T-1174-87
Banco do Brasil S.A. (demanderesse)
c.
Le propriétaire et tous les autres ayants droit du
navire Alexandros G. Tsavliris ainsi que le navire
Alexandros G. Tsavliris (défendeurs)
et
Nikolas Hiotis, pour son propre compte et pour le
compte de l'équipage du navire Alexandros G.
Tsavliris (intervenants)
et
Pan American Steamship Lines Inc. et European -
Overseas Steamship Lines N.V. (deuxièmes
intervenantes)
et
Astrapi Maritime Limited (troisième interve-
nante)
et
Zodiac Maritime Agencies Ltd. (quatrième
intervenante)
T-1381-87
Pan American Steamship Lines Inc. and Europe-
Overseas Steamship Lines N.V. (demanderesses)
c.
Le navire Alexandros G. Tsavliris, Panalex Ship
ping Company Limited et tous les autres ayants
droit du navire Alexandros G. Tsavliris ainsi que
Banco do Brasil S.A. (défendeurs) *
RÉPERTORIÉ: BANCO DO BRASIL S.A. c. ALEXANDROS G. TSA-
VLIRIS (LE) (1' s INST.)
Section de première instance, juge Strayer —Van-
couver, 2, 3, 4, 5 et 6 avril; Ottawa, 27 avril 1990.
Conflit de lois — Choix du droit — Droit maritime —
Responsabilité délictuelle — Action en dommages-intérêts
intentée par les affréteurs d'un navire contre la créancière
* Note de l'arrêtiste: Les présents motifs de jugement ont été
modifiés, sans toucher à l'essentiel, à la suite d'une demande de
réexamen. Le juge a considéré que le passage en cause était
manifestement obiter et a décidé qu'il devrait être retranché
des motifs. Cette décision est publiée immédiatement à la suite
des présents motifs de jugement, à la page 283.
hypothécaire pour le motif que celle-ci a provoqué à tort une
violation des chartes-parties et des connaissements à la suite
de ses menaces de saisie du navire — Délit commis en Angle-
terre — Pour qu'un délit commis à l'étranger ouvre droit à une
poursuite au Canada, l'acte doit, s'il a été commis au Canada,
donner ouverture à une poursuite au Canada et ne doit pas être
justifiable à l'endroit où il a été commis — Les actes (le fait
d'avoir provoqué la rupture du contrat) constituent des délits
s'ils ont été commis au Canada — La créancière hypothécaire
est responsable sur le plan délictuel d'avoir entravé l'exécution
d'un contrat maritime lorsque, comme en l'espèce, la garantie
n'était pas diminuée et que le propriétaire était désireux et en
mesure d'exécuter le contrat — Le présent cas serait donc
nouveau, tant selon le droit canadien que selon le droit anglais
— Selon le droit canadien, un créancier hypothécaire est
responsable des menaces de saisie autant que des saisies
lorsqu'il en résulte une entrave — Actes non justifiables en
Angleterre sous le régime du droit anglais.
Droit maritime — Responsabilité délictuelle — Action en
dommages-intérêts par les affréteurs d'un navire contre la
créancière hypothécaire pour le motif que celle-ci a provoqué à
tort une violation des chartes-parties et des connaissements à
la suite de ses menaces de saisie du navire — Selon le droit
maritime, en common law, le créancier hypothécaire est res-
ponsable sur le plan délictuel s'il entrave l'exécution d'un
contrat lorsque, comme en l'espèce, la garantie n'était pas
diminuée et que le propriétaire était désireux et en mesure
d'exécuter le contrat — Le fait d'avoir entravé l'exécution d'un
contrat entraîne sa responsabilité, que ce soit en raison de la
saisie ou des menaces proférées à cet effet.
Le navire Alexandros G. Tsavliris a été construit au Brésil,
immatriculé en Grèce et battait pavillon grec. Le prix d'achat a
été garanti au moyen d'une hypothèque de premier rang cédée
à la Banco do Brasil. Le propriétaire a cessé, en
novembre 1981, d'effectuer les paiements prévus aux termes de
l'hypothèque. Aucun paiement n'a été effectué après
novembre 1984. Au mois de janvier 1986, le propriétaire a
proposé un rééchelonnement de la dette. La proposition a été
rejetée en décembre 1986. Au mois de janvier 1987, le navire a
fait l'objet d'un affrètement à terme en vue du transport de
marchandises depuis l'Europe jusqu'à la côte ouest de l'Améri-
que du Nord. Peu de temps après, la créancière hypothécaire,
par l'entremise de ses avocats à Londres, a informé le proprié-
taire du navire qu'elle avait décidé de faire valoir ses droits à
l'encontre du navire et ce, aussitôt que possible, à Panama.
Lorsque les négociations visant à éviter la saisie ont échoué, et
les affréteurs ont ordonné au capitaine du navire de passer par
le Cape Horn en route vers la côte ouest. Le navire est arrivé à
New Westminster (Colombie-Britannique) deux mois et demi
plus tard que prévu. Il a alors été saisi et vendu. Il s'agissait, en
l'espèce, d'une action en dommages-intérêts intentée par les
affréteurs et qui découlait du refus de la Banque de permettre
la poursuite du voyage selon des conditions raisonnables par, le
canal de Panama, provoquant indûment la violation des char-
tes-parties et des connaissements.
Jugement: l'action doit être accueillie.
Les questions à trancher étaient les suivantes: (1) quelles
étaient les règles de droit qui régissaient la réclamation des
affréteurs? (2) la Banque était-elle responsable selon ces
règles-là?
La règle relative au choix du droit qui s'applique dans les
actions délictuelles a été énoncée dans l'arrêt Phillips v. Eyre:
pour qu'un délit commis à l'étranger ouvre droit à une pour-
suite devant les tribunaux canadiens, l'acte reproché doit être
(1) un acte qui aurait donné ouverture à une poursuite s'il avait
été commis au Canada et (2) ne doit pas être justifiable où il a
été commis.
Le délit reproché faisait partie de ces nouveaux éléments de
la common law en matière d'amirauté qui faisaient partie du
«droit maritime canadien» au sens de l'article 2 de la Loi sur la
Cour fédérale. En l'absence de jurisprudence canadienne sur
cette question, les parties ont convenu que le droit du Canada
est le même que celui de l'Angleterre, et elles ont présumé que
les tribunaux canadiens appliqueraient les règles de droit mari
time qui ont été adoptées en Angleterre. Il a également été
admis que la responsabilité en common law d'un créancier qui
détient une hypothèque sur un navire et qui entrave l'exécution
d'un contrat conclu par le propriétaire du navire en question
relativement à l'utilisation de celui-ci a été exposée dans l'arrêt
The Myrto. De façon générale, si le créancier hypothécaire
décide de faire valoir les droits qui découlent de son hypothèque
à un moment où le navire fait l'objet d'un contrat, il engage par
le fait même sa responsabilité sur le plan délictuel envers les
autres parties à ce contrat, à moins que son intervention ne soit
justifiée du fait que le contrat en question diminue sa garantie
ou que le propriétaire refuse ou est incapable de se conformer
au contrat. La poursuite du voyage par le canal de Panama et
au-delà n'aurait aucunement diminué la garantie de la Banque
et le propriétaire était désireux et en mesure de se conformer au
contrat.
