T-2557-86
Syndicat international des débardeurs et magasi-
niers—Canada, sections locales 500, 502, 503,
504, 505, 506, 508, 515 et 519 et toutes personnes
qui travaillent habituellement dans le domaine du
débardage ou qui poursuivent des activités con-
nexes à un port de la côte ouest du Canada et qui
sont assujetties aux dispositions de la Loi de 1986
sur les opérations portuaires (demanderesses)
c.
Sa Majesté La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: SYNDICAT INTERNATIONAL DES DÉBARDEURS ET
MAGASINIERS—CANADA, SECTION LOCALE 500 C. CANADA (I' s
INST.)
Section de première instance, juge Rouleau—Van-
couver, 19, 20, 21, 22, 26, 27, 28 septembre, 2 et 3
octobre 1989; Ottawa, 8 mars 1990.
Relations du travail — Loi imposant le retour au travail —
La Loi de 1986 sur les opérations portuaires qui interdit la
grève ou le lock-out aux ports de la Colombie-Britannique ne
viole pas la liberté d'association garantie par la Charte puis-
que le droit de faire la grève n'est pas garanti — L'art. 13 de
la Loi viole l'art. 7 de la Charte qui prévoit le droit à la vie, à
la liberté et à la sécurité de la personne, en créant une
infraction de responsabilité absolue pour avoir omis de se
présenter au travail, infraction punissable par une peine d'em-
prisonnement si l'amende n'est pas payée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales — Liberté d'association — La loi imposant le
retour au travail ne viole pas la liberté d'association garantie
par l'art. 2d) de la Charte puisque le droit de faire la grève
n'est pas garanti — Il est inutile de décider si l'art. 2d) de la
Charte s'étend au droit de négocier collectivement puisque la
loi n'interdisait pas aux demanderesses d'entamer une négo-
ciation collective.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Loi imposant le retour au travail interdisant de
faire la grève — Cette interdiction ne viole pas l'art. 7 de la
Charte, puisque le droit à la grève prévu par la loi n'est pas
visé par les droits et libertés traditionnels et fondamentaux de
la common law que prévoit l'art. 7 — L'art. 13 de la Loi viole
l'art. 7 de la Charte en créant une infraction de responsabilité
absolue pour avoir omis de se présenter au travail, infraction
punissable par une peine d'emprisonnement si l'amende n'est
pas payée — La proposition de la Couronne selon laquelle il
n'y aura pas de poursuite lorsque l'absence est justifiée par un
motif valable n'est pas pertinente puisque la question en litige
est la constitutionnalité de la disposition et non la politique en
matière d'application de la loi — L'art. premier de la Charte
ne saurait justifier la violation de l'art. 7 en l'espèce — Les
circonstances ne sont pas suffisamment exceptionnelles pour
justifier de sacrifier les droits prévus à l'art. 7 de la Charte à
la commodité administrative.
La convention collective, applicable à plus de 4 000 employés
syndiqués et non syndiqués qui travaillaient comme débardeurs
réguliers et occasionnels dans des ports de la côte ouest, devait
expirer au mois de décembre 1985. A la suite d'un échange de
mises en demeure, des négociations directes ont commencé le 4
octobre 1985 et duré deux mois. Par la suite, le syndicat a, au
moyen d'un avis de contestation, informé le ministre du Travail
d'une rupture des négociations contractuelles. Après avoir tenu
de longues et infructueuses rencontres de négociation ainsi que
d'autres négociations directes, l'association patronale a décrété
un lock-out au mois d'octobre 1986. Un mois plus tard, le
Parlement a adopté une loi de retour au travail, la Loi de 1986
sur les opérations portuaires (L.O.P.). Cette loi ordonnait aux
employeurs de reprendre le débardage et aux employés de
retourner au travail. Elle prolongeait en outre la durée de la
convention collective antérieure, interdisait la grève et le lock
out pendant la durée de la convention collective prolongée,
permettait aux parties de modifier l'une ou l'autre des disposi
tions de la convention, sauf en ce qui a trait à sa durée, et à
l'article 13 de ladite loi, elle déclarait que les contraventions à
la Loi étaient des infractions punissables d'une amende sur
déclaration sommaire de culpabilité.
Dans le présent litige, les demanderesses soutiennent que la
L.O.P. viole les droits et libertés protégés par la Constitution et
garantis par l'alinéa 2d) (liberté d'association) et par l'article 7
(droit à la vie, à la liberté, et à la sécurité de la personne) de la
Charte, et que la Loi devrait donc être déclarée nulle et non
avenue.
Jugement: l'action devrait être rejetée, sauf pour ce qui est de
l'article 13 de la Loi qui devrait être déclaré nul et non avenu
pour le motif qu'il est incompatible avec l'article 7 de la
Charte.
Liberté d'association
Les principes qui peuvent se dégager des décisions de la Cour
suprême du Canada dans les arrêts Renvoi relatif à la Public
Service Employee Relations Act (Alb.); AFPC c. Canada et
SDGMR c. Saskatchewan, portent que l'alinéa 2d) de la
Charte garantit le droit de créer et maintenir un syndicat et
d'en être membre, mais qu'il ne garantit pas le droit de faire la
grève. Il s'ensuit donc que la L.O.P. n'a pas violé la liberté
d'association des demanderesses en interdisant les grèves et les
lock-outs pendant la durée de la convention collective
prolongée.
Il ne s'agissait pas en l'espèce d'une décision appropriée
permettant de déterminer si la garantie constitutionnelle rela
tive à la liberté d'association s'étendait au droit de négocier
collectivement, question qui n'a pas encore été tranchée par la
Cour suprême puisque la loi attaquée n'interdisait pas aux
demanderesses de poursuivre les négociations collectives.
Vie, liberté et sécurité
Pour prouver que la L.O.P. violait l'article 7 de la Charte, les
demanderesses devaient d'abord démontrer que le droit de faire
la grève se rapportait à «la vie, à la liberté et à la sécurité de la
personne». Il ressort de la jurisprudence que l'interprétation qui
limitait la portée de l'article 7 à l'absence de contrainte physi
que était trop étroite. L'article 7 vise à protéger les libertés qui
sont généralement reconnues et acceptées en common law. Le
droit de faire la grève qui est maintenant reconnu dans les
textes de loi est encore un concept relativement nouveau qui
n'appartient pas à la catégorie des droits et libertés fondamen-
taux visés à l'article 7. Il n'est pas devenu partie intégrante de
nos traditions sociales et historiques au point d'acquérir le
statut d'un droit immuable et fondamental, fermement enraciné
dans nos traditions et dans notre philosophie politique et
sociale.
La pénalité prévue à l'article 13 de la L.O.P. viole toutefois
les droits des demanderesses qui sont protégés par l'article 7 de
la Charte. Le débardeur qui n'est pas retourné au travail pour
une raison ou pour une autre pourrait être reconnu coupable
d'une infraction punissable par procédure sommaire pour
laquelle il serait passible d'une amende qui, à défaut de paie-
ment, entraînerait en vertu du Code criminel une peine d'em-
prisonnement. Aucune exception n'a été prévue. Il s'agissait
donc d'une infraction de responsabilité absolue. Comme la
défenderesse l'a souligné, une personne qui s'est absentée pour
une raison valable aurait pu ne pas être poursuivie, mais la
question soulevée portait sur la constitutionnalité de la loi et
non sur le principe de l'exécution. Une disposition créant une
infraction de responsabilité absolue et permettant à son égard
l'imposition d'une peine d'emprisonnement viole les principes de
justice fondamentale et le droit à la liberté qui découlent de
l'article 7 de la Charte. En l'espèce, ce n'est pas la violation de
la loi contestée qui a ouvert la voie à la peine d'emprisonne-
ment, c'est plutôt la violation de l'ordonnance de la cour
relative au paiement d'une amende, mais cela est suffisant pour
constituer une violation de l'article 7 de la Charte. En outre,
l'article 1 de la Charte ne peut avoir pour effet de protéger
l'article 13. L'article premier peut, pour des motifs de commo-
dité administrative, venir sauver une disposition légale qui
constituerait par ailleurs une violation de l'article 7, mais
seulement dans les circonstances qui résultent de conditions
exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement
d'hostilités, les épidémies et ainsi de suite. Les circonstances de
l'espèce n'étaient pas suffisamment exceptionnelles pour per-
mettre de sacrifier à la commodité administrative les droits des
demanderesses garantis par la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44] art. 1, 2d), 7, 8 à
14.
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art.
163b) (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 195
(édicté, idem).
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 787 (mod.
par L.R.C. (1985) (1°'suppl.), chap. 27, art. 171).
Loi de 1986 sur les opérations portuaires, S.C. 1986,
chap. 46, art. 3, 5, 6, 7, 8, 11, 12, 13.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations
Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; (1987), 78 A.R. 1; 38
D.L.R. (4th) 161; [1987] 3 W.W.R. 577; 51 Alta. L.R.
(2d) 97; 87 C.L.L.C. 14,021; [1987] D.L.Q. 225; 74 N.R.
99; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; (1987), 38
D.L.R. (4th) 249; 87 C.L.L.C. 14,022; 32 C.R.R. 114;
[1987] D.L.Q. 230; 75 N.R. 161; SDGMR c. Saskatche-
wan, [1987] 1 R.C.S. 460; (1987), 38 D.L.R. (4th) 277;
[1987] 3 W.W.R. 673; 87 C.L.L.C. 14,023; [1987]
D.L.Q. 233; 74 N.R. 321; Renvoi: Motor Vehicle Act de
la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th)
536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C.
(3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R.
240; 63 N.R. 266; Irwin Toys Ltd. c. Québec (Procureur
général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th)
577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu-
reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24
D.L.R. (4th) 321; 7 C.P.R. (3d) 145; 19 C.R.R. 233; 12
F.T.R. 81 (1rc inst.); confirmé par [1987] 2 C.F. 359;
(1986), 34 D.L.R. (4th) 584; 11 C.I.P.R. 181; 12 C.P.R.
(3d) 385; 27 C.R.R. 286; 78 N.R. 30 (C.A.); Weyer c.
Canada (1988), 83 N.R. 272 (C.A.F.); autorisation d'in-
terjeter appel à la C.S.C. refusée [1988]-1 R.C.S. xv; Re
Gershman Produce Co. Ltd. and Motor Transport Board
(1985), 22 D.L.R. (4th) 520; [1986] 1 W.W.R. 303; 36
Man. R. (2d) 81; 16 Admin. L.R. 1; 17 C.R.R. 132; 37
M.V.R. 96 (C.A. Man.); Milk Bd. v. Clearview Dairy
Farm Inc.; Clearview Dairy Farm Inc. v. Milk Bd.
(1986), 69 B.C.L.R. 220 (C.S.); confirmé par [1987] 4
W.W.R. 279; (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 116 (C.A.C.-B.);
Noyes v. South Cariboo Sch. Dist. 30 Bd. of Sch. Trus
tees (1985), 64 B.C.L.R. 287 (C.S.); R. v. Quesnel
(1985), 53 O.R. (2d) 338; 24 C.C.C. (3d) 78; 12 O.A.C.
