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T-1064-90
Donald P. Gracey et Coldham-Gracey Manage ment and Communications Inc. (demandeurs)
c.
Société Radio-Canada, mandataire de Sa Majesté la Reine, Patricia Best, Donna Tranquada et Ken Wolff (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: GRACEY c. SOCIÉTÉ RADIO-CANADA (I 1s INST.)
Section de première instance, juge Rouleau— Toronto, 24 octobre; Ottawa, 19 décembre 1990.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Action en diffamation contre la Société Radio- Canada et certains de ses employés Les conditions énoncées par la Cour suprême dans l'affaire ITO en ce qui concerne la compétence de la Cour fédérale ne sont pas remplies Le fait que l'action est intentée contre Radio-Canada ne suffit pas pour conférer la compétence voulue à la Cour fédérale, à moins que le recours ne soit prévu par la Loi sur la radiodiffu- sion ou par la Loi sur la responsabilité de l'État La question litigieuse porte sur la définition de l'expression »exis- tence d'une législation fédérale applicable» L'action n'est pas fondée sur le droit fédéral, de sorte qu'elle ne peut pas être instruite par la Cour fédérale Le délit de diffamation prévu par la common law ne relève pas de la compétence législative du législateur fédéral, et relève donc de la compétence des cours supérieures des provinces.
Couronne Responsabilité délictuelle Diffamation Action contre la Société Radio-Canada et certains de ses employés par suite de la diffusion de déclarations apparem- ment malveillantes et diffamatoires Requête présentée par les défendeurs en vue de l'obtention d'une ordonnance radiant la déclaration en vertu de la Règle 419(1)a) La Loi sur la radiodiffusion ne confère pas expressément la compétence à la Cour fédérale dans les cas d'actions en diffamation Étant donné que la diffamation ne relève pas de la compétence législative du législateur fédéral, la Cour n'a pas de compé- tence en l'espèce.
Radiodiffusion Action en diffamation contre la Société Radio-Canada et certains de ses employés par suite de la diffusion de déclarations apparemment malveillantes et diffa- matoires La Loi sur la radiodiffusion ne prévoit pas que la Cour fédérale est compétente en pareil cas La diffamation ne relève pas de la compétence législative du législateur fédé- ral L'affaire relève des cours supérieures des provinces.
Les deux requêtes portent sur une action en diffamation intentée par les demandeurs contre la Société Radio-Canada et contre certains de ses employés qui ont apparemment fait des déclarations malveillantes, fausses et diffamatoires, pendant l'émission .The Morning Show», au sujet de perquisitions effec- tuées par la GRC dans les bureaux des demandeurs. Les demandeurs disent que les déclarations contenaient des supposi tions et des insinuations au sujet de certaines activités commer- ciales auxquelles ils se livraient. La requête des défendeurs vise à l'obtention d'une ordonnance radiant la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action et que
la Cour n'a pas compétence. La requête des demandeurs vise à l'obtention d'une ordonnance en vue de constituer la Couronne partie défenderesse. Il s'agit principalement de savoir si la Cour a compétence pour connaître de l'action. Les demandeurs sou- tiennent que la Loi sur la radiodiffusion, qui crée Radio- Canada, est une loi fédérale suffisante pour fonder une action en diffamation devant la Cour et que sans elle, il n'y aurait pas de diffamation parce que Radio-Canada tire son mandat de cette Loi fédérale.
Jugement: la requête présentée par les défendeurs en vue de faire radier la déclaration pour défaut de compétence devrait être accordée; la requête des demandeurs devrait être rejetée.
La compétence à l'égard de poursuites intentées par ou contre la Couronne fédérale est dans une large mesure régie par l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, qui prévoit que la Cour fédérale connaît de tous les cas de demande de réparation contre la Couronne et que, sous réserve de certaines exceptions, cette compétence est exclusive, et par l'article 23, qui prévoit que la Cour fédérale a compétence dans certains litiges oppo- sant des citoyens, sous réserve de plusieurs conditions préala- bles. L'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 habilite le législateur fédéral à établir des tribunaux «pour la meilleure exécution des lois du Canada». L'étendue de la compétence de la Cour fédérale a été déterminée par la Cour suprême dans l'arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., dans lequel trois conditions ont été énoncées pour établir la compétence.
(1) 11 doit y avoir attribution de compétence par une loi du législateur fédéral. La Cour fédérale n'est pas un tribunal doté d'une compétence générale dans tous les domaines fédéraux: sa compétence doit être fondée sur le libellé des dispositions habilitantes adoptées par le législateur fédéral. Les paragraphes 17(1) (3) de la Loi sur la Cour fédérale s'appliquent à tous les cas une réparation est demandée contre la Couronne. Le fait que les demandeurs ont intenté une action contre Radio- Canada, qui est un organisme national de radiodiffusion et une société d'Etat fédérale, ne suffit pas pour donner compétence à la Cour à moins que le recours exercé ne soit prévu par la Loi sur la radiodiffusion ou par la Loi sur la responsabilité de l'État. La Loi sur la radiodiffusion ne contient aucune disposi tion qui confère expressément à la Cour fédérale la compétence dans les cas de diffamation. Le paragraphe 15(2) de la Loi sur la responsabilité de l'État peut être interprété de manière à autoriser la Cour fédérale à instruire l'affaire, mais il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce. En effet, même si cette Loi conférait une compétence générale, la deuxième condition établie dans l'affaire ITO devrait être remplie.
