A-827-90
Commission nationale des libérations condition-
nelles (appelante) (intimée)
c.
Brian Gough (intimé) (requérant)
RÉPERTORIÉ: GOUGH c. CANADA (COMMISSION NATIONALE
DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES) (C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et Desjar-
dins, J.C.A. Ottawa, 19 et 29 octobre 1990.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — Le
juge de première instance a statué que la non-divulgation des
détails sur les plaintes qui avaient donné lieu à la révocation
de la libération conditionnelle violait les droits constitution-
nels du libéré conditionnel — S'appuyant sur l'art. 24(1) de la
Charte, il a ordonné à la Commission des libérations condi-
tionnelles de produire des éléments de preuve pour justifier
cette violation — Appel accueilli — Le juge de première
instance a mal interprété la responsabilité de la Cour — 1l
incombe à la Commission de révoquer la libération condition-
nelle et de justifier cette décision dans le contexte des droits
constitutionnels du libéré conditionnel — Il appartient à la
Cour de faire respecter les droits constitutionnels du libéré
conditionnel si la décision, lorsqu'il y a contestation, n'est pas
justifiée — Comme l'ordonnance rendue par le juge de pre-
mière instance n'est pas une réparation pour la partie lésée,
cette réparation n'est pas autorisée par l'art. 24(1) de la
Charte — L'affaire est renvoyée au juge de première instance
pour que l'audience soit reprise.
Libération conditionnelle — Le juge de première instance a
statué que la non-divulgation des détails sur les plaintes qui
avaient donné lieu à la révocation de la libération condition-
nelle violait des droits constitutionnels — Il a ordonné à la
Commission nationale des libérations conditionnelles de pro-
duire des renseignements confidentiels pour justifier la non-
divulgation Cette ordonnance a mal interprété les rôles de
la Commission et de la Cour — Il incombe à la Commission
de suspendre la liberté du libéré conditionnel et de justifier
cette décision — En vertu de l'art. 24(1) de la Charte, la Cour
doit accorder des réparations à la partie lésée — La demande
est renvoyée au juge de première instance pour la reprise de
l'audience.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice Il, no 44], art. 1, 7, 24(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
52b)(iii).
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus,
C.R.C., chap. 1249, art. 17(5)a) (mod. par DORS/86-
817, art. 4),e) (mod. idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Gough c. Canada (Commission nationale des libérations
conditionnelles), [1991] 1 C.F. 160 (1" inst.).
AVOCATS:
Geoffrey Lester pour l'appelante (intimée).
Elizabeth Thomas pour l'intimé (requérant).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (intimée).
David P. Cole, Toronto, pour l'intimé
(requérant).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Appel est interjeté
d'une ordonnance de la Section de première ins
tance [[1991] 1 C.F. 160] qui, à l'occasion d'une
requête en brefs de certiorari, de mandamus et de
prohibition, a ordonné que les renseignements con-
fidentiels examinés par l'appelante, ci-après appe-
lée «la Commission», à une audience qui a annulé
la libération conditionnelle de l'intimé, soient pro-
duits et divulgués à l'avocate de l'intimé et fassent
l'objet d'une audience à huis clos «afin de permet-
tre à l'intimée de présenter des éléments de preuve
ou des arguments précis indiquant pourquoi la
non-divulgation des renseignements en question est
justifiée». Voici les faits pertinents exposés dans les
motifs oraux du juge de première instance [aux
pages 162 et 163]:
Dans une décision en date du 21 juin 1990, la Commission
des libérations conditionnelles a annulé la libération condition-
nelle du requérant, qui était en vigueur depuis cinq ans et demi.
Le requérant avait obtenu sa libération conditionnelle en 1984,
après avoir purgé onze années d'une peine d'emprisonnement à
vie qui lui a été imposée lorsqu'il a été reconnu coupable de
meurtre non qualifié en 1973.
