A-407-86
Syntex Pharmaceuticals International Limited
(appelante)
c.
Medichem Inc. (intimée)
RÉPERTORIÉ: SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL
LTD. C. MEDICHEM INC. (CA.)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et MacGuigan,
J.C.A.—Toronto, 1, 2 et 3 novembre 1989;
Ottawa, 15 janvier 1990.
Brevets — Octroi d'une licence obligatoire relativement à
des médicaments — La compétence du commissaire des bre-
vets pour entendre la demande ne peut être contestée au motif
que l'art. 39(4) et (5) de la Loi sur les brevets et les Règles sur
les brevets privent le breveté d'une audition impartiale — Le
défaut de signification au breveté des contre-mémoires déposés
dans les demandes simultanées constitue un déni de justice
naturelle — L'étroitesse des liens entre les sociétés et l'omis-
sion de remplir les obligations de la licence constituent de
«bonnes raisons» au sens de l'art. 39(4) de rejeter la licence —
La preuve est insuffisante pour justifier l'octroi de la
redevance.
H s'agit d'un appel interjeté contre la décision par laquelle un
agent de projet accordait une licence obligatoire à l'intimée
Medichem à l'égard des médicaments «naproxen» et «naproxen
sodique» en vertu de brevets appartenant à l'appelante, Syntex.
L'intimée a aussi déposé simultanément des demandes de
licence à l'égard de médicaments fabriqués par six autres
brevetés. Conformément -aux directives du commissaire des
brevets données en application des Règles sur les brevets la
demande de licence obligatoire de l'intimée a été signifiée à
l'appelante. Toutefois, l'intimée n'a signifié aucune des deman-
des simultanées ni les contre-mémoires des brevetés qui les
appuyaient.
L'appel soulève les questions suivantes: (1) l'agent de projet
avait-il compétence pour agir et les procédures se sont-elles
déroulées contrairement aux règles de justice naturelle; (2)
existait-il de «bonnes raisons» au sens du paragraphe 39(4) de
la Loi pour refuser la licence; (3) existait-il des éléments de
preuve suffisants pour justifier une redevance au taux de 4/7 de
1 % du prix de vente net du médicament.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli, la licence annulée et
l'affaire renvoyée au commissaire des brevets.
(1) L'argument selon lequel le commissaire des brevets ou la
personne qu'il désigne est sans compétence pour entendre les
demandes de licence obligatoire au motif que, rédigés comme
ils le sont, les paragraphes 39(4) et (5) de la Loi sur les brevets
et les Règles sur les brevets priveraient l'appelante de son droit
à une audition impartiale, est sans fondement. Les distinctions
factuelles ne soustraient en rien cette Cour à l'autorité de
l'arrêt American Home Products Corporation c. Commissaire
des brevets et autre dans lequel on a statué que ni le paragra-
phe 41(4) (maintenant le paragraphe 39(4)) ni les règles
d'application du paragraphe 41(14) (maintenant le paragraphe
39(15)) ne violent l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits (droit à une audition impartiale).
Il reste cependant la question de savoir s'il y a eu déni de
justice naturelle étant donné que les Règles, prises littérale-
ment, ne prévoient pas la signification des demandes simulta-
nées ni des contre-mémoires qui les appuient. Le défaut de
signification à l'appelante des contre-mémoires des autres bre-
vetés équivalait à un déni de justice naturelle. Une audition
impartiale exigeait que l'appelante soit mise au courant des
prétentions avancées dans les contre-mémoires des brevetés et
qu'elle ait la possibilité d'y répondre puisque ces prétentions
pouvaient avoir eu une incidence sur la redevance accordée. En
outre, le défaut de fournir à l'appelante les contre-mémoires l'a
privée des connaissances qui lui auraient permis de répondre à
la question de savoir s'il y avait lieu d'accorder une licence.
(2) L'appelante a soutenu que l'intimée était l'alter ego
d'Apotex Inc., la vraie demanderesse de licence, que l'intention
véritable sous-tendant la demande de licence était de protéger
son alter ego et de réduire ses paiements de redevance à des
montants ridiculement bas, et que ces faits constituaient «de
bonnes raisons» de refuser la licence.
En déterminant si les faits fournissent «de bonnes raisons»
d'accorder ou de refuser une licence, l'agent de projet doit
appliquer les principes appropriés. Sa conclusion que les argu
ments fondés sur la conduite d'Apotex n'étaient pas pertinents
parce que celle-ci constituait «une société séparée, juridique-
ment distincte» de l'intimée, était entachée d'une erreur de droit
étant donné les circonstances alléguées par l'appelante comme
démontrant le but véritable de la constitution en société et de la
demande de licence de l'intimée. Les liens étroits entre deux
personnes morales concernent l'intérêt public voulant que l'on
encourage la concurrence pour que les médicaments soient
accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant
au breveté une juste rémunération pour les recherches qui ont
conduit à l'invention. L'agent de projet a commis une erreur en
ne faisant pas de cas de ces liens et du défaut apparemment non
contesté d'Apotex de remplir les obligations que lui imposait sa
licence envers l'appelante et les autre brevetés. De plus, l'exis-
tence de personnes morales distinctes ne suffit pas, par elle-
même, à empêcher un tribunal de soulever le «voile corporatif»
lorsqu'il est allégué qu'une société a été constituée dans le but
de cacher des faits pertinents à la décision qui doit être prise au
sujet de l'opportunité d'accorder une licence.
(3) Les principes suivants sont applicables à la fixation du
montant d'une redevance: le commissaire des brevets doit déte-
nir des éléments de preuve lui permettant de fixer le taux de la
redevance compte tenu des exigences du paragraphe 39(5) de la
Loi; il incombe au breveté et au demandeur de brevet de
fournir au commissaire les éléments de preuve nécessaires à
l'exécution de son mandat; le demandeur doit convaincre le
commissaire qu'il est raisonnablement possible que la ou les
licences additionnelles sollicitées soient nécessaires et soient
utilisées; et, finalement, lorsque les éléments de preuve sur le
procédé qui sera véritablement utilisé sont insuffisants ou
inexistants, il est douteux que la simple division en portions
égales d'une redevance globale constitue invariablement la
bonne façon pour le commissaire d'exercer l'obligation que lui
impose la Loi.
Ces principes n'ont pas été respectés en l'espèce. L'intimée
n'a pas fourni des éléments de preuve suffisants et elle n'a pas
indiqué pourquoi elle avait besoin des six autres licences. En
outre, l'appelante ne s'est pas acquittée de l'obligation de
produire la preuve requise.
Le fait que la redevance puisse être incompatible avec les
motifs de l'agent de projet ne saurait justifier l'annulation de la
licence. La prépondérance doit être accordée aux conditions de
la licence et non aux motifs à l'appui de l'octroi de la licence et
de l'adjudication de la redevance. L'agent de projet n'a pas
commis d'erreur en rejetant le témoignage d'expert voulant que
les deux substances en cause soient différentes. Il n'a pas non
plus commis d'erreur dans l'utilisation qu'il a faite de l'ouvrage
The Merck Index ou du Compendium des produits et spéciali-
tés pharmaceutiques 1985 pour en arriver à la conclusion que
les substances étaient les mêmes ou sensiblement les mêmes.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985),
Appendice III, art. 2e).
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, art.
39(4),(5),(15).
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art.
41(4),(5),(14).
Règles sur les brevets, C.R.C., chap. 1250, art. 118, 119,
120, 121, 122.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
American Home Products Corporation c. Commissaire
des brevets et autre (1983), 71 C.P.R. (2d) 9 (C.A.F.).
DÉCISION APPLIQUÉE:
Nedco Ltd. v. Clark et al. (1973), 43 D.L.R. (3d) 714;
[1973] 6 W.W.R. 425 (C.A. Sask.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Magnasonic Canada Ltd. c. Le Tribunal antidumping,
[1972] C.F. 1239; (1972), 30 D.L.R. (3d) 118 (C.A.); Re
Smith, Kline & French Laboratories Ltd. et Frank W.
Horner Ltd. (1983), 6 D.L.R. (4th) 229; 1 C.I.P.R. 183;
52 N.R. 294 (C.A.F.); Rainham Chemical Works v.
Belvedere Fish Guano Co., [1921] 2 A.C. 465 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
American Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd. (n° 1)
(1985), 7 C.I.P.R. 174; 5 C.P.R. (3d) 1; 61 N.R. 141
(C.A.F.); Syntex Pharmaceuticals Int. Ltd. c. Comm. des
brevets (1986), 8 C.I.P.R. 18; 9 C.P.R. (3d) 249; 3
F.T.R. 60 (C.F. Ire inst.); conf. par A-245-86, juges Urie,
Marceau et MacGuigan, J.C.A., 15-1-90, encore inédite;
Tunstall c. Steigmann, [1962] 2 Q.B. 593 (C.A.); Sche-
rico Ltd. c. P.V.U. Inc. (1989), 24 C.I.P.R. 161 (C.A.F.);
American Home Products Corp. c. I.C.N. Canada Ltd.