(2) Pour que l'affaire puisse être instruite, il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. Dans les affaires Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée et McNa- mara Construction (Western) Liée. et autre c. La Reine, la Cour suprême a jugé qu'il doit exister une législation fédérale applicable sur laquelle la compétence de la Cour fédérale peut être fondée. La distinction entre les poursuites qui sont considé- rées comme étant fondées sur la législation fédérale et celles qui ne le sont pas dépend de la source du droit qui aurait été violé. L'action que les demandeurs ont intentée contre Radio-Canada
et les autres défendeurs désignés ne peut pas être instruite par la Cour parce que pareille poursuite n'est pas fondée sur la législation fédérale.
(3) La loi sur laquelle l'affaire est fondée doit être «une loi du Canada, au sens cette expression est utilisée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La diffamation est un délit de common law sur lequel le législateur fédéral n'a pas compé- tence législative et par conséquent, l'affaire relève de la compé- tence des cours supérieures des provinces.
Étant donné que la Cour n'a pas compétence pour connaître de ces procédures, la requête présentée par les défendeurs en vue de la radiation de la déclaration en vertu de la Règle 419 ne peut pas être accueillie. De toute façon, les défendeurs n'ont pas établi qu'il est évident et certain qu'aucune cause d'action n'existe. La requête présentée par les demandeurs en vue de faire constituer la Couronne partie défenderesse doit être reje- tée étant donné que pour ce faire, il faut que la Cour fédérale ait compétence sur l'action entre la partie devant être consti- tuée et la partie adverse.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, article 1) [L.R.C. (1985), annexe II, 5], art. 101.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 17, 23.
Loi sur la diffamation, L.R.O., chap. 237.
Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), chap. B-9, art. 31(4).
Loi sur la responsabilité de l'État, L.R.C. (1985), chap. C-50, art. 2, 3, 15(1),(2), 21(2), 36(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 419(1)a), 1716.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 9 N.R. 471; McNamara Construction (Western) Ltée et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; (1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181; ITO—International Ter minal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Rasmussen c. Breau, [1986] 2 C.F. 500; (1986), 30 D.L.R. (4th) 399; 68 N.R. 379 (C.A.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Bassett v. Canadian Broadcasting Corp. (1980), 30 O.R. (2d) 140; 116 D.L.R. (3d) 332; 17 C.P.C. 254 (H.C.); Airport Taxicab (Malton) Association c. Canada (Minis- tre du Transport) et autres (1986), 7 F.T.R. 105 (C.F. 1'° inst.); Forde et al. c. Waste Not Wanted Inc. et autres (1984), D.R.S. 55-027 (C.F. l'° inst.); Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105 D.L.R.
(3d) 60; 14 C.P.C. 165 (C.A.); Stephens c. R. (1982), 26 C.P.C. 1; [1982] CTC 138; 82 DTC 6132; 40 N.R. 620 (C.A.F.).
DÉCISION NON SUIVIE:
Brière c. Société canadienne d'hypothèques et de loge- ment, [1986] 2 C.F. 484; (1986), 30 D.L.R. (4th) 375; 68 N.R. 385; 42 R.P.R. 66 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511; (1987), 33 C.C.C. (3d) 430; 73 N.R. 149 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146 (P' inst.); Waterside Cargo Co-operative c. Conseil des ports nationaux (1979), 107 D.L.R. (3d) 576 (C.F. P' inst.).
AVOCATS:
Darlene Madott pour les demandeurs. John Vaissi-Nagy pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Teplitsky & Colson, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La requête présentée au nom des défendeurs vise à obtenir une ordonnance en vue de faire radier la déclaration des deman- deurs aux termes de la Règle 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663]; il est allégué que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action et que cette Cour n'a pas compétence pour connaître de l'action. De leur côté, les demandeurs ont présenté une requête visant à obtenir une ordonnance permettant de constituer Sa Majesté du chef du Canada partie défenderesse à la déclaration.
Ces requêtes ont trait à une poursuite en diffa- mation intentée par les demandeurs contre la Société Radio-Canada (SRC) et certains de ses employés. Celle-ci fait suite à des déclarations faites à l'émission «The Morning Show» diffusée sur les ondes de la SRC au sujet d'une série de perquisitions effectuées par la GRC dans les locaux des demandeurs et ceux de leur firme
comptable. Il est allégué que ces déclarations étaient malveillantes, fausses et diffamatoires, et qu'elles contenaient des suppositions et des insi nuations à propos de certaines activités commer- ciales poursuivies par les demandeurs.
