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T-1005-89
Risi Stone Ltd. et Unités Préfabriqués St-Luc Limitée (demanderesses)
c.
Groupe Permacon Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: RISI STONE LTD. c. GROUPE PERMACON INC. (1" INST.)
Section de première instance, juge Reed — Toronto, 18, 19 et 20 décembre 1989; Ottawa, 6 mars 1990.
Pratique Communications privilégiées Avocat-client Action en contrefaçon de brevet L'affidavit de la défen- deresse se reportait à une lettre contenant un avis juridique donné par son avocat, afin de démontrer qu'elle avait agi de bonne foi Renonciation au privilège Le protonotaire a commis une erreur en ordonnant la divulgation du document en entier La procédure à suivre est de déposer une copie du document, et le juge décidera si le privilège existe Examen de textes anglais et canadiens pour déterminer le degré de divulgation requis But de la demande de divulgation C'est le degré de certitude, et non pas l'exactitude, de l'avis de l'avocat qui est en question Les deux aspects de la commu nication peuvent être disjoints La revendication du privilège relativement aux passages non divulgués a été présentée à juste titre.
Il s'agissait d'un appel formé contre une décision par laquelle le protonotaire a ordonné qu'une lettre contenant un avis juridique et envoyée à la défenderesse par ses procureurs soit divulguée en entier aux demanderesses. L'un des dirigeants de la défenderesse s'était reporté à la lettre contenant l'avis juridi- que dans son affidavit afin de prouver que la défenderesse avait agi de bonne foi dans la production et la vente de ses blocs Minitalus, qui sont utilisés dans la construction de murs de soutènement. Cette mention a été fait en réponse à l'allégation selon laquelle la défenderesse contrefaisait délibérément le brevet des demanderesses. La défenderesse a produit la lettre contenant l'opinion juridique, mais certains passages avaient été omis. La divulgation de la lettre a été ordonnée afin de permettre à l'avocat des demanderesses de répondre à la préten- tion de la défenderesse selon laquelle les passages non divulgués du document étaient protégés par le privilège du secret profes- sionnel. La question était de savoir jusqu'à quel point la défenderesse avait renoncé à ce privilège en faisant référence, dans son affidavit, à la lettre contenant l'avis juridique.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
Lorsqu'il y a revendication du privilège du secret profession- nel, on ne devrait pas ordonner la divulgation d'un document à l'autre partie pour les fins de la plaidoirie en ce qui concerne le statut du document. La procédure à suivre pour la partie qui revendique est de déposer une copie du document auprès de la Cour. Celle-ci devrait alors rendre une décision quant à la question de savoir si le privilège existe sans divulguer le docu ment à l'avocat qui s'oppose à la revendication du privilège. Parfois cette décision peut être rendue sans qu'il y ait dépôt
d'une copie du document, par exemple en raison du seul titre du document. C'est à la Cour qu'il appartient de déterminer si une copie du document est requise pour l'examen.
La demande de divulgation d'un document en entier vise à èmpêcher l'injustice qui en découlerait si l'une des parties devait citer seulement les passages d'un document qui sont à son avantage. La règle du même sujet a été énoncée dans l'affaire Great Atlantic Insurance la Cour ne pouvait pas déterminer la pertinence des extraits du document en l'absence de plaidoirie de l'avocat là-dessus. En l'espèce, l'avis juridique est présenté afin de prouver la bonne foi de la défenderesse. Ce qui est pertinent à cet égard est le degré d'assurance communi- qué à la défenderesse par ses procureurs; tout énoncé de la lettre qui contredirait ou nuancerait les conclusions qui figurent dans les passages de la lettre contenant l'avis juridique qui ont été divulgués serait pertinent à cet égard. Les motifs juridiques à partir desquels l'avocat en est venu à ses conclusions ne sont pas pertinents. Ces motifs peuvent être considérés comme étant un sujet distinct. Ce n'est pas l'exactitude de l'avis juridique qui est en question mais le degré de certitude que l'avocat a communiqué à la défenderesse en lui donnant son avis. Les deux aspects de la communication que ses procureurs ont faite à la défenderesse peuvent être disjoints et la défenderesse agi exactement ainsi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977,
chap. C-12, art. 9.
Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, chap. C-25.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Great Atlantic Insurance Co v Home Insurance Co, [1981] 2 All ER 485 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Lapointe c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1987] 1 C.F. 445; (1986), 6 F.T.R. 134 (1" inst.); Rogers v. Bank of Montreal, [1985] 4 W.W.R. 508; (1985), 62 B.C.L.R. 387; 57 C.B.R. (N.S.) 256 (C.A. C.-B.); Doland (George) Ltd v Blackburn Robson Coates Et Co (a firm), [1972] 3 All ER 959 (Q.B.); Burnell v. British Transport Commission, [1956] 1 Q.B. 187 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Risi Stone Ltd. v. Omni Stone Corp. (1989), 23 C.P.R. (3d) 398 (C.S. Ont.); Nowak v. Sanyshyn et al. (1979), 23 O.R. (2d) 797; 9 C.P.C. 303 (H.C.); Kennedy et al. v. Diversified Mining Interests (Canada) Limited et al., [1948] O.W.N. 798 (H.C.); Crysdale et al. v. Carter- Baron Drilling Services Partnership et al.; Jones et al.; Third Parties (1987), 61 O.R. (2d) 663; 22 C.P.C. (2d) 232 (C.S.).
DOCTRINE
Phipson, Sidney L. Phipson on Evidence, 13° éd., Lon- dres: Sweet & Maxwell, 1982.
Sopinka, John & Lederman, Sidney N., The Law of Evidence in Civil Cases, Toronto: Butterworths, 1974.
AVOCATS:
Weldon F. Green, c.r. et W. Lloyd Macllqu- ham pour les demanderesses.
Daniel J. Gervais et Robert Brouillette pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Weldon F. Green, c.r., Toronto, pour les demanderesses.
Clark Woods Rochefort Fortier, Montréal, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La défenderesse interjette appel d'une décision par laquelle le protonotaire, M. Giles, a ordonné que le texte d'une lettre contenant un avis juridique et envoyée à ladite défenderesse par ses procureurs soit divulgué en entier à l'avocat des demanderesses. Si je comprends bien cette décision, la divulgation de la lettre a été ordonnée afin de permettre à l'avocat des demanderesses de préparer correctement sa plaidoirie en vue de répondre à la prétention de la défenderesse selon laquelle les passages non divulgués du document sont protégés par le privilège du secret profession- nel.
La plaidoirie s'est avérée d'une portée un peu plus large lors de sa présentation devant moi. Les deux avocats ont abordé la question de savoir s'il y avait eu renonciation au privilège, sans mentionner la restriction que je crois inhérente à l'ordonnance de M. Giles. C'est-à-dire que la plaidoirie de l'avo- cat ne visait pas à savoir si le texte du document devait être divulgué en entier à l'avocat afin de lui permettre de soutenir que les passages non divul- gués ne conservaient pas leur caractère privilégié. La plaidoirie présentée portait plutôt sur la ques tion de fond de savoir si les passages de la lettre en question étaient de fait encore protégés par le privilège ou s'il y avait eu renonciation à celui-ci. Cette plaidoirie s'est déroulée sans que l'avocat des demanderesses ait accès au texte entier de la lettre.
Quant à la procédure relative aux revendications du privilège du secret professionnel, je ferai d'abord remarquer qu'il est dans mes habitudes de ne pas permettre la divulgation d'un document protégé par un privilège à l'avocat de l'autre partie pour les fins de la plaidoirie en ce qui concerne le statut du document. Il est dans mes habitudes de demander le dépôt à la Cour d'une copie du docu ment pour que celui-ci soit examiné sans être divulgué à l'autre partie. Cela entrave effective- ment le travail de l'avocat qui s'oppose à la reven- dication du privilège du secret professionnel, dans l'élaboration de sa plaidoirie. Toutefois, en général le juge se prononce sur les revendications de ce genre sans plaidoirie approfondie là-dessus, et la divulgation à l'avocat, même aux fins de la plaidoi- rie seulement, peut rendre théorique toute conclu sion subséquente selon laquelle le document est protégé par le secret professionnel.
