T-1934-87
Thomas Jackson (demandeur)
c.
Le tribunal disciplinaire, pénitencier de Joyce-
ville, savoir Donald Schlichter, président indépen-
dant et le procureur général du Canada (défen-
deurs)
RÉPERTORIÉ: JACKSON C. PÉNITENCIER DE JOYCEVILLE (1°`
INST.)
Section de première instance, juge MacKay —
Ottawa, 13, 14, 15, 17 mars 1989 et 16 février
1990.
Pénitenciers — Analyse d'urines obligatoire en vue de la
détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art. 41.1
du Règlement sur le service des pénitenciers — Le but visé est
la diminution de la violence dans les prisons — L'art. 41.1
viole le droit à la liberté et à la sécurité de la personne prévu
par l'art. 7 de la Charte et porte atteinte à la protection contre
les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garantie
par l'art. 8 de la Charte, parce qu'en l'absence de critères
régissant son application, il permet au personnel du pénitencier
d'exiger d'un détenu qu'il fournisse un échantillon d'urines s'il
est soupçonné d'avoir absorbé une substance hallucinogène.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Pénitenciers — Analyse d'urines obligatoire en vue
de la détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art.
41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers — Étant
donné la possibilité d'audiences disciplinaires en cas de refus,
l'art. 41.1 viole l'art. 7 de la Charte car il restreint le droit du
détenu à la liberté et à la sécurité de sa personne d'une
manière qui n'est pas conforme aux principes de justice
fondamentale.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Fouilles ou saisies — Pénitenciers —
Analyse d'urines obligatoire en vue de la détection de sub
stances hallucinogènes en vertu de l'art. 41.1 du Règlement sur
le service des pénitenciers — Porte atteinte à la protection
contre les fouilles et les saisies abusives garantie par l'art. 8 de
la Charte, car le règlement ne contient aucun critère régissant
son application.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — Pénitenciers — Analyse d'urines obligatoire en vue de
la détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art.
41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers — Le but du
programme est la diminution de la violence dans les prisons
Les restrictions des droits garantis par les art. 7 et 8 de la
Charte, que comporte l'art. 41.1, ne constituent pas, en l'ab-
sence de critères régissant son application, une restriction
raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l'art.
premier de la Charte.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Pénitenciers — Analyse d'urines obligatoire en vue
de la détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art.
41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers — Il ne s'agit
pas de discrimination interdite par l'art. 15 de la Charte,
puisque le traitement distinct découle de crimes passés et non
de caractéristiques personnelles.
Le Règlement sur le service des pénitenciers a été modifié en
1985 afin que soit autorisée l'analyse d'urines obligatoire en vue
de détecter la présence de drogues dans les pénitenciers et de
dissuader les détenus d'en faire usage (article 41.1) et afin que
soient précisées les conséquences d'un résultat positif (alinéa
39i.1)). D'après le programme, dix pour cent de tous les
détenus devaient être choisis au hasard tous les deux mois et
soumis à une analyse. À l'origine, le programme de surveillance
au moyen d'analyses d'urines devait être instauré en vertu
d'ordres permanents dans deux établissements: celui de Joyce-
ville en Ontario et celui de Cowansville au Québec. Mais en
août 1986, la Cour supérieure du Québec a déclaré que le
règlement violait l'article 7 de la Charte et ne constituait pas
une exception visée par l'article premier. Cette décision a été
portée en appel.
En avril 1987, le demandeur, détenu au pénitencier de Joyce-
ville, a été soupçonné d'être sous l'empire d'une substance
hallucinogène. Il a reçu l'ordre de fournir un échantillon d'uri-
' nes conformément à l'article 41.1 du Règlement. Il a refusé
parce qu'à son avis, cet ordre était contraire à ses droits
constitutionnels. Il a été inculpé et déclaré coupable de l'infrac-
tion prévue à l'alinéa 39a) du Règlement, savoir désobéissance
à un ordre légitime.
Cette action visait l'obtention d'une déclaration portant que
l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers
transgresse les articles 7, 8 et 15 de la Charte.
Jugement: il devrait être fait droit à l'action.
L'article 8 de la Charte
L'obligation de fournir un échantillon constituait une fouille
au sens de l'article 8 de la Charte. On ne pouvait affirmer que
le détenu avait la faculté de refuser puisqu'il encourait la même
sanction en cas de refus qu'en cas de consommation de sub
stances hallucinogènes. La fouille autorisée en l'espèce était
abusive au sens de l'article 8.
Vu les faits allégués et prouvés, la question se ramenait aux
circonstances clairement décrites, selon une interprétation
stricte de l'article 41.1 du Règlement, savoir le fait qu'un
membre du personnel avait cru ou soupçonné que Jackson avait
consommé une substance hallucinogène «autre qu'un alcool de
fabrication artisanale». Les directives du commissaire n'ont pas
' force de loi et elles ne pouvaient pas assortir le règlement en
cause d'une réserve ni prescrire une limite au sens de l'article
premier de la Charte. Néanmoins, dans le vaste domaine des
activités de l'État aujourd'hui, diverses actions sont accomplies
dans l'application de divers actes et instruments censés avoir été
pris en conformité avec des lois et des textes réglementaires de
portée générale, comme le reconnaît implicitement le Pro
gramme de la réforme de la réglementation fédérale. Par
conséquent, les tribunaux seraient peut-être bien avisés en
adoptant une interprétation large de ce qui constitue une règle
de droit ou une action prévue par la loi si la Charte des droits
doit s'appliquer intégralement à l'action de l'État. Il fallait
toutefois, en l'espèce, interpréter l'article 41.1 du Règlement
sans tenir compte des modifications ou des réserves qui décou-
laient des directives et des ordres permanents régissant, en
l'occurrence, son application. Et tel quel, sans critères explici-
tes, sauf le fait pour un agent de juger la mesure nécessaire,
l'article 41.1 du Règlement ne pouvait être considéré comme
une loi raisonnable autorisant des fouilles et il ne satisfaisait
donc pas aux exigences de l'article 8 de la Charte.
L'article 7 de la Charte
L'article 41.1, dont l'application est combinée à la prise de
sanctions disciplinaires conformément aux ordres permanents
en cas d'omission de fournir un échantillon en dépit d'un ordre
reçu, constituait une atteinte aux droits fondamentaux des
détenus à la liberté et à la sécurité de leur personne. Cette
atteinte, en l'absence de critères suivant lesquels un échantillon
pouvait être exigé, n'était pas conforme aux principes de justice
fondamentale.
L'article premier de la Charte
Il est ressorti de toute évidence de la preuve que la présence
de substances hallucinogènes dans les établissements péniten-
tiaires créait de très graves problèmes, entre autres en augmen-
tant le risque et le degré de violence qui menaçaient la sécurité
de ces établissements tant pour le personnel que pour les
détenus. Certes, l'objectif premier du règlement, savoir la pré-
vention de l'usage des drogues en vue de l'amélioration de la
sûreté et de la sécurité dans les établissements, donnait lieu à
des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et
démocratique, et les mesures qui étaient prévues à titre dissua-
sif et afin de déceler la consommation non autorisée de drogues
et de substances hallucinogènes n'étaient pas exceptionnelles
dans d'autres sociétés libres et démocratiques, mais les moyens
choisis, étant donné l'absence de normes ou de critères limitant
les pouvoirs attribués en matière de fouille, étaient abusifs.
L'article 41.1 n'était donc pas une limite raisonnable au sens de
l'article premier de la Charte.
L'article 15 de la Charte
Selon une allégation faite en l'espèce, le demandeur aurait
appartenu au seul groupe au Canada, savoir celui des détenus,
dont les membres étaient tenus aux termes de la loi de se
soumettre à une analyse d'urines sous peine de sanctions péna-
les. Même si cette assertion avait été véridique, la différencia-
tion n'était pas discriminatoire au sens de l'article 15. Elle ne se
rapportait pas à l'un ou l'autre des motifs énumérés et interdits,
ou motifs analogues, qui touchent des caractéristiques person-
nelles. Le traitement distinct dont faisaient l'objet les détenus,
en tant que groupe, ne découlait pas de caractéristiques person-
nelles mais bien de leur conduite passée, qui était répréhensible.
Ces distinctions-là ne sont pas interdites par la Charte.
Le demandeur avait également droit à une déclaration por-
tant que la déclaration de culpabilité prononcée par le tribunal
disciplinaire était illégale et inopérante.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), Appendice II, n° 44], art. 1, 7, 8, 15,
24(1).
Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25, art. 497.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
Appendice II, n° 44], art. 52(1).
Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), chap. P-5,
art. 35(4), 37.
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C.,
chap. 1251, art. 2 (mod. par DORS/85-412, art. 1),
39a),i),i.1) (édicté, idem, art. 2), j), 41(2)c) (mod. par
DORS/80-462, art. 1), 41.1 (édicté, par DORS/85-
412, art. 3).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
420.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Dion c. Procureur général du Canada, [1986] R.J.Q.
2196; 30 C.C.C. (3d) 108; [1986] D.L.Q. 353 (C.S.); R.
c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th)
508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33
C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R.
276; Weatherall c. Canada (Procureur général), [1989] 1
C.F. 18; (1988), 65 C.R. (3d) 27; 19 F.T.R. 160; 86 N.R.
168 (C.A.); infirmant en partie [1988] 1 C.F. 369;
(1987), 59 C.R. (3d) 247; 11 F.T.R. 279 (1"° inst.);
Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus
de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977),
74 D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285;
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
(1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6
W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14
C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9
C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Singh et autres
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1
R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R.
137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Operation Dismantle Inc.
et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441;
(1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13
C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Renvoi: Motor Vehicle Act de la
C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536;
[1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d)
289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63
N.R. 266; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988),
63 O.R. (2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d)
449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C.
1; Re Ontario Film & Video Appreciation Society and
Ontario Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80; 5
D.L.R. (4th) 766; 38 C.R. (3d) 271; 2 O.A.C. 388
(C.A.); Luscher c. Sous-ministre, Revenu Canada,
Douanes et Accise, [1985] 1 C.F. 85; (1985), 17 D.L.R.
(4th) 503; 9 C.E.R. 229; 45 C.R. (3d) 81; 15 C.R.R. 167;
[1985] 1 C.T.C. 246; 57 N.R. 386 (C.A.); Andrews c.
Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143;
(1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34
B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. v. Katsigiorgis (1987), 62 O.R. (2d) 441; 39 C.C.C.
(3d) 256; 4 M.V.R. (2d) 102; 23 O.A.C. 27 (C.A.); R. v.
L.A.R. (1985), 17 D.L.R. (4th) 268; [1985] 3 W.W.R.
289; 32 Man. R. (2d) 291; 18 C.C.C. (3d) 104; 45 C.R.
(3d) 209; 14 C.R.R. 328; 32 M.V.R. 61 (C.A.); R. c.
Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th) 481;
[1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C. (3d) 57;
66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Noble (1984), 48 O.R. (2d) 643; 14 D.L.R. (4th)
216; 16 C.C.C. (3d) 146; 42 C.R. (3d) 209; 12 C.R.R.
138; 6 O.A.C. 11 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29
D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 67
N.R. 241; Law c. Solliciteur général du Canada, [1985]
1 C.F. 62; (1984), 11 D.L.R. (4th) 608; 57 N.R. 45
(C.A.); Zwarich c. Canada (Procureur général), [ 1987] 3
C.F. 253; (1987), 26 Admin. L.R. 295; 87 C.L.L.C.
14,053; 31 C.R.R. 244; 82 N.R. 341 (C.A.); Tétreault-
Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'im-
migration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53
D.L.R. (4th) 384; 33 Admin. L.R. 244; 23 C.C.E.L. 103;
88 CLLC 14,050; 88 N.R. 6 (C.A.); autorisation de
pourvoi accordée [1989] 2 R.C.S. 1110; Canada (Procu-
reur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714; (1987), 46
D.L.R. (4th) 165; 82 N.R. 352 (C.A.); Alli c. Canada
(Procureur général) (1988), 88 N.R. 1 (C.A.F.); Canada
(Procureur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39
(C.A.F.); R. v. Racette (1988), 48 D.L.R. (4th) 412;
[1988] 2 W.W.R. 318; 61 Sask. R. 248; 39 C.C.C. (3d)
289; 6 M.V.R. (2d) 55 (C.A. Sask.); R. v. Dyment
(1986), 57 Nfld. & P.E.I.R. 210; 26 D.L.R. (4th) 399;
170 A.P.R. 210; 25 C.C.C. (3d) 120; 49 C.R. (3d) 338;
38 M.V.R. 222; (C.A. Î.-P.-É.); R. v. Enns (1987), 85
A.R. 7; 3 W.C.B. (2d) 186 (C. prov.); R. v. Holman
(1982), 28 C.R. (3d) 378; 16 M.V.R. 225 (C. prov.
C.-B.); Jensen v. Lick, 589 F. Supp. 35 (Dist. Ct. 1984);
Spence v. Farrier, 807 F.2d 753 (8th Cir. 1986); Peranzo
v. Coughlin, 675 F. Supp. 102 (S.D.N.Y. 1987); Natio
nal Treasury Employees Union v. Von Raab, 816 F.2d
170 (5th Cir. 1987) confirmé en appel par 103 L.Ed. 2d
685 (1989); McDonell v. Hunter, 809 F.2d. 1302 (8th
Cir. 1987); R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; (1988),
67 O.R. (2d) 63; 55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d)
296; 66 C.R. (3d) 297; 89 N.R. 1; 30 O.A.C. 241; Lanza
v. New York, 370 U.S. 139 (Ct. App. N.Y. 1962); Bell v.
Wolfish, 441 U.S. 520 (2nd Cir. 1979); Hudson v.
Palmer, 468 U.S. 517 (4th Cir. 1984); R. c. Oakes,
[1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24
C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R.
87; 14 O.A.C. 335; Skinner v. Railway Labour Executi
ves' Assn., 103 L.Ed. 2d 639 (1989); Mack v. U.S.,
F.B.I., 653 F.Supp. 70 (S.D.N.Y. 1986); appel rejeté 814
F.2d 120 (2nd Cir. 1987); Shoemaker v. Handel, 795
F.2d 1136 (3rd Cir. 1986).
AVOCATS:
Fergus J. O'Connor et Donald A. Bailey pour
le demandeur.
J. Grant Sinclair, c.r. et Brian J. Saunders
pour les défendeurs.
PROCUREURS:
O'Connor, Ecclestone and Kaiser, Kingston
(Ontario), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada, pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACKAY:
Introduction.• Les questions en litige
Le demandeur, détenu au pénitencier de Joyce-
ville, demande une réparation sous forme de juge-
ment déclaratoire qui protégerait son droit, garanti
d'après lui par la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
Appendice II, n° 44]], de refuser de fournir un
échantillon d'urine quand un membre du personnel
de l'établissement lui en donne l'ordre. Son refus
d'obéir à l'ordre de fournir un échantillon a donné
lieu à une audience du tribunal disciplinaire
défendeur.
Lorsqu'il a été inculpé d'omission d'obéir à un
ordre légitime, soit l'infraction prévue à
l'alinéa 39a) du Règlement sur le service des
pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, modifié, le
demandeur a présenté une défense par écrit. Il y
soutenait que l'ordre en question n'était pas légi-
time parce que l'article 41.1 [édicté par DORS/85-
412, art. 3] du Règlement, aux termes duquel
l'ordre avait été donné, permettait la prise d'une
mesure obligatoire, c'est-à-dire la remise d'un
échantillon d'urine, qui était inconstitutionnelle,
notamment contraire à la Charte des droits et
libertés. Au moment de l'audience du tribunal
disciplinaire, la Cour supérieure du Québec avait
déjà déclaré que cet article du Règlement contre-
venait à l'article 7 de la Charte et ne constituait
pas une limite raisonnable et justifiable dans une
société libre et démocratique au sens de l'article
premier de la Charte: voir Dion c. Procureur géné-
ral du Canada, [1986] R.J.Q. 2196 (C.S.), juge
Galipeau. Quant à Jackson, le tribunal a dit ne pas
être compétent pour connaître de la validité consti-
tutionnelle du Règlement sur le service des péni-
tenciers et il a conclu que la désobéissance à
l'ordre de fournir un échantillon constituait un
refus d'obéir à un ordre légitime. Le tribunal s'est
abstenu de prononcer la sentence en attendant que
cette Cour statue sur la procédure dont elle avait
déjà été saisie.
Devant cette Cour, le demandeur a d'abord
demandé que soit rendue une ordonnance interdi-
sant au tribunal de conserver la connaissance du
litige pour la raison qu'en refusant de statuer sur
la légitimité de l'ordre en cause à la lumière de la
Charte, le tribunal n'avait pas valablement exercé
sa juridiction et pour la raison que l'article 41.1 du
Règlement sur le service des pénitenciers, qui
permet d'exiger que soient remis des échantillons
d'urines, viole l'un ou l'autre des articles 7, 8 et 15
de la Charte.
Sur requête du procureur général du Canada,
mon collègue le juge Dubé a ordonné que les
questions découlant de la demande du demandeur
mettant en jeu la Charte canadienne des droits et
libertés soient tranchées dans le cadre d'une action
entre les parties. La demande initiale du deman-
deur visant la délivrance d'un bref de prohibition a
alors été ajournée. La présente instance a été
introduite au moyen d'une déclaration qui a par la
suite été modifiée afin que le procureur général du
Canada soit constitué partie défenderesse.
Les avocats ont entamé les préparatifs de mise
en état de l'affaire, notamment en se mettant
d'accord pour que le débat soit circonscrit autour
des questions touchant la Charte qui sont énoncées
dans la déclaration. Les autres réparations deman-
dées dans celle-ci à l'égard d'autres aspects de
l'audience tenue par le tribunal disciplinaire
seraient laissées de côté, sous réserve du droit du
demandeur de les faire valoir ultérieurement.
