T-2982-89
Michael Kennedy (requérant)
c.
Commission de la fonction publique (intimée)
RÉPERTORIÉ: KENNEDY C. CANADA (COMMISSION DE LA
FONCTION PUBLIQUE) (P` INST.)
Section de première instance, juge Strayer—
Ottawa, 18 janvier; 27 février 1990.
Fonction publique — Compétence — Demande d'annulation
de la décision par laquelle la Commission de la fonction
publique a statué que les chances d'avancement du requérant
n'avaient pas été amoindries par la reclassification des postes
de ses collègues qui avaient suivi des cours d'entraînement
additionnels — Titulaires nommés sans concours — La Com
mission a conclu que la reclassification des employés reposait
uniquement sur leur rendement individuel au sein de leurs
propres postes plutôt que sur une élévation de postes particu-
liers — Rôle de la Commission sous le régime de l'art. 21(1)
— Examen du rôle des comités d'appel — La Commission
peut former une opinion selon laquelle les chances des person-
nes non nommées n'ont pas été amoindries par des nominations
sans exclusion.
Il s'agit d'une demande visant à faire annuler la décision par
laquelle la Commission de la fonction publique a statué que les
chances d'avancement du requérant n'avaient pas été amoin-
dries par la reclassification de certains postes, et à obtenir un
bref de mandamus enjoignant à la Commission de trancher
cette question. Le requérant travaille au Centre canadien de
cartographie en tant que technologue en cartographie. Le
Centre a acquis un équipement de cartographie informatisé, et
il a offert de former ceux qui s'intéressaient au travail posté et
étaient disposés à travailler par roulement. Le requérant n'a pas
suivi le cours d'entraînement parce qu'il ne pouvait travailler
par roulement. Son poste était le seul, sur vingt-quatre postes, à
n'avoir pas été reclassifié à un niveau supérieur. Les titulaires
ont été nommés sans concours. Sur requête du requérant, la
Commission a donné son avis selon lequel les chances d'avance-
ment du requérant n'avaient pas été amoindries parce que la
reclassification reposait uniquement sur le rendement individuel
des titulaires nommés, au sein de leurs propres postes; par
conséquent, il n'y a pas eu sélection de personnes aux fins de
nomination. Le requérant soutient que la Commission a décidé
soit qu'il n'avait pas les qualités requises, soit que l'élévation
des postes de ses collègues ne constituait pas une «nomination».
La Commission prétend avoir décidé que les chances du requé-
rant n'avaient pas été amoindries parce qu'il n'existait pas de
restriction du nombre de postes à reclassifier. Il s'agit de
déterminer le rôle de la Commission de la fonction publique
sous le régime du paragraphe 21(1) de la Loi sur l'emploi dans
la fonction publique, et de trancher la question de savoir si
l'avis exprimé par la Commission est conforme à ce rôle.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Compte tenu du paragraphe 21(1) qui prévoit une audience
devant un comité d'appel, le rôle de la Commission sous le
régime de ce paragraphe à l'égard des nominations faites sans
concours consiste dans l'exercice d'une fonction de mécanisme
de présélection pour relever ceux qui ont la qualité suffisante
pour contester la nomination en raison d'une prétendue déroga-
tion au principe du mérite. A cet égard, il s'agit de déterminer
si, en droit, le prétendu appelant peut rapporter la preuve qu'il
a perdu un avantage à supposer que tout ce qu'il allègue soit
vrai. La Commission est en droit de former une opinion selon
laquelle lorsque la nomination reprochée est sans exclusion,
c'est-à-dire celle qui ne limite nullement la possibilité d'autres
nominations semblables à d'autres postes pareillement reclas-
sés, on ne peut dire que, en droit, les chances d'avancement des
personnes qui n'ont pas été nommées ont été amoindries. L'avis
exprimé par la Commission constitue l'exercice d'un tel pou-
voir. L'expression =il n'y a pas eu sélection de personnes aux
fins de nomination» peut raisonnablement être interprétée
comme signifiant qu'il n'y a pas eu sélection parmi un plus
grande nombre de gens pour un nombre limité de postes. Plus
exactement, chaque poste a fait l'objet d'une reclassification
ascendante lorsque le titulaire a rempli les conditions et que la
nomination d'un titulaire à son poste reclassé n'amoindrit pas
les chances de nomination du titulaire d'un autre poste à son
propre poste reclassé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C.
