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T-1916-89
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (requé- rant)
c.
Lech Borowski (intimé)
RÉPERTORIE: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IM- MIGRATION) C. BOROWSKI (1" INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Van- couver, 5 et 13 octobre et 7 décembre 1989; Ottawa, 16 février 1990.
Immigration Statut de réfugié Constitutionnalité de l'art. 30(2) de la Loi sur l'immigration qui prévoit le paiement de services juridiques uniquement aux demandeurs à des «points d'entrée» Le tribunal a conclu qu'il y avait violation de l'art. 15 de la Charte et a nommé un avocat pour représen- ter l'intimé Le tribunal avait-il le pouvoir d'accorder cette réparation? Compétence du membre de la section du statut lorsqu'il s'agit de questions autres que celles touchant la recevabilité et l'existence d'un minimum de fondement.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive Enquête en matière d'immigration L'art. 30(2) de la Loi sur l'immigration (prévoyant le paiement de services juri- diques uniquement aux demandeurs à des «points d'entrée») constitue une limite raisonnable et justifiable au sens de l'art. premier de la Charte, compte tenu de l'objet de la Loi qui vise à éliminer l'immense arriéré des revendications du statut de réfugié.
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 18 visant à obtenir une ordonnance annulant la décision rendue par l'arbi- tre et le membre de la section du statut (le tribunal) au cours d'une enquête tenue en vertu du paragraphe 27(4) de la Loi sur l'immigration au sujet de la revendication du statut de réfugié de l'intimé au Canada. L'avocat a contesté la constitutionnalité du paragraphe 30(2) de la Loi en faisant valoir que celle-ci établissait une discrimination entre les demandeurs du statut au Canada et les demandeurs du statut à des ports d'entrée puisqu'elle ne prévoyait le paiement de services juridiques qu'à ces derniers. L'arbitre a conclu que le paragraphe 30(2) était discriminatoire et inopérant, et a nommé un avocat aux frais du ministre pour représenter l'intimé. Le membre de la section du statut a souscrit à cette décision.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Bien que, en raison de son obligation de respecter les disposi tions du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 portant que la loi suprême du Canada rend inopérantes les dispositions de toute loi qui lui sont incompatibles, le tribunal ait compétence pour déclarer qu'une mesure législative viole la Charte, il n'a pas compétence pour ordonner quelque répara- tion, celle-ci devant émaner d'un «tribunal compétent» confor- mément à l'article 24 de la Charte.
Même si la mesure législative attaquée viole l'article 15 de la Charte, elle constitue une limite raisonnable et justifiable au sens de l'article premier de la Charte, compte tenu de l'inten- tion du législateur d'accélérer le processus de reconnaissance du
statut de réfugié pour faire face à un immense arriéré des revendications du statut de réfugié et aux problèmes adminis- tratifs qui en découlent, tout spécialement en raison du grand nombre de demandeurs aux points d'entrée.
Quoique le pouvoir décisionnel du membre de la section du statut se limite aux questions de recevabilité et d'existence d'un minimum de fondement, le législateur a voulu que ce membre soit continuellement présent au cours de l'enquête. Toutefois, insister sur une séparation nette des fonctions aurait pour effet de contrecarrer le but de la nouvelle procédure qui exige une approche collégiale suivie entre les deux membres du tribunal. L'étendue de la participation du membre de la section du statut devrait dépendre de la nature de l'espèce et des diverses ques tions qui peuvent y être soulevées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen- dice III.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11. (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 1, 15, 24(1),(2).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 52(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 27(4) (mod. par L.R.C. (1985) (3 ° suppl.), chap. 30, art. 4), 30(2) (mod. idem (4° suppl.), chap. 28, art. 9), 43(3) (mod. idem (4° suppl.), chap. 28, art. 14), 45 (mod. idem), 46(1) (mod. idem).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 39.3 (mod. par DORS/89-38, art. 18).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Zwarich c. Canada (procureur général), [1987] 3 C.F. 253; (1987), 26 Admin. L.R. 295; 31 C.R.R. 244; 87 C.L.L.C. 14,053; 82 N.R. 341 (C.A.); Tétreault- Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'im- migration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th) 384; 33 Admin. L.R. 244; 23 C.C.E.L. 103; 88 C.L.L.C. 14,050; 88 N.R. 6 (C.A.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 C.L.L.C. 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; Cuddy Chicks Ltd. v. Ontario (Labour Relations Board) (1989), 70 O.R. (2d) 179; 35 O.A.C. 94 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370; (1980), 114 D.L.R. (3d) 393; [1980] 5 W.W.R. 385; 54 C.C.C. (2d) 129; 33 N.R. 1.
AVOCATS:
Paul F. Partridge pour le requérant. Darryl W. Larson pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Legal Services Society of British Columbia, Vancouver, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (le ministre) demande une ordon- nance fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] visant à annu- ler une décision rendue par un arbitre et un membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) au cours d'une enquête en matière d'immigration tenue en vertu du paragraphe 27(4) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, modifiée [par L.R.C. (1985) (3 e suppl.), chap. 30, art. 4].
L'enquête en matière d'immigration visait l'in- timé Lech Borowski, de nationalité polonaise, qui a déserté son navire à Vancouver, le 8 mars 1989, et
réclamé par la suite le statut de réfugié. L'enquête a commencé le 17 mai 1989 et, lorsqu'elle a repris le 13 juin 1989, un avocat de la Legal Services Society de Vancouver s'est présenté. Aux dires de ce dernier, il s'agissait de contester la constitution- nalité du paragraphe 30(2) de la Loi sur l'immi- gration [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 9]. Il s'agit de la disposition qui, sous réserve des règlements, prévoit que toute personne devant se présenter à une enquête peut obtenir gratuitement les services d'un avocat. Dans les faits, cette disposition ne s'applique qu'à ce que l'on appelle les cas de «points d'entrée»; aucune disposition parallèle n'existe pour ce que l'on pour- rait appeler les revendications de «l'intérieur».