En raison de la discussion fort longue soulevée par la question de la compétence, il aurait mieux valu fonder la demande sur les Règles 401 ou 409 des Règles de la Cour fédérale. Celle-ci soulève la question plus délicate que voici: la Cour a-t-elle compétence pour connaître de l'action en diffama- tion intentée par les demandeurs contre les défen- deurs? En substance, la question est de savoir si la compétence pour instruire une telle action a été attribuée à la Cour. J'ai décidé d'approfondir moi- même la question au lieu de soumettre les parties à un autre débat.
La compétence de la Cour fédérale en ce qui a trait aux poursuites intentées par ou contre la Couronne fédérale est une question régie dans une large mesure par la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7]. L'article 17 dispose notamment que la Cour fédérale connaît de tous les cas de demande de réparation contre la Cou- ronne et que, sous réserve de certaines exceptions, cette compétence est exclusive. Il dispose aussi que dans les actions en réparation, au sens l'on entend ce terme dans la Loi, qui sont intentées au civil par la Couronne, la Cour fédérale a compé- tence concurrente avec les cours supérieures des provinces. Par conséquent, la Couronne peut, sous réserve d'importantes conditions préalables, se pourvoir en justice devant la Cour fédérale ou les cours supérieures des provinces. Quant à l'article 23 de la Loi, il dispose, en bref, que la Cour fédérale a compétence dans certains litiges oppo- sant des citoyens, sous réserve de plusieurs condi tions préalables.
Cette compétence dont je viens de tracer les grandes lignes doit être analysée sous l'éclairage des nombreuses décisions judiciaires qui ont été rendues depuis la création de la Cour fédérale et qui ont malheureusement provoqué beaucoup de confusion. Les problèmes soulevés par les limites de cette compétence découlent le plus souvent de considérations d'ordre constitutionnel.
Le pouvoir du Parlement fédéral de créer des tribunaux fédéraux est limité par l'article 101 de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique [Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, no. 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no. 5]], qui prévoit la création de tribunaux «pour la meilleure administration des lois du Canada», mais n'autorise pas l'établissement de tribunaux dotés d'une compétence générale, semblables aux tribunaux des provinces. Par conséquent, la Cour fédérale peut uniquement avoir compétence dans les litiges régis par les «lois du Canada». Il est bien établi que cette expression ne désigne pas toutes les lois, quelles qu'elles soient, en vigueur au Canada, mais les lois fédérales seulement; l'exem- ple le plus clair serait une loi fédérale, ainsi que les règlements et les ordonnances pris en application de cette loi.
À une certaine époque, les tribunaux étaient pour la plupart d'avis que la Cour fédérale pouvait connaître de toute question portant sur un sujet relevant de la compétence législative du Parlement fédéral même si, dans les faits, cette question n'était pas régie par une loi fédérale. Dans ce contexte, les «lois du Canada» pouvaient compren- dre une règle contenue dans une loi provinciale ou une règle issue de la common law, si elle concer- nait un sujet à l'égard duquel le Parlement fédéral aurait pu légiférer.
La Cour suprême du Canada a finalement clari- fié cette notion dans les arrêts Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054 et McNamara Construction (Western) Ltée et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654. Dans l'arrêt Quebec North Shore, la question en litige était de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour connaître d'un litige découlant d'un contrat relatif au trans port de papier journal du Québec jusqu'aux États- Unis. La Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10] semblait attributive de com- pétence car l'article 23 de cette Loi permettait à la Cour fédérale de connaître des litiges concernant des ouvrages s'étendant au-delà des limites d'une province. Le seul élément d'incertitude était le fait que le contrat litigieux était régi non pas par le droit fédéral, mais par les lois du Québec. On semblait croire que la Loi sur la Cour fédérale visait également cette situation parce que l'article
23 parlait d'une demande de réparation faite «en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autre- ment». La Cour suprême du Canada a conclu que la Cour fédérale n'avait pas compétence parce qu'il n'existait aucune législation fédérale applica ble, que ce soit une loi, un règlement ou la common law, sur laquelle la Cour pouvait fonder sa compétence.
Dans l'arrêt McNamara Construction, la Cour suprême du Canada a statué que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour connaître d'une action intentée par la Couronne contre un cons- tructeur et un architecte relativement à l'inexécu- tion d'un contrat prévoyant la construction d'un pénitencier en Alberta. Dans cette affaire, on pré- tendait non seulement que la Loi sur la Cour fédérale était attributive de compétence, mais aussi que le critère de la compétence législative du Parlement fédéral était respecté parce que la Loi constitutionnelle de 1867 donnait au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer au sujet de la Cou- ronne fédérale et des pénitenciers. Toutefois, comme le droit applicable était la common law, la Cour suprême a conclu que cette nouvelle condi tion que posait «l'existence d'une législation fédé- rale applicable» n'avait pas été remplie et, partant, que la Cour fédérale ne pouvait connaître de l'affaire.