À mon avis, lors de l'examen d'une revendica- tion du privilège du secret professionnel, que cet examen soit effectué par un juge ou un protono- taire, la procédure à suivre pour la partie qui revendique est de déposer une copie du document auprès de la Cour. Celle-ci devrait alors rendre une décision quant à la question de savoir si le privilège existe sans divulguer le document à l'avo- cat qui s'oppose à la revendication du privilège. Parfois cette décision peut être rendue sans qu'il y ait eu dépôt d'une copie du document auprès de la Cour, par exemple, en raison du titre seul du document. C'est à la Cour naturellement qu'il appartient, dans chaque cas, de déterminer si une copie du document est requise pour l'examen.
Je passe donc à la question de fond dont j'ai été saisie. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, les avocats sont d'accord pour dire qu'à l'origine la lettre en cause était protégée par le privilège du secret professionnel. La question est de savoir dans quelle mesure il y a eu renonciation à ce privilège. On a, en outre, fait remarquer qu'il existe une différence entre la nature du privilège du secret professionnel en Ontario (sous le régime de la common law) et au Québec (sous le régime du Code de procédure civile [L.R.Q. 1977, chap. C-25] et de l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne [L.R.Q. 1977, chap. C-12]). Il a été allégué que, tandis qu'en common law la notion du privilège du
secret professionnel constitue une règle d'exception en matière de preuve seulement, au Québec la règle représente un droit positif. On a soutenu que la règle québécoise s'applique en l'espèce et qu'il ne peut y avoir renonciation sous le régime de cette règle.
Je n'ai pas besoin de traiter les intéressantes questions soulevées en ce qui concerne les différen- ces possibles entre le droit québécois et la common law si, de toute façon, en vertu de cette dernière les circonstances présentes ne constituent pas une renonciation. J'examinerai donc cette question en premier lieu.
On prétend qu'il existait dans la lettre une renonciation au privilège du secret professionnel parce que M. Castonguay, un dirigeant de la défenderesse, a déclaré dans un affidavit en date du 26 juillet 1989:
10. Toutefois, avant de commercialiser le bloc Minitalus, Per- macon, soucieuse des droits des tiers, a demandé et obtenu de ses avocats une opinion relativement à la violation potentielle de brevets ou dessins industriels de tiers. Cette opinion ayant confirmé à Permacon que le bloc Minitalus ne violait pas quelque brevet ou dessin industriel actuellement valide et en vigueur au Canada et notamment ceux de Risi mentionnés dans les procédures de la demanderesse; [Soulignement ajouté.]
Et, en réponse à la demande des demanderesses en vue de la production de l'avis juridique donné à la défenderesse, sur lequel se fondait cette affirma tion, l'avocat de la défenderesse a fourni aux demanderesses une copie de la lettre contenant l'avis juridique, mais dont certains passages avaient été effacés:
Le 17 janvier 1989
GROUPE PERMACON INC.
7811, boul. Louis-H. Lafontaine
Bureau 210
Ville d'Anjou (Québec)
HIK 4E4
À l'attention de Monsieur Alain Ratté
OBJET: Opinion de contrefaçon du brevet canadien no.
1,182,295 et dessin industriel no. 51,313
Titre: RETAINING WALL SYSTEM
Notre dossier: 527-8
Cher monsieur Ratté
Vous nous avez demandé une opinion de contrefaçon relative- ment au brevet canadien et au dessin industriel mentionnés en titre. Plus particulièrement, vous désirez savoir si la fabrication et/ou la vente au Canada du bloc de construction que l'on retrouve à l'annexe 1 (le «Bloc A») constituerait une violation de ce brevet et de ce dessin industriel.