(no 2) (1988), 18 C.I.P.R. 104; 19 C.P.R. (3d) 257
(C.A.F.); American Home Products Corp. c. Novopharm
Ltd. (1988), 18 C.I.P.R. 128; 19 C.P.R. (3d) 279
(C.A.F.); Takeda Chemical Industries Ltd. c. Novo-
pharm Ltd. (1988), 19 C.P.R. (3d) 278 (C.A.F.); Affaire
intéressant une demande de licence obligatoire déposée
par Novopharm Ltd. (1988), 18 C.1.P.R. 121; 19 C.P.R.
(3d) 274 (C.A.F.); Otsuka Pharmaceutical Co. c. Torcan
Chemical Ltd. (1988), 20 C.1.P.R. 138; 20 C.P.R. (3d)
35 (C.A.F.); Affaire intéressant une demande de licence
obligatoire déposée par Apotex Inc. (1987), 17 C.I.P.R.
51; 17 C.P.R. (3d) 449 (C.A.F.).
AVOCATS:
Conor McCourt pour l'appelante.
Malcolm S. Johnston, c.r., pour l'intimée.
Michael F. Ciavaglia pour le procureur géné-
ral du Canada.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour
l'appelante.
Malcolm Johnston & Associates, Toronto,
pour l'intimée.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE, J.C.A.: Le présent appel, le
premier de deux appels plaidés consécutivement
devant notre Cour, conteste une décision rendue le
6 juin 1986 par P. J. Davies—décrit comme un
agent de projet—qui a accordé une licence obliga-
toire à l'intimée relativement aux médicaments
connus sous les noms de «naproxen» et de
«naproxen sodique» en vertu de dix-neuf brevets
canadiens appartenant à l'appelante. Le pouvoir de
l'agent de projet de rendre la décision portée en
appel n'a été contesté par ni l'une ni l'autre des
parties. Le procureur général du Canada a com-
paru par l'intermédiaire de son avocat et a été
entendu à titre d'intervenant dans le cadre du
présent appel.
Dans sa demande de licence, datée du 15 octo-
bre 1984, l'intimée a notamment déclaré':
[TRADUCTION] Simultanément, la demanderesse a déposé une
demande de licence à l'égard de brevets appartenant à The
Boots Company, P.L.C., Montedison S.p.A., Prodotti Chimici
Sabbatini S.R.L., Alfa Farmaceutici, The Upjohn Company et
Blaschim S.p.A.
Deux des brevetés ainsi nommés—Alfa Farma-
ceutici et Blaschim S.p.A.—ont également été
' Dossier d'appel, vol. 4, à la p. 608.
mentionnés par l'intimée comme des fabricants et
des fournisseurs de naproxen et de naproxen sodi-
que dont la demanderesse entendait obtenir son
naproxen et son naproxen sodique.
Conformément aux directives en date du 3
décembre 1984 que le commissaire des brevets a
prononcées conformément à l'alinéa 120(1)b) des
Règles sur les brevets [C.R.C., chap. 1250], la
licence obligatoire de l'intimée a été signifiée le 12
décembre 1984 au représentant pour fins de signi
fication de l'appelante. Aucune des six autres
demandes simultanées n'a été ainsi signifiée.
Ayant obtenu une prorogation de trois mois du
délai fixé à la Règle 121 pour la signification d'un
contre-mémoire (les deux mois qui suivent la signi
fication de la demande), l'appelante a signifié, le
10 mai 1985, son contre-mémoire, qu'appuyaient
quatre affidavits, au représentant pour fins de
signification de l'intimée. Ce contre-mémoire, ces
quatre affidavits et la preuve de leur signification
ont été dûment déposés par l'appelante le 13 mai
1985.
Même si les Règles sur les brevets lui permet-
taient de le faire, l'intimée n'a ni signifié, ni déposé
de réponse concernant le contre-mémoire ou l'un
des affidavits qui l'appuyaient.
Le 10 mars 1986, le commissaire a avisé l'appe-
lante que l'intimée avait demandé une licence pro-
visoire et que l'appelante avait vingt et un jours
pour faire valoir les prétentions qu'elle pourrait
entretenir à cet égard. Se prévalant de cette oppor-
tunité, l'appelante a présenté des observations écri-
tes le 3 avril 1986. Elle y réitérait les objections
qu'elle avait soulevées dans son contre-mémoire.
Elle présentait également au commissaire une
copie de la déclaration qu'elle avait déposée dans
une action en recouvrement de redevances intentée
contre Apotex Inc. relativement à la licence obli-
gatoire numéro 558, de même qu'une copie de la
décision prononcée par cette Cour dans l'affaire
American Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd.
[no 1] 2 .
Le 24 mars 1986, l'appelante a sollicité un bref
de prohibition auprès de la Section de première
instance conformément à l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap.
2 (1985), 7 C.I.P.R. 174 (C.A.F.).
10]. Ce bref aurait interdit au commissaire d'exa-
miner plus avant ou de juger tout aspect de la
demande de licence de l'intimée au motif que le
commissaire ne possédait pas la compétence voulue
pour poser de tels actes. Le 8 avril 1986, dans une
décision motivée [Syntex Pharmaceuticals Int.
Ltd. c. Comm. des brevets (1986), 8 C.I.P.R. 18
(C.F. ire inst.)], le juge Teitelbaum a rejeté cette
demande. Cette ordonnance fait l'objet du second
appel que nous avons mentionné [appel rejeté,
A-245-86, juges Urie, Marceau et MacGuigan,
J.C.A., 15-1-90, encore inédit].
Le 6 juin 1986, un agent de projet à qui le
commissaire avait apparemment délégué son pou-
voir de statuer sur la demande de l'intimée, M.
Davies, a accordé à l'intimée la licence numéro
754, qui accueillait sa demande et fixait la rede-
vance au taux de 4/7 de 1 % qu'elle avait proposé.
C'est à l'encontre de cette dernière décision qu'a
été formé l'appel en l'espèce.
Dans l'argumentation qui accompagne son
appel, l'avocat de l'appelante a fait valoir cinq
motifs, dont je traiterai de façon consécutive.
I LES PROCÉDURES SE SONT DÉROULÉES CON-
TRAIREMENT AUX RÈGLES DE LA JUSTICE
NATURELLE ET SONT NULLES EN RAISON
D'UNE ABSENCE DE COMPÉTENCE
Les arguments formulés à ce chapitre à l'encon-
tre de la décision attaquée étaient fondés sur trois
prétentions qui sont assez reliées entre elles:
(a) les six demandes simultanées de licences
visant des médicaments produits par six autres
brevetés n'ont pas été signifiées à l'appelante,
présumément parce que les Règles sur les bre-
vets n'exigent pas expressément leur significa
tion;
(b) en conséquence, l'appelante n'a pas eu la
possibilité d'intervenir et de présenter ses obser
vations dans les instances relatives aux six autres
demandes, même si de telles observations pour-
raient être très pertinentes aux décisions à
rendre dans chacune des sept demandes en ques
tion, présumément, encore une fois, parce que
les Règles n'exigent pas ou ne permettent pas
expressément une telle intervention;
(c) le défaut d'exiger la signification de tout
contre-mémoire dans les demandes associées l'a
privée de la possibilité de présenter une réponse
ou des observations concernant des allégations
des contre-mémoires associés qui auraient pu
être opposées aux intérêts ou aux droits de
l'appelante.
Au paragraphe 44 de son exposé des points
d'argument, l'appelante formule la prétention
suivante:
[TRADUCTION] ... il est évident que le paragraphe 41(4) de la
Loi sur les brevets et les dispositions qui lui sont accessoires ont
été interprétés ou appliqués de façon à priver l'appelante du
droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes
de la justice fondamentale, pour la définition de ses droits,
contrairement à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits; en conséquence, l'agent de projet a commis une erreur
en n'annulant pas les procédures.
Au lieu d'annuler les procédures, l'agent se
serait en fait appuyé sur des prétentions présentées
dans des contre-mémoires de tierces parties aux-
quels l'appelante n'avait pas le droit de répondre,
soit en ce qui concerne l'octroi de la licence, soit
dans la fixation des dispositions et des conditions
régissant la licence.