Selon l'avocat, le fait que la disposition s'appli- que à l'égard d'un type de demandeur du statut et non d'un autre était discriminatoire et contrevenait au paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] qui garantit à chacun le droit à l'égalité devant la loi et le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Selon l'avocat, rien ne peut raisonnablement justi- fier qu'un demandeur «de l'intérieur» n'ait pas droit à des services juridiques gratuits lorsque par ailleurs un demandeur à un point d'entrée y a droit.
Subséquemment, l'avocat a présenté une plai- doirie complète devant le tribunal de deux mem- bres et, le 16 août 1989, l'arbitre a accueilli sa prétention dans des motifs mûrement réfléchis. Elle a conclu que la mesure législative attaquée était inopérante et que son application limitée aux cas de points d'entrée était discriminatoire; par- tant, en radiant certains mots restrictifs de la loi, elle pouvait, dans l'affaire dont elle était saisie, nommer un avocat aux frais du ministre pour représenter l'intimé.
Son collègue, le membre de la section du statut de réfugié, a souscrit à cette décision et a, à son tour, donné des motifs supplémentaires pour fonder sa décision dans le cadre de l'enquête.
LES POINTS EN LITIGE:
Ces deux décisions concourantes soulèvent trois questions principales et deux questions subsidiaires que je résumerai ainsi:
1. Le tribunal a-t-il compétence pour déclarer qu'un article de loi viole des dispositions de la Charte?
2. Le tribunal est-il fondé dans son interprétation de la mesure législative attaquée et dans sa décla- ration portant qu'elle viole l'article 15 de la Charte?
3. La mesure législative attaquée est-elle protégée d'une autre façon par la limite prévue à l'article premier de la Charte?
4. Subsidiairement, la réparation précise accordée à l'intimé par le tribunal relevait-elle de la compé- tence du tribunal?
5. Subsidiairement, quelles sont les limites, s'il en est, de la compétence du membre de la section du statut lorsqu'il s'agit de questions autres que celles touchant la recevabilité et l'existence d'un mini mum de fondement au cours d'une enquête en matière d'immigration?
Question 1: La compétence du tribunal à l'égard de questions visant la Charte
Je traiterai cette question très rapidement. Tout tribunal habilité à agir en vertu d'une loi a le devoir de faire respecter la loi. La jurisprudence, notamment les arrêts Zwarich c. Canada (procu- reur général), [1987] 3 C.F. 253 (C.A.); et Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 2 C.F. 245 (C.A.), reconnaît maintenant que même si le pouvoir de se prononcer sur la validité consti- tutionnelle de toute loi ou de tout règlement et d'accorder une réparation sous le régime de l'arti- cle 24 de la Charte appartient exclusivement aux cours supérieures, tout tribunal, dans l'application d'une loi qui se situe dans le cadre de sa compé- tence, a l'obligation de faire respecter les disposi tions du paragraphe 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] ] portant que la loi suprême du Canada rend inopérantes les dispositions de toute loi qui lui sont incompatibles.
On pourrait prétendre que la décision du tribu nal touchant le paragraphe 52(1) ne relevait pas de sa compétence et que partant, celui-ci statuait sur une question accessoire. En d'autres mots, la question de savoir si un demandeur de l'intérieur a le droit d'obtenir des services juridiques gratuits n'était pas du ressort du tribunal.
Par ailleurs, l'article 45 de la Loi [mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art. 14] habi- lite l'arbitre à nommer un avocat lorsqu'il s'agit d'affaires de points d'entrée. En de telles circons- tances, l'arbitre peut fort bien s'interroger sur la constitutionnalité de la mesure législative attaquée et, en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, conclure qu'elle est ino- pérante. C'est une toute autre question, cependant,
que de savoir quelle réparation le tribunal peut ordonner. On peut imaginer bon nombre de situa tions où, nonobstant le pouvoir ou le devoir du tribunal de faire appliquer la constitution du Canada, ou de déclarer qu'une disposition législa- tive est inopérante, celui-ci ne peut, en raison de la nature même de sa décision, ordonner quelque réparation. Selon mon interprétation de la juris prudence, il me semble que la réparation devrait émaner d'un «tribunal compétent» conformément à l'article 24 de la Charte.
Pour l'instant, je n'aborderai pas la question de la réparation, puisque j'y reviendrai plus loin.
Question 2: La mesure législative attaquée viole-t-elle l'article 15 de la Charte?
J'ai lu avec beaucoup d'attention les motifs bien structurés fondant la décision rendue par les deux membres du tribunal. Tous deux ont conclu que l'absence de toute disposition prévoyant le paie- ment des services juridiques au cours d'une enquête de l'intérieur était discriminatoire et vio- lait l'article 15 de la Charte. Je note toutefois, dans certains passages de la décision de l'arbitre, que le tribunal ne disposait d'aucun élément de preuve portant sur le but de cette différence. À la page 9 de sa décison (page 59 du dossier du requérant), l'arbitre déclare expressément ce qui suit:
[TRADUCTION] On ne nous a présenté aucun élément de preuve établissant comment le fait de fournir un avocat désigné étaye les fins visées par les modifications; par conséquent, j'estime que l'article premier ne peut racheter les dispositions discrimi- natoires de la loi.
