A-224-90
Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta
(appelante)
c.
The Edmonton Friends of the North Environmen
tal Society, The Peace River Environmental
Society, également connue sous le nom de Friends
of the Peace, The Metis Association of the North
west Territories, The Friends of the Athabasca
Environmental Association, The Northern Light
Society et la Nation déliée (intimés)
RÉPERTORIÉ: EDMONTON FRIENDS OF THE NORTH ENVIRON
MENTAL SOCIETY c. CANADA (MINISTRE DE LA DIVERSIFICA
TION DE L'ÉCONOMIE DE L'OUEST CANADIEN) (C.A.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Heald
et Stone, J.C.A.—Edmonton, 10 septembre;
Ottawa, 28 septembre 1990.
Pratique — Parties — Jonction — Ordonnance en vertu de
laquelle la Couronne du chef de l'Alberta a été constituée
partie intimée à certaines conditions en ce qui concerne les
contre-interrogatoires, les plaidoiries, le calendrier établi et
les dépens — La situation de partie est différente de celle
d'intervenante — La Règle 1716(2)b) permet d'ajouter des
parties à une procédure judiciaire aux conditions que la Cour
estime justes — L'ordonnance n'était pas juste et raisonnable,
car les conditions équivalaient à réduire le rôle de la Couronne
à celui d'intervenante — Le pouvoir discrétionnaire conféré par
la Règle 1716(2)b) n'est pas absolu, mais il doit être exercé de
façon raisonnable — Conditions supprimées — La jonction a
été faite à juste titre même si aucun redressement n'était
réclamé contre la Couronne provinciale — La partie sur les
droits de laquelle le litige influera directement devrait pouvoir
interjeter appel.
Environnement — Ordonnance constituant la Couronne pro-
vinciale partie intimée à une procédure judiciaire fondée sur
l'art. 18 et visant l'annulation de décisions de ministres fédé-
raux concernant la construction d'une usine à papier — Le
litige influe directement sur les droits de la province en tant
que propriétaire d'un pont et d'un embranchement de chemin
de fer et des ressources naturelles — La jonction a été faite à
juste titre même si aucun redressement n'était réclamé contre
la province, car celle-ci devait avoir un droit d'appel.
Il s'agissait d'un appel formé contre une ordonnance en vertu
de laquelle l'appelante a été constituée partie intimée dans la
procédure judiciaire à des conditions très strictes en ce qui
concerne les contre-interrogatoires, les plaidoiries, le calendrier
établi et les dépens. En imposant ces conditions, le juge de
première instance s'est, par analogie, appuyé sur la Règle
1716(2)b), qui permet à la Cour, «aux conditions qu'elle estime
justes», d'ordonner qu'une personne soit constituée partie. L'ap-
pelante a été constituée partie intimée parce que le juge croyait
qu'elle «aurait dû l'être» et afin de lui accorder un droit d'appel.
La demande vise à obtenir l'annulation de décisions de
plusieurs ministres portant sur la construction d'une usine de
pâte à papier et d'installations connexes sur la rivière de la
Paix. L'appelante affirmait avoir un intérêt direct dans l'issue
de l'affaire en sa qualité de propriétaire d'un embranchement
de chemin de fer et d'un pont que l'on était en train de
construire sur la rivière de la Paix en même temps que l'usine
de pâte à papier et en sa qualité de propriétaire des ressources
naturelles situées dans la province et à l'égard desquelles elle
jouit d'une compétence constitutionnelle exclusive et notam-
ment du droit de délivrer des permis, des licences et, d'une
manière générale, de gérer ces ressources naturelles. La cons
truction de l'embranchement était terminée en grande partie et
celle du pont était amorcée.
La question était de savoir si le juge de première instance, en
imposant ces conditions, avait agi conformément au pouvoir
discrétionnaire qui lui est conféré par la Règle 1716(2)b) et
(par voie d'appel incident) si seulement l'appelante aurait dû
être constituée partie intimée, étant donné qu'aucun redresse-
ment n'était réclamé contre la Couronne du chef de l'Alberta et
que la Section de première instance n'a pas le pouvoir d'accor-
der un redressement contre elle en vertu des dispositions législa-
tives invoquées.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli et l'appel incident rejeté.
