A-218-90
Le ministre des Transports et des Travaux publics
de l'Île-du-Prince -Edouard (appelant)
c.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada et l'Office national des transports
(intimés)
RÉPERTORIÉ: !LE-DU-PRINCE-ÉDOUARD (MINISTRE DES
TRANSPORTS ET DES TRAVAUX PUBLICS) c. CIE DES CHEMINS
DE FER NATIONAUX DU CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Pratte
et Stone, J.C.A.—Charlottetown, 2 mai; Ottawa,
20 juin 1990.
Droit constitutionnel — Conditions de l'adhésion de
Pile-du-Prince-Édouard — Ordonnance de l'Office national
des transports entraînant l'abandon de tout le réseau ferro-
viaire desservant l'%le-du-Prince-Édouard Les Conditions
exigeaient que le Canada assume un »service convenable de
bateaux à vapeur, transportant les malles (sic) et passagers»
— Les chemins de fer sont devenus la propriété du Canada
Les allégations de Pile: les Conditions ont un statut constitu-
tionnel; toute loi incompatible est inopérante; les Conditions
exigent que le service ferroviaire soit maintenu; l'ordonnance
de l'Office excède la compétence que le Parlement a pu lui
conférer Le libellé des Conditions est clair Elles impo-
saient l'obligation de fournir un service de bacs, non pas un
réseau ferroviaire à perpétuité.
Chemins de fer — Appel formé contre une ordonnance de
l'Office national des transports entraînant l'abandon de tout le
réseau ferroviaire de l'île-du-Prince-Édouard — Les Condi
tions de l'adhésion de l'%le-du-Prince-Edouard n'exigeaient
pas que le Canada exploite le chemin de fer sur Pile ni ne
maintienne une liaison entre les chemins de fer de la province
et ceux des côtes L'ordonnance relevait de la compétence de
l'Office.
Il s'agissait d'un appel formé contre une ordonnance de
l'Office national des transports ayant pour effet d'entraîner
l'abandon de tout le réseau ferroviaire desservant 111e-du-
Prince-Édouard. Les Conditions de l'adhésion de l'Ïle-du-
Prince-Edouard prévoient (1) que le chemin de fer deviendra
la propriété du Canada et (2) que le Canada se chargera des
dépenses occasionnées par un ,(service convenable de bateaux à
vapeur», transportant les malles (sic) et passagers entre l'Île et
les côtes, et l'hiver», assurant ainsi une communication
continue avec le réseau ferroviaire du Canada. L'appelant a
soutenu que, vu le statut constitutionnel des Conditions de
l'adhésion, toute loi qui n'est pas compatible avec elles est
inopérante. Il a été allégué que les Conditions exigeaient le
maintien du service ferroviaire à l'intérieur de la province et
entre la province et les côtes. Il a été en outre avancé que les
Conditions de l'adhésion n'étaient pas claires de sorte qu'il faut
découvrir une entente implicite entre les parties à même les
circonstances de l'époque et le comportement des parties depuis
l'adoption des Conditions de l'adhésion. La question était de
savoir si l'ordonnance allait à l'encontre des Conditions de
l'adhésion et excédait la compétence de l'Office national des
transports.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Les Conditions de l'adhésion n'exigent pas que le Canada
exploite le chemin de fer sur l'Île-du-Prince-Édouard ni qu'il
maintienne et exploite une liaison ferroviaire entre l'Ïle et le
réseau de chemin de fer du continent. Les Conditions sont
claires et devraient être considérées comme exprimant l'accord
qu'envisageaient les parties. Point n'est besoin de recourir aux
règles d'interprétation des lois, aux éléments de preuve extrinsè-
ques ou aux antécédents législatifs. Un «service convenable de
bateaux à vapeur» vise un service de bacs ayant pour effet, et
non pour obligation, d'assurer la communication avec le réseau
fédéral. Cette expression ne peut désigner qu'un «navire». Cette
obligation s'étend seulement au courrier et aux passagers et non
au fret. «Continue» a un sens saisonnier et temporel plutôt
qu'une signification matérielle (c.-à-d. une ligne de chemin de
fer continue). Bien que l'on s'attendît à ce que le Canada
exploite le réseau ferroviaire de la façon indiquée par la clause
qui prévoit que les chemins de fer deviendront les propriétés du
Canada, cela n'impose pas au Canada l'obligation d'exploiter le
chemin de fer à perpétuité. Le Canada a acquis la propriété du
chemin de fer parce qu'il a assumé les dettes et le passif de la
province. Après en avoir acquis la propriété, il était légalement
libre d'en disposer à son gré. Si on avait voulu que le Canada
exploite le chemin de fer à perpétuité, on l'aurait dit dans des
termes clairs.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte concernant le chemin de fer de l'île de Vancouver, le
bassin de radoub d'Esquimalt, et certaines terres de
chemin de fer de la province de la Colombie-Britanni-
que cédées au Canada, S.C. 1884, 47 Vict., chap. 6,
art. 9 de l'annexe.
Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique,
L.R.C. (1985), appendice II, n° 10, art. 4.
Conditions de l'adhésion de Pile-du-Prince- Édouard,
L.R.C. (1985), appendice II, n° 12.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. I 1 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5], art.
145.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44], art. 52(1).
Loi de 1893 sur la révision du droit statutaire, 56-57
Vict., chap. 14 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II,
n° 17].
Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985)
(3° suppl.), chap. 28, art. 65.
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. (!le-du-Prince -Edouard) c. R. (Canada), [1976] 2
C.F. 712 (C.A.); Edwards, Henrietta Muir v. Attorney -
General for Canada, [ 1930] A.C. 124 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
B.C. (A.G.) v. Can. (A.G.) (1989), 42 B.C.L.R. (2d) 339
(S.C.).
DECISIONS EXAMINÉES:
The Moorcock (1889), 14 P.D. 64 (C.A.); Panagiotis Th.
Coumantaros (Steamship), The Owners of v. National
Harbours Board, [1942] R.C.S. 450.
AVOCATS:
William G. Lea, c.r. pour l'appelant.
Terance H. Hall et Myer Rabin pour l'inti-
mée la Compagnie des chemins de fer natio-
naux du Canada.
Ian S. MacKay pour l'intimée l'Office natio
nal des transports.
Terrence Joyce, c.r. et Lewis Levy, c.r. pour
l'intervenant, le procureur général du Canada.
Robert Perry pour l'intervenante, la Island
Rail Foundation.
PROCUREURS:
Campbell, Lea, Michael, McConnell & Pigot,
Charlottetown, pour l'appelant.
Services du contentieux, Compagnie des che-
mins de fer nationaux, Montréal, pour l'inti-
mée la Compagnie des chemins de fer natio-
naux du Canada.
Contentieux, Office national des transports,
Hull (Qué.), pour l'intimée l'Office national
des transports.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intervenant, le procureur général du Canada.
Island Rail Foundation, Vernon Bridge
(Île-du-Prince -Edouard), pour l'intervenante,
la Island Rail Foundation.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Il s'agit d'un
appel interjeté par le ministre des Transports et
des Travaux publics de l'Île-du-Prince -Edouard
(«l'appelant») conformément à l'autorisation que
lui accorde l'article 65 de la Loi de 1987 sur les
transports nationaux («LTN)', contre une déci-
sion (décision No. 348-R-1989) et un arrêté
(arrêté No. 1989-R-180) de l'Office national des
' L.R.C. (1985) (3'suppl.), chap. 28.
transports (l'«Office») pris le 12 juillet 1989, ayant
pour effet d'ordonner à la Compagnie des chemins
de fer nationaux du Canada («CN»). d'abandonner
huit lignes de chemins de fer qui constituent le
réseau ferroviaire complet desservant l'Île-.du-
Prince-Édouard. Sept des huit lignes sont sur
l'Île-du-Prince-Édouard et la huitième est une
ligne au Nouveau-Brunswick qui relie la ligne
principale du CN qui va de Québec à Halifax (le
Chemin de fer Intercolonial) au terminal du bac à
voitures de Cap Tourmentine (Nouveau-Bruns-
wick). Un service de bac à. voitures est exploité
entre Cap Tourmentine et Borden (Île-du-Prince-
Édouard).