Quant à savoir si l'arrêt The Myrto s'appliquait aux menaces
de saisie de même qu'aux saisies proprement dites, il s'agissait
là d'un cas nouveau tant selon le droit canadien que selon le
droit anglais. Selon le droit canadien, les principes de l'arrêt
The Myrto s'appliquaient également aux menaces, puisque
l'illégalité d'une menace dépend de l'illégalité de l'acte visé par
la menace et qu'il atteignait le même résultat.
Le délit, c'est-à-dire le fait d'avoir incité une partie à violer
son contrat, n'était pas justifiable à l'endroit où il a été commis.
Il a eu lieu à Londres en Angleterre où les décisions importan-
tes concernant la saisie ont été prises. La question de savoir si
les actions de la Banque en Angleterre étaient justifiées, devait
être déterminée conformément aux principes énoncés dans l'ar-
rêt The Myrto, même si la situation en l'espèce n'était pas tout
à fait identique à celle de l'arrêt en question. Les dommages-
intérêts constituaient, en l'espèce, un redressement disponible
en vertu des principes énoncés dans l'arrêt The Myrto.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 2.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
324.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Phillips v. Eyre (1870), L.R. 6 Q.B. 1 (Ex. Ch.); The
Myrto, [1977] 2 Lloyd's Rep. 243 (Q.B.D. Adm. Ct.);
Roman Corporation Ltd. et autre c. Hudson's Bay Oil
and Gas Co. Ltd. et autres, [1973] R.C.S. 820;
(1973), 36 D.L.R. (3d) 413.
DÉCISIONS CITÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; The
Fanchon (1880), 50 L.J. Ad. 4 (P.D. & A.).
DOCTRINE
Castel J.-G. Canadian Conflict of Laws, 2nd ed.,
Toronto: Butterworths, 1986.
McLeod J. G. The Conflict of Laws, Calgary; Carswell
Legal Publications, 1983.
AVOCATS:
Peter D. Lowry et J. W. Perrett pour Banco
do Brasil.
Nils E. Daugulis et M. Nordman pour les
deuxièmes intervenantes.
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour Banco
do Brasil.
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour les
deuxièmes intervenantes.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
Réparation demandée
Il s'agit en l'espèce d'une action en dommages-
intérêts intentée contre la Banco do Brasil S.A.,
créancière hypothécaire du navire Alexandros G.
Tsavliris. L'action est intentée par les affréteurs
de ce navire-là à l'égard d'un voyage fait en 1987,
pour le motif que la banque a provoqué à tort une
violation des chartes-parties et des connaissements.
Cette réclamation est énoncée dans la défense et
les demandes reconventionnelles déposées par les
deux affréteurs dans l'action T-1174-87 et dans
leur déclaration déposée dans l'action T-1381-87.
Dans une ordonnance en date du 29 mars 1990, le
juge en chef adjoint a ordonné que les deux actions
soient entendues ensemble. Les parties ont con-
venu que cette dernière déclaration pourrait être
considérée comme l'acte de plaidoirie de leur
réclamation au nom des affréteurs, Pan American
Steamship Lines Inc. (ci-après appelée «Pan Ame-
rican») et European -Overseas Steamship Lines
N.V. (ci-après appelée «Euro -Lines»).
Il convient également de souligner à ce
moment-ci que les affréteurs ont abandonné au
cours de l'instruction leur revendication quant à la
priorité de leur réclamation sur celle de la Banque
en ce qui a trait aux fonds découlant de la vente du
navire à Vancouver conformément à l'ordonnance
de notre Cour.
Les faits
En 1974, Panalex Shipping Co. Ltd. (ci-après
appelée «Panalex»), société du Libéria, a confié à
un constructeur de navires brésilien la construction
du navire Alexandros G. Tsavliris (ci-après appelé
Alexandros) moyennant un prix d'achat de
12 050 200 $ U.S. De ce montant, une somme
d'environ 10 200 000 $ devait être payée au moyen
de dix-huit versements semi -annuels avec intérêts.
Cette somme a été garantie au moyen de billets à
ordre et d'une hypothèque de premier rang sur le
navire qui ont tous été cédés à la Banco do Brasil
(ci-après appelée la «Banque»). Lorsqu'il a été
construit, le navire a été immatriculé en Grèce et
l'hypothèque et la cession ont également été inscri-
tes dans le répertoire d'enregistrement grec. Le
navire battait pavillon grec.
À la même époque, Panclaire Shipping Ltd.,
entreprise liée à Panalex par l'entremise de la
famille Tsavliris, a conclu avec le même construc-
teur de navires un contrat concernant la construc
tion d'un navire jumeau devant être connu sous le
nom du Claire A. Tsavliris (ci-après appelé
Claire).
Panalex a fait les paiements hypothécaires
requis jusqu'au versement qui était dû le
18 mai 1981, y compris celui-ci, et est devenue en
état de cessation de paiement le 18
novembre 1981, ayant omis de payer les montants
alors en souffrance. Un rééchelonnement avait été
convenu avec la Banque le 16 novembre 1984,
mais Panalex a fait défaut deux jours plus tard,
étant incapable de payer tous les montants dus ce
jour-là. Panalex, le propriétaire du navire Alexan-
dros, n'a fait aucun paiement après le 18
novembre 1984. Le 10 janvier 1986, le propriétaire
a proposé un autre rééchelonnement de la dette.
La Banque a décidé de rejeter cette proposition le
3 avril 1986, mais ce n'est que le 29 décembre
1986 qu'elle a informé le propriétaire de sa déci-
sion et lui a demandé de payer immédiatement
tous les montants en souffrance.
Pendant cette période-là, le navire Alexandros
était resté désarmé au Pirée, en Grèce, du
13 avril 1986 au 13 janvier 1987. Aucun élément
de la preuve n'indique que la Banque a cherché à
connaître l'emplacement du navire avant la date à
laquelle elle a demandé à ses avocats de Londres
de faire des recherches, soit le 8 décembre 1986.
Le 23 janvier 1987, Pan American a affrété le
navire Alexandros pour un voyage en Amérique
du Nord et l'a sous-affrété à Euro -Lines. Le navire
devait être livré aux affréteurs à Santander, en
Espagne, le 25 janvier 1987. Il devait recevoir des
chargements de produits d'acier là-bas ainsi qu'à
trois ports d'Allemagne et à Anvers (Belgique),
poursuivre sa route vers la côte ouest de l'Améri-
que du Nord, décharger les marchandises à, Los
Angeles, Oakland, Portland et Seattle, aux États-
Unis, et terminer son parcours à New Westmins-
ter, en Colombie-Britannique. Il devait arriver en
Colombie-Britannique vers le 16 mars 1987. La
valeur des marchandises s'élevait à environ
12 000 000 $ U.S. Il s'agissait d'un affrètement à
terme.