Question 3: La mesure législative attaquée est- elle protégée d'une autre façonpar la limite prévue à l'article premier de la Charte?
Pour les motifs que je donnerai plus loin, il ne me semble pas nécessaire d'examiner en profon- deur les conclusions du tribunal portant que la mesure législative attaquée viole l'article 15. En supposant toutefois qu'il en soit ainsi et compte tenu des éléments de preuve qui m'ont été présen- tés au cours des trois journées d'audience, je devrai conclure que la mesure législative en cause est protégée par la clause limitative de l'article pre mier de la Charte.
Je préciserai d'abord que la Cour n'examine pas ici le principe du droit à l'avocat. Ce droit est maintenant reconnu comme sacré lorsqu'il s'agit d'enquêtes en matière d'immigration. Elle n'exa- mine pas non plus la question du droit à des services juridiques gratuits offerts à quiconque fait l'objet de quelque enquête en matière d'immigra- tion. Je suis saisi d'une question visant une disposi tion détaillée qui, sous réserve des règlements, prévoit qu'en certaines circonstances précises, l'ar- bitre est habilité à nommer un avocat pour repré- senter un demandeur, aux frais de l'État.
À quelle fin cette disposition a-t-elle été adop- tée? Quelle était l'intention du législateur? Pour- quoi ne s'applique-t-elle qu'aux demandeurs des points d'entrée? Quelle logique sous-tend cette disposition?
Pour obtenir réponse à ces questions, la Cour peut se référer au long affidavit de John Butt, assermenté le 26 septembre 1989, affidavit qui a été produit en preuve. Avec des tableaux statisti- ques à l'appui, cet affidavit nous révèle que le processus de reconnaissance du statut de réfugié au Canada s'est historiquement trouvé dans une impasse. Des milliers de demandeurs du statut de réfugié se sont présentés au Canada au cours des dernières années. Entre 1978 et 1988, le nombre d'enquêtes en matière d'immigration engagées chaque mois est passé de 706 2 146. À l'origine, seulement 12 % des enquêtes devaient être ajour- nées en raison des réclamations, du statut de réfu- gié dans l'ancien système; à la fin de 1988, ce pourcentage avait grimpé à 89 %. Le retard accu- mulé dans les affaires de reconnaissance du statut de réfugié au cours de ces dix ans est passé de 854 à plus de 50 000. Si la poussée de revendications devait se poursuivre, on pourrait s'attendre, en extrapolant les données statistiques disponibles, que le traitement de ces revendications donne lieu à des retards pouvant aller jusqu'à trois ans pour les demandeurs de 1984-1985 et jusqu'à quatorze ans pour ceux de 1987-1988.
Le problème a pris une telle ampleur qu'en 1986, on a adopté des règlements spéciaux pour apporter une solution rapide aux renvendications du statut de réfugié déjà en cours. Les demandeurs du statut ne devaient plus être jugés selon le mérite de leur statut de réfugié, mais plutôt selon leur capacité réelle ou potentielle de s'établir au
Canada. Des milliers de personnes ont été accep- tées pour ces motifs, les retards mis à traiter leur demande ayant permis à bon nombre d'entre elles de s'intégrer dans la collectivité et de devenir indépendantes.
Aucun système ne peut toutefois se permettre de résoudre ainsi des problèmes administratifs de façon permanente. Il aurait été absurde de mainte- nir un expédient favorisant des milliers de deman- deurs lorsque d'autres demandeurs doivent souvent attendre des mois et des années avant d'obtenir leur visa permanent. Le Canada donnait à certains observateurs l'impression de devenir le souffre- douleur international de milliers de personnes qui, désirant échapper aux contraintes économiques de leurs pays d'origine, se rendaient compte qu'il suffisait d'un billet d'avion ou de bateau à destina tion du Canada pour y obtenir effectivement une résidence permanente.
J'admets également d'office le fait que les politi- ques du Canada en matière d'immigration en général et de revendication du statut de réfugié en particulier sont parmi les plus judicieuses au monde. Elles laissent très peu de place au pouvoir discrétionnaire de l'administration comme c'est le cas dans bon nombre de pays qui souscrivent pour- tant à la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. On a institué un processus systématique d'enquêtes, comportant le droit aux services d'un avocat. On a établi un processus de réexamen en créant la section d'appel de l'immi- gration, et les demandeurs qui n'obtiennent pas gain de cause peuvent encore se prévaloir de procé- dures de révision ou d'appel. Selon moi, toute cette philosophie était fondée sur les valeurs humanitai- res fondamentales et sur la nécessité de s'assurer que les processus à tous les niveaux respectent les principes fondamentaux de l'équité, de la justice naturelle et de la rectitude administrative.
En ce qui a trait à la protection accordée à tous les arrivants au Canada, l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, a établi au-delà de toute discussion sociale ou théorique le principe selon lequel toute personne présente physiquement au Canada a droit à toute la gamme des droits et des libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
Si la politique du législateur et la doctrine de nos tribunaux avaient été d'étendre de cette façon les droits et les libertés de la Charte canadienne, les revendications du statut de réfugié auraient, par leur nombre, menacé de créer le genre d'im- passe administrative que je viens de décrire.