Après le début du procès, l'avocat du deman-
deur s'est rendu compte que la déclaration, bien
que modifiée et invoquée au cours de l'interroga-
toire préalable et des discussions qui ont précédé le
procès, ne faisait pas mention de l'incompatibilité
entre l'article 15 de la Charte et les dispositions
litigieuses du Règlement sur le service des péni-
tenciers. Il a donc demandé tardivement l'autorisa-
tion de modifier la déclaration. L'avocat des défen-
deurs s'est opposé à cette requête, étant donné
l'accord antérieur entre les avocats, le retard à
présenter la requête—l'autre partie ayant eu suffi-
samment de temps pour demander la modification
avant le procès—et le fait que lui-même n'avait
pas à ce moment-là préparé son argumentation
relativement à l'article 15 de la Charte. Après
avoir entendu les avocats, qui m'ont assuré de leur
collaboration et qui disposeront du temps néces-
saire pour préparer leur argumentation au sujet du
motif ajouté, j'ai fait droit à la requête du deman-
deur. La déclaration a été modifiée conformément
à la Règle 420 des Règles de la Cour fédérale
[C.R.C., chap 663], pour les motifs donnés à cette
occasion et versés au dossier de la Cour.
En conséquence, les questions à trancher dans ce
procès sont celles qui fondent la demande de répa-
ration formulée aux paragraphes 7a) et b) de la
déclaration, dans sa dernière version. Cette
demande de réparation comprenait
[TRADUCTION] a) Une déclaration portant que les défendeurs
(le tribunal) se sont abstenus, sans droit, d'exercer leur juridic-
tion en refusant de statuer sur la question de savoir si
l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers
transgressait la Charte canadienne des droits et libertés;
b) une déclaration portant que l'article 41.1 du Règlement sur
le service des pénitenciers transgresse la Charte canadienne des
droits et libertés, en particulier les articles 7, 8 et 15 de celle-ci.
Faits de la cause
Les faits sont au fond assez simples. Le deman-
deur, Thomas Jackson, était détenu à l'établisse-
ment à sécurité moyenne de Joyceville depuis
décembre 1986. Il y avait déjà été détenu de 1978
à 1982 et il avait purgé auparavant une peine aux
établissements de Collins Bay et de Millhaven.
C'était la première fois qu'il avait l'obligation de
fournir des échantillons d'urines en vue d'une
analyse.
Vers midi le 29 avril 1987, M. Jack Izatt, agent
d'unité résidentielle du Service correctionnel du
Canada à Joyceville, dont les fonctions concer-
naient la rangée de cellules dans laquelle se trou-
vait celle de Jackson, a fait comme à l'ordinaire le
dénombrement des détenus de cette rangée. Il a
remarqué que le demandeur Jackson était dans sa
cellule, dormant vraisemblablement dans son lit.
Environ dix minutes plus tard, après avoir vérifié
le compte, Izatt a parcouru de nouveau la rangée
pour demander aux détenus qui étaient là s'ils
allaient bientôt retourner travailler ou aller ail-
leurs, ou s'ils comptaient rester dans leur cellule,
auquel cas ils seraient sous sa surveillance géné-
rale. À ce moment-là, il a appelé Jackson, qui
semblait dormir et qui n'a répondu qu'après deux
ou trois appels pour dire qu'il n'allait pas travailler
mais rester là où il était.
Approximativement une heure plus tard, Izatt et
d'autres employés ont reçu l'ordre de
M. Alexander Lubimiv, surveillant d'unité résiden-
tielle à Joyceville, d'effectuer une fouille de la
rangée 1-D, celle où se trouvait la cellule de
Jackson. Lubimiv et un autre agent se sont placés
au début de la rangée pour diriger les détenus vers
la salle commune de cette rangée et pour les
empêcher de s'approcher de la barrière donnant
accès au reste du bloc cellulaire. Izatt s'est rendu à
l'extrémité de la rangée pour demander aux déte-
nus qui s'y trouvaient de se rendre à la salle
commune de la rangée pendant que la fouille des
cellules serait effectuée. Une fois de plus, Izatt a
dû appeler Jackson deux ou trois fois pour le
réveiller. Sa cellule était à l'extrémité de la rangée.
Après l'avoir réveillé, Izatt lui a demandé de se
rendre à la salle commune parce que les agents
allaient faire une fouille. Jackson s'est levé, a mis
son veston, a quitté sa cellule et s'est dirigé vers
Lubimiv, au bout de la rangée. Izatt a dit avoir
remarqué que Jackson oscillait de gauche à droite,
l'avoir vu heurter les poignées en saillie de quel-
ques portes, mais avoir constaté ensuite que Jack-
son semblait avoir retrouvé son équilibre. Izatt a
suivi Jackson, en vérifiant les autres cellules. Il a
observé Jackson qui gesticulait et parlait d'une
voix forte à Lubimiv, qui semblait lui ordonner
d'aller à la salle commune.
Lubimiv, qui était resté au début de la rangée, a
témoigné qu'il avait observé Jackson à la sortie de
sa cellule. Quant celui-ci est arrivé près du début
de la rangée, au lieu d'entrer dans la salle com
mune comme prévu, il a continué de franchir la
courte distance qui le séparait de Lubimiv comme
s'il entendait passer à côté de lui, mais il s'est
arrêté juste en avant de Lubimiv. Prié de dire où il
allait, Jackson a dit qu'il se rendait à la salle du
comité, qu'il faisait partie du comité et qu'il devait
assister à une réunion dont le début avait été fixé à
12h 30. Lubimiv lui a dit qu'on faisait une fouille,
qu'il ne pouvait pas aller tout de suite à la salle du
comité, qui se trouvait en dehors de la rangée, et
qu'il devait se rendre à la salle commune. Jackson
a obéi, mais seulement après qu'ils eurent discuté
brièvement en parlant fort.
Apparemment Izatt et Lubimiv ont discuté de
cet incident et Izatt, à ce moment-là ou un peu
plus tôt, a mentionné le fait qu'il avait dû réveiller
Jackson environ une heure auparavant. Izatt a
alors rempli un rapport au sujet du dernier inci
dent, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Objet: (numéro) Incident Jackson
À 13 h 20 le 29 avril 1987, j'ai dû réveiller le détenu susmen-
tionné dans sa cellule et je lui ai dit de se rendre à la salle
commune 1D. Jackson s'est levé et il m'a paru vacillant; j'en
ai déduit qu'il était à moitié endormi. Toutefois, à mesure
que le temps passait, il est devenu assez belliqueux et indigné,
et sa démarche était encore vacillante; ce qui me porte à
croire qu'il était sous l'empire d'une substance hallucinogène
«autre que de l'alcool de fabrication artisanale».
Ce rapport a été signé par Izatt, son auteur, à
13 h 40 le 29 avril 1987. Une note manuscrite
figure vis-à-vis de l'indication suivante, imprimée
au bas: «Remarque: faire parvenir au chef des
opérations correctionnelles». Dans une copie dacty-
lographiée de ce rapport manuscrit, cette note est
reproduite comme suit: [TRADUCTION] «Jackson a
reçu l'ordre de se soumettre à une analyse». Dans
le rapport manuscrit, cette note est peut-être ainsi
libellée: [TRADUCTION] «Jackson a refusé de se
soumettre à une analyse» et une initiale a été
ajoutée, qui semble être un «J».
Au cours de l'interrogatoire principal et du con-
tre-interrogatoire, Izatt a témoigné que la démar-
che vacillante de Jackson à la sortie de sa cellule,
qui constitue un élément de son comportement qui
a donné lieu au rapport d'incident du 29 avril,
pouvait s'expliquer par le fait qu'il était à moitié
endormi ou qu'il venait de se réveiller, et il a
témoigné qu'il ignorait que Jackson avait une réu-
nion de comité à 12 h 30. Toutefois, Izatt avait
rempli un autre rapport d'incident le soir précé-
dent, à propos d'un autre détenu qu'il avait cru
sous l'effet d'une substance hallucinogène autre
qu'un «alcool de fabrication artisanale», et il avait
mentionné dans le rapport le nom de quatre autres
détenus qui, selon ce que lui avait signalé un autre
agent d'unité résidentielle, étaient apparemment
dans le même état. Quoique Jackson n'eût pas été
parmi ceux dont le cas avait été signalé le soir
précédent et qu'il ne soit pas certain que l'un ou
l'autre des détenus nommés appartienne à l'unité
de Jackson, Izatt soupçonnait que des détenus
consommaient des drogues ou d'autres substances
hallucinogènes et il lui semblait que l'humeur bel-
liqueuse de Jackson le 29 avril différait de ses
manières habituelles, qui étaient brusques mais
non répréhensibles.
Une fois que les détenus, dont Jackson, eurent
été placés sous bonne garde dans la salle com
mune, Lubimiv a téléphoné à J. Finucan, chef des
opérations correctionnelles. Lubimiv avait reçu la
veille le rapport d'incident d'Izatt au sujet de cinq
détenus, autres que Jackson, qui avaient semblé
être sous l'effet de substances hallucinogènes. Il
avait également reçu le 28 avril un rapport d'inci-
dent d'un autre agent qui avait fait les mêmes
observations, à 20 h 10 le 25 avril, au sujet des
personnes se trouvant dans la salle du comité de la
rangée 1—D. L'auteur de ce rapport y donnait le
nom des personnes identifiées, dont Jackson,
reconnaissait que l'on ignore ce dont elles par-
laient, et constatait que [TRADUCTION] «plusieurs
sont soupçonnées d'être des passeurs» et que l'on
avait remarqué la présence des mêmes détenus
dans la salle du comité à différentes reprises.
Lors de sa conversation téléphonique avec Finu-
can, Lubimiv a rapporté les deux incidents surve-
nus le 29 avril et observés par Izatt, au cours
desquels Jackson avait semblé hostile et agressif.
Lubimiv croyait que c'était en raison de la fouille
que Jackson voulait se rendre à la salle du comité,
à laquelle on avait accès de l'extérieur de la rangée
de cellules. Il a demandé que la salle du comité
soit fouillée et il a informé les intéressés qu'un
rapport serait rédigé au sujet des incidents concer-
nant Jackson et qu'il recommanderait que celui-ci
soit soumis à une analyse d'urines. Lubimiv a
témoigné au procès qu'il avait eu l'impression que
Jackson avait été «trop agressif» et qu'il parlait
fort, qu'il était d'une humeur massacrante, que
[TRADUCTION] «ses réactions ont été intempestives
... et que, surtout pour quelqu'un à qui sont
familiers les rapports avec le personnel, ce n'est
pas la façon convenable de réagir».
On a ensuite fouillé la salle du comité mais on
n'y a rien trouvé. Il a également été confirmé que
Jackson était de fait en retard à une réunion qui,
comme il l'avait affirmé à Lubimiv, devait com-
mencer à 12 h 30. On a ensuite remis un laissez-
passer à Jackson et on lui a permis d'aller à la salle
du comité.
Peu avant 15 h 45 cet après-midi-là, Jackson a
reçu l'ordre de se présenter à l'hôpital de l'établis-
sement pour une analyse d'urines. A son arrivée,
l'agent Campbell lui a donné l'ordre de fournir un
échantillon d'urine, ce à quoi il s'est opposé.
L'agent lui a ordonné de se présenter à nouveau à
17 h 50 pour fournir un échantillon d'urine.
L'agent Campbell l'a apparemment averti que s'il
ne se présentait pas, il s'exposerait à des mesures
disciplinaires ou administratives. À ce moment-là,
on lui a remis un document intitulé «Ordre de
fournir un échantillon d'urine et avis des résultats
de l'analyse». Selon ce document, l'ordre émanait
de J. Finucan (chef des opérations correctionnel-
les) et était dirigé contre Jackson, à qui il était
ordonné de se présenter à l'hôpital pour fournir un
échantillon d'urine en vue d'une analyse, confor-
mément à la directive du commissaire. Jackson y
était également informé que [TRADUCTION] «s'il
n'obéissait pas à cet ordre, des mesures disciplinai-
res ou administratives s'ensuivraient». On trouve
encore dans cette formule les renseignements sui-
vants: elle a été remise à Jackson par l'agent
Campbell à 15 h 46, ce dernier lui a accordé un
délai jusqu'à 17 h 50 et, une fois ce délai expiré, le
détenu n'avait pas fourni d'échantillon d'urine.
L'agent Campbell a apposé sa signature à l'égard
de chacune des actions auxquelles il avait pris part.
En conformité avec les ordres permanents de l'éta-
blissement, Campbell a ensuite rempli un Rapport
de l'infraction d'un détenu et avis de l'accusation,
dans lequel il relève le fait que Jackson n'a pas
fourni d'échantillon d'urine, à l'expiration du délai
de deux heures. Les personnes auxquelles ce rap
port a été soumis ont inculpé Jackson de l'infrac-
tion prévue à l'alinéa 39a) du Règlement, savoir
«désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un
fonctionnaire du pénitencier», d'où l'audience du
tribunal disciplinaire et le procès qui nous occupe.
Jackson a refusé de fournir un échantillon
quand on le lui a ordonné parce qu'à son avis, cet
ordre était contraire à ses droits constitutionnels.
C'est la position qu'il a défendue par écrit devant
le tribunal disciplinaire et sur laquelle repose son
action devant cette Cour.
L'usage des drogues en milieu carcéral: le régime
législatif et son application
Le Règlement sur le service des pénitenciers,
pris en vertu de la Loi sur les pénitenciers, L.R.C.
(1985), chap. P-5, article 37, contient les disposi
tions suivantes:
39. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu
qui
a) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un fonc-
tionnaire du pénitencier;
i.1) consomme, absorbe, avale, fume, respire, s'injecte ou
utilise de toute autre façon une substance hallucinogène;
41.1 (1) Un membre qui considère une telle mesure néces-
saire pour déceler la présence d'une substance hallucinogène
dans l'organisme d'un détenu peut exiger de ce dernier qu'il lui
fournisse, dès que possible, un échantillon d'urine suffisant pour
permettre à un technicien d'en faire l'analyse à l'aide d'un
instrument approuvé.
(2) Dans une audition pour une infraction , visée à
l'alinéa 39i.1), la preuve qu'un échantillon d'urine obtenu et
analysé conformément au paragraphe (1) contient une sub
stance hallucinogène établit, en l'absence d'une preuve con-
traire ou d'une excuse raisonnable, que le détenu qui a fourni
l'échantillon a contrevenu à l'alinéa 39i.1).
(3) Dans le présent article,
a) «instrument approuvé» désigne un instrument qui est des-
tiné à servir à l'analyse d'un échantillon d'urine obtenu en
application du présent article et qui est approuvé par
directive;
b) «technicien» désigne une personne nommée par le Com-
missaire pour utiliser un instrument approuvé.
L'alinéa 39i.1) et l'article 41.1 ont été insérés en
1985 en même temps que la définition suivante, à
l'article 2 (voir DORS/85-412):
2. ...
«substance hallucinogène» comprend l'alcool, une drogue, un
stupéfiant ou toute autre substance qui produit des hallucina
tions, à l'exclusion d'un médicament dont l'usage est autorisé
' et qui est utilisé de la façon indiquée par un membre ou un
responsable des soins de santé.
Déjà, avant les modifications apportées au
Règlement en 1985 et visant expressément les
drogues, la Loi sur les pénitenciers et le Règle-
ment comportaient des dispositions traitant des
«objets détenus illégalement» en milieu carcéral. Il
me semble utile de tenir compte de ces disposi
tions. Aux termes de la Loi, les objets détenus
illégalement sont confisqués et ce sont les «objets
qu'un détenu a en sa possession en violation d'une
interdiction édictée par une loi, un règlement, une
instruction du commissaire ou une mesure d'appli-
cation générale ou particulière au pénitencier où il
est incarcéré» (L.R.C. (1985), chap. P-5,
paragraphe 35(4)). Par ailleurs, d'après la défini-
tion du Règlement, c'est toute chose qu'un détenu
n'est pas autorisé à avoir en sa possession; en
outre, parmi les infractions à la discipline prévues
à l'article 39, figurent, à l'alinéa i), le fait d'avoir
de tels objets en sa possession, et à l'alinéa j), le
fait de se livrer à la contrebande avec toute autre
personne. On trouve dans les directives et les
ordres permanents des dispositions relatives aux
effets que les détenus ont le droit d'avoir en leur
possession, y compris les vêtements et les effets
personnels. En conséquence, toute chose qu'un
détenu n'est pas autorisé expressément à avoir en
sa possession est, lorsque la possession est ainsi
constatée, considérée comme un objet détenu illé-
galement et il peut s'ensuivre une audience disci-
plinaire et la confiscation.