L'ordonnance n'était pas «juste et raisonnable» et les condi
tions imposées devraient être supprimées. La Règle 1716 ne
vise pas à constituer une personne intervenante, mais partie. Il
y a une différence considérable entre la situation d'un interve-
nant et celle d'une partie. Le pouvoir discrétionnaire conféré
par la Règle 1716(2)b), tout en étant étendu, n'est pas absolu,
mais son exercice doit être fondé sur des motifs raisonnables.
Le juge s'est trompé en imposant des conditions si fondamenta-
les qu'elles réduisaient le rôle de l'appelante davantage à celui
d'une intervenante qu'à celui d'une partie à part entière.
L'appelante a été constituée partie intimée à juste titre même
si aucun redressement n'était réclamé contre elle. Les tribunaux
ont déjà constitué des personnes parties défenderesses même si
aucun redressement n'était réclamé contre elles et, comme en
l'espèce, lorsque l'issue du litige influera directement sur les
droits de l'une des parties, afin que celle-ci puisse avoir un droit
d'appel.
L'extension de la portée de la procédure judiciaire et le délai
que pourrait apporter la présence de l'appelante en tant que
partie intimée sont des conséquences qui peuvent normalement
résulter d'une procédure judiciaire dans laquelle l'issue de
l'affaire influera directement sur les droits d'une tierce partie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret sur les lignes directrices visant le processus
d'évaluation et d'examen en matière d'environnement,
DORS/84-467.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985),
chap. N-22.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
1716(2)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [19711
C.F. 382; (1971), 12 C.P.R. (2d) 67 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Corporation de la ville de Toronto c. Morencie, [1989] 1
R.C.S. vii; Halton Community Credit Union Ltd. v. ICL
Computers Can. Ltd. (1985), 3 C.P.C. (2d) 252 (C.A.
Ont.); Société des droits d'exécution du Canada Ltée c.
Société Radio-Canada (1986), 7 C.P.R. (3d) 433; 64
N.R. 330 (C.A.F.); International Business Machines
Corporation c. Xerox of Canada Limited et Xerox Cor
poration (1977), 16 N.R. 355 (C.A.F.); Algonquin Mer
cantile Corp. c. Dart Indust. Can. Ltd. (1984), 5 C.I.P.R.
40; 3 C.P.R. (3d) 143 (C.A.F.); Ayscough v. Bullar
(1889), 41 Ch.D. 341 (C.A.); Attorney-General v. Pon-
typridd Waterworks Company, [1908] 1 Ch. 388
(Ch.D.); La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146
(1"° inst.); Friends of the Oldman River Society c.
Canada (Ministre des Transports), [1990] 2, C.F. 18
(C.A.); Curtner v. Circuit, [1968] 2 Q.B. 587 (C.A.);
Amon v. Raphael Tuck & Sons Ltd., [1956] 1 Q.B. 357
(Q.B.D.).
AVOCATS:
Andrea B. Moen pour l'appelante.
John J. Gill pour les intimés The Edmonton
Friends of the North Environmental Society,
The Peace River Environmental Society, éga-
lement connue sous le nom de Friends of the
Peace, The Metis Association of the North
west Territories, The Friends of the Atha-
basca Environmental Association, The Nor
thern Light Society et la Nation dénée.
P. John Landry pour Daishowa Canada Co.
Ltd.
Ingrid C. Hutton, c.r. pour le ministre de la
Diversification de l'économie de l'Ouest cana-
dien, le ministre des Transports, le ministre
des Pêches et Océans et le ministre de
l'Environnement.
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour l'appelante.
McCuaig, Desrochers, Edmonton, pour les
intimés The Edmonton Friends of the North
Environmental Society, The Peace River
Environmental Society, également connue
sous le nom de Friends of the Peace, The
Metis Association of the Northwest Territo
ries, The Friends of the Athabasca Environ-
mental Association, The Northern Light
Society et la Nation défiée.
Davis & Company, Vancouver, pour Dais-
howa Canada Co. Ltd.
Le sous-procureur général du Canada pour le
ministre de la Diversification de l'économie de
l'Ouest canadien, le ministre des Transports,
le ministre des Pêches et Océans et le ministre
de l'Environnement.