Le législateur était invité à trouver une solution législative et réglementaire à cette situation. Le législateur craignait que l'intention claire qu'il avait exprimée dans la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] ne soit devenue submergée ou freinée par les problèmes adminis- tratifs qui venaient de surgir. Les solutions dont il disposait à cet égard étaient très limitées. Il lui fallait trouver une formule pour accélérer le règle- ment des revendications du statut de réfugié tout en préservant les droits, libertés et privilèges des demandeurs, reconnus par la jurisprudence et qui, bien sûr, comprenaient le droit à l'assistance d'un avocat et à une audition complète. Tout échec de cette tentative risquait de miner, suivant une tan- gente toujours croissante, le fonctionnement adé- quat des programmes de l'immigration et du statut de réfugié et de faire tomber en discrédit l'ensem- ble des politiques du législateur.
Je n'ai pas à m'étendre davantage sur les diver- ses mesures que, dans sa sagesse, le législateur a décidé d'adopter. Qu'il me suffise de mentionner les éléments de preuve qui ont été présentés devant moi portant que le droit intégré à l'assistance d'un avocat entraînait non seulement des délais inutiles, mais également des délais artificiels retardant le règlement rapide des affaires. De plus, une analyse de la situation globale montrait au législateur que, de par leur nombre, les délais avaient une inci dence beaucoup plus grande sur les demandeurs des points d'entrée que sur les demandeurs de l'intérieur.
Le législateur a adopté une solution pragmati- que. Aux yeux de certains puristes, cette solution peut sembler ne pas atteindre l'idéal ou, comme en l'espèce, créer une apparence de discrimination ou d'inégalité. Le législateur a décidé que parmi les nombreuses modifications systématiques apportées au processus, il y avait lieu de permettre à la discrétion de l'arbitre et selon les conditions pres- crites, aux demandeurs des points d'entrée dési- reux de retenir les services d'un avocat mais dont
celui de leur choix n'était pas disponible dans un délai raisonnable, d'être représentés par un autre avocat, aux frais du ministre.
Le législateur a adopté cette formule dans l'in- tention et le but avoués d'accélérer le règlement des revendications du statut de refugié tout en respectant les droits civils des demandeurs. Le législateur était d'avis que cette formule, même si elle ajoutait à ses engagements financiers, ne por- terait pas préjudice aux autres demandeurs assu- jettis à la procédure applicable à l'intérieur.
Cette formule appartient-elle à la catégorie pro- tégée par l'article premier de la Charte? En suppo- sant, comme je l'ai déjà fait, qu'il y a discrimina tion apparente au sens de l'article 15, je conclurais qu'elle est, dans toutes les circonstances que j'ai décrites, une limite raisonnable aux droits et liber- tés garantis par la Charte dont la justification peut se démontrer.
Il ne fait aucun doute que l'élément d'intérêt national doit être préservé dans la loi adoptée par le législateur. Celui-ci a conclu que le droit du demandeur d'être représenté par un avocat, qui devait toujours être respecté, entraînait néanmoins des délais excessifs et déraisonnables dans le pro- cessus de détermination du statut de réfugié. Même en considérant avec indulgence la charge de travail que les avocats de l'immigration semblaient supporter, la preuve était là. La mesure législative adoptée était donc fondée sur les prémisses suivantes:
(1) En prenant comme base l'année 1987-1988; 89 % des enquêtes en matière d'immigration en 1987-1988 portaient sur des revendications du statut de refugié.
(2) La plupart des revendications du statut de réfugié sont des revendications présentées aux points d'entrée.
(3) Si la loi était destinée à accélérer le proces- sus d'enquête tout en respectant le droit plus fondamental d'être représenté par un avocat, il fallait affronter directement la question des délais liés à la disponibilité des avocats pour la convocation d'audiences, et adopter une formule pratique.
Le principe sous-jacent de la formule est très circonscrit. Il n'existe aucune disposition générale qui accorde le paiement des services d'un avocat
aux demandeurs des points d'entrée. Ce n'est que lorsque le demandeur n'a pas renoncé à son droit d'être représenté par un avocat, qu'il a retenu les services d'un avocat, et que devant la charge trop lourde de travail de ce dernier de l'avis de l'arbitre, cela entraînerait un délai trop long pour fixer la date d'une audience, et à ce moment seulement, que la loi prévoit l'application d'un système de services juridiques aux frais de l'État.
Il ne m'appartient pas de décider si, parmi toutes les procédures adoptées dans la nouvelle loi pour mettre fin au chaos et apporter de l'ordre, ou pour ramener une certaine mesure de contrôle de l'État sur les défauts manifestes du processus de reconnaissance du statut de réfugié, la mesure législative attaquée était la seule solution qui se présentait au législateur. La possibilité de com- prendre après coup sera toujours l'une des caracté- ristiques d'une société libre et démocratique. Tou- tefois, le pouvoir général du législateur de légiférer pour le bien commun et d'adopter une mesure pondérée ou autre pour résoudre des problèmes critiques et rétablir la crédibilité de la loi com- mande selon moi le respect.
L'avocat de l'intimé a produit en réplique devant la Cour les éléments de preuve figurant dans l'affi- davit de Philip Rankin, avocat bien connu à Van- couver, qui pratique en droit de l'immigration depuis 1979. L'essentiel de la déclaration de M. Rankin consiste à mettre en doute la prétention selon laquelle la disponibilité des avocats aux enquêtes était la vraie cause des délais et de l'accu- mulation des retards. Il est toutefois apparu claire- ment au cours du contre-interrogatoire de M. Rankin, que celui-ci ne pouvait que témoigner à l'égard de sa propre perception des divers problè- mes d'immigration et répéter diverses opinions exprimées par d'autres. Il me faut dire, à sa décharge, qu'il ne disposait pas de la masse de renseignements et d'analyses statistiques de la Couronne.