165 (C.A. Ont.); Procureur général du Québec c. Quebec
Association of Protestant School Boards et autres,
[1984] 2 R.C.S. 66; (1984), 10 D.L.R. (4th) 321; 9
C.R.R. 133; 54 N.R. 196.
DÉCISIONS EXAMINEES:
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 63 O.R.
(2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62
C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; Re
Mia and Medical Services Commission of British
Columbia (1985), 17 D.L.R. (4th) 385; 61 B.C.L.R. 273;
15 Admin. L.R. 265; 16 C.R.R. 233 (C.S.C.-B.); Wilson
v. British Columbia (Medical Services Commission)
(1988), 53 D.L.R. (4th) 171; [1989] 2 W.W.R. 1
(C.A.C.-B.).
AVOCATS:
P. N. M. Glass et R. B. Noonan pour les
demanderesses.
Eric H. Bowie, c.r. et M. N. Kinnear pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Swinton & Company, Vancouver, pour les
demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada, pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ROULEAU:
LES FAITS
Dans le présent litige, les demanderesses sou-
tiennent que la Loi de 1986 sur les opérations
portuaires [S.C. 1986, chap. 46], qui est entrée en
vigueur le 18 novembre 1986, viole les droits et
libertés protégés par la Constitution et garantis
par l'alinéa 2d) et l'article 7 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]]
et que cette loi sur le retour au travail devrait donc
être déclarée nulle et non avenue. Les faits à
l'origine du présent litige sont simples.
Les sections locales 500, 502, 503, 504, 505,
506, 515 et 519 du Syndicat international des
débardeurs et magasiniers—Canada représentent
les personnes qui travaillent habituellement dans le
domaine du débardage ou qui poursuivent des
activités connexes à des ports de la Colombie-Bri-
tannique. Ces parties sont ci-après appelées les
«sections locales du Syndicat». Les demanderesses
comprennent également toutes personnes qui tra-
vaillent habituellement dans le domaine du débar-
dage ou qui poursuivent des activités connexes à
un port situé sur la côte ouest du Canada et qui
sont assujetties aux dispositions de la Loi de 1986
sur les opérations portuaires. Ces parties sont
ci-après appelées «les employés». Les employés sont
tous membres de diverses unités de négociation qui
se distinguent par des employeurs différents et,
selon la région, par différentes sections locales du
Syndicat. Chaque unité de négociation est repré-
sentée lors des négociations par l'une des sections
locales du Syndicat. Les sections locales du Syndi-
cat qui sont en cause se trouvent aux ports de
Vancouver, New Westminster, Port Alberti, Victo-
ria, Prince Rupert, Chemainus, Port Simpson et
Stewart.
Le présent litige découle d'une rupture des négo-
ciations entre la British Columbia Maritime
Employer's Association (B.C.M.E.A.) et le Syndi-
cat international des débardeurs et magasiniers—
Canada (S.I.D.M.) relativement au renouvelle-
ment et à la révision d'une convention collective
entre les parties. Cette convention, qui avait expiré
le 31 décembre 1985, s'appliquait à plus de 4 000
employés syndiqués et non syndiqués qui travail-
laient comme débardeurs réguliers et occasionnels
dans des ports de la côte ouest.
Conformément aux dispositions de la convention
collective existante, une mise en demeure de négo-
cier a été signifiée par le Syndicat à l'employeur
au moyen d'une double lettre recommandée en
date du 30 septembre 1985, et par l'employeur au
Syndicat au moyen d'une lettre remise en mains
propres, laquelle est également en date du 30
septembre 1985. Des négociations directes ont eu
lieu entre les parties du 4 octobre au 2 décembre
1985. Le 2 décembre 1985, le S.I.D.M. a déposé
auprès du ministre du Travail un avis de contesta-
tion conformément à l'alinéa 163b) du Code cana-
dien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, et ses
modifications [S.C. 1972, chap. 18, art 1], pour
informer le ministre d'une rupture des négociations
contractuelles.
En réponse à cet avis, le ministre a nommé un
conciliateur et les négociations directes entre les
parties se sont poursuivies pendant tout le mois de
janvier de 1986. Du 3 février au 14 mars de la
même année, les parties ont tenu des rencontres de
conciliation avec le conciliateur, mais elles n'ont
pu résoudre les points en litige. Au cours de la
première semaine d'avril 1986, elles ont tenu des
négociations directes pendant deux autres jour-
nées. Toutefois, ces négociations ont été ajournées
au cours de la deuxième semaine d'avril 1986;
pendant cette semaine-là, le S.I.D.M. a élu un
nouveau président, M. Don Garcia. M. Garcia a
immédiatement demandé au conciliateur de dépo-
ser son rapport et s'est opposé à toute autre aide
d'un tiers.
Conformément à la procédure énoncée dans le
Code canadien du travail, le ministre du Travail a
nommé Dalton Larson à titre de commissaire-con-
ciliateur le 30 mai 1986. Du 5 au 26 juin 1986, des
audiences ont été tenues devant le commissaire
Larson. Par la suite, les parties ont remis au
commissaire leurs observations écrites à l'appui de
leurs positions respectives. Le rapport et les recom-
mandations de M. Larson ont été soumis au minis-
tre qui, à son tour, les a communiqués aux parties
le 8 septembre 1986.
Bien que la grève ou le lock-out était légalement
permis le 16 septembre 1986, les parties ont repris
les négociations directes le 25 septembre et le 3
octobre 1986. Le 6 octobre 1986, à 1 h, la
B.C.M.E.A. a décrété un lock-out. À la même
date, le ministre du Travail a envoyé à la
B.C.M.E.A. et au S.I.D.M. un télex dans lequel il
demandait aux parties de permettre la reprise des
envois de grain. Le S.I.D.M. a accepté, mais la
B.C.M.E.A. a refusé de permettre le transport du
grain seulement; elle a toutefois consenti à lever le
lock-out pendant trente jours, afin de permettre
aux parties de reprendre les négociations. Les opé-
rations de débardage ont été rétablies le 8 octobre
1986 et les négociations ont repris le 15 octobre de
la même année.
Le 29 octobre 1986, le ministre a nommé deux
médiateurs conformément à l'article 195 [édicté
par S.C. 1972, chap. 18, art. 1] du Code canadien
du travail. Toutefois, le 14 novembre 1986, les
parties n'avaient pas réussi à négocier les condi
tions d'une nouvelle convention collective. À cette
date-là, le ministre a rencontré la B.C.M.E.A. et le
S.I.D.M. pendant environ vingt minutes pour
tenter d'inciter les parties à négocier et à résoudre
le conflit. Elles ont alors été prévenues de l'adop-
tion imminente d'une loi sur le retour au travail, à
moins qu'elles ne prennent immédiatement les
mesures nécessaires pour résoudre le conflit qui les
opposait. Le 15 novembre 1986, à 1 h, la
B.C.M.E.A. a décrété un autre lock-out.
Le 17 novembre 1986, le projet de loi C-24, soit
la Loi de 1986 sur les opérations portuaires, a été
déposé devant la Chambre des communes et
adopté le lendemain; ce projet de loi avait pour
effet de décréter la reprise immédiate des activités
de débardage. La Loi est entrée en vigueur le 19
novembre 1986; les 20 et 21 novembre, les unités
de négociation sont retournées au travail.
Essentiellement, la Loi de 1986 sur les opéra-
tions portuaires (L.O.P.) prévoyait ce qui suit:
a) chaque entreprise était tenue de reprendre le
débardage et chaque personne employée ordinai-
rement au débardage devait reprendre immédia-
tement son travail (article 3);
b) la durée de la convention collective anté-
rieure était prolongée jusqu'au 31 décembre
1988 ou jusqu'à la date de la conclusion d'une
nouvelle convention entre les parties, selon la
plus rapprochée des deux dates (article 5);
c) la grève et le lock-out étaient interdits pen
dant la durée de la convention collective prolon-
gée (article 8);
d) la convention collective était réputée modi-
fiée par adjonction des modifications recomman-
dées par le commissaire-conciliateur (article 6);
toute controverse sur le libellé d'une modifica
tion devait être tranchée par un arbitre (article
11);
e) une commission d'enquête industrielle a été
nommée pour statuer sur toutes questions con-
cernant la clause-conteneur de la convention
collective (article 7);
f) les parties à la convention collective prolon-
gée pouvaient modifier l'une ou l'autre des dis
positions de la convention, sauf en ce qui a trait
à la durée (article 12);
g) les contraventions à la L.O.P. étaient des
infractions punissables par déclaration som-
maire. Dans le cas d'une personne reconnue
coupable d'une infraction de cette nature, une
amende variant de 500 $ à 1 000 $ devait être
payée pour chacun des jours au cours desquels
l'infraction était commise ou se poursuivait. S'il
s'agissait d'un dirigeant ou d'un représentant du
syndicat ou de l'employeur, l'amende variait de
10 000 $ à 50 000 $ par jour et la personne en
question n'avait pas le droit d'agir à ce titre
pendant les cinq années suivant la date de la
déclaration de culpabilité à son égard. Si le
syndicat ou l'employeur était reconnu coupable
d'une infraction, l'amende imposée variait de
20 000 $ à 100 000 $ par jour (article 13).
ARGUMENTS DES DEMANDERESSES
Les demanderesses soutiennent que la L.O.P.
viole le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de
la personne qui est garanti par l'article 7 de la
Charte en interdisant aux demanderesses de faire
la grève. Bien qu'elles admettent que les droits
purement économiques ne sont peut-être pas proté-
gés par la Charte, elles soutiennent que les droits
comportant un élément économique ne devraient
pas être exclus de la protection de la Charte
uniquement pour cette raison. Le droit de refuser
de travailler selon des conditions qui n'ont pas été
acceptées est inextricablement lié au concept de la
dignité humaine et fait appel à une décision per-
sonnelle fondamentale qu'une personne devrait
être libre de prendre sans l'intervention du gouver-
nement. Le droit de négocier collectivement et le
droit de faire la grève qui s'y rattache sont les seuls
moyens par lesquels les syndicats ont pu, dans le
passé, obtenir, des améliorations pour leurs mem-
bres et les autres travailleurs. En conséquence,
selon les demanderesses, ces droits ne sont pas des
intérêts purement économiques et ne sont manifes-
tement pas visés par l'article 7 de la Charte.