Le 26 janvier 1987, le lendemain du jour où les
affréteurs ont pris livraison du navire, la Banque a
été informée de l'affrètement à terme et des desti
nations prévues. Elle a également appris où se
trouvait le Claire, dont les versements hypothécai-
res étaient également en souffrance. Le
12 février 1987, la Banque a demandé à son
bureau de Londres, par l'entremise de son siège
social situé à Rio de Janeiro, d'ordonner à ses
avocats de Londres de saisir les navires Claire et
Alexandros. Les avocats devaient veiller à saisir le
navire Alexandros dans un territoire [TRADUC-
TION] «où l'on tient également compte des intérêts
de la Banque». Les avocats de Londres, soit le
cabinet de Coward Chance, ont pris les mesures
nécessaires pour saisir le Claire à Durban, en
Afrique du Sud. Le 27 février 1987, le cabinet
d'avocats Constant et Constant, qui représentait
les propriétaires des navires Claire et Alexandros,
a fait parvenir à Me Best, de Coward Chance, un
télex dans lequel il demandait à la Banque d'accor-
der mainlevée de la saisie du Claire. Le
2 mars 1987, Me Best a répondu par télex à cette
demande et a également informé Constant et
Constant au sujet du navire Alexandros qui,
d'après ce qu'il savait, était alors chargé de mar-
chandises et se dirigeait vers la côte ouest améri-
caine, en ce sens:
[TRADUCTION] Selon les directives que nous avons reçues, nous
devons faire valoir les droits de notre cliente à l'encontre de ce
navire le plus tôt possible ...
Le 3 mars 1987, une rencontre a eu lieu à Londres
entre Me Best, M. Biggs, de la succursale de la
Banque située à Londres, et M. George Tsavliris,
qui représentait les propriétaires des navires Claire
et Alexandros. Au cours de cette réunion-là, il a
été confirmé que la Banque maintiendrait la saisie
du Claire. Lorsque le sujet du navire Alexandros a
été abordé, selon le témoignage de Me Best, M.
Tsavliris a dit que, si une mainlevée de la saisie
n'était pas accordée à l'égard du Claire, la Banque
ne pourrait pas saisir le navire «Alexandros». Il a
mentionné qu'il était possible que le navire soit
envoyé à la démolition à Taiwan. Toutefois,
d'après un télex que M. Biggs a envoyé à ses
supérieurs à Rio de Janeiro pour leur donner un
compte rendu de cette réunion, M. Tsavliris a dit
que, si une mainlevée était accordée à l'égard du
Claire et que celui-ci pouvait terminer son par-
cours, il serait prêt à prendre les dispositions
nécessaires pour le faire saisir à un autre port
approprié. Il semble aussi que M. Tsavliris était
prêt à se rendre au Brésil pour discuter de la
situation avec la Banque là-bas. Le 5 mars,
M. Tsavliris a communiqué directement avec
Me Best pour lui demander si une mainlevée serait
accordée à l'égard du Claire. W Best lui a
répondu qu'il était presque certain que le navire ne
ferait pas l'objet d'une mainlevée et qu'il serait
vendu. Lorsqu'il a soulevé la question du navire
Alexandros, M. Tsavliris a dit que la Banque
«pouvait oublier» ce dernier navire. Me Best a
convenu au cours de son contre-interrogatoire que
M. Tsavliris aurait très bien pu comprendre, à la
lumière de la réunion du 3 mars, que la Banque
était prête i, saisir le navire Alexandros à Panama,
et il aurait certainement été possible de tirer cette
conclusion à la lecture du télex précité que
Me Best a envoyé à Constant et Constant le
2 mars.
Entre-temps, M. Best avait travaillé avec des
avocats de Panama pour savoir si le navire
Alexandros avait franchi le canal et pour connaî-
tre l'emplacement du navire. Le 5 mars, il a
demandé aux avocats de Panama de préparer les
documents de la saisie et, le 6 mars, il leur a
demandé de procéder à la saisie.
Le 5 mars, alors que le navire Alexandros s'ap-
prochait du canal de Panama, le propriétaire du
navire a ordonné au capitaine d'arrêter dans les
eaux internationales. Le 6 mars, M. Tsavliris a
envoyé, au nom du propriétaire, un télex à la
Banque au sujet du rééchelonnement des prêts. Ce
jour-là, le propriétaire a fait savoir aux affréteurs
qu'il avait été avisé que la Banque saisirait le
navire à Panama et que, par conséquent, le capi-
taine s'était vu contraint de retarder l'arrivée au
canal.
Le 10 mars, les affréteurs avaient communiqué
avec la Banque par l'entremise de leur avocat, Me
Taylor, du cabinet de Shaw et Croft, à Londres.
Le même jour, Me Best a eu un entretien télépho-
nique avec Me Brewster, du bureau de Constant et
Constant, qui représentait le propriétaire. Me
Brewster a dit que le propriétaire était prêt à'.
s'engager à terminer le parcours si le _ navire
Alexandros n'était pas saisi, mais Me Best a
répondu qu'il ne pouvait recommander cette solu
tion à la Banque. Par la suite, et jusqu'au 3 avril,
une série de pourparlers ont eu lieu, principale-
ment entre les avocats de la Banque et ceux des
affréteurs à Londres, mais mettant parfois aussi en
cause les avocats des affréteurs ayant leur bureau
à New York et M. Hans Knickrehm, vice-prési-
dent à la direction des deux affréteurs, qui est
établi à Houston, au Texas. Il n'est pas nécessaire
de décrire de façon détaillée ces négociations. Il
peut être utile de souligner que la Banque n'a pas
donné de directives à son avocat de Londres,
Me Best, avant le 19 mars, relativement aux condi
tions selon lesquelles elle accepterait d'abandonner
la saisie à Panama. Les négociations ont finale-
ment été rompues au début d'avril au sujet de la
condition suivante d'un projet d'entente que la
Banque désirait inclure:
[TRADUCTION] 7. L'affréteur s'engage, pour l'avantage de
la Banque, à ne pas intenter d'action contre la Banque
dans quelque territoire que ce soit à l'égard du fait
que cette dernière aurait entravé l'exécution de la
charte-partie et du connaissement.
La Banque désirait à tout prix inclure cette condi
tion, mais les affréteurs ont finalement refusé. Si
cette condition avait été acceptée, la présente
action n'aurait pu être intentée.
Au cours de ces négociations-là, le navire est
demeuré dans les Antilles. Il s'est approvisionné en
combustible lourd et en vivres au Venezuela et, le
3 avril 1987, après la rupture des négociations, les
affréteurs ont ordonné au capitaine de passer par
Cape Horn pour se diriger vers Los Angeles. C'est
ce qui a été fait; le navire est arrivé à Los Angeles
le 15 mai et le déchargement s'est terminé à cet
endroit le 19 mai. Ce jour-là, le navire a été saisi
par la Banque et a fait l'objet d'une mainlevée plus
tard, à la suite d'une entente conclue entre la
Banque et les affréteurs. Le navire s'est ensuite
dirigé vers Oakland, Portland, Seattle et New
Westminster et les marchandises qui se trouvaient
à bord du navire ont été déchargées à chacun de
ces ports-là. Le navire est arrivé à New Westmins-
ter le 2 juin 1987, soit deux mois et demi après la
date d'arrivée initialement prévue.