CONFIDENTIEL [passage effacé] Brevet Canadien 1,182,295
Avant d'étudier en détail les brevets et les dessins industriels trouvés, il faut cerner le champ de protection offert par les revendications du brevet '295. La première revendication de ce brevet se lit comme suit:
[TRADUCTION]
«1) Blocs à emboîtement pour mur de soutènement, à poser bout à bout et en rangs horizontaux et superposés, les blocs supérieurs s'emboîtant dans les blocs inférieurs, coulissant sur ceux-ci et au-delà de manière à en chevau- cher les extrémités adjacentes, et suivant une progression ascendante avec une inclinaison uniforme et bien définie, au fur et à mesure de la construction du mur.
Les blocs sont délimités par des parois latérales espacées l'une de l'autre dans le sens axial, par une paroi supé- rieure et une paroi inférieure généralement planes, parallèles à l'axe et parallèles entre elles, et par une face avant et une face arrière s'étendant d'une paroi latérale à l'autre et séparées de manière à donner une coupe transversale uniforme sur toute la longueur de l'axe.
La paroi supérieure comporte une saillie s'étendant dans le sens axial du bloc entre les parois latérales, placée en retrait par rapport à la face avant de manière qu'il y ait une partie plane ininterrompue entre la saillie et la face avant.
La paroi inférieure comporte une rainure, également en retrait par rapport à la face avant et s'étendant dans le sens axial du bloc entre les parois latérales.
La rainure et la saillie ont une configuration et une longueur telles qu'elles s'emboîtent l'une dans l'autre en coulissant lorsque les blocs sont posés les uns sur les autres, en rangs horizontaux et en se chevauchant de manière à présenter la saillie vers le haut.
La saillie étant placée un peu plus en arrière par rapport à l'axe que la rainure, chaque rang horizontal est auto- matiquement et uniformément en retrait par rapport au rang inférieur, ce qui finit par former un mur uniformé- ment incliné à un angle donné par rapport à la verticale.»
Pour qu'il y ait contrefaçon littérale d'une revendication, chaque élément de la revendication doit être présent dans l'objet étudié.
CONFIDENTIEL [passage effacé]
Il n'y a donc pas de contrefaçon littérale de cette revendication.
CONFIDENTIEL [passage effacé]
Nous sommes d'opinion qu'il n'y a donc pas de contrefaçon par
l'application de la théorie des équivalents.
CONFIDENTIEL [passage effacé]
Dessin industriel 51,313
Il faut se rappeler qu'un dessin industriel protège l'aspect ornemental ou esthétique d'un objet et non les caractéristiques utilitaires de celui-ci.
L'étendue du monopole se détermine en examinant les dessins et la description. En effet, la description est censée se rapporter
aux éléments qui distinguent le dessin industriel de ce qui est connu.
Par conséquent, pour qu'il y ait contrefaçon dudit dessin indus- triel, l'objet étudié doit avoir substantiellement les mêmes caractéristiques que celles mentionnées dans la description et montrées dans les dessins.
CONFIDENTIEL [passage effacé]
Nous sommes d'opinion que les caractéristiques visuelles de notre bloc sont suffisamment différentes pour qu'elles ne consti tuent pas une contrefaçon du dessin industriel 51,313.
CONFIDENTIEL [passage effacé]
N'hésitez pas à communiquer avec Me Robert Brouillette ou le soussigné si des renseignements supplémentaires étaient nécessaires.
