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T-2094-89
John Robert Duncan (requérant) c.
Le ministre de la Défense nationale, le comman dant des Forces canadiennes en Europe, le com mandant de la base des Forces canadiennes Baden-Soellingen, l'officier des opérations de la base des Forces canadiennes Baden-Soelligen et le commandant de la caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes (intimés)
RÉPERTORIÉ: DUNCAN c. CANADA (MINISTRE DE L4 DÉFENSE NATIONALE) (1 1e INST.)
Section de première instance, juge Muldoon — Vancouver, lei et 16 mars 1990.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Prohibition
Appel d'un capitaine des Forces armées du rejet de l'appel contre la sentence imposée par le tribunal militaire pour conduite d'un véhicule avec un taux d'alcoolémie dépassant 80 mg d'alcool par 100 ml de sang La décision de l'instance décisionnelle était fondée sur la recommandation d'un subal- terne L'appelant n'a pas eu directement accès à l'instance décisionnelle La décision de l'autorité désignée est révisable
Le droit à la justice fondamentale, y compris le droit à une procédure équitable et au bénéfice de la règle audi alteram partem, a été refusé Procédure inconstitutionnelle Demande de prohibition accordée.
Forces armées Art. 230 de la Loi sur la défense nationale
Appel de la sentence imposée par le tribunal militaire Le SMA(Per) a tranché l'appel en se fondant sur l'avis d'un subalterne, le DSJP L'appelant s'est vu refuser l'accès direct au SMA(Per) Procédure inconstitutionnelle Le droit à la justice fondamentale reconnu à l'art. 7 de la Charte a été violé.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Appel de la sentence imposée par un tribunal militaire Le capitaine des Forces armées en a appelé de sa sentence, une peine de quatre mois d'emprisonnement entraî- nant la destitution du service de Sa Majesté L'appelant n'a pas eu la possibilité de présenter sa cause à l'instance déci- sionnelle, qui s'est fondée sur les recommandations d'un employé subalterne Le droit à la justice fondamentale a été refusé Les droits reconnus à l'art. 7 de la Charte ont été violés Les droits prévus à l'art. 7 comprennent le droit à une procédure équitable et à une audience impartiale Dans les cas touchant la liberté et la sécurité, les deux parties ont un droit d'accès direct à l'instance décisionnelle La procédure n'est pas justifiée selon l'art. 1 de la Charte.
Le requérant, capitaine des Forces armées canadiennes en poste à la base Baden-Soellingen, située dans la République fédérale d'Allemagne, a été accusé d'avoir conduit un véhicule alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 mg d'alcool par 100 ml de sang, en contravention de l'alinéa 237(1)b) du Code criminel. Il a été reconnu coupable par une cour martiale permanente et condamné à une peine de quatre mois d'empri-
sonnement. Selon la Loi sur la défense nationale, cette peine comprend également la destitution du service de Sa Majesté. La Cour d'appel de la cour martiale du Canada a rejeté l'appel que le requérant avait interjeté à l'égard de sa déclaration de culpabilité et le sous-ministre adjoint du personnel («SMA (Per)»), l'autorité désignée pour entendre cet appel, a rejeté l'appel de la sentence du requérant qui était fondé sur l'article 230 de la Loi.
Il s'agissait, en l'espèce, d'une demande de bref de prohibi tion en vue d'interdire l'exécution de la sentence, pour le motif qu'elle est contraire aux articles 7 et 9 et aux paragraphes 15(1) et 24(1) de la Charte. Le litige portait sur l'équité de la procédure relative aux appels de la sévérité de la sentence, qui n'était pas prescrite dans une loi ou dans les Ordonnances et Règlements royaux.
Le requérant a soutenu que la procédure a eu pour effet de lui interdire l'accès direct au SMA(Per), qui a pris sa décision en se fondant sur les arguments et les recommandations de son subalterne, le directeur des services juridiques du personnel («DSJP»). Le requérant n'a pas été mis au courant des argu ments soumis par le DSJP et n'a pas eu la possibilité d'y répondre ou de soumettre des arguments directement au SMA (Per).
Jugement: un bref de prohibition devrait être délivré.
La procédure relative aux appels des sentences prononcées par les tribunaux militaires est inconstitutionnelle. Le SMA (Per) est un «office, une commission ou un autre tribunal fédéral» et l'exercice de ses pouvoirs peut faire l'objet d'une révision. L'instance décisionnelle n'a accordé au requérant aucune possibilité de soumettre des arguments, si ce n'est par l'entremise de son subalterne, et elle a tranché l'appel de la sentence sans avoir examiné la cause du requérant. Le droit du requérant à une procédure équitable, à la justice fondamentale et au bénéfice de la règle audi alteram partem a été nié. Ses droits qui découlent de l'article 7 de la Charte ont été violés. Les intimés n'ont démontré aucune justification de la procédure qui pourrait être fondée sur l'article 1 de la Charte. Dans une situation grave touchant la liberté et la sécurité des personnes, les deux parties ont le droit d'avoir directement accès à l'esprit et à la compréhension de l'instance décisionnelle. Une personne pouvant faire l'objet de sanctions comme l'emprisonnement a droit à la meilleure protection qu'offre notre droit en matière de procédure.
En l'espèce, une audience verbale n'était pas strictement nécessaire, dans la mesure le requérant aurait pu soumettre ses arguments directement au SMA(Per), une fois que son avocat aurait eu la possibilité d'examiner les documents prépa- rés par le DSJP.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 1, 2, 7, 11f),h), 15, 33.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 237(1)a) (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 36),b) (mod., idem).
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 675(1)b), 676(1)d) (mod. idem (l e ` suppl.), chap. 27, art. 139), 685, 687, 688.
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen- dice III, art. 2e).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 52(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 2.
Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, art. 120.
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), chap. N-5, art. 130, 140c), 212, 233.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Mehr v. Law Society of Upper Canada, [1955] R.C.S. 344; [1955] 2 D.L.R. 289; In re le Tribunal antidumping et le verre à vitre transparent, [1972] C.F. 1078; 30 D.L.R. (3d) 678 (1" inst.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; (1987), 45 D.L.R. (4th) 235; [1988] 1 W.W.R. 193; 61 Sask R. 105; 37 C.C.C. (3d) 385; 60 C.R. (3d) 193; 81 N.R. 161.
DÉCISIONS CITÉES:
Ernewein c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 1 R.C.S. 639; (1979), 103 D.L.R. (3d) 1; 14 C.P.C. 264; 30 N.R. 316; Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586; (1985), 13 Admin. L.R. 1; 20 C.C.C. (3d) 206; 6 C.P.R. (3d) 283; 46 C.R. (3d) 91; 16 C.R.R. 271; 60 N.R. 194 (C.A.); Duncan c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1989), 52 C.C.C. (3d) 86 (C.F. lre inst.).
AVOCATS:
Mel R. Hunt pour le requérant.
Le commandant S. J. Blythe pour les Forces
canadiennes, intimées.
Gordon P. Macdonald pour le ministre de la
Défense nationale, intimé.
PROCUREURS:
Goult, McElmoyle & McKinnon, Victoria, pour le requérant.
Le juge-avocat général adjoint, région du Pacifique, Victoria, pour les Forces canadien- nes, intimées.
Macdonald & McNeely, Victoria, pour le
ministre de la Défense nationale, intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Le requérant est capitaine et pilote d'aéroplane des Forces armées de la base Baden-Soellingen, située dans la République fédé- rale d'Allemagne (ci-après appelée la R.F.A.). D'après l'opinion générale, il est, et il a été tout au long de sa carrière, un officier de premier ordre faisant montre de leadership et de dynamisme dans ce rôle et un pilote de premier ordre reconnu pour sa compétence et ses connaissances du milieu opérationnel dans lequel il oeuvre.