Je dois toutefois conclure que la déposition de M. Rankin ne suffit pas à réfuter les arguments de la Couronne ni à en miner les fondements.
Je mentionnerais également un autre élément de l'affaire qui a été débattu de façon très compétente par les avocats et qui pose la question de savoir si l'on peut dire qu'un demandeur à un point d'entrée
est dans la même position qu'un demandeur de l'intérieur. Manifestement, un débat sur cette question soulève encore une fois la question de savoir si la mesure législative attaquée est discri- minatoire au sens de l'article 15 de la Charte, question que j'ai déjà rejetée pour les fins de l'espèce. Il me faut toutefois exprimer ma pensée sur ce sujet puisqu'il porte sur l'élément «justifica- tion qui puisse se démontrer» figurant à l'article premier de la Charte, de même que sur le principe de proportionnalité reconnu par les tribunaux.
Il est vrai que les demandeurs de l'intérieur et les demandeurs aux points d'entrée semblent être dans la même situation. Ils sont tous les deux assujettis à la même loi et à des processus identi- ques. Dans la plupart des cas toutefois, le deman- deur de l'intérieur réside au Canada depuis quel- que temps et il s'est familiarisé avec les institutions sociales, économiques et politiques du pays. On peut par conséquent s'attendre à ce que, au moment son enquête a lieu, il connaisse déjà les exigences de la loi de même que la disponibilité de services juridiques financés par l'État.
Il en est tout autrement du demandeur à un point d'entrée. On peut présumer que ce deman- deur, qui habituellement connaît mal les langues du pays, et dont la peur de l'autorité publique peut être fermement fondée sur l'expérience qu'il a eue dans son pays d'origine, nécessite un degré supé- rieur de protection ou d'assistance. En ce sens, il est dans une situation plus périlleuse que celle du demandeur de l'intérieur. De ce fait, on pourrait dire qu'il a un plus grand besoin d'aide juridique. Si, d'autre part, la non-disponibilité de l'avocat de son choix de même que les ajournements qui en résultent avant la tenue d'une enquête sont de nature à faire échouer le but visé par le législateur et à perpétuer l'encombrement administratif que la loi vise à surmonter, quelles étaient alors les options du législateur? En d'autres termes, la for- mule incorporée dans la loi est-elle susceptible de bénéficier de la protection accordée par l'article premier de la Charte?
Dans l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, la Cour suprême du Canada a établi un critère à employer, dans les affaires d'égalité en vertu de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III], pour établir une différence entre les distinctions législatives justi-
fiées et non justifiées à l'intérieur de la notion d'égalité devant la loi, en l'absence de toute excep tion comme celle qui est maintenant prévue à l'article premier de la Charte. La Cour a déclaré que le critère consiste à déterminer s'il s'agit d'une dérogation ayant pour, fin la recherche d'un objec- tif social souhaitable ou nécessaire.
Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, le juge McIntyre décrit, à la page 184, les étapes qu'il est nécessai- res de suivre chaque fois que l'article premier est invoqué comme moyen Ide défense. Il faut premiè- rement, selon lui, évaluer l'importance de l'objectif qui sous-tend la mesure législative attaquée, sans traiter les éléments des considérations «urgentes et réelles» comme des caractéristiques nécessaires. Vient ensuite, selon le juge McIntyre, l'application d'un critère de proportionnalité en vertu duquel le tribunal doit tenter de soupeser un certain, nombre de facteurs. Selon lui, le tribunal doit examiner la nature du droit, l'étendue de sa violation et jusqu'à quel point la restriction permet d'atteindre l'objec- tif souhaitable contenu dans la mesure législative. Le juge McIntyre conclut ainsi, à la page 185:
Il n'existe pas de critère unique en vertu de l'article premier; au contraire, la Cour doit soupeser avec soin un bon nombre de facteurs pour décider s'il s'agit d'une violation raisonnable dont la justification puisse être démontrée.
En l'espèce, j'ai déjà décrit les exigences et les limites imposées au processus de reconnaissance du statut de réfugié au Canada en raison du respect, par le législateur et par les tribunaux, des droits individuels, des droits au contrôle judiciaire, de l'équité et de la rectitude administratives et, il va sans dire, du droit inhérent à tout le processus, soit le' droit du demandeur de se faire représenter par un avocat. Le législateur a conclu que l'une des raisons du mauvais fonctionnement du système provenait des délais causés par la non-disponibilité des avocats. Il a également conclu que ces délais avaient une plus grande incidence sur les revendi- cations aux points d'entrée du simple fait qu'il y avait beaucoup plus de revendications qui y étaient traitées. Le législateur pouvait-il abolir le droit à l'assistance d'un avocat pour éliminer les délais? Pouvait-il payer les services de l'avocat choisi par le demandeur, que l'avocat soit disponible ou non? Le législateur pouvait-il imposer . unilatéralement au demandeur les services d'un avocat engagé par la Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada ou choisi à partir d'une liste d'avocats rétribués par l'État?
Je suis certain que le, législateur a étudié bon nombre de ces options. À mon avis il avait le droit d'en choisir une. Voici ce qu'a déclaré le juge La Forest dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, la page 795:
Donc, en cherchant à atteindre un objectif dont il est démon- tré qu'il est justifié dans le cadre d'une société libre et démocra- tique, le législateur doit disposer d'une marge de manoeuvre raisonnable pour répondre à ces pressions opposées.
