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T-2056-87
Ronald W. Swan et l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastro- nautique (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le minis- tre des Transports et le procureur général du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: SWAN c. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Reed—Ottawa, 27 novembre 1989 et 9 février 1990.
Droit aérien Validité du programme de vérification de sécurité mis à exécution par le SCRS à l'égard des employés autres que des fonctionnaires, travaillant dans des zones régle- mentées d'aéroports canadiens ' Programme établi par le ministre des Transports conformément aux art. 4(2) et 4(3) du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes, pris en application de l'art. 3.7(2)c) de la Loi sur l'aéronautique Les art. 4(2) et 4(3) sont invalides car ils constituent une sous-délégation illégale de pouvoir L'art. 3.7(2)c) n'habilite pas le gouverneur en conseil à sous-déléguer le pouvoir de prendre des mesures de sûreté Le programme de vérifica- tion de sécurité est donc ultra vires L'art. 3.7(4) de la Loi sur l'aéronautique ne confère pas au ministre le pouvoir de prendre, par des directives, des mesures de sûreté.
Renseignement de sécurité Programme de vérification de sécurité mis à exécution par le SCRS, à la demande du ministère des Transports, à l'égard des employés autres que des fonctionnaires, travaillant dans des zones réglementées d'aéroports canadiens Pouvoir du SCRS de conduire l'en- quête, conformément à l'art. 13(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité Ce pouvoir vise aussi les personnes qui ne sont pas des employés ni des candidats à un poste de l'Administration ou des personnes qui ont passé ou qui souhaitent conclure un marché avec le gouvernement Le programme est invalide car il a été établi en vertu d'une sous-délégation illégale de pouvoir.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Programme de vérification de sécurité mis à exécu- tion par le SCRS à l'égard des employés autres que des fonctionnaires, travaillant dans des zones réglementées d'aéro- ports canadiens Le programme transgresse-t-il la Charte?
L'intérêt des employés, soit leur «droit de travailler», ne peut pas être assimilé au «droit à la vie, à la liberté et à la sécurité» La sécurité de la personne n'inclut pas le droit d'être soustrait aux enquêtes.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions et saisies Programme de vérification de sécurité mis à exécution par le SCRS à l'égard des employés autres que des fonctionnaires, travaillant dans des zones réglementées d'aéroports canadiens
Les enquêtes ne sont pas des fouilles, des perquisitions et des saisies La prise d'empreintes digitales ne constitue pas une fouille et une saisie abusives Elle est en outre visée par l'exemption prévue à l'art. premier de la Charte.
Le syndicat représentant quelque quinze mille employés des lignes aériennes et des entreprises de services a contesté la validité du programme de vérification de sécurité mis à exécu- tion par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) à la demande du ministère des Transport, à l'égard des employés autres que des fonctionnaires, travaillant dans des zones réglementées de certains aéroports canadiens. Le pro gramme a été établi par le ministre des Transports en vertu du pouvoir que sont censés lui conférer les paragraphes 4(2) et 4(3) du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes. Pour obtenir une autorisation de sécurité, les employés de l'État et du secteur privé sont tenus de fournir des renseignements personnels, des empreintes digitales et une formule de consente- ment à une évaluation de sûreté. L'enquête de sécurité com- prend trois vérifications: celle du casier judiciaire, celle de la solvabilité et celle faite par le SCRS dans ses propres dossiers. Elles peuvent donner lieu à une enquête sur place qui nécessi- tera des entrevues avec les employeurs, les collègues, les amis, les parents et les voisins.
L'action a soulevé cinq questions: (1) Le SCRS est-il habilité à faire ces enquêtes? (2) Le programme est-il ultra vires, c'est-à-dire a-t-il été établi en vertu de dispositions réglementai- res qui constituent une sous-délégation illégale de pouvoir? (3) Le programme est-il ultra vires, c'est-à-dire va-t-il au-delà de l'autorité que confère au ministre la Loi sur l'aéronautique? (4) Le programme transgresse-t-il la Charte? (5) S'il n'excède pas le pouvoir du ministre, le programme est-il nul en raison de son caractère incertain et discriminatoire?
Jugement: la réparation sollicitée par les demandeurs devrait être accordée.
(1) Le pouvoir du SCRS de mener l'enquête
Le paragraphe 13(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui dit que le Service peut fournir des évaluations de sécurité aux ministères, est clair et sans équivoque. Il confère au SCRS le pouvoir de conduire les enquêtes et de fournir les évaluations demandées par un minis- tère du gouvernement du Canada si les habilitations de sécurité sont demandées de bonne foi par le ministère et sont accompa- gnées de l'autorisation voulue. On ne doit pas donner au paragraphe 13(1) une interprétation restrictive: le pouvoir qu'il accorde au SCRS vise aussi les personnes qui ne sont pas des employés ni des candidats à un poste de l'Administration ou des personnes qui ont passé ou qui souhaitent conclure un marché avec le gouvernement.