Les circonstances qui ont donné lieu au présent litige ont débuté le 21 février 1988 vers minuit quarante, lorsque le requérant, au volant d'un véhicule automobile, a été arrêté à un barrage routier établi par la police militaire en dehors de la barrière principale de la base des Forces canadien- nes (BFC) de Baden-Soellingen, en R.F.A. Lors- qu'il est sorti de son véhicule, le requérant titubait. Finalement, ayant convenu de se soumettre à un alcootest, le requérant a produit deux échantillons indiquant que la concentration d'alcool dans son sang s'élevait à 160 milligrammes pour 100 millili tres, soit le double du maximum permissible de 80 mg par 100 ml.
Les 27 et 28 avril 1988, le capitaine Duncan, le requérant, a subi son procès devant une cour mar- tiale permanente (CMP) à la BFC de Lahr relati- vement à deux accusations punissables conformé- ment à l'article 120 de la Loi sur la défense nationale [S.R.C. 1970, chap. N-4], (aujourd'hui L.R.C. (1985), chap. N-5, art. 130) soit (1) d'avoir conduit un véhicule automobile après avoir consommé de l'alcool selon une quantité dont le taux d'alcoolémie dépassait 80 mg d'alcool par 100 ml de sang, contrairement à l'alinéa 237b) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34 (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 36)] ou (2) d'avoir conduit un véhicule automobile alors que ses facul- tés étaient affaiblies par l'effet de l'alcool ou d'une drogue, contrairement à l'alinéa 237a) [mod., idem]] du Code criminel. Le requérant a plaidé «non coupable».
Après une instruction concernant les accusa tions, la CMP a ordonné une suspension des procé- dures à l'égard de la deuxième accusation, jugé le requérant coupable de la première accusation et condamné le requérant à une peine d'emprisonne- ment de quatre mois, peine d'incarcération qui, conformément à l'alinéa 140c) de la Loi sur la défense nationale [L.R.C. (1985), chap. N-5] (ci- après appelée la Loi ou la LDN), est présumée entraîner la destitution du service de Sa Majesté, que cette destitution soit précisée ou non dans la sentence prononcée par le tribunal militaire. L'au- torité qui a convoqué les parties a examiné les procédures et n'a modifié ni la déclaration de culpabilité ni la sentence.
Le requérant, le capitaine Duncan, s'est porté en appel de la déclaration de culpabilité et de la sévérité de la sentence. Le 10 octobre 1989, la Cour d'appel de la cour martiale du Canada a rejeté à l'unanimité l'appel (CMAC 304) qu'il avait interjeté à l'égard de sa déclaration de culpabilité.
La procédure qui a été inventée et adoptée par le ministre intimé ou pour son compte à l'égard de la sévérité des sentences est différente des règles de droit et de la jurisprudence canadiennes et, compa- rativement à celles-ci, elle semble même étrangère dans son application, comme l'indique la présente cause. Les dispositions de la LDN qui, étant diffé- rentes de la procédure inventée, ne peuvent faire l'objet d'exception et sont directement pertinentes en l'espèce sont les suivantes:
Droit d'appel
230. Quiconque a été jugé et déclaré coupable par la cour martiale peut, ... exercer un droit d'appel en ce qui concerne, globalement ou séparément:
a) la sévérité de la sentence;
Instruction préliminaire des appels
233. (1) Lorsque l'appel porte uniquement sur la sévérité de la sentence, le juge-avocat général transmet la déclaration d'appel à l'autorité visée à l'article 212, laquelle peut rejeter l'appel ou, sous réserve de la partie VIII, mitiger, commuer ou remettre les peines que comporte la sentence.
À compter du moment le droit d'appel à l'égard de la sévérité de la sentence est établi et appuyé au moyen de l'envoi par le juge-avocat général de la
déclaration d'appel à l'autorité désignée, la procé- dure n'est pas d'origine législative et elle n'est pas prescrite non plus dans les Ordonnances et Règle- ments royaux (O & RR). Une copie de l'avis d'appel du requérant se trouve à l'annexe «A» de l'affidavit qu'il a déposé en l'espèce. Comme je l'ai souligné, la procédure est véritablement l'invention d'un ou de plusieurs auteurs qui ne sont pas identi- fiés avec précision, du moins dans le présent dos sier. Cependant, elle est décrite dans les affidavits du capitaine (N) Peter Richard Partner et du capitaine (N) William Arthur Reed qui sont dépo- sés aux présentes.
Les parties conviennent que l'autorité désignée au paragraphe 233(1) est le sous-ministre adjoint (personnel) du ministère de la Défense nationale (ci-après appelé le SMA(Per)). Les plaintes les plus sérieuses du requérant dans la présente cause concernent la procédure par laquelle les appels interjetés à l'encontre de la sévérité des sentences sont tranchés. Il semble que la procédure inventée soit conçue de façon à empêcher l'appelant d'avoir accès directement, que ce soit verbalement ou par écrit, à l'esprit, à la volonté et à la compréhension du SMA(Per) qui rendra une décision concernant la sévérité de la sentence de l'appelant.
La procédure adoptée en l'espèce est au coeur du litige entre les parties. Cela n'est pas indiqué clairement dans l'avis de requête du requérant, dont les extraits pertinents se lisent comme suit:
[TRADUCTION] IL S'AGIT D'UNE REQUÊTE en Vlle d'obtenir un bref de prohibition interdisant aux intimés d'emprisonner le requérant, JOHN ROBERT DUNCAN, dans une caserne de déten- tion sous leur contrôle à l'égard de la peine qui lui a été imposée à la fin de son procès devant la cour martiale permanente le 28 avril 1988.
LES MOTIFS de la requête sont les articles 7 et 9 et les paragraphes 15(1) et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
L'avis est mal rédigé, étant donné que les disposi tions de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] ne sont guère des motifs en soi, bien que, lorsqu'elles sont liées aux faits importants, elles puissent fournir des motifs à l'appui de la réparation. À tout événement, les intimés sont tellement au courant des faits impor-
tants depuis le début et ils les ont présentés avec une telle fierté qu'ils ne peuvent s'être mépris sur le sens de l'avis.
L'autorité clé dans la procédure appliquée est le directeur du service juridique du personnel (DSJP) au sein du personnel du SMA(Per). Aux moments pertinents, le DSJP était le capitaine (N) Peter Richard Partner. C'est avec lui que l'avocat du requérant a communiqué au sujet de l'appel de son client concernant la sévérité de la sentence. Le capitaine (N) Partner a signé deux affidavits qui ont été déposés aux présentes, soit le 11 octobre 1989 et le ler novembre de la même année. Le premier affidavit a été déposé le 17 octobre 1989, mais il ne figure pas dans le dossier des intimés qui a été déposé le 3 novembre 1989. Dans ce premier affidavit, le capitaine (N) Partner a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] 2. Mes fonctions comprennent la préparation de mémoires soumis au sous-ministre adjoint (personnel) au sujet des appels concernant la sévérité des sentences des mem- bres des Forces armées qui ont été déclarés coupables par les cours martiales d'infractions prévues au Code de discipline militaire.
3. Ces mémoires renferment des recommandations concernant le règlement des appels relatifs à la sévérité des sentences par le [SMA(Per)], autorité habilitée, en vertu de la Loi sur la défense nationale, à mitiger, commuer ou remettre les peines comprises dans la sentence prononcée par un tribunal militaire.
5. Au cours d'une longue discussion avec Me Hunt [l'avocat du requérant], que je connais personnellement comme étant un ex-membre de la Section des services juridiques des Forces canadiennes et parfois agent du personnel de la Direction du service juridique du personnel, et qui est donc familier avec la procédure relative aux appels concernant la sévérité de la sentence, la nature des recommandations que j'ai proposées au [SMA(Per)] dans le cas du capitaine Duncan et les raisons à l'appui de ces recommandations ont été pleinement expliquées à Me Hunt. [Non souligné dans le texte original.]
Le capitaine (N) Partner semble soutenir ad hominem, au paragraphe 5, qu'en raison du poste qu'il occupait précédemment et des connaissances qu'il a acquises de ce fait, l'avocat du requérant ne pouvait, pour une raison ou pour une autre, formu- ler la plainte de son client. Ce n'est évidemment pas le cas et ce ne pourrait jamais l'être, parce que la simple connaissance des procédures attaquées et même la complicité de l'avocat dans le passé dans lesdites procédures ne constituent aucunement un abandon de la plainte du requérant, laquelle doit être accueillie ou rejetée selon son bien-fondé.