Les demanderesses ajoutent que la L.O.P. viole
leur droit à la liberté, parce qu'elle leur enlève la
liberté d'agir. Selon elles, la Loi dépasse considéra-
blement les limites de l'intervention législative pos
sible, étant donné que leurs membres ne peuvent,
en attendant la conclusion d'un contrat satisfai-
sant, rester à la maison ou se permettre de travail-
ler sur une base temporaire. Les employés sont
tenus par la Loi de reprendre immédiatement leurs
fonctions et de continuer à travailler jusqu'au 31
décembre 1988 ou jusqu'à ce qu'une nouvelle con
vention collective soit conclue, selon la plus rap-
prochée des deux dates. Selon les demanderesses,
les articles 3, 4 et 5 de la L.O.P. forcent les
employés à reprendre leurs tâches jusqu'au 31
décembre 1988. En intégrant les conditions de la
convention collective échue, la Loi prescrit et défi-
nit les tâches de leur emploi et la rémunération
qu'ils recevront. Les demanderesses estiment qu'en
adoptant ces dispositions, le Parlement a forcé
leurs membres à travailler à un prix et à un endroit
déterminés jusqu'au 31 décembre 1988. Pendant
que la législation était en vigueur, les demanderes-
ses ont été tenues de fournir leurs services selon
des conditions qui n'avaient pas été négociées,
mais qui, effectivement, ont été imposées. La viola
tion de la Loi aurait entraîné l'imposition des
pénalités prévues à l'article 13.
Les demanderesses ajoutent que l'article 8 de la
L.O.P. viole leur liberté de négocier collectivement
et de faire la grève. Selon leur avocat, il est bien
évident que le texte législatif limite le droit de
négocier collectivement et enlève aux membres des
demanderesses le droit de refuser de fournir leurs
services au moins jusqu'au 31 décembre 1988
inclusivement. Bien que les articles 5 et 12 de la
Loi prévoient que les parties puissent en venir à
une entente différente à une date antérieure, l'avo-
cat soutient que, en raison du retrait de sanctions
comme la grève ou le lock-out, ces dispositions
n'ont pas vraiment de conséquence sur le plan des
relations de travail. Les droits et libertés des tra-
vailleurs de maintenir l'existence d'un syndicat, de
négocier collectivement et de faire la grève sont
enracinés non seulement dans les règles de droit
d'origine législative, mais aussi, et de façon plus
importante, dans les règles de common law. De
l'avis des demanderesses, le droit de négocier col-
lectivement et le droit de faire la grève devraient
être considérés comme des droits qui sont telle-
ment enracinés dans nos traditions qu'ils devraient
être assimilés à des libertés fondamentales.
Après avoir allégué que la L.O.P. viole leur droit
à la liberté ou leur refuse ce droit, les demanderes-
ses ont ajouté que cette violation n'était pas con-
forme aux principes de justice fondamentale qui
découlent de l'article 7 de la Charte. À l'appui de
cette allégation, les demanderesses invoquent
d'abord les procédures suivies lors du dépôt de la
Loi comme projet de loi et de son adoption; ces
procédures étaient loin d'être conformes aux règles
de justice fondamentale. Les demanderesses, que
ce soit individuellement ou par l'entremise de leurs
représentants syndicaux, n'ont pas eu la possibilité
d'être entendues devant un comité parlementaire
ou un autre organisme approprié responsable
devant le Parlement. Au Canada, soutiennent les
demanderesses, les droits accordés à un prévenu
susceptible de se voir priver de sa liberté, même
lorsque la punition n'est qu'une amende, sont telle-
ment reconnus par le droit canadien que le moin-
dre écart de conduite d'un policier permettrait au
prévenu d'être libéré sans condition. Selon les
demanderesses, la L.O.P. ne leur offre aucune des
mesures de protection dont dispose habituellement
le prévenu sur le point d'être privé de sa liberté.
En deuxième lieu, les demanderesses font valoir
que les articles 3, 4 et 5 de la L.O.P. vont à
l'encontre de l'obligation du Parlement d'adopter
une loi conforme au devoir général d'agir de façon
équitable et à la règle de justice naturelle audi
alteram partem, selon laquelle les personnes doi-
vent avoir la possibilité d'être entendues au cours
d'une audience tenue de façon équitable avant
d'être condamnées. Ces articles constituent une
entrave à la liberté des demanderesses sans leur
permettre d'être entendues. Avant l'adoption du
décret sur le retour au travail et l'imposition des
conditions d'emploi énoncées dans la Loi, ni le
syndicat, ni les débardeurs n'ont eu la possibilité
d'exprimer leur point de vue devant un comité
parlementaire ou un représentant de l'organisme
législatif qui a examiné le texte de loi en question.
Plus précisément, ajoutent les demanderesses, l'en-
semble de la Loi, qui a pour effet d'imposer des
conditions d'emploi, viole les principes de procé-
dure liés à la justice fondamentale. La Loi impose
des conditions de travail qui sont habituellement
négociées lors du processus de négociation collec
tive. Selon les demanderesses, comme il s'agit là de
l'exercice de pouvoirs judiciaires par le législateur,
il n'y a pas de droit d'appel ou de révision par les
tribunaux.
Le troisième argument invoqué par les deman-
deresses porte sur la violation des principes de
justice fondamentale. La Loi violerait non seule-
ment les principes de procédure liés à la justice
fondamentale, mais aussi les principes de fond. Le
droit- fondamental auquel les demanderesses font
allusion est le droit d'être une personne libre qui
peut choisir, sous réserve de ses obligations con-
tractuelles, quand, où et selon quelles conditions
elle fournira ses propres services et le droit de
négocier avec son employeur comme personne
libre. En outre, les demanderesses allèguent que la
liberté de maintenir un syndicat, de négocier col-
lectivement et de faire la grève constituent des
éléments intrinsèques d'un principe fondamental
de notre système de droit: le droit d'exercer une
occupation ou une profession et le droit de la
choisir ou de la rejeter avec les sacrifices person-
nels que ce choix peut entraîner. De l'avis des'
demanderesses, l'article , 8 de la L.O.P. constitue
une entrave sérieuse au principe fondamental de
notre système de droit et, par conséquent, on ne
peut dire que le déni du droit à la liberté des
demanderesses a été «conforme aux principes de
justice fondamentale». Cette disposition, qui inter-
dit les grèves ou lock-outs pendant la durée de la
convention collective, nie le droit consacré qu'ont
les travailleurs, par l'entremise de leur syndicat, de
retirer collectivement leurs services en faisant la
grève. Ce déni de la liberté de faire la grève qui est
prévu à l'article 8 de la Loi constitue une menace à
l'existence même des syndicats, puisque, sans cette
liberté, la négociation collective n'a à peu près
aucun sens. Sans ce principe fondamental, le syn-
dicalisme perd sa raison d'être.
En plus de violer leurs droits qui sont garantis
par l'article 7 de la Charte, l'article 8 de la L.O.P.
constituerait une entrave à la liberté d'association
qui est énoncée à l'alinéa 2d) de la Charte. Selon
les demanderesses, la «liberté d'association» leur
garantit les libertés suivantes: la liberté de mainte-
nir l'existence d'un syndicat, de négocier collecti-
vement avec les employeurs, d'obtenir les meilleu-
res conditions d'emploi possibles et, au besoin, de
faire la grève.
La Cour suprême du Canada a examiné la
question de savoir si la liberté de négocier collecti-
vement et de faire la grève est comprise dans la
liberté d'association dans les arrêts Renvoi relatif
à la Public Service Employee Relations Act
(Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; AFPC c. Canada,
[1987] 1 R.C.S. 424; et SDGMR c. Saskatche-
wan, [1987] 1 R.C.S. 460, appelés collectivement
la «trilogie». Dans ces trois causes-là, la Cour a
décidé à l'unanimité que la liberté d'association
comprend le droit pour les employés de maintenir
l'existence d'un syndicat. Trois des six juges ont
décidé que la garantie constitutionnelle de la
liberté d'association ne comprenait pas la liberté
de négocier collectivement et quatre des six juges
ont décidé que la liberté de faire la grève n'était
pas protégée par l'alinéa 2d) de la Charte.
Selon les demanderesses, en imposant une con
vention collective et en annulant le droit de faire la
grève, la L.O.P. entrave sérieusement la raison
d'être du syndicat. En retirant le pouvoir de négo-
cier les conditions d'emploi, la Loi attaque la
liberté de maintenir l'existence du syndicat ainsi
que le droit de négocier collectivement et de faire
la grève.
Les demanderesses invoquent la décision du juge
McIntyre dans l'arrêt Renvoi relatif à l'Alberta,
où, aux pages 413 à 420, le juge a souligné qu'il
n'était pas souhaitable que les tribunaux intervien-
nent à l'égard d'une loi sur le travail qui vise à
créer un équilibre délicat entre les syndicats, les
employeurs et l'intérêt public. La loi sur le travail
qui était en litige dans l'arrêt du Renvoi relatif à
l'Alberta visait à maintenir cet équilibre. En outre,
selon les demanderesses, le Code canadien du tra
vail crée un système permettant aux syndicats et
employeurs de poursuivre avec un degré de certi
tude raisonnable leurs activités sans intervention,
protégeant par le fait même l'équilibre délicat
entre les travailleurs, la direction et l'intérêt public
tout en maintenant la stabilité à l'intérieur du
régime. Les demanderesses sont d'avis que la loi
sur le travail susmentionnée est bien différente de
la L.O.P., qui ne vise pas à ajouter plus de certi
tude au régime ou à maintenir l'équilibre délicat
dont il est question dans l'arrêt du Renvoi relatif à
l'Alberta; la L.O.P. a plutôt pour effet de déstabi-
liser le régime et, à long terme, elle est davantage
susceptible d'accroître les déséquilibres et les
incertitudes.
Il est reconnu que la création et le maintien en
existence des syndicats sont visés par la liberté
d'association dont jouissent les personnes; toute-
fois, selon les demanderesses, les autorités ne sont
pas unanimes sur la question de savoir si la liberté
d'association est suffisamment large pour couvrir
les droits de négocier collectivement et de faire la
grève. Selon elles, le droit de faire la grève est
inextricablement lié au droit de négocier collecti-
vement puisque, sans ce droit, la négociation col
lective n'a aucun sens en pratique. Il est illogique
d'admettre que l'existence des syndicats est cou-
verte par le concept de la liberté d'association sans
reconnaître que cette liberté s'applique également
aux droits de négocier collectivement et de faire la
grève.
En ce qui a trait à la négociation collective, les
demanderesses font valoir que les arrêts de la
trilogie ne sont pas déterminants dans un sens ou
dans l'autre, puisque seulement trois des six juges
ont décidé que ce droit n'était pas protégé par la
liberté d'association et que, en outre, les circons-
tances du présent litige sont différentes de celles
qui prévalaient dans ces causes-là. La décision qui
se rapproche le plus de la présente cause est l'arrêt
du Gouvernement de la Saskatchewan. Bien que la
loi attaquée dans cette affaire-là était une loi
décrétant le retour au travail, elle prévoyait un
délai de quinze jours au cours duquel le syndicat et
les employeurs pouvaient négocier une nouvelle
convention collective ou une convention modifiée;
après ce délai, le litige devait être soumis à un
arbitrage final et obligatoire conformément à
ladite loi. Selon les demanderesses, cette procédure
est beaucoup plus équitable que celle qui est
prévue à la L.O.P. et ne constitue pas une entrave
aussi importante à la liberté d'association que la
procédure envisagée dans la loi contestée en
l'espèce.