La Cour, par ordonnance en date du 22 mars
1990 a autorisé l'appelant à interjeter appel relati-
vement à la question suivante:
La décision et l'arrêté susmentionnés sont-ils contraires aux
Conditions de l'adhésion de l'île-du-Prince-Édouard et, pour
cette raison, excèdent-ils la compétence de l'Office national des
transports?
Le 3 avril 1990, le procureur général du Canada
(le «procureur général») a déposé un avis d'inten-
tion de participer à l'appel 2 .
L'exposé des points d'argument de l'appelant
contient une documentation assez complète des
faits et des antécédents historiques qui portent
généralement sur la question dont nous sommes
saisis'. Toutefois, à mon avis, il n'est pas néces-
saire de se reporter à cette documentation de façon
détaillée aux fins de se prononcer sur la question
que soulèvent l'arrêté et la décision de l'Office.
Il suffit de dire qu'en vertu des lois de la colonie
de l'Île-du-Prince -Edouard, des dispositions ont été
adoptées relativement à la construction d'un
chemin de fer. Diverses lignes ont été construites à
l'égard desquelles le gouvernement du Canada a
assumé la responsabilité opérationnelle lorsque la
colonie s'est jointe à la Confédération le ler juillet
1873. La construction de ces lignes s'est échelon-
née à partir des années 1870 jusqu'à 1930. La
2 M. R. W. Perry, qui représente la Island Rail Foundation, a
aussi comparu et présenté des observations qui portaient sur-
tout sur des points non reliés à la principale question soumise à
la Cour, mais il a aussi appuyé la position de l'appelant.
3 La partie I de l'exposé des points d'argument de l'appelant
décrit les lignes de chemins de fer sur l'Île-du-Prince -Edouard,
les événements relatifs à la construction des lignes de chemins
de fer de l'Île-du-Prince -Edouard et les événements subséquents
qui concernent ces lignes.
subdivision Tourmentine a été construite par la
New-Brunswick and Prince Eward Island Railway
Company qui a été constituée pour prolonger le
chemin de fer Intercolonial de Sackville
(Nouveau-Brunswick) à Cap Tourmentine (Nou-
veau-Brunswick) en 1886. Le prolongement de la
ligne, construit et terminé en 1919, étendait cel-
le-ci de Cap Tourmentine au terminal du bac de
l'Île-du-Prince-Édouard; il a été réalisé par le gou-
vernement du Canada de pair avec la mise en
opération d'un service quotidien de bacs entre Cap
Tourmentine d'une part, et Borden (Île-du-Prince -
Edouard) d'autre part, de l'autre côté du détroit de
Northumberland. Le 20 janvier 1923, on confliait
au CN la gestion et l'exploitation de toutes ces
lignes 4 .
À compter de 1972, le CN a demandé en vertu
des dispositions applicables de la Loi sur les che-
mins de fer [S.R.C. 1970, chap. R-2] l'autorisa-
tion d'abandonner cinq des lignes situées sur
l'Île-du-Prince -Edouard, mais le Comité des trans
ports par chemin de fer de la Commission cana-
dienne des transports lui a ordonné de continuer
d'exploiter chacune de ces lignes. En vertu de la
LTN, ces demandes d'abandon de lignes devaient
être reconsidérées par l'Office conformément aux
dispositions de la LTN régissant l'abandon des
lignes 5 . De plus, en décembre 1988, le CN a
demandé d'abandonner les trois autres lignes y
compris la subdivision Tourmentine, de Sackville à
Cap Tourmentine. Les deux autres sont la subdivi
sion de Borden, qui s'étend du bac à voitures de
Borden à Charlottetown, et la partie de la subdivi
sion Kensington qui va de Linkletter, près de
Summerside, à Kensington, où elle rejoint la sub
division Borden.
Par sa décision et son arrêté l'Office a ordonné
l'abandon de chacune des huit lignes et ce faisant,
il a conclu que les conditions de l'adhésion n'impo-
saient pas au Canada l'obligation d'exploiter le
chemin de fer sur l'Île-du-Prince -Edouard et de
continuer l'exploitation de la subdivision Tourmen-
tine de façon à assurer à la province une communi
cation continue avec le réseau de chemins de fer du
Canada. L'Office, en conséquence, s'est dit habi-
Voir la décision N° 348-R-1989, onglet E, Dossier d'appel,
p. 3.
