A-199-89
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Brian Mossop (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. MOSSOP
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Stone,
J.C.A.—Toronto, 9 et 10 mai; Ottawa, 29 juin
1990.
Droits de la personne — Le Tribunal des droits de la
personne s'est trompé en concluant que l'expression «situation
de famille» (l'un des motifs de distinction illicite figurant dans
la Loi canadienne sur les droits de la personne) comprenait un
couple homosexuel — Le terme «famille» n'est pas si nébuleux
qu'il faille le soumettre à une interprétation — Il n'était pas
du ressort du Tribunal de rejeter la signification généralement
reconnue du terme «famille» — Le mot «famille» n'a pas un
caractère vague, sous réserve seulement d'une notion nébuleuse
de caractère raisonnable — Il est associé à la notion de
«status» dans la version anglaise — Un couple homosexuel ne
constitue pas une «famille» reconnue par la loi — Le Tribunal
n'a pas bien compris la question fondamentale — L'orientation
sexuelle est le véritable fondement de la discrimination men-
tionnée — Elle ne fait pas partie des motifs de distinction
illicite figurant dans la Loi canadienne sur les droits de la
personne.
Droit constitutionnel — Charte des droits Droits à
l'égalité — Même si l'orientation sexuelle était une forme de
discrimination prohibée par l'art. 15, la Charte ne pourrait pas
être utilisée comme une sorte de mécanisme d'amendement
ipso facto exigeant l'incorporation des principes qui la sous-
tendent dans les lois sur les droits de la personne La Charte
et les lois sur les droits de la personne sont de nature dif-
férente — Les lois sur les droits de la personne ne contiennent
pas de mécanisme de pondération identique à celui qui est
prévu à l'art. premier de la Charte.
Interprétation des lois — L'art. 3(1) de la Loi canadienne
sur les droits de la personne interdit la discrimination fondée
sur la «situation de famille» — Celle-ci comprend-elle un
couple homosexuel? — L'approche «guidée par la raison d'être
de la loi» ou de «l'arbre vivant» qui est utilisée pour l'inter-
prétation des dispositions de la Constitution ne peut s'appli-
quer aux lois sur les droits de la personne — La «situation de
famille» n'était pas censée comprendre l'orientation sexuelle.
Fonction publique — Relations du travail Convention
collective — Une demande de congé de deuil pour assister aux
funérailles du père du partenaire homosexuel a été refusée —
La convention collective donnait une définition de «famille
immédiate» L'employé a porté plainte à la CCDP contre
son employeur et son syndicat — Le Tribunal des droits de la
personne a conclu que la «situation de famille,,, l'un des motifs
de distinction illicite, comprenait un couple homosexuel
Décision annulée.
Il s'agissait d'une demande visant l'annulation de la décision
par laquelle un tribunal des droits de la personne a statué que
l'expression «situation de famille», l'un des motifs de distinction
illicite prévus au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les
droits de la personne, comprenait la situation de deux person-
nes qui entretiennent une relation homosexuelle.
La demande présentée par l'intimé en vue d'obtenir un congé
de deuil, prévu dans une convention collective, afin d'assister
aux funérailles du père de son partenaire a été refusée. On lui a
offert un congé payé spécial d'une journée, qu'il a refusé pour le
motif qu'il ne voulait pas d'un congé accordé à la discrétion de
son employeur alors que ce congé était accordé comme un droit
à ses collègues hétérosexuels. Il a porté plainte à la Commission
canadienne des droits de la personne contre son employeur et
son syndicat. Il a été allégué qu'un couple homosexuel consti-
tuait une «famille» et que la convention collective était discrimi-
natoire parce qu'elle ne lui accordait pas le même traitement
qu'à d'autres familles. D'après un témoin expert, le plaignant
entretenait une «relation familiale». Selon le Tribunal, la ques
tion fondamentale était de savoir si la situation de famille
comprenait une relation homosexuelle. Le Tribunal a statué
que l'employeur et le syndicat avaient enfreint l'alinéa 10b) de
la Loi en concluant une entente susceptible d'annihiler les
chances d'emploi de l'intimé et que le motif de distinction
illicite mentionné était la «situation de famille».
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Marceau, J.C.A.: Le Tribunal s'est trompé (1) en
concluant que l'expression «situation de famille» comprenait
une relation homosexuelle et (2) en disant que la question
fondamentale était de savoir si l'expression «situation de
famille» utilisée au paragraphe 3(1) comprenait une relation
homosexuelle.
L'approche guidée par la raison d'être de la loi adoptée pour
l'interprétation de la Charte ne devrait pas s'appliquer à l'inter-
prétation des lois relatives aux droits de la personne. La Charte
doit être interprétée d'une façon spéciale parce qu'en raison des
difficultés associées à la modification de la Constitution, les
dispositions de celle-ci pourraient ne pas évoluer au même
rythme que les valeurs de la société. L'application de l'interpré-
tation de «l'arbre vivant» pour discerner de nouveaux motifs de
distinction illicite déborde le cadre des pouvoirs de la Cour et
usurperait la fonction du Parlement. Ensuite, le sens du mot
«famille» utilisé dans la Loi n'est pas si nébuleux qu'il faille le
soumettre à une interprétation. Enfin, le Tribunal n'avait pas le
pouvoir d'écarter la signification généralement donnée au mot
«famille» et d'y substituer, au moyen d'une approche volontaire-
ment ponctuelle, une signification qui ne convient pas au
contexte dans lequel ce mot est employé et qui ne correspond
pas à l'intention qu'avait le législateur. Le terme «famille» n'a
pas un caractère vague, sous réserve seulement d'une notion
nébuleuse de caractère raisonnable. Il faut également se rappe-
ler que le terme «famille» est associé au mot «status» dans la
version anglaise, qui est une notion juridique qui désigne la
position spécifique d'une personne par rapport aux droits dont
elle jouit et aux restrictions dont elle est l'objet du fait de son
appartenance à un groupe juridiquement reconnu. Même si un
couple homosexuel pouvait constituer sociologiquement parlant
une sorte de famille, ce n'est pas une famille qui, juridiquement
parlant, confère à ses membres des obligations et des droits
spéciaux.
Le véritable motif de distinction illicite était l'orientation
sexuelle, qui ne figure pas parmi les motifs de distinction illicite
énumérés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Même si c'était une forme de discrimination prohibée par
l'article 15, la Charte ne pourrait pas être utilisée comme une
sorte de mécanisme d'amendement ipso facto exigeant l'incor-
poration des principes qui la sous-tendent dans les lois sur les
droits de la personne en étirant le sens des mots au-delà de leur
limites. Les lois relatives aux droits de la personne visent la
population en général, alors que la Charte prétend restructurer
le cadre juridique global dans lequel s'inscrivent les rapports
privés. Celui qui prétend qu'un mandataire du gouvernement a
conclu une entente qui viole les droits qui lui sont garantis par
la Charte doit le faire en dehors du cadre de la Loi canadienne
sur les droits de la personne, à moins que la Loi n'interdise
spécifiquement la violation en question. De plus, la Charte
prévoit à son article premier un mécanisme général de pondéra-
tion qui n'existe pas dans les codes des droits de la personne.
Des exceptions particulières peuvent figurer dans la législation
sur les droits de la personne parce qu'elles ont été prises en
considération par les législatures et sont le fruit d'un compro-
mis politique. Si les tribunaux voyaient dans ces lois des
significations qui n'avaient pas été envisagées pour le motif
qu'on a conclu dans des décisions portant sur la Charte que ces
significations constituaient des «motifs analogues», la clause
limitative fondée sur l'article premier ne s'appliquerait pas.