ARGUMENTS DE LA DÉFENDERESSE
La défenderesse soutient que la L.O.P. ne viole
ni l'article 2 ni l'article 7 de la Charte. Subsidiai-
rement, si la L.O.P. viole l'un ou l'autre de ces
articles, elle constitue une règle de droit dont les
limites sont raisonnables et dont la justification
peut se démontrer dans le cadre d'une société libre
et démocratique, conformément à l'article 1 de la
Charte.
En ce qui a trait à l'alinéa 2d) de la Charte, la
défenderesse estime que la L.O.P. n'empêche pas
les demanderesses de négocier collectivement, mais
que, bien au contraire, elle favorise cette négocia-
tion. Les articles 5 et 12 permettent aux parties,
d'un commun accord, de renégocier les conditions
et de modifier toute clause de la convention
collective.
À tout événement, ajoute la défenderesse, la
Cour suprême du Canada a décidé dans la trilogie
que la garantie constitutionnelle de la liberté d'as-
sociation prévue à l'alinéa 2d) de la Charte ne
couvre pas le droit de négocier collectivement. En
outre, bien que l'article 8 de la L.O.P. interdise
clairement tous les arrêts de travail à la suite d'une
grève ou d'un lock-out au cours de la durée de la
convention collective prolongée, la Cour suprême a
décidé dans ces arrêts-là que le droit de faire la
grève ou de décréter un lock-out n'est pas un droit
protégé par la Constitution.
Quant à l'article 7, la défenderesse allègue,
d'abord, que les droits qui y sont prévus sont des
droits dont seules les personnes peuvent jouir et
qu'il ne peut donc y avoir violation dans le cas des
sections locales du Syndicat. En ce qui a trait aux
membres eux-mêmes, la défenderesse allègue que
la Loi exige simplement des débardeurs qu'ils ne
s'absentent pas du travail en raison d'une grève.
Contrairement à ce qu'on a soutenu, elle n'impose
pas une obligation absolue de travailler et permet
les absences habituelles, comme les congés de
maladie, les vacances, la retraite et la démission.
La défenderesse est d'avis que l'article 7 ne crée
pas un droit constitutionnel de faire la grève ou de
négocier collectivement et que, par conséquent, le
déni du droit de faire la grève et l'imposition de
l'obligation de travailler conformément aux condi
tions établies par la L.O.P. ne sont pas contraires à
l'article 7.
Selon la Couronne, la violation de la liberté dont
les demanderesses se plaignent touche essentielle-
ment un droit purement économique et la Cour
suprême du Canada a décidé que les droits écono-
miques ne sont pas couverts par l'article 7 de la
Charte, sauf, peut-être, les droits économiques fon-
damentaux pour la vie humaine ou la survie. Les
droits que l'on revendique ici en se fondant sur
l'article 7 ne sont pas des droits fondamentaux
pour la vie humaine ou la survie.
La défenderesse ajoute que, même si les droits
en question ne peuvent être décrits comme des
droits purement économiques, ils ne sont pas proté-
gés par l'article 7. Il ne s'agit pas de droits écono-
miques fondamentaux pour la vie humaine ou la
survie et il ne s'agit pas non plus de droits tradi-
tionnels qui existent depuis longtemps. Ce que les
demanderesses cherchent à faire valoir, ce sont des
droits privés qui découlent de conflits privés dans
le contexte d'une loi touchant des relations de
travail.
La défenderesse est également d'avis que les
demanderesses ont été traitées de façon foncière-
ment équitable et qu'elles ont eu toute la latitude
voulue de se faire entendre. Avant l'adoption de la
L.O.P., elles ont rencontré deux fois le ministre du
Travail et elles ont communiqué avec plusieurs
membres du Parlement qui ont participé tôt ou
tard au débat devant la Chambre des communes.
Subsidiairement, la défenderesse allègue que,
même si la L.O.P. viole les droits des demanderes-
ses prévus par la Charte, elle constitue néanmoins
une loi valide suivant l'article 1 de la Charte,
puisqu'elle est une règle de droit dont les limites
sont raisonnables et dont la justification peut se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique. Selon la défenderesse, l'objectif de
la Loi est suffisamment important pour l'emporter
sur les droits en question qui sont protégés par la
Constitution. La loi attaquée visait à assurer le
maintien des activités aux ports de la côte ouest et
à préserver par le fait même les emplois, les reve-
nus et la réputation de ceux dont la source de
revenus dépend des activités des ports. Selon la
Couronne, cette situation était critique pour le
bien-être économique de milliers de Canadiens
dont l'emploi dépendait du maintien des activités
aux ports, qui, en grande partie, vivent ou travail-
lent en dehors de la région immédiate des ports et
qui sont étrangers au conflit de travail entre la
B.C.M.E.A. et le S.I.D.M., mais qui seraient néan-
moins gravement touchés par l'arrêt de travail aux
ports. Parmi ces personnes, il y aurait des milliers
de citoyens des Prairies qui travaillent dans le
commerce du grain et qui devaient acheminer leur
produit par les ports de la côte ouest.
Toujours au sujet de l'article 1, la défenderesse
fait valoir que les dispositions de la L.O.P. étaient
nécessaires à la réalisation des objectifs législatifs
recherchés en l'espèce. Avant l'adoption de la
L.O.P., les autorités gouvernementales ont tenté à
maintes reprises d'encourager un règlement négo-
cié afin d'empêcher une fermeture des ports pen
dant que les pourparlers se poursuivaient; elles ont
nommé des médiateurs et des conciliateurs et le
ministre du Travail a joué un rôle important en
faisant lever le lock-out du 6 octobre 1986.
Compte tenu du triste passé des négociations entre
le S.I.D.M. et la B.C.M.E.A. et de l'impasse cou-
tumière au sujet de la question de la clause-conte-
neur, la défenderesse soutient qu'elle n'aurait pu
atteindre ses objectifs législatifs en attendant sim-
plement que les parties règlent le conflit.
Enfin, la défenderesse allègue que, dans l'ensem-
ble, les effets délétères de la L.O.P. sur les droits
des demanderesses sont minimes, comparativement
au préjudice que la Loi a permis d'éviter. En fait,
la L.O.P. exigeait simplement que le S.I.D.M. et la
B.C.M.E.A. maintiennent le statu quo pendant
qu'elles négociaient une nouvelle convention col
lective. C'est cette contrainte qu'il faut comparer
aux dommages que l'arrêt de travail pouvait vrai-
semblablement causer, notamment les nombreuses
pertes d'emplois et de revenus, l'atteinte à la répu-
tation de fiabilité des ports de la côte ouest à court
et à long termes et les dommages permanents aux
exportations canadiennes.
RÉPONSE DES DEMANDERESSES: ARTICLE 1 DE LA
CHARTE
Les demanderesses sont d'avis que les disposi
tions de la L.O.P. qui violent leurs droits et libertés
garantis par l'alinéa 2d) et l'article 7 de la Charte
ne constituent pas des règles de droit «dans des
limites qui soient raisonnables et dont la justifica
tion puisse se démontrer dans le cadre d'une
société libre et démocratique».
Elles soutiennent que la défenderesse n'a pu
présenter une preuve digne de foi au sujet des
pertes ou des conséquences économiques importan-
tes découlant des arrêts de travail au port qui se
sont produits à intervalles réguliers après l'expira-
tion des contrats de travail dans le domaine du
débardage; des conflits semblables ont éclaté tous
les deux ou trois ans au cours de la dernière
décennie. La défenderesse est tenue d'établir le
bien-fondé de son intervention selon l'article 1 de
façon que la justification «puisse se démontrer»: les
problèmes que la Loi visait à résoudre après la
deuxième journée d'arrêt de travail en novembre
n'étaient pas suffisamment urgents ou importants
pour établir le premier critère du test de l'article 1.
En outre, les demanderesses ajoutent que, même
si les préoccupations de la défenderesse pouvaient
être jugées «urgentes et importantes» dans les cir-
constances, le moyen utilisé, c'est-à-dire l'imposi-
tion de conditions d'emploi aux demanderesses par
la L.O.P., était arbitraire et inéquitable. À leur
avis, d'autres options existaient pour la défende-
resse et celle-ci aurait pu y avoir recours sans
violer leurs droits.
Enfin, elles soutiennent que les effets de la
L.O.P., lorsque comparés à l'objectif défini par le
ministre, étaient très disproportionnés. Il ne pou-
vait y avoir de problème qui aurait pu être décelé
après seulement deux journées d'arrêt de travail et
qui aurait pu être lié à des préoccupations urgentes
et importantes. Les demanderesses soutiennent
que, si une transgression de leurs droits protégés
par la Constitution peut être justifiée dans les
circonstances de la présente cause, elle aurait
existé, au plus tôt, lorsque la vie, la santé ou la
sécurité des Canadiens était menacée et, même à
ce moment-là, le ministre ne devrait avoir le droit
d'adopter que des mesures qui limiteraient les
droits de faire la grève et de décréter un lock-out
ou un arrêt de travail aux cas où il y a menace à la
vie, la santé et la sécurité.
LA LIBERTÉ D'ASSOCIATION: L'ALINÉA 2d) DE LA
CHARTE
J'examinerai d'abord la question de savoir si la
L.O.P. viole la liberté d'association garantie aux
demanderesses par l'alinéa 2d) de la Charte.
Comme je l'ai déjà mentionné, la question de
savoir si la liberté de négocier collectivement et de
faire la grève est comprise dans la liberté d'asso-
ciation a été examinée par la Cour suprême du
Canada dans les trois arrêts qui ont jusqu'à pré-
sent été appelés la trilogie. Il importe maintenant
de faire une brève analyse de ces trois causes.
Dans la cause du Renvoi relatif û l'Alberta, la
Cour devait déterminer si certaines dispositions du
Public Service Employee Relations Act, R.S.A.,
1980, chap. P-33; du Labour Relations Act,
R.S.A., 1980 (Supp.), chap. L-1.1; et du Police
Officers Collective Bargaining Act, S.A. 1983,
chap. P-12.05, qui interdisaient les grèves et impo-
saient l'arbitrage obligatoire en vue de résoudre les
impasses lors des négociations collectives, étaient
compatibles ou non avec l'alinéa 2d) ;de la Charte.
La première Loi s'appliquait aux employés de la
Fonction publique, la deuxième, aux pompiers et
aux employés des hôpitaux et la troisième, aux
policiers.
La majorité des juges a décidé, pour des motifs
qui différaient d'un juge à l'autre, que les disposi
tions contestées de la loi n'étaient pas incompati
bles avec la Charte, parce que la garantie constitu-
tionnelle de la liberté d'association de l'alinéa 2d)
ne comprenait pas, dans le cas d'un syndicat, la
garantie du droit de négocier collectivement et du
droit de faire la grève. A cet égard, le juge McIn-
tyre a dit ce qui suit aux pages 409 et 410:
Il découle de cette analyse que j'interprète la liberté d'asso-
ciation de l'al. 2d) de la Charte comme une protection que cette
dernière accorde à l'exercice collectif des droits qu'elle protège
lorsqu'ils sont exercés par un seul individu. De plus, la liberté
d'association s'entend de la liberté de s'associer afin d'exercer
des activités qui sont licites lorsqu'elles sont exercées par un
seul individu. Mais comme le fait d'être associés ne confère en
soi aucun droit supplémentaire aux individus, l'association n'ac-
quiert aucune liberté, garantie par la Constitution, de faire ce
qui est illicite pour l'individu de faire.