C'est en 1985, à la suite d'une étude approfon-
die, qu'a été pris le règlement autorisant le person
nel à exiger qu'un échantillon d'urine soit fourni en
vue d'une analyse, et précisant les conséquences
d'un résultat positif. Il est possible de faire l'histo-
rique du programme, tel que conçu initialement
ainsi que dans ses versions ultérieures, grâce aux
directives des commissaires et aux ordres perma
nents des établissements. Les objectifs du pro
gramme initial' étaient les suivants: détecter la
présence de drogues et d'autres substances halluci-
nogènes, à l'exclusion des médicaments dont
l'usage est autorisé, et dissuader les détenus d'en
faire usage; faire en sorte que l'on puisse mieux
assurer un environnement sûr et sans risque pour
le personnel et les détenus; donner aux détenus la
possibilité de s'amender; définir et établir objecti-
vement des programmes adéquats axés sur le trai-
tement. Le régime prévu devait s'appliquer à trois
catégories de détenus: à titre de mesure indispen
sable de détection et de dissuasion touchant l'usage
de substances hallucinogènes, dix pour cent de tous
les détenus devaient être choisis au hasard tous les
deux mois et soumis à une analyse; les détenus qui
avaient fait un abus de drogues à l'extérieur ou à
Voir lignes directrices administratives pour le programme
d'analyse d'urines (Service correctionnel du Canada), Sécurité
opérationnelle, juin 1985 et annexe «A», directive du commis-
saire 800-.
l'intérieur de l'établissement devaient être soumis
aux analyses; les détenus au sujet desquels le per
sonnel avait des raisons de croire qu'ils étaient sous
l'effet d'une substance hallucinogène devaient être
soumis aux analyses. Dès le début, on avait prévu
que dans le cas où l'analyse révélerait la présence
de substances hallucinogènes, les détenus seraient
inculpés d'une infraction à la discipline (prévue à
l'alinéa 391.1) du Règlement). Quiconque refuse-
rait de fournir un échantillon d'urine dans les deux
heures suivant la demande à cet effet serait accusé
d'avoir désobéi à un ordre direct, en contravention
de l'alinéa 39a) du Règlement; de plus, les ordres
permanents en vigueur à Joyceville, dont découle
le programme d'analyse d'urines en cause, ont
prévu cette sanction dès son instauration. En outre,
selon le texte de ces ordres, le fait de ne pas fournir
d'échantillon d'urine malgré un ordre reçu devait
être considéré (pour la détermination de la, peine,
je présume) [TRADUCTION] «de la même manière
qu'un résultat positif». En plus des sanctions frap-
pant les détenus reconnus coupables d'infraction à
la discipline, le directeur devait avoir le pouvoir
d'imposer des sanctions administratives, y compris
la privation ou le report de privilèges individuels
ou collectifs touchant l'absence temporaire, ou de
la visite d'un membre de la famille ou d'autres
personnes, ou encore de la participation à des
activités socio-culturelles. Ces dispositions relatives
aux sanctions en cas de déclaration de culpabilité
sont toujours en vigueur.
On avait prévu à l'origine que le programme de
surveillance au moyen d'analyses d'urines serait
instauré, à l'automne 1985, en vertu d'ordres per
manents dans deux établissements, soit celui de
Joyceville en Ontario et celui de Cowansville au
Québec; il y aurait donc deux projets pilotes, qui
pourraient ensuite être adaptés pour d'autres éta-
blissements. Avant que les arrangements aient pu
être pris à cette fin à Cowansville, des détenus de
cet établissement ont engagé une action devant la
Cour supérieure du Québec pour contester la cons-
titutionnalité de l'alinéa 39i.1) et de l'article 41.1
du Règlement au regard de la Charte canadienne
des droits et libertés. Le Service correctionnel du
Canada a apparemment accepté de ne pas mettre
le programme en oeuvre dans la région du Québec
en attendant l'issue de cette action. Comme nous
l'avons déjà vu, le juge Galipeau, dans l'affaire
Dion c. Procureur général du Canada, précitée, le
14 août 1986, a accordé la réparation demandée et
a déclaré les dispositions réglementaires en ques
tion nulles et inopérantes, parce qu'à son avis, elles
violaient l'article 7 de la Charte et ne constituaient
pas une exception visée par l'article premier.
À ce que je sache, la décision Dion a été portée
en appel mais la juridiction d'appel ne l'a pas
encore entendue. Dans sa défense, en l'espèce,
l'avocat du procureur général du Canada souhaite
que toute la preuve soit examinée, y compris la
preuve de nature sociologique, qu'il importe de
prendre en considération, d'après lui, dans l'appré-
ciation des questions constitutionnelles. Selon l'ar-
gument de l'avocat, le juge Galipeau dans l'affaire
Dion n'a pas eu à étudier cette preuve.
Pourtant, il ressort de la décision du juge Gali-
peau qu'il a tenu compte d'éléments de preuve de
cet ordre, dont le but était apparemment de mon-
trer, comme l'a fait l'avocat en l'espèce, quels
objectifs visait le Règlement, bien que dans cette
affaire-là, la preuve se rapportait peut-être plus
directement à la situation existant à Cowansville.
Voici un extrait de cette décision ([1986] R.J.Q.
2196, à la page 2203:
La preuve est à l'effet que, dans la prison de Cowansville, la
consommation d'hallucinogènes, plus particulièrement de dro-
gues, est très répandue; ses conséquences sont désastreuses: la
vie, la sécurité et les biens des utilisateurs sont en danger de
même que ceux de leurs codétenus, des gardiens et des autorités
de l'institution.
L'expérience a démontré que sont reliés directement ou
indirectement à la consommation ou à la surconsommation
d'hallucinogènes de graves manquements à la discipline qui se
traduisent généralement par des assauts, des rixes, des vols, des
refus d'obéir aux ordres, des inconduites, du chantage, des
menaces entre codétenus ou entre détenus et parents ou amis de
l'extérieur qu'ils forcent à faire le trafic de drogues.
Le défendeur a le droit et le devoir d'intervenir par ses lois et
règlements pour que ce fléau soit enrayé; le moyen le plus
commode, à l'heure actuelle, pour déceler la présence d'halluci-
nogènes chez un consommateur, consiste à faire l'analyse d'un
échantillon de son urine. Cette mesure, en plus de remplir sa
fonction principale, emporte avec elle un solide effet préventif.
Il n'y a donc aucun doute que la surconsommation de
drogues et les conséquences désastreuses qu'elle entraîne consti
tuent un problème d'envergure dans notre société.
L'un des articles du Règlement, soit
l'article 41.1, a été examiné dans l'affaire Dion. En
l'espèce, les questions litigieuses portent sur l'ap-
plication de cette disposition et sur l'application
des ordres permanents qui touchent un détenu qui
a omis d'obéir à un ordre, donné conformément à
l'article 41.1. Dans l'affaire Dion, la décision ne
portait pas sur des faits mais le tribunal était
appelé à prononcer un jugement déclaratoire avant
que le règlement n'ait été appliqué. Dans la pré-
sente instance, c'est le moyen de défense invoqué
par le demandeur Jackson devant le tribunal disci-
plinaire qui met en jeu la question de la constitu-
tionnalité de l'article 41.1: c'est-à-dire qu'il a
refusé de fournir un échantillon d'urine, en dépit
de l'ordre reçu, parce que cet ordre, ainsi que
l'article 41.1 du Règlement en vertu duquel il avait
été donné, étaient illégaux.
Le témoignage de M. R. P. Harvey, directeur,
Garde et contrôle, Service correctionnel du
Canada, a apporté d'autres faits qui nous éclairent
sur l'application du Règlement. Dans l'exercice de
ses importantes fonctions actuelles et passées au
sein du Service, il a joué un rôle primordial à
l'égard de l'élaboration et de l'instauration du
programme d'analyse d'urines. Son témoignage
montre que l'on avait décidé, malgré l'action en
justice engagée par les détenus de Cowansville, de
mettre en oeuvre à Joyceville le programme pilote
prévu. Il est entré en vigueur en novembre 1985,
avec certaines modifications. Il n'y a pas été ques
tion d'échantillonnage au hasard, à intervalles
réguliers ou autrement—élément essentiel du
projet initial—étant donné les incertitudes décou-
lant de l'action intentée devant la Cour supérieure
du Québec et, en outre, parce que l'on n'a pas
estimé rentable d'appliquer cette partie du pro
gramme dans un seul établissement. Le directeur
avait notifié d'avance au personnel et aux détenus
de Joyceville l'instauration du programme, de
même que les modifications d'importance appor-
tées à celui-ci par la suite. Par exemple, ils ont été
avisés d'avance que seulement deux substances,
soit la cocaïne et l'héroïne, feraient d'abord l'objet
d'analyses, puis ils ont été informés de la date à
laquelle d'autres substances s'ajouteraient à la
liste: cannabis, méthaqualone (speed), phencycli-
dine (PCP), benzodiazépine (tranquillisants),
alcool et méthadone. Quand les analyses ont com-
mencé, on les a informés que la preuve de résultats
positifs ne serait pas recevable dans le cadre d'au-
diences disciplinaires pendant les quatre premiers
mois, bien que des sanctions administratives puis-
sent être prises, et que, dès le début, le refus de
fournir un échantillon dans les deux heures suivant
l'ordre reçu à cet effet, pouvait donner lieu à des
audiences disciplinaires en conformité avec
l'alinéa 39a), les contrevenants étant passibles des
mêmes peines qu'en cas de résultats positifs.
Le mode de sélection des détenus devant être
soumis à des analyses a été annoncé au début dans
des termes semblables au texte de l'article 41.1,
c'est-à-dire
[TRADUCTION] Un membre qui considère une telle mesure
nécessaire pour déceler la présence d'une substance hallucino-
gène dans l'organisme d'un détenu peut exiger de ce dernier
qu'il lui fournisse, dès que possible, un échantillon d'urine
suffisant pour permettre à un technicien d'en faire l'analyse'.
Parmi les détenus susceptibles d'être soumis à des
analyses, on comptait ceux qui étaient soupçonnés
d'avoir consommé de telles substances, ceux qui
avaient été déclarés coupables par un tribunal
disciplinaire d'infractions consistant dans la pos
session, le trafic ou la consommation de substances
hallucinogènes, et ceux qui prenaient part à un
programme prélibératoire, à un programme de
visites ou à un programme de cette nature, peu
importe l'étape où ils en étaient, si l'infraction
criminelle qui leur avait été reprochée concernait
de telles substances ou si une partie de la peine
qu'ils purgeaient s'y rapportait. Plus tard, le mode
de sélection des détenus a été modifié par un
nouvel ordre permanent (no 572, 87-08-04), relati-
vement aux détenus que l'on croyait être sous
l'effet de telles substances, dans les termes qui
suivent: un membre du personnel qui estime néces-
saire d'exiger d'un détenu qu'il fournisse un échan-
tillon d'urine suffisant pour pouvoir déceler la
présence d'une substance hallucinogène doit pré-
senter un rapport que les surveillants d'unité rési-
dentielle et le personnel chargé de la sécurité
devront examiner au cours de leur réunion quoti-
dienne, avant que le chef, Opérations correction-
nelles, ne décide de l'opportunité d'une analyse
d'urines. Si la réponse de ce dernier est affirma
tive, le technicien chargé de l'analyse d'urines
avisera le détenu qu'il a l'obligation de fournir un
échantillon suffisant pour permettre qu'une ana
lyse en soit faite. Quoiqu'il ne soit pas clair que
cette dernière disposition ait été officiellement en
vigueur en avril 1987, au moment où Jackson a
reçu l'ordre de fournir un échantillon d'urine en
vue d'une analyse, Harvey a dit que l'on avait
procédé de la même manière dans le cas de Jack
2 Note de service, 1985-11-12, du directeur (R. Gobeil) à
tout le personnel, aux détenus, p. 1, al. l.b.
son, ou d'une manière analogue. C'est donc l'agent
Finucan, chef des opérations correctionnelles de
service, qui a pris la décision d'exiger la remise
d'un échantillon en vue d'une analyse, après
qu'Izatt eut rempli le rapport d'incident et que
Lubimiv eut fait rapport de vive voix.
Il convient peut-être de signaler un autre détail,
touchant Jackson. Bien qu'aux termes des ordres
permanents de Joyceville, l'échantillon eût pu être
fourni sous surveillance directe ou indirecte,
Harvey a dit que l'hôpital de cet établissement,
auquel la plupart des détenus, dont Jackson,
avaient l'ordre de se rendre pour fournir un échan-
tillon, n'était pas équipé pour qu'on puisse facile-
ment fournir autrement que sous surveillance
directe l'échantillon d'urine exigé. Vu ces circons-
tances, l'ordre permanent portait que seulement les
membres du personnel du même sexe que le détenu
dont l'échantillon était exigé devaient surveiller le
détenu qui le fournissait.
À la date du procès dans l'affaire qui nous
occupe, soit en mars 1989, Joyceville était le seul
établissement où le programme d'analyse d'urines
avait été mis sur pied et appliqué de manière
régulière et continuelle. Le personnel avait été
formé et était qualifié pour utiliser les «instru-
ments approuvés» servant à l'analyse, dont l'éta-
blissement disposait. Celui-ci faisait également
l'analyse d'échantillons de détenus d'autres établis-
sements voisins de la région de Kingston, qui en
avaient apparemment fait la demande et dans
lesquels des programmes d'analyse d'urines aussi
complets que celui de Joyceville n'avaient pas été
établis.
L'usage des drogues en milieu carcéral: le contexte
sociologique
Au cours de l'instruction, les parties ont pré-
senté des éléments de preuve portant sur les per
ceptions de l'impact de l'analyse obligatoire d'uri-
nes, la violence en milieu carcéral, le lien entre la
drogue et la violence, les conditions de vie et les
modalités de contrôle au sein du système péniten-
tiaire, les modalités d'analyse, y compris les
aspects techniques du programme d'analyse intro-
duit à Joyceville, et les conditions, modalités et
expériences comparables dans le système péniten-
tiaire fédéral des États-Unis. Ces éléments de
preuve visaient à aider la Cour à trancher les
questions constitutionnelles soulevées en l'espèce
en situant dans leur contexte global le programme
d'analyse adopté, les raisons sous-jacentes et les
modalités et expériences comparables dans d'au-
tres pays.
Pour Jackson, la perception qu'il a du pro
gramme d'analyse et les craintes que celui-ci lui
inspire constituent un aspect important du con-
texte de la présente affaire. À son avis, le pro
gramme d'analyse était injuste puisqu'il obligeait
un détenu à donner un échantillon d'urine sur
demande, sous peine de sanctions disciplinaires ou
administratives. Manifestement, le règlement
exposait les détenus aux caprices de tout fonction-
naire, peu importe que celui-ci ait reçu une forma
tion spéciale et qu'il ait quelque raison de croire
que le détenu était sous l'effet d'une substance
hallucinogène. Dans son cas, il estimait avoir reçu
l'ordre de fournir un échantillon d'urine en vue
d'une analyse parce qu'il venait d'être nommé
président du comité des détenus et qu'il avait
manifesté clairement sa volonté de voir le comité
répondre mieux qu'auparavant aux préoccupations
des détenus. Il estimait avoir été [TRADUCTION]
«désigné», «pour me ralentir, pour ralentir le
comité», comme il l'a déclaré au cours du contre-
interrogatoire. Le programme était injuste puisque
le fonctionnaire qui croyait qu'un détenu était sous
l'effet d'une substance hallucinogène ne s'adressait
pas au détenu pour procéder à une enquête; il
produisait plutôt un rapport et c'est quelqu'un
d'autre qui ordonnait au détenu, pour des motifs
inconnus de ce dernier, de fournir un échantillon
d'urine.
De l'avis de Jackson, le programme appliqué à
Joyceville était injuste pour ceux qui refusaient de
fournir des échantillons lorsqu'ils en recevaient
l'ordre comme condition de participation à des
programmes prélibératoires, de visites ou visant
d'autres activités sociales. Il a prétendu que l'éta-
blissement exigeait la prise d'urines avant et après
la participation à de tels programmes, avec
menace de perte ou de report de l'occasion de
participer en cas de défaut de consentement et de
prise d'échantillons à des fins d'analyse. Par consé-
quent, un plus grand nombre de détenus demeu-
raient plus longtemps dans l'établissement et
avaient un accès plus limité aux programmes préli-
bératoires et de visites.
Jackson estimait enfin qu'il n'est tout simple-
ment pas juste que les détenus soient obligés de
fournir un échantillon d'urine sous observation
lorsque demande leur en est faite. Il y voyait une
activité [TRADUCTION] «dégradante». A son avis,
le programme allait à l'encontre de l'objectif de
réinsertion visant à permettre aux détenus de
s'ajuster aux responsabilités du monde extérieur.
Au moins un des témoins des défendeurs, présent
durant la brève déposition de Jackson, a manifesté
une certaine surprise à l'égard de cette réaction;
d'après son expérience, les détenus en milieu carcé-
ral portent habituellement peu d'attention aux
aspects de la vie privée, et se montrent très souvent
dans un état de nudité quelconque lorsqu'ils s'ha-
billent, se douchent, se lavent et vont aux toilettes.
Je note seulement qu'il peut y avoir une différence
importante, sur le plan psychologique, . entre la
situation où, par choix ou par négligence, quel-
qu'un se préoccupe peu de sa vie privée, et la
situation où on lui demande de fournir un échantil-
lon d'urine, devant une autre personne, sous peine
de sanction.
M. James Vantour a déposé comme témoin
expert des défendeurs. Sociologue, il détient un
doctorat en criminologie et il a une grande expé-
rience de l'enseignement et de la recherche. Ses
services d'expert-conseil ont été retenus à bon
nombre d'occasions par le Service correctionnel du
Canada avant sa nomination comme conseiller du
commissaire et du sous-commissaire du Service en
1987. En se fondant sur les recherches et les études
qu'il a effectuées ou dont il a pris connaissance, il
a donné son opinion sur la violence comme facette
permanente et importante du milieu carcéral.
Même si plusieurs facteurs peuvent en être la
cause, il n'en demeure pas moins que la violence
est habituellement plus élevée dans les établisse-
ments à sécurité maximale que dans les établisse-
ments à sécurité moyenne, et plus élevée dans ces
derniers établissements que dans les établissements
à sécurité minimale, en raison surtout des antécé-
dents de la population carcérale propre à chacun
de ces niveaux. Au dire de l'expert, en 1988, plus
de 75 % des détenus dans les établissements à
sécurité maximale, 60 % des détenus dans les éta-
blissements à sécurité moyenne et un peu moins de
50 % des détenus dans les établissements à sécurité
minimale avaient été incarcérés pour des crimes
violents. Ainsi, près de 62 % de tous les détenus
dans des établissements fédéraux ont été incarcé-
rés pour des crimes violents. Les niveaux de sécu-
rité plus élevés, correspondant aux niveaux de
propension générale à la violence des détenus,
prévoient plus de surveillance et moins de liberté
pour les détenus tant à l'intérieur de l'établisse-
ment que dans les contacts avec le monde
extérieur.
De l'avis de M. Vantour, le risque de violence
s'est accru au cours des dernières années; les inci
dents violents en milieu carcéral sont plus fré-
quents et plus graves, et les détenus recourent plus
souvent à des armes. Le risque de violence semble
plus élevé particulièrement parmi les détenus.
