En fait, d'après les informations au dossier,
le requérant se disait pris dans un conflit entre le
groupe Amal et le groupe Hezboullah, deux fac
tions libanaises qui se confrontaient régulièrement
dans ce pays.
À la suite d'un interrogatoire du requérant par
son procureur au sujet de cette situation, le prési-
dent du tribunal se permettait d'observer que le
conflit entre les forces Amal et Hezboullah avait
été succédé par une invasion des Syriens et un
conflit avec les Chrétiens.
Le président alors de suggérer au requérant qu'il
se serait produit une trêve entre ces deux groupes.
C'est à ce moment que le procureur du requérant
intervenait en disant: [TRADUCTION] «J'ai un
document qui contredira cette observation, M. le
président» et le président de répondre: «Eh bien,
vous pouvez déposer ce document.» Le président de
faire les commentaires suivants:
[TRADUCTION] Et il y a eu une unification générale ou un
effort commun avec les Syriens dans le conflit qui les oppose
aux forces chrétiennes libanaises dirigées par le général Aoun.
Ce n'est là qu'un commentaire général concernant la situation
telle qu'elle existe ces derniers temps au Liban.
C'est alors que le procureur du requérant mit en
preuve deux articles du quotidien The Gazette
datés du 8 et du 10 juillet 1989, afin de démontrer
que les conflits entre les groupes Amal et Hezboul-
lah persistaient.
Le président de répondre:
[TRADUCTION] D'accord, vos documents ont été déposés. Si
nous voulons nous fonder sur les articles parus dans la
Gazette, il y en a une série dans le numéro du 19 août qui
portait sur le conflit au Liban ... Ce sont donc là des
documents plus récents. Et les sources sur lesquelles j'ai
tendance à m'appuyer ne se limitent pas à la Gazette. C'est
tout ce que j'ai à dire sur ce point.
Le procureur du requérant demandait alors:
[TRADUCTION] «M. le président, je vous demanderai de
produire les éléments de preuve que vous présentez.»
Et le président de répondre:
[TRADUCTION] «Je n'ai rien à produire pour satisfaire vos
besoins.»
Le procureur s'obstinait et alors le président
ajoutait:
[TRADUCTION] Eh bien, j'ai cité l'article du 19 aôut par
courtoisie. Je répète, je n'ai rien à produire pour vous satis-
faire dans l'exercice de vos fonctions. Lorsque je parle de
documents qui sont connus, établis, et constituent des lieux
communs, il vous appartient en tant qu'avocat d'en prendre
connaissance. Cela met un terme à la discussion.
Par la suite, l'enquête se déroulait de façon
normale jusqu'à ce que le procureur du requérant
ait prévenu le tribunal qu'il devait demander un
ajournement [TRADUCTION] «Pour répondre aux
éléments de preuve qui ont été présentés aujour-
d'hui sans être produits», référant au contenu de
l'article du quotidien The Gazette du 19 août,
1989.
Plus tard, le président disait ceci:
[TRADUCTION] En ce qui concerne votre requête qui, si je vous
ai bien compris, vise à obtenir un ajournement pour vous
permettre de répondre aux commentaires que j'ai faits au sujet
d'éléments bien connus d'une situation, je n'en vois pas la
nécessité à ce stade. Votre requête en ajournement est donc
rejetée ... Je répète, je ne vois par la nécessité d'ajourner et de
retarder les procédures pour que vous puissiez répondre aux
commentaires généraux que j'ai faits.
Une lecture de ce qui précède peut bien indiquer
que les communications entre le président et le
procureur du requérant devenaient quelque peu
tendues comme en fait foi les propos suivants:
[TRADUCTION] Ainsi, M. le président, je dois maintenant
demander un autre ajournement pour deux raisons addi-
tionnelles. En premier lieu, et c'est la raison la plus
importante, le fait que vous m'empêchiez de répondre ou
de commenter ou d'analyser vos commentaires et sources
constitue un déni de justice naturelle; je sollicite un ajour-
nement afin de demander à la Cour fédérale du Canada de
décider si vous pouvez continuer à siéger dans la présente
affaire, à moins que vous ne changiez votre décision
antérieure.