À mon sens, l'argument selon lequel les paragra-
phes 41(4) et (5) [Loi sur les brevets, S.R.C.
1970, chap. P-4] (à présent les paragraphes 39(4)
et (5) 3 ) et les Règles sur les brevets enfreignent
3 L.R.C. (1985), chap. P-4.
39... .
(4) Si, dans le cas d'un brevet portant sur une invention
destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la produc
tion de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles
fins, une personne présente une demande pour obtenir une
licence en vue de faire l'une ou plusieurs des choses suivantes
comme le spécifie la demande:
a) lorsque l'invention consiste en un procédé, utiliser l'inven-
tion pour la préparation ou la production de médicaments,
importer tout médicament dans la préparation ou la produc
tion duquel l'invention a été utilisée ou vendre tout médica-
ment dans la préparation ou la production duquel l'invention
a été utilisée;
b) lorsque l'invention consiste en autre chose qu'un procédé,
importer, fabriquer, utiliser ou vendre l'invention pour des
médicaments ou pour la préparation ou la production de
médicaments,
le commissaire accorde au demandeur une licence pour faire les
choses spécifiées dans la demande à l'exception de celles pour
lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas
accorder une telle licence.
(5) En arrêtant les conditions de la licence et en fixant le
montant de la redevance ou autre considération à payer, le
commissaire tient compte de l'opportunité de rendre les médi-
caments accessibles au public au plus bas prix possible tout en
accordant au breveté une juste rémunération pour les recher-
ches qui ont conduit à l'invention et pour les autres facteurs qui
peuvent être prescrits.
l'alinéa 2e) 4 de la Déclaration canadienne des
droits [L.R.C. (1985), Appendice III] et devraient
être déclarés inopérants a été tranché par cette
Cour en 1983 dans l'arrêt American Home Pro
ducts Corporation c. Commissaire des brevets et
autres. Il est vrai que, dans cette affaire, l'argu-
ment suivant lequel le breveté avait été privé d'une
audition impartiale de sa cause selon les principes
de la justice fondamentale était soulevé face à la
prétention que les règles de procédure édictées en
vertu du paragraphe 41(14) (à présent le paragra-
phe 39(15) 6 ) n'assurent au breveté ni une audition
orale, ni la possibilité de contre-interroger le dépo-
sant dont l'affidavit justifie la demande, ni le droit
de parler le dernier pour s'opposer à la réponse que
les Règles accordent au demandeur. En l'espèce,
d'autre part, l'argumentation présentée, nous le
répétons, veut essentiellement que le commissaire
soit sans compétence en vertu de l'alinéa 2e) parce,
que dans les instances associées ayant trait à une
demande de licence, les Règles ne permettent ou
n'exigent ni la signification de la demande, ni celle
du contre-mémoire au breveté, ce qui prive celui-ci
du droit de répondre à toute allégation défavorable
ou de présenter des observations concernant les
questions touchant ses droits. Je suis d'avis que de
telles distinctions factuelles ne soustraient en rien
cette Cour à l'arrêt American Home Products en
ce qui concerne la question de l'alinéa 2e).
4 2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement
du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
5 (1983), 71 C.P.R. (2d) 9 (C.A.F.).
6 L.R.C. (1985), chap. P-4.
39... .
(15) Le gouverneur en conseil peut établir des règles ou
prendre des règlements:
a) en vue de toute mesure d'ordre réglementaire prévue par
le présent article;
b) concernant la procédure à suivre pour toute demande
présentée en conformité avec le paragraphe (3) - ou (4), et,
notamment, sur les renseignements que doit contenir une
telle demande, ainsi que la présentation des observations et la
(Suite à la page suivante)
Aux pages 10 et 11 du recueil, le juge en chef
Thurlow a dit au nom de la Cour:
Il convient de souligner qu'une demande fondée sur le par.
41(4) constitue une procédure administrative, qui confère au
commissaire le pouvoir de rendre une décision d'une manière
quasi judiciaire. Dans cette procédure, le breveté a droit à une
audition impartiale, mais il ne dispose pas, du point de vue de la
procédure, de la kyrielle de droits dont peut se prévaloir une
partie à une action civile intentée devant une cour de justice.
En vertu des règles, le breveté a la possibilité de soulever dans
un contre-mémoire tout ce qu'il peut souhaiter porter à la
connaissance du commissaire, comme par exemple les raisons
pour lesquelles on ne devrait pas accorder une licence. À mon
avis, cette mesure équivaut à une audition impartiale. Dans une
procédure de ce genre, l'équité n'exige pas nécessairement qu'il
y ait une audition orale une fois que les points litigieux ont été
exposés par écrit. Elle n'oblige pas qu'on accorde le droit de
contre-interroger les déposants sur leurs affidavits ou qu'on
donne au breveté la possibilité de répondre le dernier. À notre
avis, ni le par. 41(4) ni les règles d'application du par. 41(14)
ne violent l'al. 2e) de la Déclaration canadienne des droits; ils
ne privent pas non plus l'appelante d'une audition impartiale au
sens de cette loi. [C'est moi qui souligne.]
La dernière phrase de l'extrait qui précède est
claire, non ambiguë et non équivoque. A mon.sens,
elle voue à l'échec toute affirmation devant cette
Cour que le commissaire des brevets ou la per-
sonne qu'il désigne est sans compétence pour
entendre les demandes de licence obligatoire parce
que, rédigés comme ils le sont, les paragraphes
39(4) et (5) de la Loi sur les brevets et les Règles
sur les brevets violeraient l'alinéa 2e) de la Décla-
ration canadienne des droits.
Cela étant dit, la question suivante reste à tran-
cher: dans l'hypothèse où, appliquées littéralement,
les Règles valides pertinentes privent le breveté de
la protection accordée par les règles de la common
law sur la justice naturelle, en rendant le breveté
(Suite de la page précédente)
production de la preuve devant le commissaire au sujet d'une
telle demande;
c) concernant la forme et la manière selon lesquelles un
demandeur ou un breveté peut présenter des observations et,
produire la preuve devant le commissaire au sujet d'une
demande ou requête mentionnée au présent article;
d) concernant la manière dont une demande, une requête, un
avis ou autre document mentionnés au présent article ou
dans tout règlement pris en vertu du présent paragraphe
peuvent ou doivent être faits ou rédigés, signifiés, expédiés ou
donnés;
e) prévoyant la présentation au commissaire, pour le compte
du gouvernement du Canada, d'observations relatives à toute
demande ou requête mentionnée au paragraphe (14);
f) visant, d'une façon générale, l'application du présent
article.
incapable de répondre aux prétentions de parties
dont l'intérêt risque d'être opposé au sien, par le
fait que, textuellement, les Règles n'exigent pas la
signification des demandes simultanées de licences
qui ont été présentées à l'égard des six autres
brevets et n'exigent pas la signification des contre-
mémoires déposés dans ces demandes, une répara-
tion est-elle accessible au breveté, et, si oui, quelle
en est la nature?
Les parties pertinentes des Règles sur les bre-
vets sont les suivantes:
118. (1) Une demande doit être rédigée en double exem-
plaire selon la formule 21 de l'annexe I et elle doit
a) n'être présentée qu'à l'égard d'un brevet ou de plusieurs
brevets
(i) qui, d'après les dossiers du Bureau, sont au nom du
même breveté, et
(ii) qui concernent des inventions ayant trait ou pouvant
servir à la préparation ou à la production de la
même substance ou chose ou sensiblement la même;
et
b) spécifier, à l'égard de chaque brevet faisant l'objet de la
demande,
(i) la chose ou les choses, dont il est fait mention au
paragraphe 41(4) (L.R.C. (1985), par. 39(4)] de la
Loi, pour l'accomplissement desquelles le deman-
deur désire une licence, et
(ii) laquelle de ces choses, s'il y a lieu, spécifiées confor-
mément au sous-alinéa (i) à l'égard du brevet, sera
accomplie, en totalité ou en partie, pour le compte
du demandeur par une autre personne;
119. La demande doit être souscrite par le demandeur et être
appuyée d'une preuve sous forme d'affidavit quant aux faits
pertinents allégués dans la demande.
