T-2439-90
Brian Gough (requérant)
c.
Commission nationale des libérations condition-
nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: GOUGH c. CANADA (COMMISSION NATIONALE
DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES) (1 1s INST.)
Section de première instance, juge Reed—Ottawa,
3 et 5 octobre 1990.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Libération conditionnelle suspendue sur la foi de
plaintes, dont les détails n'ont pas été divulgués par applica
tion de l'art. 17(5) du Règlement sur la libération condition-
nelle de détenus, pour protéger l'identité des plaignantes ainsi
que le déroulement des enquêtes — Violation du droit à la
liberté, garanti par l'art. 7 de la Charte, selon lequel il ne peut
être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les princi-
pes de justice fondamentale, puisque le requérant n'a pas
obtenu suffisamment de renseignements pour répondre aux
allégations.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — Violation de l'art. 7 de la Charte par suite de la
suspension de la libération conditionnelle sur la foi d'alléga-
tions, dont les détails n'ont pas été divulgués au libéré condi-
tionnel — Ne peut pas être considérée comme une limite
raisonnable au sens de l'art. I de la Charte une procédure à la
suite de laquelle une personne est privée de sa liberté sur la foi
de vagues allégations et dans laquelle la non-divulgation des
détails n'était pas assujettie à l'examen d'un organisme
indépendant.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — La
suspension de la libération conditionnelle sur la foi d'alléga-
tions, dont les détails n'étaient pas divulgués, porte atteinte à
l'art. 7 de la Charte et n'est pas justifiée sous le régime de
l'art. 1 — En vertu de l'art. 24(1) de la Charte, la Cour est
investie du pouvoir d'accorder la réparation convenable —
Attendu qu'on ne saurait annuler à la légère une ordonnance
de la Commission des libérations conditionnelles, audience à
huis clos ordonnée au cours de laquelle la Commission pour-
rait justifier la non-divulgation, à moins qu'elle ne préfère voir
son ordonnance annulée et tenir une nouvelle audience à
condition que d'autres renseignements soient fournis au
requérant.
Libération conditionnelle — Suspension de libération condi-
tionnelle sur la foi d'allégations, dont les détails n'ont pas été
divulgués par application de l'art. 17(5) du Règlement sur la
libération conditionnelle de détenus — Inobservation des prin-
cipes de justice naturelle reconnus en common law selon
lesquels une personne doit savoir ce qu'on lui reproche, ainsi
que de l'art. 7 de la Charte puisque le requérant n'a pas obtenu
suffisamment de renseignements pour lui permettre de répon-
dre aux allégations — Règlement subordonné aux droits
garantis par la Charte — Inobservation de l'art. 7 non justifiée
sous le régime de l'art. 1 — Audience à huis clos ordonnée
pour que la Commission puisse justifier la non-divulgation, à
moins qu'elle ne préfère voir son ordonnance annulée et tenir
une nouvelle audience à condition que d'autres renseignements
soient fournis au requérant.
Il s'agit d'une demande de certiorari visant à faire annuler
une ordonnance de la Commission nationale des libérations
conditionnelles, portant suspension de la libération condition-
nelle du requérant sur la foi d'allégations d'agression sexuelle,
d'utilisation de drogues illégales et de contrainte, dont les
détails ne lui ont pas été communiqués, par application du
paragraphe 17(5) du Règlement sur la libération condition-
nelle de détenus. La Commission soutient que la non-divulga-
tion était nécessaire pour protéger l'identité des plaignantes et
préserver la possibilité pour la Commission d'effectuer des
enquêtes. Il échet d'examiner si le requérant a reçu suffisam-
ment de renseignements sur les allégations pour satisfaire aux
exigences de l'article 7 de la Charte sur le respect des principes
de justice fondamentale.
Jugement: une audience à huis clos est ordonnée, au cours de
laquelle la Commission aura la possibilité d'établir avec plus de
précision les motifs de non-divulgation. Autrement, si la Com
mission le préfère, une ordonnance serait rendue pour annuler
sa décision et lui enjoindre de tenir une nouvelle audience à
condition que d'autres renseignements soient fournis au
requérant.