Le sous-ministre de la Justice, gouvernement
des Territoires du Nord-Ouest, Yellowknife,
pour le gouvernement des Territoires du
Nord-Ouest.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Il s'agit d'un appel
interjeté à la suite de l'ordonnance rendue en
première instance le 13 mars 1990 [dont les
motifs sont publiés à (1990), 34 F.T.R. 137], en
vertu de laquelle l'appelante était constituée partie
intimée dans la procédure fondée sur l'article 18
[Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap.
F-7] qui avait été intentée au moyen d'un avis de
requête déposé le 16 février 1990. L'appelante
avait demandé à la Section de première instance
d'être constituée partie intimée ou sûbsidairement
intervenante dans la procédure.
La demande présentée en première instance
visait à l'obtention de brefs de certiorari et de
mandamus contre le ministre de la Diversification
de l'économie de l'Ouest canadien, le ministre des
Transports, le ministre des Pêches et Océans et le
ministre de l'Environnement, qui étaient parties
intimées, à la suite de décisions portant sur la
construction et l'exploitation d'une usine de pâte à
papier et d'installations connexes sur la rivière de
la Paix, dans le nord de l'Alberta. Le litige découle
essentiellement de l'affirmation selon laquelle ces
décisions sont régies par le Décret sur les lignes
directrices visant le processus d'évaluation et
d'examen en matière d'environnement, DORS/84-
467 (le «Décret sur les lignes directrices») qui,
est-il allégué, lie ces ministres et n'a pas été
observé.
Le présent appel, ainsi que les appels interjetés à
la suite d'ordonnances similaires rendues simulta-
nément en première instance dans les dossiers
T-441-90 (A-211-90 [Daishowa Canada Co. Ltd.
c. North Environmental Society, C.A.F., le juge
Stone, J.C.A., jugement en date du 28-9-90,
encore inédit]), T-441-90 (A-212-90 [Daishowa
Canada Co. Ltd. c. Bande indienne de Little Red
River, C.A.F., le juge Stone, J.C.A., jugement en
date du 28-9-90, encore inédit]) et T-441-90
(A-225-90 [Alberta c. Bande indienne de Little
Red River, C.A.F., le juge Stone, J.C.A., jugement
en date du 28-9-90, encore inédit]) ont été instruits
en même temps. Les motifs exprimés dans le pré-
sent dossier s'appliqueront aux autres dossiers et y
seront versés de façon à constituer les motifs de
jugement y afférents, sauf dans la mesure où des
modifications ou des ajouts auront été faits.
L'ORDONNANCE
Il est opportun de citer le libellé de l'ordonnance
contestée:
[TRADUCTION] ORDONNANCE
Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta est par les présentes
constituée partie intimée dans la procédure aux conditions
suivantes:
1. Ladite partie intimée ne pourra pas présenter de plaidoi-
ries, en plus de celles qui ont déjà été versées au dossier;
2. En présentant sa preuve, ladite intimée doit respecter le
calendrier établi par les autres parties;
3. Ladite intimée peut assister aux contre-interrogatoires des
auteurs des affidavits produits par les requérants, mais elle
n'aura pas le droit d'y participer. Cette restriction ne s'appli-
que pas aux affidavits que les requérants auront produits en
vue de répondre directement aux affidavits que ladite intimée
pourrait déposer dans la procédure. Dans la mesure où
l'auteur d'un affidavit pourrait être contre-interrogé par plus
d'un avocat par suite de la présente ordonnance, les avocats
devront éviter le chevauchement des tâches et les retards en
désignant un avocat principal ou en se partageant cette tâche
de quelque autre manière;
4. L'intimée n'aura pas le droit de réclamer des dépens.
Toutes les conditions susmentionnées sont, bien sûr, assujetties
à tout jugement que le juge qui aura instruit la demande au
fond pourrait rendre'.
LES POINTS LITIGIEUX
En l'espèce, deux questions doivent être exami
nées. L'appelante soutient que les conditions sus-
mentionnées devraient être radiées, étant donné en
particulier que le juge avait déjà conclu qu'elle
devait être constituée partie intimée plutôt qu'in-
' De même, l'ordonnance se rapportant au dossier du greffe
A-225-90 était favorable à l'appelante, alors que dans les
dossiers A-211-90 et A-212-90, les ordonnances ont été rendues
en faveur de l'appelante Daishowa Canada Co. Ltd.
tervenante. Au moyen d'un appel incident, les
intimés soutiennent que l'appelante n'aurait pas dû
être constituée partie étant donné que la Section
de première instance n'a pas compétence pour
accorder un redressement contre celle-ci 2 .