120. (1) Lorsqu'il reçoit une demande qui, à son avis, est
conforme de façon satisfaisante à l'article 118 et 119; le
commissaire doit étudier la demande aussitôt que possible et,
a) s'il a de bonnes raisons de n'accorder aucune licence au
demandeur, rejeter la demande et faire part de sa décision et
des raisons qui la motivent au demandeur, au breveté et au
ministère de la Santé nationale et du Bien-être social; ou
b) dans tout autre cas, charger le demandeur de signifier une
copie de la demande au breveté de la façon prescrite au
paragraphe (2) et de déposer chez le commissaire une preuve
d'une telle signification que celui-ci juge satisfaisante.
121. Le breveté peut, dans les deux mois qui suivent le jour
où signification de la demande lui a été faite ou au cours de
toute période supplémentaire n'excédant pas trois mois que
peut permettre le commissaire, lorsque demande lui en est faite
par le breveté dans ces deux mois, déposer chez le commissaire
en double exemplaire
a) un contre-mémoire selon la formule 23 de l'annexe 1
souscrit par le breveté et appuyé par une preuve sous forme
d'affidavit quant aux faits pertinents allégués dans le contre-
mémoire, ou
b) une déclaration, souscrite par le breveté, stipulant qu'il
n'a pas l'intention de présenter un contre-mémoire,
et, lorsqu'un contre-mémoire est déposé chez le commissaire
conformément à l'alinéa a), le breveté doit
c) signifier au demandeur, au cours de ces deux mois ou de
ladite période supplémentaire, une copie du contre-mémoire
et de tout affidavit déposés chez le commissaire conformé-
ment audit alinéa; et
d) déposer chez le commissaire une preuve d'une telle signi
fication que celui-ci juge satisfaisante.
122. Au cours du mois qui suit la significaton d'un contre-
mémoire au demandeur ou de toute période supplémentaire
n'excédant pas deux mois que peut permettre le commissaire,
lorsque demande lui en est faite par le demandeur au cours
dudit mois, le demandeur peut déposer chez le commissaire en
double exemplaire une déclaration souscrite par le demandeur,
a) à titre de réponse à toute question soulevée dans le
contre-mémoire et appuyée par une preuve sous forme d'affi-
davit quant aux faits pertinents allégués dans une telle
déclaration, ou
b) stipulant qu'il n'a pas l'intention de présenter de réponse
au contre-mémoire,
et le demandeur doit
c) signifier au breveté, au cours dudit mois ou de ladite
période supplémentaire, une copie d'une telle déclaration et
de tout affidavit déposés chez le commissaire conformément
à l'alinéa a); et
d) déposer chez le commissaire une preuve d'une telle signi
fication que celui-ci juge satisfaisante.
L'avocat de l'appelante a soumis son argument
sur la justice naturelle dans le contre-mémoire de
son client. L'agent de projet s'est prononcé de la
manière suivante à son sujet:
[TRADUCTION] Le breveté a soutenu que, le commissaire des
brevets n'ayant pas ordonné que les six demandes associées
susmentionnées lui soient signifiées, les procédures entamées
devant le commissaire enfreignent la Charte canadienne des
droits et des libertés [sic] ainsi que les règles de la justice
naturelle, et la demande est nulle. Ces arguments ont été rejetés
par le juge Teitelbaum dans la décision Syntex Pharmaceuti
cals International Limited c. Commissaire des brevets et
Medichem Inc. (le 8 avril 1986, n° de greffe T-618-86, encore
inédite), et je suis lié par cette décision. Un autre argument
avancé à cet égard voulait que le breveté n'ait aucun droit
d'être entendu relativement à ces demandes associées. Je ne suis
pas d'accord, puisque toutes les demandes de licence obligatoire
présentées en vertu du paragraphe 41(4) de la Loi peuvent être
examinées au Bureau des brevets et que toute prétention mise
de l'avant dans un contre-mémoire concernant les demandes
associées est considérée au moment de la décision d'accorder ou
non la licence et au moment où sont fixées les conditions qui
régiront une telle licence. [C'est moi qui souligne.]
L'appelante s'oppose particulièrement à la
partie soulignée de la dernière phrase citée. Son
avocat est d'accord pour dire que les autres
demandes pouvaient être examinées à la fois par le
public et par lui-même, et il reconnaît qu'il les a
effectivement lues avant de déposer son contre-
mémoire. Toutefois, les contre-mémoires des
autres brevetés n'étaient accessibles ni à cet avocat
ni au public en général. De plus, d'un point de vue
pratique, ils ne pouvaient avoir été accessibles si
chacun des brevetés attendait jusqu'à l'expiration
soit du délai de prescription de deux mois, soit du
délai supplémentaire accordé par le commissaire,
pour déposer son contre-mémoire. Chacun de ces
documents était susceptible de renfermer des
observations, des prétentions ou des déclarations
pouvant influencer le jugement du commissaire
dans la présente demande, soit en ce qui concerne
l'octroi ou le refus d'accorder la licence, soit en ce
qui a trait à l'appréciation du taux de la redevance
accordée. Selon cet avocat, c'est en cela que l'ap-
pelante s'est vu refuser l'audition impartiale que
les règles de la justice naturelle imposent aux
tribunaux qui, comme le commissaire lorsqu'il
statue sur des licences demandées à l'égard de
brevets, ont l'obligation d'agir de façon quasi judi-
ciaire'. À son avis, les cinq dernières lignes de la
citation qui précède établissaient que l'agent de
projet avait utilisé les demandes et les contre-
mémoires de chacune des sept demandes associées
pour parvenir à sa décision, sans accorder à sa
cliente la possibilité de présenter une réponse. Ce
faisant, l'agent de projet aurait enfreint les règles
de la justice naturelle de façon flagrante.
L'avocat du procureur général du Canada, l'in-
tervenant, a soutenu avec force que l'avocat de
l'appelante avait mal interprété le passage en ques
tion. Selon lui, lorsque l'agent de projet a déclaré
que
... toute prétention ... dans un contre-mémoire concernant les
demandes associées est considérée au moment de la décision ...
[C'est moi qui souligne.]
il visait seulement le contre-mémoire de l'appe-
lante et les prétentions qui s'y trouvaient expri-
mées relativement aux demandes associées. Je ne
suis pas d'accord avec cette assertion. Les mots «un
contre-mémoire» peuvent désigner et, à mon avis,
7 Arrêt American Home Products Corporation c. Commis-
saire des brevets et autre, susmentionné.
désignent fort probablement, les contre-mémoires
présentés dans chacune des sept demandes. D'au-
tres passages de la décision en cause appuient cette
façon de voir. À la page 5 de la décision 8 , par
exemple, dans un contexte factuel différent, il est
vrai, l'agent de projet a déclaré:
[TRADUCTION] ... J'ai examiné les sept demandes associées
ensemble, en considérant notamment chacune des prétentions
de chacune des parties, et je suis convaincu ... [C'est moi qui
souligne.]
Mon point de vue est également étayé par le fait
suivant, dont je traiterai plus loin de façon plus
complète: en établissant la redevance payable à
l'appelante, l'agent de projet a accordé une rede-
vance totale de 4 %, dont il a précisé qu'elle avait
été proposée par le demandeur de licence, pour la
diviser par le nombre total des demandes, c'est-à-
dire par sept, et ainsi laisser à chacun des brevetés
une redevance de quatre septièmes de 1 %. À la
lecture de cette décision, il est évident que l'agent
de projet n'a pu statuer comme il l'a fait qu'en
examinant l'ensemble des sept demandes présen-
tées, puisque chacune de celles-ci proposait une
redevance de quatre septièmes de 1 %, sans qu'au-
cune ne mentionne un total de 4 %.
Il ne fait aucun doute que l'appelante en l'espèce
a, dans son contre-mémoire, contesté le taux de la
redevance proposée. Il est vraisemblable que les
autres brevetés l'aient également fait, mais les
motifs pour lesquels ils contestaient ou appuyaient
la proposition—à supposer que de tels motifs aient
existé—n'étaient connus que de l'agent de projet.
À mon sens, la justice naturelle et une audition
impartiale voulaient que, avant la décision, les
exigences suivantes soient remplies: l'appelante
devait, au moins, avoir été mise au courant des
prétentions avancées dans les contre-mémoires des
brevetés déposés dans les six demandes associées,
puisqu'il semble raisonnable d'inférer que ces pré-
tentions auraient pu revêtir une certaine impor
tance pour la redevance accordée à l'appelante,
qui, avait-elle soutenu, était très nettement insuffi-
sante; l'appelante aurait également dû avoir la
possibilité de présenter une réponse à leur égard.
Je me limite à ce point-ci à cette observation
puisque, comme il est dit plus tôt, je traiterai de
façon plus complète du taux adjugé lorsque j'ana-
6 Dossier d'appel, vol 5, i! la p. 642.
lyserai la question de la redevance, qui fait partie
des points soulevés par l'appelante dans son appel.