Le fondement de la plainte du requérant se trouve dans la partie soulignée du paragraphe 5 précité de l'affidavit du capitaine (N) Partner. Il n'y aurait rien d'irrégulier si les recommandations qu'a présentées le DSJP au SMA(Per) ainsi que les motifs à l'appui desdites recommandations avaient été présentés de la même façon que celles du requérant ou de son avocat. Comme la preuve l'indique plus loin, le DSJP voulait que ses recom- mandations soient présentées de façon exclusive au SMA(Per). Cette conclusion ressort également des trois derniers paragraphes du premier affidavit du capitaine (N) Partner:
[TRADUCTION] 9. Au cours d'une discussion tenue avec M' Hunt [l'avocat du requérant], on lui a dit clairement qu'aucune audience ne serait tenue dans le cas du capitaine Duncan étant donné que les appels concernant la sévérité de la sentence sont tranchés dans tous les cas sur la foi de mémoires, ce que M' Hunt savait déjà, à mon avis.
10. M' Hunt avait amplement le temps de présenter d'autres détails écrits au sujet de l'appel de son client concernant la sévérité de la sentence entre le 9 décembre 1988, date à laquelle le capitaine Duncan a fait parvenir sa déclaration d'appel aux autorités des Forces canadiennes et, le 27 janvier 1989, date à laquelle j'ai expédié mon mémoire dans l'affaire Duncan au sous-ministre adjoint (personnel), mais il ne l'a pas fait; ni le capitaine Duncan ni son avocat n'ont été invités à présenter d'autres arguments à l'égard de l'appel du capitaine Duncan concernant la sévérité de la sentence étant donné que, au cours des conversations téléphoniques qu'il a eues avec moi, M' Hunt m'avait déjà soumis des arguments détaillés et complets à l'appui de l'appel de son client et que j'ai pleinement examiné ces arguments lorsque j'ai préparé mon mémoire et mes recom- mandations à l'intention du [SMA(Per)].
11. Une divulgation complète a été faite à M' Hunt relative- ment à toutes les questions liées à l'appel de son client concer- nant la sévérité de la sentence et il a eu toute la latitude voulue de me soumettre des arguments verbalement au nom de son client, ce qu'il a effectivement fait, avant que je ne prépare mon mémoire destiné au sous-ministre adjoint du personnel. [Non souligné dans le texte original.]
Dans son deuxième affidavit, le capitaine (N) Partner, a donné d'autres détails au sujet de la procédure appliquée dans les appels de cette nature:
[TRADUCTION] 3. La procédure habituellement suivie dans les appels du personnel concernant la sévérité de la sentence au sein de la Direction du service juridique du personnel est la suivante:
a. sur réception de la déclaration d'appel du juge-avocat général, un avocat de ma Direction est désigné pour évaluer l'appel concernant la sévérité de la sentence;
c. une lettre est envoyée à l'appelant ou à son avocat. Dans la lettre habituellement envoyée, il est mentionné que la déclaration d'appel concernant la sévérité de la sentence a été
reçue et que, si l'appelant désire présenter d'autres détails à l'appui de l'appel, il dispose d'un délai précis, habituellement un mois, pour soumettre ces détails à la Direction du service juridique du personnel. On l'invite également à communiquer avec cette même Direction, si lui-même ou son avocat a des questions à poser;
d. après l'expiration du délai fixé pour la présentation de détails supplémentaires par l'appelant ou son avocat, un mémoire est préparé à l'intention du SMA(Per), l'autorité désignée pour trancher les appels concernant la sévérité de la sentence;
e. ce mémoire est préparé après une revue et une analyse complètes de tous les précédents et dans le contexte de tous les facteurs touchant la conduite et la discipline dans les Forces canadiennes ainsi que de toutes les circonstances atténuantes et des arguments invoqués par l'appelant con cerné ou pour son compte;
f. plus précisément, ce mémoire fait habituellement état des arguments allégués par l'avocat de la poursuite et celui de la défense au cours de l'audience tenue devant la cour martiale ainsi que de la décision de celle-ci. Le mémoire peut renfer- mer des renseignements à jour sur la carrière de l'appelant, si la situation à cet égard a changé depuis le procès. Il com- prendra également un résumé des autres détails soumis par l'appelant ou son avocat. En outre, il renferme un énoncé des principes de la détermination de la peine, comme la dissua sion et la réhabilitation, qui s'appliquent au cas de l'appelant. Le mémoire renferme une recommandation au sous-ministre adjoint (personnel) quant aux mesures qui seraient appro- priées dans le cas sous étude;
g. je révise ce mémoire personnellement. Après l'avoir signé, je le fais parvenir au [SMA(Per)] ainsi que le procès-verbal de l'audience tenue devant la cour martiale et le dossier administratif. Ce dossier administratif renferme habituelle- ment les messages liés aux procédures de convocation de la cour martiale, les messages provenant de la cour martiale au sujet des conclusions et des peines, les notes de mise à jour des renseignements contenus dans le procès-verbal et, le cas échéant, les détails fournis par l'appelant ou son avocat à l'appui de l'appel relatif à la sévérité de la sentence;
h. si, après avoir examiné le mémoire, le sous-ministre adjoint (personnel) a des questions au sujet du cas, il commu- niquera habituellement avec mon bureau;
i. une fois que le sous-ministre adjoint (personnel) a rendu sa décision au sujet de l'appel concernant la sévérité de la sentence, le dossier est retourné à la Direction du service juridique du personnel; et
j. la Direction du service juridique du personnel avise ensuite toutes les parties intéressées, notamment l'appelant, son avocat, l'autorité qui a convoqué les parties et la cour mar- tiale et les autres autorités concernées par la carrière de l'appelant qui demandent un avis des résultats de l'appel. [Non souligné dans le texte original.]
Le droit de l'appelant d'interjeter un appel à l'encontre de la sévérité de sa sentence lui est accordé en toutes lettres selon la LDN. La Cour n'est pas préoccupée par la question de la légalité de la sentence, qui n'a pas été contestée, ni par la sévérité de la sentence, car il ne s'agit pas d'une
question qui relève de la compétence de la Cour. Cependant, comme le SMA(Per) est manifeste- ment un «office, une commission ou un autre tribu nal fédéral» parce qu'il est une personne «ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale» [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 2], en l'occurrence, les articles 212 et 233 de la Loi sur la défense nationale, la façon dont il exerce ou cherche à exercer ses pouvoirs (la procédure atta- quée dans l'appel du requérant) peut faire l'objet d'une révision par la Cour.
La Constitution, y compris la Charte canadienne des droits et libertés, est la loi suprême du Canada et toutes les autres lois, procédures, pouvoirs et compétences y sont assujettis, y compris la LDN et, bien entendu, l'exécution par le SMA(Per) de ses devoirs d'origine législative. C'est ce que pré- voit le paragraphe 52(1) de la Partie VII, Annexe B, de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]]. Cette con clusion est renforcée, si elle n'est pas absolue, du fait que la justice militaire est mentionnée de façon précise dans la Charte, laquelle ne prévoit qu'une seule exception à son statut inférieur, exception qui est exprimée au paragraphe 11f) de la Charte et qui n'est pas pertinente par ailleurs au présent litige. Ainsi, les droits exprimés à l'article 2 et aux articles 7 à 15 de la Charte sont suprêmes, à trois exceptions près, soit les limites raisonnables selon l'article 1, une dérogation temporaire par déclaration expresse selon l'article 33 et une déro- gation temporaire possible en vertu d'une loi natio- nale sur les mesures d'urgence. Les deux dernières exceptions ne sont pas pertinentes en l'espèce. Les droits exprimés ne peuvent être violés par la loi, par la façon dont elle est appliquée ou par la conduite des fonctionnaires de l'État.