Le requérant n'a pas obtenu suffisamment de renseignements
pour lui permettre de répondre aux allégations formulées contre
lui. Ni les principes de justice naturelle reconnus en common
law ni l'impératif de justice fondamentale prévu à l'article 7 de
la Charte n'ont été respectés. Le Règlement sur la libération
conditionnelle ne saurait restreindre les droits du requérant qui
sont reconnus par la Charte.
La non-divulgation n'était pas justifiée sous le régime de
l'article 1 de la Charte. Une procédure à la suite de laquelle
une personne est privée de sa liberté sur la foi d'allégations que
l'accusé ne peut réfuter parce qu'il n'a pas obtenu suffisamment
de détails s'y rapportant, et dans le cadre de laquelle la
non-divulgation de ces renseignements n'est pas assujettie à
l'examen d'un organisme indépendant, n'est pas une limite
raisonnable au sens de l'article 1.
Le paragraphe 24(1) de la Charte permet à un tribunal saisi
d'un cas où une violation d'un droit garanti par la Charte a été
reconnue, d'accorder au requérant «la réparation que le tribunal
estime convenable et juste eu égard aux circonstances». Bien
qu'il soit normal, en cas de violation des principes de justice
naturelle, d'annuler la décision de la Commission et d'exiger
que celle-ci entende à nouveau le cas, mais à la condition que
des renseignements détaillés soient communiqués au requérant
pour lui permettre de répondre aux allégations, l'annulation
d'une ordonnance de la Commission des libérations condition-
nelles n'est pas une mesure qui doit être prise à la légère. Dans
les circonstances, il convient d'ordonner une audience à huis
clos au cours de laquelle la Commission pourrait justifier la
non-divulgation. La Cour est cependant prête à annuler la
décision de la Commission si tel est son choix.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 7, 24(1).
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus,
C.R.C., chap. 1249, art. 17(5) (mod. par DORS/86-
817, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Demaria c. Comité régional de classement des détenus,
[1987] 1 C.F. 74; (1986), 21 Admin. L.R. 227; 30 C.C.C.
(3d) 55; 53 C.R. (3d) 88; 5 F.T.R. 160; 69 N.R. 135
(C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Pulice c. Commission nationale des libérations condi-
tionnelles (1990), 34 F.T.R. 318 (C.F. 1te inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain,
[1985] 1 C.F. 378; (1984), 9 Admin. L.R. 50; 13 C.C.C.
(3d) 330; 41 C.R. (3d) 30; 10 C.R.R. 248 (I"e inst.);
Tatham v. National Parole Board et al., C.S.C.-B., n°
CC900534, juge MacDonell, jugement en date du
18-4-90, encore inédit; Ross v. Kent Inst. (1987), 12
B.C.L.R. (2d) 145; 34 C.C.C. (3d) 452; 29 C.R.R. 125
(C.A.); H. c. R., [1986] 2 C.F. 71; (1985), 17 Admin.
L.R. 39 (1' inst.); People v. Thurman, 787 P.2d 646
(Colo., 1990).
AVOCATS:
David P. Cole pour le requérant.
Geoffrey S. Lester pour l'intimée.
PROCUREURS:
David P. Cole, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE REED: Dans une décision en date du 21
juin 1990, la Commission des libérations condi-
tionnelles a annulé la libération conditionnelle du
requérant, qui était en vigueur depuis cinq ans et
demi. Le requérant avait obtenu sa libération con-
ditionnelle en 1984, après avoir purgé onze années
d'une peine d'emprisonnement à vie qui lui a été
imposée lorsqu'il a été reconnu coupable de meur-
tre non qualifié en 1973.
La libération conditionnelle a été suspendue à la
suite de plaintes formulées auprès du Bureau du
Service correctionnel les 2 et 3 mai 1990. À la
suite de ces plaintes et d'une enquête s'y rappor-
tant, un mandat d'arrestation a été délivré à l'en-
droit du requérant et exécuté le 11 mai 1990. Au
moment de son arrestation, le requérant avait
établi un bon dossier de travail; il avait une rela
tion stable avec son amie, il était sur le point
d'obtenir son diplôme du collège communautaire
et un emploi à temps plein lui avait été offert. À
cet égard, il y a lieu de consulter un rapport spécial
en date du 14 juin 1990 qui a été préparé pour la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les'.