EXAMEN
Les conditions
J'examinerai d'abord la question se rapportant
aux conditions. L'appelante affirme avoir un inté-
rêt direct dans l'issue de l'affaire en sa qualité de
propriétaire d'un embranchement de chemin de fer
et d'un pont que l'on est en train de construire sur
la rivière de la Paix en même temps que l'usine de
pâte à papier de Daishowa Canada Co. Ltd. Le
23 février 1990, 97 % de l'embranchement était
achevé et 26 % du pont l'était. La construction de
l'embranchement était financée au moyen d'une
subvention de 9 500 000 $ du ministère fédéral de
la Diversification de l'économie de l'Ouest cana-
dien. En outre, l'appelante affirme que l'Alberta a
de fait délivré les permis de construction de l'usine
de pâte à papier ainsi qu'une licence provisoire en
vue de la construction des installations de prise
d'eau et de rejet d'effluent dans la rivière de la
Paix, avec le droit de détourner l'eau de cette
rivière. Ces installations ont été exemptées des
dispositions de la Loi sur la protection des eaux
navigables, L.R.C. (1985), chap. N-22, par le
ministre des Transports, qui a également accordé
son consentement à l'appelante à l'égard du pont,
conformément à cette Loi. L'appelante soutient
qu'elle devrait donc avoir pleinement qualité pour
agir à titre d'intimée sans être assujettie aux con
ditions énoncées dans l'ordonnance. Comme elle le
dit au paragraphe 6 de son mémoire:
[TRADUCTION] 6. L'Alberta a un intérêt immédiat dans l'issue
de l'affaire étant donné qu'elle est propriétaire du pont et de
l'embranchement. En outre, l'Alberta est d'une manière géné-
rale propriétaire des ressources naturelles situées en Alberta et
a une compétence constitutionnelle exclusive pour s'occuper de
ces ressources naturelles comme elle le juge bon, et notamment
le droit de délivrer des permis, des licences et d'une manière
générale, de gérer ces ressources naturelles.
L'appelante soutient que les conditions imposées
l'empêcherait de présenter une preuve, de contre-
2 Aucun appel incident n'a été interjeté dans les autres
affaires mainentant en instance.
interroger des témoins qui lui sont défavorables et
de faire des observations.
Le savant juge de première instance a exprimé
les motifs suivants à l'appui des conditions impo
sées [aux pages 141 et 142]:
En l'espèce, j'en conclus qu'il serait approprié de constituer
l'Alberta et Daishowa intimées, sous réserve de conditions
strictes qui régiraient le rôle qu'elles seraient appelées à jouer.
Cette conclusion est fondée sur le fait que la seule raison qui
justifie de les constituer intimées plutôt qu'intervenantes est de
leur accorder des droits d'appel. J'en arrive à cette conclusion
en tenant compte du principe que la partie qui engage des
procédures judiciaires devrait normalement être capable de
choisir ceux qui seront constitués parties et d'être maîtresse de
la structure générale de la cause. Je me fonde dans une très
large mesure sur le fait que les arguments qui seront présentés
à l'audition de la demande seront surtout de nature juridique
(l'interprétation qu'il faut donner aux lignes directrices
(PEEME) et aux lois fédérales respectives) et sur le fait que
tous les éléments de preuve pertinents devraient être possédés et
connus des intimés actuels.