Le requérant invoque en l'espèce l'article 7 de la Charte, dont le libellé est le suivant:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Il est reconnu que les principes de justice fonda- mentale comprennent le droit à une procédure équitable et à une audience impartiale. Il convient de souligner que l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice
III, prévoit qu'aucune loi du Canada ne peut «s'ap- pliquer comme privant une personne du droit à une audience impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations». Cette dernière loi du Parle- ment révèle un élément pertinent de la «justice fondamentale».
En outre, il est indubitable que le droit à une procédure équitable et à une audience impartiale sous-entend la règle audi alteram partem et la règle selon laquelle [TRADUCTION] «seuls ceux qui entendent la cause devraient trancher le débat». (Mehr v. Law Society of Upper Canada, [ 1955] R.C.S. 344, à la page 351 et In re le Tribunal antidumping et le verre à vitre transparent, [1972] C.F. 1078 (1'e inst.), aux pages 1108 et 1109.) Dans ce cas-ci, le SMA(Per) n'a accordé au requé- rant aucune possibilité de présenter des arguments, sauf par l'entremise du DSJP. Le SMA (Per) a rendu sa décision sans entendre les arguments du requérant. Ces notions de procédure équitable reviennent au même principe, soit le droit des deux parties (ou, dans d'autres circonstances, de toutes les parties), dans un cas grave la liberté et la sécurité de la personne sont en jeu, d'avoir directe- ment accès à l'esprit ou à la compréhension de l'instance décisionnelle.
C'est ce qu'a enseigné la Cour suprême du Canada par une double pluralité (4 et 4) dans Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. Le litige dans cette cause-là portait sur le droit des appelants de se faire entendre relativement à la détermination de leur statut de réfugiés conformément à la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52. Il serait préférable de lire les savants juge- ments au complet pour comprendre le raisonne- ment de la Cour, mais deux passages extraits des motifs de Madame le juge Wilson sont particuliè- rement pertinents en l'espèce [aux pages 215 et 216]:
Il me semble que [l'avocat du Ministre] commet une erreur fondamentale lorsqu'il décrit la procédure prévue aux art. 70 et 71 comme étant non contradictoire. En fait, il s'agit d'une procédure hautement contradictoire mais la partie adverse, c'est-à-dire le Ministre, attend dans la coulisse. Ce dont la Commission est saisie est une décision du Ministre, fondée en partie sur des renseignements et des politiques auxquels le requérant n'a aucun moyen d'accès, portant que la personne qui demande un réexamen n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Le requérant a le droit de soumettre à la Commis-
Sion tous les documents pertinents qu'il souhaite mais il est quand même tenu de prouver à la Commission que, suivant la prépondérance des probabilités, le Ministre a commis une erreur. Qui plus est, il doit le faire sans connaître le contenu du dossier dont dispose le Ministre, mises à part les raisons sommaires que celui-ci a décidé de lui communiquer en rejetant sa revendication. C'est cet aspect de la procédure prévue dans la Loi que je trouve impossible à concilier avec les exigences de «justice fondamentale» énoncées à l'art. 7 de la Charte.
Cependant, vu les dispositions actuelles de la Loi, il se peut que la personne qui revendique le statut de réfugié n'ait jamais l'occasion de contester réellement les renseignements ou politi- ques sous-jacents à la décision du Ministre de rejeter sa reven- dication. Etant donné que le par. 71(1) oblige la Commission d'appel de l'immigration à rejeter une demande de réexamen, à moins qu'elle n'estime que le requérant pourra probablement obtenir gain de cause, il est manifeste qu'une demande sera habituellement rejetée avant que la personne qui revendique le statut de réfugié n'ait eu l'occasion de connaître le contenu du dossier dont dispose le Ministre dans le contexte d'une audition. En fait, étant donné que le par. 71(1) dissipe tout doute quant à savoir si la personne qui revendique le statut de réfugié devrait faire l'objet d'une audition, je vois difficilement comment on pourrait contester avec succès l'exactitude des renseignements non divulgués sur lesquels se fonde la décision du Ministre.
J'estime par conséquent que la procédure d'examen des revendications du statut de réfugié énoncée dans la Loi sur l'immigration de 1976 constitue, pour les personnes qui reven- diquent le statut de réfugié, un déni de justice fondamentale en ce qui concerne l'arbitrage de ces revendications et qu'elle est de ce fait incompatible avec l'art. 7 de la Charte. Il est donc nécessaire de passer à la troisième étape de l'enquête et de déterminer si les lacunes de cette procédure en ce qui concerne les normes énoncées à l'art. 7 constituent des limites raisonna- bles dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique au sens de l'art. 1 de la Charte.
Dans la même cause de Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, le juge Beetz s'est exprimé au nom de l'autre moitié des membres de la Cour suprême qui ont invoqué la Déclaration canadienne des droits, qui semblait sur le point de sombrer dans l'oubli. Il a extrait une longue citation des commentaires que le regretté juge Pigeon a formulés dans Ernewein c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 1 R.C.S. 639, aux pages 657 et suivantes. Il s'agit d'un avis dissident, mais le juge Beetz souligne qu'il «garde toute sa pertinence quant à la néces- sité d'une audition et il est renforcé par la Décla- ration canadienne des droits» la page 234]. Voici une partie la page 659] de cette citation la page 233]:
C'est aussi un principe bien établi que la règle audi alteram partem est une règle de justice naturelle que la common law a
adoptée si fermement qu'elle s'applique à tous ceux qui remplis- sent des fonctions de nature judiciaire et ne peut être exclue que de façon expresse. Voir: L'Alliance des Professeurs Catho- liques de Montréal c. La Commission des relations de travail, [1953] 2 R.C.S. 140, le juge en chef Rinfret a dit à la p. 154:
Le principe que nul ne doit être condamné ou privé de ses droits sans être entendu, et surtout sans avoir même reçu avis que ses droits seraient mis en jeu est d'une équité universelle et ce n'est pas le silence de la loi qui devrait être invoqué pour en priver quelqu'un. À mon avis, il ne faudrait rien moins qu'une déclaration expresse du législateur pour mettre de côté cette exigence qui s'applique à tous les tribunaux et à tous les corps appelés à rendre une décision qui aurait pour effet d'annuler un droit possédé par un individu.
Dans la présente cause, on peut dire que, si le SMA(Per) ne s'est pas retiré de la salle d'au- dience, alors, dans un sens métaphysique, il a empêché le requérant de se rendre dans cette salle, entendant uniquement la version des observations du requérant que le DSJP a bien voulu lui présen- ter. Bien que ni la LDN ni les O & RR ne renferment de dispositions sur la façon dont un appel relatif à la sévérité de la sentence devrait se dérouler, le requérant et son avocat se sont vus confrontés à cette procédure inéquitable inventée de façon officielle.
Dans une cause concernant un autre genre de tribunal militaire, soit celui de la Gendarmerie Royale du Canada, la Cour suprême du Canada a traité longuement de l'alinéa 11h) de la Charte, qui n'est pas en cause en l'espèce, parce que le requérant a été reconnu coupable par un tribunal militaire d'une infraction aux dispositions du Code criminel. Il s'agit de la cause de R. c. Wiggles- worth, [1987] 2 R.C.S. 541, Madame le juge Wilson a rédigé l'opinion majoritaire. Voici ce qu'elle dit à la page 562:
Si une personne doit subir des conséquences pénales comme l'emprisonnement, qui constitue la privation de liberté la plus grave dans notre droit, j'estime alors qu'elle doit avoir droit à la meilleure protection qu'offre notre droit en matière de procédure.
Avant d'examiner l'application du droit aux faits de l'espèce, je tiens à souligner que la discussion précédente n'écarte nulle- ment la possibilité que des garanties constitutionnelles en matière de procédure puissent être invoquées dans un cas particulier aux termes de l'art. 7 de la Charte, même si on ne peut se fonder sur l'art. 11. L'appelant en l'espèce a choisi de fonder son argumentation uniquement sur l'art. 11 de la Charte. Ainsi, je ne fais aucune observation sur l'applicabilité de l'art. 7.