Même sous surveillance, chaque détenu doit géné-
ralement mettre toutes ses ressources personnelles
à profit pour assurer sa sécurité en milieu carcéral.
Il est souvent difficile pour les membres du person
nel ou pour d'autres détenus d'intervenir lorsque
surgit un conflit.
La société carcérale offre aujourd'hui aux déte-
nus davantage d'occasions d'établir des contacts,
entre eux comme avec leur famille ou leurs amis
de l'extérieur. Les programmes qui facilitent cette
ouverture visent à préparer les détenus à vivre de
façon responsable avec une famille et des amis qui
pourront les soutenir une fois leur peine purgée.
Selon M. Vantour, ces modifications ont notam-
ment eu pour effet de créer de nouvelles pressions
sur les détenus, en particulier en ce qui a trait au
transport, à l'utilisation et à la distribution d'objets
interdits, surtout des drogues de toutes sortes, qui
ne peuvent être transportés qu'en petites quantités.
Il a fait état du «marché» de la drogue en milieu
carcéral et des pressions imposées par ce phéno-
mène aux détenus qui veulent contrôler le marché
ou qui y sont impliqués, de gré ou de force. Une
étude récente du Service révèle que de 20 % à 33 %
des détenus en isolement protecteur s'y trouvent à
leur demande, en raison de problèmes liés à la
drogue.
Afin d'illustrer par un autre exemple le lien
entre les drogues et la violence, M. Vantour a
mentionné un rapport présenté en 1984 par le
D r Robert M. MacMillan, coroner régional de
Kingston, au coroner en chef de l'Ontario, de
même qu'une étude effectuée par M. Vantour
lui-même pour le Service correctionnel du Canada.
Les deux études portaient sur les circonstances
entourant une douzaine d'homicides dans les éta-
blissements de la région de Kingston entre la fin de
1982 et le début de 1984. Selon les conclusions des
deux études, les drogues avaient joué un rôle
important dans ces cas. Le rapport de MacMillan
a souligné la présence évidente de drogues chez les
victimes ou l'influence de la drogue dans les homi
cides dans la majorité des cas étudiés; l'étude de
Vantour portait sur les effets négatifs du marché
de la drogue en milieu carcéral. Dans une étude
subséquente sur les objets interdits, les fonction-
naires du Service ont relevé que des drogues inter-
dites avaient manifestement joué un rôle de
déclencheur dans 106 des 181 incidents majeurs de
violence survenus en 1985 et en 1986, ce qui
représente 58 % des incidents rapportés.
M. Vantour estime que le contrôle institutionnel
des drogues en milieu carcéral entraînerait une
réduction des risques et des niveaux de violence et
faciliterait l'application de programmes visant à
aider les détenus à renoncer définitivement à
l'usage de drogues. Sans prétendre être un expert
des questions d'analyse d'urines, il croit toutefois
qu'un programme approprié, qui ne se limiterait
pas aux seules circonstances où des fonctionnaires
ont une raison de croire qu'un détenu est sous
l'effet d'une substance hallucinogène, mais qui
prévoirait probablement des analyses au hasard,
améliorerait le contrôle institutionnel des drogues,
et entraînerait une diminution de la nature oppres
sive des établissements de même qu'une réduction
des risques de violence.
Outre sa déposition sur le programme d'analyse
mis en ouvre à Joyceville, Harvey a décrit l'évolu-
tion des programmes en général de même que les
modalités de surveillance et la vie dans les péniten-
ciers fédéraux du Canada. Il a décrit de façon
générale les différences entre les établissements
selon les divers niveaux de sécurité établis. Le
niveau de sécurité est directement proportionnel au
ratio agents-détenus; plus il y a de surveillance,
moins il y a de liberté de mouvement des détenus à
l'intérieur de l'établissement, et plus il y a de
fouilles régulières des détenus, notamment des
fouilles à l'aide de détecteurs à métal et des fouil-
les à corps nu. Les établissements ayant une cote
de sécurité moins élevée ont habituellement une
plus vaste gamme de programmes d'activités inter
nes et de contacts avec le monde extérieur. Des
programmes de formation et d'instruction y sont
offerts, des activités y sont planifiées, et il existe
maintenant une gamme de programmes de visites;
dans les établissements à sécurité minimale en
particulier, des programmes prélibératoires sont
offerts aux détenus jugés aptes à profiter d'absen-
ces temporaires avec ou sans escorte ou de libéra-
tions conditionnelles de jour.
Avec le développement de programmes visant
spécialement l'accroissement en milieu carcéral
des contacts des détenus entre eux comme avec le
monde extérieur, le Service correctionnel du
Canada connaît une augmentation du volume
d'objets interdits, en grande partie des drogues, à
l'intérieur des établissements. Le risque de violence
s'est aussi accru parallèlement à la prolifération
des activités liées à la drogue sur le marché carcé-
ral et à l'accentuation de l'indifférence, issue de la
drogue, à l'égard des normes et des exigences
disciplinaires habituelles des prisons. Les rapports
cités par Harvey donnent des estimations pécuniai-
res anormalement élevées du marché interne de la
drogue et des estimations très basses du taux de
succès en matière de saisie d'objets interdits. En
dépit des renseignements tirés du milieu et des
fouilles effectuées à l'aide de détecteurs ou à corps
nu visant spécialement les programmes prélibéra-
toires et les principales occasions de visite, il
semble qu'on ne puisse déceler et confisquer
qu'une toute petite quantité d'objets interdits.
Harvey a déclaré que, selon les personnes respon-
sables de la sécurité dans les établissements, la
plupart des drogues seraient transportées par les
détenus eux-mêmes et par des membres de leur
famille ou par d'autres visiteurs, dans des cavités
corporelles, notamment l'anus et le vagin, où elles
seraient cachées de façon à ne pas être décelées
par un examen visuel. Le personnel médical du
Service refuserait apparemment de procéder à des
fouilles de sécurité visant ces parties.
C'est dans ce contexte, marqué par l'accroisse-
ment des occasions d'introduire dans les établisse-
ments des objets interdits, en particulier des dro-
gues, et par la constatation d'une augmentation
des objets interdits et des risques de violence,
comme du lien entre les drogues et la violence, que
le Service a élaboré le programme d'analyse d'uri-
nes. Après l'essai, sous la supervision de Harvey,
d'un programme volontaire appliqué à l'établisse-
ment Leclerc au Québec, au début des années
1980, on a procédé à une étude approfondie de
programmes semblables aux États-Unis et ailleurs,
ce qui a conduit au programme introduit à Joyce-
ville et qui devait aussi, à l'origine, s'appliquer à
Cowansville. Les principaux objectifs à long terme
du programme visaient à appuyer le rôle du Ser
vice en matière de sécurité du personnel et des
détenus, à déceler et à décourager l'emploi non
autorisé de drogues et à élaborer des programmes
pour aider les détenus toxicomanes. Compte tenu
de ces objectifs, Harvey semblait considérer l'ana-
lyse au hasard comme un volet particulièrement
important du programme projeté, volet qui n'était
pas encore appliqué.
M. R. E. Willette, expert-conseil et président de
sa propre entreprise aux Etats-Unis, qui donne des
consultations en matière d'analyse de drogues et de
questions connexes, a témoigné lors du procès au
sujet de la qualité des instruments d'analyse, des
méthodes d'analyse et de la facilité relative avec
laquelle on peut former du personnel pour l'utilisa-
tion de ces instruments et méthodes qui ont été
adoptés pour le programme du Service correction-
nel introduit à Joyceville. La déposition de ce
biochimiste, qui a une grande expérience en
matière d'élaboration de méthodes et d'instru-
ments d'analyse, n'a pas été contestée sérieuse-
ment, et la validité du programme d'analyse d'uri-
nes adopté par le Service correctionnel n'a pas été
sérieusement remise en question au cours de
l'instance.
La déposition de ce témoin a permis de confir-
mer la validité des résultats de la technique
EMIT -ST (Enzyme Multiple Immunoassay Tech-
nique—Single Test), la seule méthode d'analyse
utilisée à l'époque où Jackson a refusé d'obtempé-
rer à l'ordre de fournir un échantillon. L'analyse
GC/MS, (chromatographie en phase gazeuse/spec-
tromètre de masse), qui confirme les résultats
d'une analyse EMIT -ST positive, a été adoptée
depuis, à l'instar d'une pratique qui a cours depuis
longtemps aux États-Unis. Même si ce détail n'a
aucune incidence en l'espèce, Harvey a déclaré
qu'à l'époque où l'on a ordonné à Jackson de
fournir un échantillon en vue d'une analyse uni-
quement au moyen du matériel et de la technique
EMIT -ST en place, on conservait une partie de
tout échantillon d'urine fourni par un détenu au
cas où ce dernier demanderait qu'une analyse indé-
pendante soit effectuée par des experts de l'exté-
rieur. Depuis, l'analyse de confirmation selon la
méthode GC/MS est effectuée à Joyceville, par le
Service lui-même.
William L. Davis a également déposé comme
témoin-expert. Maintenant expert-conseil sur des
questions correctionnelles, il quittait récemment,
pour prendre sa retraite, le poste d'administrateur
des Services correctionnels, à la tête du système
pénitentiaire fédéral des États-Unis. Il a travaillé
pendant 25 ans au sein du service pénitentiaire des
Etats-Unis, assumant des responsabilités de plus
en plus grandes à l'échelle locale, régionale et
nationale. Il a participé directement à l'application
et à la gestion d'un programme d'analyse d'urines
dès son introduction, en 1978, dans les prisons
fédérales des États-Unis.
Dans sa déposition, M. Davis a abordé la ques
tion du lien entre les drogues et la violence; avec
l'accroissement de l'usage des drogues dans la
société en général, les prisons fédérales américai-
nes avaient connu une augmentation de la consom-
mation de drogues chez les détenus ce qui, a-t-on
constaté, avait un effet direct sur le niveau de
violence. Dans les années 1960 et 1970, le nombre
d'incidents avec violence engageant les détenus
entre eux, de même que des détenus et des mem-
bres du personnel, avait augmenté et, après
enquête, il semblait manifeste que la consomma-
tion et le commerce de la drogue dans les établisse-
ments jouaient un rôle important dans les incidents
marqués par la violence. Cet état de choses existait
même si les vrais toxicomanes ne représentaient
qu'une faible proportion des détenus et que la
plupart des utilisateurs de drogues dans les établis-
sements étaient des consommateurs de drogues
douces et non des toxicomanes. Avant la mise en
oeuvre du programme aux États-Unis, les détenus
et les membres du personnel ont été mis au fait de
ce qui était projeté. Des rapports statistiques visant
la première année révélèrent un nombre de cas
d'analyses positives substantiellement inférieur à
ce qui avait été prévu. Selon Davis, ceci indique-
rait clairement que la population carcérale savait
que le programme serait traité avec sérieux; en
effet, au cours de cette première année, le nombre
d'incidents violents a baissé de façon significative,
à l'instar du nombre d'incidents apparemment liés
à la drogue. Même s'il est difficile d'émettre des
commentaires sur le niveau de violence en général,
Davis a indiqué que depuis l'introduction du pro
gramme en 1978, le nombre d'incidents violents
liés à la drogue a diminué et que cette tendance se
poursuit.
Dès le départ, le programme introduit dans les
prisons fédérales américaines visait trois catégories
de détenus. On établissait chaque mois un échan-
tillonnage au hasard de 5 % de tous les détenus de
chaque établissement, à l'aide de listes informati-
ques; selon ce procédé, tout détenu présent dans
l'établissement et dont le nom figurait sur la liste
devait fournir un échantillon, jusqu'à ce que 5 %
des détenus présents aient fait l'objet d'une ana
lyse. Les membres du deuxième groupe devaient
faire l'objet d'analyses mensuellement; il s'agissait
des personnes jugées à risque élevé, notamment
celles qui avaient des antécédents de toxicomanie
ou qui avaient obtenu des résultats positifs anté-
rieurs dans l'établissement, ou encore des person-
nes à qui, sur la foi d'un agent estimant qu'elles
étaient sous l'effet d'une drogue, un superviseur
compétent avait ordonné de fournir un échantillon.
Le troisième groupe était composé des détenus
participant à des activités collectives, y compris
des programmes semblables aux programmes pré-
libératoires en vigueur dans les établissements
canadiens, c'est-à-dire des détenus qui profitaient
d'absences temporaires avec ou sans escorte ou qui
participaient à d'autres activités de groupe à l'ex-
térieur de l'établissement. Dans ce troisième
groupe, au moins 50 % des détenus devaient faire
l'objet d'une analyse à leur retour à l'établissement
et le directeur de chaque établissement pouvait
exiger qu'ils fassent tous l'objet d'une analyse à
chaque retour. Il y a lieu de souligner qu'un détenu
pouvait faire l'objet d'une analyse d'urines obliga-
toire plus d'une fois par mois s'il faisait partie de
plus d'un groupe.
Le programme introduit dans les prisons fédéra-
les américaines emploie la technique EMIT pour
l'analyse et la méthode GC/MS pour la confirma
tion des analyses positives. Le service américain ne
procède pas lui-même aux analyses, mais les confie
à des laboratoires extérieurs. Une analyse positive
ou un refus de fournir un échantillon sur demande
rend le détenu passible de mesures disciplinaires et
de sanctions liées à l'infraction. Si l'infraction n'est
pas liée à un programme de visites, il n'y a pas de
sanction à l'égard de ce programme.
M. Davis a exprimé un certain nombre d'opi-
nions à la lumière de son expérience. Il ne fait
aucun doute pour lui que le nombre d'incidents
violents découlant de la consommation ou de la
vente de drogues dans les établissements baisse
continuellement avec les années, surtout depuis
l'incorporation au programme, en 1984, de l'ana-
lyse visant la marijuana, la drogue la plus consom-
mée dans les établissements. Il croit que les avan-
tages reconnus du programme adopté pour les
établissements des Etats-Unis dépendent d'une
analyse régulière visant les membres des trois
groupes identifiés, parce qu'il s'agit là d'un pro
gramme qui est manifestement pris au sérieux et
qui sert ainsi à dissuader les détenus de consom-
mer et de vendre des drogues dans les établisse-
ments. À son avis, si le programme ne prévoyait
l'analyse que lorsqu'un agent a des motifs raison-
nables de croire qu'un détenu est sous l'effet de
drogues, il serait pratiquement inutile de le main-
tenir. Je suppose qu'il veut dire par là que le
programme ferait très peu pour décourager la
consommation et la vente. Enfin, il était d'avis que
la plupart des détenus ne partageaient pas l'opi-
nion de Jackson qui estimait qu'un ordre de four-
nir un échantillon d'urine en vue d'une analyse
était dégradant et que, dans l'ensemble, le pro
gramme introduit à Joyceville avait un effet néga-
tif sur la vie en prison. Fort de son expérience dans
les établissements américains, il était d'avis que la
majorité des détenus préfèrent un programme qui,
au bout du compte, décourage la consommation et
la vente de drogues et contribue ainsi à un environ-
nement plus sûr.
Décision
J'ai résumé les éléments de preuve importants
dans cette action. Je vais maintenant résumer mes
conclusions sur les points litigieux, en suivant l'or-
dre dans lequel l'avocat du demandeur a discuté
ces points. On trouvera ensuite l'exposé des motifs
de ma décision par rapport à chacun de ces points
litigieux.
1) Je vais faire quelques brèves observations sur
la question de la compétence du tribunal disci-
plinaire pour connaître des questions concernant
la Charte, mais je m'abstiens de me prononcer
là-dessus parce qu'il n'est pas essentiel de tran-
cher cette question en l'espèce.
2) Dans la mesure où il permet à un membre
d'exiger d'un détenu, qui aurait absorbé une
substance hallucinogène, qu'il fournisse un
échantillon d'urine en vue d'une analyse destinée
à déceler la présence de cette substance dans son
organisme, l'article 41.1 du Règlement enfreint
l'article 8 de la Charte parce qu'il autorise une
fouille ou une perquisition abusive.
3) Dans la mesure où il permet à un membre
d'exiger d'un détenu, qui aurait absorbé une
substance hallucinogène, qu'il fournisse un
échantillon d'urine en vue d'une analyse destinée
à déceler la présence de cette substance dans son
organisme, l'article 41.1 du Règlement, étant
donné que le refus de fournir l'échantillon donne
lieu à des audiences disciplinaires pour désobéis-
sance à un ordre légitime, enfreint l'article 7 de
la Charte parce qu'il porte atteinte au droit du
détenu à la liberté et à la sécurité de sa per-
sonne, d'une manière qui n'est pas conforme aux
principes de justice fondamentale.
4) L'article 41.1 du Règlement ne constitue pas
une restriction raisonnable des droits et, libertés
prévus aux articles 7 et 8, dont la justification
peut se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique.
5) L'article 41.1 du Règlement n'établit pas de
discrimination interdite par l'article 15 de la
Charte et il ne porte pas atteinte aux droits à
l'égalité garantis par cet article.
Compétence du tribunal disciplinaire indépendant
pour connaître de questions constitutionnelles
Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire
portant que le tribunal disciplinaire s'est abstenu
sans droit d'exercer sa compétence dans cette
affaire. Dans sa décision rendue en novembre
1987, le président indépendant du tribunal s'est
prononcé sur cette question de la façon suivante:
[TRADUCTION] 3. Dans son argumentation écrite, l'avocat du
détenu soutient que l'article 41.1 du Règlement est «ultra
vires», parce qu'il est incompatible avec la Constitution du
Canada, notamment avec les articles 7 et 8 de la Charte.
L'avocat affirme en outre que, puisque l'article 41.1 est
«ultra vires» et que le pouvoir de donner l'ordre en question ne
reposait sur aucune loi ni sur la common law, l'ordre lui-même
était illégal et qu'il n'était pas obligatoire d'y obéir.
4. Avant de me pencher sur l'argument de l'avocat, je dois tout
d'abord décider si un président indépendant, comme moi-
même, est compétent pour statuer sur la validité d'une disposi
tion du Règlement sur le service des pénitenciers.