Salutations distinguées,
CLARK, WOODS
par: Louis Dubé
Les demanderesses soutiennent que le fait pour M. Castonguay d'invoquer dans son affidavit l'avis juridique qui a été fourni à la défenderesse, Per- macon, constitue une renonciation et que ladite défenderesse doit divulguer en entier la lettre con- tenant l'avis juridique. Si je comprends bien la raison pour laquelle la défenderesse s'est référée à l'avis juridique, c'est que M. Castonguay voulait montrer que la défenderesse avait agi de bonne foi dans la production et la vente de ses blocs Minita- lus. Il le faisait pour répondre à l'allégation des demanderesses selon laquelle la défenderesse aurait contrefait leur brevet et devrait, par consé- quent, être condamnée à verser des dommages- intérêts punitifs.
On ne conteste pas vraiment le fait qu'il y a eu renonciation au privilège du secret professionnel dans l'avis juridique fourni à la défenderesse; la question est de savoir si la défenderesse est tenue de divulguer en entier la teneur de la lettre conte- nant l'avis juridique. Les demanderesses invoquent des décisions judiciaires dans lesquelles on a appli- qué le principe selon lequel, lorsque l'une des parties invoque une communication privilégiée, il faut divulguer le document en entier ainsi que les documents y afférents: Lapointe c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1987] 1 C.F. 445 (ire inst.), motifs du juge Cullen; Risi Stone Ltd. v. Omni Stone Corp. (1989), 23 C.P.R. (3d) 398 (C.S. Ont.), motifs du protonotaire Garfield; Nowak v. Sanyshyn et al. (1979), 23 O.R. (2d) 797 (H.C.), motifs du juge Grange; Kennedy et al. v. Diversified Mining Interests (Canada) Limited et al., [1948] O.W.N. 798 (H.C.), (motifs du juge
LeBel); Crysdale et al. v. Carter-Baron Drilling Services, Partnership et al.; Jones et al.; Third Parties (1987), 61 O.R. (2d) 663 (C.S.), motifs du protonotaire Peppiatt.
Dans l'affaire Lapointe, le juge Cullen a traité d'une situation les défendeurs avaient soutenu qu'ils avaient agi comme ils l'avaient fait parce qu'ils croyaient en avoir le droit en vertu de la loi et en raison des faits. Le juge Cullen a conclu qu'en plaidant ainsi, les défendeurs avaient renoncé au privilège du secret professionnel en ce qui concernait l'avis juridique qu'ils avaient reçu. Il a ordonné que les demandeurs puissent prendre connaissance de tout avis juridique fourni aux défendeurs par leurs conseillers juridiques la page 448]:
Comment pourrait-on juger impartialement si l'un ou l'autre des défendeurs ou leurs préposés ou mandataires ont agi abusi- vement ou s'ils ont agi en croyant qu'ils étaient habilités par la loi à agir comme ils l'ont fait à moins d'avoir accès à ces opinions juridiques?
Le juge Cullen s'est reporté à l'arrêt Rogers v. Bank of Montreal (1985), 62 B.C.L.R. 387 (C.A.), dans lequel il a été statué que [aux pages 448 et 449 C.F.]:
[TRADUCTION] En soulevant dans sa défense qu'elle s'était Fée à l'opinion juridique du séquestre en ce qui concerne sa nomination et le moment choisi par ce dernier pour présenter sa demande de paiement, la banque a fait en sorte que sa connais- sance de la loi soit pertinente en l'espèce. Le droit de la banque d'invoquer le privilège du secret professionnel en ce qui a trait aux conseils qu'elle a reçus de ses avocats sur ces questions doit, par conséquent, lui être retiré aux fins de la présente demande. L'ordonnance n'aurait toutefois pas restreindre la divulga- tion aux documents donnés à la banque par ses avocats et elle a été modifiée de manière à viser la divulgation des communica tions de la banque à ses avocats.
... »l'affirmation par la banque qu'elle s'était fiée aux conseils juridiques donnés par le séquestre met nécessairement en cause la connaissance par celle-ci de la loi applicable et, par consé- quent, la nature des opinions juridiques qu'elles a reçues d'au- tres personnes».
Les autres décisions citées par l'avocat des deman- deresses vont dans le même sens.