Dans le présent litige, le requérant invoque l'article 7 de la Charte, lequel renvoie aux «principes de justice fondamentale», soit, comme l'a dit le juge Wilson, «la meilleure protection qu'offre notre droit en matière de procédure».
Il est vrai que, lorsqu'il a été contre-interrogé au sujet de son remarquable affidavit, qui se trouve à la pièce 4, le lieutenant-général James Arthur Fox, l'actuel SMA(Per), a donné ses impressions de la justice militaire, y compris la procédure en usage dans les appels concernant la sévérité de la sentence:
[TRADUCTION]
30. Q. Et s'il en appelle de la sévérité de la sentence imposée par la cour martiale, on lui dit si son appel est refusé ou non, et c'est tout, n'est-ce pas?
R. C'est à peu près ça, sous forme de réponse écrite.
31. Q. Oui, mais il n'obtient pas les motifs, n'est-ce pas? R. C'est exact.
32. Q. Est-ce que cela vous semble ... R. Dans la réponse écrite.
33. Q. Oui. On lui dit très simplement que son appel est rejeté ou qu'il est accueilli en partie, et c'est tout ce qu'il obtient ...
R. C'est exact.
34. Q. Sans motifs? R. C'est exact.
35. Q. Est-ce que cela vous semble un peu irrégulier?
R. Je pense que la personne sera informée des jugements qui ont été rendus par l'entremise d'un autre conseiller juridique ou d'un officier adjoint, alors je pense que l'individu est au courant, alors ce dont nous parlons ici, c'est de la question de savoir si la réponse doit être faite par écrit.
40. Q. La personne qui en appelle de la sévérité de la sen
tence n'est pas informée de ce que vous recevez?
R. C'est exact.
41. Q. C'est exact, vous ne niez pas ça? R. En détail.
42. Q. Juste un instant, vous dites en détail, est-il informé d'une façon générale? Je vous dis qu'il n'est pas informé de ce que renferme ce mémoire?
R. Il a, j'aimerais consulter quelqu'un, d'accord.
43. Q. Monsieur Macdonald, vous voulez peut-être parler au général. Je veux que l'on comprenne qu'il s'agit de mon contre-interrogatoire et je ne veux pas d'interruptions constantes. Je ne veux pas qu'on lui donne les réponses. Il a signé un affidavit de 40 pages dans lequel il s'est présenté comme une autorité sur ce système et il devrait être en mesure de répondre aux questions.
MONSIEUR MACDONALD: Il y a des domaines au sujet desquels le général a besoin d'aide et de renseignements,
les détails concernant le système ne sont pas toujours immédiatement disponibles et c'est la raison pour laquelle le lieutenant-colonel Carter et le capitaine Partner sont ici.
Il se peut qu'il ait besoin d'aide, ce qui est normal au cours d'un interrogatoire préalable [sic]. Je ne vois rien de mal à ce qu'il s'arrête à l'occasion pour obtenir cette aide.
46. Q. Pouvez-vous me dire dans combien de cas, selon ce que vous savez, une copie du mémoire qui vous est remis est fournie à l'appelant ou à son avocat pour que ceux-ci puissent le commenter?
R. Non, je ne peux pas vous dire. J'imagine ...
47. Q. Pourriez-vous ... R. ... poursuivre ...
48. Q. Vous ne seriez pas d'accord si je vous disais que ça n'a jamais été fait?
R. Je ne puis être en désaccord, parce que je ne peux pas vous le dire.
49. Q. Lorsque vous rendez les décisions, vous ne recevez aucun renseignement direct de l'appelant ou de son avocat?
R. Je reçois les renseignements qui me sont soumis. Si des renseignements ont été fournis, ils se trouveront dans le mémoire.
50. Q. Mais ce mémoire est d'abord «filtré» par votre person nel juridique de la Direction du service juridique du personnel, n'est-ce pas?
R. C'est exact, oui.
51. Q. Vous ne le voyez pas au complet, c'est-à-dire le mémoire, s'il y en a un qui a été soumis par l'appelant ou son a\,ocat?
R. Je ne le vois pas, alors je ne puis répondre à la question plus que ça. J'imagine que, si des arguments détaillés étaient fournis, j'imagine que je les lirais, parce que je m'attendrais à ce que le personnel agisse en ce sens. (Pièce 2, p. 8 à 13)
181. Q. ... Vous savez que les avocats s'en remettent aux cours d'appel pour obtenir des critères d'application des diverses dispositions, et ainsi de suite, vous savez ça, j'imagine?
R. Pas vraiment.
182. Q. Non. Dans les mémoires que vous recevez, et je comprends que vous n'en avez reçu que deux comme titulaire du poste que vous occupez actuellement, n'est-ce pas?
R. Hum, hum.
183. Q. Le mémoire renferme habituellement des citations de
jurisprudence, n'est-ce pas?
R. Il peut y en avoir. (Pièce 2, p. 37)
230. Q. Non, je parle maintenant de votre rôle comme l'auto- rité qui examine les appels concernant la sévérité de la sentence et peut-être pourrions-nous revenir un peu en arrière. Le système de la cour martiale est évidemment
un système fondé sur le principe du contradictoire,
n'est-ce pas?
R. Hum, hum.
231. Q. Considérez-vous que le système des appels concernant la sévérité de la sentence fait partie de cette procédure courante ou de ce système fondé sur le principe du contradictoire?
R. Parlons-nous encore de droit?
M. MACDONALD: Oui. Si vous ne le savez pas, dites que vous ne le savez pas. Si vous pensez que vous le savez, vous pouvez répondre à la question, mais c'est une ques tion qui porte sur un point de droit.
LE TÉMOIN: Je ne suis pas certain de la réponse selon le sens de la loi, mais je pense qu'il est équitable de répon- dre et de dire que je n'estime pas que le système des appels fait partie du système fondé sur le principe du contradictoire. (Pièce 2, p. 48)
[234] [R] ... J'estime que les jugements appliqués sont fondés sur des données des deux parties. Contradictoire dans le sens de débattre devant la cour, si c'est ce que vous voulez dire, je ne le vois pas de cette façon-là. Je vois d'autres jugements qui sont inscrits.
235. Q. D'accord. Et selon la Loi sur la défense nationale, il ne peut y avoir d'appel de votre décision sur la sévérité de la sentence, n'est-ce pas?
R. C'est exact. (Pièce 2, p. 49 et 50)
La crédibilité du lieutenant-général Fox, qui a signé sous serment cet affidavit de quarante pages et de quarante-deux paragraphes, n'est pas renfor- cée par les réponses suivantes:
[TRADUCTION]
236. Q. Cet affidavit, général, a manifestement été préparé pour vous par une autre personne, n'est-ce pas?
R. Il y a évidemment du travail qui a été fait par d'autres, mais j'ai signé ça.
237. Q. Oui. Pendant qu'on vous informait au sujet de cet affidavit que vous avez fait sous serment, avez-vous vu un affidavit qui a été fait sous serment par le général de Chastelain en 1986?
R. Non.
238. Q. Vous a-t-on dit que votre affidavit était très semblable à celui du général de Chastelain?
R. Non, on m'a dit que les arguments avaient été tirés de plusieurs sources. (Pièce 2, p. 50)
En ce qui a trait à la procédure en usage à l'égard des appels sur la sévérité de la sentence, le lieutenant-général Fox a poursuivi son témoignage viva voce en ces termes:
[TRADUCTION]
291. Q. Si vous entendez les arguments des deux parties au cours d'une audience officielle, il est probable, n'est-ce pas, que vous prendrez plus de temps que si vous lisez
simplement un mémoire que le DSJP a préparé pour vous après l'avoir «corrigé»?
R. C'est probable et ce serait certainement le cas si cela se faisait fréquemment. (Pièce 2, p. 63)
358. Q. Je pourrais peut-être vous poser la question d'une autre façon. Seriez-vous prêt à admettre qu'il ne serait pas pratique, du point de vue militaire, de tenir des audiences dans le cas des appels concernant la sévérité de la sentence?