Enfin, dans l'arrêt ITO—International Termi nal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, la Cour suprême a formulé un triple critère pour établir la compé- tence de la Cour fédérale. La Cour a déclaré à la page 766:
L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Cana- dien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes:
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être aune loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Je me propose d'examiner chacune de ces condi tions en fonction des faits qui m'ont été soumis, afin d'établir si cette Cour possède la compétence voulue pour se saisir de la question en litige.
1. Attribution de compétence par une loi du Parle- ment fédéral
La première condition prend souvent la forme de l'énoncé voulant que la Cour fédérale soit un tribunal créé par la loi, mais n'ayant aucun pou- voir inhérent à l'exercice de sa compétence. Par la force des choses, la Loi sur la Cour fédérale ou une autre loi fédérale doit être attributive de com- pétence dans le domaine en question. La Cour fédérale n'est pas un tribunal doté d'une compé- tence générale dans tous les domaines fédéraux: sa compétence doit prendre sa source dans le libellé des dispositions habilitantes adoptées par le Parle- ment. Ce libellé, on le trouve évidemment dans les articles 17 et 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
Les paragraphes 17(1) (3) de la Loi sur la
Cour fédérale s'appliquent aux cas de demande de réparation contre la Couronne. Le paragraphe 17(4) s'applique seulement aux actions intentées contre la Couronne elle-même et ne s'étend pas aux actions intentées par ou contre un mandataire de la Couronne. Vu la formulation de l'intitulé de la cause dans la déclaration du demandeur, aucune de ces dispositions ne donne compétence à cette Cour, car la Couronne n'est pas nommée comme partie au litige et les défendeurs qui sont nommés ne sont ni des fonctionnaires ni des préposés de la Couronne.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale est attributif de compétence lorsque la demande de réparation remplit deux conditions. Premièrement, la demande doit être exercée «en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement» et, deuxième- ment, elle doit se rattacher à un sujet tombant dans l'une des catégories mentionnées à la fin de l'article. La cause d'action sur laquelle se fondent les demandeurs doit répondre aux critères de l'ali- néa 23c), c'est-à-dire qu'elle doit concerner des «ouvrages reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province». La question est donc de savoir si le fait d'avoir intenté l'action contre la SRC, qui est un organisme de radiodiffusion national et une société d'État fédé- rale, suffit à donner compétence à cette Cour.
J'estime qu'il faut répondre à cette question par la négative, à moins que le recours exercé par les demandeurs ne soit prévu dans la Loi sur la radio- diffusion, L.R.C. (1985), chap. B-9, elle-même, ou dans la Loi sur la responsabilité de l'État, L.R.C. (1985), chap. C-50.
La Loi sur la radiodiffusion ne contient aucune disposition qui soit expressément attributive de compétence à la Cour fédérale dans une action en diffamation. Le paragraphe 31(4) de la Loi sur la radiodiffusion est ainsi rédigé:
31.. ..
(4) À l'égard des droits et obligations qu'elle assume pour le compte de Sa Majesté sous nom de celle-ci ou le sien, la Société peut ester en justice sous son propre nom devant les tribunaux qui seraient compétents si elle n'était pas mandataire de Sa Majesté.
Plusieurs lois créant des sociétés d'État contien- nent des dispositions semblables. Dans l'arrêt Ras- mussen c. Breau, [1986] 2 C.F. 500 (C.A.), les intimés avaient intenté devant la Cour fédérale une action fondée sur le délit d'appropriation illé- gitime contre la société d'État appelante. La Loi sur le poisson salé, S.R.C. 1970 (1e` Supp.), chap. 37, contenait un article dont le libellé était identi- que à celui du paragraphe 31(4) de la Loi sur la radiodiffusion. Le juge en chef Thurlow a catégo- riquement rejeté l'argument selon la Cour pouvait connaître de l'affaire. A propos de la signification de l'article précité, il a déclaré, à la page 505:
De toute évidence, cet article ne permet aucunement à cette Cour de recevoir une action intentée contre l'appelant. Cepen- dant, il a pour effet d'empêcher l'appelant d'invoquer devant un tribunal compétent un privilège d'immunité en raison du fait qu'il était mandataire de la Couronne ou a agi à ce titre, privilège qu'il aurait peut-être pu invoquer autrement. Dans la cause de Yeats v. Central Mortgage & Housing Corp. ([1950] R.C.S. 513), la Cour suprême du Canada a étudié des disposi tions similaires et décidé que ces dispositions conféraient aux tribunaux provinciaux le pouvoir de recevoir des actions de nature contractuelle intentées contre le mandataire statutaire de la Couronne.