Ce défaut suffit à lui seul à donner gain de cause à
l'appelante, mais il importe que nous analysions et
que nous tranchions certaines autres questions sou-
levées dans le cadre du présent appel, ce que nous
ferons sous peu.
Je devrais également dire que, bien que la plus
flagrante des violations de la justice naturelle allé-
guées soit celle ayant trait à la question de la
redevance, je suis d'avis que le défaut de fournir à
l'appelante les contre-mémoires déposés dans les
six autres demandes a très bien pu la priver des
connaissances qui lui auraient permis de répondre
à leurs allégations dans son propre contre-
mémoire; de tels renseignements auraient même
pu être utiles à l'appelante en ce qui concerne la
question de savoir si une licence devait être accor-
dée ou non dans les circonstances, et en ce qui a
trait aux conditions et aux dispositions dont elle
aurait pu, devant le commissaire, plaider la perti
nence pour la licence en cause.
En parvenant à ces conclusions, je n'omets pas
de tenir compte des difficultés que les contraintes
de temps découlant des règles applicables au dépôt
et à la signification des contre-mémoires imposent
au commissaire ou à la personne désignée par
celui-ci lorsqu'ils s'assurent que les parties bénéfi-
cient d'une audition impartiale selon les règles de
la justice naturelle. Toutefois, je considère que le
commissaire, qui est maître de la procédure dans
les affaires dont il est saisi, possède toute l'inventi-
vité nécessaire pour élaborer les moyens de procé-
dure permettant que justice soit faite. Une des
méthodes les plus évidentes consisterait naturelle-
ment à exiger de façon plus fréquente ou, peut-
être, de façon constante, des auditions orales lors-
que plusieurs demandes de licences associées sont
présentées. Il est fort possible que l'impartialité
des procédures commande l'adoption d'autres pra-
tiques. Comme l'a dit cette Cour dans un autre
contexte dans l'arrêt Magnasonic Canada Ltd. c.
Le Tribunal antidumping 9 :
Le Parlement a imposé une limite de temps au Tribunal ce qui
implique une limite au temps qu'il peut accorder à chaque
partie pour présenter son cas. Cela n'annule toutefois pas
l'exigence selon laquelle elles doivent avoir la possibilité d'être
9 [1972] C.F. 1239 (C.A.), à la p. 1249.
entendues, exigence qui découle nécessairement des autres dis
positions de la loi. [C'est moi qui souligne.]
À la phrase qui précède devraient être ajoutés les
mots [TRADUCTION] «ou des exigences de la jus
tice naturelle».
Je suis donc d'avis que l'appel interjeté par
l'appelante devrait être accueilli sous cet aspect.
II LA PRÉTENTION QUE L'INTIMÉE EST L'ALTER
EGO D'APOTEX INC.
Dans son contre-mémoire, l'appelante, s'ap-
puyant sur certains éléments de preuve, a affirmé
que l'intimée était l'alter ego d'Apotex Inc.
(«Apotex»). Ainsi alléguait-elle notamment que
deux des intimés étaient des administrateurs et des
cadres d'Apotex, que ces deux entités ont le même
siège social, que l'intimée avait l'intention d'utili-
ser les installations d'entreposage et de contrôle de
qualité d'Apotex, que les médicaments en vrac que
l'intimée importerait en vertu de sa licence
seraient mis sous forme de comprimés par Apotex,
que les prix projetés de ces médicaments sous
forme posologique devaient être les mêmes que
ceux d'Apotex, et que la redevance proposée trai-
tait les ventes d'Apotex comme ses propres ventes.
Dans son exposé des points d'argument, l'inti-
mée a nié la pertinence de cette preuve, sans
toutefois déposer de réponse au contre-mémoire de
l'appelante auprès de l'agent de projet.
En juin 1982, Apotex avait obtenu une licence
obligatoire, portant le numéro 558, l'égard des
brevets naproxen de l'appelante, notamment le,
numéro 960,668. L'appelante a présenté des élé-
ments de preuve selon lesquels Apotex avait con-
trevenu aux conditions de sa licence en manquant
de présenter des rapports sur ses ventes et de payer
des redevances conformément à la licence, et selon
lesquels elle avait dû instituer une action devant la
Haute Cour de l'Ontario pour tenter de recouvrer
les redevances impayées. Dans son exposé, l'inti-
mée a nié les allégations telles qu'elles avaient été
formulées, tout en reconnaissant l'existence d'un
litige sur la question de savoir s'il y avait eu
violation de la licence. Elle n'a pas répondu aux
allégations du contre-mémoire.
À la page 6 de ses motifs 10 , l'agent de projet a
statué sur ces différentes prétentions de la manière
suivante:
[TRADUCTION] La titulaire des brevets a soutenu que la
demanderesse n'avait pas la qualité voulue pour obtenir une
licence ou avait perdu un tel droit en raison de la conduite de—
pour employer l'expression de la titulaire des brevets—son alter
ego, Apotex Inc. Il ressort clairement de la demande que la
demanderesse est étroitement liée à la société Apotex Inc., mais
la preuve présentée par la titulaire des brevets établit de façon
nette que la demanderesse est une société séparée, juridique-
ment distincte, qui a été constituée en Ontario le 30 mars 1981.
En conséquence, je considère que tout argument fondé sur la
conduite d'Apotex Inc. est sans pertinence en ce qui concerne
ma décision d'accorder ou non une licence à la demanderesse
ou en ce qui a trait à la détermination des conditions et des
dispositions sur les redevances. [C'est moi qui souligne.]
Devant cette Cour, l'avocat de l'appelante a fait
valoir les arguments suivants :
a) l'intimée est l'alter ego d'Apotex qui, en
conséquence, est la vraie demanderesse de
licence;
b) par le passé, Apotex a contrevenu non seule-
ment à ses obligations envers la brevetée appe-
lante, mais encore aux engagements qu'elle avait
pris envers les autres brevetés de qui elle avait
obtenu une licence;
c) l'intention et le but véritables sous-tendant la
demande de licence de l'intimée était de sous-
traire son alter ego aux conséquences de ses
manquements à la licence numéro 558 et de
réduire ses paiements de redevances à des mon-
tants ridiculement bas; et
d) le fait que de telles pratiques ont eu lieu de
façon régulière constitue «de bonnes raisons», au
sens donné à cette expression au paragraphe
39(4) de la Loi, de refuser la licence sollicitée en
l'espèce.
Dans l'arrêt Re Smith, Kline & French Labora
tories Ltd. et Frank W. Horner Ltd. ", le juge
Mahoney, J.C.A., prononçant les motifs de cette
Cour, a dit ce qui suit au sujet du paragraphe
41(4) (à présent le paragraphe 39(4)):
En ce qui concerne le fond, le par. 41(4) a fait l'objet de
nombreux examens par les tribunaux. Dans Parke. Davis & Co.
v. Fine Chemicals of Canada Ltd. ((1959), 17 D.L.R. (2d) 153,
à la p. 160; 30 C.P.R. 59, à la p. 67; [1959] R.C.S. 219, à la p.
228) le juge Martland a déclaré au nom de la Cour suprême du
Canada:
10 Dossier d'appel, vol. 5, à la p. 643.
11 (1983), 6 D.L.R. (4th) 229 (C.A.F.), aux p. 231 à 233.
[TRADUCTION] Quant à savoir s'il aurait dû trouver «de
bonnes raisons justifiant le contraire» au sujet de la demande
de licence, il semble qu'il s'agit d'une question qui est laissée
à l'appréciation du commissaire des brevets. Le libellé en
question est «le commissaire, à moins qu'il ne trouve de
bonnes raisons justifiant le contraire, doit accorder à quicon-
que en fait la demande ...» En l'espèce, le commissaire n'a
pas trouvé de bonnes raisons de ce genre. C'est à lui qu'il
appartient de prendre la décision, et on ne peut affirmer, eu
égard à la preuve, que sa décision était manifestement erro-
née, compte tenu du fait que l'une des principales considéra-
tions dont il avait été saisi était l'intérêt public.