Lorsqu'on applique cette définition de la liberté d'associa-
tion, il devient manifeste qu'elle ne garantit pas le droit de faire
la grève. Comme le droit de grève ne jouit d'aucune garantie
indépendante en vertu de la Charte, la liberté d'association ne
le protège que s'il s'agit d'une activité que la loi permet à
l'individu d'exercer. Les appelants acceptent cette conclusion,
mais ils soutiennent que la liberté d'association doit garantir le
droit de grève puisque l'individu peut licitement refuser de
travailler. Ce point de vue est toutefois insoutenable pour deux
raisons. D'abord, il n'est pas exact d'affirmer qu'il est licite
pour un employé de cesser de travailler pendant la durée de son
contrat de travail ...
La seconde raison est simplement qu'il n'y a aucune analogie
entre un arrêt de travail par un seul employé et une grève faite
conformément à la législation moderne en matière de travail.
L'individu a, par son arrêt de travail, rompu son contrat de
travail ou y a mis fin. Il est vrai que la loi ne forcera pas
l'exécution en nature du contrat en lui ordonnant de retourner
au travail, car cela abaisserait [TRADUCTION] «l'employé à un
état équivalent à l'esclavage» (I. Christie, Employment Law in
Canada (1980), la p. 268). Mais, il y a là une différence
marquée par rapport à une grève licite. L'employé qui cesse de
travailler n'envisage pas un retour au travail, alors que les
grévistes envisagent toujours un retour au travail. Reconnais-
sant ce fait, la loi ne considère pas la grève comme une rupture
de contrat ni comme une cessation d'emploi.»
Quant au juge Le Dain, qui s'exprimait pour
lui-même et au nom des juges Beetz et La Forest,
il a fait les commentaires suivants aux pages 390
et 391:
Je suis d'accord avec le juge McIntyre pour dire que la garantie
constitutionnelle de la liberté d'association que l'on trouve à
l'al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés ne
comprend pas, dans le cas d'un syndicat, la garantie du droit de
négocier collectivement et du droit de faire la grève. Par
conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre
aux questions constitutionnelles de la manière qu'il propose.
Toutefois, je tiens à indiquer, même si ce n'est que brièvement,
les considérations générales qui m'ont amené à tirer cette
conclusion.
En examinant le sens qu'il faut donner à l'expression liberté
d'association que l'on trouve à l'al. 2d) de la Charte, il est
essentiel de garder à l'esprit que cette notion doit viser toute
une gamme d'associations ou d'organisations de nature politi-
que, religieuse, sociale ou économique, ayant des objectifs très
variés, de même que les activités qui permettent de poursuivre
ces objectifs. C'est dans cette perspective plus large et non
simplement en fonction des prétendues exigences d'un syndicat,
si importantes soient-elles, que l'on doit examiner l'incidence de
l'extension d'une garantie constitutionnelle, qui se présente sous
la forme du concept de la liberté d'association, au droit d'exer-
cer une certaine activité pour le motif qu'elle est essentielle si
l'on veut qu'une association ait une existence significative.
Dans AFPC c. Canada, les appelants ont
demandé à la Cour de déclarer que la Loi sur les
restrictions salariales du secteur public, S.C.
1980-81-82-83, chap. 122, était incompatible avec
la Charte. L'alinéa 6(1)a) de cette Loi, qui main-
tenait en vigueur les conditions du régime de
rémunération des fonctionnaires, avait pour effet
d'empêcher la négociation collective à l'égard des
aspects des conventions collectives touchant les
salaires. L'alinéa 6(1)b) interdisait de la même
façon la négociation collective au sujet de toutes
les questions, dont les questions non liées à la
rémunération, sous réserve de l'application de l'ar-
ticle 7, qui permettait aux parties à une convention
collective de modifier les conditions non liées à la
rémunération par entente seulement.
La majorité de la Cour suprême a rejeté l'appel.
Suivant le raisonnement qu'ils avaient adopté dans
la cause du Renvoi relatif à l'Alberta, les juges
Beetz, Le Dain et La Forest ont décidé que la
garantie de la liberté d'association de l'alinéa 2d)
de la Charte ne comprenait pas une garantie du
droit de négocier collectivement et du droit de
faire la grève.
Le juge McIntyre a décidé que la loi attaquée ne
constituait pas une entrave à la négociation collec
tive au point de violer la garantie de la liberté
d'association prévue par la Charte. La Loi n'avait
pas pour effet de restreindre le rôle du syndicat
comme mandataire exclusif des employés. Elle
imposait à l'employeur l'obligation de négocier
avec les employés syndiqués par l'entremise du
syndicat et elle permettait également aux parties
de continuer à négocier à l'égard des modifications
des conditions d'emploi ne touchant pas la rémuné-
ration. Le juge a décidé que le seul effet de la Loi
était d'empêcher l'utilisation des «armes économi-
ques» que constituent la grève et le lock-out pen
dant une période de deux ans. Bien qu'il s'agissait
peut-être là d'une restriction au pouvoir de négo-
ciation du syndicat, cette restriction ne violait pas
l'alinéa 2d) de la Charte qui, comme l'a répété le
juge McIntyre, ne comprend pas une garantie
constitutionnelle du droit de faire la grève.
Dans l'arrêt du Gouvernement de la Saskatche-
wan, la Cour suprême devait statuer sur la validité
de la loi intitulée The Dairy Workers (Mainte-
nance of Operations) Act, S.S. 1983-84, chap.
D-1.1, que l'assemblée législative provinciale avait
adoptée à la suite des avis de grève que les syndi-
cats intimés avaient fait signifier aux grandes
entreprises de l'industrie laitière de la province.
Cette loi interdisait temporairement aux employés
de l'industrie laitière de faire la grève et aux
entreprises de cette industrie de décréter des lock
outs. Encore une fois, la majorité a rejeté l'appel,
pour le motif que la loi attaquée ne violait pas
l'alinéa 2d) de la Charte, étant donné que la
liberté d'association ne comprend pas le droit de
faire la grève.
Dans ces trois causes-là, le juge Dickson, juge en
chef, et le juge Wilson, qui étaient dissidents, ont
décidé que, dans le contexte des relations de tra
vail, la garantie de la liberté d'association de l'ali-
néa 2d) comprenait la liberté de négocier collecti-
vement et de faire la grève. À leur avis, la garantie
constitutionnelle de la liberté d'association de l'ali-
néa 2d) vise à «reconnaître la nature sociale pro-
fonde des entreprises humaines et à protéger l'indi-
vidu contre tout isolement imposé par l'Etat dans
la poursuite de ses fins». La garantie minimale de
l'alinéa 2d) est la liberté des personnes de s'asso-
cier ou d'appartenir à une organisation. Toutefois,
pour qu'elle ait un sens, cette disposition doit, en
plus de s'intéresser au statut d'associé, accorder
une protection efficace aux intérêts que vise la
garantie constitutionnelle et protéger l'exercice des
activités mêmes pour lesquelles l'association a été
formée. À leur avis, la question qu'il faut se poser
avant tout dans ces cas-là est celle de savoir si une
disposition législative porte atteinte à la liberté des
personnes de se joindre à d'autres et de poursuivre
avec elles des objectifs communs. Cette législation
sera invalide sur le plan constitutionnel, si l'État
tente d'interdire un comportement collectif en
raison de sa nature concertée ou collective.
Ce que je retiens de ces trois causes-là, c'est le
fait que l'alinéa 2d) de la Charte garantit le droit
de créer et maintenir un syndicat et d'en être
membre, mais qu'il ne garantit pas le droit de faire
la grève. Il ne semble pas que l'on ait répondu à la
question de savoir si le droit de négocier collective-
ment est inclus dans le droit de la liberté d'associa-
tion, puisque trois juges seulement parmi les six
ont décidé que la négociation collective n'était pas
protégée par l'alinéa 2d).
Appliquant ces principes aux faits du présent
litige, j'en viens à la conclusion que la L.O.P. ne
viole pas la liberté d'association des demanderesses
qui est garantie par l'alinéa 2d) de la Charte en
interdisant les grèves et les lock-outs pendant la
durée de la convention collective prolongée. Dans
ses observations écrites, l'avocat des demanderes-
ses me demande de formuler des commentaires à
ce sujet. Toutefois, je ne suis pas prêt à tenir un
autre débat au sujet de ces décisions que la Cour
suprême du Canada a rendues afin de préciser
dans quelle mesure mes conclusions pourraient
différer de celles de la majorité. La Cour suprême
a décidé de façon assez concluante que le droit de
faire la grève n'est pas visé par l'alinéa 2d); il ne
fait aucun doute que notre Cour est liée par cette
conclusion et il n'y a rien d'autre à dire à ce sujet.
Après avoir examiné les arguments étoffés des
demanderesses au sujet du fait que la L.O.P. viole
l'alinéa 2d) en interdisant le droit de négocier
collectivement, je ne puis souscrire à ces argu
ments. D'abord, les demanderesses affirment que
la trilogie ne comporte aucune conclusion qui lie la
Cour à l'égard du principe selon lequel la négocia-
tion collective n'est pas protégée par l'alinéa 2d)
de la Charte. Cet argument repose sur le fait que
trois juges seulement parmi les six ont décidé que
la protection offerte par la garantie de la liberté
d'association prévue par la Constitution ne cou-
vrait pas le droit de négocier collectivement; dans
les circonstances, cette décision ne constitue pas
une décision majoritaire. Je reconnais que trois
juges seulement ont dit de façon définitive que la
négociation collective n'était pas visée par l'alinéa
2d). Les opinions exprimées à ce sujet étaient
réparties comme suit: trois juges (les juges
Le Dain, Beetz et La Forest) ont décidé que
l'alinéa 2d) ne comprenait pas le droit de négocier
collectivement, deux juges (les juges Dickson et
Wilson) en sont venus à la conclusion contraire et
un juge (le juge McIntyre) n'a rien dit à ce sujet.
Dans ce contexte, j'estime que la question n'est pas
encore tranchée et qu'il est possible de se pronon-
cer à ce sujet dans les cas appropriés. Toutefois, le
présent litige n'est pas un cas approprié. Compte
tenu des dispositions de la L.O.P. et des faits
présentés devant moi, je suis d'avis que la Loi
attaquée n'interdisait pas aux demanderesses de
poursuivre les négociations collectives.
Les articles 5 et 12 de la Loi se lisent comme
suit:
5. La durée de la convention collective visée par la présente
loi est prolongée à compter du ler janvier 1986 jusqu'à ce
qu'une nouvelle convention collective visant à la remplacer ou à
la réviser soit conclue entre les parties, ou au plus tard jusqu'au
31 décembre 1988.
12. La présente loi n'a pas pour effet de restreindre le droit
des parties à la convention collective visée par la présente loi de
s'entendre pour en modifier toute disposition déjà modifiée par
cette loi, à l'exception de celle qui porte sur sa durée, et de
donner effet à la modification.
