T-1458-90
The Wellcome Foundation Limited et Burroughs
Wellcome Inc. (demanderesses)
c.
Apotex Inc., Novopharm Ltd., PDI-Pharma Dis
tribution Inc., Rene Hunderup et Fisker Cargo
Inc. (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: WELLCOME FOUNDATION LTD. C. APOTEX INC.
(1" INST.)
Section de première instance, juge Muldoon —
Ottawa, 7 et 8 juin 1990.
Brevets — Contrefaçon — Les défenderesses Apotex et
Novopharm ont importé un médicament fabriqué selon un
procédé protégé par un brevet canadien avant d'obtenir des
licences obligatoires — Elles voulaient vérifier l'innocuité et la
stabilité du médicament mis sous forme de comprimé afin de
préparer des demandes relatives à l'obtention de licences obli-
gatoires — Nul n'a le droit d'importer, sauf le titulaire du
brevet, le titulaire d'une licence obligatoire (art. 39(4) de la Loi
sur les brevets) ou le titulaire d'une licence temporaire (art.
39(7)).
Brevets — Pratique — Une ordonnance de type Anton Piller
a été décernée sur la foi d'éléments de preuve défectueux
Dans leurs affidavits, les demanderesses ont laissé entendre
que les quantités importées illégalement étaient beaucoup plus
considérables qu'elles ne l'étaient en réalité — Les défendeurs
ont contrefait le brevet — Comme les deux parties sont
fautives et que les requêtes sont contradictoires, la Cour doit
peser le pour et le contre et décerner l'ordonnance qu'elle juge
équitable — Elle ordonne que la substance saisie continue
d'être conservée sous garde jusqu'à ce que des analyses per-
mettent d'établir s'il s'agissait du médicament breveté; dans
l'affirmative, le médicament devra être conservé sous garde
jusqu'à ce que les défendeurs obtiennent une licence obligatoire
ou jusqu'au jugement final — Dans la négative, les propriétai-
res pourront reprendre possession de la substance — Il est
interdit aux défendeurs d'importer, d'utiliser ou de vendre le
médicament breveté jusqu'au jugement final ou jusqu'à la
délivrance des licences obligatoires.
Il s'agit d'une demande en vue d'obtenir la conservation sous
garde jusqu'au jugement final d'une substance tenue pour être
de l'acyclovir, qui a été saisie chez les défendeurs; une ordon-
nance autorisant les demanderesses à prélever des échantillons
afin de déterminer si la substance saisie est de l'acyclovir; et
une ordonnance interdisant aux défendeurs d'importer de l'acy-
clovir jusqu'au jugement final. Les demanderesses sont titulai-
res du brevet de procédé canadien relatif au médicament
acyclovir. Les défenderesses Apotex et Novopharm ont importé,
avant d'obtenir des licences obligatoires, de l'acyclovir qu'elles
voulaient mettre sous forme de comprimés pour en établir la
stabilité et l'innocuité, ce qui était nécessaire pour préparer la
demande relative à l'obtention d'un avis de conformité et d'une
identification numérique du médicament. La question en litige
est de savoir si cette importation était légale.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Selon l'article 42 de la Loi sur les brevets, le titulaire d'un
brevet a le droit exclusif de fabriquer, construire, exploiter et
vendre l'objet de l'invention. Il ressort de l'interprétation judi-
ciaire qui a été faite dans l'arrêt Rhône-Poulenc• que ces droits
comprennent le droit d'importer. Depuis que ce jugement a été
rendu, le Parlement a expressément prévu qu'il faut obtenir une
licence obligatoire ou une licence temporaire pour importer des
médicaments brevetés. Il y a lieu de distinguer la présente
espèce de la décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Micro -Chemicals Limited c. Smith Kline &
French Inter -American Corporation, [1972] R.C.S. 506, qui a
conclu que l'utilisation à titre expérimental d'un procédé bre-
veté ne constitue pas une contrefaçon lorsqu'elle est faite dans
le but de perfectionner l'invention ou de prouver que le produit
peut être fabriqué à l'échelle commerciale, et non dans le but de
fabriquer l'objet pour faire des profits. Ni Apotex, ni Novo-
pharm ne fabriquaient de l'acyclovir, mais elles en faisaient
toutes deux l'importation.