Le juge Stone, J.C.A. (avec l'appui du juge Heald, J.C.A.):
En ajoutant la «situation de famille» au paragraphe 3(1)
comme motif de distinction illicite, le Parlement n'avait pas
l'intention d'y inclure la discrimination fondée sur l'orientation
sexuelle. Il n'était pas du ressort de la Cour de modifier la loi
pour aller plus loin.
Bien que les lois sur les droits de la personne doivent être
interprétées d'une manière qui soit conforme aux dispositions
de la Charte, la Charte ne devrait pas obliger les tribunaux à
attribuer à une expression employée dans une loi une significa
tion qu'on n'avait pas l'intention de lui attribuer. Si cette
expression semble incompatible avec les dispositions de la
Charte, c'est alors la constitutionnalité de cette expression qui
doit être contestée si l'on veut que la Charte puisse jouer un
rôle dans le règlement du litige.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44].
Code des droits de la personne, 1981, L.O. 1981, chap.
53, art. 9g).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-
77, chap. 33, art. 3(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 143, art. 2), 7b) (mod., idem, art. 3), 9(1)c)(ii)
(mod., idem, art. 4), 10b) (mod., idem, art. 5).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), chap. H-6.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44], art. 52(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
The Saskatchewan Human Rights Code, S.S. 1979,
chap. S-24.1.
Sask. Reg. 216/79, art. 1(a).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
(1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6
W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14
C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9
C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Union internationale des employés des services, local no.
333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et
autres, [1975] 1 R.C.S. 382; (1973), 41 D.L.R. (3d) 6;
[1974] 1 W.W.R. 653; Banque Nationale du Canada c.
Union internationale des employés de commerce et autre,
[1984] 1 R.C.S. 269; (1984), 9 D.L.R. (4th) 10; 84
C.L.L.C. 14,037; 53 N.R. 203.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Schaap c. Forces armées canadiennes, [1989] 3 C.F. 172;
(1988), 56 D.L.R. (4th) 105;,95 N.R. 132 (C.A.); Veysey
c. Canada (Commissaire du Service correctionnel),
[1990] 1 C.F. 321; (1989), 29 F.T.R. 74 (1" inst.); Brown
v. B.C. (Min. of Health) (1990), 42 B.C.L.R. (2d) 294
(C.S.); Andrews c. Law Society of British Columbia,
[1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2
W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91
N.R. 255.
DÉCISIONS CITÉES:
Commission ontarienne des droits de la personne et
O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2
R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th)
321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 86 C.L.L.C.
17,002; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Bhinder et autre c.
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et
autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th)
481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 C.L.L.C.
17,003; 63 N.R. 185; Action Travail des Femmes c.
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada,
[1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27
Admin. L.R. 172; 87 C.L.L.C. 17,022; 76 N.R. 161;
Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2
R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 87 C.L.L.C.
17,024; 74 N.R. 303; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd.,
[1986] 2 R.C.S. 573; (1986), 33 D.L.R. (4th) 174;
[1987] 1 W.W.R. 577; 9 B.C.L.R. (2d) 273; 38 C.C.L.T.
184; 87 C.L.L.C. 14,002; 25 C.R.R. 321; [1987] D.L.Q.
69; Re Blainey and Ontario Hockey Association et al.
(1986), 54 O.R. (2d) 513; 26 D.L.R. (4th) 728; 14
O.A.C. 194 (C.A.); Babineau et al. v. Babineau et al.
(1981), 32 O.R. (2d) 545; 122 D.L.R. (3d) 508 (H.C.);
conf. par (1982), 37 O.R. (2d) 527; 133 D.L.R. (3d) 767
(C.A.).
DOCTRINE
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de
la justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et
témoignages, fascicule n° 114 (20 décembre 1982).
Canada. Chambre des communes. Rapport du Comité
parlementaire sur les droits à l'égalité: Égalité pour
tous, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1985.
AVOCATS:
Barbara A. Mcisaac pour le requérant.
René Duval pour la Commission canadienne
des droits de la personne.
V. Jennifer MacKinnon et A. B. McAllister
pour les intervenants Equality for Gays and
Lesbians Everywhere, la Fédération cana-
dienne des droits et libertés, l'Association
nationale de la femme et le droit, le Conseil
canadien des droits des personnes handicapées
et le Comité national d'action sur le statut de
la femme.
W. Ian Binnie et Jenny P. Stephenson pour les
intervenants Focus on the Family, l'Armée du
Salut, Real Women, The Evangelical Fellow
ship of Canada et The Pentecostal Assemblies
of Canada.
A COMPARU:
Brian Mossop pour son propre compte.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Les Services juridiques de la Commission
canadienne des droits de la personne pour la
Commission canadienne des droits de la
personne.
Burke- Robertson, Ottawa, pour les interve-
nants Equality for Gays and Lesbians
Everywhere, la Fédération canadienne des
droits et libertés, l'Association nationale de la
femme et le droit, le Conseil canadien des
droits des personnes handicapées et le Comité
national d'action sur le statut de la femme.
McCarthy Tétrault, Toronto, pour les interve-
nants Focus on the Family, l'Armée du Salut,
Real Women, The Evangelical Fellowship of
Canada et The Pentecostal Assemblies of
Canada.
L'INTIMÉ POUR SON PROPRE COMPTE:
Brian Mossop, Toronto.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: L'un des motifs de
distinction illicite prévus par la Loi canadienne sur
les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33,
et ses modifications, maintenant L.R.C. (1985),
chap. H-6 («la Loi») est la «situation de famille».
Cette expression comprend-t-elle la situation de
deux personnes qui entretiennent une relation
homosexuelle? Le Tribunal des droits de la per-
sonne a rendu une décision dans laquelle il a
répondu par l'affirmative à cette question, et le
procureur général du Canada a soumis à la Cour
une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] dans
laquelle il demande la révision et l'annulation de
cette décision.
Comme il fallait s'y attendre, cette affaire a
suscité l'intérêt de nombreux groupes et associa
tions, qui ont demandé la permission d'intervenir
ou, du moins, d'être entendus par la Cour. Des
observations appuyant la position du procureur
général ont été faites par: l'Armée du Salut, Focus
on the Family Association Canada, Real Women,
les Pentecostal Assemblies of Canada et l'Evange-
lical Fellowship of Canada. Des observations
appuyant la décision du Tribunal ont été faites
par: la Fédération canadienne des droits et libertés,
Equality for Gays and Lesbians Everywhere, l'As-
sociation nationale de la femme et le droit, le
Conseil canadien des droits des personnes handica-
pées et le Comité national d'action sur le statut de
la femme.
Commençons par passer en revue les faits qui
ont donné lieu au litige et en fonction desquels
l'affaire doit être analysée.
En juin 1985, M. Brian Mossop (l'intimé) tra-
vaillait à Toronto comme traducteur pour le Secré-
tariat d'État. Il vivait avec M. Ken Popert depuis
1976. Les deux hommes partageaient une maison
qu'ils avaient achetée ensemble et qui était finan
cée au moyen d'un compte de banque conjoint. Ils
se partageaient les tâches domestiques et s'arran-
geaient pour prendre leurs vacances en même
temps afin de pouvoir voyager ensemble. Leur
relation homosexuelle était en quelque sorte de
notoriété publique puisqu'ils se présentaient
comme des amants à leurs amis et à leurs familles,
et qu'ils militaient tous deux activement dans le
mouvement en faveur des droits des homosexuels.