5. Dans la décision Ouimet c. La Reine, [1978] 1 C.F. 627 (sic,
672), rendue en octobre 1977, la Cour a décidé «qu'il appartient
aux cours et non à un tribunal administratif de décider du
caractère ultra vires d'un règlement».
6. Dans l'arrêt Martineau, la Cour suprême du Canada a elle
aussi décidé qu'un comité de discipline dans un pénitencier
n'est pas un tribunal judiciaire. Cette décision a été citée et
suivie par la Section de première instance de la Cour fédérale,
le 5 décembre 1986, dans l'affaire Joyce Bull c. Helen King
MaLeod (sic), publiée dans [1986] C.F.
7. Étant donné cette jurisprudence, j'estime que ce tribunal
n'est pas une cour et je suis donc incompétent pour connaître de
la question de savoir si l'article 41.1 est «ultra vires».
À mon avis, la jurisprudence invoquée par le
président n'est pas concluante quant à la question
de la compétence du tribunal disciplinaire pour
connaître des moyens de défense soulevés en l'es-
pèce par Jackson et fondés sur la Charte cana-
dienne des droits et libertés. Il est étonnant que
l'on n'ait pas fait mention du seul précédent trai-
tant explicitement de la question en litige en l'es-
pèce, soit la légalité de l'ordre donné conformé-
ment à l'article 41.1 du Règlement: la décision
Dion. Celle-ci a été rendue par le juge Galipeau en
août 1986 et elle a probablement été publiée dans
le recueil avant que le tribunal n'ait rendu sa
décision en novembre 1987, soit environ quinze
mois plus tard. Le commissaire et les autres fonc-
tionnaires supérieurs du Service correctionnel
devaient être au courant de la décision Dion, puis-
que apparemment le témoin Harvey la connaissait,
avant que ne soient tenues en mai 1987 des audien
ces disciplinaires mettant en cause Jackson.
Certes, l'appel formé contre la décision Dion
suspendrait l'exécution de toute ordonnance du
juge Galipeau (voir l'article 497 du Code de pro-
cédure civile du Québec [L.R.Q., chap. C-25]),
mais je m'interroge sur l'équité du processus disci-
plinaire auquel Jackson a été soumis si les fonc-
tionnaires du Service correctionnel n'ont pas attiré
l'attention du président du tribunal disciplinaire
sur la décision Dion. La question reste posée mais
je ne me propose pas de m'y arrêter parce qu'au-
cune preuve n'a été produite à ce sujet et que cette
question n'a pas été débattue au procès.
Les débats au procès ont porté sur la compé-
tence du tribunal disciplinaire à la lumière de la
jurisprudence concernant la compétence des tribu-
naux, autres que des cours supérieures, pour con-
naître de questions concernant la Charte dont ils
ont été saisis. Cette question, de façon générale, a
maintenant été étudiée dans bon nombre de causes
devant les tribunaux provinciaux et devant cette
Cour, souvent par rapport à l'un ou l'autre des
paragraphes 24(1) et 52(1) de la Loi constitution-
nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
Appendice II, n° 44]], qui comprend la Charte.
Voici le texte de ces dispositions:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit.
Le paragraphe 24(1) n'attribue pas de compé-
tence pour accorder une réparation, du moins en ce
qui concerne les tribunaux autres que les cours
supérieures: Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S.
863. La Cour suprême du Canada ne s'est pas
encore prononcée sur la question de savoir si le
paragraphe 52(1) est, en dernière analyse, la dis
position que les nombreux tribunaux, autres que
les cours supérieures, ou certains d'entre eux, peu-
vent invoquer pour s'abstenir d'appliquer les lois
qui seraient contraires à la Charte, selon les justi-
ciables en cause. Dans les décisions sur cette ques
tion qu'elle a rendues jusqu'à présent, la Cour
d'appel fédérale a reconnu le pouvoir de certains
organismes de refuser d'appliquer des lois ou des
règlements incompatibles avec la Charte. La Com
mission d'appel de l'immigration (Law c. Sollici-
teur général du Canada, [1985] 1 C.F. 62 (C.A.))
et des conseils arbitraux et des juges-arbitres dési-
gnés conformément à la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48]
(Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3
C.F. 253 (C.A.)) et Tétreault-Gadoury c. Canada
(Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada), [1989] 2 C.F. 245 (C.A.) ont été tenus
pour compétents pour rendre pareille décision.
Dans d'autres affaires, la même Cour a refusé de
reconnaître à un comité de révision chargé d'enten-
dre les appels formés en vertu de la Loi de 1973
sur les allocations familiales [S.C. 1973-74, chap.
44] l'aptitude à juger la question, du moins dans
les cas où il entendait accorder une réparation
dépassant les attributions dont la loi l'avait investi:
Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1
C.F. 714 (C.A.); Alli c. Canada (Procureur géné-
ral) (1988), 88 N.R. 1 (C.A.F.); Canada (Procu-
reur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39
(C.A.F.). La Cour suprême du Canada apportera
peut-être des éclaircissements sur cette question
quand elle statuera sur le pourvoi dans Tétreault-
Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada), précité, autorisation de
pourvoi accordée [[1989] 2 R.C.S. 1110].
S'il était nécessaire en l'espèce de trancher la
question de la compétence du tribunal discipli-
naire, il faudrait examiner un argument que le
demandeur fait valoir. Cet argument veut que, si le
tribunal n'est pas compétent pour statuer sur un
moyen de défense fondé sur la Charte, de sorte que
l'accusé ne peut invoquer ce moyen de défense et
avoir gain de cause que devant la cour exerçant le
contrôle judiciaire, celui-ci serait privé de droits
garantis par l'article 7 de la Charte. Selon cette
thèse, si le tribunal disciplinaire chargé d'entendre
l'accusation portée contre un détenu ne tenait pas
compte des moyens de défense fondés sur la
Charte, ce dernier serait privé de son droit à la
liberté et à la sécurité de sa personne en contraven
tion des principes de justice fondamentale. Dans
les circonstances de la présente affaire, on pourrait
également affirmer que ce droit a été violé parce
que le président indépendant du tribunal n'a pas
appliqué la loi telle que définie par la Cour supé-
rieure, si la décision de celle-ci avait été connue,
comme cela aurait dû être le cas.
J'aurais tendance à accepter l'argument du
demandeur si cela était nécessaire pour trancher le
litige, du moins dans une affaire où la question
soumise au tribunal disciplinaire ne nécessite pas
que celui-ci juge selon sa première impression,
mais où elle a déjà été décidée par une cour
supérieure, en l'occurrence la Cour supérieure du
Québec dans l'affaire Dion, avant que Jackson
n'ait fait l'objet d'audiences disciplinaires. Je
remarque qu'au procès, l'argument du demandeur
n'a pas été développé ni soutenu à fond. Puisqu'il
n'est pas essentiel de trancher cette question en
l'espèce, je vais m'abstenir de rendre une décision
sur ce point.
L'article 8
L'article 8 de la Charte est ainsi conçu:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Le demandeur soutient que la fouille prévue à
l'article 41.1 du Règlement est interdite par
l'article 8 parce que l'article 41.1 autorise un
membre du personnel à exiger d'un détenu qu'il
fournisse un échantillon d'urine, sans faire mention
d'aucune norme ou circonstance excepté la néces-
sité, qui est laissée à l'appréciation du membre du
personnel, et parce que le détenu s'expose à une
sanction s'il est déclaré coupable au terme d'au-
diences disciplinaires, soit du fait de ses résultats
positifs, soit du fait qu'il n'a pas fourni l'échantil-
lon exigé. «L'obligation» faite au détenu de se
soumettre à une analyse d'urines de cette manière
constituerait une fouille au sens de l'article 8 de la
Charte. Selon cet argument, faute de consente-
ment du détenu, l'obligation de fournir un échan-
tillon d'urine constituerait une fouille et une saisie.
Le demandeur se fonde par analogie sur la juris
prudence concernant le prélèvement d'échantillons
de sang sans le consentement de l'intéressé (R. v.
Racette (1988), 48 D.L.R. (4th) 412 (C.A. Sask.);
R. v. Katsigiorgis (1987), 62 O.R. (2d) 441
(C.A.); R. v. Dyment (1986), 57 Nfld. & P.E.I.R.
210 (C.A.I.-P.-E.)) et le prélèvement d'échantil-
lons d'haleine (voir R. v. Enns (1987), 85 A.R. 7
(C. prov.)); il cite en outre contra, R. v. Holman
(1982), 28 C.R. (3d) 378 (C. prov. C.-B.).
Dans la défense modifiée produite dans cette
action, les défendeurs allèguent que [TRADUC-
TION] «l'obligation faite [aux détenus] de fournir
un échantillon d'urine ne constitue pas une fouille
au sens de l'article 8 de la Charte et que de toute
façon il n'est pas abusif de l'exiger». Au procès, on
n'a pas tenté sérieusement de démontrer que la
disposition réglementaire n'avait pas pour objet
une fouille, sauf pour soutenir qu'en vertu du
Règlement, un détenu pourrait refuser de fournir
un échantillon et ainsi se soustraire à toute fouille
ou aux effets d'une fouille. Certes, cette affirma
tion est en apparence exacte, mais le détenu est
passible de sanctions au terme d'audiences discipli-
naires tenues au sujet de son refus de fournir un
échantillon en dépit de l'ordre reçu. On peut donc
difficilement affirmer que le détenu a la faculté de
refuser de fournir un échantillon. En fait, en cas de
refus, il encourt des sanctions semblables à celles
qui le frapperaient si les résultats de son analyse
étaient positifs, c'est-à-dire s'ils permettaient de
déceler la présence dans son organisme de sub
stances hallucinogènes interdites. En fin de
compte, le refus est assimilé à la consommation
desdites substances, du moins en ce qui a trait à la
sanction. Vu ces circonstances, il me semble
impossible d'affirmer que le Règlement n'a pas
une fouille pour objet.
La fouille ainsi autorisée est-elle abusive au sens
de l'article 8 de la Charte? Dans l'arrêt R. c.
Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la page 278, le
juge Lamer, représentant la majorité, dit ce qui
suit au sujet de l'article 8:
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi,
si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été
effectuée de manière abusive.
Dans la cause de Jackson, l'argumentation porte
sur ces trois critères relatifs au caractère abusif de
la fouille.
Les défendeurs ont fait valoir deux arguments
touchant la manière dont la fouille prévue par le
Règlement doit être faite. Ils ont affirmé que l'on
n'avait pas sérieusement mis en doute la validité
des méthodes d'analyse, soit d'une part, la techni
que EMIT -ST et d'autre part, la confirmation des
résultats positifs au moyen de la méthode GC/MS
(chromatographie en phase gazeuse et spectromè-
tre de masse). Les défendeurs ont fondé la validité,
du point de vue technique, de ces méthodes d'ana-
lyse sur la jurisprudence américaine relative aux
programmes d'analyse d'urines des détenus (voir:
Jensen v. Lick, 589 F. Supp. 35 (Dist. Ct. 1984);
Spence v. Farrier, 807 F.2d 753 (8th Cir. 1986);
Peranzo v. Coughlin, 675 F. Supp. 102 (S.D.N.Y.
1987) et des fonctionnaires d'organismes fédéraux
(voir: National Treasury Employees Union v. Von
Raab, 816 F. 2d 170 (5th Cir 1987) confirmé en
appel par 103 L.Ed. 2d 685 (1989)). Je conclus
que les techniques d'analyse retenues en l'occur-
rence ne constituent pas une manière abusive d'ef-
fectuer une fouille, au sens de l'article 8 de la
Charte, si le Règlement lui-même n'est pas par
ailleurs abusif.
Les défendeurs ont également soutenu qu'il fal-
lait donner peu de poids à l'allégation du deman-
deur selon laquelle l'analyse d'urines, étant donné
la manière dont on procédait, était dégradante,
parce qu'en fait, celui-ci avait refusé de fournir un
échantillon et ne pouvait guère se plaindre qu'il se
sentait dégradé en en fournissant un. Au surplus,
ils ont affirmé que la méthode portait moins
atteinte à la vie privée que les fouilles à nu qu'au-
torisent implicitement, sauf dans certains cas, les
décisions Weatherall, citées ci-dessous. (Voir aussi
McDonell v. Hunter, 809 F.2d. 1302 (8th Cir.
1987) confirmant la validité de l'analyse d'urines à
laquelle étaient soumis les employés du service
correctionnel de l'État dans les prisons relevant de
celui-ci.) Les personnes qui avaient fait l'objet
d'un examen médical, par exemple, avait l'expé-
rience de l'analyse d'urines et ne considéraient
généralement pas qu'elle portait atteinte à leur vie
privée. Du point de vue de la gravité relative de
l'atteinte à la vie privée, la comparaison des fouil-
les à nu et des analyses d'urines qui supposent que
la personne reçoive l'ordre de fournir un échantil-
lon sous surveillance directe n'est pas d'un grand
secours, à mon avis.
La manière dont, en l'occurrence, la personne
doit fournir l'échantillon requis porte effective-
ment atteinte à sa vie privée. Le meilleur moyen
d'apprécier la portée de cette atteinte consiste
peut-être à examiner le caractère abusif de la loi
en question plutôt qu'à s'arrêter à la manière dont
la loi est appliquée. D'autant plus qu'en l'espèce,
les faits établis ne concernent pas vraiment la
manière dont la fouille a été faite en vertu de
l'article 41.1 du Règlement, puisque Jackson a
refusé de fournir un échantillon et qu'il n'y a pas
eu de fouille.
Pour juger du caractère abusif de la loi autori-
sant la fouille en l'espèce, il est nécessaire de
déterminer d'abord quelle est la loi en litige. Selon
l'argument du demandeur, il faut faire la distinc
tion entre l'article 41.1 du Règlement et les direc
tives du commissaire, les ordres permanents et les
autres énoncés de politique ou programmes du
Service correctionnel. Seulement la Loi et le
Règlement auraient force de loi et ceux-ci ne
contiennent aucune norme ou critère à l'intention
du personnel ou des détenus concernant l'applica-
tion de l'article 41.1. Cet article serait de rédaction
trop générale et donnerait prise aux abus du per
sonnel, qui pourrait agir par caprice ou sur un
simple soupçon sans être fondé à croire qu'un
détenu a consommé des substances hallucinogènes
interdites. Par surcroît, quant un membre du per
sonnel ordonne à un détenu de fournir un échantil-
lon d'urine, il n'a pas à lui donner d'explication et
il peut donner cet ordre, comme l'a fait Finucan en
l'espèce, même s'il n'est pas récemment entré en
contact direct avec le détenu. La thèse que soutien-
nent les défendeurs veut que tout le programme
d'analyse d'urines, tel que planifié à l'origine et
désormais exposé dans les directives et les ordres
permanents de l'établissement, soit en litige en
l'espèce, nous exhortant implicitement à interpré-
ter le texte réglementaire général à la lumière des
directives et des ordres postérieurs.
Il semble que chacune des parties envisage des
résultats extrêmes, selon que le règlement sera
déclaré valide ou invalide. A mon avis, ce n'est pas
tout le programme tel que conçu qui est en litige,
car les faits allégués et établis par la preuve ne se
rapportent qu'à un aspect du programme qui a été
mis en vigueur. En l'occurrence, un membre du
personnel a exigé de Jackson qu'il fournisse un
échantillon d'urine en vue d'une analyse parce
qu'il a estimé cette mesure nécessaire pour déceler
la présence d'une substance hallucinogène dans
l'organisme du détenu, un autre membre du per
sonnel croyant qu'une telle substance y était pré-
sente. Ce dont nous discutons en l'espèce, ce n'est
pas du choix de détenus au hasard, puisque cela
n'a jamais été fait, ni du cas d'un détenu qui avait
dans le passé eu des démêlés avec la justice à cause
des drogues, ni d'un détenu qui participait à l'épo-
que en cause à un programme de visites-contact ou
à des activités communautaires. En outre, il n'a
pas été prouvé non plus que l'échantillon a été
exigé par pur caprice ou dans l'intention de brimer
Jackson—abstraction faite des soupçons de Jack-
son à propos des mobiles des agents en cause. Par
conséquent, vu les faits allégués et prouvés en
l'espèce, la question se ramène aux circonstances
clairement décrites, selon une interprétation stricte
de l'article 41.1, savoir le fait qu'un membre du
personnel a cru ou a soupçonné que Jackson avait
consommé une substance hallucinogène «autre
qu'un alcool de fabrication artisanale».
Il résulte, à l'évidence, de la décision du juge
Strayer en première instance dans l'affaire Wea-
therall c. Canada (Procureur général), [1988] 1
C.F. 369 (ire inst.), aux pages 413 et 414, et de la
décision du juge Stone de la Cour d'appel dans la
même affaire (Weatherall c. Canada (Procureur
général), [1989] 1 C.F. 18 (C.A.), aux pages 30 à
36), que les directives du commissaire n'ont pas
force de loi et qu'elles ne peuvent pas assortir le
règlement en cause d'une réserve ni prescrire une
limite au sens de l'article premier de la Charte. Le
même raisonnement, qui tire son origine de l'arrêt
de la Cour suprême du Canada, rendu par le juge
Pigeon au nom de la majorité, dans Martineau et
autre c. Comité de discipline des détenus de l'Ins-
titution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, à la
page 129, serait également applicable dans le cas
des ordres permanents d'un établissement.
Peut-être la Cour suprême ou la Cour d'appel
réexaminera-t-elle la question et limitera-t-elle la
portée de l'arrêt Martineau, lequel traitait avant
tout du sens qu'il faut donner à l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10] et non pas des questions découlant de la
Charte canadienne des droits et libertés. Si je ne
m'abuse, on a demandé à la Cour d'appel dans
l'affaire Weatherall, précitée, de retenir cette solu
tion mais elle s'en est abstenue. Néanmoins, dans
le vaste domaine des activités de l'État aujour-
d'hui, diverses actions sont accomplies dans l'appli-
cation de divers actes et instruments censés avoir
été pris en conformité avec des lois et des textes
réglementaires de portée générale, comme le
reconnaît implicitement le Programme de la
réforme de la réglementation fédérale. Les tribu-
naux seraient peut-être bien avisés en adoptant une
interprétation large de ce qui constitue une règle
de droit ou une action prévue par la loi si la Charte
des droits doit s'appliquer intégralement à l'action
de l'État. En attendant que ce principe soit
reconnu, la décision de la Cour d'appel dans l'af-
faire Weatherall empêche la Section de première
instance de cette Cour d'examiner cette question.