Les demanderesses ont établi l'existence prima facie d'une
question sérieuse à juger, mais elles n'ont pu démontrer qu'elles
subiraient un préjudice irréparable car il se pourrait que l'ac-
tion soit instruite avant que les défendeurs n'obtiennent les
licences obligatoires et les avis de conformité.
Les affidavits sur la foi desquels le juge Denault a été amené
à décerner l'injonction de type Anton Piller étaient trompeurs
car le nombre d'envois avait été grossi, ce qui a porté le juge à
conclure que la quantité importée illégalement était plus grande
qu'elle ne l'était en réalité. Comme les deux parties sont
fautives (les demanderesses ont obtenu une injonction de type
Anton Piller contraignante sur la foi d'éléments de preuve
défectueux, tandis que les défendeurs ont importé illégalement
de l'acyclovir), la Cour a dû peser le pour et le contre et
décerner l'ordonnance qu'elle jugeait équitable. Elle a donc
ordonné que les marchandises saisies soient soumises à des
analyses et, s'il s'agit effectivement d'acyclovir, qu'elles soient
conservées sous garde jusqu'à ce que les défendeurs obtiennent
des licences obligatoires ou jusqu'au jugement final. Dans la
négative, que leurs propriétaires en reprennent possession. La
Cour a interdit à Apotex et à Novopharm d'importer, de vendre
ou d'annoncer l'acyclovir tant qu'elles n'auront pas obtenu des
licences obligatoires.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, art.
39(4),(7), 39.11 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.),
chap. 33, art. 15).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Société des Usines Chimiques Rhône-Poulenc et al. v.
Jules R. Gilbert Ltd. et al. (1967), 35 Fox Pat. C. 174
(C. de l'É.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Micro Chemicals Limited c. Smith Kline & French
Inter -American Corporation, [1972] R.C.S. 506;
(1971), 25 D.L.R. (3d) 79; 2 C.P.R. (2d) 193.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Astra Pharmaceuticals Canada Ltd. et autres c. Apotex
Inc. (1984), 1 C.P.R. (3d) 513 (C.F. 1" inst.); Takeda
Chemical Industries Ltd. et autres c. Novopharm Ltd.
(1985), 7 C.P.R. (3d) 426 (C.F. lre inst.); Cimaroli v.
Pugliese (1987), 25 C.P.C. (2d) 10 (C.S. Ont.); Midway
Mfg. Co. c. Bernstein, [1983] 1 C.F. 510; (1982), 67
C.P.R. (2d) 112 (1te inst.).
AVOCATS:
Patrick E. Kierans et C. Ross Carson pour les
demanderesses.
Harry B. Radomski et Tim Gilbert pour la
défenderesse Apotex Inc.
Malcolm S. Johnston, c.r. pour la défende-
resse Novopharm Ltd.
Joseph I. Etigson pour les défendeurs PDI-
Pharma Distribution Inc., Rene Hunderup et
Fisker Cargo Inc.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour les demande-
resses.
Goodman & Goodman, Toronto, pour la
défenderesse Apotex Inc.
Malcolm S. Johnston, c.r., Toronto, pour la
défenderesse Novopharm Ltd.
Hughes, Etigson, Concord (Ontario), pour les
défendeurs PDI-Pharma Distribution Inc.,
Rene Hunderup et Fisker Cargo Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE MULDOON: Les parties se disputent au
sujet de l'importation par la défenderesse du médi-
cament appelé acyclovir, dont le procédé de fabri
cation est décrit dans les brevets de la demande-
resse étrangère.
Parmi les dispositions générales de la Loi sur les
brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, que j'appellerai
ci-après la Loi, se trouve l'article 42 [mod. par
L.R.C. (1985) (3 e suppl.), chap. 33, art. 16], qui
dispose qu'un brevet confère à son titulaire:
le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, cons-
truire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'il l'exploitent,
l'objet de l'invention, .. .
À cette énumération de droits exclusifs on doit
ajouter, vu l'interprétation judiciaire, le droit d'im-
porter. En effet, en mars 1967, le juge Thurlow,
qui faisait alors partie de la Cour de l'Échiquier du
Canada, a rendu un jugement dans l'affaire
Société des Usines Chimiques Rhône-Poulenc et
al. v. Jules R. Gilbert Ltd. et al. (1967), 35 Fox
Pat. C. 174. Le sommaire qui figure à la page 176
dit précisément que le juge Thurlow a notamment
conclu:
[TRADUCTION] 16. Qu'on doit considérer le principe voulant
que l'importation au Canada de substances produites à
l'étranger selon un brevet de procédé canadien constitue une
contrefaçon de ce brevet comme une question réglée à la
Cour de l'Échiquier, en l'absence de toute décision de la Cour
suprême.