5 Id., aux p. 3 et 4.
lité par la LTN à ordonner l'abandon des lignes de
chemins de fer 6 .
À ce point-ci, il convient d'exposer les disposi
tions pertinentes des Conditions de l'adhésion de
l'Ïle-du-Prince-Édouard [L.R.C. (1985), appen-
dice II, n° 12]:
Que le Canada sera responsable des dettes et obligations de
l'Île du Prince -Edouard existantes à l'époque de l'Union.
Que le gouvernement du Canada se chargera des dépenses
occasionnées par les services suivants:
Le traitement du lieutenant-gouverneur;
Les traitements des juges de la Cour Suprême et des juges
des cours de district ou de comté, quand ces cours seront
établies;
Les frais d'administration des douanes;
Le service postal;
La protection des pêcheries;
Les dépenses de la milice;
Les phares, équipages naufragés, quarantaine et hôpitaux de
marine;
L'exploration géologique;
Le pénitencier;
Un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les
malles et passagers, qui sera établi et maintenu entre l'Ile et les
côtes du Canada, l'été et l'hiver, assurant ainsi une communica
tion continue entre l'Ile et le chemin de fer Intercolonial, ainsi
qu'avec le réseau des chemins de fer du Canada;
L'entretien de communications télégraphiques entre l'île et la,
terre ferme du Canada.
Et telles autres dépenses relatives aux services qui, en vertu
de «l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867» (Loi
constitutionnelle de 1867) dépendent du gouvernement général,
et qui sont ou pourront être alloués aux autres provinces.
Que les chemins de fer donnés à contrat et en voie de
construction pour le compte du gouvernement de l'Ile devien-
dront les propriétés du Canada.
Que le nouvel édifice où siègent les cours de justice, et où se
trouve le bureau d'enregistrement, etc., sera transféré au
Canada, sur paiement de soixante-neuf mille piastres. Le prix
d'achat comprendra le terrain sur lequel se trouve l'édifice et,
en outre, une étendue convenable de terrain pour les cours, etc.,
etc.
Que le dragueur à vapeur en construction deviendra la
propriété du gouvernement fédéral, moyennant une somme
n'excédant pas ving-deux mille piastres.
Que le bateau passeur à vapeur, aujourd'hui la propriété de
Pile, demeurera en sa possession'. [Soulignements ajoutés.]
6 On trouvera aux p. 5 à 7 du dossier d'appel une discussion
de la question constitutionnelle.
' Il n'est pas contesté que les conditions de l'adhésion font
partie de la Constitution en vertu du paragraphe 52(2) de ce
document, qui désigne comme en faisant partie les textes
législatifs et les arrêtés figurant à l'annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982. Le poste 6 de l'annexe renvoie aux Condi
tions de l'adhésion de PI le-du-Prince-Édouard.
Les arguments de l'appelant peuvent se résumer
brièvement comme suit: comme les Conditions de
l'adhésion ont valeur constitutionnelle, toute règle
de droit incompatible avec elles est inopérante
selon le paragraphe 52(1) de la Loi constitution-
nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44]]. L'appelant estime que les
Conditions de l'adhésion exigent le maintien d'un
service ferroviaire pour l'Île-du-Prince-Édouard, y
compris à l'intérieur de la province et entre la
province et le chemin de fer sur le continent. Parce
qu'ils auraient pour effet de mettre fin au service
ferroviaire pour l'Île-du-Prince -Edouard, la déci-
sion et l'arrêté ne relèvent pas de la compétence
que le Parlement peut conférer à l'Office.
Plus particulièrement, l'appelant fait valoir que
les deux conditions de l'adhésion relatives aux
chemins de fer (soulignées dans l'extrait précité)
doivent s'interpréter compte tenu du fait que
même si elles font partie de la Constitution, les
Conditions de l'adhésion donnent effet à une
entente conclue entre différentes colonies. L'avocat
de l'appelant souligne alors que les Conditions
n'ont pas été bien rédigées, qu'elles sont extrême-
ment brèves', mal agencées et semblent refléter
l'intention des rédacteurs de s'inspirer des Condi
tions de l'adhésion de la Colombie-Britannique
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 10] établies deux
ans plus tôt. Compte tenu de tout cela, l'appelant
soutient que l'on ne peut considérer que le libellé
des Conditions de l'adhésion exprime véritable-
ment et dans sa totalité l'entente que les rédacteurs
ont alors voulu conclure. Il faut donc s'efforcer
d'établir les conditions implicites de l'accord, y
compris toutes conditions nécessaires pour donner
à l'accord l'efficacité que les parties devaient rai-
sonnablement souhaiter 9 . Pour découvrir ces con
s L'avocat de l'appelant dit que les Conditions sont [TRADUC-
TION] .moins bien rédigées que celles que l'on trouve, par
exemple, dans un contrat de location de voiture.. Voir, l'exposé
des points d'argument de l'appelant, para. 37.