Le 3 juin 1985, M. Mossop s'est absenté du travail
pour accompagner M. Popert aux obsèques de son
père.
À ce moment, les conditions d'emploi de l'intimé
étaient régies par une convention collective entre le
Conseil du Trésor et le Syndicat canadien des
employés professionnels et techniques («SCEPT»).
L'article 19.02 de cette convention contenait une
disposition relative au congé de deuil donnant droit
à un congé d'une durée maximum de quatre jours
lors du décès d'un membre de la «proche famille»
de l'employé. L'expression «proche famille» était
ainsi définie:
... le père, la mère, le frère, la sœur, le conjoint (y compris le
conjoint de droit commun demeurant avec l'employé), l'enfant
propre de l'employé (y compris l'enfant du conjoint de droit
commun) ou l'enfant en tutelle de l'employé, le beau-père, la
belle-mère et tout parent demeurant en permanence au foyer de
l'employé ou avec qui l'employé demeure en permanence.
Dans les définitions contenues dans la convention,
il était déjà prévu à l'article 2.01s) que:
... on dit qu'il existe des liens de «conjoint de droit commun»
lorsque, pendant une période continue d'au moins une année,
un employé a cohabité avec une personne du sexe opposé, l'a
présentée publiquement comme son conjoint, et vit et a l'inten-
tion de continuer à vivre avec cette personne comme si elle était
son conjoint.
Le lendemain des obsèques, M. Mossop a pré-
senté une demande écrite en vue d'obtenir le congé
de deuil prévu à l'article 19.02 de la convention
collective. Sa demande a été rejetée, et M. Mossop
a décliné l'offre de congé spécial d'une journée
qu'on lui a faite à la place. Il a motivé son refus en
disant qu'il ne voulait pas d'une journée de congé
accordée à la discrétion de l'employeur, alors que
la convention collective accordait automatique-
ment cette journée à ses collègues hétérosexuels. Il
a présenté un grief avec l'approbation de son syn-
dicat, qui l'a également représenté, mais le grief a
été rejeté au motif que le refus d'accorder le congé
demandé était conforme à la convention collective.
M. Mossop s'est alors adressé à la Commission
canadienne des droits de la personne et a déposé
des plaintes contre son employeur, le Secrétariat
d'État (auquel s'est ensuite ajouté le Conseil du
Trésor) et son syndicat, le SCEPT. Les plaintes
étaient fondées sur l'alinéa 7b) [mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 143, art. 3], le sous-alinéa
9(1)c)(ii) [mod., idem, art. 4] et l'alinéa 10b)
[mod., idem, art. 5] de la Loi, qui sont ainsi
libellés:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
9.(1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa-
tion d'employés
c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à
l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une conven
tion collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'associa-
tion, des restrictions, des différences ou des catégories ou de
prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement,
ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou,
d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
D'abord, l'intimé a reproché à l'employeur d'avoir
«défavorisé un employé dans le cadre de son
emploi» en contravention de l'alinéa 7b) de la Loi,
puis il a reproché au syndicat d'avoir agi d'une
manière susceptible «de limiter ses chances d'em-
ploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de
nuire à sa situation» en contravention du sous-ali-
néa 9(1)c)(ii) de la Loi. Enfin, il a prétendu que
l'employeur et le syndicat avaient tous deux con-
trevenu à l'alinéa 10b) de la Loi en concluant une
entente touchant un «aspect d'un emploi ... d'une
manière susceptible d'annihiler les chances d'em-
ploi ou d'avancement d'un individu». Dans chaque
cas, le motif de distinction illicite mentionné était
la situation de famille.
Devant le tribunal composé d'un seul membre
qui a été constitué sous le régime de la Loi pour
examiner les plaintes, on a considéré que la ques
tion fondamentale était de savoir si l'expression
«situation de famille» comprenait la relation qu'en-
tretenaient l'intimé et M. Popert. Soutenu par la
Commission, le plaignant a prétendu qu'un couple
homosexuel comme celui qu'il formait avec M.
Popert constituait une famille, et que la convention
collective était discriminatoire parce qu'elle ne lui
accordait pas un traitement identique à celui dont
bénéficiaient d'autres familles. La Commission a
fait comparaître à titre de témoin expert une spé-
cialiste de la sociologie et des politiques familiales,
le docteur Margrit Eichler, qui a travaillé comme
consultante auprès de nombreux organismes s'oc-
cupant de questions d'intérêt public qui se rappor-
tent aux familles, et qui a écrit un manuel traitant
de la famille canadienne. Durant son témoignage,
elle a dit qu'il n'y avait pas de consensus général, à
l'heure actuelle, sur ce qu'on pourrait utilement
considérer comme une définition polyvalente de la
famille. À son avis, le plaignant et M. Popert
entretenaient une «relation familiale» dans la
mesure où il s'agissait d'une relation qui durait
depuis un certain temps, qui devait en principe se
poursuivre, et qui comportait une cohabitation,
une union économique à plusieurs égards, des rela
tions sexuelles, un soutien d'ordre émotif et le
partage des tâches domestiques. En réponse à une
question du Tribunal, le Dr. Eichler a précisé
qu'aucun facteur particulier ne pouvait véritable-
ment être considéré comme un élément essentiel de
la définition de la famille (p. ex. un couple marié
peut avoir des résidences distinctes, ou bien des
enfants dont Tes parents sont divorcés peuvent
entretenir des liens familiaux avec les deux
parents, même si les ex-conjoints ne considèrent
plus faire partie de la même famille). De plus, ni le
fait d'avoir des relations sexuelles actives, ni l'ex-
clusivité des contacts sexuels ne peuvent être consi-
dérés comme des paramètres.
Le Tribunal a conclu que le Conseil du Trésor et
le SCEPT avaient enfreint l'alinéa 10b) de la Loi
en paraphant la convention collective. Quant au
Secrétariat d'État, le Tribunal a conclu qu'il
n'avait commis aucun acte discriminatoire prohibé
par l'alinéa 7b) en refusant d'accorder le congé de
deuil, dans la mesure où il s'était limité à appli-
quer les dispositions de la convention dont a
découlé directement sa décision. Soit dit en pas-
sant, le Tribunal n'a pas jugé «pertinent» que le
Secrétariat d'État ait offert au plaignant de pren-
dre une journée de congé spécial prévue par une
autre disposition de la convention. De même, les
agissements du SCEPT n'ont pas constitué un acte
discriminatoire prohibé par le sous-alinéa
9(1)c)(ii). Il a été ordonné que le 3 juin 1985 soit
désigné comme une journée de congé de deuil, que
la journée de congé annuel utilisée pour justifier
l'absence soit créditée au plaignant, que le Conseil
du Trésor et le SCEPT versent tous deux au
plaignant la somme de 250 $ pour atteinte à ses
sentiments et à son amour-propre, et que la con
vention collective soit appliquée, et modifiée, de
façon que la définition de «conjoint de droit
commun» (et, partant, de «proche famille») s'appli-
que aux personnes du même sexe respectant les
autres critères de la définition.
Comme je l'ai dit, le Tribunal a estimé que la
question fondamentale à trancher était de savoir si
l'expression «situation de famille» qui figure au
paragraphe 3(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 143, art. 2] de la Loi incluait la relation
homosexuelle qu'entretiennent deux personnes.