Les deux brevets en litige sont les brevets n°s
1,062,257 et 1,096,863; le second est un brevet de
procédé canadien. Les avocats ont été incapables
de trouver ou de citer une décision contraire de la
Cour suprême du Canada. Il ne fait aucun doute
que la substance appelée acyclovir, que tous les
défendeurs sauf Fisker Cargo Inc. avaient en leur
possession, a été importée car elle est une sub
stance produite à l'étranger. L'avocat des défen-
deurs PDI, Hunderup et Fisker Cargo Inc. a
cependant mentionné qu'en 1969, la Loi avait été
modifiée, comme il l'a dit, pour permettre l'impor-
tation. Il est certain qu'en ce qui a trait aux
produits et aux substances chimiques, l'alinéa a)
du paragraphe 39(4) autorise l'importation d'un
médicament sous le régime d'une licence obliga-
toire. Ce paragraphe est ainsi libellé:
39....
(4) Si, dans le cas d'un brevet portant sur une invention
destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la produc
tion de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles
fins, une personne présente une demande pour obtenir une
licence en vue de faire l'une ou plusieurs choses suivantes
comme le spécifie la demande:
a) lorsque l'invention consiste en un procédé, utiliser l'inven-
tion pour la préparation ou la production de médicaments,
importer tout médicament dans la préparation ou la produc
tion duquel l'invention a été utilisée ou vendre tout médica-
ment dans la préparation ou la production duquel l'invention
a été utilisée;
L'alinéa b) vise les inventions qui consistent en
autre chose qu'un procédé. Puis, le paragraphe
dispose que:
39. (4) ...
le commissaire accorde au demandeur une licence pour faire les
choses spécifiées dans la demande à l'exception de celles pour
lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas
accorder une telle licence.
Le paragraphe 39(7) est à-peu-près au même
effet, et il est ainsi libellé:
39....
(7) À l'expiration du délai spécifié par le commissaire dans
l'avis au breveté mentionné au paragraphe (6), le commissaire
accorde, s'il n'a pas statué définitivement sur la demande, une
licence temporaire au demandeur pour faire les choses spéci-
fiées dans la requête à l'exception de celles pour lesquelles il a,
le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas accorder une telle
licence.
De toute évidence, le commissaire pourrait avoir
de bonnes raisons, par exemple, de ne pas autoriser
l'importation ou toute autre chose mentionnée
dans la demande ou dans la licence.
La Loi sur les brevets, qui règle la question, du
moins en ce qui a trait à la procédure, exige donc
la délivrance d'une licence obligatoire ou tempo-
raire pour l'importation de médicaments brevetés
notamment, à moins que le commissaire ait de
bonnes raisons, même alors, de ne pas en autoriser
l'importation.
Les deux firmes Taro et Genpharm possèdent
déjà des licences obligatoires et n'attendent que
l'expiration du délai prévu aux paragraphes
39.11(1) [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.),
chap. 33, art. 15] et (2). Ces dispositions imposent
d'autres restrictions à l'importation d'une sub
stance comme l'acyclovir, qui fait l'objet du
présent litige. Il convient de citer d'abord le para-
graphe (1):
39.11 ...
(1) ... si l'invention est un procédé, d'importer pour vente
au Canada le médicament dans la préparation ou la production
duquel l'invention a été utilisée, ou, si elle n'est pas un procédé,
d'importer l'invention pour des médicaments ou pour la prépa-
ration ou la production de médicaments pour vente à la con-
sommation au Canada.
Le paragraphe 39.11(2) [édicté, idem] précise la
durée des interdictions susmentionnées relative-
ment à l'importation de médicaments:
39.11 ...
(2) L'interdiction est levée à l'expiration des délais suivants:
a) sept ans après la délivrance du premier avis de conformité
à l'égard du médicament ...