(2) Le Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodro- mes—Sous-délégation illégale de pouvoir
Aux termes de l'alinéa 3.7(2)c) de la Loi sur l'aéronautique, le gouverneur en conseil peut, par règlement, «imposer aux exploitants d'aérodromes [...] de mettre en oeuvre -[. -..] les mesures de sûreté que peuvent prescrire les règlements ou que le ministre peut approuver à ces fins conformément aux règle- ments». Le paragraphe 4(2) du Règlement dispose que «le ministre peut [...] approuver les mesures de sûreté» à l'égard d'un certain nombre de questions, notamment l'établissement de zones réglementées. Le paragraphe 4(3) accorde au ministre le pouvoir d'«approuver toute autre mesure de sûreté qu'il juge nécessaire».
Les paragraphes 4(2) et (3) constituent une sous-délégation illégale de pouvoir. L'alinéa 3.7(2)c) de la Loi n'habilite pas le
gouverneur en conseil à sous-déléguer au ministre le pouvoir de prendre des mesures de sûreté. L'expression «conformément aux règlements» employée à l'alinéa 3.7(2)c) renvoit au pouvoir du ministre d'approuver des mesures de sûreté pour l'applica- tion de cet alinéa seulement, en conformité avec les dispositions réglementaires énoncées par le gouverneur en conseil. Il faut interpréter les mots «à ces fins» comme une condition dont le pouvoir du ministre est assorti. Ces mots visent les fins des règlements; ils ne renvoient pas à la première partie du para- graphe 3.7(2).
Puisque les paragraphes 4(2) et (3) du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes sont ultra vires, du fait qu'ils dépassent le pouvoir conféré au gouverneur en conseil par l'alinéa 3.7(2)c), il s'ensuit que le programme d'autorisation de sécurité est lui aussi ultra vires.
(3) Loi sur l'aéronautique—Pouvoirs ministériels
Le paragraphe 3.7(4) de la Loi sur l'aéronautique n'habilite pas le ministre à établir, au moyen de directives, ce qui, en vertu de la Loi, doit être prescrit par le gouverneur en conseil, par règlement. Il autorise le ministre à mettre en œuvre les mesures de sûreté qui ont été prescrites par règlement ainsi que les autres mesures accessoires qu'il estime nécessaires pour l'application des règlements.
On ne trouve pas dans la version française du paragraphe 3.7(4) les mots «for those purposes». Celle-ci mentionne simple- ment le fait que les mesures que peut prendre le ministre peuvent s'ajouter ou se substituer à celles qui frappent les exploitants d'aérodromes aux termes de l'alinéa 3.7(2)c). Tou- tefois, l'historique législatif fait clairement ressortir ce qui suit: le gouverneur en conseil établit d'abord par règlement les règles générales devant régir les mesures de sûreté qui seront prises. Les exploitants d'aérodromes, ou les propriétaires ou utilisa- teurs d'aéronefs peuvent alors être tenus de mettre en oeuvre ces mesures de sûreté. Subsidiairement, le ministre est habilité à mettre en oeuvre les mesures de sûreté établies par règlement.
(4) Charte canadienne des droits et libertés
Aucun argument ne pouvait être fondé sur l'article 7 ou sur l'article 8 de la Charte. L'intérêt des demandeurs en l'espèce ne peut être assimilé au droit «à la vie, à la liberté ou à la sécurité». Il y avait lieu de faire une distinction entre les faits de l'espèce et ceux des affaires dans lesquelles le droit «à la liberté» découlait du droit de se déplacer. Le programme établi en l'occurrence ne constitue pas une entrave à la liberté d'établis- sement. La situation des demandeurs était plut8t assimilable aux affaires mettant en cause le «droit de travailler», dans lesquelles il a été décidé que les droits purement économiques ou le «droit de travailler» ne sont pas protégés par l'article 7.
L'intérêt des demandeurs n'est pas non plus assimilable au droit à «la sécurité de sa personne». On ne peut pas caractériser leur situation de «traumatisme psychologique infligé par l'État». La «sécurité de la personne» n'inclut pas le droit d'être soustrait au type d'enquête en cause, même à supposer que ce concept comprenne le droit à la vie privée.
Les enquêtes faites par le SCRS ne sont pas des «fouilles, des perquisitions et des saisies» au sens de l'article 8 de la Charte. Les enquêtes ne constituent pas une atteinte au droit à la vie privée que garantit la Constitution si elles ne comportent pas d'ingérence par force dans les biens de la personne visée ou de violence à son endroit.
Exiger que des empreintes digitales soient fournies ne consti- tue pas une fouille, une perquisition et une saisie abusives. Il s'agit du type d'exigence qui serait visée par l'exemption prévue à l'article premier de la Charte.