À mon avis, la disposition prévoyant le paiement des services d'avocats par le ministre dans les circonstances prévues par règlement ne représente qu'un avantage minimal pour les demandeurs aux points d'entrée. Il s'agit en quelque sorte d'un échange pragmatique en contrepartie de l'imposi- tion, dans les circonstances prévues par règlement, d'un avocat qu'ils n'ont pas choisi. Selon moi, si l'avantage accordé aux demandeurs aux points d'entrée est minimal, l'inégalité dans le traitement accordé aux demandeurs de l'intérieur peut égale- ment être perçue comme minimale, équation qui, même si elle n'est pas directement étudiée dans l'affaire Andrews (précitée), me semble toutefois faire partie intégrante de l'obligation de «soupeser avec soin un bon nombre de facteurs» que suggère le juge McIntyre.
J'ai également résumé l'ampleur du problème administratif auquel doit faire face le législateur devant l'arriéré sans cesse grandissant des revendi- cations du statut de réfugié. Il semble évident à tout observateur raisonnable que la crédibilité des politiques et des règles du Canada en matière d'immigration était sérieusement attaquée et qu'il fallait envisager non pas une, mais plusieurs solu tions. La Cour ne connaît naturellement pas les divers choix qui se présentaient au législateur parmi la vaste gamme des dispositions de la Loi sur l'immigration et de ses règlements d'applica- tion [Règlement sur l'immigration de 1978 DORS/78-172]. On pourrait prétendre que le législateur aurait pu trouver une autre solution que celle de payer les services d'avocats fournis à des demandeurs de points d'entrée, mais cela ne serait que spéculation et conjecture. Il appartenait au législateur, dans sa recherche de moyens pour accélérer le processus de reconnaissance du statut de réfugié tout en respectant les droits de toutes les
personnes en cause, de décider quelle formule serait la plus appropriée à cette fin.
Je devrai donc conclure, tout en supposant pour les fins de l'espèce que la mesure législative atta- quée viole l'article 15 de la Charte, qu'elle est toutefois justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.
Question 4: La réparation précise accordée à l'intimé par le tribunal relevait-elle de la compé- tence du tribunal?
Compte tenu de mes conclusions sur les deux questions antérieures, je ne m'arrêterai pas longue- ment sur la portée de toute réparation que le paragraphe 52(1) peut habiliter un tribunal admi- nistratif à établir. Je me contenterai d'observer que le paragraphe 52(1) déclare uniquement que la constitution rend inopérante toute disposition incompatible de toute autre règle de droit. Voilà tout ce que dit cet article, rien de plus. Il n'établit pas de réparation. Un tribunal peut être habilité à ne pas reconnaître la disposition incompatible, mais, selon mon interprétation de la doctrine actuelle, il ne peut accorder une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte. Ce rôle n'appartient qu'à un tribunal compétent. Il peut y avoir, dans certaines circonstances, une forme de réparation qui n'est pas en fait la sorte de répara- tion prévue au paragraphe 24(2) mais qui, compte tenu de la nature de la mesure législative attaquée de même que des pouvoirs et attributs conférés au tribunal par la loi, permet de donner un redresse- ment immédiat.
À mon avis, ces circonstances n'existent pas en l'espèce. Si le tribunal cherchait à accorder une réparation fondée sur l'article 24, il n'en avait pas le pouvoir. L'inhabilité du tribunal à établir une réparation est d'autant plus évidente que la répara- tion tient en l'espèce de la nature d'une modifica tion législative. Ce rôle n'appartient qu'au législateur.
Question 5: Quelles sont les limites, s'il en est, de la compétence du membre de la section du statut lorsqu'il s'agit de questions autres que celles touchant la recevabilité et l'existence d'un mini mum de fondement au cours d'une - enquête en matière d'immigration?
On a présenté deux arguments opposés sur cette question. L'un porte que le membre de la section du statut n'a qu'une compétence très limitée dans l'enquête. Le membre de la section du statut ne serait appelé à se joindre au tribunal de deux personnes que lorsqu'une revendication du statut de réfugié à été présentée. Toute autre enquête en matière d'immigration relèverait de la compétence exclusive de l'arbitre seul. On suggère également que l'arbitre, en vertu du paragraphe 46(1) de la Loi, [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 14] préside l'enquête et détient le pouvoir final de décision dans tous les domaines de l'enquête, à l'exception des questions de recevabilité et d'exis- tence d'un minimum de fondement. En dehors de ces domaines d'enquête, le membre de la section du statut n'a aucun pouvoir.
D'autre part, on suggère qu'en vertu d'une inter- prétation adéquate de la loi, le membre : de la section du statut est habilité à participer à toutes les étapes de l'enquête. Le paragraphe 43(3). de la Loi [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 14] prévoit expressément qu'en cas de revendi- cation du statut de réfugié et d'absence du membre de la section du statut, l'enquête est ajournée et qu'elle «ne peut se poursuivre -qu'en présence et de l'arbitre et d'un membre de la section du statut». (C'est moi qui souligne).,. C'est une indication de l'intention du législateur, en créant un tribunal de deux personnes, de les faire participer toutes deux à l'enquête. Autrement, il serait dérisoire pour le législateur de prévoir untel mécanisme uniquement pour que le membre de la section du statut demeure en attente sauf à l'égard des questions de recevabilité et d'existence d'un minimum de fondement.