Puis il y a l'alinéa b) qui est, je pense, l'alinéa
pertinent en l'espèce:
39.11 (2) ...
b) huit ans après la délivrance du premier avis de conformité
si, au 27 juin 1986, l'avis était délivré et si aucune licence n'a
été accordée pour le médicament et aucun avis de conformité
n'a été délivré à une personne autre que le breveté;
La définition du terme «breveté» pourrait nous
amener, et nous amène effectivement, à conclure
que la demanderesse Burroughs Wellcome est bel
et bien le titulaire du brevet au sens de la défini-
tion prévue dans cette partie de la Loi sur les
brevets.
La loi autorise-t-elle l'importation de médica-
ments brevetés avant la délivrance d'une licence
obligatoire, pour que la personne, l'entreprise ou la
société qui a fait une demande de licence obliga-
toire, ou qui prévoit en faire une, puisse préparer
la demande qu'exige la Direction générale de la
protection de la santé avant d'accorder un avis de
conformité ou une identification numérique de la
drogue? L'avocat n'a pu citer aucune autre dispo
sition législative à part l'article 39 susmentionné.
Comme on l'a souligné, l'article 39 autorise l'im-
portation de médicaments une fois qu'une licence
obligatoire ou temporaire a été délivrée.
Les avocats des défendeurs se sont fondés sur la
décision qu'a rendue la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Micro Chemicals Limited c. Smith
Kline & French Inter -American Corporation,
[1972] R.C.S. 506. La décision unanime de la
Cour a été rendue par le juge Hall le 5 octobre
1971. La contrefaçon reprochée se serait produite
à compter du 10 janvier 1961, et aurait consisté en
l'utilisation à titre expérimental d'un procédé bre-
veté avant que la défenderesse ne présente une
demande de licence obligatoire. Il a été convenu
que les expériences de la défenderesse avaient pour
objet de fabriquer du trifluopérazine au moyen du
procédé breveté, non pas pour perfectionner l'in-
vention, mais pour prouver que la défenderesse
pouvait fabriquer le produit à l'échelle commer-
ciale. La petite quantité de trifluopérazine pro-
duite (avant le 22 janvier 1966) avait été mise en
bouteilles et conservée par la défenderesse Micro
Chemicals, qui ne l'a jamais mise en marché; de
plus, la demanderesse n'au subi aucun dommage et
Micro n'a fait aucun profit.
Le juge Hall a dit, aux pages 519 et 520 du
Recueil des arrêts de la Cour suprême:
À mon avis, il [le juge de première instance] a commis une
erreur en décidant que celui qui utilise expérimentalement, sans
licence, un article breveté dans des expériences qu'il fait de
bonne foi est, en droit, un contrefacteur. Le raisonnement du
Juge Jessel (Maître des Rôles) dans Frearson v. Loe ((1878), 9
Ch. D. 48), lequel a été approuvé par le vice-chancelier Bris-
towe dans Proctor v. Bayley & Son ((1889), 6 R.P.C. 106 à
109), s'applique ici. Le Juge Jessel dit, pp. 66-67:
[TRADUCTION] L'autre question soulevée est curieuse et loin
d'être sans difficulté; ce qui est arrivé à cet égard, c'est qu'à
divers moments, le défendeur a fabriqué des vis en blanc,
comme il les a appelées; il en a fait, en tout, au plus deux
livres, utilisant divers moyens par lesquels étaient indubita-
blement fabriquées les vis en blanc selon le brevet de 1870
ainsi que selon le brevet de 1875 du demandeur; ces moyens
semblent avoir violé les deux brevets. Le défendeur affirme
ne l'avoir fait qu'à titre d'expérience; à coup sûr, si quelqu'un
fabrique un objet uniquement à titre d'expérience faite de
bonne foi et non pas dans l'intention de vendre ou d'utiliser
l'objet ainsi fabriqué dans le même but que celui dans lequel
le brevet a été accordé, mais en vue de perfectionner l'inven-
tion qui fait l'objet du brevet, ou en vue d'étudier s'il est
possible de la perfectionner ou non, il n'y a pas là empiéte-
ment sur les droits exclusifs accordés par le brevet. Les droits
en vertu de brevets n'ont jamais eu pour but d'empêcher ceux
qui ont un esprit inventif d'exercer leurs talents de façon
juste. Mais si on n'utilise ni ne vend l'invention en vue d'en
tirer un profit, la seule fabrication à des fins expérimentales,
et non pas à des fins frauduleuses, ne devrait pas être tenue
pour une violation et, en tous les cas, ne peut sûrement pas
faire l'objet d'une injonction.