Activités depuis la libération
Tel qu'il est mentionné plus haut, GOUGH a été remis en
liberté dans la région de Kingston selon les conditions d'une
ordonnance de libération conditionnelle totale le 26 octobre
1984, après avoir purgé onze années d'une peine d'emprison-
nement à vie pour meurtre non qualifié. Le 5 février 1990, il
a obtenu une libération conditionnelle mitigée.
Un rapport spécial en date du 28 décembre 1989 (ci-joint)
qui a été préparé à l'appui de la demande de libération
conditionnelle mitigée du sujet renferme des renseignements
détaillés concernant les activités du sujet depuis la libération.
En résumé, GOUGH a été remis en liberté dans la région de
Kingston et il a immédiatement commencé à habiter avec son
amie, Moira Duffy. Le couple avait maintenu une union de
fait depuis les cinq dernières années et il avait apparemment
l'intention de se marier dans un avenir rapproché.
Au cours des trois dernières années, GOUGH a suivi des cours
au St-Lawrence College, où il est inscrit à un programme des
sciences du comportement. Il a écrit son dernier examen du
cours le 27 avril 1990. Au moment de son arrestation,
GOUGH était sur le point de terminer son dernier emploi à la
Christian Horizon Group Home, située à Kingston.
Le dernier emploi devait se terminer le 23 juin 1990, date à
laquelle GOUGH était censé recevoir son diplôme du St-Law-
rence College. Il devait ensuite commencer à travailler à la
Christian Horizon Group Home comme employé à temps
plein.
Au cours des mois d'été, lorsque GOUGH ne suivait pas de
cours au St-Lawrence College, il travaillait dans le domaine
de la construction pour gagner un revenu supplémentaire et
aider à payer les factures du ménage.
Ni GOUGH ni M"' Duffy n'avaient de proches parents dans la
région de Kingston, mais tous deux avaient des parents dans
les Maritimes qu'ils allaient voir le plus souvent possible et
avec lesquels ils communiquaient fréquemment. En outre, le
couple s'est rendu à l'occasion à Ottawa pour aller voir le
frère de M" Duffy.
D'après les renseignements consignés au dossier, au cours des
cinq dernières années, la transition de GOUGH par l'entremise
du système de libération conditionnelle a été relativement
(Suite à la page suivante)
D'après les plaintes qui ont donné lieu à l'au-
dience sur la suspension de la libération condition-
nelle, M. Gough aurait commis des actes d'utilisa-
tion de drogues illégales, d'agression sexuelle et de
contrainte à l'endroit d'un certain nombre d'adul-
tes de sexe féminin. La principale question à tran-
cher dans la présente demande est celle de savoir si
les renseignements que le requérant a obtenus à
l'égard de la nature de ces allégations sont suffi-
sants pour permettre de dire que les exigences de
l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C.
(1985), appendice II, n° 44]] c'est-à-dire les princi-
pes de justice fondamentale, ont été respectées.
Voici le libellé de l'article 7:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
La règle de droit est relativement simple. M»
Cole a cité les arrêts Cadieux c. Directeur de
l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378 (r e
inst.); Tatham v. National Parole Board et al.,
C.S.C.-B., 18 avril 1990 (encore inédit), numéro
CC900534, par le juge MacDonell; Ross v. Kent
Inst. (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 145 (C.A.); H. c.
R., [1986] 2 C.F. 71 (1" inst.); et Demaria c.
Comité régional de classement des détenus,
[1987] 1 C.F. 74 (C.A.). Aux fins des présentes, il
suffit de se reporter à la décision qu'a rendue la
Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Demaria,
notamment aux pages 76 et 77. Voici ce qu'a écrit
le juge Hugessen aux pages 77 et 78:
Il ne fait naturellement aucun doute que les autorités étaient
justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignement
confidentielles. Un pénitencier n'est pas un établissement pour
enfants de choeur et, si certains renseignements provenaient
d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de tirer aucune
conclusion à ce sujet), il est important que ces derniers soient
protégés. Mais, même si cela était le cas, il devrait toujours être
possible de transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne
dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il incombe toujours aux
autorités d'établir qu'elles n'ont refusé de transmettre que les
renseignements dont la non-communication était strictement
nécessaire à de telles fins. Outre son caractère invraisemblable
(Quiconque a déjà examiné un dossier que l'on dit de «sécurité»
Suite de la page précédente)
facile et aucun problème n'a été relevé. Il a maintenu son
union de fait avec M°» Duffy 'et tous les deux s'aidaient
mutuellement.