Le 3 juin, le navire a été saisi par la Banque à
New Westminster et vendu conformément à l'or-
donnance de notre Cour pour une somme de
3 722 100 $ CAN. De nombreuses procédures ont
été engagées contre le navire Alexandros, mais les
avocats m'informent que la présente réclamation
est la seule question non réglée au sujet de l'utilisa-
tion du fonds. Les affréteurs ont été admis dans
l'action T-1174-87 comme deuxièmes intervenants
conformément à- une ordonnance du juge Collier
en date du 23 juillet 1987. Auparavant, ils avaient
déjà intenté l'action T-1381-87 contre la Banque
et d'autres. La demande reconventionnelle déposée
par la suite dans l'action T-1174-87 reprenait
essentiellement, en ce qui a trait à la Banque, la
déclaration déjà déposée dans le dossier
T-1381-87. C'est pourquoi les deux causes ont été
entendues ensemble sur la foi des actes de plaidoi-
rie déposés dans le dossier T-1381-87.
Les affréteurs soutiennent que la Banque a
refusé de permettre la poursuite du voyage selon
des - conditions raisonnables par le canai de
Panama, provoquant indûment par le fait même la
violation de leurs chartes-parties et des connaisse-
ments d'Euro-Lines. Les affréteurs réclament des
dommages-intérêts à l'égard des frais supplémen-
taires qu'ils ont dû engager en raison du retard et
de la distance supplémentaire parcourue au cours
du voyage et en raison du règlement des réclama-
tions que leur ont présentées les consignataires ou
les destinataires à la suite de la livraison tardive
des marchandises.
Questions en litige
Les principales questions à trancher sont les
suivantes: (1) quelles sont les règles de droit qui
régissent la réclamation des affréteurs? (2) la
Banque est-elle responsable selon ces règles-là?
Conclusions
Choix du droit
La cause d'action en l'espèce est un délit que la
Banque aurait commis envers les affréteurs, soit le
fait d'avoir causé ou provoqué la violation des
chartes-parties et des connaissements.
Lorsque le juge Collier a permis aux affréteurs
d'intervenir dans l'action T-1174-87, notre Cour a
reconnu qu'elle avait la compétence voulue pour
statuer sur ce litige. La Banque s'est soumise à la
compétence de notre Cour et elle possède un élé-
ment d'actif important ici, soit sa réclamation à
l'égard du fonds découlant de la vente du navire.
La règle relative au choix du droit qui s'applique
dans les actions délictuelles et que les tribunaux
canadiens reconnaissent a été énoncée par la Court
of Exchequer Chamber de l'Angleterre dans l'arrêt
Phillips v. Eyre' et les décisions subséquentes dans
lesquelles cet arrêt a été appliqué. Selon cette
règle, pour qu'un délit commis à l'étranger ouvre
droit à une poursuite devant les tribunaux cana-
diens, l'acte reproché (1) doit être un acte qui
aurait donné ouverture à une poursuite s'il avait
été commis au Canada et (2) ne doit pas être
justifiable à l'endroit où il a effectivement été
commis 2 .
Il est donc évident que, pour ouvrir droit à une
poursuite devant notre Cour, les actes reprochés
doivent équivaloir à un délit selon le droit cana-
dien. Comme il sera démontré, il y a un délit qui
est reconnu en droit maritime et qui, selon les
affréteurs, donnerait lieu à une responsabilité ici
' (1870), L.R. 6 Q.B. 1 (Ex. Ch.).
2 Voir, généralement, McLeod, The Conflict of Laws (1983)
aux p. 534-542; Castel, Canadian Conflict of Laws (2C éd.,
1986), p. 597, 613.
s'il était commis au Canada. Il semble que, si ce
délit était établi, il ferait partie de ces nouveaux
éléments spéciaux de la common law en matière
d'amirauté qui font partie du droit maritime cana-
dien au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale 3 . Il fait donc partie des règles fédérales de
common law qui sont uniformes dans tout le pays.
Les affréteurs soutiennent également que, en
l'espèce, les actes reprochés sont survenus en
Angleterre. En conséquence, pour satisfaire le cri-
tère à deux volets établi dans Phillips v. Eyre', les
actes ne doivent pas avoir été «justifiables» selon le
droit anglais. La Banque nie que les actes repro-
chés soient survenus en Angleterre et allègue que,
quel que soit l'endroit où ils sont survenus, ils
étaient entièrement justifiés en tant que mesures
légitimes qu'elle a prises pour faire valoir ses droits
comme créancier hypothécaire de premier rang
dans des circonstances où le débiteur hypothécaire
était sérieusement défaillant.
Pour déterminer l'endroit où le délit reproché est
survenu, il sera utile de déterminer, en premier
lieu, si les actes reprochés constituent un délit
selon le droit canadien et, dans l'affirmative, com
ment ce délit est défini.
Y a-t-il eu un délit ouvrant droit à une poursuite
au Canada?
Les avocats n'ont pu me citer de causes cana-
diennes traitant de cette question. Ils ont plutôt
reconnu que le droit du Canada est le même que
celui de l'Angleterre, si l'on présume que les tribu-
naux canadiens appliquent les règles de droit mari
time qui ont été adoptées en Angleterre. Il a
également été admis que la responsabilité en
common law d'un créancier qui détient une hypo-
thèque sur un navire et qui entrave l'exécution
d'un contrat conclu par le propriétaire du navire en
question relativement à l'utilisation de celui-ci a
été définie dans l'arrêt The Myrto 5 :
[TRADUCTION] À mon avis, on peut résumer comme suit les
principes de droit que ces autorités établissent dans les cas où le
propriétaire d'un navire qui a hypothéqué celui-ci pour obtenir
un prêt en garde la possession:
3 L.R.C. (1985), chap. F-7; voir, d'une façon générale,
.ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Elec
tronics Inc. et autre, [1986] I R.C.S. 752, aux p. 768-774.
° Voir, plus haut, la note 1.
5 [1977] 2 Lloyd's Rep. 243, aux p. 253-254 (Q.B.D. Adm.
Ct.).
(1) Sauf dans un cas, le propriétaire a le droit d'utiliser le
navire (y compris le droit de l'utiliser en vertu d'un contrat
conclu avec un tiers) de la même façon qu'il le ferait si le navire
n'était pas hypothéqué.
(2) La seule exception à cette règle est la suivante: le
propriétaire n'a pas le droit d'utiliser le navire de façon à
diminuer la garantie du créancier hypothécaire.
(3) Lorsque le propriétaire conclut un contrat avec un tiers
relativement à l'utilisation du navire et que ce contrat est d'une
nature telle ou qu'il est conclu ou exécutoire dans des circons-
tances telles que la garantie du créancier hypothécaire n'est pas
diminuée, et que le propriétaire est désireux et en mesure
d'exécuter ce contrat, le créancier hypothécaire ne peut, en
exerçant les droits dont il dispose en vertu de l'hypothèque,
entraver l'exécution de ce contrat, que ce soit en prenant
possession du navire, en le vendant ou en le faisant saisir dans
une action hypothécaire in rem.
(4) Toutefois, le créancier hypothécaire peut exercer ses
droits qui découlent de l'hypothèque sans tenir compte du
contrat que le propriétaire a conclu avec un tiers relativement à
l'utilisation dudit navire dans deux cas:
(a) lorsque le contrat est d'une nature telle ou lorsqu'il est
conclu ou exécutoire dans des circonstances telles que la
garantie du créancier hypothécaire est diminuée;
(b) lorsque, que ce soit le cas ou non, le propriétaire ne
désire pas exécuter le contrat ou est incapable de le faire.