Vient ensuite un passage qu'ont cité les avocats
de toutes les parties au litige, et dans lequel le juge
Hall dit ceci [à la page 520]:
Micro a utilisé la substance brevetée, non pas pour en tirer
un profit mais pour voir si elle pouvait fabriquer un produit de
qualité suivant le mémoire descriptif inclus dans la demande de
l'intimée en vue d'obtenir le brevet n° 612204. Le Juge Walsh a
conclu que les expériences qu'a faites Micro avant le 22 janvier
1966 constituent une contrefaçon en droit strict car elles n'ont
pas été faites dans le but de perfectionner le procédé mais afin
de permettre à Micro de commencer à produire à l'échelle
commerciale dès qu'elle pourrait obtenir la licence sollicitée. Je
ne puis voir comment ce genre d'expériences et de préparatifs
constituent une contrefaçon. Ils me semblent être la consé-
quence logique du droit de demander une licence obligatoire.
Puis, M. Radomski a cité l'extrait suivant de la
décision du juge Hall, à la même page:
Toutefois, le fait que le demandeur se met dans la possibilité de
démontrer qu'il possède le matériel, la compétence et les con-
naissances requises, grâce à ses expériences, ne veut pas néces-
sairement dire, à mon avis, qu'il est un contrefacteur.
M. Kierans a cité le passage suivant [à la page
521]:
La conclusion du Juge Walsh qu'il y a eu contrefaçon entre
le 25 janvier 1966 et le 21 juin 1966 du fait que Micro a
transféré la substance à Gryphon, que cette dernière a fabriqué
des comprimés et que Maney a sollicité des clients éventuels est
amplement étayée par la preuve. L'intimée a donc droit à des
dommages-intérêts pour contrefaçon au cours de cette période.
Ma question est la suivante: cette décision de la
Cour suprême permet-elle de conclure que les
défendeurs ont le droit d'importer l'acyclovir (la
substance brevetée), de sorte que Apotex et Novo-
pharm puissent en faire des comprimés afin d'en
établir la stabilité et l'innocuité? Ni l'une ni l'autre
n'est titulaire d'une licence obligatoire et Apotex
n'a même pas encore fait de demande en ce sens.
Les avocats de la demanderesse affirment que
les fabricants de médicaments génériques que sont
les défenderesses sont dans une situation analogue
à celle de Gryphon dans l'arrêt Micro Chemicals
mais, en réalité, la preuve n'établit pas qu'elles ont
fait de la publicité pour vendre les comprimés
d'acyclovir.
L'arrêt Micro Chemicals est-il tout à fait identi-
que à la présente espèce? Je ne le crois pas. Ni
Apotex ni Novopharm ne tentent de produire
l'acyclovir dans leur propre laboratoire, où elles
pourraient surveiller les travaux et voudraient
s'abstenir d'en communiquer les résultats. Non.
Elles importent déjà toutes deux l'acyclovir en
question. Il ne faut pas oublier ce que le juge
Thurlow a dit au sujet de l'importation dans l'arrêt
Rhône-Poulenc. Cela s'applique encore, sauf que
le Parlement a expressément autorisé l'importation
d'une substance lorsqu'une licence obligatoire a été
délivrée, si le commissaire n'a pas de bonnes rai-
sons de l'interdire. Il n'y a pas d'autre disposition
législative citée en l'espèce qui permette de déroger
à un brevet.
Les choses ont-elles par ailleurs changé depuis
l'époque où la contrefaçon reprochée a été exami
née dans l'arrêt Micro Chemicals? Oui. Avant
d'exploiter une licence obligatoire, il faut mainte-
nant que le titulaire de la licence obtienne un avis
de conformité ainsi qu'une identification numéri-
que de la drogue auprès de la Direction générale
de la protection de la santé du ministère de la
Santé nationale et du Bien-être social. Les étapes
prévues dans la loi sont les suivantes: première-
ment, il faut obtenir une licence obligatoire;
ensuite, on peut importer une substance à des fins
expérimentales pour pouvoir soumettre les deman-
des appropriées à la Direction générale de la pro
tection de la santé et obtenir un avis de conformité.