(1985), chap. P-33, art. 10, 21(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Yergeau c. Le comité d'appel de la Commission de la
Fonction publique, [1978] 2 C.F. 129; (1978), 22 N.R.
514 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Kennedy c. Commission de la Fonction publique (Can.)
(1988), 25 F.T.R. 184 (C.F. l' inst.); Nenn c. La Reine,
[1981] 1 R.C.S. 631; (1981), 122 D.L.R. (3d) 577; 36
N.R. 487; Sorobey c. Canada (Comité d'appel de la
Commission de la Fonction publique), [1987] 1 C.F. 219;
(1986), 72 N.R. 318 (C.A.); Keenan c. Canada (Com-
mission de la Fonction publique), [1989] 3 C.F. 643;
(1989), 27 F.T.R. 160; 100 N.R. 232 (C.A.); Blagdon c.
Commission de la Fonction publique, [1976] 1 C.F. 615
(C.A.); Canada (Procureur général) c. Pearce, [1989] 3
C.F. 272; (1989), 99 N.R. 338 (C.A.).
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour le requérant.
Geoffrey Lester et Marie-Claude Turgeon
pour l'intimée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER:
La réparation demandée
Il s'agit d'une demande visant à obtenir un bref
de certiorari qui annulerait la décision par laquelle
la Commission de la fonction publique a, le 10
juillet 1989, statué que les chances d'avancement
du requérant n'avaient pas été amoindries par la
reclassification de certains postes au sein du minis-
tère de l'Énergie, des Mines et des Ressources, et
un bref de mandamus enjoignant à la Commission
de trancher de nouveau cette question conformé-
ment aux exigences de l'article 21 de la Loi sur
l'emploi dans la fonction publique'.
Les faits
Le requérant travaille au Centre canadien de
cartographie du ministère de l'Énergie, des Mines
et des Ressources, à Ottawa, en tant que technolo-
gue en cartographie classé DD -4. Pour ce qui est
des faits de base, il semble qu'il n'y ait pas désac-
cord quant à ce qui s'est réellement passé. Le
requérant avait travaillé pendant quelque temps au
Centre canadien de cartographie avec vingt-trois
autres technologues en cartographie, tous classés
DD -4. Vers 1983, le Centre a acquis un nouvel
équipement de cartographie informatisé, et il a
offert de former ceux qui s'intéressaient au travail
posté et acceptaient de travailler par roulement. Le
requérant prétend que, à cette époque, il ne pou-
vait accepter un tel travail, ce qui fait qu'il n'a pas
reçu de formation. Selon lui, il a plus tard
demandé à recevoir la formation mais on la lui a
refusée. Les vingt-trois autres technologues en car-
tographie en question ont chacun suivi des cours
d'entraînement, et ils ont reçu une rémunération
provisoire au niveau DD -5. En 1988, les postes de
ces vingt-trois technologues ont tous été reclassés
DD -5 et, le 28 juillet 1988, la Commission de la
fonction publique a annoncé la nomination sans
concours des vingt-trois titulaires des postes DD -4
à leur poste reclassifié respectif qui est maintenant
au niveau DD -5. Peu de temps après, le requérant
a demandé à la Commission de donner un avis,
comme l'exige l'article 21 de la Loi sur l'emploi
' L.R.C. (1985), chap. P-33 qui ressemble essentiellement à
l'article comparable figurant dans la Loi antérieure qui était en
vigueur lors de la survenance des événements pertinents.
dans la fonction publique à titre de condition
préalable à un appel qu'il saisirait un comité d'ap-
pel. Le paragraphe 21(1) de cette Loi, qui ressem-
ble essentiellement à la disposition en vigueur à
l'époque où le requérant a demandé pour la pre-
mière fois l'avis de la Commission, est ainsi rédigé:
21. (1) Tout candidat non reçu à un concours interne ou, s'il
n'y a pas eu concours, toute personne dont les chances d'avan-
cement sont, selon la Commission, amoindries par une nomina
tion interne, déjà effective ou en instance, peut, dans le délai
imparti par la Commission, en appeler devant un comité chargé
par celle-ci de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant
et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont
l'occasion de se faire entendre.