R. Il nous serait très difficile de le faire en pratique, en raison des contraintes de temps, et ainsi de suite. (Pièce 2, p. 77)
403. Q. ... Votre conseiller juridique principal a dit qu'il ne devrait pas y avoir d'obstacle à la communication du mémoire [du DSJP], pourvu que la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur l'accès à l'in- formation et toute autre loi pertinente soient respectées, vous êtes d'accord avec ça, général?
R. Oui.
404. Q. Et je comprends que, d'après l'expérience qu'a vécue le capitaine Partner, et il a été directeur du service juridique du personnel depuis 1985, il est arrivé deux fois seulement que l'on ait communiqué à un avocat le mémoire qui vous est transmis au sujet d'un appel sur la sévérité de la sentence, ou du moins un résumé de ce mémoire, c'est ça?
R. Oui.
405. Q. Et que l'avocat pouvait obtenir un résumé et, s'il avait des commentaires à ajouter, il pouvait les envoyer et ces commentaires seraient lus et intégrés dans le mémoire qui vous est remis, c'est ça?
R. C'est ça.
408. Q. En général, vous reconnaissez qu'il n'y a aucune disposition dans la Loi sur la défense nationale ou dans les ordonnances ou règlements, du moins pour l'instant, qui permet à l'appelant ou à son avocat d'obtenir ce document, qui l'invite à le faire ou qui lui donne l'autori- sation de le faire?
R. Il n'y a rien qui l'invite à le faire ou qui l'autorise à le faire et il n'y a certainement rien qui empêche, qui lui donnerait cette idée-là non plus. (Pièce 2, p. 87 et 88)
Un autre déposant, le capitaine (N) William Arthur Reed, a été contre-interrogé au sujet de l'affidavit qu'il a déposé et dont la transcription se trouve à la pièce 4. Le capitaine (N) Reed était le prédécesseur immédiat du capitaine (N) Partner comme DSJP, poste qu'il a d'ailleurs occupé de janvier 1981 jusqu'à l'été 1984. Il a témoigné comme suit:
[TRADUCTION]
283. Pendant la période au cours de laquelle vous étiez DSJP et au cours de laquelle vous avez reçu des appels concernant
la sévérité de la sentence, n'était-ce pas la politique d'envoyer des lettres à l'appelant ou à son avocat afin de leur demander de soumettre leurs arguments?
R. J'essaie de me souvenir. Je sais que j'ai discuté de certains appels sur la sévérité de la sentence, lorsque j'étais directeur du service juridique du personnel, avec un avocat au civil qui représentait un prévenu.
284. Q. Ils ont peut-être téléphoné pour savoir de quoi il
s'agissait?
R. Je ne sais pas comment, mais c'était commencé.
285. Q. Mais il n'y avait pas de politique prévoyant que des
lettres devraient être envoyées, n'est-ce pas?
R. Je ne crois pas qu'il y en avait.
286. Q. Non. Il n'y a aucune disposition dans le règlement, les ordonnances ou la Loi qui permet à l'appelant ou à son avocat de soumettre des arguments au SMA(Per)?
R. La Loi prévoit qu'il peut, elle prévoit qu'il peut y avoir un appel de la sévérité, le règlement renferme la formule à utiliser et la formule contient un énoncé des motifs pouvant être invoqués.
287. Q. Cependant, cette formule, qui se trouve dans la case des appels relatifs à la sévérité de la sentence, est une formule d'environ deux pouces et demi de long, n'est-ce pas, c'est ça qui est remis au prévenu?
R. C'est ça. (Pièce 4, p. 66 et 67)
291. Q. Mais je ne crois pas qu'il y ait eu des cas le SMA (Per) n'a pas accepté vos recommandations, n'est-ce pas? R. Aucun cas ne me vient à l'esprit, non. (Pièce 4, p. 68)
La procédure est pleinement expliquée. Elle est terriblement déficiente. Bien entendu, l'avocat d'un appelant pourrait toujours écrire une lettre directement au SMA(Per) pour lui exposer les arguments de son client au sujet de l'appel à l'encontre de la sévérité de la sentence. Dans une société libre et démocratique, chacun est libre d'écrire une lettre à une personne qui occupe un poste officiel. Cependant, cette liberté n'impose pas à l'autorité une obligation correspondante de lire et d'examiner ces arguments à l'égard de l'appel. Elle peut ignorer ces observations comme étant extérieures à la procédure déficiente qui a été inventée et appliquée dans les appels concer- nant la sévérité de la peine et la Cour conclut, à la lumière des affidavits déposés et des réponses don- nées en contre-interrogatoire, que c'est probable- ment ce qu'elle fera.
Le droit de l'appelant/requérant à une procédure équitable, à la justice fondamentale et au bénéfice de la règle audi alteram partem est tout simple- ment nié dans cette procédure, par laquelle il est obligé de soumettre ses arguments destinés à l'ins-
tance décisionnelle au jugement du fonctionnaire subalterne de cette instance. Si honorable que soit le DSJP du jour, comme on pourrait sûrement s'y attendre, du moins la plupart du temps, il n'est manifestement pas l'avocat de l'appelant. En agis- sant comme il le fait dans ces cas-là, il empêche l'appelant d'avoir directement accès au SMA (Per) qui, à son tour, est empêché d'entendre l'appelant, bien qu'il soit désigné pour rendre la décision finale sur la sévérité de la sentence.
Il n'y a pas de justice fondamentale dans cette procédure. Elle viole le droit du requérant à la justice fondamentale dans un litige sa liberté est en jeu et à la suite duquel sa peine d'emprison- nement demeure inchangée en appel. Elle viole la justice fondamentale en exigeant de l'appelant (le requérant en l'espèce) qu'il transmette ses argu ments sur la sévérité de sa sentence au DSJP, qui en juger par l'enthousiasme du lieutenant-géné- ral Fox et du capitaine (N) Reed pour toutes les choses militaires et navales) doit tout simplement avoir un préjugé institutionnel, compte tenu de sa formation professionnelle, de son dévouement et de son poste de subalterne relevant du SMA(Per). À tout le moins, l'appelant devrait d'abord avoir une copie du mémoire du DSJP et, par la suite, il devrait avoir la possibilité de présenter ses propres arguments ou ceux de son avocat, en dernier lieu, directement devant l'autorité désignée, qui est actuellement le SMA(Per), sans aucune interven tion de la part d'un intermédiaire. Ces mesures sont d'autant plus importantes qu'il ne peut y avoir d'appel actuellement de la décision du SMA(Per).
Le requérant soutient qu'il aurait avoir la possibilité de présenter ses arguments verbalement à une audience tenue devant l'autorité désignée. Il a ajouté que tout le contenu des affidavits et contre-interrogatoires du lieutenant-général Fox et du capitaine (N) Reed, soit respectivement les pièces 2 et 4 (que l'avocat de l'appelant a jugés fort éclairants), indique clairement qu'un arbitre indépendant est nécessaire, sur le plan constitu- tionnel, pour les appels concernant la sévérité de la sentence. Selon un grand principe que défendent les intimés, seul un membre des Forces canadien- nes convient comme arbitre dans les appels concer- nant la sévérité de la sentence. Pour déloger le SMA(Per) ou un autre fonctionnaire général de son poste d'arbitre en l'espèce, le requérant aurait
été tenu d'intenter une action en vue de faire déclarer inconstitutionnels les articles 233 et 212 de la LDN, conformément à la décision que la Cour d'appel a rendue dans Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586. En conséquence, on évite en l'espèce de mettre en cause l'existence de l'institution même de l'autorité militaire désignée par le ministre dans ce genre de litige.