Étant donné cette approche et la conclusion du
Tribunal, les parties ont été portées à définir la
question principale soulevée dans le présent litige
comme étant celle de savoir si le Tribunal avait
commis une erreur en répondant par l'affirmative
à cette question. J'en ferai autant et j'analyserai
dans un premier temps cette question. Toutefois, il
se trouve que je ne souscris pas à l'opinion du
Tribunal voulant que la question qu'il a jugée
fondamentale permette de solutionner la véritable
question en litige; je tenterai de démontrer pour-
quoi dans un deuxième temps. Mais avant d'enta-
mer ces deux volets de mon analyse, j'aimerais
traiter brièvement quelques questions connexes
qui, bien que secondaires, sont trop importantes
pour qu'on en fasse abstraction.
Quelques questions secondaires
1. Le requérant a soutenu devant le Tribunal,
puis devant nous, que l'intimé ne pouvait pas
parler de discrimination parce qu'on lui avait
offert une journée de congé payé, offre qu'il a
choisi de rejeter. Comme je l'ai déjà expliqué, cette
offre était fondée sur une disposition de la conven
tion collective qui donnait à l'employeur le pouvoir
discrétionnaire d'accorder à un employé un congé
payé à des fins autres que celles indiquées dans la
convention; l'intimé a pour sa part estimé qu'un
avantage accordé selon le bon vouloir de l'em-
ployeur n'équivalait pas à un droit.
Il est vrai que si l'intimé avait accepté l'offre de
son employeur, il n'aurait pas été défavorisé et on
ne lui aurait imposé aucun fardeau, devoir ou
désavantage particulier, facteurs qui sont l'essence
même de la discrimination. Le problème aurait été
résolu en appliquant une autre disposition de la
convention collective, mais le résultat n'aurait pas
été différent. Le préjudice qu'a subi l'intimé a
résulté de sa propre faute, pour ainsi dire. Je suis
donc disposé à affirmer que, pour cette seule
raison, la plainte formée contre l'employeur aux
termes de l'alinéa 7b) de la Loi n'est pas fondée.
D'après le libellé de cet alinéa, que je cite à
nouveau par souci de commodité, il semble qu'un
véritable acte discriminatoire doive avoir été
commis:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
Nous savons toutefois que la responsabilité de
l'employeur aux termes de l'alinéa 7b) n'a pas été
retenue parce qu'il s'est contenté d'appliquer les
dispositions de la convention collective. Cette
explication n'est pas très convaincante, car un acte
demeure discriminatoire et, comme tel, illicite,
qu'il soit ou non prévu par une convention collec
tive. Quoi qu'il en soit, l'application de l'alinéa 7b)
de la Loi est maintenant écartée. La décision
contestée a motivé la plainte formée contre le
Conseil du Trésor et le SCEPT aux termes de
l'alinéa 10b) de la Loi; de toute évidence, la portée
de cet alinéa ne se limite pas aux cas de discrimi
nation véritable. Je le cite à nouveau:
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
Le Conseil du Trésor a été tenu responsable parce
qu'il a paraphé la convention collective avec le
SCEPT, et l'indemnité versée à l'intimé pour
atteinte à son amour-propre a résulté de la struc
ture de la convention plutôt que de son application.
Cet argument n'a donc aucun rapport avec la
question dont nous sommes saisis.
2. Certains intervenants ont soulevé une ques
tion particulière découlant du fait que les obsèques
auxquelles l'intimé a assisté n'étaient pas celles de
M. Popert, mais celles du père de ce dernier. La
convention ne définit pas, ont-ils dit, le terme
«father-in-law» (beau-père) qui est employé pour
décrire l'une des personnes auxquelles s'applique la
notion de «proche famille». Selon eux, le sens
ordinaire de ce terme (et ils ont insisté sur les mots
anglais «in-law») ne désigne que le père d'un
époux. Pour étayer cet argument, ils ont fait valoir
que la disposition incluait expressément l'enfant du
conjoint de droit commun dans la définition du
terme «enfant», et qu'il n'en allait pas de même
pour le terme «beau-père». On se souviendra que
l'expression «proche famille» est ainsi définie:
... le père, la mère, le frère, la soeur, le conjoint (y compris le
conjoint de droit commun demeurant avec l'employé), l'enfant
propre de l'employé (y compris l'enfant du conjoint de droit
commun) ou l'enfant en tutelle de l'employé, le beau-père, la
belle-mère et tout parent demeurant en permanence au foyer de
l'employé ou avec qui l'employé demeure en permanence.
J'aurai l'occasion un peu plus loin d'exprimer
une réserve sur l'empressement avec lequel le Tri
bunal est passé de la conclusion voulant que MM.
Mossop et Popert constituent une famille à celle
voulant qu'ils doivent être considérés comme des
conjoints de droit commun. Je conviens aussi que
c'est pour le moins hâtivement que le Tribunal a
tenu pour acquis, sans pousser plus loin son ana
lyse, que le terme beau-père devait s'appliquer au
père d'un conjoint de droit commun. Toutefois, je
ne crois pas qu'il se soit trompé à cet égard.
Comme nous l'avons vu, la convention précise
que le terme «conjoint» englobe le «conjoint de
droit commun» («le conjoint (y compris le conjoint
de droit commun)»). Si le sens ordinaire du terme
«beau-père» désigne la relation entre ce dernier et
un époux, il devrait aussi désigner, dans le contexte
de cette disposition, la relation avec un conjoint de
droit commun. Il n'y a pas raison de dire que la
relation qu'entretiennent des époux est identique à
celle qu'entretiennent des conjoints de droit
commun, si l'on doit établir une distinction au
niveau de la relation entre les membres de ces deux
groupes et leurs parents respectifs. Qui plus est,
même si l'on avait eu l'intention de faire une telle
distinction dans la convention, il se serait agi d'un
acte discriminatoire fondé sur l'état matrimonial,
compte tenu de la conclusion de cette Cour dans
l'arrêt Schaap c. Forces armées canadiennes,
[1989] 3 C.F. 172. Quoi qu'il en soit, il me suffira
de dire, pour clore la discussion à ce sujet, que
l'interprétation de la convention qu'a implicite-
ment choisie le Tribunal est au moins aussi raison-
nable que celle proposée par les intervenants, et
qu'il n'y a pas lieu de la modifier.
3. Un autre point, qui n'a été soulevé par
aucune partie, mérite certains commentaires. Le
Tribunal a, encore une fois sans faire d'analyse,
tenu pour acquis qu'un congé de deuil faisait
partie des droits protégés par l'alinéa 10b) de la
Loi. À la page 72 de ses motifs, il dit simplement
que [TRADUCTION] «le Tribunal est d'avis qu'un
congé de deuil est une "chance d'emploi", selon le
sens que donne à cette expression [l'alinéa] 10b)
de la Loi».
Il pourrait être utile de citer à nouveau cet
alinéa, en français et en anglais, et d'en souligner
les passages pertinents:
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
Avait-on l'intention de faire en sorte que tout
avantage découlant d'un emploi soit perçu comme
une chance d'emploi ou d'avancement? J'en doute
sérieusement. Chose certaine, la version française
et, irais-je même jusqu'à dire, la version anglaise
suggèrent un sens plus restreint, à savoir que seuls
l'engagement et les promotions étaient visés. Une
telle limitation ne serait pas sans fondement, si l'on
se rappelle que l'article 10, contrairement aux
articles 7 et 9, ne s'applique pas seulement à la
discrimination véritable, mais aussi à la discrimi
nation éventuelle; par conséquent, il nécessite que
l'on fasse une analyse plus globale et plus appro-
fondie de l'objet et de l'incidence des mesures et
des ententes générales, au lieu de s'en tenir à une
simple évaluation d'une situation de fait donnée.