Dans l'ensemble, le rendement de GOUGH était tel qu'on a
recommandé la libération conditionnelle mitigée pour lui, ce
qui lui a été accordé en février 1990.
sait qu'une grande partie des documents qui s'y trouvent con-
tiennent des renseignements courants pouvant facilement être
obtenus ailleurs.), une affirmation générale, comme celle en
l'espèce, voulant que [TRADUCTION] «tous les renseignements
concernant la sécurité préventive» soient «confidentiels et (ne
puissent) être communiqués», est tout simplement trop large
pour être acceptée par un tribunal chargé de protéger le droit
d'une personne à un traitement équitable. En dernière analyse,
il s'agit de déterminer non pas s'il existe des motifs valables
pour refuser de communiquer ces renseignements mais plutôt si
les renseignements communiqués suffisent à permettre à la
personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle.
Mais quelle que soit la façon dont ce critère est énoncé, on n'y a
pas satisfait en l'espèce.
Dans le présent litige, il est évident que le
requérant n'a pas obtenu suffisamment de rensei-
gnements pour lui permettre de répondre aux allé-
gations formulées contre lui. Je me reporte à cet
égard aux pages 20 à 23 de la transcription 2 de
l'audience tenue devant la Commission et à l'affi-
davit de M. Stienburg (paragraphes 8 à 15). La
qualité générale des renseignements donnés au
requérant est démontrée par les extraits suivants:
2 [TRADUCTION] D'accord, un certain nombre de R.R.C. ont
été présentés et je vais résumer chacun d'eux de la façon la plus
complète possible, afin de permettre à votre adjoint et à Moira
et vous-même de comprendre ce que nous avons reçu.
Le premier, le R.R.C. qui a été terminé le 10 avril 1990 par
le Service correctionnel du Canada, renferme des renseigne-
ments d'une source communautaire au sujet d'une agression
sexuelle que le contrevenant, c'est-à-dire vous, aurait commise
en novembre 1989.
Dans le R.R.C., on fait allusion à l'utilisation de drogues et
au fait que la victime a finalement pu se défendre avec un
couteau. Le même R.R.C. fait état d'un autre incident d'agres-
sion sexuelle survenu à l'automne 1989 l'endroit d'une autre
victime.
Le deuxième R.R.C., qui est en date du 8 mai, a été soumis
par le Service correctionnel du Canada. Il fait état d'une
tentative d'agression sexuelle survenue en mai 1989 et indique
que vous étiez sous l'influence de drogues ou d'alcool. D'après
le R.R.C., vous êtes entré dans la demeure de la victime vers le
24 avril 1990 et une tierce personne vous a forcé à quitter les
lieux.
Un troisième R.R.C. en date du 8 mai 1990 qui a été
présenté lui aussi par le Service correctionnel du Canada
renferme des renseignements indiquant que l'une des victimes a
été agressée quatre fois. Le premier incident est survenu dans la
demeure du contrevenant et les autres, dans la demeure de la
victime. Les infractions ont été commises entre novembre 1989
et janvier 1990.
Le R.R.C. en date du 14 mai 1990 qui a été remis par le
S.C.S. n'est qu'un suivi du R.R.0 du 8 mai et contient des
renseignements concernant l'utilisation d'autorisations de
déplacement par le contrevenant. Une victime a souligné que
vous aviez l'habitude de planifier des déplacements à Ottawa et
(Suite à la page suivante)
[TRADUCTION] ... renseignements d'une source communau-
taire concernant une agression sexuelle survenue (quelque
temps) en novembre 1989 ... utilisation de drogues ... la
victime a finalement pu se défendre à l'aide d'un couteau ... un
deuxième incident d'agression sexuelle survenu à l'automne de
1989 l'endroit d'une autre victime.