Je conviens que cet article n'est pas attributif de compétence à la Cour fédérale. Au contraire, il ordonne expressément aux parties au litige d'inten- ter des poursuites devant les tribunaux celles-ci seraient normalement instruites. Dans le cas de la diffamation, comme dans le cas de la plupart des délits, il s'agirait des cours supérieures des provin ces. L'arrêt Bassett v. Canadian Broadcasting
Corp. (1980), 30 O.R. (2d) 140 (H.C.), confirme cette opinion. Dans cette affaire, le juge Southey a rejeté une demande visant à faire radier une action en diffamation du registre de la Haute Cour de l'Ontario au motif que le paragraphe 31(4) l'époque le paragraphe 40(4)] de la Loi sur la radiodiffusion avait été adopté dans le but de placer la SRC sur le même pied qu'une société ordinaire relativement à la possibilité de faire l'ob- jet de poursuites civiles.
L'avocat des demandeurs soutient que même si je devais me déclarer incompétent aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ou de la Loi sur la radiodiffusion, la Loi sur la responsabilité de l'État attribue à cette Cour la compétence voulue pour instruire l'affaire.
Selon l'ancienne maxime de common law vou- lant que le Roi ne puisse mal faire («the King can do no wrong»), la Couronne elle-même ne pouvait être poursuivie en responsabilité délictuelle. Les biens de la Couronne ne pouvaient être touchés, indirectement, lors d'une poursuite en responsabi- lité délictuelle intentée contre un ministère du gouvernement ou un fonctionnaire de la Couronne. De plus, comme les ministères n'étaient pas des entités juridiques, ils ne pouvaient être poursuivis en justice. Les préposés de la Couronne ne pou- vaient engager leur responsabilité du fait d'autrui lorsque des fautes étaient commises par des subal- ternes, qui étaient eux-mêmes des préposés de la Couronne et non de leurs supérieurs. Les préposés qui commettaient des actes dommageables étaient tenus personnellement responsables sous le régime de la common law du préjudice causé à autrui et, si l'acte était commis à la demande d'un supérieur, ce dernier pouvait lui aussi engager sa responsabi- lité, pas du fait d'autrui, mais plutôt parce que l'acte du subalterne, dans ces circonstances, était considéré comme son propre fait.
La Loi sur la responsabilité de l'État a modifié ces anciennes règles de droit public. Aux termes des articles 2 et 3 de la Loi, la Couronne engage désormais sa responsabilité civile délictuelle à l'égard du préjudice causé par un préposé qui commet un acte fautif. Un mandataire comme la Société Radio-Canada est un préposé de la Cou- ronne. Conformément à l'article 15 de la Loi, la Cour fédérale a compétence exclusive en première instance pour connaître des demandes en domma-
ges-intérêts formées au titre de la Loi. Cet article est ainsi conçu:
15. (1) Sauf dans les cas prévus à l'article 21, et sous réserve de l'article 36, la Cour fédérale a compétence exclusive pour connaître des demandes en dommages-intérêts formées au titre de la présente loi.
(2) La Cour fédérale a compétence concurrente de première instance à l'égard des réclamations visées par le paragraphe 21(2) et de toute réclamation qui peut être le sujet d'une action, poursuite ou autre procédure judiciaire mentionnée à l'article 36.
Le paragraphe 21(2) prévoit qu'une réclamation contre la Couronne ne dépassant pas 1 000 $ est du ressort des tribunaux provinciaux. Cependant, le paragraphe 36(1) dispose que:
36. (1) Les paragraphes 15(1) et 21(1) et (2) ne s'appliquent pas aux poursuites intentées aux termes d'une loi fédérale, pour l'un des motifs énoncés aux articles 3 à 8, contre un organisme mandataire de l'État devant un tribunal autre que la Cour fédérale.
Cette disposition a pour effet de rendre inopé- rant le paragraphe 15(1), qui attribue une compé- tence exclusive en première instance à la Cour fédérale, lorsqu'une loi du Parlement dispose que l'action doit être intentée devant un tribunal pro vincial. Selon moi, le paragraphe 36(1) enlève toute compétence à la Cour fédérale lorsque la loi habilitante qui régit la société d'État permet d'in- tenter l'action devant les cours supérieures des provinces. Le rapprochement de cet article et du paragraphe 31(4) de la Loi sur la radiodiffusion m'amène à conclure que l'action en diffamation intentée contre les défendeurs ne peut être ins- truite par la Cour. Cette conclusion est conforme à l'énoncé voulant que la Cour fédérale soit un tribunal créé par la loi et que sa compétence soit circonscrite par des dispositions législatives. Subsi- diairement, une cause d'action comme celle-ci ne se fonde sur aucune compétence inhérente que pourrait avoir la Cour fédérale aux termes de l'article 101 et des dispositions législatives qui en découlent.
Aux termes du paragraphe 15(2) de la Loi sur la responsabilité de l'État, la Cour fédérale a compétence concurrente à l'égard de toute récla- mation qui peut être le sujet d'une action, pour- suite ou autre procédure judiciaire mentionnée à l'article 36. Il n'y a pas de doute que la présente action correspond à cette description: la Société
Radio-Canada est un mandataire de la Couronne et la loi habilitante permet d'intenter des actions devant les cours supérieures des provinces. À mon avis, cet article est susceptible de recevoir une interprétation ayant pour effet d'attribuer à la Cour fédérale la compétence voulue pour instruire cette affaire.