La libération conditionnelle a été suspendue à la suite de
plaintes formulées auprès du Bureau du Service correctionnel
les 2 et 3 mai 1990. A la suite de ces plaintes et d'une enquête
s'y rapportant, un mandat d'arrestation a été délivré à l'endroit
du requérant et exécuté le 11 mai 1990. Au moment de son
arrestation, le requérant avait établi un bon dossier de travail; il
avait une relation stable avec son amie, il était sur le point
d'obtenir son diplôme du collège communautaire et un emploi à
temps plein lui avait été offert.
D'après les plaintes qui ont donné lieu à l'audience sur la
suspension de la libération conditionnelle, M. Gough aurait
commis des actes d'utilisation de drogues illégales, d'agression
sexuelle et de contrainte à l'endroit d'un certain nombre d'adul-
tes de sexe féminin.
Il ressort essentiellement de la preuve que l'intimé
avait été un libéré conditionnel exemplaire pen
dant ses cinq années et demie de liberté surveillée,
et qu'aucune accusation n'avait été portée ni pro
posée à l'égard des incidents allégués.
Le juge de première instance a décidé que tant
les principes de justice naturelle reconnus en
common law, selon lesquels une personne doit
savoir ce qu'on lui reproche, que les droits garantis
à l'intimé par l'article 7 de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]]' n'avaient
pas été respectés. Cette décision n'est pas contestée
aux fins du présent appel. Elle a également cons-
taté que les alinéas 17(5)a) et e) du Règlement sur
la libération conditionnelle de détenus [C.R.C.,
chap. 1249 (mod. par DORS/86-817, art. 4)] 2 ,
invoqués par la Commission, ne prévoyaient pas
une justification fondée sur l'article premier pour
le refus des droits prévus à l'article 7.
Le juge de première instance a jugé inutile de
déterminer si les renseignements confidentiels fai-
saient partie du dossier, disant ceci [à la
page 169]:
Le dépôt auprès de la Cour des rapports confidentiels n'est pas
pertinent à la question de savoir si les principes de justice
fondamentale et, par conséquent, l'article 7, ont été violés. Les
documents sont pertinents à l'examen indépendant de l'alléga-
' 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
z 17....
(5) La Commission n'est pas tenue de communiquer tout
renseignement prévu au paragraphe (I) dont la divulgation, de
l'avis de la Commission, nuirait à l'intérêt public et, entre
autres, les renseignements dont la divulgation
(a) risquerait vraisemblablement de mettre en danger la
sécurité d'une personne:
(e) risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement
d'enquêtes licites ou d'examens faits en vertu de la Loi ou du
présent règlement, notamment des renseignements qui per-
mettraient de remonter à une source de renseignements
obtenus de façon confidentielle.
tion fondée sur le paragraphe 17(5) et de la question de savoir
si l'intimée peut démontrer une justification fondée sur
l'article I.
L'intimé a expressément refusé de prétendre que
les documents confidentiels font partie du dossier.
Cette concession fait qu'il est inutile pour la Cour
de trancher la question.
En concluant ses motifs, le juge de première
instance s'est prononcé en ces termes [à la
page 170] :
Dans les circonstances, j'estime que la réparation juste et
appropriée est celle que Mc Cole [avocat du requérant] propose,
soit une audience à huis clos au cours de laquelle la Commis
sion nationale des libérations conditionnelles aura la possibilité
d'établir avec plus de précision les motifs qu'elle a invoqués
pour refuser de révéler les renseignements en question. De cette
façon, les intérêts du requérant pourront être protégés et
celui-ci aura une certaine assurance du fait que la décision de la
Commission n'est pas arbitraire. Cette façon de procéder per-
mettra également de protéger les intérêts de la Commission, qui
ne veut pas être tenue de divulguer des renseignements qui,
selon elle, pourraient mettre en danger la sécurité des personnes
ou entraver le déroulement des enquêtes (si l'allégation selon
laquelle la divulgation entraînerait raisonnablement ces consé-
quences est établie). Si la Commission préfère plutôt que je
rende une ordonnance ayant pour effet d'annuler sa décision et
de lui enjoindre de tenir une nouvelle audience à la condition
que d'autres renseignements soient fournis au requérant, je suis
prête à le faire.