Comme je l'ai dit, ce point n'a pas été soulevé
par les parties et n'a pas été repris par elles après
que la Cour l'eut soulevé durant l'audition de la
demande; il serait donc inopportun ou, du moins,
peu satisfaisant, de le laisser influencer le débat
maintenant. Je ne voulais toutefois pas que mon
silence soit interprété comme un aval de la conclu
sion hâtive du Tribunal.
La question jugée fondamentale
Le Tribunal s'est-il trompé en concluant que
l'expression «situation de famille» employée dans la
Loi comprenait la relation homosexuelle qu'entre-
tiennent deux personnes?
J'ai dit précédemment que toutes les parties
s'entendaient sur la définition et la formulation de
la question. Pas tout à fait, en réalité. L'avocat de
la Commission aurait apporté une précision: en
effet, il aurait ajouté aux mots «s'est-il trompé» les
mots «d'une manière manifestement déraison-
nable». Selon lui, le critère applicable pour la
révision de l'interprétation du Tribunal devrait être
celui qu'a énoncé la Cour suprême du Canada
dans les arrêts Union internationale des employés
des services, local no. 333 c. Nipawin District
Staff Nurses Association et autres, [1975] 1
R.C.S. 382; et Banque Nationale du Canada c.
Union internationales des employés de commerce
et autre, [ 1984] 1 R.C.S. 269. Je ne suis pas de cet
avis. Dans ces deux arrêts, et dans d'autres cas où
la Cour suprême a pareillement restreint l'exercice
du pouvoir d'intervention des tribunaux de juridic-
tion supérieure aux cas où la décision était mani-
festement déraisonnable, les tribunaux avaient agi
sous la protection spéciale de clauses privatives. Il
n'y a pas de clause semblable qui protège les
décisions d'un tribunal des droits de la personne.
Lorsqu'on analyse une décision, il est parfois diffi-
cile de discerner la question de droit parmi les faits
en litige, afin de voir comment le tribunal l'a
traitée, sans s'immiscer dans les conclusions de fait
qui, elles, ne sont pas susceptible d'être révisées.
Mais les faits en l'espèce sont clairement établis, et
il n'y a pas de risque de les confondre avec la
question d'interprétation dont nous sommes saisis,
qui relève strictement du droit. Si le Tribunal n'a
pas correctement répondu à la question, quelque
compréhensible qu'ait pu être son erreur, la Cour
se doit d'intervenir.
Si je saisis bien les motifs du Tribunal, sa
conclusion voulant que l'expression «situation de
famille» comprenne les couples homosexuels
découle d'un raisonnement fondé sur les trois pré-
misses suivantes: a) la Cour suprême a indiqué que
la même approche guidée par la raison d'être de la
loi adoptée pour l'interprétation de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]]
doit aussi s'appliquer aux codes des droits de la
personne; b) il y a un problème d'interprétation en
ce qui a trait à la définition qu'on doit donner au
terme «famille» employé dans la Loi; et c) pour
résoudre ce problème d'interprétation, on ne doit
pas tenter de trouver la définition raisonnable,
mais simplement une définition raisonnable et, à
cet égard, la définition fonctionnelle donnée par la
sociologie est, compte tenu de l'objectif à attein-
dre, tout à fait acceptable. J'ai de la difficulté à
souscrire à ces trois prémisses.
a) Il est parfaitement vrai que dans les célèbres
arrêts sur lesquels le Tribunal s'est appuyé
(O'Malley, Bhinder, Action Travail des Femmes,
et Robichaud'), la Cour suprême a déclaré que les
lois sur les droits de la personne étaient de nature
quasi-constitutionnelle. Mais la Cour a dit cela
pour situer ces lois par rapport à d'autres textes de
loi et pour en souligner la prééminence. Il est aussi
parfaitement vrai que les mots «large» et «selon
l'objet de la loi», qui sont régulièrement employés
pour qualifier l'interprétation qu'il convient de
donner à la Charte, ont parfois été utilisés pour
décrire l'approche adoptée dans des causes soule-
vant des difficultés d'interprétation de lois relatives
aux droits de la personne. Mais ces assertions, dont
le point de référence est souvent l'énonciation, au
Commission ontarienne des droits de la personne et
O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S.
536; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer natio-
naux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; Action
Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer natio-
naux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; Robichaud c. Canada
(Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84.
début des lois sur les droits de la personne, des
buts et objectifs visés, n'ont pas encore été utilisées
aux fins de transformer ou déplacer ce point de
référence précis constitué de l'énumération d'un
nombre déterminé de motifs de distinction illicite.
Quoi qu'il en soit, la Loi d'interprétation n'exige-
t-elle pas que tous les textes de loi reçoivent une
interprétation large et libérale qui soit compatible
avec la réalisation de leur objet 2 ?
D'après ce que je comprends de ces décisions de
la Cour suprême, la principale raison pour laquelle
la Charte a dû être interprétée d'une manière très
spéciale, plus particulièrement sans qu'on accorde
le même respect aux intentions historiques des
rédacteurs et des législateurs, c'est qu'en raison
des difficultés associées à la modification de la
Constitution, les dispositions de celle-ci pourraient
ne pas évoluer au même rythme que la conception
qu'a la société des valeurs fondamentales qui la
sous-tendent et, partant, devenir désuètes et ne
plus pouvoir jouer le rôle qui leur a été dévolu
(voir à ce sujet les remarques du juge Dickson [tel
était alors son titre] dans l'arrêt Hunter et autres
c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la page
155). Le problème ne se pose évidemment pas avec
les lois sur les droits de la personne, qui peuvent
être modifiées comme n'importe quel texte de loi.
Il ne fait aucun doute que les tribunaux, lors-
qu'ils sont appelés à interpréter les dispositions
d'une loi sur les droits de la personne, devraient
agir aussi libéralement et «bravement» que possi
ble, et ne pas oublier que sont souvent en jeu les
intérêts de groupes «impopulaires» qu'il faut défen-
dre contre des opinions majoritaires. Je pense tou-
tefois que si les tribunaux décidaient alors d'appli-
quer à ces lois l'approche interprétative de «l'arbre
vivant» pour discerner de nouveaux motifs de dis
tinction illicite, ou pour redéfinir le sens que l'on
donnait dans le passé à des motifs existants, ils
déborderaient le cadre de leurs responsabilités
constitutionnelles, usurpant ainsi la fonction du
Parlement.
b) Je ne vois pas comment on peut dire que le
mot «famille» a un sens si incertain, si nébuleux et
2 Je fais évidemment allusion à l'article 12 de la Loi d'inter-
prétation, L.R.C. (1985), chap. 1-21:
12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et
s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large
qui soit compatible avec la réalisation de son objet.
si équivoque qu'il faille constamment le soumettre
à l'interprétation des tribunaux lorsqu'il est
employé dans un contexte juridique. Ne doit-on
pas admettre que, fondamentalement, ce mot a
toujours désigné un groupe de personnes ayant des
gènes et des ancêtres communs et unies par les
liens du sang? Cette notion fondamentale peut être
étendue à différents degrés puisque l'ancêtre
commun peut être choisi plus ou moins loin parmi
les générations et que, de nos jours, on considère
généralement que font partie de ce groupe des
personnes rattachées entre elles par leurs affinités
ou par l'adoption, ce qui est devenu tout à fait
normal parce qu'on a fait du mariage le seul
moyen socialement acceptable d'agrandir et de
perpétuer le groupe, et de l'adoption une imitation
juridiquement admise de la filiation naturelle.