... une agression sexuelle survenue en août 1989... le requé-
rant était sous l'influence de drogues ou d'alcool ... le requé-
rant est entré dans la demeure de la victime vers le
24 avril 1990 et il a été forcé de quitter les lieux par une tierce
personne ... il y a peut-être même eu une querelle. [C'est moi
qui souligne.]
(Suite de la page précédente)
que vous les annuliez à la dernière minute. Ce genre de
comportement précédait habituellement une agression.
Le R.R.C. indique clairement que vous avez planifié un
voyage à Ottawa pour la fin de semaine des 22 et 23 juillet
1989 et que vous avez annulé ce voyage le 20 juillet 1989, ce
qui a été confirmé dans les rapports d'activité tenus par l'agent
de liberté conditionnelle.
Il appert du rapport d'activité que, le 20 juillet 1989, vous
avez été imprécis au sujet des raisons pour lesquelles vous
annuliez l'autorisation de déplacement; vous avez commencé
par dire que vous aviez un rendez-vous chez le dentiste et,
subséquemment, vous avez dit que c'était une cause liée au
travail. Les renseignements obtenus plus tard ont révélé qu'il
est très possible que l'une des agressions sexuelles ait été
commise au cours de cette fin de semaine-là.
Le R.R.C. préparé par le Service correctionnel du Canada en
date du 14 mai 1990 renferme des renseignements d'un tiers
qui indiquent très clairement que vous saviez qu'une amie avait
été victime d'une agression sexuelle au cours de l'été de 1989,
que vous êtes allé voir la victime à son appartement et que vous
y êtes retourné en avril 1990, vers le 24 avril. Le R.R.C. fait
état d'un incident qui est alors survenu à l'appartement.
D'après le R.R.C. du Service correctionnel du Canada en
date du 18 mai 1990, en décembre 1989, vous auriez incité la
victime à consommer de la cocaïne, pour laquelle vous auriez
payé une somme de 60 S. Dans le R.R.C. en date du 14 juin qui
a été préparé par un travailleur social principal, il est fait
mention des répercussions des agressions sexuelles et il est
confirmé que le comportement a été signalé pour la première
fois le 7 décembre 1989.
Le R.R.C. renferme une description de la gravité de l'agres-
sion ainsi que des conséquences pour la victime concernée. On
explique également dans le rapport pourquoi les incidents n'ont
pas été signalés plus tôt.
Enfin, le R.R.C. en date du 18 juin 1990 qui a été préparé
par un travailleur social indique de façon plus précise la date à
laquelle une des agressions sexuelles a été commise, l'incident
en question étant survenu entre le 5 juillet 1989 et le 2 août de
la même année, d'après la conclusion à laquelle on en était
venu. Le rapport renferme également une description de l'état
de détresse de l'une des victimes.
C'est là la teneur des renseignements confidentiels que la
Commission a obtenus et sur la foi desquels nous tenons cette
audience aujourd'hui. Voulez-vous faire des commentaires à ce
moment-ci au sujet de ces R.R.C.?
M. GOUGH: Je n'ai jamais agressé qui que ce soit dans ma
vie, jamais. J'ai quarante ans, j'aurai quarante ans en février.
De toute évidence, tant les principes de justice
naturelle reconnus en common law, selon lesquels
une personne doit savoir ce qu'on lui reproche, que
les exigences énoncées à l'article 7 de la Charte en
ce qui a trait à la justice fondamentale n'ont pas
été respectés.
L'avocat de l'intimée soutient que, en ce qui a
trait aux principes reconnus en common law,
ceux-ci ont été modifiés par le paragraphe 17(5)
du Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus [C.R.C., chap. 1249 (mod. par DORS/86-
817, art. 4)], qui permet à la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles de prendre des
décisions sur la foi de renseignements qui n'ont pas
été divulgués au requérant, lorsque cette divulga-
tion, entre autres choses,
17. (5) ...
a) risquerait vraisemblablement de mettre en danger la sécu-
rité d'une personne;
e) risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement ...
ou d'examens faits en vertu de la Loi ... notamment des
renseignements qui permettraient de remonter à une source
de renseignements obtenus de façon confidentielle.
En l'espèce, la Commission invoque cette disposi
tion. À cet égard, je cite les paragraphes 16, 25 et
26 de l'affidavit de M. Stienburg 3 .