En conséquence, je conclus qu'il faut interpréter
l'article 41.1 du Règlement sans tenir compte des
modifications ou des réserves qui découlent des
directives et des ordres permanents régissant, en
l'occurrence, son application.
Voyons le texte de l'article 41.1 du Règlement,
dans les deux langues officielles. Ses éléments
essentiels sont les suivants:
41.1 (1) Un membre qui considère une telle mesure néces-
saire pour déceler la présence d'une substance hallucinogène
dans l'organisme d'un détenu peut exiger de ce dernier qu'il lui
fournisse ... un échantillon d'urine ... pour permettre ... d'en
faire l'analyse ...
Selon le texte du Règlement, dans les deux
langues officielles, une seule norme ou critère ou
circonstance régit son application, c'est-à-dire une
circonstance où un membre du personnel juge la
mesure nécessaire: «un membre [le] considère ...
nécessaire pour déceler la présence d'une sub
stance hallucinogène dans l'organisme d'un
détenu», ou «considers the requirement of a urine
sample necessary to detect the presence of an
intoxicant in the body of an inmate». Quant à
l'alinéa 41(2)c), qui a fait l'objet de la décision
Weatherall, précitée, la fouille était autorisée dans
le cas suivant: (version française) «un membre [le]
considère raisonnable et nécessaire», ou (version
anglaise) «a member considers fit] reasonable».
Les deux versions officielles semblaient différentes
dans cette affaire-là, mais toutes deux se rappor-
taient au caractère raisonnable et le texte régle-
mentaire a été examiné en fonction de ce critère.
Dans le cas qui nous occupe, les défendeurs ont
fait valoir que la norme de «la nécessité» était plus
élevée que la norme de la mesure «raisonnable». En
outre, ils ont soutenu que la question de la néces-
sité pouvait de toute façon être soulevée devant un
tribunal disciplinaire, à supposer que le détenu ait
été soumis à des audiences disciplinaires en raison
de ses résultats positifs ou de son refus de fournir
un échantillon. On ne m'a pas persuadé du bien-
fondé de cet argument. En réalité, le terme «rai-
sonnable» suppose une raison liée au but du règle-
ment, un lien rationnel entre le but et la mesure
prise et, à mon sens, il implique aussi une réserve
quant à la nature de la mesure prise, c'est-à-dire
que celle-ci doit être raisonnable dans les circons-
tances. Étant donné ces réserves, il ne suffit pas de
conclure, selon moi, que la fouille a été considérée
comme nécessaire. Si la question de la nécessité
était un moyen de défense invoqué au cours d'au-
diences disciplinaires, la disposition réglementaire
ne fournit au tribunal aucun critère d'appréciation,
si ce n'est la croyance du membre du personnel.
Je suis disposé à admettre que l'article 41.1 du
Règlement comporte une norme ou une réserve
implicite régissant son application, c'est-à-dire que
celle-ci doit être compatible avec le but ou les buts
du Règlement. Les propos du juge Stone de la
Cour d'appel dans l'affaire Weatherall, précitée,
[1989] 1 C.F. 18 aux pages 42 et 43, relativement
à l'autre disposition susmentionnée du Règlement,
sont également applicables à l'article 41.1.
Je n'entends pas ainsi suggérer que les autorités et le personnel
devraient être laissés complètement libres en ce qui regarde ces
questions et avoir ainsi la possibilité d'abuser de leurs pouvoirs.
L'autorité conférée par l'alinéa 41(2)c) est limitée aux situa
tions dans lesquelles un membre considère que la mesure visée
est «raisonnable» soit pour déceler la présence d'objets détenus
illégalement soit pour assurer le bon ordre au sein de l'institu-
tion. À mon avis, de telle fouilles doivent toujours être prati-
quées de bonne foi. Elles ne peuvent avoir pour but d'intimider,
d'humilier ou de harceler les détenus ou de leur infliger une
punition.
Mis à part la condition implicite que comporte
la disposition réglementaire en l'espèce, selon
laquelle celle-ci doit être appliquée en conformité
avec ses buts, je ne suis pas prêt à en inférer qu'elle
comporte d'autres conditions précises, ni à donner
à l'article 41.1 «une interprétation large» ou «une
interprétation atténuée» permettant de satisfaire
aux exigences constitutionnelles. Une telle solution
serait incompatible avec la méthode approuvée par
le juge Dickson [tel était alors son titre] dans
l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2
R.C.S. 145, aux pages 168 et 169, et suivie par le
juge Strayer dans l'affaire Weatherall, précitée, à
la page 397, et par d'autres.
Il est vrai que la décision de la Cour d'appel
dans Weatherall a restreint la portée du jugement
du juge Strayer en première instance, en limitant
l'ordonnance et le raisonnement relatif à
l'alinéa 41(2)c) aux faits révélés par la preuve et
par les plaidoiries des parties. En fait, le Règle-
ment a été déclaré invalide seulement dans la
mesure où il visait la fouille à nu de détenus de
sexe masculin en présence d'un gardien de sexe
féminin, et non pas la fouille à nu en général.
Néanmoins, la décision du juge Strayer relative-
ment à l'absence de critères, de normes ou de
définition des circonstances régissant l'application
de la disposition réglementaire en question dans
cette affaire-là, est convaincante si on l'examine
dans le contexte de l'application de l'article 41.1
du Règlement en litige. Par analogie, il déduit de
manière convaincante du raisonnement du juge
Dickson (maintenant juge en chef) dans l'arrêt
Hunter et autres c. Southam Inc., précité et du
juge Lamer dans l'arrêt R. c. Collins, précité, ainsi
que du raisonnement suivi dans des jugements
américains qui font autorité, que parce qu'il ne
formulait expressément aucune réserve ou critère,
sauf par l'emploi de l'adjectif «reasonable» dans la
version anglaise et des qualificatifs «raisonnable
et nécessaire» dans la version française,
l'alinéa 41(2)c) du Règlement en question dans
cette affaire n'établissait pas de norme suffisante
pour garantir que les fouilles ne seraient pas abusi-
ves au sens de l'article 8 de la Charte. Cette
disposition était donc invalide. Son invalidité est
manifestement confirmée par la Cour d'appel, bien
que la décision de celle-ci soit limitée aux fouilles à
nu de détenus de sexe masculin par des gardiennes.
Quel genre de critères auraient pu être inclus
dans l'article 41.1? S'agit-il d'une situation dans
laquelle l'opportunité d'exiger un échantillon
devrait être approuvée au préalable par une auto-
rité indépendante? L'autorisation préalable, dans
les cas où elle peut être obtenue, semble être une
condition de la validité d'une fouille ou d'une
perquisition (le juge Dickson dans l'arrêt Hunter
et autres c. Southam Inc., précité, à la page 161),
du moins lorsqu'il s'agit d'une perquisition dans un
bureau. Dans l'affaire Weatherall, le juge Strayer
n'a pas estimé nécessaire l'autorisation préalable
par rapport à des fouilles à nu visant à déceler la
présence d'objets interdits, parce qu'il ressortait
clairement de la preuve qu'il serait assez facile,
dans le contexte carcéral, de se départir d'objets
interdits pendant le délai nécessaire pour obtenir
l'autorisation préalable. Un mécanisme de révision
par des supérieurs, après la fouille, aurait été une
solution de rechange propre à réduire au minimum
les possibilités d'abus (le juge Stone de la Cour
d'appel dans l'arrêt Weatherall, précité [1989] 1
C.F. 18, à la page 43). Dans le cas de Jackson,
bien que l'autorisation préalable n'ait pas été
prévue dans le Règlement lui-même, il appert des
témoignages entendus que l'autorisation préalable
d'un supérieur avait été demandée et obtenue
avant que soit exigée l'analyse d'urines, une façon
de procéder qui visait peut-être à écarter les possi-
bilités d'abus. Cette manière de procéder serait
également justifiée par le fait, qui a été prouvé,
que les éléments traces de drogues que l'analyse a
pour but de détecter ne sont éliminés que quelques
heures, voire quelques jours, après l'absorption des
substances. Donc, lorsqu'il s'agit d'obtenir un
échantillon, la situation serait moins pressante que
lorsque l'on cherche à déceler la présence d'objets
interdits sur la personne des détenus. En fait, dans
le cas d'un détenu comme Jackson, que l'on avait
décidé de soumettre à une analyse destinée à déce-
ler la présence de drogues à cause de sa conduite,
ou à cause de celle d'autres personnes avec lesquel-
les on estimait qu'il était en relations, la procédure
pourrait bien exiger non seulement qu'on demande
une autorisation au préalable mais également
qu'on explique pourquoi on envisage d'exiger un
échantillon et que l'on donne au détenu la possibi-
lité d'être entendu avant que la décision définitive
ne soit prise d'exiger une analyse d'urines.
Il appartiendra en dernière analyse au commis-
saire et peut-être aux tribunaux de décider, dans le
cadre d'un autre litige, s'il serait opportun d'impo-
ser ces exigences. Celles-ci ne semblent pas exorbi-
tantes dans le cas d'un règlement qui a pour but de
déceler la présence de drogues dans un échantillon
d'urine lorsqu'on a des raisons de croire que le
détenu en cause a absorbé des substances halluci-
nogènes, si je saisis bien les aspects techniques de
l'analyse d'urines. D'autres critères ou normes ou
circonstances définies pourraient être expressé-
ment inclus dans les dispositions réglementaires à
titre d'information au profit du personnel et des
détenus, afin qu'il soit possible de soumettre à une
analyse des détenus choisis au hasard ou apparte-
nant à un groupe à risque élevé. Peut-être, comme
l'a proposé le juge Strayer dans l'affaire Weathe-
rall, certaines des réserves dont sont assortis les
directives, les ordres permanents ou les énoncés de
politique du Service pourraient-elles être incluses
dans le Règlement. Tel quel, sans critères explici-
tes, sauf le fait pour un agent de juger la mesure
nécessaire, l'article 41.1 du Règlement, à mon
sens, ne saurait être considéré comme une loi
raisonnable autorisant des fouilles et il ne satisfait
donc pas aux exigences de l'article 8 de la Charte.
J'insiste sur le fait que cette conclusion vaut à
l'égard de l'article 41.1 du Règlement dans la
mesure où il se rapporte aux faits visés en l'espèce
dans les plaidoiries et les témoignages, c'est-à-dire
la situation où le détenu, dont on exige qu'il four-
nisse un échantillon d'urine en vue d'une analyse,
est soupçonné d'avoir absorbé une substance hallu-
cinogène. Au cours du procès, on a affirmé qu'il
s'agissait d'un cas où s'appliquerait la notion de
motifs raisonnables. Ma conclusion ne concerne
pas directement toutes les autres situations qui
auraient été visées par le programme général
d'analyse d'urines du Service correctionnel, si ce
programme avait été mis en vigueur, c'est-à-dire
l'examen des urines de détenus choisis au hasard,
des urines de ceux qui ont déjà eu des démêlés avec
la justice à cause des drogues et des urines de ceux
qui participent à des programmes communautaires
qui leur fournissent amplement la possibilité
d'avoir des contacts avec des gens de l'extérieur.
Aucun de ces aspects du programme prévu n'a été
directement soumis à la Cour en l'espèce. Ceux-ci
ont été discutés mais seulement de façon implicite
à la lumière des programmes généraux du Service
et de sa volonté manifeste de ne mettre ces pro
grammes en application que sous le régime d'un
règlement général, raisonnablement concis, sans
normes, critères ou circonstances définis en détail,
le Service ayant toute latitude pour modifier ou
retirer le programme ou des aspects de celui-ci à
volonté. Une décision concernant le règlement qui
a été pris, dans la mesure où il a pour objet des
situations dans lesquelles on est fondé à croire,
pour un motif raisonnable, qu'un détenu a absorbé
une substance hallucinogène, n'a pas trait à l'apti-
tude du Service à atteindre tous les objectifs du
programme qu'il a conçu. À vrai dire, elle porte
plutôt sur la manière dont ce programme est mis
en vigueur conformément à un ou plusieurs textes
réglementaires libellés de façon à préciser les cir-
constances, critères ou normes applicables à ces
objectifs, permettant à tous les intéressés de con-
naître objectivement les motifs pour lesquels on
pourra exiger que des échantillons d'urine soient
fournis en vue d'une analyse.
Pour nous prononcer sur le règlement en litige,
ou sur tout autre texte que le Service correctionnel
pourrait invoquer pour accomplir les objectifs de
son programme d'analyse d'urines, il faut mettre
dans la balance le droit d'un particulier de ne pas
être importuné, à savoir le droit à la vie privée, et
le droit du gouvernement de s'immiscer dans sa vie
privée pour réaliser des objectifs légitimes. L'at-
tente en matière de vie privée peut varier selon les
circonstances. L'attente est moins grande en ce qui
concerne les exigences douanières pour entrer dans
un pays qu'en ce qui a trait aux conditions pour
entrer dans une maison ou dans un bureau (R. c.
Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495) et elle est encore
moins grande en milieu carcéral où une surveil
lance de tous les instants est exercée (Weatherall,
précitée; voir aussi Lanza v. New York, 370 U.S.
139 (Ct. App. N.Y. 1962); Bell v. Wolfish, 441
U.S. 520 (2nd Cir. 1979); Hudson v. Palmer, 468
U.S. 517 (4th Cir. 1984)). Dans le contexte carcé-
ral, l'intérêt public commande que l'État veille à la
sécurité dans les établissements pénitentiaires au
profit tant du personnel que des détenus.
La jurisprudence américaine citée en l'espèce
illustre le point de vue généralement adopté par les
tribunaux au sujet des programmes obligatoires
d'analyse d'urines dans un autre État. En règle
générale, ils ont reconnu la primauté du droit de
l'État d'assurer la sécurité dans les prisons sur
l'attente limitée en matière de vie privée des per-
sonnes incarcérées, même en tenant compte des
garanties constitutionnelles contre certains types
de fouilles, de perquisitions et de saisies contenues
dans le Quatrième Amendement à la Constitution
des États-Unis, une disposition comparable dans
une certaine mesure à l'article 8 de la Charte
canadienne, bien que le contexte historique de son
adoption et les buts qu'elle semble viser soient
différents.
L'équilibre qu'il convient d'établir entre ces
deux aspects de l'intérêt public, savoir, d'une part,
le maintien de la sécurité dans les établissements
pénitentiaires et, d'autre part, la reconnaissance du
fait que les détenus ont des attentes en matière de
vie privée, peut différer selon les objectifs que
visent à atteindre les programmes d'analyse d'uri-
nes. Les normes constitutionnelles peuvent donc
différer selon que l'on cherche à obtenir des élé-
ments de preuve dans le cas d'un détenu dont on
croit qu'il a absorbé des substances hallucinogènes,
ou selon que l'on soumet à des analyses des déte-
nus choisis au hasard, des détenus appartenant à
des groupes à risque élevé ou des détenus qui ont
beaucoup de contacts avec la collectivité.
On a fait valoir au nom des défendeurs que dans
une affaire donnée, comme en l'espèce, les tribu-
naux peuvent laisser une certaine latitude aux
administrateurs des prisons dans la recherche de
l'équilibre approprié, ce qu'a reconnu le juge Stone
de la Cour d'appel dans l'arrêt Weatherall, précité,
[1989] 1 C.F. 18, à la page 42. Cette latitude ne
peut pourtant pas empêcher les tribunaux de sta-
tuer sur la question de savoir, quand ils en ont été
saisis, si le règlement qui confère à l'administra-
teur ses attributions est compatible avec la Charte
canadienne des droits et libertés.
Je le répète, quant aux questions soulevées au
sujet de l'article 8 de la Charte, je conclus que
l'article 41.1 du Règlement sur le service des
pénitenciers, dans la mesure où il permet que soit
exigé d'un détenu dont on croit qu'il a absorbé une
substance hallucinogène, qu'il fournisse un échan-
tillon d'urine en vue d'une analyse, autorise une
fouille abusive. Il viole donc l'article 8 de la Charte
à cet égard. Et cela pour la raison que le règlement
lui-même ne contient pas de norme, de critère ni
de définition des circonstances régissant son appli
cation, propres à guider le personnel ou les déte-
nus, qui garantiraient que son application n'est pas
abusive au sens de l'article 8.
L'article 7
Le demandeur soutient qu'il est illégal d'exiger
qu'un échantillon d'urine soit fourni, parce que
l'article 41.1 du Règlement viole l'article 7 de la
Charte et n'est pas visé par l'exception prévue à
l'article premier. C'est la conclusion à laquelle en
est arrivé le juge Galipeau dans l'affaire Dion
précitée.
L'article 7 de la Charte est ainsi libellé:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
L'affaire Dion, précitée, nous l'avons vu, porte
sur le même article du Règlement qui est contesté
en l'espèce. Dans deux autres précédents cana-
diens, le litige avait trait à l'utilisation dans des
poursuites pénales d'éléments de preuve obtenus
par suite d'analyses d'urines et dans ces deux
affaires, ces éléments ont été jugés recevables
parce que le mode de prélèvement des échantillons
n'avait pas été tenu pour abusif. Dans les deux cas,
ils avaient été recueillis dans des récipients en
usage à l'hôpital après que l'accusé les eut fournis.
L'échantillon avait été obtenu avec le consente-
ment de l'accusé dans l'affaire R. v. Katsigiorgis
(1987), 62 O.R. (2d) 441 (C.A.), et sans son
consentement mais après que les urines eurent été
évacuées à l'occasion d'une intervention chirurgi-
cale, dans R. v. L.A.R. (1985), 17 D.L.R. (4th)
268 (C.A. Man.). Nous ne pouvons nous appuyer
sur aucune de ces décisions pour trancher les
questions litigieuses en l'espèce.