La question de la tenue d'une audience à l'égard des appels sur la sévérité de la sentence n'est pas si simple à résoudre. Le requérant fait face ici à une peine d'emprisonnement (quatre mois), qui consti- tue «la privation de liberté la plus grave dans notre droit», comme le juge Wilson l'a mentionné dans la décision précitée de Wigglesworth la page 12] . Cette punition exige «la meilleure protection qu'of- fre notre droit en matière de procédure», soit une audience verbale ou une audience en personne. Telle a été la principale proposition des deux divi sions unanimes de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Singh. Cependant, chacune de ces divisions a exprimé sa propre prémisse mineure selon laquelle une audience verbale n'est pas tou- jours essentielle, en autant que la partie requérante peut «exposer sa cause et savoir ce qu'elle doit prouver», comme l'a dit le juge Wilson dans l'arrêt Singh la page 214). L'autre division de la Cour suprême du Canada, au nom de laquelle le juge Beetz a rédigé l'opinion dans Singh, ne voulait «pas laisser entendre que les principes de justice fondamentale exigent la tenue d'audition dans tous les cas». Il a dit que «Les facteurs les plus impor- tants lorsqu'il s'agit de déterminer le contenu de la justice fondamentale ... dans un cas donné sont la nature des droits en cause et la gravité des consé- quences pour les personnes concernées» la page 229). La «gravité» à laquelle le juge Beetz fait allusion doit être comprise dans un sens qualitatif et non quantitatif. Il est vrai que la peine d'empri- sonnement imposée dans ce cas-ci est relativement courte pour une quatrième infraction, même si, pour la troisième, le requérant a été rétrogradé de major à capitaine. Néanmoins, selon le jugement majoritaire rendu dans l'arrêt Wigglesworth, l'em- prisonnement constitue «la privation de liberté la plus grave dans notre droit» et, dans le présent litige, notre Cour n'a pas à examiner la durée de l'emprisonnement du requérant, mais l'équité de la procédure d'appel.
Les intimés voudraient comparer le sort qu'a connu le requérant à la suite de l'application de la justice militaire à celui qu'il aurait pu avoir s'il avait été jugé et condamné par un tribunal civil. Ils soulignent la nécessité d'obtenir une autorisation (qui est presque toujours accordée) conformément à l'alinéa 675(1)b) du Code criminel [L.R.C. (1985), chap. C-46] pour en appeler de la sentence imposée à la suite d'une déclaration de culpabilité sur acte d'accusation, si la sentence n'est pas celle que fixe la loi. Ils soulignent que le procureur général est tenu, conformément à l'alinéa 676(1)d) [mod. par L.R.C. (1985) (lei suppl.), chap. 27, art. 139)] du Code criminel obtenir l'autorisation pour en appeler de la peine imposée à la suite d'une déclaration de culpabilité sur acte d'accusation, si la sentence n'est pas celle que fixe la loi. En outre, les intimés mentionnent la possibilité, conformé- ment à l'article 685 du Code criminel, que la cour d'appel d'une province donnée renvoie sommaire- ment un appel frivole ou vexatoire qui comporte une simple question de droit sans assigner de personnes à la séance qui est appelée «audition». Qui plus est, les intimés citent l'article 687 du Code criminel selon lequel, si la sentence n'est pas celle que fixe la loi, la Cour d'appel peut la modifier (en diminuant ou augmentant la durée de la peine) dans les limites prescrites par la loi, même si la Couronne ne présente aucune demande à cet égard. Enfin, les intimés mentionnent l'article 688 du Code criminel qui prévoit que, dans certai- nes circonstances, un appelant qui est détenu et représenté par un avocat ou un appelant qui désire présenter sa cause en appel par écrit plutôt que verbalement n'a pas le droit d'être présent à l'audi- tion de son appel. Essentiellement, l'article 688 énonce quelques exceptions au droit d'un appelant détenu d'être présent à l'audition. En général, l'appelant a le droit absolu, tout comme l'ensemble des citoyens, d'assister à l'audition de son appel.
Les intimés notent ce qui suit à l'égard des dispositions précitées du Code criminel:
[TRADUCTION] k) Selon les dispositions de la Loi sur la défense nationale, une personne reconnue coupable d'une infraction a un droit d'appel absolu à l'égard de la sévérité de sa sentence et la Couronne n'a pas le droit de faire un appel reconventionnel; en outre, il n'y a aucune disposition permet- tant à la Cour d'alourdir la peine après l'audition de l'appel.
Bien que l'avocat des intimés se soit exprimé d'une façon très articulée, après tout ce qui a été dit, il
est difficile de comprendre la comparaison qu'ils veulent faire entre le droit pénal général et le droit disciplinaire militaire, surtout si l'on tient compte des affirmations énergiques des intimés selon les- quelles la justice militaire est une institution très sophistiquée dont l'intégrité est presque parfaite (affidavit et contre-interrogatoire du lieutenant- général Fox) et au regard de laquelle les principes du droit civil (non-militaire) pourraient être consi- dérés comme des éléments pour ainsi dire étran- gers. Les intimés sous-entendent peut-être que le capitaine Duncan, le requérant, est chanceux d'avoir évité les embûches du droit civil. Ils ont peut-être raison, mais ce n'est pas pertinent, parce que les intimés ne peuvent dissimuler les lacunes constitutionnelles de la procédure qu'une personne a inventée et qu'ils ont adoptée. On ne saurait invoquer le sort peut-être plus malheureux que connaîtrait un prévenu ou un appelant au civil pour priver de la justice fondamentale les appe- lants dans le domaine militaire. Après tout, qui peut savoir si le requérant, dans la vie civile, aurait fait l'objet de contraintes aussi intenses que celles qu'il a connues au cours de sa carrière militaire comme pilote d'aéroplane compétent et excellent chef du personnel de service et, dans l'affirmative, comment aurait-il pu faire face autrement à ces contraintes? La perpétration d'infractions dans la vie civile se justifie peut-être moins, sur le plan moral, mais l'examen de cette possibilité nous amène à des considérations philosophiques qui débordent le cadre du présent litige.
Les intimés invoquent les dispositions de l'article 1 de la Charte, qui se lit comme suit: «La Charte canadiennne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique» [non souligné dans le texte original]. La Cour est d'avis que les intimés n'ont pas démontré de limite justifiable prescrite par une règle de droit, laquelle permet- trait de refuser au requérant l'accès à la justice fondamentale ou aux procédures équitables en l'empêchant ou en empêchant son avocat d'avoir directement accès à la personne qui se prononcera sur son cas et qui, après tout, doit «l'entendre» avant de prendre une décision aussi importante.
La Cour n'a décelé aucune urgence, raison administrative prépondérante ou autre espèce d'exigence officielle, nationale ou militaire qui jus- tifie que l'on impose aux appelants l'obligation de présenter d'abord au DSJP leurs arguments con- cernant la sévérité de la sentence pour que celui-ci les soumette à l'examen ouvert et attentif du SMA (Per). Cet examen (qui ne peut faire l'objet d'au- tres appels) doit nécessairement être fait une fois que la règle de l'accès direct (audi alteram partem) est appliquée, faute de quoi les principes de justice fondamentale qui caractérisent notre société libre et démocratique seront violés. Quelle que soit la sanction militaire requise, il est évident que cette mesure n'exige pas que l'on enlève aux membres des Forces armées le droit de présenter leurs propres arguments, que ce soit personnelle- ment ou par l'entremise de leur avocat, directe- ment à l'autorité désignée pour statuer sur leurs appels relatifs à la sévérité de la sentence. L'article 1 de la Charte ne s'applique pas dans ces circonstances.
Que signifie tout cela pour les parties? Les intimés, du moins pour l'instant, ont préservé leur précieuse institution, soit celle de la détermination des appels sur la sévérité de la sentence par une autorité militaire. Bien qu'il s'agisse d'une ques tion fort épineuse, la Cour, non sans hésiter, n'est pas prête à déclarer, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la procédure écrite par opposi tion à la procédure verbale dans les appels sur la sévérité de la sentence est constitutionnellement inacceptable.