La, Règle 1716 prévoit que de telles modalités et conditions
peuvent être 'imposées lorsque des personnes sont constituées
parties, s'il est juste de le faire. En l'espèce, j'estime que les
conditions suivantes tombent dans cette catégorie. L'Alberta et
Daishowa devraient avoir le droit de présenter une preuve
(c'est-à-dire, de déposer une preuve par affidavit) et de contre-
interroger les auteurs de tout affidavit déposé en réponse aux
leurs. Cependant, je ne crois pas qu'elles puissent déborder le
cadre du débat en abordant des questions qui n'ont pas déjà été
établies par les requérants dans leur cause. Elles ne se verront
accorder aucun droit de déposer des plaidoiries et elles doivent
accepter les plaidoiries, telles qu'elles existent actuellement. En
ce qui a trait au contre-interrogatoire des auteurs des affidavits
des requérants, elles auront le droit d'y assister à titre d'obser-
vatrices, mais non d'y participer. L'adjonction de l'Alberta et
de Daishowa en qualité d'intimées ne devrait d'aucune manière
entraver ou retarder le calendrier convenu par les requérants et
les intimés actuels ou celui que les requérants pourraient con-
vaincre la Cour d'imposer. A cet égard, l'ordonnance qui
constitue l'Alberta et Daishowa intimées est rendue à la condi
tion expresse qu'elles respectent ce calendrier. En outre, je ne
crois pas qu'elles puissent ni l'une ni l'autre demander de
dépens. Des ordonnances seront émises conformément aux pré-
sents motifs.
Le savant juge de première instance s'est par
analogie appuyé sur la Règle 1716(2)b) [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] 3 . À son
avis, la présence de l'appelante devant la Cour
n'était pas «nécessaire», conclusion qui n'est pas
contestée. Le juge semble' avoir décidé de consti-
tuer l'appelante partie intimée pour le motif que
Règle 1761. ...
(2) La Cour peut, à tout stade' d'une action, aux conditions
qu'elle estime justes, et soit de sa propre initiative, soit sur
demande,
(Suite à la page suivante)
cette dernière «aurait dû l'être» mais croyait égale-
ment que la jonction devait être autorisée étant
donné qu'à son avis, l'appelante souhaitait «acqué-
rir des droits d'appel» (Dossier d'appel, page 31).
La Règle 1716(2)b) n'est pas propre à la prati-
que et à la procédure en vigueur devant la Cour
fédérale. En effet, cette Règle, ou une règle simi-
laire, se trouve dans les règles régissant la pratique
et la procédure en vigueur devant la Cour suprême
de l'Ontario depuis au moins 1913. Apparemment,
elle vient d'Angleterre. Elle ne vise pas à consti-
tuer une personne intervenante, mais partie. Bien
sûr, il y a une différence considérable entre la
situation d'un intervenant et celle d'une partie.
Ainsi, l'intervenant doit en général accepter le
dossier tel quel. Il n'a pas qualité pour interjeter
appel (Corporation de la ville de Toronto c.
Morencie, [1989] 1 R.C.S. vii). D'autre part, la
partie qui est jointe à la suite de l'ordonnance
rendue par un tribunal aura normalement les
mêmes droits que les autres parties, et notamment
le droit de présenter une preuve et de faire des
observations. De fait, on a dit qu'elle a le droit
absolu de contre-interroger les témoins qui sont
défavorables à ses intérêts (voir Halton Commu
nity Credit Union Ltd. v. ICL Computers Can.
Ltd. (1985), 3 C.P.C. (2d) 252 (C.A. Ont.), à la
page 253).
Il s'agit en fait ici de savoir si en imposant les
conditions susmentionnées, le juge de première
instance a agi conformément au pouvoir discré-
tionnaire qui lui est conféré par la Règle
1716(2)b). Ce pouvoir discrétionnaire est indubita-
blement étendu—(«aux conditions [que la Cour]
estime justes»)—mais ce n'est pas un pouvoir
absolu laissé à son entière discrétion. L'exercice
d'un tel pouvoir doit être fondé sur des motifs
(Suite de la page précédente)
(b) ordonner que soit constituée partie une personne qui
aurait dû être constituée partie ou dont la présence devant la
Cour est nécessaire pour assurer qu'on pourra valablement et
complètement juger toutes les questions en litige dans l'ac-
tion et statuer sur elles ...
raisonnables 4 . Cette Cour doit hésiter à intervenir
dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme
celui-ci, mais elle peut le faire pour certains motifs
précis, et notamment s'il est conclu que l'ordon-
nance n'est pas «juste et raisonnable» 5 .