3 16. Que, suivant les paragraphes 3 et 5 à 15 inclusivement
des présentes, le Comité a jugé que, compte tenu de toutes les
circonstances de la cause, il ne pouvait pas vraiment donner
plus de renseignements que les renseignements susmentionnés
et que le requérant a obtenu le plus de renseignements possibles
au sujet du fond des allégations et le plus de détails possibles.
De l'avis du Comité, la divulgation de renseignements plus
détaillés risquait vraisemblablement de nuire à la sécurité de
certaines personnes et de nuire au déroulement des enquêtes
licites ou des examens faits en vertu de la Loi sur les libérations
conditionnelles ou du Règlement, étant donné que les rensei-
gnements sur le fond des allégations avaient été obtenus de
sources qui ont communiqué à titre confidentiel lesdits rensei-
gnements aux organismes qui ont participé à l'audience post-
suspension et que la communication de renseignements plus
détaillés que les renseignements mentionnés aux présentes
aurait permis de remonter à la source de ces données qui ont
été obtenues de façon confidentielle.
25. Que le Comité était pleinement conscient des conséquences
de la non-divulgation au requérant des renseignements contenus
dans les rapports de renseignements confidentiels, notamment
des conséquences graves pouvant découler de la révocation de la
libération conditionnelle pour le requérant. C'est pour ces
raisons que le Comité a donné le plus de détails possibles,
compte tenu de toutes les circonstances, et qu'il a donné le plus
(Suite à la page suivante)
Le paragraphe 17(5) ne restreint évidemment
pas les droits du requérant qui sont reconnus par la
Charte; c'est plutôt l'inverse. Après avoir déclaré
que l'article 7 de la Charte n'est pas respecté, on
doit donc se demander si le non-respect peut se
justifier, conformément à l'article 1 de la Charte,
comme étant une règle de droit «dans des limites
qui soient raisonnables et dont la justification
puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique» 4 . A mon avis, une procé-
dure à la suite de laquelle une personne se trouvant
dans la position du requérant est privée de sa
liberté, sur la foi d'allégations que cette personne
ne peut réfuter parce qu'elle n'a pas obtenu suffi-
samment de détails s'y rapportant, et dans le cadre
de laquelle la non-divulgation de ces renseigne-
ments n'est pas assujettie à l'examen d'un tribunal
ou d'un autre organisme indépendant de la Com
mission ne peut manifestement pas être considérée
comme «une limite raisonnable».
L'avocat du requérant soutient qu'une allégation
générale selon laquelle la divulgation [TRADUC-
TION] «risquerait vraisemblablement de mettre en
danger la sécurité d'une personne et de nuire au
déroulement d'enquêtes licites» n'est pas suffi-
sante. Il allègue qu'une explication portant plus
précisément sur le cas', qu'elle soit tirée du dossier
et des documents connexes ou d'un affidavit
déposé dans la présente demande, est requise aux
fins du fardeau imposé par l'article 1 de la Charte.
La simple allégation de M. Stienburg selon
(Suite de la page précédente)
de précisions possibles au sujet des dates, des endroits et des
heures des agressions reprochées sans révéler les sources desdits
renseignements.
26. Que, compte tenu de la nature des renseignements et des
sources des renseignements contenus dans lesdits rapports de
renseignements confidentiels ainsi que des circonstances dans
lesquelles lesdits renseignements ont été obtenus, le Comité ne
voyait pas d'autre façon de permettre au requérant de répondre
aux allégations qui lui étaient reprochées, si ce n'est en lui
communiquant les renseignements au cours de ladite audience
et en lui donnant le plus de renseignements possibles, compte
tenu des circonstances.
° 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
5 L'arrêt People v. Thurman, 787 P.2d 646 (Colo., 1990) a
été cité à titre d'exemple du concept d'une «explication portant
précisement sur le cas».
laquelle les exigences du paragraphe 17(5) du
Règlement ont été respectées n'a pas pour effet de
décharger l'intimée du fardeau de la preuve.