En second lieu, mes services sont requis cet après-midi
dans une autre affaire qui a été reportée à aujourd'hui par
un arbitre de l'Immigration. Et il a indiqué qu'il me
demanderait de me présenter si j'étais disponible cet après-
midi. Je lui ai alors dit que j'avais une cause le matin mais
que je serais disponible l'après-midi. Dans les circons-
tances, j'ai l'intention de me présenter au 1200 Papineau à
13 h cet après-midi, ce qui ne me laissera pas le temps
d'exposer tous mes arguments avant de m'y rendre. Pour
toutes ces raisons, M. le président, je vous demanderai
d'ajourner la présente affaire, tel qu'indiqué, à moins que
vous ne révisiez votre décision antérieure en ce qui con-
cerne les commentaires; entretemps, je demanderai à la
Cour fédérale de vous récuser en l'espèce.
R. Maître, les commentaires que vous avez faits concernant le
déni de justice naturelle sont tout au moins fallacieux, et je
n'ai pas à y répondre. De sorte que ma décision, ma
décision originale demeure et il n'y aura pas d'ajourne-
ment. Quant à votre demande d'ajournement visant à vous
permettre d'aller sur Papineau ou ailleurs, vous devez
réaliser que lorsque vous acceptez de représenter un reven-
dicateur et de vous présenter devant ce tribunal, vous
assumez une responsabilité très importante. Et ce tribunal
est souverain et il a préséance sur le temps dont vous
disposez, de sorte que je ne vois aucune raison pour
laquelle je devrais ajourner pour vous permettre d'aller
là-bas. Cependant, en toute bonne foi, je vous permettrai
de soumettre vos arguments par écrit d'ici une semaine.
C'est alors que le président demandait à «l'agent
d'audience» de soumettre un sommaire des faits.
Quand celle-ci eut terminé, le procureur du requé-
rant se disait satisfait de son exposition.
Après une courte intervention de «l'agent d'au-
dience», le président invitait le procureur à soumet-
tre son argumentation. Je reproduis ici le texte
intégral:
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE (À
L'AVOCAT)
- Maître, comme je l'ai déjà dit, je suis disposé à vous
permettre de soumettre vos arguments par écrit pour vous
faciliter la tâche. Si vous acceptez cette proposition, vous
devez y donner suite d'ici le 22 septembre à midi. Nous
mettrons alors fin au débat.
R. Puis-je vous demander ce qui arrivera si je refuse?
- C'est une autre question fallacieuse de votre part. Vous
avez le choix de soumettre vos arguments dès maintenant
ou de le faire par écrit. Et lorsque vous invoquez la justice
naturelle pour défendre votre point de vue, si vous voulez
que ce tribunal et cette Commission vous prennent au
sérieux, vous devriez retirer ce commentaire et cette
question.
R. M. Hendricks, j'ai en ce moment beaucoup de difficultés à
vous prendre au sérieux.
- Me Buron, vous dépassez les bornes.
R. J'ai l'intention pour le moment d'accepter de produire des
arguments écrits, mais sous toutes réserves. Cela étant, je
vous informe qu'entretemps, je m'adresserai à la Cour
fédérale pour obtenir une nouvelle audience en l'espèce et
ce, sous toutes réserves une fois de plus; et autant que je
sache, ma preuve n'est pas encore close. Merci.
- Maître, vous avez jusqu'au 22 septembre à midi pour
soumettre vos arguments ou vous pouvez le faire dès
maintenant avant de quitter. C'est le choix que vous devez
faire.
R. Comme je l'ai dit, j'accepte de présenter une preuve écrite
telle que prescrite, sous toutes réserves.
- Bien!