Quoi qu'il en soit, cela ne modifie en rien le sens
premier de ce mot. Il est vrai que ce terme est
aussi l'objet d'emplois analogiques qui peuvent être
discutables et demeureront susceptibles de change-
ments (d'où l'absence de complète uniformité
totale des dictionnaires). Mais tant et aussi long-
temps que ces emplois analogiques seront claire-
ment considérés pour ce qu'ils sont sur le plan
sémantique, c'est-à-dire des emplois par analogie,
la zone grise qu'ils créent restera assez secondaire
et ne devrait pas nous induire en erreur.
c) Il m'est impossible d'admettre que le terme
«famille» ait un caractère si vague que sa significa
tion dans la Loi puisse varier selon le contexte et
doive par conséquent être établie en fonction d'un
objectif à atteindre dans un cas donné, sous réserve
seulement d'une notion nébuleuse de caractère rai-
sonnable. J'aurais pensé que pour pouvoir jouer le
rôle de guide qui lui a été attribué, la loi mériterait
d'être clarifiée, au besoin, de façon plus définitive.
Par contre, je ne comprends pas exactement ce que
l'on veut dire quand on parle de prendre une
approche fonctionnelle ou sociologique pour arri-
ver à définir le terme «famille», et je ne sais pas
encore à quelle définition cette approche aurait dû
nous mener. Il me semble que le Tribunal a sim-
plement pris certains attributs habituels d'une
famille comme l'amour réciproque que se portent
ceux qui en font partie, l'aide mutuelle, la cohabi
tation, le soutien émotif, le partage des tâches
domestiques et les relations sexuelles, et les a
considérés comme l'essence même de la famille. À
mon avis, il y a une différence entre le fait d'être, à
certains égards, fonctionnellement semblable à une
famille, et le fait d'être une famille.
À ces sérieuses réserves que je fais sur les pré-
misses du Tribunal s'ajoute le fait qu'il s'agit d'une
approche qui ne tient tout simplement pas compte
du fait que le terme «famille» n'est pas employé
seul dans la Loi, mais qu'il est associé au mot
«status» dans la version anglaise. À mes yeux,
«status» est d'abord et avant tout une notion juri-
dique qui désigne la position spécifique d'une per-
sonne par rapport aux droits dont elle jouit et aux
restrictions dont elle est l'objet du fait de son
appartenance à un groupe juridiquement reconnu
et réglementé. Je ne vois pas comment une
approche autre que l'approche juridique peut
mener à une compréhension correcte de ce que
signifie l'expression «family status». Même si nous
devions convenir que deux amants homosexuels
peuvent constituer «sociologiquement parlant» une
sorte de famille, ce n'est certainement pas une
famille qui, juridiquement parlant, confère à ses
membres des obligations et des droits spéciaux.
Je n'oublie pas que dans l'arrêt Schaap c. Forces
armées canadiennes (précité), cette Cour a conclu,
dans une décision majoritaire, que l'expression
«état matrimonial» employée dans la Loi compre-
nait la condition de célibataire' et, par conséquent,
ne désignait pas nécessairement la situation juridi-
que d'une personne en tant que membre d'un
groupe. J'imagine toutefois que personne n'oserait
analyser l'expression «situation de famille» de la
même façon et prétendre qu'elle signifie le fait
d'être ou de ne pas être membre d'une famille ou
d'être ou de ne pas être apparenté à une autre
personne. Pousser le raisonnement à ce point con-
duirait à dire que l'employé à qui l'on refuse
d'accorder un congé pour assister aux obsèques
d'une personne qui ne lui est pas apparentée serait
victime d'un acte discriminatoire fondé sur sa «si-
tuation de famille».
3 Comme l'ont expressément déclaré deux législatures provin-
ciales dans le cadre de leurs codes des droits de la personne
respectifs: la Saskatchewan (alinéa l a) du Règl. 216/79 adopté
sous le régime du Code [The Saskatchewan Human Rights
Code], S.S. 1979, chap. S-24.1) et l'Ontario (alinéa 9g) du
Code [Code des droits de la personne, 1981], L.O. 1981, chap.
53).
Je n'oublie pas non plus que la version française
du paragraphe 3(1) ne parle pas de «statut fami
lial», mais de «situation de famille». Il convient
toutefois de noter que c'est précisément afin d'ex-
primer en anglais ce que la version française disait
déjà que la Loi a été modifiée en 1983 (S.C.
1980-81-82-83, chap. 143, art. 2) 4 ; par consé-
quent, on doit considérer que la version anglaise
exprime la notion qui est sous-jacente dans les
mots utilisés en français.
En résumé, le raisonnement du Tribunal m'ap-
paraît tout simplement inacceptable. Le Tribunal
n'a pas le pouvoir d'écarter la signification géné-
ralement donnée au mot «famille» et d'y substituer,
au moyen d'une approche volontairement ponc-
tuelle, une signification qui ne convient pas au
contexte dans lequel ce mot est employé et qui, de
toute évidence, ne correspond pas à l'intention
qu'avait le législateur lorsqu'il a incorporé ce mot
dans la Loi, comme en témoigne l'historique légis-
latif de la modification'.
La véritable question en litige
J'irais même jusqu'à dire qu'à mon avis, le
Tribunal n'avait pas le droit de trancher la plainte
comme il l'a fait, en concluant simplement qu'un
couple homosexuel comme celui que formaient
M. Popert et l'intimé entretenait effectivement une
«relation familiale». Évidemment, une réponse
négative à la question de savoir s'ils formaient une
famille aurait été déterminante, mais une réponse
affirmative ne l'était pas. Selon moi, les assises
nécessaires de la plainte étaient à la fois plus
spécifiques et plus fondamentales que celles qu'a
reconnues le Tribunal.
Elles étaient plus spécifiques pour la raison sui-
vante. La convention collective traitait de la
proche famille et précisait qui en faisait partie. La
seule relation familiale qui était visée par la con
vention, mise à part la relation familiale concer-
nant directement l'employé (ses parents ou ses
° L'expression «marital status„ était jusqu'à ce moment le
seul motif mentionné dans la version anglaise et l'on a jugé que
cette expression avait un sens plus restreint que l'équivalent
français «situation de famille».
5 Voir les Procès-verbaux et témoignagnes du Comité per
manent de la justice et des questions juridiques, fascicule n°
114, 20 décembre 1982, dont des extraits sont cités dans la
décision du Tribunal, aux p. 39 43, Dossier d'appel, p. 325
à 329.
enfants), était celle qui mettait en cause son con
joint (c'est-à-dire le beau-père de l'employé). Le
plaignant devait donc établir que non seulement
son amant était un membre de sa famille, mais
qu'il était aussi son conjoint. Il faut évidemment
supposer que, dans l'esprit du Tribunal, ce couple
homosexuel formait une famille parce que les deux
hommes entretenaient une relation conjugale. Tou-
tefois, il me semble qu'il aurait fallu faire une
analyse plus spécifique que celle fondée sur les
attributs généraux d'un groupe familial. J'ai déjà
dit qu'à mon sens, c'était par extension seulement
qu'un conjoint était inclus dans la notion de
famille, et que c'était seulement parce qu'il était
au commencement d'une nouvelle branche du
groupe familial élargi et probablement à l'origine
d'une nouvelle unité familiale. Si mon raisonne-
ment est correct, l'analyse du Tribunal est alors
loin d'être exacte.