9 À l'appui de ce point de vue, l'appelant cite l'arrêt The
Moorcock (1889), 14 P.D. 64 (C.A.) qui traitait de la violation
de la garantie implicite que le lit de la rivière à une jetée
convenait raisonnablement à son objet. Cependant, voir l'arrêt
Panagiotis Th. Coumantaros (Steamship), The Owners of v.
National Harbours Board, [1942] R.C.S. 450, la p. 458, qui
traitait de l'arrêt Moorcock dans une perspective beaucoup plus
restreinte que celle adoptée par l'avocat de l'appelant. Consé-
quemment, je doute fort que l'arrêt Moorcock s'applique en
l'espèce.
ditions et l'efficacité que les parties entendaient
leur donner, il faut examiner ce qu'ont fait les
parties et comment elles se sont comportées. L'ap-
proche préconisée par l'avocat de l'appelant mène
à la conclusion qu'il existe une obligation constitu-
tionnelle d'exploiter des lignes de chemin de fer à
l'intérieur de l'Ile-du-Prince-Edouard et de la sub
division Tourmentine.
Je n'estime pas nécessaire de traiter de chacune
des étapes astucieuses de l'interprétation dcs Con
ditions par lesquelles est passé l'appelant pour
parvenir à sa destination constitutionnelle. Je dis
ceci parce que les Conditions de l'adhésion n'exi-
gent pas que le Canada exploite le chemin de fer
sur l'Ile-du-Prince-Edouard ni qu'il maintienne et
exploite une liaison ferroviaire entre le chemin de
fer sur l'Île-du-Prince -Edouard et le chemin de fer
sur le continent. L'avocat de l'appelant en con-
vient; il reconnaît également que ce que les Condi
tions de l'adhésion disent expressément, c'est que
le chemin de fer sur l'Île deviendra la propriété du
Canada et que celui-ci se chargera des dépenses
occasionnées par un service qui assurera une com
munication continue entre l'Île et le chemin de fer
Intercolonial et le réseau des chemins de fer du
Canada.
À mon avis, ce que soutient l'appelant en réalité,
c'est que les Conditions de l'adhésion ne sont pas
claires à première vue, comme le démontrent ce
qu'il appelle leur mauvaise rédaction, leur brièveté,
leur mauvais agencement et ainsi de suite. Pour
dissiper le doute, il faut découvrir une entente
implicite à même les circonstances à l'époque et le
comportement des parties depuis l'adoption des
Conditions de l'adhésion. Je trouve cette approche
plutôt dangereuse car elle peut facilement mener à
une nouvelle rédaction des Conditions, voire à un
réaménagement qui en fausserait les termes au
profit de l'une des partie. Mais, essentiellement, je
juge erronée l'approche de l'appelant parce que ce
qui importe sûrement le plus, c'est le sens à donner
aux mots choisis par les parties dans les Conditions
de l'adhésion.
À cet égard, je n'estime pas que les mots choisis
sont mal exprimés ou laissent par ailleurs à désirer.
De fait, je crois que le sens et l'intention des
Conditions pertinentes de l'adhésion sont clairs et
que ces dernières expriment l'accord qu'envisa-
geaient les parties. En d'autres termes, point n'est
besoin de recourir aux règles d'interprétation des
lois, aux éléments de preuve extrinsèques ou aux
antécédents législatifs lorsque le libellé à l'étude
est clair.