L'avocat des demanderesses ne m'a cité aucune décision canadienne qui ait examiné jusqu'où doit aller la divulgation à faire. Dans Phipson on Évi- dence, 13e éd. (Londres: Sweet & Maxwell, 1982), on peut lire le passage suivant aux pages 305 et 306:
[TRADUCTION] Toutefois, ainsi que nous l'avons vu (voir ci-dessus § 15-06), le client (mais non l'avocat) peut renoncer au privilège [du secret professionnel], soit expressément soit implicitement—par ex. lorsque le client est interrogé par son avocat en ce qui a trait à la question privilégiée. On a suggéré que, si le témoin est interrogé sur un passage seulement du document, il ne puisse pas être interrogé sur le reste du document (Bate v. Kinsey, 1 C.M. & R. 38; M'Donnel v. Conry, Ir. Cir. Rep. 807; R. v. Leverson, 11 Cox 152; Lyell v. Kennedy, 27 Ch. D. 1), mais évidemment cela n'est pas valable si le reste du document se rapporte au même sujet. Le contre- interrogatoire portant sur le reste du document fait que tout le document devient un élément de preuve (voir ci-après § 33-42). Le contre-interrogatoire ne fait pas nécessairement intervenir d'autres déclarations mentionnées dans le document ... Le simple fait de se reporter à un document dans un acte de procédure n'équivaut pas à renoncer au privilège du secret professionnel en ce qui a trait à celui-ci (bien qu'il en soit autrement si la teneur du document est exposée) (Butter Gas & Oil Co. v. Hammer (No. 3), [1980] 3 All E.R. 475 (C.A.)).
La cour permettra de disjoindre les différents passages du document et de maintenir ainsi le privilège du secret profession- nel quant à la partie non divulguée du texte, seulement si le sujet est tout à fait distinct. [Soulignement ajouté.]
Dans l'ouvrage de Sopinka et Lederman intitulé The Law of Evidence in Civil Cases, on peut lire ce qui suit, à la page 182:
[TRADUCTION] Si le titulaire du privilège y renonce effective- ment, l'avocat sera obligé de divulguer la communication confi- dentielle. Toutefois, la renonciation au privilège du secret pro- fessionnel n'entraînera pas, sans plus, la renonciation à un autre privilège correspondant. Dans l'affaire George Doland Ltd. v. Blackburn Robson Coates & Co. et al., la compagnie demande- resse a demandé à son avocat de témoigner au sujet d'une conversation téléphonique intervenue entre lui et son directeur général. Le juge Geoffrey Lane a statué que, bien que ce geste constituât une renonciation au privilège du secret professionnel, il n'entachait pas de nullité le privilège de la demanderesse relativement aux documents rédigés ultérieurement aux fins du litige. [Omission d'une note infrapaginale.]
L'affaire Doland [Doland (George) Ltd v Blackburn Robson Coates Et Co (a firm), [ 1972] 3 All ER 959 (Q.B.)] citée dans l'ouvrage de Sopinka et Lederman traitait d'un cas la demanderesse avait admis la preuve relative à une conversation téléphonique qui avait eu lieu entre son propre avocat et le directeur général. Il a été jugé que l'avocat de la défenderesse pourrait faire porter le contre-interrogatoire sur toute question contenue dans la conversation téléphonique mais pas sur des documents écrits ultérieurement ou sur des conversations tenues par la suite.
L'objectif recherché dans une demande de divul- gation de la totalité d'un document lorsqu'une
partie de celui-ci a déjà été divulguée a été exa- miné dans l'arrêt Burnell v. British Transport Commission, [1956] 1 Q.B. 187 (C.A.) la page 190]:
[TRADUCTION] Il serait fort injuste que l'avocat qui procède à un contre-interrogatoire utilise une partie du document qui était à son avantage et ne permette à personne, pas même au juge ou à l'avocat de la partie adverse, de prendre connaissance du reste du document, dont une grande partie aurait pu être à son désavantage. [Soulignements ajoutés.]