Aux fins du présent litige uniquement, il semble qu'une audience verbale n'était pas strictement nécessaire, dans la mesure le requérant aurait pu soumettre ses arguments directement au SMA (Per) une fois que son avocat aurait eu la possibi- lité d'examiner le document préparé par le DSJP. Cette procédure ressemblerait à une réponse aux arguments verbaux. Avant même que le requérant ne dépose la présente requête, on lui a épargné le déshonneur et le préjudice financier pouvant découler d'une destitution en application de l'arti- cle 114.08(2) des O & RR, laquelle destitution n'a pas été ordonnée suivant le paragraphe 178(2) [maintenant 206(2)] de la LDN. L'avocat des intimés confirme que le requérant sera libéré hono- rablement à titre de personne pour laquelle aucun
emploi utile n'est disponible à l'heure actuelle. Cependant, le requérant fait encore face à la peine d'emprisonnement de quatre mois imposée par la CMP et, en raison de son appel, il s'agit d'une peine qui découlerait de cette décision réfléchie prise par le SMA(Per) dans le cadre de cette procédure inconstitutionnelle.
La Cour devrait-elle simplement reconnaître la vertu civique dont le requérant a fait montre en signalant cette procédure à son attention pour qu'elle la déclare contraire à l'article 7 de la Charte? Devrait-elle simplement sommer les inti- més de faire mieux à l'avenir? Comme les deux avocats l'ont reconnu, il est évident que, en ce qui a trait à l'appel du requérant, le SMA(Per) est dessaisi du cas. Effectivement, la personne qui occupe actuellement ce poste n'est pas celle qui était en place au moment pertinent. Il n'y a aucune disposition dans la législation qui permet de ren- voyer le cas pour qu'il soit étudié de façon appro- priée par le titulaire actuel qui, en raison du poste qu'il occupe, est functus. Cependant, même si cette disposition existait, il ne serait pas approprié de l'appliquer, compte tenu de l'affidavit de l'actuel titulaire du poste et du contre-interrogatoire serré dont il a fait l'objet de la part de l'avocat, et cette remarque n'a rien de péjoratif ou d'irrespectueux à mon sens. La Cour a toujours le pouvoir discré- tionnaire d'accorder une réparation.
Il y a un autre élément qui incite la Cour à exercer sans hésitation son pouvoir discrétionnaire. On se rappellera que le capitaine (N) Partner a déclaré, dans ses affidavits, que l'avocat du requé- rant avait présenté [TRADUCTION] «des arguments détaillés et complets au sujet de la raison pour laquelle l'appel de son client devrait être accueilli» et que lui, le capitaine (N) Partner, a examiné «pleinement» ces arguments lorsqu'il a transmis son mémoire et ses recommandations au SMA (Per). Ces déclarations se trouvent aux paragra- phes 10 et 11 précités de l'affidavit du capitaine (N) Partner. Qu'est-ce que le DSJP a vraiment remis au SMA(Per) à l'égard de l'appel du requé- rant? Une copie conforme de ce document se trouve à la pièce 1 dans la présente cause. Au paragraphe 9 de cette pièce, il est question de tous «ces arguments détaillés et complets» et des «obser- vations verbales». Il se lit comme suit:
[TRADUCTION] 9. (P) Dans sa déclaration d'appel concernant la sévérité de la sentence (Annexe «A»), le capitaine Duncan a
soutenu que la sentence est excessive, compte tenu de toutes les circonstances. L'avocat qui le représente dans son appel n'a pas fourni d'autres détails. [Non souligné dans le texte original.]
C'est tout! On doit se demander si le capitaine (N) Partner avait, le 29 janvier 1989, oublié tous ces «arguments détaillés et complets» et ces «observa- tions verbales» qu'il a «pleinement étudiés», et s'il s'en est souvenu par la suite, mais trop tard pour le SMA(Per), lorsqu'il est venu déclarer sous ser- ment la véracité de ses affidavits. Peut-être veut-il dire, par les mots «pleinement étudiés», qu'il a soupesé les arguments et observations et les a jugés déficients, épargnant par le fait même au SMA (Per) le souci de les examiner?
S'il y a une chose qui confirme la crainte que des principes valables ne soient court-circuités au nom de «l'efficience», ce qui permettrait aux per- sonnes non supervisées d'agir à leur guise, c'est cette omission du capitaine (N) Partner. Elle indi- que l'application d'une procédure irrémédiable- ment déficiente. Elle renforce le désir de veiller à ce que les principes de justice fondamentale soient appliqués de façon rigoureuse dans tous les cas, comme l'exige la Charte, à moins que l'on ne puisse démontrer une excuse qui en permet l'assou- plissement. Apparemment, il n'y a pas encore de règle valable qui remplace la règle audi alteram partem et l'obligation qu'a l'instance décisionnelle «d'entendre» la partie concernée personnellement et de prendre sa propre décision et il n'y a rien qui remplace le droit pour une personne de présenter ses arguments, que ce soit personnellement ou par l'entremise de son avocat, directement à cette ins tance. De toute évidence, l'avocat du requérant n'aurait jamais toléré que le DSJP transmette directement au SMA(Per) ce mémoire renfermant ce paragraphe 9, s'il avait eu la possibilité de le lire auparavant. Ces facteurs incitent la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du requérant.
En raison des lacunes incurables et fondamenta- les, sur le plan constitutionnel, de la procédure inventée pour les appels se rapportant à la sévérité de la sentence (aucune possibilité pour l'appelant ou son avocat de revoir le mémoire remis par le DSJP au SMA(Per) avant que ce dernier ne rende une décision au sujet de la sévérité et aucune possibilité pour l'appelant ou son avocat de présen- ter ses observations directement à cette instance décisionnelle désignée), la Cour exerce ses pou-
voirs conformément au paragraphe 24(1) de la Charte. Le capitaine Duncan, dont les droits et libertés garantis par la Charte ont été violés ou niés, obtiendra la réparation que la Cour juge appropriée dans les circonstances et qui, faute de mieux, est celle qu'il demandait, soit la prohibi tion.
Il ne conviendrait pas, par défaut, de permettre que le requérant soit emprisonné après qu'il a démontré si clairement les lacunes de la procédure d'appel qui a empêché un règlement approprié et équitable de son appel. Il ne convient pas non plus de signaler aux intimés que, malgré la procédure irrémédiablement déficiente qu'ils ont appliquée pour traiter l'appel du requérant (parmi d'autres), la seule conséquence lourde de cette procédure inéquitable est de confirmer la peine d'emprisonne- ment du requérant, même s'ils ont violé son droit à la justice fondamentale. La voie de la justice semble mener ici à l'annulation de la peine d'em- prisonnement du requérant. Pour certains, ce serait une injustice en soi, mais cette décision compenserait l'injustice créée par la procédure inconstitutionnelle qu'il a été forcé de subir en raison du «système». La voie de la justice mène donc à sa destination en équilibrant et contreba- lançant ces injustices de façon à éviter une viola tion irrémédiable des principes valables de notre droit et de notre Constitution. L'édifice de la justice militaire ne s'écroulera pas si, du fait que le requérant n'est pas emprisonné, les impératifs de la Constitution de notre pays sont respectés. Le résultat inverse serait inapproprié, parce que c'est la Constitution qui est la loi suprême au Canada, et non la LDN, les O & RR ou la procédure inconstitutionnelle qui a été adoptée pour les appels contre la sévérité des sentences.
En conséquence, il est interdit aux intimés d'em- prisonner le requérant dans une caserne de déten- tion ou un autre endroit sous leur contrôle à l'égard de la peine qui lui a été imposée à la suite de son audience devant la cour martiale perma- nente le 28 avril 1988 et confirmée par le SMA (Per) .
Tel étant le résultat, l'ordonnance d'injonction provisoire prononcée par l'honorable juge Joyal en l'espèce le 13 octobre 1989 [(1989), 52 C.C.C.
(3d) 86 (C.F. 1" inst.)] et tout renouvellement de celle-ci sont annulés et dissous simultanément.
Les intimés paieront aux avocats du requérant ses dépens entre parties dans le présent litige, y compris les dépens précédemment ordonnés dans la cause, dès qu'ils seront taxés, sauf si les parties conviennent librement d'une autre entente pour éviter la taxation des dépens.
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