Le 30 septembre 1988, la Commission a
exprimé l'avis que les chances d'avancement du
requérant n'avaient pas été amoindries par la
nomination sans concours des vingt-trois autres
technologues en cartographie aux postes de niveau
de classification DD -5. Elle a motivé son avis en
ces termes:
[TRADUCTION] Il a été clairement établi que l'auteur de la
demande ne respecte pas une des exigences fondamentales du
poste en question. On ne peut considérer que la nomination
d'autres personnes à des postes pour lesquels il ne possède pas
les qualités requises a amoindri ses chances d'avancement.
Le requérant s'est adressé à cette Cour pour
demander un bref de certiorari et un bref de
mandamus, et mon collègue le juge Martin les lui
a accordés le 21 décembre 1988 2 . Le juge Martin
a conclu que la Commission avait commis une
erreur de droit en tranchant la question de savoir si
le requérant avait les qualités requises pour les
postes en question. Il a jugé que, dans les circons-
tances, la Commission avait [à la page 186]:
... exercé la compétence qui devrait à juste titre être exercée
par le comité d'appel et non par la Commission.
Il a donc annulé la décision et il a enjoint à la
Commission de «donner un avis conforme à la loi»
[à la page 186].
Dans ses motifs, le juge Martin a fait cette
remarque [à la page 186]:
En l'espèce, 23 compagnons de travail possédant la même
classification que le requérant ont été nommés sans concours à
2 Kennedy c. Commission de la Fonction publique (Can.)
(1988), 25 F.T.R. 184 (C.F. 1" inst.).
des postes connexes de niveaux de classification plus élevés. À
mon avis, il suffisait à la Commission de tenir compte de ces
faits pour se prononcer, non pas sur la question de savoir si le
requérant aurait dû ou non être nommé à l'un de ces postes,
mais sur la question du préjudice qu'a pu ou non subir le
requérant en raison de ces nominations sans concours...
La Commission a réexaminé la question et, par
lettre en date du 10 juillet 1989, elle a informé le
requérant de son avis, en date du 23 juin 1989,
selon lequel elle estimait toujours que ses chances
d'avancement n'avaient pas été amoindries par la
nomination des vingt-trois titulaires. Elle a justifié
son avis en ces termes:
[TRADUCTION] La reclassification de ces employés reposait
uniquement sur le rendement individuel au sein de leur propre
poste plutôt que sur une élévation des vingt-trois postes particu-
liers. Il n'y a donc pas eu sélection de personnes aux fins de
nomination.
Le requérant a intenté la présente action pour faire
annuler l'avis exprimé par la Commission en juin
1989, invoquant le motif que celle-ci a commis une
erreur de droit ou a outrepassé sa compétence en
donnant un tel avis. Le requérant considère le
second avis comme comportant une conclusion que
le requérant n'avait pas les qualités requises pour
les postes auxquels ses vingt-trois collègues avaient
été nommés, ou que leur élévation au niveau de
DD -5 ne constituait pas une «nomination" et n'est
donc pas visée par le texte du paragraphe 21(1) de
la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Le
requérant fait valoir que ce paragraphe n'autori-
sait pas la Commission à trancher l'une ou l'autre
de ces questions. La Commission prétend qu'elle
n'a pas voulu trancher ces questions par l'avis
qu'elle avait exprimé le 23 juin 1989, et qu'elle a
plutôt décidé que les chances d'avancement du
requérant n'avaient pas été amoindries parce que
le nombre de postes à reclasser n'était nullement
limité. Cela veut dire que la reclassification de
chaque poste et la nomination du titulaire à ce
poste dépendaient des qualifications du titulaire
particulier de ce poste DD -4, et que par consé-
quent le requérant, son poste n'ayant pas fait
l'objet d'une reclassification, n'a nullement été
désavantagé par le fait que les postes des vingt-
trois de ses collègues avaient été reclassés pour être
au niveau de DD -5.