Toutefois, ce n'est pas une question qu'il faut nécessairement trancher dans le présent litige. Même si le paragraphe 15(2) de la Loi sur la responsabilité de l'État constitue une attribution générale de compétence à la Cour fédérale, il faut aussi que la deuxième condition fixée par la Cour suprême dans l'arrêt ITO soit remplie.
2. Existence d'une législation fédérale
La deuxième condition à remplir pour que l'on puisse conclure à la compétence de la Cour fédé- rale est l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. Cette condition a été formulée dans les arrêts Quebec North Shore et McNamara Construction, dans lesquels la Cour suprême a conclu que la compétence législative du Parlement ne suffisait pas: il doit exister une législation fédé- rale applicable sur laquelle la Cour fédérale peut fonder l'exercice de sa compétence. C'est à ce moment seulement qu'il est permis d'affirmer qu'il s'agit d'un sujet visé par l'expression «administra- tion des lois du Canada» employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est remar- quable que la Cour suprême ne se soit jamais penchée sur la notion de meilleure administration de ces lois, mais c'est une toute autre question.
Ce critère, qui peut sembler simple, n'est facile à appliquer que dans les cas extrêmes. Lorsqu'une loi fédérale attribue un droit d'action complet, en créant une obligation et en prévoyant un recours, il n'y a pas de doute que la poursuite est fondée sur du droit fédéral. En revanche, si l'obligation et le recours sont prévus dans une loi provinciale, les arrêts Quebec North Shore et McNamara s'appli- quent et la Cour fédérale n'a alors aucune compé- tence. Ce sont les nombreux cas qui se rangent entre ces deux extrêmes qui ont suscité et conti- nuent de susciter des litiges au sujet de l'étendue de la compétence de cette Cour.
La question qui est immanquablement soulevée dans ces affaires est de savoir ce que signifie l'expression «existence d'une législation fédérale applicable». L'avocat des demandeurs a soutenu devant moi que la Loi sur la radiodiffusion, sous le régime de laquelle les défendeurs agissaient ou travaillaient au moment ils ont commis la faute qu'on leur reproche, constitue une législation fédé- rale suffisante pour que cette deuxième condition soit remplie.
La Cour d'appel fédérale a examiner cette question à plusieurs reprises dans des actions en responsabilité délictuelle intentées contre des fonc- tionnaires ou des préposés de la Couronne. Dans chaque cas, le demandeur désirait invoquer, comme en l'espèce, la législation fédérale sous le régime de laquelle le préposé de la Couronne agissait au moment de commettre le délit qu'on lui reprochait. Dans l'arrêt Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86 (C.A.), la Cour d'appel a conclu que les poursuites intentées, à la suite de l'écrasement d'un avion, contre des contrô- leurs aériens et d'autres employés du ministère des Transports qui avaient assumé des responsabilités en vertu de la Loi sur l'aéronautique [S.C.R. 1970, chap. A-3] et d'un règlement d'application de cette Loi ne pouvaient être considérées comme étant fondées sur ces dispositions législatives. Les poursuites ont été rejetées pour cause d'incompé- tence.
Dans l'arrêt Stephens c. R. (1982), 26 C.P.C. 1 (C.A.F.), il s'agissait d'une poursuite intentée contre des fonctionnaires de Revenu Canada à qui l'on reprochait d'avoir commis une violation du droit de propriété et d'avoir effectué une saisie illégale, outrepassant ainsi le pouvoir qui leur était conféré par la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63]. Même si cette Loi pouvait s'appliquer à des questions comme la validité et la justification légale des gestes posés par les fonc- tionnaires, la Cour a conclu que le droit de récla- mer des dommages-intérêts était prévu par une loi provinciale et qu'il ne relevait pas de la compé- tence de la Cour fédérale.
Comme je l'ai déjà mentionné, c'est une pour- suite fondée sur le délit d'appropriation illégitime qui avait été intentée contre une société d'État dans l'arrêt Rasmussen c. Breau. La Cour fédérale a conclu qu'aucune loi fédérale ne s'appliquait à
l'appelant, qui était poursuivi en dommages-inté- rêts pour l'appropriation illégitime qu'on lui repro- chait. Le fondement de la réparation résidait dans une loi de la province de Terre-Neuve, avaient eu lieu l'achat et la vente jugés illégaux. D'ailleurs, dans l'arrêt Rasmussen, on a conclu que le délit avait, tout compte fait, été commis par la Cou- ronne elle-même à cause de ses relations avec la société.
Deux autres décisions rendues par la Cour d'ap- pel fédérale, mais qui sont difficiles à concilier avec les arrêts Pacifie Western, Stephens et Ras- mussen, montrent à quel point la distinction peut devenir subtile entre les demandes de réparation que l'on considère fondées sur du droit fédéral, et celles qui ne le sont pas. Dans l'arrêt Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.), la Cour a été saisie d'une action en dommages-intérêts intentée contre le président et un membre de la Commis sion nationale des libérations conditionnelles qui résultait de la révocation illégale de la libération d'un prisonnier. Elle a conclu que l'allégation d'ar- restation illégale et d'emprisonnement injustifié était fondée sur la loi fédérale qui régissait le droit du prisonnier d'être libéré, mais c'est une conclu sion qui semble tout à fait contraire à celle qui a été tirée dans l'arrêt Stephens.