On soutient que, à tout le moins, la Cour devrait
examiner les documents confidentiels au cours
d'une audience à huis clos pour déterminer la
validité de l'allégation de la Commission (lorsque
cette allégation est générale, comme c'est le cas en
l'espèce, et qu'il n'y a aucune explication évidente
ou précise qui appert du dossier ou d'autres docu
ments). Un examen par la Cour donnerait au
requérant, à tout le moins, une certaine assurance
du fait que le jugement de la Commission n'était
pas fallacieux ou arbitraire (le cas échéant), mais
qu'il reposait plutôt sur un fondement raisonnable
(le cas échéant).
Pour sa part, l'avocat de l'intimée invoque la
décision du juge Pinard dans l'arrêt Pulice c.
Commission nationale des libérations condition-
nelles (1990), 34 F.T.R. 318 (C.F. 1" inst.) et les
décisions qui y sont citées pour dire que la Cour
n'a pas la compétence voulue pour exiger que les
renseignements confidentiels soient présentés à la
Cour dans le cadre de la demande de certiorari et
de mandamus. Il soutient que les renseignements
ne peuvent faire l'objet d'un examen, parce qu'ils
ne font pas partie du dossier. J'ai examiné ces
arrêts et je ne rends aucune décision sur la ques
tion de savoir si les renseignements confidentiels
visés (les «RRC») font partie du dossier. Je ne crois
pas que ce soit nécessaire. Je pourrais dire que je
n'en ai certainement pas besoin pour déterminer
s'il y a eu violation des principes de justice fonda-
mentale qui sont garantis par l'article 7. Le dépôt
auprès de la Cour des rapports confidentiels n'est
pas pertinent à la question de savoir si les principes
de justice fondamentale et, par conséquent, l'arti-
cle 7, ont été violés. Les documents sont pertinents
à l'examen indépendant de l'allégation fondée sur
le paragraphe 17(5) et de la question de savoir si
l'intimée peut démontrer une justification fondée
sur l'article 1.
Il n'est pas nécessaire que je détermine si les
rapports en question font partie du dossier pour
que notre Cour soit en mesure d'exiger le dépôt des
documents confidentiels, car, à mon avis, le para-
graphe 24(1) de la Charte 6 peut être invoqué. Le
paragraphe 24(1) permet à un tribunal saisi d'un
cas où une violation d'un droit garanti par la
Charte a été reconnue d'accorder au requérant «la
réparation que le tribunal estime convenable et
juste eu égard aux circonstances».
Dans la présente cause, si l'on décidait qu'il y a
eu violation des principes de justice naturelle, il
serait normal d'annuler la décision de la Commis
sion et d'exiger que celle-ci entende à nouveau le
cas, mais seulement à la condition que des rensei-
gnements suffisamment détaillés tirés des rensei-
gnements confidentiels concernant les agressions
sexuelles reprochées soient communiqués au requé-
rant pour lui permettre de répondre intelligem-
ment aux allégations formulées contre lui. L'annu-
lation d'une ordonnance de la Commission
nationale des libérations conditionnelles dans une
situation semblable à celle qui prévaut en l'espèce
n'est pas une mesure qui doit être prise à la légère.
Dans les circonstances, j'estime que la répara-
tion juste et appropriée est celle que Me Cole
propose, soit une audience à huis clos au cours de
laquelle la Commission nationale des libérations
conditionnelles aura la possibilité d'établir avec
plus de précision les motifs qu'elle a invoqués pour
refuser de révéler les renseignements en question.
De cette façon, les intérêts du requérant pourront
être protégés et celui-ci aura une certaine assu
rance du fait que la décision de la Commission
n'est pas arbitraire. Cette façon de procéder per-
mettra également de protéger les intérêts de la
Commission, qui ne veut pas être tenue de divul-
guer des renseignements qui, selon elle, pourraient
mettre en danger la sécurité des personnes ou
entraver le déroulement des enquêtes (si l'alléga-
tion selon laquelle la divulgation entraînerait rai-
sonnablement ces conséquences est établie). Si la
Commission préfère plutôt que je rende une ordon-
nance ayant pour effet d'annuler sa décision et de
lui enjoindre de tenir une nouvelle audience à la
condition que d'autres renseignements soient four-
nis au requérant, je suis prête à le faire. Le
requérant a droit à ses dépens dans la présente
demande.
6 24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
Charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
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