Après avoir cité ce passage, le juge Thurlow (tel était alors son
titre) a fait observer dans Hoffman-LaRoche Ltd. v. Delmar
Chemicals Ltd. ((1964), 46 D.L.R. (2d) 140, la p. 144; 43
C.P.R. 93, aux p. 98 et 99; [1965] 1 R.C.E. 611, la p. 616):
[TRADUCTION] À mon avis, le pouvoir de la Cour de déter-
miner si le jugement du commissaire était «manifestement
erroné» requiert celui de déterminer, lorsque nécessaire,
quelle sorte de raison peut être considérée ou non comme une
bonne raison au sens de la loi; toutefois, comme le législateur
fédéral a cru bon de ne pas limiter le pouvoir discrétionnaire
du commissaire, il ne serait pas souhaitable, selon moi, que la
Cour, dans le cadre d'un appel, établisse pour l'exercice de ce
pourvoi des principes allant au-delà de ce qui est nécessaire
pour ce cas précis.
La Cour suprême du Canada a rejeté l'appel de la décision du
juge Thurlow (50 D.L.R. (2d) 607; 45 C.P.R. 235; [1965]
R.C.S. 575) et n'a pas jugé nécessaire de commenter cette
observation. Elle a jugé que le but du par. 41(4) est clair. Dans
Hoffman-LaRoche Ltd. v. Bell- Craig Pharmaceuticals Divi
sion of L.D. Craig Ltd. ((1966), 56 D.L.R. (2d) 97, la p. 102;
48 C.P.R. 137, à la p. 144; [1966] R.C.S. 313, la p. 319), le
juge Abbott a déclaré: -
[TRADUCTION] À mon avis, le but du par. 41(3) est clair.
Il se résume à ceci: on ne peut obtenir le monopole absolu
d'un procédé de fabrication d'un produit alimentaire ou
médicinal. Au contraire, l'intention du Parlement est de
maintenir, dans l'intérêt du public, la concurrence dans la
production et le commerce de ces produits préparés selon un
procédé breveté, de sorte qu'ils puissent, ainsi que la disposi
tion l'indique, être «accessibles au public au plus bas prix
possible tout en accordant à l'inventeur une juste rémunéra-
tion pour les recherches qui ont conduit à l'invention».
Le par. 41(3) d'alors est maintenant le par. 41(4). Il a été
modifié (S.C. 1968-69, chap. 49, art. I) afin de prévoir l'octroi
de licences en vue de l'importation comme de la préparation ou
production de médicaments. Il est évident que cette modifica
tion n'a aucune incidence réelle sur les décisions antérieures
(Eli Lilly & Co. c. S & U Chemicals Ltd. (1976), 67 D.L.R.
(3d) 342; 26 C.P.R. (2d) 141; [1977] 1 R.C.S. 536). En
résumé, comme l'a déclaré le juge Abbott dans Hoffman-
LaRoche Ltd. v. L.D. Craig Ltd., précité:
[TRADUCTION] ... il est bien établi que l'appel ne pouvait
être accueilli que si l'appelante pouvait démontrer que le
commissaire s'était fondé sur un mauvais principe ou, qu'eu
égard à la preuve, sa décision était manifestement erronée.
Bien que la Cour soit habilitée à déterminer le genre de
raisons que le commissaire peut considérer comme de bonnes
raisons de refuser une licence, il semble évident que ces bonnes
raisons, qu'elles soient fondées sur l'intérêt public ou non,
doivent avoir trait au but manifeste du par. 41(4). On ne peut
affirmer que le commissaire s'est appuyé sur un mauvais prin-
cipe s'il rejette une considération d'intérêt public qui n'a aucun
rapport avec l'introduction de la concurrence pour rendre le
médicament accessible au public canadien au plus bas prix
possible, tout en accordant au breveté une juste rémunération
pour les recherches qui ont conduit à l'invention.
L'agent de projet qui a rendu la décision en
l'espèce a rejeté comme étant sans pertinence «tout
argument fondé sur la conduite d'Apotex Inc.» au
seul motif que «la preuve présentée par la titulaire
des brevets établit de façon nette que la demande-
resse est une société séparée, juridiquement dis-
tincte». En• prenant cette conclusion, il a, à mon
sens, commis deux erreurs. Premièrement, une
telle conclusion infère que les liens étroits entre
deux personnes morales ne concernent pas l'intérêt
public voulant que l'on encourage la concurrence
pour que les médicaments soient accessibles au
public au plus bas prix possible tout en accordant
au breveté une juste rémunération pour les recher-
ches qui ont conduit à l'invention. Cette idée est
clairement erronée, compte tenu des liens étroits et
avoués existant entre la demanderesse et Apotex,
et compte tenu du fait, apparemment non contesté,
que cette dernière société a, par le passé, agi de
façon déplorable lorsqu'il s'est agi d'exécuter les
obligations imposées par des licences en faveur de
différents titulaires de brevets, dont fait partie
l'appelante en l'espèce. Ces faits risquent d'in-
fluencer de façon réelle non seulement la décision
d'accorder ou non une licence, mais encore les
conditions imposées à un preneur de licence en ce
qui concerne les paiements de redevances.
Ces facteurs pouvant constituer «de bonnes rai-
sons» de rejeter la demande de licence, je considère
que l'omission complète d'en tenir compte consti-
tue une erreur sur une question de principe.
Deuxièmement, l'existence de personnes morales
distinctes ne suffit pas, par elle-même, à empêcher
un tribunal de soulever le [TRADUCTION] «voile
corporatif» lorsque, comme c'est le cas en l'espèce,
il est allégué qu'une société a été constituée dans le
but de cacher des faits pertinents à la décision qui
doit être prise en vertu des dispositions du paragra-
phe 39(4) de la Loi sur les brevets. Dans l'arrêt
Nedco Ltd. v. Clark et al. 12 , de la Cour d'appel de
12 (1973), 43 D.L.R. (3d) 714 (C.A. Sask.).
la Saskatchewan, le juge en chef de cette Cour, le
juge Culliton, a exprimé cette conception des prin-
cipes juridiques en cause de la manière suivante
[aux pages 719 et 720]:
[TRADUCTION] Même si, depuis le jugement prononcé par la
Chambre des lords dans l'affaire Salomon v. A. Salomon &
Co., Ltd., [1897] A.C. 22, l'existence autonome et indépen-
dante de la personne morale a généralement été considérée
comme un principe fondamental du droit anglais aussi bien que
du droit canadien, des circonstances se sont présentées dans
lesquelles les tribunaux ont conclu qu'il leur était à la fois
possible et nécessaire de soulever le voile corporatif. La Cour l'a
fait lorsqu'une société était en fait la mandataire d'une autre,
ou lorsqu'une société était utilisée pour masquer les actions
d'une autre; elle l'a fait pour appliquer une loi fiscale de façon
juste et équitable. La Cour a également agi de cette manière
après avoir conclu que, bien que des sociétés fussent juridique-
ment distinctes, une de celles-ci pouvait être contrôlée par
l'autre dans une mesure telle que, ensemble, elles formaient une
seule unité. [C'est moi qui souligne.]
Citant l'arrêt Tunstall v. Steigmann, [ 1962] 2
Q.B. 593 (C.A.), le juge en chef Culliton a dit [à
la page 721]:
[TRADUCTION] Si l'observation stricte du principe énoncé dans
l'arrêt Salomon v. Salomon & Co. Ltd. [ 1897] A.C. 22 a été
écartée, c'est uniquement pour faire face à des circonstances
particulières où une société à responsabilité limitée pourrait
très bien être une façade masquant la réalité des faits.
Il a poursuivi en concluant, aux pages 721 et
722 du recueil:
[TRADUCTION] Dans nombre de décisions canadiennes por-
tant sur des conflits de travail, les tribunaux ont soulevé le voile
corporatif: voir Lescar Construction Co. Ltd. v. Wigman
(1969), 7 D.L.R. (3d) 210, [1969] 2 O.R. 846, et Refrigeration
Supplies Co. Ltd. v. Ellis et al. (1970), 14 D.L.R. (3d) 682,
[1971] 1 O.R. 190. Si ces décisions reconnaissent le droit de
soulever le voile corporatif, elles n'établissent toutefois pas de
grand principe sur lequel ce droit serait fondé. Elles disent
clairement, cependant, que chaque espèce doit être jugée à la
lumière des faits qui lui sont propres.
Dans la présente affaire, la société Nedco Ltd. est une filiale
à part entière de Northern Electric Company Limited. Elle a
été organisée et constituée en société pour reprendre ce qui était
antérieurement une division de Northern Electric Company
Limited. Constituant une telle filiale à part entière, elle est
contrôlée, gérée et dominée par Northern Electric Company
Limited. Ainsi, en examinant la réalité de cette société plutôt
que sa seule qualité juridique, je conclus qu'elle constitue une
partie intégrante de Northern Electric Company Limited dans
l'exercice de ses activités. [C'est moi qui souligne.]