La Commission a, semble-t-il, ou bien mal compris
l'option offerte par le juge de première instance ou
bien, à la réflexion, a réexaminé la sagesse de son
choix. Qu'il en soit peut-être ainsi, la Commission
prétend devant la Cour que, bien qu'elle soit dispo
sée à mettre les renseignements à la disposition de
l'avocat en cause, elle ne pourrait s'accommoder
de l'ordonnance en tant que précédent.
En rendant l'ordonnance, le juge de première
instance s'est fondé sur le paragraphe 24(1) de la
Charte', et la Commission demande maintenant
dans l'intérêt de qui est rendue une ordonnance lui
enjoignant de démontrer une justification fondée
sur l'article premier de la manière dont elle ne
désire pas le faire. Ni l'une ni l'autre partie ne met
en doute le fait que le juge de première instance
avait le pouvoir discrétionnaire d'ajourner l'au-
3 24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
dience pour permettre à la Commission d'ajouter à
la preuve afin d'étayer sa justification fondée sur
l'article premier, mais la Commission prétend que
le juge ne peut la contraindre, contre son gré, à
produire des éléments de preuve particuliers à
l'appui de cette justification. Elle fait valoir que la
fonction de la Cour consiste à décider si une
justification fondée sur l'article premier a été éta-
blie, et non à forcer une partie à produire la preuve
qui, selon la Cour, est peut-être nécessaire en vue
de cette justification.
Je comprends le point de vue du juge de pre-
mière instance qui ne désire prendre la responsabi-
lité de remettre en liberté un libéré conditionnel
lorsqu'elle sait qu'il y a peut-être une raison, non
divulguée, pour laquelle il ne serait pas prudent de
le faire. Elle a fait cette remarque [à la page 170]:
«L'annulation d'une ordonnance de la Commission
nationale des libérations conditionnelles dans une
situation semblable à celle qui prévaut en l'espèce
n'est pas une mesure qui doit être prise à la
légère.» Toutefois, il s'agit là d'une mauvaise inter-
prétation de la responsabilité de la Cour. Il
incombe à la Commission des libérations condi-
tionnelles de suspendre la liberté du libéré condi-
tionnel et de justifier cette décision dans le cadre
des droits constitutionnels du libéré conditionnel.
Si elle ne justifie pas cette décision, lorsqu'il y a
contestation, il appartient à la Cour de faire res-
pecter les droits constitutionnels du libéré condi-
tionnel.
À mon humble avis, la Commission a raison.
Une ordonnance enjoignant à la partie qui a été
déclarée coupable d'avoir violé les droits constitu-
tionnels d'une autre partie de produire des élé-
ments de preuve qui peuvent établir que la viola
tion était justifiée ne saurait, même si,
raisonnablement, on force le langage ou on fait un
effort d'imagination, être considérée comme une
réparation convenable et juste eu égard aux cir-
constances, accordée à la partie lésée. Il appartient
à la partie qui doit justifier la violation, et non à la
Cour, de déterminer l'élément de preuve qu'elle est
disposée à produire en vue de la justification.
Puisque l'ordonnance rendue n'est pas une répara-
tion pour la partie dont les droits constitutionnels
ont été violés, il ne s'agit pas d'une réparation visée
au paragraphe 24(1) de la Charte, et le juge de
première instance n'avait pas compétence pour la
rendre.
J'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance
que la Section de première instance a rendue le 4
octobre 1990, et, en vertu du sous-alinéa 52b)(iii)
de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985),
chap. F-7], l'affaire est renvoyée au juge de pre-
mière instance pour que l'audience soit reprise. À
la reprise, le juge de première instance ne sera
évidemment pas tenu de renouveler ou de conti-
nuer les options qu'elle a offertes, ni de concevoir
de nouvelles options. C'est à elle de décider. Puis-
que le présent appel n'aurait pas été nécessaire si
la Commission ne s'était pas méprise sur l'option
que le juge de première instance lui avait offerte,
et puisqu'il s'agit d'une action type, j'adjugerai à
l'intimé ses dépens de l'appel.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris aux
présents motifs.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris aux
présents motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.