D'après ce que je comprends en lisant ces dispo
sitions, l'article 5 permet aux parties de renégocier
la totalité de la convention collective et l'article 12
leur permet d'en modifier toute clause.
La preuve présentée à la Cour pendant l'audi-
tion de la cause a révélé que, effectivement, un
régime de retraite relativement complexe a été
renégocié et a fait l'objet d'une entente entre les
parties après l'adoption de la loi attaquée. La
négociation collective était donc possible et elle a
eu lieu après l'adoption de la L.O.P.
Pour ces motifs, j'en viens à la conclusion que la
Loi ne viole pas les droits des demanderesses qui
découlent de l'alinéa 2d) de la Charte.
ARTICLE 7 DE LA CHARTE
J'en arrive maintenant à la question de savoir si
la Loi viole l'article 7 de la Charte en entravant le
droit des demanderesses à la vie, à la liberté et à la
sécurité de la personne, droit auquel il ne peut être
porté atteinte «qu'en conformité avec les principes
de justice fondamentale».
Dans des causes de cette nature, lorsque la Cour
doit déterminer si une disposition législative a violé
une disposition de la Charte, il faut tenir compte
des principes relatifs à l'interprétation de la Charte
qu'a énoncés la Cour suprême du Canada dans la
cause intitulée Renvoi: Motor Vehicle Act de la
C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486. Dans cette cause-là, le
juge Lamer a expliqué les deux étapes à suivre
pour interpréter la Charte. La première étape
consiste à se demander si la liberté revendiquée a
été violée par le texte de loi. Il incombe à la
personne qui conteste le caractère constitutionnel
de la loi de prouver qu'il y a apparemment eu
violation de ce droit selon la norme de preuve du
droit civil. Si les demanderesses peuvent établir
une violation apparente d'un droit, il appartiendra
alors à la Couronne de prouver que le texte de loi
en question constitue une règle de droit dans des
limites qui sont raisonnables et dont la justification
peut se démontrer dans le cadre d'une société libre
et démocratique, conformément à l'article 1 de la
Charte. La norme de preuve aux fins de cet article
est également la norme du droit civil; si la Cou-
ronne se décharge de ce fardeau, le texte de loi
sera constitutionnel.
En l'espèce, pour prouver que la L.O.P. viole
l'article 7, les demanderesses doivent d'abord
démontrer qu'il existe un droit visé par cet article.
La liste des droits protégés par la Charte est
exhaustive; l'objectif ne consiste pas à assujettir
chaque disposition législative à un examen confor-
mément à l'article 1 dans le but de déterminer si
elle devrait être attaquée ou défendue.
Dans Irwin Toys Ltd. c. Québec (Procureur
général), [ 1989] 1 R.C.S. 927, une des questions
que la Cour devait trancher était celle de savoir si
certaines dispositions de la Loi sur la protection
du consommateur, L.R.Q., chap. P-401, qui inter-
disaient la publicité commerciale visant les person-
nes de moins de treize ans, constituaient une
entrave à la liberté d'expression prévue à l'alinéa
2b) de la Charte. La Cour a décidé que la pre-
mière étape consistait à déterminer si l'activité de
la demanderesse faisait partie de la sphère des
activités protégées par la liberté d'expression. Le
juge en chef Dickson s'est exprimé comme suit aux
pages 967-968:
La liberté d'expression vise-t-elle la publicité destinée aux
enfants? Il faut poser cette question avant même de décider si
la garantie a été restreinte. Il est clair que toute activité ne sera
pas protégée par la liberté d'expression et que des mesures
gouvernementales qui restreignent cette forme de publicité ne
restreignent la garantie que si l'activité visée est elle-même
protégée. Ainsi, par exemple, dans les arrêts Renvoi relatif à la
Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S.
313, AFPC c. Canada, [ 1987] 1 R.C.S. 424, et SDGMR c.
Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460, cette Cour, à la majorité,
a conclu que la liberté d'association ne comprenait pas le droit
de grève. L'activité elle-même ne relevait pas du champ protégé
par l'al. 2d); par conséquent, le gouvernement n'enfreignait pas
la Charte en la restreignant. Il faut faire le même cheminement
pour l'analyse de la liberté d'expression; dans ce genre d'exa-
men, la première étape consiste à déterminer si l'on peut dire
que l'activité que souhaite poursuivre la demanderesse relève de
la «liberté d'expression». Si l'activité ne relève pas de l'al. 2b),
l'action gouvernementale ne peut évidemment pas être contes-
tée en vertu de cet article. [C'est moi qui souligne.]
Pour appliquer ce principe à la cause qui nous
occupe, il faut se demander si les activités que les
demanderesses désirent poursuivre, en l'occur-
rence, le droit de faire la grève, se rapportent à la
«vie, la liberté et la sécurité de la personne». Pour
répondre à cette question, il faut examiner la
jurisprudence concernant la nature et le contenu
de l'article 7.
La portée et le contexte de l'article 7 ont fait
l'objet de commentaires à la fois nombreux et
variés de la part des tribunaux. Pour certains, la
protection offerte se limite à l'absence de con-
trainte physique, alors que, pour d'autres, le «droit
à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne»
couvrait une gamme complète d'adtivités qu'une
personne a le droit de poursuivre.
Ainsi, dans Smith, Kline & French Laboratories
Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1
C.F. 274 (l'» inst.), le juge Strayer a eu l'occasion
d'examiner les concepts de «la vie, la liberté et la
sécurité de sa personne». Il a décidé que les con
cepts étaient interdépendants et portaient sur le
bien-être physique d'une personne. Par conséquent,
ils ne conviennent pas pour décrire les droits d'une
société ou les intérêts purement économiques d'une
personne. Voici comment le juge s'est exprimé aux
pages 314 et 315:
«En interprétant ainsi les termes «liberté» et «sécurité de sa
personne», je fais mienne l'opinion exprimée par le juge Pratte
dans R. c. Operation Dismantle Inc., [1983] 1 C.F. 745 (C.A.),
à la page 752, selon laquelle ces termes visent le droit à la
liberté à l'encontre des arrestations ou détentions arbitraires,
opinion que j'ai également adoptée dans ma décision dans
l'affaire Le groupe des éleveurs de volailles de l'est de l'Onta-
rio c. Office canadien de commercialisation des poulets, [1985]
C.F. 280; (1984), 14 D.L.R. (4th) 151 (1" inst.), à la page 323
C.F.; 181 D.L.R. Voir également au même effet, l'affaire
Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine,
[1984] 2 C.F. 562; 11 D.L.R. (4th) 337 (1" inst.) (confirmée
par [1984] 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.) sans
mention de ce point); Re Becker and The Queen in right of
Alberta (1983), 148 D.L.R. (3d) 539 (C.A. Alb.), aux pages
544 et 545.
En ce qui a trait à l'argument selon lequel les droits de
propriété sont implicitement garantis par l'article 7, cette possi-
bilité est également exclue étant donné la manière dont j'ai
qualifié les termes «vie ... liberté et ... sécurité de sa per-
sonne». Bien qu'il puisse y avoir certaines situations dans
lesquelles l'article 7 pourrait protéger de façon accessoire le
droit de propriété d'un particulier, je ne vois pas de quelle
manière on pourrait prétendre que les droits de brevet d'un
inventeur ou d'une société multinationale titulaire de brevet
pourraient entrer en jeu de façon accessoire dans la protection
de l'intégrité physique d'une personne. En outre, il est notoire
qu'une modification qui visait précisément à inclure le terme
«propriété» dans les droits protégés par l'article 7 a été retirée
au cours de l'examen de la Charte par le Comité mixte
parlementaire sur la Constitution. Cela nous indique qu'à l'ori-
gine tout au moins l'article 7 n'était pas censé assurer la
protection du droit de propriété.
La Section d'appel de notre Cour a confirmé ces
conclusions et le raisonnement sous-jacent à cel-
les-ci dans Smith, Kline & French Laboratories
Ltd. c. Canada (Procureur général), [1987] 2 C.F.
359 et, plus récemment, dans Weyer c. Canada
(1988), 83 N.R. 272 (C.A.F.) (permission d'en
appeler à la Cour suprême du Canada refusée le
16 mai 1988) [[1988] 1 R.C.S. xv].
Certains tribunaux ont décidé que les droits de
propriété et les droits commerciaux ou économi-
ques ne sont pas protégés par la Charte et qu'un
intérêt qui comporte un élément économique n'est
pas couvert par l'article 7. Voir, par exemple, Re
Gershman Produce Co. Ltd. and Motor Transport
Board (1985), 22 D.L.R. (4th) 520 (C.A. Man.);
Smith, Kline & French Laboratories Limited c.
Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274
(ire inst.); Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc.;
Clearview Dairy Farm Inc. v. Milk Bd. (1986), 69
B.C.L.R. 220 (C.S.); confirmé par [1987] 4
W.W.R. 279 (C.A.C.B.); Noyes v. South Cariboo
Sch. Dist. 30 Bd. of Sch. Trustees (1985), 64
B.C.L.R. 287 (C.S.); et R. v. Quesnel (1985), 53
O.R. (2d) 338 (C.A. Ont.).
Toutefois, il y a aussi de nombreux commentai-
res importants des tribunaux selon lesquels l'article
7 ne couvre pas seulement l'absence de contrainte
physique et le simple fait qu'une soi-disant viola
tion de l'article 7 puisse comporter un élément
économique ne l'exclut pas de la protection de la
disposition. Dans R. c. Morgentaler, [1988] 1
R.C.S. 30, la Cour suprême du Canada a examiné
le sens du droit à la liberté. Le juge Wilson a dit ce
qui suit aux pages 164-165:
La Charte et le droit à la liberté individuelle qu'elle garantit
sont inextricablement liés à la notion de dignité humaine. Neil
MacCormick, ... dans son ouvrage intitulé Legal Right and
Social Democracy: Essays in Legal and Political Philosophy
(1982), parle de la liberté comme [TRADUCTION] «une condi
tion du respect de soi et de la satisfaction que procure la
capacité de réaliser sa propre conception d'une vie bien remplie,
qui vaille la peine d'être vécue» (à la p. 39). Il dit à la p. 41:
[TRADUCTION] Pouvoir décider ce qu'on veut faire et comment
le faire, pour concrétiser ses propres décisions, en en acceptant
les conséquences, me semble essentiel au respect de soi en tant
qu'être humain et essentiel pour parvenir à cette satisfaction.
Ce respect de soi et cette satisfaction sont à mon avis, des biens
fondamentaux pour l'être humain, la vie elle-même ne valant la
peine d'être vécue qu'à la condition de les éprouver ou de les
rechercher. L'individu auquel on refuserait délibérément la
possibilité de parvenir au respect de lui-même et à cette satis
faction se verrait privé de l'essence de son humanité. [C'est moi
qui souligne.]