Les points litigieux
En l'espèce, les points litigieux essentiels sont:
1) Quel est le rôle de la Commission de la
fonction publique sous le régime du para-
graphe 21(1) de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique?
2) Peut-on qualifier l'avis exprimé par la
Commission le 23 juin 1989 et qu'elle a
envoyé le 10 juillet 1989 de conforme à ce
rôle?
Les conclusions
Les responsabilités respectives, en vertu du para-
graphe 21(1), de la Commission et d'un comité
d'appel ne sont pas bien définies.
Au départ, on peut présumer que ces deux orga-
nismes sont liés par le principe fondamental
énoncé à l'article 10 de la Loi selon lequel:
10. Les nominations internes ou externes à des postes de la
fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur
le mérite ...
qu'elles soient effectuées avec ou sans concours. Si
l'on interprétait littéralement les mots du paragra-
phe 21(1) qui exigent de la Commission, lorsqu'on
le lui demande, de donner son avis sur la question
de savoir si les «chances d'avancement [d'une per-
sonne particulière] sont . .. amoindries» par une
sélection sans concours, et si l'on faisait abstrac
tion des autres mots du paragraphe, on pourrait
attribuer à la Commission un pouvoir absolu, celui
de décider si le principe du mérite a été appliqué.
Dans ce sens, la Commission pourrait aborder
toutes les questions telles que celle de savoir s'il y a
eu en fait «nomination» et si la personne en ques
tion était mieux qualifiée pour cette nomination
que la personne qui a dans les faits été nommée.
On pourrait considérer ces décisions comme fai-
sant partie d'une décision sur la question de savoir
si cette personne a déjà eu une «chance d'avance-
ment». On ne pourrait dire de celui qui n'a jamais
eu le talent nécessaire pour le travail que ses
chances d'avancement sont «amoindries». Ses
chances d'avancement ne sauraient être amoin-
dries par une nomination s'il n'y a pas eu, en droit,
«nomination». Mais une interprétation large de ce
genre ferait que la disposition prévoyant une
audience devant un comité d'appel serait dénuée
de sens.
Il appert également qu'il doit y avoir une diffé-
rence fonctionnelle entre le fait pour la Commis
sion de donner un avis et le fait pour un comité
d'appel de trancher un pourvoi. Il a été jugé que la
Commission, en donnant son avis, s'acquittait
d'une fonction administrative dans laquelle on s'at-
tend à ce qu'elle fasse usage de ses connaissances'.
D'autre part, les comités d'appel sont considérés
comme exerçant des fonctions quasi judiciaires.
Ainsi donc, le paragraphe 21(1) prévoit expressé-
ment le droit de l'appelant de se faire entendre
devant le comité d'appel alors que la Loi ne prévoit
pas qu'il peut se faire entendre par la Commission
à l'égard d'un avis que celle-ci exprime en vertu de
ce paragraphe. La Cour d'appel fédérale a souli-
gné la nécessité pour le comité d'appel de donner à
un appelant une audience équitable, notamment le
droit de contre-interroger les témoins cités pour le
compte du sous-chef pour s'opposer à l'appel 4 . La
Cour d'appel a attribué aux comités d'appel le
pouvoir exclusif d'examiner les questions fonda-
mentales telles que celle de savoir si le fait de
pourvoir à un poste est une «nomination» au sens
de l'articles. La Cour d'appel a également statué
que la question principale soumise à un comité
d'appel est de savoir si le choix du candidat reçu a
été effectué conformément au principe du mérite 6 ,
et que, en le faisant, il peut examiner généralement
les circonstances conduisant au choix (par exemple
une affectation provisoire du candidat retenu au
poste en question ayant été effectuée plusieurs
mois avant la tenue d'un concours, et la nature des
questions posées aux candidats par le jury de
sélection)'.