J'en arrive à la conclusion que les demanderes-
ses ont établi, à première vue, l'existence d'une
question sérieuse à juger; toutefois, comme il
s'écoulera un certain temps avant que les défende-
resses Apotex et Novopharm puissent obtenir une
licence obligatoire et un avis de conformité, et
comme l'action des demanderesses pourrait avoir
été instruite d'ici là, celles-ci n'ont pu démontrer
qu'elles pourraient subir un préjudice irréparable.
La Cour constate que les affidavits sur la foi
desquels les demanderesses ont persuadé le juge
Denault d'accorder l'ordonnance de type Anton
Piller demandée étaient si défectueux qu'ils ont
induit la Cour en erreur. MM. Rowan et Desma-
rais ont grossi le nombre d'envois et, par consé-
quent, la quantité d'acyclovir qui avait été impor-
tée. Dans son affidavit, M. Rowan n'a pas traité de
façon juste et franche la question des expériences
que les défenderesses Apotex et Novopharm envi-
sagaient de faire. D'autres exemples ont été four-
nis par les avocats des défendeurs. Il convient de
citer à cet égard l'arrêt Cimaroli v. Pugliese
(1987), 25 C.P.C. (2d) 10. Il s'agit d'une décision
rendue par le protonotaire Sandler de la Cour
suprême de l'Ontario, qui a été confirmée par le
juge O'Driscoll [(1988), 25 C.P.C. (2d) 10]; la
permission d'interjeter appel de cette dernière
décision a été refusée. Dans cette affaire, le docu
ment litigieux avait été communiqué au juge de
première instance, mais il était constitué des
fameuses clauses imprimées en petits caractères,
que l'on n'avait pas spécifiquement portées à l'at-
tention du juge. La faute était peut-être moins
grave que celle qui est ressortie de la preuve des
demanderesses communiquée au juge Denault.
Les parties ont fourni à la Cour une liste d'ar-
rêts parmi lesquels il convient de noter la décision
rendue par le juge Joyal dans l'affaire Astra Phar
maceuticals Canada Ltd. et autres c. Apotex Inc.
(1984), 1 C.P.R. (3d) 513 (C.F. 1'e inst.) et celle
du juge en chef adjoint de cette Cour dans l'affaire
Takeda Chemical Industries Ltd. et autres c.
Novopharm Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 426 (C.F.
ire inst.). Elles n'ont pas été oubliées.
Le litige dont je suis saisi en l'espèce en est un
qui fait appel à une «première impression» et il
n'est pas facile de le trancher parce les deux
parties ont, semble-t-il, été fautives: en effet, les
demanderesses ont obtenu une injonction de type
Anton Piller très contraignante en fournissant des
éléments de preuve qui laissaient à désirer. Pour
leur part, les défendeurs ont importé une substance
à l'égard de laquelle ils ne détenaient aucune
licence d'importation.
Comme on demandait à la Cour, dans les deux
requêtes, de décerner toute autre ordonnance
qu'elle pourrait juger équitable, celle-ci pourrait
devoir faire preuve d'une certaine imagination
pour régler la question, puisque deux requêtes
contradictoires ont été déposées.
Dans l'arrêt Midway Mfg. Co. c. Bernstein,
[1983] 1 C.F. 510; (1982), 67 C.P.R. (2d) 112 (l'e
inst.), le juge Collier a dit, d'après le sommaire
[C.P.R.]:
[TRADUCTION] Jugement: la partie de l'ordonnance accor-
dant l'injonction interlocutoire est annulée. Le reste de l'ordon-
nance de type Anton Piller n'est pas annulé.
Voilà ce que j'appelle une décision imaginative.
Même si je ne rends pas exactement la même
décision que le juge Collier, je pense que la Cour
devrait décerner l'ordonnance qu'elle juge équita-
ble.
Pendant l'instruction, on a dit que si les défen-
deurs avaient demandé aux demanderesses la per
mission d'importer de l'acyclovir afin de faire des
expériences, il n'aurait sans doute pas été néces-
saire de mener une telle enquête et de prendre des
mesures aussi contraignantes..
La demanderesse affirme que les défendeurs ont
pu, de cette façon, gagner du temps auquel ils
n'avient pas droit, pour ce qui est de produire et de
vendre une substance sous le régime d'une licence
obligatoire.