Apparemment, la distinction réside dans la source du droit qui aurait été violé. Ainsi, dans l'arrêt Oag, la Cour a déclaré que le droit à la liberté découlait non pas de la common law, mais d'une loi fédérale, tandis que dans l'arrêt Ste- phens, c'était le droit à la libre jouissance des biens, issu de la common law, qu'on disait violé, et la Loi de l'impôt sur le revenu n'a été appliquée, et encore, que pour justifier la violation du droit de propriété.
La deuxième décision concerne l'affaire Brière c. Société canadienne d'hypothèques et de loge- ment, [1986] 2 C.F. 484 (C.A.), dans laquelle les demandeurs avaient intenté devant la Cour fédé- rale deux actions en responsabilité délictuelle, l'une contre la Reine du chef du Canada, l'autre contre la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Le juge Marceau, qui a rédigé les motifs du jugement au nom de la Cour, a conclu que pour déterminer si la cause d'action était fondée sur du droit fédéral, il fallait examiner dans quelle
mesure la Loi sur la responsabilité de l'État avait modifié les principes de droit public relatifs aux immunités et aux privilèges de la Couronne. Il a déclaré, à la page 494:
Ce n'est qu'en 1953, avec l'adoption de la Loi sur la respon- sabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, qu'est surve- nue la grande transformation du droit commun de la responsa- bilité délictuelle de la Couronne. Le Parlement, en effet, mettait fin à l'immunité de principe de la Couronne pour les actes fautifs de ses préposés, ne maintenant que l'exigence purement procédurale de la pétition de droit qui elle-même devait tôt disparaître avec la création de la Cour fédérale. Mais la Loi sur la responsabilité de la Couronne parle de la Cou- ronne; on ne voit pas tout de suite comment et dans quelle mesure elle a pu affecter le droit commun de la responsabilité délictuelle des corporations agents de la Couronne.
Le juge Marceau a finalement conclu que lors- que la faute était commise par un employé de la société qui n'était pas un préposé de la Couronne, la Loi ne permettait pas à la société de faire appel, en tant que mandataire de la Couronne, à une immunité qui n'existait plus (pour la Couronne elle-même). Par conséquent, comme c'est la Loi sur la responsabilité de l'État qui créait le recours de la victime contre la société pour la faute de ses employés, la cause d'action se rattachait directe- ment au droit fédéral. Le juge a donc conclu que la condition voulant que l'action soit fondée, au moins en partie, sur du droit fédéral avait été remplie.
On me pardonnera de ne pas être d'accord avec ce raisonnement. Je ne pense pas que les articles 3, 15, 21 et 36 de la Loi sur la responsabilité de l'État puissent constituer le fondement de la com- pétence de cette Cour dans n'importe qu'elle pour- suite civile, simplement parce que la Couronne du chef du Canada, ou l'un de ses mandataires, est partie défenderesse à l'action et que la Loi elle- même porte sur la responsabilité délictuelle de la Couronne. À mon sens, ce n'est pas ce qu'a voulu dire la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a parlé de «d'existence d'une législation fédérale applicable» dans les arrêts Quebec North Shore, McNamara et ITO, à savoir un ensemble de règles de droit qui soit essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
On ne saurait considérer que ces articles don- nent à la Cour fédérale la compétence voulue pour connaître de ce genre d'action parce qu'on ne peut valablement les interpréter comme des dispositions
ne comportant aucune restriction. L'application de ces articles doit se limiter aux actions et aux poursuites se rapportant à un sujet régi par une loi qui relève de la compétence législative du Parle- ment fédéral. Cette loi doit, à son tour, attribuer un droit d'action complet, c'est-à-dire créer une obligation et prévoir un recours.
J'en arrive donc à la conclusion que cette Cour ne peut connaître de l'action intentée par les demandeurs contre la Société Radio-Canada et les autres défendeurs nommés, parce que cette action n'est pas fondée sur du droit fédéral. De plus, même si une loi fédérale était attributive de com- pétence à la Cour fédérale dans la présente ins tance, il n'y a aucun ensemble de règles de droit fédérales sur la diffamation susceptible de consti- tuer le fondement de cette attribution. Cette ques tion sera analysée dans la rubrique suivante.
3. Compétence législative
La troisième condition à remplir pour que l'on puisse conclure à la compétence de la Cour fédé- rale est la suivante: la loi fédérale invoquée comme fondement de cette attribution de compétence doit relever de la compétence législative du Parlement fédéral. En l'espèce, l'infraction reprochée est la diffamation, dont les origines remontent à la common law. Par conséquent, l'action en diffama- tion est normalement instruite par les cours supé- rieures des provinces. La Loi sur la diffamation, L.R.O., chap. 237, sur laquelle l'action est fondée, est une loi provinciale qui codifie ce délit de common law.