S'il existe un concept unificateur permettant de
définir le pouvoir du comité d'appel, par opposition
à celui de la Commission, sous le régime du para-
graphe 21(1), il semblerait qu'il devrait incomber
aux comités de trancher les questions de fait con-
testées qui se rapportent à la décision de savoir si
le principe du mérite a été appliqué dans une
nomination. On peut en trouver un exemple dans
l'arrêt Keenan de la Cour d'appel fédérale. Dans
cette affaire, la Cour a jugé qu'il appartenait au
3 Nenn c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 631, à la p. 637.
° Voir p. ex. Sorobey c. Canada (Comité d'appel de la
Commission de la Fonction publique), [1987] 1 C.F. 219
(C.A.), à la p. 221.
5 Keenan c. Canada (Commission de la Fonction publique),
[1989] 3 C.F. 643 (C.A.).
6 Blagdon c. Commission de la Fonction publique, [1976] 1
C.F. 615 (C.A.), à la p. 618.
' Canada (Procureur général) c. Pearce, [1989] 3 C.F. 272
(C.A.).
comité d'appel de déterminer si un détachement ou
affectation équivalait à une «nomination», et le
juge Mahoney, J.C.A., qui rédigeait l'arrêt de la
Cour, s'est prononcé en ces termes:
La jurisprudence est claire à ce sujet: tous deux peuvent
constituer ou non une nomination, selon les circonstances; voir
notamment Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2
R.C.S. 489; Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503; et Lucas c.
Canada (Comité d'appel de la Commission de la Fonction
publique), [1987] 3 C.F. 354 (C.A.). Je n'évoque ces décisions
que pour illustrer que la question n'est pas réglée et qu'elle
dépend grandement des circonstances de chaque cas.
J'estime, avec égards, que la Loi ne permet pas à la Commis
sion de prendre cette décision. Dans les circonstances, l'article
21 ne confère à la Commission que le pouvoir de former et
d'exprimer un avis sur la question de savoir si la mesure de
dotation en personnel qui a été prise ou est sur le point de l'être
a amoindri les chances d'avancement de la personne qui inter-
jette appel. Si elle fait l'objet du litige, la question de savoir si
la mesure de dotation était ou sera une nomination relève du
comité d'appel. Si celui-ci estime que la mesure ne constituait
pas une nomination, il conclura qu'il n'a pas compétence pour
entendre l'appel, mais c'est au comité de rendre cette décision
après audition de l'affaire et non à la Commission, après
enquête s .
Certes, une certaine interprétation du droit s'im-
pose à cet égard; mais il semble que les questions
de fait suffisamment discutables doivent être tran-
chées par un comité d'appel après la tenue d'une
audience à laquelle les deux parties peuvent
participer.
Il appert donc que le rôle de la Commission sous
le régime du paragraphe 21(1) l'égard des nomi
nations faites sans concours est, par nature, relati-
vement restreint. Il est évident que la Commission
doit faire fonction de mécanisme de présélection
pour relever ceux qui devraient être considérés
comme ayant la qualité suffisante pour contester
la nomination qui a été effectuée à raison d'une
prétendue dérogation au principe du mérite. A cet
égard, il s'agit notamment de déterminer si, en
droit, le prétendu appelant peut rapporter la
preuve qu'il a perdu un avantage même si tout ce
qu'il allègue est vrai. Avec égards, je suis d'accord
avec la décision de mon collègue, le juge Martin,
qui a annulé le premier avis exprimé par la Com
mission le 30 septembre 1988 l'égard du requé-
rant à l'instance pour le motif que la Commission
ne tenait pas du paragraphe 21(1) le pouvoir de
déterminer si le requérant avait les qualités requi-
ses pour occuper le poste en question. A l'évidence,
8 Supra, renvoi 5, à la p. 646.
il s'agit d'une question susceptible de mettre en
cause les qualifications respectives du requérant et
de ses vingt-trois collègues, question à l'égard de
laquelle il devrait avoir droit à une audience équi-
table devant un comité d'appel. Mais il existe
d'autres questions plus objectives que la Commis
sion peut trancher de façon appropriée.