On a aussi laissé entendre que les demanderesses
auraient dû, au lieu de prendre les mesures radica-
les qu'elles ont prises ou d'amener le juge Denault
à leur permettre de les prendre, communiquer avec
les défendeurs et leur dire: «Bon, nous savons que
vous importez de l'acyclovir, et cela contrevient au
brevet».
Les défendeurs ont évidemment fait remarquer
avec insistance que s'ils ne sont pas autorisés à
importer cette substance maintenant, les demande-
resses bénéficieront par le fait même d'une proro-
gation de leurs brevets, ce qui nuira à la délivrance
d'une licence obligatoire.
Ces questions ne sont pas faciles à trancher. On
pourrait en débattre pendant une semaine ou un
mois. Le temps ne nous permet toutefois pas de le
faire.
Ma décision est la suivante:
1. Sous réserve de ce qui suit, la substance saisie
et tenue pour être de l'acyclovir doit être conservée
sous garde et la demanderesse peut, dans les plus
brefs délais, sans mélanger les différents contenus,
prélever au hasard un petit échantillon suffisant
pour effectuer l'analyse destinée à établir si la
substance saisie est effectivement formée des
mêmes composants et éléments que l'acyclovir,
conformément au paragaphe 39(2) de la Loi sur
les brevets; et
a) s'il s'agit d'acyclovir, toute quantité de sub
stance saisie est toujours conservée sous garde et
peut être photographiée et remise à la personne
désignée par les parties pour sa conservation
jusqu'à la réalisation des événements suivants:
(i) l'obtention par la défenderesse Apotex
d'une licence obligatoire en vertu de la Loi et
selon laquelle la substance et celle qui est
destinée à la défenderesse sont remises au
propriétaire ou aux propriétaires respectifs;
(ii) l'obtention par la défenderesse Novo-
pharm d'une licence obligatoire selon laquelle
la substance et celle qui est destinée à la
défenderesse sont remises au propriétaire ou
aux propriétaires respectifs;
b) si la substance saisie n'est pas identique, ou
réputée identique, conformément au paragraphe
39(2) de la Loi, à la substance brevetée, l'acy-
clovir, elle est remise sans délai, après obtention
des résultats de l'analyse par l'analyste ou la
personne chargée de l'analyse, à ses propriétai-
res respectifs parmi les défendeurs; les parties
peuvent alors s'adresser à la Cour pour obtenir
une ordonnance visant à rendre publics les résul-
tats d'analyse dans un délai raisonnable, à
donner mainlevée de la substance saisie et d'au-
tres ordonnances quant aux dépens;
c) en ce qui concerne les substances respectives
d'Apotex et de Novopharm qui ont été saisies,
elles sont conservées sous garde jusqu'à ce que
ses propriétaires respectifs obtiennent une
licence obligatoire en application de la Loi, et
les frais de garde sont à la charge des parties
condamnées au paiement des dépens à l'issue de
l'instance ou jusqu'à nouvelle ordonnance de
cette Cour;
d) les dépens des demanderesses, accordés le 8
juin 1990 pour la procédure relative à leur
requête entendue hier et aujourd'hui, seront
taxés sur la base de frais entre parties, et les
défenderesses Apotex et Novopharm en suppor-
teront chacune la moitié; si l'une de ces défende-
resses paie les dépens en entier, elle aura le
jugement sommaire pour la moitié contre l'autre
défenderesse.
2. Jusqu'à ce qu'il soit statué sur la présente
affaire, ou jusqu'à ce que Apotex et Novopharm
obtiennent respectivement une licence obligatoire à
l'égard de l'acyclovir, conformément aux disposi
tions de la Loi sur les brevets, ou jusqu'à nouvelle
ordonnance de cette Cour, selon le premier des
trois événements à survenir, Apotex et Novo-
pharm, ainsi que leurs dirigeants, directeurs, man-
dataires, préposés et employés, et ceux des autres
défendeurs ainsi que les autres défendeurs eux-
mêmes, ne peuvent importer, utiliser, offrir en
vente, vendre, faire la promotion ou faire en sorte
que des tiers importent, utilisent, offrent en vente,
vendent et fassent la promotion du médicament
acyclovir produit par le procédé divulgué et reven-
diqué dans les brevets canadiens numéros
1,062,257 et 1,096,863.
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