Si je comprends bien la position du procureur du
requérant, il se sentait lésé par l'attitude du prési-
dent quand ce dernier lui rappelait l'existence d'un
autre article dans la Gazette qui semblait contre-
dire quelque peu les articles moins récents que le
procureur lui-même avait cités. Le procureur
adoptait alors une attitude contradictoire, accusait
le tribunal d'un manquement à la justice naturelle,
exigeait un ajournement et refusait de participer
au stage de l'argumentation.
Le procureur du requérant interprète tous ces
événements comme justifiant une intervention par
voie de bref de prérogative, afin de défendre au
tribunal de finir l'enquête, d'ordonner une nouvelle
enquête et d'exiger que celle-ci se tienne devant un
nouveau tribunal différemment composé.
Le requérant s'appuie sur l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés et cite l'arrêt de
la Cour suprême du Canada dans l'affaire Singh et
autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; où la Cour aurait
déterminé qu'un revendicateur du statut de réfugié
a droit à l'application des principes de justice
fondamentale dans la reconnaissance de son statut.
Ce qui veut dire que le système de procédure dans
une enquête du genre doit, au moins, offrir à la
personne qui revendique le statut de réfugié une
possibilité suffisante d'exposer sa cause et de
savoir ce qu'elle doit prouver.
Le requérant cite aussi l'arrêt de la Cour d'appel
fédérale dans l'affaire Gonzalez c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 781,
dans laquelle la Cour d'appel avait cassé une
décision de la Commission d'appel de l'immigra-
tion pour le motif que la Commission, dans cette
décision, s'était basée sur des renseignements
recueillis lors d'autres audiences devant le même
tribunal et se rapportant aux conditions qui exis-
taient dans le pays d'origine du revendicateur, soit
le Chili. Le juge Urie disait sur ce point, à la page
782:
Il ne s'agit pas de renseignements dont on pouvait, à l'occasion
de procédures devant un tribunal, prendre connaissance judi-
ciaire. Il ne s'agit pas non plus de renseignements généraux,
bien connus de la Commission et du public, du genre mentionné
dans l'affaire Maslej.
Sur la question des droits d'une personne à une
présence physique au cours d'une enquête et au
privilège de soumettre une argumentation orale, le
requérant s'appuie sur une décision de la Cour
supérieure de la Colombie-Britannique dans l'af-
faire Re Patchett et al. and Law Society of British
Columbia et al. (No. 2) (1979), 101 D.L.R. (3d)
210. Le juge Anderson, dans ses motifs, cite la
doctrine énoncée par de Smith, Judicial Review of
Administrative Action, (3e éd., 1973) à la page
177 et aussi celle du juge Pigeon dans l'arrêt
Komo Construction Inc. et al. v. Commission des
Relations de travail du Québec et al., [1968]
R.C.S. 172. À la lecture de tout ce qui est dit dans
ce jugement, il est clair que le droit à une partici
pation orale dépend des circonstances particulières
d'une enquête, du sujet traité, et des conséquences
en cause.
Pour que les principes de justice naturelle s'ap-
pliquent en l'espèce, il s'agit avant tout de détermi-
ner si les événements particuliers qui se sont
déroulés au cours de l'enquête du requérant sont
de nature à léser ses droits de façon à justifier
l'intervention de la Cour.
Les modifications de la Loi sur l'immigration,
entrée en vigueur le le` janvier de cette année,
prévoient le genre de procédures que le tribunal
doit respecter au cours d'une enquête. Je cite
l'article 70 [mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 18]
qui se lit comme suit:
70. (1) La section du statut siège au Canada aux lieux, dates
et heures choisis par le président en fonction de ses travaux.
(2) Dans la mesure où les circonstances et l'équité le permet-
tent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec
célérité.
(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou
techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les
éléments qu'elle juge dignes de foi en l'espèce et fonder sur eux
sa décision.