(5) Lorsque, en exerçant ses droits qui découlent de l'hypo-
thèque, le créancier hypothécaire entrave l'exécution d'un con-
trat conclu par le propriétaire avec un tiers relativement à
l'utilisation du navire dans des circonstances où il n'est pas,
suivant les paragraphes (3) et (4) qui précèdent, autorisé à le
faire, il commet un délit (ou une faute de la nature d'un délit
ouvrant droit à une poursuite) contre le tiers.
(6) Les recours dont le tiers dispose à l'encontre du créancier
hypothécaire à l'égard de ce délit ou de cette faute ouvrant
droit à une poursuite sont les suivants:
(a) lorsque le créancier hypothécaire prend possession du
navire ou cherche à le vendre, une injonction lui interdisant
de le faire;
(b) lorsque le créancier hypothécaire saisit le navire dans
une action hypothécaire in rem, une ordonnance de mainle-
vée de la saisie du navire;
(c) en plus des recours prévus aux alinéas (a) ou (b) qui
précèdent ou subsidiairement à ceux-ci, des dommages-inté-
rêts.
(7) La question de savoir si un contrat donné que le proprié-
taire a conclu avec un tiers relativement à l'utilisation du navire
est d'une nature telle ou est conclu ou exécutoire dans des
circonstances telles qu'il diminue la garantie du créancier hypo-
thécaire est une question de fait.
(8) Il est loisible à la Cour, comme question de droit, de
déclarer qu'un contrat donné est conclu ou exécutoire dans des
circonstances telles qu'il diminue la garantie du créancier hypo-
thécaire, si la preuve indique que le propriétaire est nécessiteux,
qu'il peut faire à crédit seulement le voyage auquel le contrat se
rapporte et que le navire fait déjà l'objet de lourdes dettes et
charges. Voir l'arrêt The Manor, précité.
(9) La question de savoir si le propriétaire est désireux ou en
mesure d'exécuter un contrat donné est également une question
de fait.
Le point essentiel qu'il faut souligner dès le
départ est le fait que, selon cette autorité recon-
nue, il y a des cas où l'exercice habituellement
légitime de droits contractuels découlant de l'hypo-
thèque peut devenir illégal et constituer un délit.
Les affréteurs soutiennent que la Banque,
comme créancier hypothécaire, est responsable
selon ces principes, car, d'après les paragraphes
(3) et (4), le créancier hypothécaire n'a pas le
droit, dans ces circonstances, d'entraver l'exécu-
tion d'un contrat comme un contrat d'affrètement
en saisissant ou en menaçant de saisir le navire. Ils
font valoir que les conditions relatives à l'exercice
du droit de saisie du créancier hypothécaire qui
sont énoncées au paragraphe (4) n'ont pas été
établies ici; en effet, la charte-partie n'a pas dimi-
nué la garantie de la Banque découlant de l'hypo-
thèque et le propriétaire ne refusait pas ni n'était
incapable d'exécuter le contrat. Les affréteurs
ajoutent qu'il incombait à la Banque de démontrer
que sa garantie pouvait être diminuée; à l'appui de
cette proposition, ils invoquent l'arrêt The
Fanchon 6 .
Je suis convaincu que, si les actes de la Banque
avaient été commis au Canada, ils auraient consti-
tué un délit. L'élément essentiel est le fait que la
Banque, sachant que ce navire faisait l'objet d'un
affrètement aux fins d'un voyage vers la côte ouest
de l'Amérique du Nord, a empêché le propriétaire
de se conformer au contrat dans un délai raisonna-
ble selon l'itinéraire initialement convenu, en
menaçant de saisir le navire à Panama et en se
préparant à le saisir. Il est indubitable que, vis-à-
vis des propriétaires, elle avait le droit d'exiger le
remboursement de son prêt en saisissant le navire
en tout temps, en raison du grand retard dans le
paiement des versements hypothécaires. Toutefois,
selon la règle générale exprimée dans l'arrêt The
Myrto, si le créancier hypothécaire décide de faire
valoir les droits qui découlent de son hypothèque à
un moment où le navire fait l'objet d'un contrat, il
engagera par le fait même sa responsabilité sur le
plan délictuel envers les autres parties à ce contrat,
6 (1880), 50 L.J. Ad. 4 (P.D. & A.).
à moins que son intervention ne soit justifiée parce
que le contrat en question diminue sa garantie ou
parce que le propriétaire refuse ou est incapable de
se conformer au contrat. Je ne puis en arriver à la
conclusion que l'une ou l'autre de ces conditions
existait en l'espèce.
En ce qui a trait à la diminution de la garantie,
il faut dire, en premier lieu, que l'on doit s'interro-
ger sur la bonne foi et le sérieux de l'objectif de la
Banque à l'égard de sa décision de procéder à une
saisie à ce moment-là. Les versements hypothécai-
res relatifs au navire Alexandros étaient en souf-
france depuis le 18 novembre 1984 et, effective-
ment, les paiements réguliers avaient cessé depuis
mai 1981. Même si, le 10 janvier 1986, les proprié-
taires ont suggéré à la Banque un autre rééchelon-
nement, ce n'est que le 29 décembre 1986 que
cette dernière a avisé les propriétaires qu'elle refu-
sait cette proposition. Dans l'intervalle, le navire
était resté désarmé au Pirée du 13 avril 1986 au
13 janvier 1987. Ce n'est que le 8 décembre 1986
que la Banque s'est informée de l'endroit où se
trouvait le navire par l'entremise de ses avocats de
Londres. Si elle s'était vraiment préoccupée de
protéger sa garantie, la Banque aurait certaine-
ment pu adopter des mesures en ce sens avant ce
moment-là. Le navire est resté désarmé sans mar-
chandises en Grèce pendant quelque neuf mois, ce
qui représentait certainement une occasion en or
pour un créancier hypothécaire de premier rang
détenant une hypothèque immatriculée en Grèce,
où la loi accorde, selon le témoignage des experts,
la priorité au créancier hypothécaire. On ne l'a pas
fait et aucune explication n'a été donnée à ce sujet.
Même après que le contrat d'affrètement a été
conclu, la Banque avait le temps de procéder à une
saisie du navire en Europe, avant que le navire ne
soit chargé. La Banque a été informée de l'affrète-
ment du navire Alexandros le 26 janvier 1987,
date à laquelle on a commencé à charger le navire
à Santander, en Espagne. Les motifs que le repré-
sentant de la Banque a invoqués au cours de
l'interrogatoire préalable pour justifier l'inaction
de la Banque à ce moment-là étaient tout à fait
spécieux'.
La Banque n'a pas établi non plus à ma satisfac
tion que la charte-partie ou son exécution dimi-
nuait de façon importante sa garantie. Aucun élé-
ment n'indiquait que les taux de l'affrètement
' Interrogatoire préalable de Paulo Cesar Trinidade, ques
tions 258 à 268.