Lord Buckmaster, de la Chambre des lords, a
énoncé ce principe de la manière suivante dans
l'arrêt Rainham Chemical Works v. Belvedere
Fish Guano Co.", une décision souvent citée:
[TRADUCTION] Par conséquent, il n'est pas possible d'ignorer
une compagnie dûment incorporée au motif qu'elle n'est qu'une
compagnie fictive, bien que l'on puisse faire la preuve qu'elle
n'agit pas dans ses opérations en son propre nom, comme une
entité commerciale indépendante, mais simplement pour le
compte de ceux qui l'ont créée.
Comme on le verra, lord Buckmaster n'adopte
pas le concept du soulèvement du voile corporatif
mais considère que l'on doit conclure à l'existence
d'une relation apparentée à celle du mandant et du
mandataire.
Comme de nombreux autres, les précédents sus-
mentionnés établissent que, dans les circonstances
alléguées par l'appelante comme démontrant le but
véritable de la constitution en société et de la
demande de licence de l'intimée, une erreur de
droit entachait la conclusion de l'agent de projet
selon laquelle les arguments fondés sur la conduite
d'Apotex n'étaient pas pertinents parce que celle-ci
constituait «une société séparée, juridiquement dis-
tincte» de l'intimée. S'il appartenait exclusivement
à l'agent de projet de décider si les faits révélés lui
fournissaient «de bonnes raisons» de ne pas accor-
der la licence demandée, il était tenu de fonder une
telle appréciation sur des principes appropriés, ce
que, pour les deux motifs énoncés, il a omis de
faire.
En conséquence, l'appelante devrait également
avoir gain de cause en ce qui concerne le présent
volet de son appel.
III LA PRÉTENTION SUR LES REDEVANCES RELA
TIVES AU PROCÉDÉ
Comme je le conçois, l'argument soumis à ce
chapitre veut que, en vertu des clauses 1 a),b),c) et
d) de la licence, une redevance de 4/7 de 1 % soit
payable sur les ventes de médicaments. Le mot
[TRADUCTION] «médicament» est défini de la
façon suivante au paragraphe 14 de la licence:
[TRADUCTION] NAPROXEN/NAPROXEN SODIQUE, lorsque pro-
duits par quelque procédé ou à partir de quelque intermédiaire
visé par le brevet mentionné aux présentes.
Selon l'avocat de l'appelante, les motifs de
l'agent de projet établissent très clairement qu'il a
tenu pour acquis que la redevance serait payée
avec ou sans utilisation d'un procédé breveté de
l'appelante par l'intimée. Cependant, à la lumière
13 [1921] 2 A.C. 465 (H.L.), à la p. 475.
de la définition du terme «médicament», l'emploi
de l'expression «ventes de médicaments» démontre
que la présomption de l'agent de projet était erron-
née. En conséquence, l'agent de projet aurait
commis une erreur en accordant une redevance qui
était incompatible avec ses motifs.
À cette prétention, nous pouvons répondre briè-
vement que la prépondérance doit être accordée
aux conditions énoncées dans la licence et non aux
motifs donnés à l'appui de l'octroi de la licence et
de l'adjudication des redevances. En présumant,
pour les fins du présent volet de l'argumentation
présentée, que l'agent de projet a été juridique-
ment habilité à accorder la redevance adjugée, le
fait que cette redevance puisse être incompatible
avec les propos tenus par l'agent dans ses motifs ne
saurait, à tout le moins dans les circonstances
alléguées par l'appelante en l'espèce, justifier l'an-
nulation de la licence. Dans l'hypothèse où, d'autre
part, l'appelante aurait en fait allégué que l'agent
de projet avait mal saisi l'objet de la décision qu'il
devait rendre, nous ne pouvons accepter sa
prétention.
Ce volet de l'appel doit donc échouer.
IV LA PRÉTENTION QUE PLUSIEURS MÉDICA-
MENTS SONT VISÉS
L'avocat de l'appelante a soutenu que la licence
accordée contrevient au sous-alinéa 118(1)a)(ii)
des Règles sur les brevets en ce qu'elle vise deux
substances différentes, le NAPROXEN et le
NAPROXEN SODIQUE.
Le sous-alinéa 118(1)a)(ii) est ainsi libellé:
118. (1) Une demande doit être rédigée en double exem-
plaire selon la formule 21 de l'annexe I et elle doit
a) n'être présentée qu'à l'égard d'un brevet ou de plusieurs
brevets
(ii) qui concernent des inventions ayant trait ou pouvant
servir à la préparation ou à la production de la même
substance ou chose ou sensiblement la même; et
Il a fondé cette prétention sur le témoignage de
Andrew G. Korey, le directeur adjoint de la divi
sion «Scientific Affairs» de la société Syntex Inc.,
qui dit essentiellement que, la Direction générale
de la protection de la santé du ministère de la
Santé nationale et du Bien-être social ayant conclu
que les deux médicaments en cause sont entière-
ment différents, en délivrant pour chacun de
ceux-ci des avis de conformité distincts et en attri-
buant à ces médicaments deux numéros d'identifi-
cation différents, l'agent de projet a commis une
erreur en prenant la conclusion suivante:
[TRADUCTION] ... je n'accepte pas la proposition selon
laquelle le NAPROXEN et le NAPROXEN SODIQUE sont différen-
tes substances, pour les raisons que voici. Premièrement, le
NAPROXEN est l'isomère d de l'acide 2-(6-méthoxy-2-naphtyl)
propionique, tandis que le NAPROXEN SODIQUE est simplement
le sel sodique de cet acide, l'équivalence chimique de ces deux
substances étant clairement illustrée dans la 10° édition de
l'ouvrage intitulé «The Merck Index», publié par la Merck and
Co., Inc. (1983), dans lequel, à l'entrée «Naproxen» (entrée
6269), on décrit le sel sodique comme le dérivé du Naproxen
qui est également visé par le brevet 960,668 du titulaire; par
exemple, l'acide et le sel sont considérés comme le même
composé, le dernier étant, du point de vue pharmaceutique, un
sel acceptable du premier. Deuxièmement, j'ai comparé les
entrées ANAPRON (marque de commerce employée par le titu-
laire pour le NAPROXEN SODIQUE) et NAPROSYN (marque de
commerce employée par le titulaire pour le NAPROXEN) dans le
«Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques
1985», 20e édition, publié par l'Association pharmaceutique
canadienne (1985), qui renferme des monographies basées sur
des renseignements fournis par la Direction générale de la
protection de la santé et par les fabricants. Bien que les
indications soient identiques à celles avancées par le D' Korey,
je constate que les renseignements donnés à la rubrique Phar-
macologie sont essentiellement les mêmes, comme l'indiquent
les titres adoptés, c: à-d. «Analgésique-Anti-inflammatoire» et
«Anti -inflammatoire-Analgésique», respectivement. Troisième-
ment, la Règle 118(1)a)(ii) des Règles sur les brevets prévoit
qu'une demande doit être rédigée et doit n'être présentée qu'à
l'égard d'un brevet ou de plusieurs brevets qui concernent des
inventions ayant trait ou pouvant servir à la préparation ou à la
production de la même substance ou chose ou sensiblement la
même. Je n'éprouve aucune difficulté à conclure que le
NAPROXEN et le NAPROXEN SODIQUE sont la même substance
ou sensiblement la même.
L'avocat de l'appelante a soutenu que l'agent de
projet n'aurait pas dû rejeter le témoignage d'ex-
pert du Dr Korey. À cette prétention, il peut être
répondu simplement que l'agent de projet n'était
pas obligé d'accepter la preuve sous forme d'opi-
nion donnée par le témoin de l'appelante 14 . Il a
choisi de ne pas le faire, et il n'a commis aucune
erreur de principe en effectuant ce choix.
Je suis également d'avis que, contrairement à la
prétention de l'avocat de l'appelante, l'agent de
projet n'a pas commis d'erreur dans l'utilisation
qu'il a faite de l'ouvrage The Merck Index ou du
Compendium des produits et spécialités pharma-
ceutiques 1985 pour parvenir à sa conclusion.
14 Voir l'arrêt Scherico Ltd. c. P.V.U. Inc. (1989), 24
C.I.P.R. 161 (C.A.F.).
Pour ces motifs, l'appelante ne devrait pas avoir
gain de cause en ce qui concerne cet aspect de son
appel.