Comme je l'ai dit, la demande a été intentée
contre plusieurs ministres fédéraux. Si elle était
agréée, les conséquences pour l'appelante pour-
raient bien être passablement graves. L'argent que
l'appelante a investi en vue de la construction du
pont et de l'embranchement de chemin de fer
pourrait bien être en danger si l'usine n'était pas
en mesure de fonctionner ou si son exploitation
était longuement retardée par suite de l'omission
des ministres fédéraux de se conformer au Décret
sur les lignes directrices, à supposer qu'il soit
conclu que ce décret les lie. L'efficacité de tout
permis ou de toute licence délivrés en vertu de la
loi provinciale en vue de la construction de l'usine
ainsi que des installations de prise d'eau et de rejet
d'effluent, compte tenu de l'exemption fédérale qui
a été accordée au propriétaire de l'usine, Daishowa
Canada Co. Ltd., conformément à la Loi sur la
protection des eaux navigables, pourrait bien être
remise en question. Pourtant, l'appelante ne sera
pas en mesure de présenter sa propre preuve et ses
propres arguments, à savoir que le Décret sur les
lignes directrices ne s'applique pas, en raison d'un
accord fédéral-provincial selon lequel l'évaluation
du projet, au point de vue de l'environnement,
relève de la province. Elle ne pourra pas non plus
examiner à fond sous quelque aspect que ce soit
tout ce qui peut se rapporter à l'exercice du pou-
voir discrétionnaire conféré à la Section de pre-
mière instance en vertu de l'article 18.
L'ordonnance rendue en première instance est
quelque peu hybride; en effet, elle ressemble à
certains égards à une ordonnance en vue de consti-
tuer une personne partie simpliciter et, par suite
des conditions imposées, elle ressemble également
4 Voir par exemple Société des droits d'exécution du Canada
Ltée c. Société Radio-Canada (1986), 7 C.P.R. (3d) 433
(C.A.F.), le juge Heald, J.C.A., aux p. 445 et 446.
5 Voir par exemple International Business Machines Corpo
ration c. Xerox of Canada Limited et Xerox Corporation
(1977), 16 N.R. 355 (C.A.F.); Algonquin Mercantile Corp. c.
Dart Indust. Can. Ltd. (1984), 5 C.I.P.R. 40 (C.A.F.).
à une ordonnance visant à accorder le statut d'in-
tervenant. Je ne suis pas du tout certain que le juge
ait eu raison d'ajouter ces conditions'.
On ne nous a reportés à aucune affaire dans
laquelle le tribunal, ayant décidé de joindre une
partie avant la tenue de l'audience, a limité le rôle
de la nouvelle partie d'une façon aussi fondamen-
tale qu'en l'espèce. À mon avis, les conditions
imposées réduisent de beaucoup le rôle de l'appe-
lante de sorte que son statut ressemble davantage à
celui d'une intervenante qu'à celui d'une partie à
part entière. En effet, elles limitent la preuve que
l'appelante peut présenter et la position qu'elle
peut prendre; il en va de même pour le contre-
interrogatoire. En fait, elles obligent l'appelante à
accepter le dossier tel quel et à se conformer au
«calendrier» établi en vue de l'audition de la
demande fondée sur l'article 18 indépendamment
des répercussions que celui-ci peut avoir sur sa
capacité de faire valoir son propre point de vue'.
L'ordonnance rendue en première instance prive
également l'appelante des frais de la procédure
fondée sur l'article 18, bien que la décision finale
à ce sujet soit laissée à la discrétion du juge qui
instruit la demande. À mon avis, une telle condi
tion pourrait bien influer sur la manière dont ce
juge exercera son pouvoir discrétionnaire. Il aurait
été préférable de ne rien dire au sujet des dépens et
de laisser cette question à la discrétion de ce juge,
de façon qu'il exerce son pouvoir de la manière
jugée opportune compte tenu des circonstances
existant à ce moment-là. En effet, c'est lui qui est
le mieux placé pour prendre une décision sans être
influencé par l'opinion que le savant juge des
requêtes s'est formée à l'étape préliminaire.
6 À mon avis, il n'est pas souhaitable d'établir une règle
générale d'interprétation du libellé de la Règle 1716(2)b).