(4) La section du statut peut admettre d'office les faits ainsi
admissibles en justice de même que, sous réserve du paragraphe
(5), les faits généralement reconnus et les renseignements ou
opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
(5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d'office en
justice, la section du statut informe le ministre, s'il est présent à
l'audience, et la personne visée par la procédure de son inten
tion d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions et
leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet
égard.
Une lecture de cette disposition nous permet de
prévoir qu'au cours de toute enquête, il se peut
qu'interviennent certains moments où les règles
strictes de procédure ou de preuve doivent faire
place au sens commun et à la réalité des choses.
Une intervention par un membre d'un tribunal et
qui d'apparence serait inopportun ne soulève pas
nécessairement un tel déni de justice que les droits
d'une personne soient pour toujours lésés et donne-
rait lieu ipso facto à une intervention judiciaire. Il
faut tenir compte du contexte dans lequel les
événements se passent et de l'aspect dynamique
qui entoure toute l'enquête.
Les commentaires du président se livrent à deux
interprétations. La première de celles-ci serait de
lui accorder un sens plutôt insignifiant et ne por-
tant pas de conséquences graves. Ces commentai-
res venaient à la suite de la preuve soumise par le
procureur du requérant par voie de certains arti
cles de la Gazette les 8 et 10 juillet 1989 touchant
les événements au Liban. Une référence à l'article
du 19 août 1989 serait moins un élément de preuve
contradictoire qu'une indication au procureur que
les articles du quotidien en ce qui concerne les
événements au Liban n'ont pas tellement de force
probante ou, encore, qu'un article de journal en
vaut l'autre. Ce serait une sorte d'avertissement au
procureur qu'il devrait hésiter à fonder sa cause et
son argumentation sur les articles du mois de
juillet et qu'il serait donc sage qu'il prenne con-
naissance des articles plus récents. C'est bien le
sens qu'on pourrait donner aux paroles du prési-
dent qui disait [TRADUCTION] «Si nous voulons
nous fonder sur les articles parus dans la
Gazette...» laissant sous-entendre au procureur
qu'il ne devrait pas trop se fier sur ces articles.
Dans ce contexte, il serait difficile de conclure
que l'intervention du président constitue une
entrave aux droits du requérant. Ce serait dire que
la pièce de théâtre, qu'en aurait fait par la suite le
procureur, serait toute montée et de beaucoup
dénuée des réalités.
L'autre interprétation en serait une plus défavo-
rable au président. Ce serait en quelque sorte
admettre le bien fondé de la réaction du procureur
et de conclure qu'il s'agit bien d'un élément de
preuve lancé à l'enquête par le président qui refuse
par la suite de produire la documentation à l'ap-
pui. Qu'importe que la prétention du président
était qu'il était de la responsabilité du procureur
d'en prendre connaissance ou qu'à tout événement
l'article en question était de connaissance judi-
ciaire, il y aurait eu un manquement à la justice
naturelle en ce que le requérant n'aurait pu pren-
dre connaissance de la preuve contre lui et n'aurait
pas eu l'occasion de la contredire.
D'autres choses, cependant, se sont déroulées au
cours de l'enquête. Comme en fait foi le procès-
verbal, le procureur devait demander un ajourne-
ment non seulement pour obtenir une preuve con-
tradictoire mais aussi pour lui permettre de se
rendre à une autre enquête prévue pour plus tard
dans la journée. Le texte du procès-verbal raconte
l'histoire des interlocutions de part et d'autre. À
mon avis, la décision prise par le président de
permettre au procureur de produire une argumen
tation écrite dans un délai d'une semaine répond
bien au grief de ce dernier. Ce délai permet au
procureur de faire valoir tout ce qui lui semble
nécessaire pour sauvegarder les intérêts de son
client.
Il est vrai que la doctrine bien établie dans la
jurisprudence citée par le requérant donne lieu à
certaines garanties à toute personne dont les inté-
rêts sont soumis à une procédure administrative.