Comme je l'ai mentionné, l'avocat des deman- deurs prétend que la Loi sur la radiodiffusion, qui crée la Société Radio-Canada, est une loi fédérale qui suffit à constituer le fondement de la poursuite en diffamation intentée devant cette Cour. Si la Loi sur la radiodiffusion n'existait pas, soutient-il, il ne pourrait y avoir de diffamation parce que c'est de cette loi fédérale que la SRC tire son mandat.
Cet argument ne me convainc pas. Il est acces- soire que la SRC soit un organisme fédéral, car la question principale est de savoir si les employés de la Société ont diffamé les demandeurs. On doit considérer que cette cause d'action a une existence distincte en vertu du droit des délits, à moins que la Loi sur la radiodiffusion ne prévoie un tel
recours. L'examen de la Loi révèle qu'il n'en est rien. Selon moi, la diffamation est un délit issu de la common law, à l'égard duquel le Parlement du Canada n'a aucune compétence législative: par conséquent, ce sont les cours supérieures des pro vinces qui peuvent connaître de cette question. Je me permets d'ajouter que le Parlement n'a jamais prétendu tenir la Couronne responsable des propos diffamatoires que pourrait tenir sa société.
Comme la Cour n'a pas la compétence voulue pour connaître de cette action, il m'est impossible d'accueillir la requête des défendeurs en vue de faire radier la déclaration des demandeurs aux termes de la Règle 419. Toutefois, à supposer même que je conclue à la compétence de cette Cour, je refuserais de radier la déclaration des demandeurs au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. En effet, la Cour rejet- tera une action ou radiera une requête pour ce motif uniquement dans les cas patents ou lors- qu'elle est convaincue hors de tout doute raisonna- ble que la cause des demandeurs est vouée à l'échec. Lorsqu'elle est saisie d'une requête de cette nature, la Cour exercera généralement son pouvoir discrétionnaire et refusera de radier la déclaration s'il n'est pas manifestement clair que l'action des demandeurs n'a aucune justification légale. En cas de doute, c'est au juge de première instance qu'il revient de se prononcer.
En conséquence, celui qui présente une requête aux termes de la Règle 419(1)a) supporte un lourd fardeau. En l'espèce, la preuve n'était pas suffi- samment convaincante. Dans leur déclaration, les demandeurs allèguent que les défendeurs ont commis le délit de diffamation, qui est une cause d'action connue en droit. En supposant que tous les faits allégués dans la déclaration soient vrais, les demandeurs ont une cause défendable. Les défen- deurs ne m'ont pas convaincu qu'il s'agit en l'es- pèce d'un cas «patent», et n'ont pas réussi à prou- ver hors de tout doute raisonnable qu'il n'y a aucune cause d'action.
La dernière question à trancher concerne la requête présentée par les demandeurs en vue de constituer la Couronne du chef du Canada partie défenderesse à la déclaration. La Règle 1716 des Règles de la Cour fédérale contient des disposi tions sur la constitution de partie demanderesse ou défenderesse. Les arrêts qui ont été rendus sur
cette Règle précisent bien que je ne suis pas en mesure d'accueillir la requête des demandeurs. Pour que la constitution de partie puisse être auto- risée, il faut d'abord que la Cour fédérale ait compétence pour connaître de l'action opposant la partie devant être constituée et la partie adverse. Le requérant doit prouver l'existence d'une législa- tion fédérale pouvant soutenir une action entre lui-même et la partie dont il demande la constitution.
Dans l'arrêt Airport Taxicab (Malton) Associa tion c. Canada (Ministre du Transport) et autres (1986), 7 F.T.R. 105 (C.F. inst.), la Cour a conclu qu'on ne pouvait constituer une personne codéfenderesse aux termes de la Règle 1716 parce qu'on ne pouvait faire valoir aucune cause d'action fondée sur du droit fédéral contre la partie défen- deresse proposée. Par ailleurs, dans l'arrêt Forde et al. c. Waste Not Wanted Inc. et autres (1984), D.R.S. 55-027 (C.F. 1" inst.), la Cour a refusé de constituer des requérants parties défenderesses parce qu'elle n'était pas compétente pour connaître de l'action intentée par le demandeur contre les requérants. Des décisions analogues ont été ren- dues dans les arrêts La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146 (1" inst.) et Waterside Cargo Co-operative c. Conseil des ports nationaux (1979), 107 D.L.R. (3d) 576 (C.F. inst.). Cette liste est loin de répertorier toutes les décisions relatives à cette question.
Par ces motifs, la requête présentée par les demandeurs en vue de constituer partie la Cou- ronne du chef du Canada est rejetée. La requête des défendeurs visant à faire radier la déclaration des demandeurs au motif que cette Cour n'a pas compétence pour connaître de l'action est accueil- lie.
Les défendeurs ont droit aux dépens.
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