Dans l'affaire Dion, le juge Galipeau a analysé
des arguments relatifs aux articles 7 et 1 de la
Charte. Après avoir lu son jugement ([1986]
R.J.Q. 2196), j'ai extrait de ses conclusions les
éléments essentiels suivants:
1. Le programme obligatoire d'analyse d'urines
prévu à l'article 41.1 du Règlement porte
atteinte au droit des détenus à la liberté et à la
sécurité de leur personne qui est garanti par la
Constitution. (R.J.Q., aux pages 2201 et 2202)
2. Étant donné le but du règlement, il semble
que l'intervention du législateur soit conforme
aux principes de justice fondamentale (R.J.Q.
aux pages 2202 et 2203).
3. Quant à l'article 41.1 du Règlement, les res
trictions au droit à la liberté et à la sécurité
n'étaient pas conformes aux principes de justice
fondamentale parce que le texte réglementaire
attribuait aux agents du pénitencier des pouvoirs
arbitraires, non assortis de limitations ou de
critères appropriés, leur permettant d'exiger que
soit fourni un échantillon en vue d'une analyse.
Tout détenu, qu'il ait ou non jamais consommé
de substances hallucinogènes et qu'il ne présente
ou non aucun danger de commettre des actes
d'indiscipline ou des actes découlant de l'absorp-
tion de substances hallucinogènes, pourrait être
obligé à fournir un échantillon en vue d'une
analyse sans que soit énoncé aucun critère selon
lequel on pourrait décider à quel moment et
pour quelle raison pareille mesure serait néces-
saire; les détenus ne jouiraient d'aucune protec
tion contre les abus pouvant découler de l'exer-
cice arbitraire du pouvoir conféré par le
règlement (R.J.Q., aux pages 2203 et 2204).
4. L'atteinte autorisée par le règlement ne cons-
tituait pas une limite raisonnable qui peut être
justifiable dans une société libre et démocrati-
que au sens de l'article premier de la Charte.
(R.J.Q., à la page 2207)
Je ne saurais souscrire aux prémisses du juge
Galipeau (R.J.Q., à la page 2202) selon lesquelles
tout citoyen, même le prisonnier, a le droit de
s'intoxiquer modérément, et selon lesquelles porter
atteinte à ce droit, en l'obligeant à fournir un
échantillon d'urine destiné à déceler la présence
d'une substance hallucinogène dans son organisme
sous peine de sanctions disciplinaires, limite son
droit fondamental à la liberté et à la sécurité de sa
personne. Cela est peut-être vrai pour le citoyen
libre, mais il en va tout autrement du régime
pénitentiaire. À l'intérieur des murs de la prison, la
surveillance et la privation des libertés ordinaires
sont pratiquées de façon constante, la vie privée est
limitée et l'on a peu d'attentes; les détenus ne
peuvent avoir en leur possession et consommer que
ce qui est autorisé ou fourni et tout autre objet en
leur possession est considéré comme interdit et
susceptible de confiscation.
Le demandeur fait valoir en l'espèce qu'il y a
lieu de suivre la décision Dion et que, cette déci-
sion mise à part, l'article 41.1 du Règlement viole
l'article 7 de la Charte si on l'apprécie selon les
critères maintenant reconnus relativement aux
droits garantis par cette disposition.
Les défendeurs font valoir qu'il n'y a pas lieu de
suivre la décision du juge Galipeau dans l'affaire
Dion et qu'il y a lieu d'interpréter cette décision à
la lumière des arrêts de la Cour d'appel dans
l'affaire Weatherall, précitée et de la Cour
suprême du Canada dans R. c. Beare, [1988] 2
R.C.S. 387. En outre, ils font valoir que la disposi
tion réglementaire en litige ne porte pas atteinte au
droit du détenu à la liberté ou à la sécurité de sa
personne d'une manière qui transgresse les princi-
pes de justice fondamentale, et que même si le
tribunal en arrivait à la conclusion contraire, la
restriction des droits du détenu est compatible avec
l'application de l'article premier de la Charte,
parce qu'elle constitue une limite raisonnable «dont
la justification [peut] se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique».
Pour résoudre ce différend, je vais examiner les
répercussions de la jurisprudence postérieure sur le
jugement Dion et apprécier l'article 41.1 du Règle-
ment à la lumière des critères maintenant bien
établis par les arrêts de la Cour suprême relative-
ment à l'étude des questions touchant l'article 7 de
la Charte. Voir, de façon générale, Singh et autres
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 1 R.C.S. 177; Operation Dismantle Inc. et
autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441;
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2
R.C.S. 486; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; R. c.
Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30.
Je vais d'abord étudier l'argument des défen-
deurs qui veut que les arrêts Weatherall et Beare
précités aient une incidence sur le jugement Dion.
En première instance dans l'affaire Weatherall, le
juge Strayer a décidé que l'article 7 de la Charte
ne s'appliquait pas aux questions dont il était saisi
et au sujet desquelles il a conclu qu'elles mettaient
clairement en jeu l'article 8. Les défendeurs sou-
tiennent qu'il y a lieu d'établir une distinction
semblable en l'espèce. Je n'admets pas cet argu
ment parce que les circonstances sont différentes.
En l'espèce, Jackson n'a pas été fouillé parce qu'il
a refusé de fournir un échantillon d'urine. Il a
plutôt fait l'objet d'audiences disciplinaires et il
était passible de sanctions sévères, tout comme s'il
y avait eu une fouille et si les résultats de l'analyse
d'urines avaient révélé la présence d'une substance
hallucinogène. Il est vrai que ces audiences por-
taient sur l'omission d'obéir à l'ordre reçu de four-
nir un échantillon, mais elles découlaient directe-
ment de l'obligation de se soumettre à une fouille.
Les audiences disciplinaires affectent la liberté du
demandeur, droit qui lui est garanti, avec certaines
réserves, par l'article 7. Étant donné le lien direct
entre les audiences disciplinaires et l'omission
d'obéir à l'ordre de fournir un échantillon, c'est-à-
dire de permettre qu'une fouille soit effectuée, il
me semble à propos dans cette affaire d'examiner
l'article 41.1 du Règlement par rapport aux dispo
sitions de l'article 7 ainsi que de l'article 8 de la
Charte.
L'avocat des défendeurs a également soutenu
que la décision de la Cour d'appel dans Weatherall
avait d'autres conséquences pour la décision Dion.
Selon lui, la Cour d'appel a confirmé la validité de
l'alinéa 41(2)c) du Règlement litigieux excepté
dans la mesure où il permettait la fouille à nu des
détenus de sexe masculin par des gardiennes. Il est
vrai que la Cour d'appel a limité la portée du
jugement déclaratoire du juge Strayer aux faits
exposés dans les plaidoiries et prouvés au procès.
En première instance dans Weatherall, le juge
Strayer est arrivé à sa décision après avoir conclu
que le règlement violait l'article 8 de la Charte
parce qu'il n'établissait aucune norme ou critère
pour son application. Le même raisonnement sert
certainement de base à la décision de la Cour
d'appel limitant le jugement aux faits et plaidoiries
de la cause mais il ne diffère pas pour l'essentiel du
raisonnement du juge Strayer. Je n'accepte pas
l'argument voulant que l'arrêt de la Cour d'appel
dans Weatherall modifie de façon importante l'ef-
fet du jugement Dion.
Dans l'arrêt R. c. Beare, précité, la Cour
suprême a confirmé à l'unanimité la validité des
paragraphes 453.3(3) et 455.5(5) du Code crimi-
nel, ainsi que de la Loi sur l'identification des
criminels, S.R.C. 1970, chap. I-1, aux termes des-
quels pouvait être soumise à la prise d'empreintes
digitales une personne qui avait été arrêtée et
inculpée de certains actes criminels, mais n'avait
pas encore été déclarée coupable. Au nom de la
Cour, le juge La Forest a reconnu que les disposi
tions ne portaient atteinte que d'une manière rela-
tivement négligeable à la sécurité des personnes
visées et il a fait remarquer que la législation
servait à diverses fins importantes. Il a conclu que
l'atteinte au droit à la sécurité de la personne ne
violait pas les principes de justice fondamentale
([1988] 2 R.C.S. 387, à la page 413). L'arrêt R. c.
Beare traite bien sûr d'une situation différente de
celle de Jackson, sous un aspect important. Dans
cette affaire-là, non seulement il y avait lieu de
croire que les personnes soumises à la prise d'em-
preintes digitales avaient commis un crime mais
elles avaient été inculpées d'infractions, bien qu'el-
les n'eussent pas encore été déclarées coupables,
tandis que Jackson en l'occurrence n'était inculpé
d'aucune infraction au moment où on lui a donné
l'ordre de fournir un échantillon d'urine.
J'ai déjà souligné le fait que mon opinion au
sujet du contexte carcéral diffère des prémisses de
la décision du juge Galipeau. Toutefois, je suis
d'avis comme lui, pour des raisons différentes, que
le règlement litigieux, dont l'application est combi
née à la prise de sanctions disciplinaires conformé-
ment aux ordres permanents en cas d'omission de
fournir un échantillon en dépit d'un ordre reçu,
constitue une atteinte aux droits fondamentaux des
détenus à la liberté et à la sécurité de leur per-
sonne. En outre, je partage le point de vue du juge
Galipeau selon lequel cette atteinte n'est pas con-
forme aux principes de justice fondamentale.
Dans l'arrêt R. c. Morgentaler, précité, le juge
en chef Dickson, qui analysait des questions relati
ves à l'article 7, a dit ce qui suit, à la page 56:
La jurisprudence m'amène à conclure que l'atteinte que
l'État porte à l'intégrité corporelle et la tension psychologique
grave causée par l'État, du moins dans le contexte du droit
criminel, constituent une atteinte à la sécurité de la personne. Il
n'est pas nécessaire en l'espèce de se demander si le droit va
plus loin et protège les intérêts primordiaux de l'autonomie
personnelle, tel le droit à la vie privée ou des intérêts sans lien
avec la justice criminelle.
Exiger d'un détenu qu'il fournisse un échantillon
d'urine destiné à détecter les éléments traces de
substances hallucinogènes, comme le permet
l'article 41.1 du Règlement, constitue, à mon sens,
une atteinte à l'intégrité corporelle. L'analyse
d'urines peut fournir d'autres renseignements,
notamment sur l'état de santé, en plus de permet-
tre de vérifier la présence d'éléments traces de
substances hallucinogènes non autorisées. Dans
bien des cas, l'obligation de fournir un échantillon
en vue d'une analyse, pour des raisons autres que
médicales, pourrait causer dans une certaine
mesure une tension psychologique, surtout dans les
cas où, comme en l'occurrence, l'échantillon doit
être fourni sous surveillance directe. Cette obliga
tion faite au détenu porte atteinte à la sécurité de
sa personne. Et comme elle est assortie de sanc
tions pour omission d'obéir à un ordre, suivant la
pratique établie sous le régime des ordres perma
nents relatifs aux audiences disciplinaires, elle
porte aussi atteinte à sa liberté.
Certes, le droit à la vie privée et à la protection
de l'intégrité corporelle est limité en milieu carcé-
ral et l'attente à cet égard est elle aussi limitée,
mais le peu qui existe, y compris le droit du détenu
d'interdire à l'État d'examiner ses excrétions sans
son consentement, ne devrait pas être écarté, sauf
en conformité avec les principes de justice fonda-
mentale. En l'espèce, du fait qu'il n'y a pas de
critères suivant lesquels un échantillon peut être
exigé, quoique cela n'entraîne peut-être pas d'abus
de la part des membres raisonnables du personnel,
aucune norme n'est établie qui permette de déter-
miner en quoi consisterait un abus; il n'est pas
question de motifs raisonnables et probables,
même dans le cas où l'ordre donné serait fondé sur
de tels motifs, ni d'aucune autre norme ou circons-
tance qui justifierait raisonnablement l'ordre ainsi
donné à la lumière des objectifs poursuivis, tels
qu'expliqués. La disposition ne précise pas qu'il
faut informer le détenu des raisons pour lesquelles
l'échantillon est exigé, et elle ne donne pas la
possibilité au détenu, dans des circonstances où,
comme en l'occurrence, un membre du personnel
croit ou soupçonne que le détenu a consommé une
substance hallucinogène, d'expliquer sa conduite
ou son action avant que la décision d'exiger
l'échantillon ne soit prise définitivement.
Faute d'énoncer des critères objectifs,
l'article 41.1 ne permet pas aux agents ni aux
détenus de connaître les circonstances dans les-
quelles un échantillon d'urines peut être exigé. Je
conclus que l'article 41.1 du Règlement, dans la
mesure où il autorise un agent à exiger d'un détenu
qu'il fournisse un échantillon d'urine s'il croit que
celui-ci a absorbé une substance hallucinogène,
contrevient à l'article 7 de la Charte. Et cela parce
que les restrictions du droit à la liberté et à la
sécurité, à défaut de normes, de critères ou de
définition des circonstances où elles sont applica-
bles, ne sont pas conformes aux principes de justice
fondamentale.
L'article premier
La prochaine question relative à la Charte con-
cerne l'application de l'article premier. Au procès,
les défendeurs ont soutenu que si la Cour concluait
que les droits du demandeur aux termes des
articles 8 ou 7 ont été restreints d'une manière non
conforme à la Charte, cette restriction était tout de
même valide dans les circonstances de cette
affaire, parce qu'il s'agissait d'une limite raisonna-
ble dont la justification pouvait se démontrer dans
le cadre d'une société libre et démocratique, au
sens de l'article premier. Selon le principe mainte-
nant bien établi, il incombe aux défendeurs de
faire la preuve à cet égard.
Bien qu'ils concèdent que le rapport entre
l'article 8 et l'article premier de la Charte n'a pas
encore fait l'objet d'une décision qui fasse autorité,
les défendeurs soutiennent que l'article premier
peut avoir pour effet, lorsque la chose est oppor
tune, de justifier des restrictions des droits prévus
aux articles 8 et 7, qui seraient autrement inconsti-
tutionnelles. Dans l'arrêt Hunter et autres c. Sou-
tham Inc. précité, le juge Dickson, alors juge
puîné, qui s'exprimait au nom de la Cour suprême
([1984] 2 R.C.S. 145, à la page 169), s'est abstenu
de trancher la question du rapport entre les
articles 8 et premier parce que ce rapport n'avait
pas fait l'objet des débats. Au nom de la majorité
dans l'arrêt R. c. Simmons précité, le juge en chef
Dickson a conclu qu'il y avait eu violation de
l'article 8, non pas en raison du texte de la loi sur
les douanes qui était contesté, mais à cause de la
manière dont la fouille avait été effectuée par les
agents des douanes. Ce type de transgression de
l'article 8 ne pouvait pas être justifié en vertu de
l'article premier parce que celui-ci ne vise que les
cas où des droits énoncés sont restreints par «une
règle de droit».
Dans l'arrêt R. v. Noble (1984), 48 O.R. (2d)
643 (C.A.), le juge Martin, J.C.A., au nom de la
Cour, a conclu que les dispositions de la Loi sur les
stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1] et de la Loi
des aliments et drogues [S.R.C. 1970, chap. F-27]
autorisant la fouille d'une habitation conformé-
ment à un mandat de main-forte violaient
l'article 8 de la Charte. Traitant ensuite de la
question de l'article premier de la Charte, qui
n'avait pas été invoqué pour justifier une fouille
dans cette affaire-là, il a émis l'opinion incidente
qui suit (aux pages 667 et 668):
[TRADUCTION] ... puisque j'ai déjà décidé que les dispositions
de l'al. 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants et de l'al. 37(1)a)
de la Loi des aliments et drogues sont abusives et transgressent
l'art. 8 dans la mesure où elles autorisent la fouille d'une
habitation conformément à un mandat de main-forte, j'aurais
beaucoup de difficulté à conclure que la législation est justifia
ble aux termes de l'article premier parce qu'elle établit une
limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans
le cadre d'une société libre et démocratique.
Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B.,
[1985] 2 R.C.S. 486, à la page 523, le juge
Wilson, qui exprimait son point de vue personnel, a
fait état de la même difficulté qui se pose en
principe lorsqu'on cherche à concilier, d'une part,
les textes de loi déclarés inconstitutionnels sous le
régime de l'article 7, parce qu'ils violent les princi-
pes de justice fondamentale, et d'autre part, une
conclusion portant qu'ils pourraient être justifia-
bles s'ils étaient tenus pour raisonnables aux
termes de l'article premier:
Cependant, l'art. 7 n'énonce pas un droit à la protection
accordée par les principes de justice fondamentale comme tels.
On doit d'abord conclure qu'il y a eu atteinte au droit à la vie, à
la liberté et à la sécurité de la personne et ensuite déterminer si
cette atteinte est conforme aux principes de justice fondamen-
tale. Si elle l'est, elle satisfait alors au critère premier de l'art. 7
lui-même, mais la Cour doit passer à l'examen de la question de
savoir si elle peut être maintenue en vertu de l'article premier,
comme restreignant par une règle de droit le droit garanti à
l'art. 7, dans des limites qui soient à la fois raisonnables et
justifiées dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Toutefois, si la limite au droit garanti par l'art. 7 résulte d'une
violation des principes de justice fondamentale, j'estime que
l'examen se termine là et que la limite ne peut être maintenue
en vertu de l'article premier. J'affirme cela parce que je ne crois
pas qu'une limite au droit garanti par l'art. 7, qui a été imposée
contrairement aux principes de justice fondamentale puisse être
«raisonnable» ni que sa «justification puisse se démontrer dans
le cadre d'une société libre et démocratique».