Pour en assurer le respect, une cour exerce le rôle
de surveillant et se permet d'intervenir quand elle
juge que les faits le justifient. Chaque cause,
cependant, est en quelque sorte une cause d'espèce.
Ainsi, la doctrine exprimée dans une cause parti-
culière ne justifie pas son application à l'outrance.
Les règles de procédure administrative reflètent
fondamentalement la doctrine de l'équité. Je dois
donc respecter la réalité des choses et du sens
commun qui en découle pour contrebalancer le
formalisme que la doctrine pourrait créer et dont
requérants et procureurs désireraient se prévaloir.
Admettre le contraire n'aurait comme conséquence
que l'évolution constante des procédures adminis-
tratives vers un formalisme qui en détruirait la
substance et dont la réalité serait de plus en plus
soumise à des normes abstraites et artificielles.
C'est peut-être le phénomène qui se serait
implanté dans le contexte des procédures criminel-
les. Ce formalisme à l'outrance, cependant, ne
devrait pas avoir droit de seigneur quand le législa-
teur préconise un système statutaire pour décider
du droit d'une personne au statut de réfugié et,
afin de ne pas le soustraire à une procédure trop
disciplinée, permet à un tribunal d'adopter une
méthode plus flexible et plus expéditive. C'est bien
d'ailleurs la politique que le législateur a très bien
exprimée en l'article 70 de la Loi.
Le procureur du requérant aurait peut-être
raison de croire que l'attitude du président envers
lui est plutôt autoritaire ou ne reflète pas ce stan
dard de conduite qu'on est sensé reconnaître chez
toute personne qui exerce une responsabilité quasi-
judiciaire. D'autre part, quand cette personne fait
face à un procureur chevronné, l'attitude, comme
tout juge le sait, peut devenir plus écorcée. C'est
alors que l'amour-propre, d'une part et d'autre,
semble prédominer sur les intérêts de la justice et
sur les intérêts du client.
À tout événement, je dois conclure que les
motifs soulevés par le procureur du requérant ne
pourraient justifier mon intervention à ce stage des
procédures. L'interprétation que j'apporte aux dis
positions de l'article 70 de la Loi accorde une
certaine latitude dans les éléments de preuve que
les parties peuvent accepter ou produire au cours
de l'enquête. Le procureur du requérant devrait
savoir lui-même que si on devait adopter les règles
de preuve usuelles, les articles de la Gazette qu'il a
lui-même cités seraient irrecevables en raison du
principe du ouï-dire et qu'il lui aurait fallu en
produire l'auteur. Si l'admissibilité de cette preuve
n'est pas mise en jeu, serait-il logique d'exiger une
règle plus formelle en ce qui concerne les commen-
taires du président du tribunal? On en arriverait
au phénomène d'un poids, deux mesures.
À mon avis, le geste du président, en accordant
plus tard au procureur du requérant un délai d'une
semaine pour produire son factum, élimine toute
crainte que les droits du requérant soient irrépara-
blement affectés et que toute l'enquête devienne de
facto viciée.
Je dois donc permettre que l'enquête se pour-
suive et que le tribunal en arrive à sa décision. Si
cette décision est défavorable au requérant et que
son procureur y trouve des erreurs quelconques, il
devra alors poursuivre d'autres recours.
Ayant décidé sur les faits au dossier que je ne
devais pas intervenir, il ne m'est pas nécessaire de
me pencher sur d'autres éléments soulevés par le
procureur de l'intimé sur la compétence de la
Section de première instance de la Cour fédérale
d'accorder au requérant les redressements prévus à
l'article 24 de la Charte et au caractère inopportun
ou prématuré du recours et dont les différentes
doctrines sont exposées dans les arrêts entre
autres, Arumugam c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration (1986), 72 N.R. 388 (C.A.F.); Le
procureur général du Canada c. Lachapelle,
[1979] 1 C.F. 377 (i fe inst.); Plombelec Inc. c.
Melançon, [1978] R.P. 31 (C.A. Qué.).
La requête est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.