étaient des taux autres que les taux normaux du
marché. L'affréteur devait payer les dépenses prin-
cipales, dont le coût du carburant, les frais de
chargement et de déchargement, les frais des opé-
rations portuaires, les frais de pilotage et ainsi de
suite. Le propriétaire devait payer les frais de
l'équipage, les frais d'entretien et les primes d'as-
surance. Il n'a aucunement été établi que le pro-
priétaire ne payait pas sa part avant que le voyage
ne soit interrompu peu avant l'arrivée au canal de
Panama. Le 11 mars, quelques jours après l'inter-
ruption du voyage, les affréteurs ont offert, par
l'entremise de leurs avocats de Londres, de finan-
cer l'ensemble des frais du voyage jusqu'aux frais
de déchargement à Vancouver, y compris ceux-ci,
et de payer une prime d'assurance pour perte
totale. Cette mesure aurait permis la poursuite du
voyage sans pour autant que n'augmente le risque
que le navire soit grevé d'autres privilèges prenant
rang avant la garantie de la Banque.
Le principal argument de la Banque est le fait
que l'on ne pouvait croire que le propriétaire,
représenté par M. George Tsavliris, terminerait le
voyage et qu'il y avait plutôt un risque sérieux que
le propriétaire détourne le navire vers Taiwan et
l'envoie à la démolition là-bas, mettant ainsi le
navire et son produit hors de la portée de la
Banque. On a donc soutenu que les conditions
énoncées au paragraphe (4) des principes de l'arrêt
The Myrto existaient en l'espèce, soit le fait que la
garantie du prêt hypothécaire serait diminuée si le
voyage se poursuivait au-delà de Panama et le fait
que le propriétaire ne désirait pas poursuivre le
voyage conformément au contrat.
Jusqu'à un certain point, ces soupçons qu'entre-
tenait la Banque étaient fondés sur l'expérience
qu'une autre banque a vécue lorsqu'elle a cherché
à faire valoir sa garantie sur un autre navire du
groupe Tsavliris, le Patriotis. Bien qu'on ait laissé
entendre que le Patriotis avait été dissimulé à son
créancier hypothécaire, aucune preuve claire n'a
été présentée à ce sujet et il n'a pas été établi non
plus que la Banco do Brasil avait, au moment
pertinent où elle a décidé de faire saisir le navire
Alexandros, des renseignements précis au sujet de
ce qui était arrivé dans le cas du Patriotis. J'étais
réticent à accepter comme preuve en l'espèce des
commentaires généraux que la Cour d'appel de
l'Angleterre a formulés dans un cas concernant des
parties différentes à l'égard des mesures prises
pour cacher le Patriotis dans une procédure con-
cernant ce navire. Pourtant, il s'agissait là des
seuls renseignements qui ont été invoqués au sujet
de la non-fiabilité du groupe Tsavliris à cet égard
et dont la Banque aurait pu disposer le
12 février 1987, soit la date à laquelle elle a
demandé à ses avocats de Londres de saisir les
navires Claire et Alexandros. Les remarques
plutôt extravagantes que M. Tsavliris a formulées
plus tard découlaient manifestement de la saisie du
Claire. D'après ces commentaires qui ont été faits
à Me Best à Londres les 3 et 5 mars, le propriétaire
essaierait de détourner et de dissimuler le navire
Alexandros. Même si ces menaces étaient excessi-
ves et imprudentes, il est difficile de comprendre
comment on pouvait les prendre au sérieux. À ce
moment-là, la Banque devait ou aurait dû avoir
une assez bonne idée de la valeur des marchandi-
ses, qui était beaucoup plus élevée que celle du
navire. Il est difficile de croire que le propriétaire
aurait déchargé le navire Alexandros, sauf aux
ports de destination des marchandises conformé-
ment au contrat d'affrètement, ou que lesdites
marchandises auraient été transportées illicitement
à Taiwan aux frais du groupe Tsavliris. Des mesu-
res de la sorte auraient nui énormément à la
réputation du groupe d'expédition Tsavliris,
comme Me Best l'a lui-même fait remarquer à
M. Tsavliris le 3 mars. Ces menaces doivent être
considérées comme une partie des événements mal-
heureux qui ont débuté par la saisie du Claire
le 27 février et la menace faite à Londres, le
2 mars, de saisir le navire Alexandros alors qu'il
était chargé de marchandises au cours d'un voyage
effectué suivant un contrat d'affrètement. Effecti-
vement, le 10 mars, l'avocat du propriétaire avait
informé celui de la Banque que le propriétaire était
prêt à s'engager à compléter le voyage.
J'en viens donc à la conclusion, comme question
de fait, que la poursuite du voyage par le canal de
Panama et au-delà n'aurait aucunement diminué
la garantie du créancier hypothécaire et que le
propriétaire était désireux et en mesure de se
conformer à ce contrat tant avant l'interruption du
voyage près du canal de Panama que par la suite.
Cette opinion est renforcée par le fait que le
propriétaire a poursuivi le voyage conformément
aux directives de l'affréteur (ou, dans un cas,
conformément à l'affrètement initial, malgré les
directives subséquentes de l'affréteur) et a atteint
toutes les destinations initialement convenues.
L'avocat de la Banque a soutenu que les princi-
pes de l'arrêt The Myrto ne peuvent s'appliquer
lorsqu'on reproche, non pas la saisie proprement
dite, mais uniquement une menace de saisie.
L'avocat a ajouté que ces principes ne peuvent
s'appliquer que lorsque «l'entrave» est un acte
illégal.
En ce qui a trait au premier point, il est vrai que
l'arrêt The Myrto portait sur une saisie propre-
ment dite et non sur une menace de saisie. Le
présent cas serait donc nouveau, tant selon le droit
canadien que selon le droit anglais. Je suis prêt à
conclure, selon le droit canadien, que les principes
de l'arrêt The Myrto s'appliquent également aux
menaces. Il serait utile de citer à nouveau le
principe (3):
[TRADUCTION] (3) Lorsque le propriétaire conclut un contrat
avec un tiers relativement à l'utilisation du navire et que ce
contrat est d'une nature telle ou qu'il est conclu ou exécutoire
dans des circonstances telles que la garantie du créancier
hypothécaire n'est pas diminuée, et que le propriétaire est
désireux et en mesure d'exécuter ce contrat, le créancier hypo-
thécaire ne peut, en exerçant les droits dont il dispose en vertu
de l'hypothèque, entraver l'exécution de ce contrat, que ce soit
en prenant possession du navire, en le vendant ou en le faisant
saisir dans une action hypothécaire in rem.
Selon ce paragraphe, le créancier hypothécaire n'a
pas le droit, dans les circonstances, «d'entraver
l'exécution de ce contrat». Bien que la menace de
saisie ne soit pas mentionnée comme moyen, je suis
persuadé que le même raisonnement devrait s'ap-
pliquer aux menace. Habituellement, la légalité
d'une menace dépend de la légalité de l'acte visé
par la menace 8 . Comme il est évident, à la lumière
de l'arrêt The Myrto, que le créancier hypothé-
caire n'a pas le droit d'«entraver» l'exécution du
contrat par une saisie, il ne devrait pas être auto-
risé à atteindre le même résultat, comme il l'a fait
en l'espèce, au moyen d'une menace de saisie. Il
est indéniable que la menace était réelle: des docu
ments ont été déposés à Panama le 6 mars au sujet
des directives des avocats de la Banque à Londres
et tout ce qu'il restait à faire, c'était d'attendre que
le navire arrive dans les eaux panaméennes.