V LA PRÉTENTION RELATIVE À LA REDEVANCE
L'appelante a contesté la redevance de 4/7 de
1 % du prix de vente net du médicament sous sa
forme posologique finale qui a été accordée dans la
licence obligatoire. Cette contestation était fondée
sur trois motifs:
(1) l'agent de projet n'était pas saisi d'éléments
de preuve lui permettant de fixer la redevance à
quelque niveau que ce soit;
(2) même si des éléments de preuve avaient été
portés devant lui, le taux adjugé était ridicule-
ment bas, de sorte qu'il ne remplissait pas le
mandat prévu par la loi d'accorder au breveté
une juste rémunération pour ses recherches;
(3) les directives données par cette Cour dans le
récent arrêt American Home Products Corp. c.
I.C.N. Canada Ltd. (no 2) 15 interdisent le
simple exercice mathématique consistant à divi-
ser une redevance globale fixée par procédé
mécanique au taux de 4 % de façon égale entre
les différents titulaires des brevets à l'égard
desquels la demanderesse a demandé une
licence.
Au cours des années récentes, plusieurs juge-
ments ont été prononcés en la matière par cette
Cour; outre l'arrêt American Home Products sus-
mentionné, ils comprennent, entre autres: Ameri-
can Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd. (no
1) 16 ; American Home Products Corp. c. Novo-
pharm Ltd. 17 ; Takeda Chemical Industries Ltd. c.
Novopharm Ltd. 18 ; Affaire intéressant une
demande de licence obligatoire déposée par Novo-
pharm Ltd. 19 ; Otsuka Pharmaceutical Co. c.
Torcan Chemical Ltd. 20 ; Affaire intéressant une
demande de licence obligatoire déposée par
Apotex Inc. 21
15 (1988), 18 C.I.P.R. 104 (C.A.F.).
16 (1985), 7 C.I.P.R. 174 (C.A.F.).
" (1988), 18 C.I.P.R. 128 (C.A.F.).
18 (1988), 19 C.P.R. (3d) 278 (C.A.F.).
19 (1988), 18 C.I.P.R. 121 (C.A.F.).
20 (1988), 20 C.I.P.R. 138 (C.A.F.).
21 (1987), 17 C.I.P.R. 51 (C.A.F.).
Il ne servirait à rien d'examiner ces arrêts ou la
jurisprudence qui s'y trouve citée. Ils parlent par
eux-mêmes. Qu'il nous suffise de dire que, en
substance, ils énoncent les propositions suivantes:
a) lorsqu'il détermine la redevance payable par un
preneur de licence à un titulaire de brevet, le
commissaire doit détenir des éléments de preuve
lui permettant de fixer le taux de la redevance en
tenant compte de l'opportunité de rendre les médi-
caments accessibles au public au plus bas prix
possible tout en accordant au breveté une juste
rémunération pour les recherches qui ont conduit à
l'invention, ainsi que l'exige le paragraphe 41(5) (à
présent le paragraphe 39(5)) de la Loi;
b) il incombe aux deux parties—et donc au bre-
veté, qui détient le plus de renseignements sur le
temps de recherche et les coûts associés à une
invention, ainsi qu'au demandeur de licence—de
fournir au commissaire les éléments de preuve
nécessaires à l'exécution de son mandat;
c) il ne suffit pas simplement au demandeur de
licence de déclarer qu'il a besoin d'autres licences;
comme la pratique d'accorder des licences à
l'égard de plus d'un brevet a entraîné, au fur et à
mesure de son développement, la réduction de la
redevance qui aurait par ailleurs été payable à un
breveté unique, le demandeur devrait convaincre le
commissaire qu'il est raisonnablement possible que
la ou les licences additionnelles sollicitées soient
nécessaires et soient utilisées; si le commissaire est
ainsi convaincu, la fixation de la redevance de
chaque breveté relève de lui seul;
d) lorsque les éléments de preuve sur le procédé
qui sera véritablement utilisé sont insuffisants et
inexistants—renseignements que le preneur de
licence est seul à détenir—il est à tout le moins
douteux que la simple division en portions égales
d'une redevance globale constitue invariablement
la bonne façon pour le commissaire d'exercer
l'obligation que lui impose la loi.
La différence m'apparaît minime entre les élé-
ments de preuve présentés par le demandeur de
licence relativement à la redevance en l'espèce
(l'intimée) et ceux qui ont été soumis à l'appui de
la demande de licence dans l'affaire American
Home Products Corp. (no 2) ainsi que dans d'au-
tres affaires susmentionnées. Dans ces instances, la
preuve a été jugée insuffisante, et la fixation de la
redevance a été renvoyée devant le commissaire
pour qu'il en décide sur le fondement prévu au
paragraphe 41(5) de la Loi (à présent le paragra-
phe 39(5)). De plus, comme il a été indiqué dans le
second arrêt American Home Products, l'appe-
lante ne s'est pas acquittée du fardeau de présenter
les éléments de preuve fondant sa prétention que la
redevance suggérée par la demanderesse de licence
était insuffisante parce qu'elle ne lui accordait pas
une juste rémunération pour les recherches ayant
conduit à l'invention dans la mesure où elle s'appli-
quait au Canada. La preuve soumise en l'espèce
présente la même faiblesse que celle soumise par le
breveté dans les affaires American Home Products
et dans certaines autres affaires susmentionnées.
L'intimée en l'espèce, tout comme la demande-
resse de licence dans l'affaire American Home
Products, a complètement manqué d'indiquer en
quoi elle avait besoin des six autres licences; cette
constatation ressort d'autant plus que l'intimée a
déclaré qu'elle effectuerait ses achats en vrac des
deux produits auprès de deux fournisseurs seule-
ment. Je doute sérieusement que des licences
seraient exigées de ces deux fournisseurs. Comme
l'ont déclaré des décisions antérieures, il va de soi
que le preneur de licence prudent cherchera à se
préserver des actions en contrefaçon de brevets
lorsqu'il ne peut acquérir la certitude que son
fournisseur ne contrevient pas lui-même à' d'autres
brevets. Cependant, comme le dit l'arrêt American
Home Products (no 2) [(1988), 18 C.I.P.R. 104, à
la page 120], «le commissaire devrait ... être
convaincu qu'il existe une possibilité raisonnable
que ces licences supplémentaires soient nécessai-
res» (c'est moi qui souligne), puisque, en l'absence
d'une telle possibilité raisonnable, un des brevetés,
ou plusieurs d'entre eux, risquent d'être affectés de
façon vitale par une réduction de, la redevance à
laquelle ils auraient autrement pu avoir droit pour
leurs licences obligatoires. De la même façon, évi-
demment, le preneur de licence ne devrait pas être
obligé de payer des redevances conjuguées à des
donneurs de licences dont les brevets pourraient
raisonnablement sembler lui être nécessaires, puis-
qu'une telle pratique risquerait de ne pas rendre le
médicament accessible au public au plus bas prix
possible. Bref, lorsqu'il est saisi de demandes mul
tiples de licences, le commissaire doit recevoir tous
les éléments de preuve pertinents lui permettant de
prendre une décision éclairée et équilibrée sur la
question de savoir s'il existe une possibilité raison-
nable que plusieurs licences soient nécessaires à un
preneur de licence, lesquels des brevets sont ainsi
concernés et de quelle manière la redevance glo-
bale doit être divisée entre les titulaires de ces
brevets. Il est possible qu'une telle décision ne
puisse être régulièrement prise qu'au terme d'au-
diences orales—étant bien entendu, évidemment,
que la décision d'accorder ou non ces audiences
relève de la compétence exclusive du commissaire.
En conséquence, l'appelante doit avoir gain de
cause en ce qui a trait à ce volet de son appel.
VI LE SORT DE L'APPEL
Pour les motifs qui précèdent, l'appel devrait
être accueilli. La licence accordée par l'agent de
brevet le 6 juin 1986 devrait être annulée, et la
question devrait être renvoyée devant le commis-
saire aux brevets afin que la demande soit réenten-
due par celui-ci ou par une personne qu'il aura
régulièrement désignée, autre que l'agent de projet
qui a accordé la licence initiale, pour être instruite
et jugée d'une manière non incompatible avec les
présents motifs de jugement, et que soit fixée la
redevance appropriée compte tenu de l'opportunité
de rendre les médicaments accessibles au public au
plus bas prix possible tout en accordant au breveté
une juste rémunération pour les recherches qui ont
conduit à l'invention et pour les autres facteurs qui
peuvent être prescrits. Comme aucun motif parti-
culier d'accorder des dépens n'a été établi, la règle
habituelle devrait s'appliquer et aucuns des dépens
de l'appel ne devraient être adjugés.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
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