Non seulement les assises de la plainte étaient-
elles plus spécifiques qu'on ne l'a reconnu, elles
étaient aussi plus fondamentales. En effet, si l'on
devait admettre qu'un couple homosexuel constitue
une famille au même titre que des époux, il devient
alors évident que le désavantage pouvant découler
du refus de traiter ce couple comme un couple
hétérosexuel est inextricablement lié à l'orientation
sexuelle des deux partenaires. C'est l'orientation
sexuelle qui a amené le plaignant à entretenir une
«relation familiale» (pour employer l'expression de
l'experte en sociologie) avec M. Popert; c'est donc
l'orientation sexuelle qui l'a empêché de faire
reconnaître sa situation de famille par rapport à
son amant et au père de celui-ci. En dernière
analyse, c'est l'orientation sexuelle qui est le véri-
table motif de distinction illicite en l'espèce.
Mais ne pourrait-on pas dire, à ce stade-ci, que
même si l'orientation sexuelle ne figure pas parmi
les motifs de distinction illicite énumérés dans la
Loi, il pourrait quand même s'agir, selon les arrêts
Veysey c. Canada (Commissaire du Service cor-
rectionnel), [1990] 1 C.F. 321 (ire inst.) (confirmé
pour d'autres motifs par la Cour d'appel le 31 mai
1990, n° du greffe A-557-89) et Brown v. B.C.
(Min. of Health) (1990), 42 B.C.L.R. (2d) 294
(C.S.), d'une forme de discrimination prohibée par
l'article 15 de la Charte, ce qui prouverait la
justesse de la conclusion du Tribunal puisque ce
serait la seule application de l'expression «situation
de famille» qui respecte la Charte.
Je ne pense pas que la Charte soit susceptible
d'être utilisée comme une sorte de mécanisme
d'amendement législatif ipso facto exigeant l'in-
corporation des principes qui la sous-tendent dans
les lois sur les droits de la personne en étirant le
sens des mots au-delà de leurs limites.
En premier lieu, les codes des droits de la per-
sonne s'appliquent à des aspects du domaine privé
de la vie économique qui ne sont pas volontiers
considérés comme relevant de la Charte. Il se peut
bien que les législatures qui ont adopté la Charte
aient voulu se soumettre, ainsi que le pouvoir
exécutif, à une norme de conduite plus sévère que
celle à laquelle ils auraient décidé de soumettre la
population en général.
Bien entendu, cette remarque ne s'applique pas
à des situations où une partie privée invoque un
pouvoir attribué par un texte de loi, qu'il s'agisse
d'un loi ou d'un règlement, ou s'appuie sur lui,
pour entraîner la violation des droits d'un tiers qui
sont garantis par la Charte (voir les remarques du
juge McIntyre dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin
Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, aux pages 602
et 603, à propos de la décision de la Cour d'appel
de l'Ontario dans l'affaire Re Blainey and Ontario
Hockey Association et al. (1986), 54 O.R. (2d)
513. Ma remarque s'applique plutôt à l'assertion
voulant que la Charte prétende restructurer le
cadre juridique global dans lequel s'inscrivent les
rapports privés.
On pourrait prétendre que cette remarque, bien
que pertinente lorsque toutes les parties concernées
agissent à titre privé, ne tient cependant pas
compte du fait qu'ici, nous sommes saisis d'une
convention collective dont au moins l'un des co-
auteurs est visé par la notion de gouvernement qui
figure à l'article 32 de la Charte. Si l'on analyse la
question sous cet angle, il convient simplement
d'ajouter que celui qui prétend qu'un mandataire
du gouvernement a conclu une entente qui viole les
droits qui lui sont garantis par la Charte doit le
faire en dehors du cadre de la Loi canadienne sur
les droits de la personne, à moins que la Loi
n'interdise spécifiquement la violation en question.
En second lieu, la Charte prévoit à son article
premier un mécanisme général de pondération qui
n'existe pas dans les codes des droits de la per-
sonne. Pour étayer leur argument voulant que l'on
doive rattacher la législation sur les droits de la
personne à la Charte, l'intimé et la Commission se
sont appuyés sur un extrait des motifs qu'a pro-
noncés le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews c.
Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S.
143, la page 176:
Bien que la discrimination au sens du par. 15(1) soit de même
nature et corresponde sur le plan de sa description au concept
de discrimination élaboré sous le régime des lois sur les droits
de la personne, une autre étape devra être franchie pour décider
si des lois discriminatoires peuvent être justifiées en vertu de
l'article premier. Il appartiendra à l'État d'établir cela. Il s'agit
là d'une étape distincte nécessaire en vertu de la Charte et que
l'on ne trouve pas dans la plupart des lois sur les droits de la
personne parce que dans ces lois la justification de la discrimi
nation réside généralement dans des exceptions aux droits
fondamentaux.
Selon moi, cet extrait fait pencher la balance de
mon côté. Ces exceptions particulières (p. ex. les
exigences professionnelles justifiées) figurent dans
la législation sur les droits de la personne parce
qu'elles ont été prises en considération par les
législatures et fort probablement aussi parce qu'el-
les sont le fruit d'un compromis politique obtenu
par le biais du processus démocratique. Si les
tribunaux commencent à voir dans ces lois des
significations qui n'avaient pas été envisagées au
motif qu'on a conclu dans des décisions portant sur
la Charte que ces significations constituaient des
«motifs analogues» au sens de l'article 15, il n'y
aura pas d'analyse fondée sur l'article premier ni
d'occasion d'établir les exceptions spécifiques aux
droits fondamentaux dont parlait le juge McIn-
tyre.
Contrairement à d'autres législatures 6 , le Parle-
ment n'a pas inclus l'orientation sexuelle dans les
motifs de distinction illicite prévus par la Loi
canadienne sur les droits de la personne. C'est
toutefois ce qu'a recommandé le comité parlemen-
taire sur les droits à l'égalité de la Chambre des
communes, et cette recommandation pourrait avoir
des suites. Mais pour l'instant, la Loi est muette à
ce sujet, et je n'estime pas approprié que des
tribunaux anticipent sur le processus législatif.
Ma conclusion générale sera claire: je pense, en
toute déférence, que pour accueillir la plainte de
l'intimé, le Tribunal a non seulement dû donner à
6 Le Québec, le Manitoba et le Yukon.
l'expression «situation de famille» une signification
qu'elle n'a pas, mais a aussi dû fonder sa conclu
sion à cet égard sur une conséquence qui n'en
découlait pas logiquement.
J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28
et j'annulerais la décision du Tribunal des droits de
la personne datée du 5 avril 1989 qui reconnaissait
le bien-fondé de la plainte de l'intimé.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je suis d'accord avec la
conclusion de mon collègue le juge Marceau, ainsi
qu'avec les motifs qu'il donne, sous réserve des
précisions que j'apporte dans les brefs motifs qui
suivent. Je me limiterai à trois aspects de l'affaire.