8 Voir, par exemple, Roman Corporation Ltd. et autre c.
Hudson's Bay Oil and Gas Co. Ltd. et autres, [1973] R.C.S.
820, à la p. 829.
En outre, je ne puis comprendre l'argument
selon lequel les principes de l'arrêt The Myrto ne
s'appliquent que lorsque l'acte reproché est illégal
et selon lequel la saisie d'un navire par un créan-
cier hypothécaire n'est pas illégale. Je reconnais,
comme les avocats l'ont admis, que l'arrêt The
Myrto représente le droit au Canada. Ma tâche
consiste donc à déterminer si les actes auraient
donné lieu à une responsabilité délictuelle suivant
les principes de cet arrêt, s'ils avaient été commis
au Canada, et je ne puis voir pourquoi cette res-
ponsabilité n'aurait pas existé. Ce que l'arrêt The
Myrto signifie, c'est que, dans ces circonstances, le
créancier hypothécaire n'a pas le droit de faire
valoir sa garantie au moyen d'une saisie, ou que,
du moins, il ne peut le faire sans courir le risque de
se voir tenu responsable sur le plan délictuel envers
les affréteurs ou des tiers qui ont conclu un contrat
avec le propriétaire à l'égard de l'utilisation du
navire. Si l'entrave elle-même était illégale, indé-
pendamment des circonstances, il ne serait évidem-
ment pas nécessaire de recourir aux principes
adoptés dans l'arrêt The Myrto.
Les parties ne s'entendaient pas sur la question
de savoir si la charte-partie avait effectivement été
violée ou si les affréteurs avaient simplement con-
senti au délai le 10 mars et assumé la direction du
voyage par la suite. À toutes fins utiles, il est
évident que la Banque a «entravé» (pour reprendre
le mot utilisé dans l'arrêt The Myrto) l'exécution
normale et appropriée des chartes-parties et des
connaissements à laquelle les affréteurs avaient
droit.
Je suis donc convaincu que, si tous les actes
reprochés avaient été commis au Canada, ils
auraient donné lieu à une responsabilité délictuelle
envers les affréteurs à l'égard des frais supplémen-
taires que ceux-ci ont dû engager en raison de
l'entrave à la poursuite normale du voyage,
laquelle entrave semble avoir débuté, au plus tard,
le 6 mars.
Les actes étaient-ils justifiables là où ils ont été
commis?
Pour répondre à cette question, il faut d'abord
déterminer où les actes qui constituent un délit au
Canada ont effectivement été commis. Le délit en
question est celui d'avoir incité une partie à violer
son contrat. Sans tenter de définir pour toutes les
fins l'emplacement d'un tel délit, il me semble que,
en l'espèce, on peut dire qu'il a été commis à
Londres. C'est à Londres, les 2, 3 et 5 mars, que
les avocats de Londres de la Banque ont fait savoir
aux avocats du propriétaire et au représentant de
celui-ci, M. Tsavliris, que la Banque saisirait le
navire Alexandros lorsqu'il atteindrait Panama. À
la suite de cette menàce, les avocats de Londres de
la Banque ont demandé aux avocats de Panama,
les 5 et 6 mars, de préparer et déposer des docu
ments de saisie dans ce pays-là. Selon la preuve, il
est probable que la décision du propriétaire d'in-
terrompre le voyage a été prise par M. Tsavliris à
Londres, et cette probabilité n'a pas été réfutée. La
preuve indique également que, pendant toute cette
période-là, les décisions de chaque jour étaient
prises au nom de la Banque par Coward Chance,
ses avocats de Londres, conformément à des direc
tives très générales données le 12 février à l'égard
de la saisie des navires Claire et Alexandros. À
mon avis, ces circonstances sont suffisantes pour
dire que le délit a été commis en Angleterre. De
nombreux autres facteurs tendent à indiquer que
l'Angleterre est le territoire dominant, selon l'ap-
plication du test de la «loi appropriée du délit».
Parmi ces facteurs, mentionnons le fait que les
deux contrats d'affrètement prévoyaient que l'arbi-
trage aurait lieu à Londres. Toutefois, je n'adopte
pas ce raisonnement.
En ce qui a trait à la règle de droit de l'Angle-
terre, je dois déterminer à nouveau, conformément
à l'arrêt The Myrto, si les actions de la Banque en
Angleterre étaient justifiées. Pour déterminer en
quoi consiste la règle de droit de l'Angleterre, j'ai
été aidé par le témoignage d'expert de Me Nicolas
V. Taylor, avocat anglais qui a témoigné pour le
compte des affréteurs, et par celui de Me Kenneth
Stuart Rokison, c.r., avocat anglais qui a témoigné
au nom de la Banque. Ces avocats m'ont présenté
leurs opinions quelque peu contradictoires au sujet
de l'incidence de l'arrêt The Myrto sur des faits
semblables à ceux sur lesquels je dois me pronon-
cer en l'espèce. Me Taylor a défini les principes
découlant de l'arrêt The Myrto d'une façon suffi-
samment large pour couvrir la présente situation.
Pour sa part, Me Rokison a invoqué des arguments
sérieux allant à l'encontre de l'application de l'ar-
rêt The Myrto au-delà de la situation particulière
qui prévalait dans cette cause-là. Selon lui, l'arrêt
The Myrto est une exception au principe général
selon lequel une personne ne devrait pas être tenue
responsable lorsqu'elle exerce ses propres droits,
quelles que soient les conséquences de ses actions
pour d'autres personnes. Selon lui, cette exception
ne devrait donc pas s'appliquer à des cas autres
que des cas d'entrave réelle et ne devrait pas
couvrir de simples menaces d'entrave. Même si
une menace était considérée comme un délit, le
redressement approprié serait une injonction. À
son avis, un tribunal anglais examinerait encore la
légalité de l'acte faisant l'objet des menaces à
l'endroit où il était sur le point d'être exécuté. En
l'espèce, selon lui, la légalité de la menace devrait
être examinée à la lumière de la loi du Panama,
c'est-à-dire l'endroit où la saisie aurait eu lieu. Il
n'a pas formulé d'opinion et, bien entendu, il
n'avait pas le droit de le faire, sur le droit du
Panama à l'égard d'un délit possible d'entrave par
les créanciers hypothécaires à l'exécution de con-
trats concernant l'utilisation de navires grevés
d'une hypothèque.