Cette dernière ne précise pas de quelle manière le pouvoir
discrétionnaire doit être exercé, mais elle autorise tout au moins
le juge à exiger que le requérant paie les frais de la demande
interlocutoire (voir pas exemple Ayscough v. Bullar (1889), 41
Ch.D. 341 (C.A.); Attorney -General v. Pontypridd Water
works Company, [1908] 1 Ch. 388 (Ch.D.)), ayant cependant
une portée plus générale. Une telle ordonnance concernant les
frais ne doit pas porter atteinte aux droits ordinaires que la
personne qui est jointe peut exercer en tant que partie à la
procédure principale.
' A l'audience, on nous a informés que la demande fondée sur
l'article 18 doit maintenant être instruite au début de 1991. Le
«calendrier» convenu semble donc avoir été modifié par les
événements en ce sens qu'apparemment, l'audience devait avoir
lieu en juillet 1990 lorsque l'usine commencerait à être exploi-
tée, comme elle l'a de fait été.
Bref, à mon avis, l'ordonnance n'est pas «juste et
raisonnable» compte tenu des conditions imposées.
Je supprimerai donc ces conditions.
La question de la compétence
Il faut maintenant examiner l'argument que les
intimés ont invoqué dans le cadre de l'appel inci
dent, à savoir que le juge de première instance
n'aurait pas dû constituer l'appelante partie étant
donné qu'aucun redressement n'était réclamé
contre elle et que la Section de première instance
n'était pas compétente pour lui accorder un redres-
sement en vertu des dispositions législatives invo-
quées (La Nation déliée c. La Reine, [1983]
1 C.F. 146 (1"e inst.)). Les tribunaux ont parfois
constitué une personne partie défenderesse même
si aucun redressement n'était réclamé contre elle 8 ;
ils ont également reconnu, que cette partie qui était
jointe serait en mesure de s'opposer au redresse-
ment demandé et de se faire entendre en ce qui
concerne les conditions de tout jugement 9 . Cela
dépend des circonstances de l'espèce. La présente
Cour a bien voulu joindre une partie dans une
procédure comme celle-ci pour le simple motif
qu'étant donné que l'issue de l'affaire influerait
directement sur les droits de cette partie, cette
dernière devait être en mesure de se prévaloir de
son droit d'appel (Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro
Enterprises Ltd., [1971] C.F. 382 (C.A.); Friends
of the Oldman River Society c. Canada (Ministre
des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.)). Le
principe énoncé par la présente Cour dans l'affaire
Adidas semble s'appliquer encore plus lorsque
comme en l'espèce, la demande fondée sur
l'article 18 est encore en instance devant la Sec
tion de première instance.
DÉCISION
Je dois ajouter une dernière remarque avant de
trancher l'appel. Les intimés craignent que la pré-
sence de l'appelante en tant que partie à part
entière ait pour effet d'accroître la portée de la
procédure fondée sur l'article 18 et de la retarder,
ainsi que d'entraîner une augmentation des frais.
Je conviens que toutes ces choses sont possibles
mais, à coup sûr, il ne s'agit que de conséquences
qui peuvent normalement résulter d'une procédure
Gurtner v. Circuit, [ 1968] 2 Q.B. 587 (C.A.).
9 Comparer Amon v. Raphael Tuck & Sons Ltd., [1956] 1
Q.B. 357 (Q.B.D.), à la p. 383.
judiciaire dans laquelle l'issue de l'affaire influera
directement sur les droits d'une tierce partie. La
Cour a le pouvoir d'exercer un contrôle sur sa
procédure de façon à s'assurer que justice est faite
et à cette fin, elle peut, le cas échéant, examiner
tout abus évident de la procédure qui aurait d'une
manière ou d'une autre été commis et notamment
la question du recouvrement des frais. Or, en
l'espèce aucun abus de ce genre n'est évident.
Par conséquent, j'accueille l'appel avec dépens
et je modifie l'ordonnance qui a été rendue le
13 mars 1990 en supprimant tout ce qui suit l'ex-
pression [TRADUCTION] «aux conditions suivan-
tes:» de façon que la nouvelle ordonnance soit ainsi
libellée:
[TRADUCTION] Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta est
par les présentes constituée partie intimée dans la procédure.
L'intitulé de la cause est modifié de façon que Sa Majesté la
Reine du chef de l'Alberta y figure à titre de partie intimée.
L'appel incident est rejeté.
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Je souscris à cet
avis.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à cet avis.
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