Bien qu'il puisse ne pas être approprié de recou-
rir à l'historique de la loi pour tenter d'attribuer
un sens particulier à l'expression «situation de
famillle», l'on peut tout de même y recourir afin de
découvrir la situation ou l'abus que le Parlement a
voulu réformer à l'époque où cette expression a été
adoptée'. L'objectif que visait le Parlement lors-
qu'il a ajouté les expressions «family status» et
«état matrimonial» aux motifs de distinction illicite
qui figuraient déjà au paragraphe 3(1) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne', est
particulièrement important lorsqu'il s'agit de se
prononcer sur le bien-fondé de la décision contes-
tée 9 . Avant l'adoption de cette modification le ler
juillet 1983, la version anglaise originale de la Loi
comprenait seulement l'expression «marital
status», tandis que la version française originale ne
comprenait que l'expression «situation de famille».
Cette modification semble avoir eu pour objet de
niveler une différence entre les deux versions.
Voir p. ex Babineau et al. v. Babineau et al. (1981), 32
O.R. (2d) 545 (H.C.); conf. en appel (1982), 37 O.R. (2d) 527
(C.A.).
8 Ce paragraphe, qui a été modifié, dispose que:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de
distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race,
l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge,
le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de la
personne graciée ou la déficience.
9 De fait, le Tribunal a tenu compte de l'historique législatif
de la modification: Décision du Tribunal, Dossier d'appel, vol.
3, aux p. 326à 329.
Lorsqu'il a comparu devant le Comité perma
nent de la Chambre des communes qui étudiait la
modification proposée, le ministre de la Justice de
l'époque a attiré l'attention sur la situation décrite
ci-dessus et a fait la remarque suivante au sujet de
la notion de «family status» (situation de famille)
dont on proposait l'adoption:
... il s'agit ici d'interdire toute discrimination fondée sur les
relations entre les personnes par suite d'un mariage, de la
consanguinité ou de l'adoption légale. Cela inclut les relations
ancestrales, qu'elles soient légitimes, illégitimes ou adoptives,
de même que les relations entre les conjoints, les enfants, les
liens par alliance, les oncles ou les tantes, les neveux ou les
nièces, les cousins, etc. Il incombera à la Commission, aux
tribunaux qu'elle nommera et en dernier ressort, aux tribunaux,
d'établir dans chacun des cas la signification de ces notions 10 .
Le ministre a aussi précisé que le gouvernement de
l'époque avait décidé de ne pas inclure dans la Loi
«l'orientation sexuelle» comme motif de distinction
illicite".
À mon avis, ce témoignage indique clairement
que le Parlement avait l'intention de limiter ce
nouveau motif de distinction illicite de façon à ne
pas inclure la discrimination fondée sur l'orienta-
tion sexuelle. Le Parlement est évidemment libre
d'apporter d'autres modifications à la Loi 12 , mais
dans l'intervalle, il n'est pas du ressort de cette
Cour de faire ce que seul le Parlement peut faire.
Nous nous intéressons en l'espèce à l'interprétation
de l'expression «situation de famille», pas à la
sagesse qui sous-tend la décision du Parlement de
ne pas inclure l'orientation sexuelle comme motif
de distinction illicite.
Deuxièmement, comme on ne nous demande pas
dans le présent litige de déterminer si cette expres
sion inclut ou exclut les unions de fait, je préfère
laisser cette question en plan pour l'instant. Je
désire simplement souligner qu'une union de fait
désigne une relation qui existe entre deux person-
nes de sexe opposé, ce qui n'est pas le cas en
l'espèce.
10 Comité permanent de la justice et des questions juridiques,
Procès-verbaux et témoignagnes, fascicule n° 114, la p. 17.
(Dossier d'appel, volume 3, p. 326.)
'1 Ibid., aux p. 19-20 (Dossier d'appel, volume 3, p. 329).
'' Comme on l'a recommandé dans le Rapport du Comité
parlementaire sur les droits à l'égalité: Égalité pour tous
d'octobre 1985. Cette recommandation préconise l'inclusion
dans la Loi de «l'orientation sexuelle, comme motif de distinc
tion illicite.
Finalement, il semblerait que l'argument vou-
lant que [TRADUCTION] «les dispositions de la
Charte l'emportent sur les dispositions incompati
bles des lois sur les droits de la personne»" soit
étayé par des arrêts 14 . Le paragraphe 52(1) de la
Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]] précise que
«[la Constitution du Canada] rend inopérantes les
dispositions incompatibles de toute autre règle de
droit». Il convient toutefois de préciser, à ce
moment-ci, qu'aucune partie n'a tenté de démon-
trer l'incompatibilité des dispositons de la Loi avec
celles de la Charte canadienne des droits et
libertés.
Le point que l'on fait valoir est le suivant: la Loi
et la Charte sont intimement liées et elles com-
mandent une interprétation de l'expression «situa-
tion de famille» qui [TRADUCTION] «fasse en sorte
que ni les hommes et ni les femmes homosexuels
ne soient pas victimes d'une discrimination fondée
sur leur orientation sexuelle» 15 . Les dispositions de
la Charte, soutient-on, [TRADUCTION] «doivent
être utilisées comme une règle d'interprétation des
lois»' 6 • Plus précisément, l'avocat prétend que
l'orientation sexuelle a été considérée comme un
motif de discrimination non énuméré au sens de
l'article 15 de la Charte'', que le fait de limiter
l'application de l'expression «situation de famille» à
des partenaires de sexe opposé serait discrimina-
toire puisqu'on refuserait à des partenaires du
même sexe des chances d'emploi qui sont accor-
dées à des partenaires de sexe opposé.
13 Paragraphe 24 du mémoire des intervenants Equality for
Gays and Lesbians Everywhere, Fédération canadienne des
droits et libertés, Association nationale de la femme et le droit,
Conseil canadien des droits des personnes handicapées et
Comité national d'action sur le statut de la femme.
14 Voir p. ex. Re Blainey and Ontario Hockey Association et
al. (1986), 54 O.R. (2d) 513 (C.A.), dont it est question dans
SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [ 1986] 2 R.C.S. 573, aux
p. 601 à 603.
15 Op. cit., para. 29.
' 6 Ibid., para. 31.
" Veysey c. Canada (Commissaire du Service correctionnel),
[1990] 1 C.F. 321 (1" inst.), confirmée par la Cour d'appel
pour d'autres motifs le 31 mai 1990 (n° du greffe: A-557-89);
Brown v. B.C. (Min. of Health) (1990), 42 B.C.L.R. (2d) 294
(C.S.).
Je reconnais que les lois sur les droits de la
personne doivent être interprétées, dans toute la
mesure possible, d'une manière qui soit conforme
aux dispositions de la Charte et à l'interprétation
qui lui est donnée, mais je ne puis admettre que la
Charte oblige les tribunaux à attribuer à une
expression employée dans une loi une signification
qu'on n'avait pas l'intention de lui attribuer. Si
cette expression, interprétée comme je pense
qu'elle devrait l'être, est jugée incompatible avec
les dispositions de la Charte, c'est alors la constitu-
tionnalité de cette expression qui doit être contes-
tée si l'on veut que la Charte puisse jouer un rôle
dans le règlement du litige. Comme j'ai déjà
conclu que l'expression «situation de famille», telle
qu'elle est employée dans la Loi, ne comprend pas
l'orientation sexuelle comme motif de distinction
illicite, je ne vois pas comment la Charte peut
venir en modifier l'interprétation. On ne soulève
pas dans le présent appel la question de savoir si le
fait de ne pas avoir inclus «d'orientation sexuelle»
dans les motifs de distinction illicite énumérés au
paragraphe 3(1) de la Loi contrevient à un droit
garanti par la Charte, et je m'abstiendrai de faire
tout commentaire à ce sujet.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
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