Les deux dispositions relatives aux chemins de
fer dans les Conditions de l'adhésion n'imposent
pas l'obligation d'exploiter le réseau ferroviaire à
perpétuité comme le soutient l'appelant. La clause
qui débute avec les mots «Un service convenable de
bateaux à vapeur» indique clairement que le gou-
vernement du Canada se chargera des dépenses
occasionnées par un service convenable de bateaux
à vapeur, transportant les malles (sic) et passa-
gers, qui sera établi et maintenu entre l'Île et les
côtes du Canada, l'été et l'hiver, assurant ainsi une
communication continue entre l'Île et le chemin de
fer Intercolonial ainsi qu'avec lc réseau des che-
mins de fer du Canada. L'avocat de l'appelant
affirme qu'il ressort clairement de cette clause que
l'on entendait créer l'obligation d'assurer une com
munication continue, et il faut entendre par cela la
communication entre l'Île et le chemin de fer
Intercolonial ainsi que le réseau de chemin de fer
du Canada. Cela n'a un sens, dit l'appelant, que
s'il existe un réseau ferroviaire à l'Île-du-Prince-
Édouard et que la subdivision Tourmentine conti
nue à fonctionner. En outre, cette obligation ne se
limite pas à ce qui serait considéré être «un service
convenable de bateaux à vapeur» en 1873, mais
elle évolue au gré des événements subséquents qui
exigent la prestation de services de meilleure qua-
lité. L'appelant soutient aussi que le service ne se
limite pas au courrier et aux passagers mais com-
prend aussi le fret.
Cette Cour a jugé dans l'arrêt R. (Île-du-
Prince-Édouard) c. R. (Canada) 10 que cette clause
des Conditions de l'adhésion créait en faveur de la
province l'obligation d'exploiter de façon continue
un service de bacs—été et hiver—entre l'Île-du-
Prince-Édouard et le continent. La décision ne
portait que sur le service de bacs, elle ne portait
pas sur le chemin de fer. Selon les Conditions de
l'adhésion, il existe clairement une obligation de
1° [1976] 2 C.F. 712 (C.A.).
fournir un service de bacs ayant pour effet et non
pour obligation d'assurer la communication avec le
réseau ferroviaire fédéral, comme l'indiquent les
mots «assurant ainsi»".
Aussi le service de bacs, par les mots «Un service
convenable de bateaux à vapeur», ne peut désigner
qu'un «navire» selon les sens normalement donné à
de tels mots' 2 . De plus, il est aussi clair que
l'obligation relative au service de bacs ne men-
tionne que le courrier et les passagers et non le
fret, car si on avait voulu comprendre celui-ci, il
aurait été bien facile d'inclure le mot, comme on
l'a fait dans les Conditions de l'adhésion de la
Colombie-Britannique". Enfin, l'adjectif «conti-
nue» ne vise que la traversée du détroit de Nor-
thumberland l'été et l'hiver et ne fait pas allusion à
une ligne de chemin de fer continue existant sur
l'Île, sur le bac et à sa sortie, et ensuite sur le
continent. A mon sens, «continue» a un sens saison-
nier et temporel plutôt qu'une signification
matérielle.
En ce qui concerne la clause des Conditions de
l'adhésion qui prévoit que les chemins de fer
donnés à contrat et en voie de construction pour le
" L'avocat du CN fait aussi valoir à l'appui de ce point que
l'art. 145 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982,
n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5]], qui déclarait essen-
tielle à l'Union de 1867 la construction du chemin de fer
Intercolonial, a été abrogé en 1893 par une loi britannique [Loi
de 1893 sur la révision du droit statutaire, 56-57 Vict., chap.
14 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice I1, n° 17]]. En consé-
quence, le gouvernement fédéral a le droit d'abandonner le
chemin de fer Intercolonial, et il doit aussi avoir le droit
d'abandonner le chemin de fer sur l'Île. Si le gouvernement
fédéral devait abandonner le chemin de fer Intercolonial, le
chemin de fer de l'Île n'aurait plus la possibilité de ,,communi-
queno avec quoi que ce soit. Donc, le CN soutient que l'obliga-
tion imposée au gouvernement fédéral par les Conditions de
l'adhésion ne doit viser qu'un service de bacs.