Il est bien évident que la situation en l'espèce
n'est pas tout à fait identique à celle de l'arrêt The
Myrto. Dans cette affaire-là, il y avait une saisie
en Angleterre et le redressement en question était
une mainlevée de la saisie du navire. On m'a
présenté des opinions contradictoires de spécialis-
tes au sujet de la question de savoir si un tribunal
anglais appliquerait ou non les principes de l'arrêt
The Myrto dans un cas semblable à celui dont je
suis saisi. Comme il n'y a pas d'entente à ce sujet
et que le droit étranger est, en dernier ressort, une
question de fait qu'il appartient au juge de pre-
mière instance de trancher, je dois tirer mes pro-
pres conclusions au sujet du droit pertinent de
l'Angleterre. Je ne puis le faire qu'au moyen d'une
déduction tirée des principes énoncés dans l'arrêt
The Myrto. Pour les motifs que j'ai exprimés plus
haut à l'égard de la détermination du droit cana-
dien sur le sujet, il me semble qu'il faut, en toute
logique, appliquer les principes énoncés dans l'ar-
rêt The Myrto dans un cas semblable au présent
litige. Si, dans les circonstances, le créancier hypo-
thécaire est empêché, lors de l'exercice de ses
droits, d'entraver l'exécution d'un contrat relatif à
l'utilisation d'un navire au moyen de la saisie de
celui-ci, il s'ensuit logiquement que le créancier
doit être tenu responsable s'il atteint le même
résultat par une menace de saisie, lorsqu'il a le
moyen de mettre cette menace à exécution. Autre-
ment, dans un cas comme le présent litige, il serait
relativement simple et peu risqué pour le créancier
hypothécaire d'interrompre un voyage en brandis-
sant une menace de saisie et de forcer les affré-
teurs à conclure toutes sortes d'engagements pour
obtenir les avantages d'un contrat légal qu'ils ont
préalablement conclu avec le propriétaire. Je ne
crois pas que cette possibilité corresponde au droit
en vigueur en Angleterre ou au Canada.
Me Rokison et l'avocat de la Banque ont égale-
ment cherché à obtenir des dommages-intérêts en
invoquant l'alinéa (6)c) des principes précités de
l'arrêt The Myrto. Encore là, d'après les termes
utilisés dans ce jugement, sans tenir compte des
témoignages contradictoires des experts, je ne puis
exclure les dommages-intérêts comme redresse-
ment. Selon le paragraphe (5) de ces principes,
lorsque le créancier hypothécaire commet une
entrave dans les circonstances décrites dans ce
paragraphe, il se rend coupable d'un «délit (ou
d'une faute de la nature d'un délit ouvrant droit à
une poursuite) contre le tiers». Au paragraphe (6),
il est dit que les recours dont le tiers dispose à
l'égard de ce délit sont les suivants:
(a) lorsque le créancier hypothécaire commet une entrave en
prenant possession du navire ou en cherchant à le vendre, une
injonction lui interdisant de le faire;
(b) lorsque le créancier hypothécaire commet une entrave en
saisissant le navire dans une action hypothécaire in rem, une
ordonnance de mainlevée de la saisie du navire;
(c) en plus des recours prévus aux alinéas (a) ou (b) qui
précèdent ou subsidiairement à ceux-ci, des dommages-intérêts.
L'avocat de la Banque a fait valoir que, à moins
que le créancier hypothécaire n'ait commis l'en-
trave par l'un des moyens mentionnés aux alinéas
(a) ou (b), c'est-à-dire en prenant possession du
navire ou en cherchant à le vendre ou à le saisir,
les dommages-intérêts mentionnés à l'alinéa (c) ne
constituent pas un redressement disponible. Je ne
puis lire ce paragraphe de cette façon. Il me
semble que, d'après le sens littéral, une fois qu'un
délit a été établi, le tiers a droit à des dommages-
intérêts ou, si l'un des moyens d'entrave mention-
nés aux alinéas (a) ou (b) a été utilisé, le tiers a
droit aux redressements précis mentionnés dans
ces sous-alinéas, que ce soit en plus des dommages-
intérêts ou au lieu de ceux-ci.
Bref, le délit en question est celui de l'entrave
qui peut être commise par la prise de possession
réelle ou la saisie du navire ou par des menaces en
vue de faire la même chose. Lorsqu'un préjudice
découle de ces menaces, le délit est commis et des
dommages-intérêts peuvent être obtenus. Il serait
étrange que les redressements disponibles à l'égard
d'un délit se limitent à l'injonction ou à la mainle-
vée de la saisie d'un navire saisi de façon illicite.
L'injonction constitue l'exception, et non la règle,
dans les redressements relatifs à des délits.
En outre, lorsque j'applique les règles sur le
choix du droit qui sont énoncées dans l'arrêt Phil-
lips v. Eyre', je ne vois pas la nécessité, pour
déclarer qu'il y a responsabilité, d'être convaincu
que les affréteurs auraient pu obtenir des domma-
ges-intérêts s'ils avaient intenté leur action en
Angleterre. La seule conclusion que je dois tirer
pour pouvoir accueillir l'action délictuelle au
Canada, c'est que les menaces en question
n'étaient pas justifiées selon le droit anglais. Je
suis convaincu que le droit canadien lui-même
devrait permettre l'octroi de dommages-intérêts
dans un cas de cette nature.
Je suis donc convaincu qu'un délit a été commis
en Angleterre, que ce délit ouvrait droit à une
poursuite selon le droit canadien et le droit anglais
et que la Banque est responsable du préjudice
causé aux affréteurs à la suite de l'interruption de
l'exécution de la charte-partie et des connaisse-
ments, laquelle interruption a débuté le
6 mars 1987.
Bien entendu, cette conclusion ne justifie aucu-
nement le comportement du propriétaire du navire
Alexandros, qui a agi de façon injuste et impru-
dente et, dans bien des cas, sans tenir compte de
ses obligations contractuelles envers la Banque et
les affréteurs. Toutefois, la Banque a également
agi de façon erratique, par exemple, en omettant
de faire quoi que ce soit pour faire valoir sa
garantie avant que le propriétaire du navire
Alexandros n'ait finalement obtenu un contrat
d'affrètement et commencé à remplir ses obliga
tions découlant de ce contrat et, par la suite, en
empêchant le propriétaire du navire de gagner de
l'argent à l'aide de ce contrat d'affrètement sans
pour autant accroître sa garantie à elle. Finale-
ment, elle a refusé de permettre au navire de
franchir le canal de Panama, parce qu'elle crai-
gnait que les affréteurs n'intentent contre elle une
9 Voir plus haut, la note 1.
action semblable au présent litige. Le fait qu'elle a
insisté sur une clause de renonciation ayant pour
effet d'interdire une action de cette nature n'a rien
à voir avec la protection de sa garantie. En outre,
la Banque a mis beaucoup de temps à prendre des
décisions ou à donner des directives. Elle n'a pas
répondu aux messages que les affréteurs lui ont
fait parvenir par télex, soit un en date du 11 mars
et deux en date du 13 mars. En raison d'une grève,
elle est demeurée pour ainsi dire incommunicado
pendant plus d'une semaine, à un moment très
critique des négociations à la fin de mars. Elle a
donc causé un préjudice important aux affréteurs
sans atteindre des objectifs légitimes.
Décision
Un jugement sera donc rendu en faveur des
affréteurs, Pan American et Euro -Lines, à l'égard
des dommages qu'ils ont subis à la suite de la
violation des chartes-parties et, dans le cas de la
société Euro -Lines, à la suite de la violation de ses
contrats de connaissement. Suivant une entente
entre les parties, il y aura un renvoi pour détermi-
ner le montant des dommages-intérêts. Les dépens
sont adjugés à Pan American et Euro -Lines, à qui
je demande, par les présentes, de préparer un
jugement officiel et de chercher à obtenir le con-
sentement de la Banque. Si le consentement est
obtenu, une demande d'inscription du jugement
officiel pourra être faite suivant la Règle 324
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663].
Toutefois, si d'autres problèmes surviennent, il
sera peut-être nécessaire que la question soit
entendue.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.