Dans l'affaire Great Atlantic Insurance Co y Home Insurance Co, [1981] 2 All ER 485 (C.A.), plusieurs paragraphes du document privilégié ont été versés au dossier. La Cour a jugé que [aux pages 490 à 492]:
[TRADUCTION] La deuxième question est de savoir si, la totalité de la note étant une communication privilégiée entre le conseiller juridique et son client, le demandeur peut renoncer au privilège du secret professionnel en ce qui concerne les deux premiers paragraphes de la note mais revendiquer ce privilège relativement au reste du texte. mon avis, il serait possible de faire une disjonction si la note traitait de sujets totalement différents ou d'événements différents et pouvait de fait se diviser en deux notes distinctes traitant chacune d'un sujet distinct. Le juge, compte tenu des 14 jours qu'avait duré le procès et après lecture du texte entier de la note en est venu à la conclusion que les deux premiers paragraphes de la note et le reste du texte traitaient du même sujet. Etant beaucoup moins au courant des circonstances, j'hésiterais à tirer une conclusion différente. Après lecture de la totalité de la note, je suis d'accord avec lui. En effet, l'affidavit des procureurs anglais des demandeurs vient éclaircir cela.
L'avocat des demandeurs a soutenu que la disjonction est possible lorsque le passage divulgué n'est qu'un compte rendu d'une discussion qui elle-même n'est pas privilégiée. Mais une fois qu'il a été décidé que la note traite seulement d'un sujet, il me semble qu'il pourrait être ou paraître dangereux ou trom- peur de permettre aux demandeurs de divulguer une partie de la note et de revendiquer le privilège du secret professionnel quant au reste du texte. Dans la présente affaire, les soupçons de Heath qui n'ont pas été anormalement soulevés par la divulgation d'une partie seulement de la note ne peuvent être justifiés ou dissipés que par la divulgation de la totalité de cette note. Il ne serait pas souhaitable de permettre la disjonction dans ces circonstances. À mon avis, la règle la plus simple et la plus sécuritaire est que, si un document est privilégié, le privi- lège doit alors être étendu, dans la mesure du possible, à l'ensemble du document à moins que celui-ci ne traite de sujets distincts de telle sorte que le document puisse de fait se diviser en deux documents distincts dont chacun est complet.
Il est vrai qu'en l'espèce, les deux premiers paragraphes peuvent se séparer du reste de la note, mais ils traitent du même sujet. La renonciation au privilège pour une partie d'un document risque d'entraîner de graves difficultés pour toutes les parties et d'engendrer beaucoup de soupçons non justifiés.
Dans l'affaire Nea Karteria Maritime Co Ltd y Atlantic and Great Lakes Steamship Corpn (11 décembre 1978, non publiée), le juge Mustill a résumé brièvement sa position de la façon suivante:
`Je crois que le principe qui sous-tend la règle de pratique illustrée par l'arrêt Burnell y British Transport Commission est que, lorsque l'une des parties présente devant le tribunal un document qui autrement serait privilégié, la partie adverse et le tribunal doivent avoir la possibilité de se convaincre que ce que la partie a choisi de soustraire au privilège représente la totalité du document qui se rapporte à la question en cause. Permettre de sortir un point particulier de son con- texte, ce serait risquer d'engendrer une injustice du fait que sa véritable portée ou signification serait mal comprise. A mon avis, on peut voir le même principe en jeu dans l'arrêt George Doland Ltd y Blackburn Robson Coates & Co dans un contexte assez différent.'
Je suis d'accord avec cela et j'ajouterais seulement qu'il ne serait pas satisfaisant pour le tribunal de décider qu'une partie d'un document privilégié peut être présentée sans renonciation au privilège du secret professionnel en ce qui concerne l'autre partie en l'absence d'une plaidoirie éclairée au contraire, et il ne peut y avoir de plaidoirie éclairée sans la divulgation, qui rendrait la plaidoirie inutile.