12 Comparer avec les Conditions de l'adhésion de la Colom-
bie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice 11, n° 10, art. 4,
dont voici le libellé:
4. Le Canada établira un service postal effectif semi -men-
suel, au moyen de bateaux à vapeur entre Victoria et San
Francisco, et bi-hebdomadaire entre Victoria et Olympia; les
bateaux à vapeur devant être adaptés au transport du fret et
des passagers.
" Voir plus haut, note 12.
compte du gouvernement de l'Île deviendront les
propriétés du Canada, ses conséquences sont égale-
ment claires. L'appelant soutient que cette clause
ne peut que signifier que le Canada devait non
seulement être le propriétaire des lignes de chemin
de fer mais aussi leur exploitant. Il ne fait aucun
doute que l'on s'attendait à ce que le Canada
exploite le réseau ferroviaire, mais cela ne signifie
nullement que le libellé des Conditions d'adhésion
impose au Canada l'obligation d'exploiter le
chemin de fer à perpétuité. Il est clair que le
Canada devait acquérir la propriété du chemin de
fer vraisemblablement parce qu'il assumait les
dettes et le passif de l'Ile-du-Prince-Edouard au
moment de son adhésion. Après en avoir acquis la
propriété, le Canada était légalement libre de dis-
poser du chemin de fer à son gré, en sa qualité de
propriétaire. Si l'on avait voulu que le Canada
exploite le chemin de fer à perpétuité, on l'aurait
dit en des termes clairs comme ce fut le cas, ainsi
que l'a souligné l'avocat du CN, dans la conven
tion de 1883 relative au chemin de fer de la
Colombie-Britannique 14 .
Je conclus par conséquent que la décision et
l'arrêté de l'Office n'étaient pas contraires aux
Conditions de l'adhésion de l'Île-du-Prince-
Édouard et donc qu'ils relevaient de la compétence
de l'Office. En tirant cette conclusion, je m'appuie
sur le sens clair du libellé des Conditions de l'adhé-
sion. Je reconnais que selon la décision du Conseil
14 Les mots »sans interruption et de bonne foi exploiter» se
trouvent dans la convention de 1883 concernant le chemin de
fer de la Colombie-Britannique: voir l'Acte concernant le
chemin de fer de l'Île de Vancouver, le bassin de radoub
d'Esquimalt, et certaines terres de chemin de fer de la province
de la Colombie-Britannique cédées au Canada, S.C. 1884
(Lois non abrogées) 47 Vict., chap. 6, art. 9 de l'annexe. Voir
B.C. (A.G.) v. Can. (A.G.) (1989), 42 B.C.L.R. (2d) 339 (S.C.),
une décision du juge en chef Esson de la Cour suprême de la
C.-B. qui a conclu à l'existence de l'obligation perpétuelle
d'assurer un service ferroviaire entre Victoria et Nanaimo sur
l'Île de Vancouver. Sans faire de commentaires sur la justesse
de cette décision, je soulignerais que les faits et les libellés des
textes législatifs pertinents sont substantiellement différents de
ceux qui nous concernent en l'espèce.
Privé dans l'affaire Edwards, Henrietta Muir v.
Attorney -General for Canada, les tribunaux doi-
vent donner à la constitution une interprétation
[TRADUCTION] ... large, libérale et de grande portée compte
tenu de l'ampleur des sujets dont elle prétend traiter en peu de
mots' 5 .
Cependant, lord Sankey a dit aussi:
[TRADUCTION] ... la question n'est pas ce que l'on peut
supposer que l'on avait en vue, mais ce que l'on a dit' 6 .
Je trouve que la mise en garde de lord Sankey
répond particulièrement bien aux arguments de
l'avocat de l'appelant'''.
Je rejetterais l'appel.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
15 [1930] A.C. 124 (P.C.), à la p. 137, motifs de lord Sankey.
' 6 Ibid.
" Lorsque je m'appuie sur le sens clair du libellé des Condi
tions de l'adhésion, je ne veux pas laisser entendre que je suis
d'accord avec les arguments de l'avocat de l'appellant relative-
ment aux règles d'interprétation, aux éléments de preuve
extrinsèques et aux antécédents historiques. En effet, les avo-
cats du CN et du procureur général ont opposé en réponse
d'impressionnants arguments, mais je n'ai pas jugé nécessaire
d'en traiter en détail en raison de la clarté du libellé des
Conditions de l'adhésion.
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