L'argument fait de plus valoir que la présence et la participation des deux membres du tribunal, à toute étape de l'enquête, permet d'apprécier les éléments suivis mais changeants de la crédibilité des dépositions du demandeur du statut de réfugié, facteur qui peut souvent être confirmé ou infirmé par des éléments de preuve apportés au cours de
toute l'enquête. -
Je concède qu'il est difficile de déterminer exac- tement le rôle du membre de la section du statut. Eu égard aux dispositions de la loi et à l'objet visé par le législateur, on peut présenter des arguments valables d'un côté comme de l'autre. J'admets
également que la loi limite le rôle du membre de la section du statut dans les processus de reconnais sance du statut de réfugié, ce qui porterait à conclure que, exception faite de la question de la revendication du statut de réfugié, le membre est effectivement privé de toute compétence ou auto- rité et que le reste de l'enquête relève exclusive- ment de la compétence de l'arbitre.
Tout compte fait cependant, je dois conclure que la présence et la participation continues de ce membre au cours de l'enquête s'imposent. Ma conclusion est essentiellement fondée sur la dis tinction qu'il est possible d'établir entre le pouvoir ou l'autorité d'entendre, d'une part, et le pouvoir et l'autorité d'entendre et de décider, d'autre part. Cette distinction s'impose forcément en raison des problèmes inhérents à tout tribunal de deux per- sonnes qui doit rendre des décisions. Il est certain que le législateur, qui cherchait à établir une pro- cédure expéditive pour traiter les revendications du statut de réfugié, n'avait pas l'intention d'instituer des mécanismes qui donneraient lieu à des impas ses. Selon mon interprétation des dispositions de la loi pertinente, le législateur cherchait une formule pratique pour régler toute impasse que le système pouvait engendrer. Il a par conséquent prévu que, au cours d'une enquête devant un tribunal com- posé de deux personnes:
1. L'arbitre préside l'enquête.
2. L'arbitre tranche les questions d'immigration en général de même que celles qui ont trait au processus d'expulsion et d'interdiction de séjour.
3. L'arbitre et le membre de la section du statut ont une voix égale sur la question de la recevabi- lité et de l'existence . d'un minimum de fondement.
4. Afin d'assurer un traitement équitable à l'égard de ce qui est effectivement une question limite pour les demandeurs du statut de réfugié, un vote affirmatif penche en faveur du deman- deur du satut de réfugié.
Je note en ce moment comme il est stérile, lorsqu'on traite de cette sorte de tribunal, d'établir une série de règles de droit abstraites pour prévoir et régir une fois pour toutes la multitude de procé- dures et d'étapes qui se déroulent au cours de telles enquêtes. Des questions et des réponses peuvent y être jugées inadmissibles, la pertinence de certai- nes observations remise en cause, des objections
peuvent être soulevées, accueillies ou accueillies avec réserve. Les droits de la personne, la sécurité humaine et le respect du public à l'égard des engagements internationaux sont tous des valeurs librement et généreusement reconnues qui sous- tendent les dispositions de la loi. Par ailleurs, il ne faut pas ignorer la nature essentiellement indivi- duelle des revendications du statut du réfugié. Le tribunal constitue l'endroit ces revendications doivent être réglées. Certains demandeurs, comme l'a souligné l'arbitre, ont véritablement besoin de protection; d'autres semblent présenter des reven- dications non fondées. Dans certains cas, il est relativement facile de trancher. Dans d'autres, il s'agit de situations limites il est difficile de conclure dans un sens ou dans l'autre.
Dans ce contexte, le législateur aurait-il eu l'in- tention de créer des lits de Procruste de dimensions limitées, d'établir des catégories fermes et exclusi ves et d'annuler complètement la dynamique natu- relle qui régit habituellement une enquête? Le législateur voulait-il qu'une telle enquête soit menée selon un scénario dont le texte préciserait les paroles attribuées à chaque acteur?
À mon avis, poser la question, c'est y répondre. L'encadrement . des diverses questions avant l'en- quête relave de la procédure seulement. L'ensem- ble des éléments de preuve s'élabore toutefois au cours de l'enquête, l'arbitre et le membre de la section du statut sont tous deux présents et à laquelle, par nécessité, tous deux participent. À l'égard de certaines questions naturellement, le rôle ou l'intervention de l'arbitre peut être prépon- dérant, et sa décision seule peut prévaloir. Toute- fois, même au cours de l'audience ou de l'examen des éléments de preuve sur ces questions, les deux membres doivent étudier la question de l'existence d'un minimum de fondement. Ils doivent évaluer le comportement du demandeur, la forme comme la substance de sa requête, sa façon directe ou éva- sive de répondre, tous des éléments qui influencent de façon tant subjective qu'objective la décision ou le jugement final que chacun devra rendre.
Pourrait-on prétendre qu'une conclusion sur l'existence d'un minimum de fondement devrait se limiter à cette partie de la preuve au cours de l'enquête qui porte exclusivement sur le statut de réfugié? L'arbitre qui doit lui-même tirer une con clusion sur l'existence d'un minimum de fonde-
ment n'aurait-il pas une longueur d'avance sur son collègue? Se pourrait-il que le membre de la sec tion du statut n'ait pas le droit d'examiner une question de fait particulièrement importante pour lui? Faire bifurquer ainsi le rôle du membre de la section du statut aurait pour effet de contrecarrer le but de la nouvelle procédure.
Si le rôle effectif de prise de décision de ce membre est plus limité, il me semble néanmoins qu'au cours de l'enquête, l'arbitre a besoin de toute l'aide qu'on peut lui apporter. La procédure vise manifestement à accélérer le processus de recon naissance du statut de réfugié au premier niveau; à moins que l'arbitre ne soit doué d'un degré peu commode de connaissance et de sagesse divines, ou que son collègue n'en soit complètement privé, j'estime qu'une approche collégiale suivie et faite d'apports mutuels permettrait, dans des circons- tances normales, d'atteindre l'objectif visé par le législateur.