L'avocat des demandeurs a tenté de faire une distinction entre les décisions Burnell y British Transport Commission et George Doland Ltd y Blackburn Robson Coates & Co pour le motif qu'il fallait dans ces deux affaires que la déclaration soit divulguée en entier afin qu'on puisse examiner si la déposition d'un témoin est cohérente. À mon avis, toutefois, la règle selon laquelle il ne peut pas y avoir renonciation au privilège relatif à un document traitant d'un seul sujet quant à une partie seule- ment et revendication du privilège pour le reste du document se fonde sur la possibilité que toute utilisation d'une partie du document peut être injuste ou trompeuse, que la partie qui était en possession du document n'est manifestement pas la personne qui peut décider si une divulgation partielle du document est trompeuse ou non, et que le juge ne peut se prononcer sans entendre de plaidoirie, ni qu'il ne peut entendre de plaidoirie à moins que le document soit divulgué en entier à l'autre partie. Une fois qu'il y a eu divulgation en présentant une partie du document en preuve ou en l'utilisant devant le tribunal, on ne peut pas faire de suppression. [Soulignement ajouté.]
Il faut alors noter que la demande de divulga- tion d'un document en entier, lorsqu'une partie seulement de celui-ci a été communiquée, vise à empêcher une injustice à l'égard de l'autre partie, à empêcher une partie de citer seulement les passa ges d'un document qui sont à son avantage. Si la Cour a formulé ce que j'appellerai la règle du même sujet dans l'affaire Great Atlantic Insu rance, c'est qu'elle était d'avis que la pertinence des extraits du document ne pouvait pas être éta- blie par le juge, en l'absence de plaidoirie de l'avocat là-dessus.
En l'espèce, l'avis juridique fourni est présenté afin de prouver la bonne foi de la défenderesse. Ce qui se rapporte à la question est alors le degré d'assurance communiqué à la défenderesse par ses procureurs; tout énoncé de la lettre qui contredi- rait ou nuancerait les conclusions qui figurent dans les passages de la lettre contenant l'avis juridique qui ont été divulgués se rapporterait à cette ques tion. Si la défenderesse a agi en se fiant à un avis éclairé ou en dépit d'un avis qui indiquait qu'elle n'avait pas le droit d'agir ainsi (malgré les passa ges de la lettre qui ont été divulgués indiquant autre chose), ces autres passages devraient donc être divulgués. Les motifs juridiques à partir des- quels l'avocat en est venu à ses conclusions cepen- dant (par ex. la somme des connaissances antérieu- res recherchées) ne se rapportent pas à cette question-là. À mon avis, ces motifs peuvent être considérés comme étant un sujet distinct. Ce n'est pas l'exactitude de l'avis juridique de l'avocat qui est en question mais le degré de certitude que l'avocat a communiqué à la défenderesse en lui donnant son avis.
Selon moi, les deux aspects de la communication que ses procureurs ont faite à la défenderesse (le caractère éclairé ou non de l'avis juridique et ses motifs sur le plan juridique) peuvent être disjoints et l'avocat de la défenderesse a agi exactement ainsi. Il ne s'agit pas d'une affaire l'avocat doit présenter une plaidoirie avant que le juge puisse se prononcer sur la pertinence des passages disjoints et décider s'ils abordent le même sujet ou un sujet différent. À mon avis, la défenderesse a divulgué une partie de la communication liée à l'aspect de cette communication qui a été mise en question par la renonciation. La revendication du privilège en ce qui concerne les passages non divulgués est justifiée.
Bien que cette question soit traitée à l'occasion d'une requête comme une question préliminaire, cela n'empêche pas que le juge de première ins tance examine la question de nouveau si la preuve à cette étape-là devait indiquer que ce serait approprié. Par conséquent, la copie de la lettre sera placée dans une enveloppe scellée portant la mention confidentiel—à l'intention de la Cour seu- lement. Les choses resteront ainsi en l'absence d'ordonnance ultérieure de la Cour.
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