Sans tenter de définir la catégorie de décisions
que la Commission peut prendre, j'estime qu'elle a
le pouvoir, en faisant usage de ses connaissances,
de former une opinion selon laquelle, lorsque la
nomination reprochée est sans exclusion (c.-à-d.
celle qui ne limite nullement la possisibilité d'au-
tres nominations semblables à d'autres postes
pareillement reclassés), on ne peut dire que, en
droit, les chances d'avancement des personnes qui
n'ont pas été nommées à ce poste ont été amoin-
dries. Si le pouvoir que tient la Commission du
paragraphe 21(1) de former une opinion doit avoir
un sens, il me semble qu'elle soit à tout le moins
habilitée à tirer cette conclusion. À mon avis, cet
argument se trouve également étayé par l'arrêt que
la Cour d'appel a rendu dans l'affaire Yergeau c.
Le comité d'appel de la Commission de la Fonc-
tion publique 9 , où il a été jugé que la Commission
ne pouvait s'acquitter de ses responsabilités en
vertu du paragraphe 21(1) en adoptant un règle-
ment général qui laisse entendre que lorsqu'une
personne est nommée à un poste reclassé qu'il a
occupé antérieurement à sa reclassification, ce fait
serait considéré comme n'ayant pas amoindri les
chances d'avancement d'une autre personne. Au
lieu de cela, il a été statué qu'une telle décision
devait être prise dans chaque cas individuel par la
Commission, et la Cour d'appel a expressément
renvoyé cette question à la Commission pour
qu'elle forme son opinion. Cette question est essen-
tiellement identique à celle dont est saisie la Com
mission en l'espèce.
De plus, j'estime qu'on peut qualifier le second
avis formé à cet égard par la Commission le 23
juin 1989 d'exercice d'un tel pouvoir. Bien que le
texte des motifs de l'avis soit quelque peu ambigu,
j'estime qu'il est raisonnable d'interpréter les mots
[TRADUCTION] ... il n'y a pas eu sélection de personnes aux
fins de nomination
9 [1978] 2 C.F. 129 (C.A.).
dans le contexte pour dégager le sens qu'il n'y a
pas eu sélection parmi un plus grand nombre de
gens pour un nombre limité de postes. Plus exacte-
ment, chaque poste a fait l'objet d'une reclassifica-
tion ascendante lorsque le titulaire a rempli les
conditions requises et que la nomination d'un titu-
laire à son poste reclassé n'amoindrit pas les chan
ces de nomination du titulaire d'un autre poste à
son propre poste reclassé.
Malgré les arguments invoqués par le requérant,
je ne conviens pas que la Commission n'ait pas
tenu compte de l'opinion du juge Martin selon
laquelle il suffisait de considérer que vingt-trois
employés possédant la même classification que le
requérant avaient été nommés à des postes reclas-
sés et que celui-ci ne l'avait pas été. A l'évidence,
la Commission a alors examiné ces faits constants,
mais elle conclu que, en droit, ils n'amoindrissaient
nullement les chances du requérant en ce qui
concerne la reclassification de son poste et sa
nommination à celui-ci.
Il faut toujours se rappeler qu'une demande de
contrôle judiciaire n'est pas un appel, et qu'il n'est
pas loisible à la Cour de substituer sa propre
opinion sur les faits à celle de l'autorité qui fait
l'objet d'un contrôle. Je suis convaincu que la
Commission ne s'est pas fourvoyée dans l'interpré-
tation juridique permise du paragraphe 21(1) ni
quant à son pouvoir sous le régime de ce paragra-
phe. En conséquence, rien ne justifie d'annuler sa
décision.
La décision
La demande est donc rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.