En sa qualité de président, l'arbitre n'éprouve pas de problème à décider si, à une étape quelcon- que de la procédure il est seul compétent pour rendre une décision, la participation de son collè- gue devrait être limitée ou restreinte. Il est bien connu que la justesse ou la pertinence d'une inter vention est une notion relative et que ce qui est une recherche de la vérité pour l'un peut être une perte de temps pour l'autre. De telles expériences ou limites ne devraient toutefois pas miner le rôle que chaque membre du tribunal est appelé à jouer. Et s'il arrivait qu'un conflit de personnalités insoluble surgisse entre eux, rien ne les forcerait à continuer à faire équipe.
Je déduis également de la décision du législateur d'habiliter l'arbitre à présider l'enquête que celui-ci a le pouvoir de décider de toutes les ques tions de procédure. Il serait en effet ennuyeux qu'une enquête s'arrête à une étape quelconque parce que des décisions opposées ont été rendues.
Je respecte beaucoup la tendance de l'avocat à établir une séparation claire des fonctions. Elle flatte l'esprit d'ordre et de logique de tout juriste
qui, par sa formation professionnelle, est porté à définir les positions en noir et blanc et à éliminer les zones grises. Il faut toutefois prendre garde de ne pas étendre cette discipline trop loin. Elle par- donne trop les abstractions et impose une procé- dure mécaniste et restrictive susceptible de créer encore plus d'occasions d'erreurs de compétence, donnant ainsi lieu à de nouvelles occasions de contrôle judiciaire. Un tel résultat irait certaine- ment à l'encontre du but visé par la loi.
Essentiellement, je ne vois aucune raison pour empêcher un membre de la section du statut de participer à l'une ou l'autre des diverses étapes de l'enquête. L'étendue de cette participation dépend de la nature de l'espèce et des diverses questions qui peuvent y être soulevées. Le membre de la section du statut n'aurait pas, en vertu de l'autorité exclusive conférée à l'arbitre, la compétence de présenter des décisions concourantes ou dissidentes sur des questions autres que celles de la recevabi- lité et de l'existence d'un minimum de fondement. À mon avis, un sens de la convenance devrait toujours régir la conduite du membre de la section du statut chaque fois qu'il n'est pas personnelle- ment d'accord avec la décision de l'arbitre.
Il se peut que le fait de conclure que le membre de la section du statut a la compétence pour participer mais non pour décider, exception faite des questions de recevabilité et d'existence d'un minimum de fondement, soulève certaines interro gations dans les milieux professionnels. Certains pourraient prétendre que les deux notions sont complémentaires et qu'il y a risque de contradic tion dans les termes si nous les employons autre- ment. J'estime toutefois que le législateur a adopté une attitude sui generis pour résoudre ce qui était devenu un problème critique. La méthode habile ou ingénieuse employée peut passer ou échouer l'examen de l'expérience. Entre temps, j'estime toutefois qu'il y a lieu d'adopter un point de vue éclectique plutôt que doctrinal à l'égard de la formule retenue par le législateur.
CONCLUSIONS
Je résumerai ainsi les conclusions auxquelles je suis arrivé à l'égard des points en litige dont on a saisi la Cour.
1. Je conclus que le tribunal d'enquête de l'immi- gration en cause a la compétence nécessaire pour appliquer le paragraphe 52(1) de la Loi constitu- tionnelle de 1982 afin d'établir la constitutionna- lité de toute loi qu'il est habilité à appliquer et dont il est saisi. La décision qu'il rend à cet égard ne tient pas de la nature d'un jugement déclara- toire et, partant, peut être révisée par la Cour. À cet égard, je souscris à la décision majoritaire de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Cuddy Chicks Ltd. v. Ontario (Labour Relations Board) (1989), 70 O.R. (2d) 179 (C.A.), qui concorde avec l'arrêt Tétreault-Gadoury, précité, rendu par la Cour d'appel fédérale.
2. Toutefois, le paragraphe 52(1) de la Loi consti- tutionnelle de 1982 prévoit uniquement que la constitution rend inopérante les dispositions incompatibles, le cas échéant, de toute autre règle de droit. Le tribunal a alors uniquement le pouvoir de ne pas tenir compte de la disposition «incompa- tible», et il ne peut établir une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Ce rôle n'ap- partient qu'aux tribunaux compétents.
3. Le tribunal est d'autant plus inhabile à établir une telle réparation que celle-ci tient de la nature d'une modification législative, rôle qui n'appartient qu'au législateur.
4. Même en supposant que, eu égard aux faits dont il était saisi, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en concluant qu'une partie du libellé employé au paragraphe 39.3 du Règlement [mod. par DORS/89-38, art. 18] constituait une violation de l'article 15 de la Charte, je conclus que la disposition est justifiée autrement en vertu de l'article premier de la Charte.
5. Je conclus finalement que le membre de la section du statut, que la loi oblige à être présent au cours de l'enquête, est également habilité à y participer, sans toutefois avoir compétence pour trancher des questions autres que celles de la recevabilité et de l'existence d'un minimum de fondement. L'étendue de la participation de ce membre dépend de la dynamique propre à chaque espèce.
J'invite les parties à me soumettre pour appro bation un projet d'ordonnance comprenant les décisions susmentionnées que j'examinerai et que je signerai.
Il n'y aura aucune adjudication des dépens.
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