Les difficultés de concilier les principes dont
font mention le juge Martin de la Cour d'appel
dans l'arrêt R. v. Noble précité et le juge Wilson
dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B.
précitée doivent être résolues en l'espèce si l'on
envisage d'appliquer l'article premier suivant les
principes énoncés dans l'arrêt R. c. Oakes, [ 1986]
1 R.C.S. 103, par le juge en chef Dickson, aux
pages 138 et 139 et dans d'autres décisions. Pour
l'application de l'article premier, il est essentiel de
satisfaire à deux critères fondamentaux si l'on veut
établir qu'une restriction des droits garantis par la
Charte est raisonnable et que sa justification peut
se démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique. En premier lieu, l'objectif que vise à
servir la restriction doit être suffisamment impor
tant pour justifier la suppression d'un droit ou
d'une liberté garantis par la Constitution, et de fait
il doit se rapporter à des préoccupations urgentes
et réelles dans une société libre et démocratique.
En deuxième lieu, la partie qui invoque l'article
premier doit alors démontrer que les moyens rete-
nus sont raisonnables et que leur justification peut
se démontrer, et donc satisfaire à un critère de
proportionnalité selon lequel il faut soupeser les
intérêts de la société et ceux de particuliers et de
groupes. Le critère de proportionnalité comporte
trois éléments. Les mesures adoptées doivent être
soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en
question et avoir un lien rationnel avec cet objectif.
Elles doivent être de nature à porter le moins
possible atteinte au droit ou à la liberté en ques
tion. Il doit y avoir proportionnalité entre les effets
des mesures et l'objectif.
En appréciant l'article 41.1 du Règlement à la
lumière de l'article premier de la Charte, il est bon
de ne pas oublier que c'est le texte de ce règlement
lui-même qui constitue la règle de droit, ainsi que
la limite apportée aux droits et libertés garantis
par les articles 8 et 7 de la Charte. Nous avons
déjà fait mention des buts ou objectifs de ce
règlement tels qu'établis par la preuve produite au
procès, soit par le témoignage de Harvey et les
documents déposés au cours de son interrogatoire.
À mon avis, il ressort de toute évidence de la
preuve que les substances hallucinogènes interdites
dans les établissements pénitentiaires créent de
très graves problèmes, entre autres en augmentant
le risque et le degré de violence qui menacent la
sécurité et la sûreté de ces établissements tant pour
le personnel que pour les détenus. Je suis disposé à
reconnaître, au vu de la preuve produite, que cela
donne lieu à des préoccupations urgentes et réelles
dans une société libre et démocratique. Je suis
aussi prêt à admettre que, parmi les buts ou les
objectifs que vise à servir l'article 41.1 du Règle-
ment tel que conçu, figurait l'objectif de limiter et
finalement de réduire ces préoccupations et d'amé-
liorer la sûreté et la sécurité dans les établisse-
ments. Je tiens à souligner le fait que les buts du
règlement ' ne sont pas énoncés, et ne sont pas
inclus par renvoi, dans le texte du règlement
lui-même.
Tout en étant prêt à reconnaître que l'objectif
premier du règlement était important, savoir la
prévention de l'usage des drogues en vue de l'amé-
lioration de la sûreté et de la sécurité dans les
établissements, l'avocat du demandeur a égale-
ment avancé qu'il n'était peut-être pas plus urgent
et réel à l'intérieur des établissements que dans la
société en général. S'il était nécessaire d'examiner
cette proposition, je serais disposé à admettre, dans
le cadre de l'examen de l'applicabilité de l'article
premier dans le cas qui nous occupe, que l'objectif
est plus urgent dans le contexte carcéral parce que
l'univers carcéral est peuplé d'une très forte pro
portion de personnes qui ont des tendances avérées
à la violence, une circonstance particulière qui
peut justifier la prise de mesures différentes, outre
la simple incarcération et la surveillance, de celles
qui seraient employées à l'égard de la population
dans son ensemble.
Je signale également, pour les besoins de la
Cour, que la preuve en l'espèce nous autorise à
conclure que des mesures semblables à celles qui
étaient prévues au sein du Service correctionnel, à
titre dissuasif et afin de déceler la consommation
non autorisée de drogues et de substances halluci-
nogènes, ne sont pas exceptionnelles dans d'autres
sociétés libres et démocratiques. Les témoignages
de Willette et de Davis nous renseignent sur le
contexte général des programmes obligatoires
d'analyse d'urines dans les établissements péniten-
tiaires américains et nous fournissent des rensei-
gnements précis, entre autres sur les résultats
satisfaisants obtenus dans le cadre des program
mes en vigueur depuis plus de dix ans dans les
prisons fédérales américaines. L'avocat des défen-
deurs a également produit des données publiées
concernant les programmes obligatoires d'analyse
d'urines dans les prisons de divers États améri-
cains; j'accepte cette preuve qui atteste, non pas
nécessairement les faits circonstanciés dont elle
fait état, mais bien la pratique générale suivie dans
un certain nombre d'Etats qui, comme la fédéra-
tion dont ils sont membres, constituent des sociétés
libres et démocratiques.
L'existence de cette pratique générale est égale-
ment établie par la jurisprudence qui a été citée et
qui confirme que les programmes obligatoires
d'analyse d'urines ne sont pas incompatibles avec
le Quatrième Amendement, non seulement dans le
cas des détenus (voir: Jensen v. Lick, Spence v.
Farrier, Peranzo v. Coughlin, précités), mais éga-
lement en ce qui concerne les employés des établis-
sements pénitentiaires (McDonell v. Hunter, pré-
cité), les agents des douanes (National Treasury
Employees Union v. Von Raab, 816 F.2d 170 (5th
Cir. 1987), confirmé en partie par (1989) Ct.
No. 86-1879 (U.S.S.C.)), les préposés à l'exploita-
tion des chemins de fer (Skinner v. Railway Labor
Executives' Assn., 103 L.Ed. 2d 639 (1989)), les
employés du F.B.I. (Mack v. U.S., F.B.I., 653
F.Supp. 70 (S.D.N.Y. 1986); appel rejeté 814 F.2d
120 (2nd Cir. 1987)) et les jockeys et les autres
employés des hippodromes réglementés par l'État
(Shoemaker v. Handel, 795 F.2d. 1136 (3rd Cir.
1986)).
À mon avis, l'article 41.1 du Règlement satisfait
au premier des critères de l'article premier de la
Charte, c'est-à-dire que les objectifs fixés par cette
disposition réglementaire, ses buts tels qu'établis
par la preuve, se rapportent à des préoccupations
urgentes et réelles dans une société libre et démo-
cratique. Ces objectifs peuvent justifier la suppres
sion de droits ou libertés garantis par la Constitu
tion, si les moyens retenus sont appropriés.
L'examen des moyens adoptés en l'occurrence
présente quelques difficultés dans le contexte de
l'interprétation de l'article premier de la Charte.
Ces moyens ne satisfont pas facilement au critère
de proportionnalité. Les défendeurs soutiennent
que les moyens choisis en l'espèce, soit l'analyse
d'urines obligatoire, sont d'une manière générale
appropriés, qu'ils constituent une atteinte moins
grave et sont plus efficaces que les autres moyens
qui auraient pu être choisis, comme les prises de
sang. D'après eux, d'autres moyens, qui font appel
à la fouille, se sont avérés inefficaces et l'analyse
d'urines porte moins gravement atteinte à la vie
privée que la fouille à nu et est beaucoup plus
efficace. Il a été prouvé en l'espèce que dans les
prisons américaines, les programmes d'analyse
d'urines ont été couronnés de succès et ont permis
de réaliser les objectifs que vise en l'espèce le
Service correctionnel. Ils affirment enfin que la
norme ou le critère incorporé dans l'article 41.1 du
Règlement, soit la norme de la nécessité, est une
norme «raisonnable» au sens de l'article premier de
la Charte.
L'avocat du demandeur soutient qu'étant donné
que le texte réglementaire ne restreint aucunement
ce qui est en fait un pouvoir discrétionnaire absolu
attribué à l'agent de correction, il n'est pas une
restriction raisonnable au sens de l'article premier.
Le texte réglementaire serait trop vague et trop
peu précis pour que soit possible une analyse en
vertu de l'article premier, parce qu'essentiellement,
je suppose, selon ce qu'il laisse entendre, il serait
impossible d'évaluer la proportionnalité entre l'ob-
jectif et le règlement. Faute de norme, de critère
ou de définition des circonstances de son applica
tion, le texte réglementaire donne prise à l'arbi-
traire et ne peut donc pas être tenu pour
raisonnable.
L'avocat des demandeurs s'est référé à deux
causes qui traitent de l'article premier et des res
trictions de la liberté d'expression garantie par
l'alinéa 2b) de la Charte. Dans l'affaire Re Onta-
rio Film & Video Appreciation Society and Onta-
rio Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80, la
Cour d'appel de l'Ontario, par la voix du juge en
chef adjoint MacKinnon, qui a rejeté l'appel formé
contre la décision de la Cour divisionnaire, s'est
exprimée à son tour sur cette question (à la
page 82):
[TRADUCTION] Ce paragraphe autorise la privation complète
ou l'interdiction de la liberté d'expression dans ce champ
d'activités et ne restreint en rien les pouvoirs de la Commission
de censure de l'Ontario. À l'évidence, il ne fixe aucune limite,
raisonnable ou autre, qui puisse étayer l'argument selon lequel
il serait visé par l'exception prévue à l'article premier de la
Charte: «ils ne peuvent être restreints que par une règle de
droit, dans des limites qui soient raisonnables».
Dans l'arrêt Luscher c. Sous-ministre, Revenu
Canada, Douanes et Accise, [ 1985] 1 C.F. 85
(C.A.), aux pages 89 et 90, le juge Hugessen de la
Cour d'appel fédérale dit ce qui suit au sujet de
l'article premier de la Charte:
À mon avis, l'une des caractéristiques primordiales d'une
limite raisonnable imposée par une règle de droit est qu'elle
doit être exprimée avec suffisamment de clarté pour qu'on
puisse l'identifier et la situer. Le seul fait qu'une limite soit
vague, ambiguë, incertaine ou assujettie à l'exercice d'un pou-
voir discrétionnaire suffit à en faire une limite déraisonnable. Si
un citoyen ne peut déterminer avec un degré de certitude
tolérable dans quelle mesure l'exercice d'une liberté garantie
peut être restreint, il est probable que cela le dissuadera
d'adopter certaines conduites qui, en fait, n'étant pas interdites,
sont licites. L'incertitude et l'imprécision sont des vices d'ordre
constitutionnel lorsqu'elles servent à restreindre des droits et
libertés garantis par la Constitution. Bien qu'il ne puisse jamais
y avoir de certitude absolue, une limite imposée à un droit
garanti doit être telle qu'il sera très facile d'en prévoir les
conséquences sur le plan juridique.
Quoique ces deux décisions, Re, Ontario Film
and Video et Luscher, traitent d'un autre droit
garanti par la Charte que celui qui nous intéresse
en l'espèce, j'estime que le principe sur lequel
repose le raisonnement du juge en chef adjoint
MacKinnon et du juge Hugessen de la Cour d'ap-
pel est convaincant.
J'ai déjà conclu qu'en l'espèce l'article 41.1 du
Règlement permet que soit effectuée une fouille
abusive et qu'il est incompatible avec l'article 8 de
la Charte parce qu'il n'énonce aucune norme ou
critère, et qu'il ne définit pas les circonstances
dans lesquelles il sera applicable. Je conclus, essen-
tiellement pour la même raison, c'est-à-dire l'ab-
sence de normes ou de critères limitant les pou-
voirs attribués en matière de fouille, que
l'article 41.1 du Règlement ne constitue pas une
restriction raisonnable au sens de l'article premier.
J'ai déjà conclu que l'article 41.1 du Règlement
porte atteinte au droit à la liberté et à la sécurité
de la personne prévu à l'article 7 d'une manière
qui n'est pas conforme aux principes de justice
fondamentale, parce que le texte réglementaire ne
comporte aucune norme ou critère régissant son
application. Je conclus en outre, essentiellement
pour la même raison, qu'il ne saurait constituer
une restriction raisonnable prescrite par une règle
de droit au sens de l'article premier de la Charte.
En résumé, je conclus que la validité de
l'article 41.1 ne peut pas reposer sur l'article
premier.
L'article 15
Quant à l'application de la Charte, il ne reste à
statuer que sur le paragraphe 15(1), que violerait
l'article 41.1 du Règlement, selon le demandeur.
Cet article est ainsi conçu:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
La déclaration modifiée, conformément à l'ap-
probation donnée au début du procès, comporte
l'allégation suivante: [TRADUCTION] «le deman-
deur appartient à une catégorie de personnes,
savoir les détenus, qui est le seul groupe au
Canada dont les membres sont tenus aux termes
de la loi de se soumettre à une analyse d'urines
sous peine de sanctions pénales».
Aucune preuve n'a été produite au procès qui
permette de conclure qu'en fait les détenus for-
ment la seule catégorie de personnes au Canada
qui soient obligées de fournir des échantillons sous
peine de sanctions, comme le prétend la déclara-
tion. Même si l'on supposait ce fait véridique, je ne
suis pas persuadé que l'article 41.1 du Règlement
viole le paragraphe 15 (1) de la Charte.
Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British
Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, la Cour a discuté
de l'interprétation du paragraphe 15 (1) de la
Charte, ainsi que de l'analyse qu'il convient de
faire des allégations de violation de cette disposi
tion. Le juge McIntyre, avec qui la majorité a été
d'accord quant à la manière d'interpréter ce para-
graphe, a donné du terme «discrimination» la défi-
nition suivante (aux pages 174 et 175):
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme
une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des
motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu
ou d'un groupe d'invidus qui a pour effet d'imposer à cet
individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des
désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de
restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta-
ges offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions
fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un
seul individu en raison de son association avec un groupe sont
presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles
fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont
rarement.
Puis, au sujet de la façon dont il faut analyser les
violations du paragraphe 15 (1) qui ont été allé-
guées, il a dit ce qui suit (à la page 182):
... pour vérifier s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1)
reconnaît au plaignant, il ne suffit pas de se concentrer unique-
ment sur le motif allégué de discrimination et de décider s'il
s'agit d'un motif énuméré ou analogue. L'examen doit égale-
ment porter sur l'effet de la distinction ou de la classification
attaquée sur le plaignant. Dès qu'on accepte que ce ne sont pas
toutes les distinctions et différenciations créées par la loi qui
sont discriminatoires, on doit alors attribuer au par. 15(1) un
rôle qui va au-delà de la simple reconnaissance d'une distinc
tion légale. Un plaignant en vertu du par. 15(1) doit démontrer
non seulement qu'il ne bénéficie pas d'un traitement égal
devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet
particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le
bénéfice qu'elle offre, mais encore que la loi a un effet discrimi-
natoire sur le plan législatif.
Lorsqu'il y a discrimination, il y a violation du par. 15(1) et,
lorsque le par. 15(2) ne s'applique pas, toute justification, tout
examen du caractère raisonnable de la mesure législative et, en
fait, tout examen des facteurs qui pourraient justifier la discri
mination et appuyer la constitutionnalité de la mesure législa-
tive attaquée devraient se faire en vertu de l'article premier.
En l'espèce, les détenus sont effectivement, aux
termes de l'article 41.1 du Règlement, traités
d'une manière différente de la plupart sinon de la
totalité des autres Canadiens et l'on peut donc
affirmer que cette disposition porte atteinte à leur
droit à l'égalité devant la loi. Je ne suis pourtant
pas convaincu que cette distinction ou atteinte soit
discriminatoire au sens du paragraphe 15(1). Elle
ne me semble pas se rapporter à l'un ou l'autre des
motifs énumérés et interdits, ou motifs analogues,
qui touchent des caractéristiques personnelles. Le
traitement distinct dont font l'objet les détenus en
l'occurrence, en tant que groupe, ne découle pas de
caractéristiques personnelles mais bien de leur
conduite passée, qui était répréhensible et antiso-
ciale.
J'approuve la thèse des défendeurs qui veut que
ces distinctions-là ne soient pas interdites par le
paragraphe 15(1) de la Charte. Il n'est pas néces-
saire, à mon sens, que les défendeurs démontrent
que le traitement distinct dont font l'objet les
détenus est une restriction raisonnable aux termes
de l'article premier de la Charte.
Conclusion
Durant tout le procès, l'avocat des défendeurs a
fait ressortir les répercussions que la décision en
l'espèce ne manquerait pas d'avoir sur l'important
programme que le Service correctionnel a mis sur
pied mais qu'il n'a pas encore étendu à l'ensemble
de ses établissements.
Je répète que ce n'est pas tout le programme qui
était soumis à notre appréciation. En l'espèce, ce
qui est en litige, à la lumière des plaidoiries et des
faits prouvés, c'est la validité de l'article 41.1 du
Règlement. Or, c'est en vertu de cette disposition
seulement que Jackson aurait reçu un ordre légi-
time auquel il aurait omis d'obéir, s'exposant ainsi
à des audiences disciplinaires. En l'occurrence, cet
ordre a été donné à Jackson parce qu'on a cru qu'il
avait consommé une substance hallucinogène.
Ma décision est la suivante: l'article 41.1 du
Règlement sur le service des pénitenciers, dans la
mesure où il porte sur une situation dans laquelle
un échantillon d'urine est exigé d'un détenu parce
que l'on croit qu'il a absorbé une substance hallu-
cinogène, est nul et inopérant, parce qu'il contre-
vient aux articles 8 et 7 de la Charte canadienne
des droits et libertés et qu'il n'est pas visé par
l'exception prévue à l'article premier de cette
Charte.
Un jugement et une déclaration à cet effet,
conformément à la demande de réparation du
demandeur, seront inscrits.
Le demandeur a également droit à une déclara-
tion, conformément à sa demande, portant que la
déclaration de culpabilité prononcée par le tribu
nal disciplinaire défendeur, au pénitencier de Joy-
ceville, par l'entremise de Donald Schlichter, prési-
dent indépendant, est illégale et inopérante.
Finalement, le demandeur aura droit à ses
dépens, tels que demandés.
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