Dans Re Mia and Medical Services Commis
sion of British Columbia (1985), 17 D.L.R. (4th)
385 (C.S.C.-B.), le juge en chef McEachern, qui
commentait l'article 7, a dit ce qui suit aux pages
412 à 415: [TRADUCTION] «certains droits dont
jouissent nos citoyens, dont le droit de travailler et
d'exercer une profession, sont tellement fondamen-
taux qu'il doivent être protégés, même s'ils com-
prennent un élément économique». La Cour d'ap-
pel de la Colombie-Britannique a confirmé cette
conclusion dans Wilson v. British Columbia
(Medical Services Commission) (1988), 53 D.L.R.
(4th) 171, où elle a dit ce qui suit aux pages 186
et 187:
[TRADUCTION] En résumé, le mot «liberté» au sens de l'arti-
cle ••7 ne se limite pas à l'absence de contrainte physique.
Toutefois, ce mot n'a pas pour effet de protéger les droits de
propriété ou les droits purement économiques. Il peut couvrir la
liberté de mouvement individuelle, y compris le droit de choisir
une profession ainsi que, l'endroit où elle sera exercée, sous
réserve du droit de l'État d'imposer, conformément aux princi-
pes de justice fondamentale, des restrictions raisonnables et
légitimes aux activités des personnes.
Après avoir lu les causes susmentionnées et
d'autres décisions pertinentes à cette question, je
suis convaincu qu'une interprétation qui a pour
effet de restreindre l'article 7 à l'absence de con-
trainte physique est trop étroite. Il est vrai que la
majorité des causes où l'article 7 a été appliqué
concernent l'entrave ou la menace d'entrave à la
liberté physique du plaignant. Les exemples classi-
ques de cas où l'article 7 s'applique de façon non
équivoque sont les cas d'emprisonnement et de
détention par l'État. Néanmoins, il existe une
jurisprudence abondante selon laquelle l'article 7
ne couvre pas simplement les droits purement juri-
diques garantis par les articles 8 à 14 de la Charte.
Par ailleurs, il est bien évident que l'article 7 ne
vise pas à accorder aux personnes la liberté de
poursuivre toute activité que la loi n'interdit pas.
On ne saurait non plus considérer toutes les dispo
sitions législatives qui imposent des restrictions
aux activités humaines comme des dispositions qui
portent atteinte aux droits protégés par la Consti
tution; tel n'est pas le but de la Charte.
L'interprétation la plus raisonnable de l'article 7
est celle qui reconnaît que le concept de la liberté
protégée est enraciné dans les privilèges qui sont
reconnus depuis longtemps en common law. Cette
tendance à considérer la Charte comme un texte
qui protège les valeurs fondamentales et largement
reconnues ressort nettement du raisonnement qu'a
suivi la Cour suprême du Canada dans Procureur
général du Québec c. Quebec Association of Pro
testant School Boards et autres, [ 1984] 2 R.C.S.
66, où la Cour fait allusion [à la page 79] «une
codification de droits essentiels, préexistants et
plus ou moins universels que l'on voudrait confir-
mer et peut-être préciser, étendre ou modifier ...»
L'article 7 vise à protéger les libertés qui sont
généralement reconnues et acceptées en common
law.
La question suivante consiste à déterminer si le
droit de faire la grève est protégé par l'article 7. À
mon avis, il ne l'est pas. Il est vrai que les grèves ne
sont pas rares au Canada; il en est ainsi depuis
plusieurs années. Cependant, le droit de faire la
grève qui est maintenant reconnu dans les textes
de loi est encore un concept relativement nouveau
qui n'appartient pas à la catégorie des droits et
libertés fondamentaux visés par l'article 7. Pour
reprendre les propos du juge Le Dain dans l'arrêt
du Renvoi relatif à l'Alberta (page 391), il s'agit
d'une création de la loi qui met en jeu «un équili-
bre entre des intérêts opposés dans un domaine
qui, les tribunaux l'ont reconnu, exige une compé-
tence spéciale». S'il y avait des doutes sur la
question de savoir si le droit de faire la grève
devrait recevoir le statut d'un droit protégé par la
Constitution, ce doute, à mon avis, a été dissipé
par les commentaires suivants qu'a formulés le
juge McIntyre dans l'arrêt Renvoi relatif à l'Al-
berta aux pages 413 et 414:
De plus, il faut reconnaître que le droit de grève conféré par
la loi partout au canada est une chose relativement récente.
C'est vraiment le produit de ce siècle et, sous sa forme contem-
poraine, il est en réalité le produit de la seconde moitié de ce
siècle. On ne peut dire qu'il soit devenu à ce point partie
intégrante de nos traditions sociales et historiques au point
d'acquérir le statut d'un droit immuable et fondamental, ferme-
ment enraciné dans nos traditions et dans notre philosophie
politique et sociale ... On peut bien dire que les relations de
travail ont acquis une importance fondamentale dans notre
société, mais ce n'est pas le cas de chaque élément qui se
rattache à ce sujet général. Le droit de grève, considéré comme
un élément des relations de travail, a toujours fait l'objet d'un
contrôle législatif. Il a parfois été abrogé, dans des circons-
tances spéciales, et il fait l'objet d'une réglementation et d'un
contrôle juridiques dans tous les ressorts canadiens. À mon avis,
on ne peut dire actuellement qu'il a atteint le statut d'un droit
fondamental qui doit être considéré comme implicite en l'ab-
sence de mention expresse dans la Charte.
Bien que j'aie conclu et exprimé l'avis que la Charte, à
première vue, ne saurait justifier l'existence d'un droit de grève
implicite, il y a aussi, à mon avis, de bonnes raisons de politique
sociale de ne pas déduire l'existence d'un tel droit. Le droit du
travail, comme nous l'avons vu, constitue un sujet d'importance
fondamentale, mais aussi extrêmement délicat. Il est fondé sur
un compromis politique et économique entre d'une part, le
syndicalisme, qui constitue une force socio-économique fort
puissante, et d'autre part, le patronat, qui constitue une force
socio-économique tout aussi puissante. L'équilibre entre ces
deux forces est fragile et la sécurité et le bien-être de la
population en général dépendent du maintien de cet équilibre.
L'un de ces groupes renonce à certains de ses intérêts en
échange de concessions de la part de l'autre. Manifestement il
n'existe pas de juste équilibre qui puisse satisfaire de façon
permanente les deux groupes, tout en sauvegardant l'intérêt
public. L'ensemble du processus est fondamentalement dynami-
que et instable. Il faut donc faire preuve de prudence lorsqu'on
se demande si une protection constitutionnelle devrait être
accordée à l'un des aspects de ce processus dynamique et
changeant, tout en abandonnant les autres sujets aux pressions
sociales du jour. De gigantesques changements d'ordre écono-
mique, social et industriel se préparent non seulement au
Canada et en Amérique du Nord, mais aussi dans d'autres
parties du monde. L'évolution de l'économie nationale cana-
dienne, le déclin des industries fondées sur les ressources natu-
relles ainsi que de l'industrie lourde, les changements qui
surviennent dans l'ordre commercial et industriel international,
ont engendré une pression énorme pour que soient réévaluées
les façons traditionnelles d'aborder les questions économiques
et industrielles, y compris celles du droit et des politiques en
matière de travail ... Il est clair cependant que les politiques en
matière de relations de travail ne peuvent être mises au point
qu'étape par étape, les provinces jouant dans notre pays leur
[TRADUCTION] «rôle fédéral classique de laboratoires d'expéri-
mentation juridique de nos maux en matière de relations indus-
trielles» (Paul Weiler, Reconcilable Differences: New Direc
tions in Canadian Labour Law (1980), à la p. 11). C'est grâce
à ce rôle qu'elles ont joué par le passé qu'a pu croître et se
développer le droit du travail qui prévaut actuellement au
Canada. Les conditions variables et constamment changeantes
de la société moderne exigent que cela continue. Intervenir dans
ce processus dynamique à ce premier stade de l'évolution de la
Charte, en reconnaissant une protection constitutionnelle impli-
cite du droit de grève reviendrait, selon moi, à conférer à l'une
des forces en présence une arme économique qui échapperait,
sous réserve de, D'article premier, à tout contrôle législatif et
pourrait aller,ji qu'à geler les relations de travail et à restrein-
dre le processus' d'évolution nécessaire pour faire face aux
circonstances 'changeantes de la société contemporaine. de
répète que cela ne revient pas à dire que le droit de grève
n'existe pas en droit ni qu'il devrait être aboli. Cela signifie
simplement qu'à ce stade de l'évolution de notre Charte un tel
droit ne devrait pas recevoir un statut constitutionnel qui
porterait atteinte à l'essor futur que lui réserve le législateur.
[C'est moi qui souligne.]
Pour les motifs qui précèdent, j'en viens à la
conclusion que la Loi de 1986 sur les opérations
portuaires ne viole pas l'article 7 de la Charte en
raison du fait qu'elle interdit aux demanderesses
de faire la grève.
- Toutefois, j'estime que la pénalité prévue à l'ar-
ticle 13 de la L.O.P. viole les droits des demande-
resses qui sont protégés sur le plan constitutionnel
par l'article 7 de la Charte. Les deux parties ont
présenté des arguments au sujet des amendes
imposées par l'article 13. Toutefois, l'article va
beaucoup plus loin que d'imposer une amende. En
voici le libellé:
13. (1) L'individu, le syndicat ou la société qui contrevient à
la présente loi est coupable d'une infraction punissable par
procédure sommaire et encourt, pour chacun des jours au cours
desquels se commet ou se continue l'infraction:
a) sous réserve de l'alinéa b), dans le cas d'un individu, une
amende de 500 $ à 1 000 $;
b) dans le cas d'un dirigeant ou d'un représentant d'une
société ou du syndicat, une amende de 10 000 $ à 50 000 $ si
l'infraction a été commise alors que l'individu agissait dans
l'exécution de ses fonctions;
c) dans le cas d'une société ou du syndicat, une amende de
20 000 $ à 100 000 $.
(2) Les dirigeants et les représentants d'un syndicat qui ont
été déclarés coupables d'une infraction prévue par la présente
loi commise alors qu'ils agissaient dans l'exécution de leurs
fonctions ne peuvent être employés à quelque titre que ce soit
par le syndicat—ou agir à titre de dirigeant ou de représentant
de celui-ci--pendant les cinq ans qui suivent la déclaration de
culpabilité.
(3) Les dirigeants ou les représentants d'un membre de
l'association patronale, y compris une société mentionnée à
l'annexe I, qui ont été déclarés coupables d'une infraction
prévue par la présente loi ne peuvent être employés à quelque
titre que ce soit par l'association patronale—ou agir à titre de
dirigeant ou de représentant de celle-ci—pendant les cinq ans
qui suivent la déclaration de culpabilité. [C'est moi qui
souligne.]
Toute personne qui enfreint une disposition de la
Loi est coupable d'une infraction punissable par
procédure sommaire. En conséquence, le débar-
deur qui n'est pas retourné au travail pour une
raison ou pour une autre, qu'il s'agisse d'un acte
volontaire de désobéissance, d'une maladie, du fait
qu'il a obtenu un emploi ailleurs, d'un décès dans
sa famille ou de toute autre circonstance imprévisi-
ble qui l'a empêché de se rendre au travail à la
date prescrite par la Loi serait coupable d'une
infraction punissable par procédure sommaire. La
Loi ne prévoit aucune exception. Une seule conclu
sion s'impose: l'article 13 crée une infraction de
responsabilité absolue.
L'avocat de la défenderesse a soutenu que, si
une personne avait été incapable de retourner au
travail pour des motifs valables, on aurait tenu
compte de ces circonstances et les pénalités pré-
vues à l'article 13 n'auraient pas été imposées à
cette personne.
C'est bien possible, mais notre Cour ne peut se
fonder sur la politique de ceux qui administrent la
L.O.P. La seule chose dont je peux tenir compte
pour déterminer s'il existe une violation d'un droit
protégé par la Constitution, c'est le libellé du texte
de loi. A cet égard, l'article 13 est dépourvu de
toute équivoque: tout débardeur qui ne se con-
forme pas à la loi et ne retourne pas au travail est
coupable d'une infraction punissable par procédure
sommaire. La défenderesse ne saurait invoquer la
conduite raisonnable des personnes chargées d'ad-
ministrer la Loi pour rendre cette disposition
valide sur le plan constitutionnel alors qu'elle ne
l'est pas par ailleurs.
Pour comprendre l'importance de l'infraction
punissable par procédure sommaire qui est créée
par l'article 13, il faut examiner la Partie XXVII
du Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, et
ses modifications [L.R.C. (1985), (1 °r suppl.),
chap. 27, art. 171], qui porte sur les infractions
punissables par procédure sommaire. Voici le texte
de l'article 787 du Code:
787. (1) Sauf disposition contraire de la loi, toute personne
déclarée coupable d'une infraction punissable sur déclaration
de culpabilité par procédure sommaire est passible d'une
amende maximale de deux mille dollars et d'un emprisonne-
ment maximal de six mois, ou de l'une de ces peines.
(2) Lorsque la loi autorise l'imposition d'une amende ou la
prise d'une ordonnance pour le versement d'une somme d'ar-
gent, mais ne déclare pas qu'un emprisonnement peut être
imposé à défaut du paiement de l'amende ou de l'observation de
l'ordonnance, le tribunal peut ordonner que, à défaut du paie-
ment de l'amende ou de l'observation de l'ordonnance, selon le
cas, le défendeur soit emprisonné pour une période maximale de
six mois.
Conformément au paragraphe 787(2), un tribu
nal compétent est autorisé à ordonner au prévenu
de payer une amende; en l'espèce, l'amende est
prévue au paragraphe 13(1) de la L.O.P. Si le
prévenu viole cette ordonnance et qu'il omet de
payer l'amende, il pourra être condamné à une
peine d'emprisonnement d'au plus six mois. Une
ordonnance d'emprisonnement fondée sur le para-
graphe 787(2) du Code est une sanction qui relève
du pouvoir discrétionnaire du tribunal, mais la
possibilité de cette sentence existe sans l'ombre
d'un doute. En conséquence, en créant une infrac
tion punissable par procédure sommaire, l'article
13 de la L.O.P. rend possible la peine d'emprison-
nement.
Dans l'arrêt du Renvoi: Motor Vehicle Act de la
C.-B., précité, la disposition législative attaquée
créait une infraction de responsabilité absolue et
prévoyait également une peine d'emprisonnement
obligatoire dans les cas de violation de la disposi
tion. La Cour suprême a décidé qu'une disposition
créant une infraction de responsabilité absolue et
permettant à son égard l'imposition d'une peine
d'emprisonnement viole les principes de justice
fondamentale et le droit à la liberté qui découlent
de l'article 7 de la Charte. Voici ce qu'a dit le juge
Lamer à la page 515:
Je suis donc d'avis que la combinaison de l'emprisonnement
et de la responsabilité absolue viole l'art. 7 de la Charte et ne
peut être maintenue que si les autorités démontrent, en vertu de
l'article premier, qu'une telle atteinte à la liberté, qui va à
l'encontre de ces principes de justice fondamentale, constitue,
dans le cadre d'une société libre et démocratique, dans les
circonstances, une limite raisonnablement justifiée aux droits
garantis par l'art. 7.
Toutefois, il existe une distinction importante
entre le présent litige et l'arrêt précité. En l'espèce,
ce n'est pas la violation de la loi attaquée qui ouvre
la voie à la peine d'emprisonnement; c'est plutôt la
violation de l'ordonnance de la cour relative au
paiement d'une amende, laquelle ordonnance est
rendue conformément au paragraphe 787(2) du
Code criminel, qui peut mener à l'emprisonne-
ment. La question de savoir si cela constitue ou
non une violation de l'article 7 est une question à
laquelle la Cour suprême n'a pas répondu dans
l'arrêt du Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B.,
où le juge Lamer a fait les commentaires suivants
aux pages 515 et 516:
Comme personne n'a traité de l'emprisonnement en tant que
peine possible faute de paiement de l'amende, je préfère ne pas
exprimer d'avis relativement à l'art. 7 sur cette possibilité dans
le cas où quelqu'un aurait été déclaré coupable d'une infraction
de responsabilité absolue ... Ces questions n'ont pas été abor-
dées par la Cour d'appel et il ne serait pas sage de tenter de les
aborder ici. Pour les fins du présent pourvoi, il suffit et il est
préférable de conclure comme je l'ai fait sans plus, savoir
qu'aucune peine d'emprisonnement ne peut être imposée pour
une infraction de responsabilité absolue et, en conséquence,
étant donné la question qui nous est soumise, qu'une infraction
punissable de l'emprisonnement ne peut pas être une infraction
de responsabilité absolue.
Je suis d'avis que l'emprisonnement comme
solution de rechange au défaut de payer une
amende lors d'une déclaration de culpabilité se
rapportant à une infraction de responsabilité abso-
lue viole l'article 7 de la Charte. Il est indéniable
que la possibilité d'emprisonnement peut être
évitée dans ce cas, alors qu'elle ne peut l'être
lorsque la responsabilité absolue et la peine d'em-
prisonnement sont réunis. Néanmoins, la possibi-
lité d'emprisonnement est certaine. Et ce fait me
convainc que la remarque de la Cour suprême dans
l'arrêt du Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B.
s'applique à des cas de cette nature. À la page 515,
le juge Lamer s'exprime en ces termes:
À mon avis, c'est parce que la responsabilité absolue viole les
principes de justice fondamentale que cette Cour a créé des
présomptions selon lesquelles les législatures n'ont pas voulu
définir des infractions de nature réglementaire appartenant à
cette catégorie. Cela ne veut pas dire toutefois, ce sur quoi je
suis d'accord avec la Cour d'appel, qu'il en résulte que la
responsabilité absolue contrevient en soi à l'art. 7 de la Charte.
Une loi qui définit une infraction de responsabilité absolue ne
violera l'art. 7 de la Charte que si et dans la mesure où elle peut
avoir comme conséquence de porter atteinte à la vie, à la liberté
ou à la sécurité de la personne.
Manifestement, l'emprisonnement (y compris les ordonnan-
ces de probation) prive les personnes de leur liberté. Une
infraction peut avoir cet effet dès que le juge peut imposer
l'emprisonnement. Il n'est pas nécessaire que l'emprisonnement
soit obligatoire comme c'est le cas a u par. 94(2). [C'est moi qui
souligne.]
À mon avis, à l'instar du paragraphe 94(2) du
Motor Vehicle Act de la Colombie Britannique,
l'article 13 de la L.O.P. est une disposition qui
peut entraîner une déclaration de culpabilité à
l'encontre d'une personne qui n'a vraiment rien
fait de mal. En outre, elle peut avoir pour effet de
priver les demanderesses de leur droit à la vie, à la
liberté et' à la sécurité de la personne en prévoyant
l'application des dispositions du Code criminel sur
la procédure sommaire, ce qui permet au juge
d'imposer une peine d'emprisonnement en raison
du défaut de payer une amende. À mon avis, dire
que la protection de l'article 7 ne couvre pas ces
circonstances serait incompatible avec le raisonne-
ment adopté par la Cour suprême dans l'arrêt du
Renvoi: Motor Vehicle Act de C.-B.. Pour ces
motifs, je suis d'avis que l'article 13 de la L.O.P.
va à l'encontre de l'article 7 de la Charte.
Quant à la question de savoir si l'article 1 de la
Charte peut avoir pour effet de protéger l'article
13 en question, je réponds que non et j'adopte le
raisonnement du juge Lamer dans la cause du
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., à la
page 518:
On invoquera sans doute, en vertu de l'article premier, la
commodité administrative qui est l'argument principal en
faveur de la responsabilité absolue, et parfois on le fera avec
succès bien que j'oserais prédire que cela se produira rarement.
En fait, la commodité administrative a certainement sa place en
droit administratif. Cependant, lorsque le droit administratif
fait appel à l'emprisonnement au moyen du droit pénal et
parfois même du droit criminel et vu les stigmates découlant
d'une condamnation, ce sera par exception, à mon avis, qu'il y
aura lieu de sacrifier la liberté ou même la sécurité de la
personne garanties à l'art. 7 à la commodité administrative.
L'article premier peut, pour des motifs de commodité adminis
trative, venir sauver ce qui constituerait par ailleurs une viola
tion de l'art. 7, mais seulement dans les circonstances qui
résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres
naturels, le déclenchement d'hostilités, les épidémies et ainsi de
suite. [C'est moi qui souligne.]
Jusqu'à présent, je n'ai formulé aucun commen-
taire sur la preuve de huit ou neuf 'jours que la
Couronne a présentée au sujet des répercussions
économiques que l'arrêt de travail aux ports de la
côte ouest aurait pu entraîner. Toute cette preuve
portait sur des arguments fondés sur l'article 1 de
la Charte et visait à démontrer le bien-fondé de la
loi attaquée. Il est vrai qu'il était très souhaitable
que les demanderesses et la B.C.M.E.A. règlent le
conflit de travail qui les opposait. Cependant, la
question que je dois me poser est celle de savoir si
la défenderesse a démontré que le risque d'empri-
sonnement de certains membres innocents des
demanderesses, compte tenu du fait qu'il était
souhaitable de mettre fin au conflit entre les par
ties, est justifiable comme limite raisonnable dans
le cadre d'une société libre et démocratique. Je
n'hésite pas à dire que cette preuve est loin d'avoir
été établie. Non seulement la défenderesse n'a pas
présenté de preuve valable au sujet des pertes ou
des conséquences économiques graves découlant
des arrêts de travail antérieurs aux ports (lesquels
ont duré de seize à quarante-sept jours), mais elle
ne m'a pas convaincu que l'arrêt de travail dans ce
cas-ci (qui n'a duré que cinq jours) a causé un
préjudice quelconque.
En conséquence, je suis d'avis que la Loi de
1986 sur les opérations portuaires ne viole pas
l'alinéa 2d) ou l'article 7 de la Charte, sauf dans le
cas de l'article 13 de la Loi, que je déclare nul et
non avenu pour le motif qu'il est incompatible avec
l'article 7 de la Charte. Les dépens sont adjugés en
faveur des demanderesses.
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