(5) Directives ministérielles
L'argument selon lequel les directives du ministre devraient faire l'objet du même genre d'examen que celui dont est d'ordinaire l'objet la législation déléguée et selon lequel, par voie de conséquence, le programme d'autorisation de sécurité pourrait être contesté aux motifs qu'il est imprécis, incertain et discriminatoire, est certes convaincant, mais théorique, puisque la Loi dispose que les mesures de sûreté doivent être prescrites par règlement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1,7,8.
Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3 (mod. par S.C. 1973-74, chap. 20, art. 1; 1974-75-76, chap. 100, art. 1; 1985, chap. 28, art. 1), art. 3.4(2), 3.7(2)c),(4).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité,
S.C. 1984, chap. 21, art. 2, 12, 13, 14, 15, 16, 34, 42. Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes,
DORS/87-452, art. 4(1),(2),(3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th) 481; [1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C.
(3d) 57; 66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Mia and Medical Services Commission of British Columbia (1985), 17 D.L.R. (4th) 385; 61 B.C.L.R. 273; 15 Admin. L.R. 265; 16 C.R.R. 233 (C.S.); Wilson v. British Columbia (Medical Services Commission) (1988), 53 D.L.R. (4th) 171 (C.A.C.-B.); R. c. Morgen- taler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 63 O.R. (2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; (1988), 73 Nfld. & P.E.I.R. 13; 55 D.L.R. (4th) 503; 229 A.P.R. 13; 45 C.C.C. (3d) 244; 66 C.R. (3d) 348; 10 M.V.R. (2d) 1; 89 N.R. 249.
DÉCISIONS CITÉES:
Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131; (1972), 30 D.L.R. (3d) 559; Institut canadien des compagnies immobilières publiques et autres c. Corporation de la ville de Toronto,
[1979] 2 R.C.S. 2; (1979), 7 M.P.L.R. 39; 8 O.M.B.R. 385; 25 N.R. 108; Vic Restaurant v. The City of Mont- real, [1959] R.C.S. 58; (1959), 17 D.L.R. (2d) 81; Air Canada c. Cité de Dorval, [1985] 1 R.C.S. 861; (1985), 19 D.L.R. (4th) 401; 13 Admin. L.R. 42; 59 N.R. 177; R. v. Sandler, [1971] 3 O.R. 614; (1971), 21 D.L.R. (3d) 286 (H.C.); Re One Hundred and Eleven Group Enter prises Ltd. and City of Toronto et al. (1974), 6 O.R. (2d) 210; 52 D.L.R. (3d) 338 (C. div.); Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autre, [1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29 M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339; Cité de Sillery c. Canadian Petrofina Limited et autres, [1970] R.C.S. 533; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 13 C.R.R. 64; 85 C.L.L.C. 14,023; 58 N.R. 81.
DOCTRINE
Canada. Chambre des communes. Comité permanent des Transports et des communications, Procès-verbaux et témoignages, fascicule 17 (26 juillet 1973).
Canada. Comité de surveillance des activités de rensei- gnement de sécurité. Rapport annuel 1988-89. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1989.
Canada, Comité de surveillance des activités de rensei- gnement de sécurité. Rapport annuel 1987-88. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1988.
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. I11,1 ° sess., 29° Lég., 22 Eliz. II, 1973, aux pages 3446 et 3447.
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. II, 2 ° sess., 32° Lég., 33 Eliz. II, 1984, aux pages 1272 à 1274.
Canada. Débats du Sénat, vol. III, 1' sess., 30° Lég.,18 mai 1976.
de Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 3rd ed., London: Stevens & Sons Ltd., 1973.
AVOCATS:
Andrew J. Raven et Phillip G. Hunt pour les demandeurs.
Duff F. Friesen, c.r., pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE REED: Les demandeurs contestent la validité des méthodes d'enquête sur la sécurité qu'utilise le ministère des Transports pour vérifier la fiabilité des employés autres que des fonction- naires, travaillant dans des zones réglementées des aéroports. Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) est chargé d'effectuer une partie de ces enquêtes (programme de vérification de sécurité).
Les demandeurs invoquent cinq motifs pour con- tester la validité du programme: (1) le SCRS n'est pas autorisé à faire des enquêtes sur les antécé- dents des employés visés parce qu'il n'a été investi de cette mission par aucun texte de loi; (2) les paragraphes 4(2) et (3) du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes, DORS/87- 452, constituent une sous-délégation illégale de pouvoir et c'est en vertu de ce pouvoir que le programme a été établi; (3) le programme de vérification de sécurité est ultra vires car il va au-delà de l'autorité que confère au ministre la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, modi- fiée par S.C. 1985, chap. 28; (4) si le programme de vérification de sécurité n'excède pas le pouvoir du ministre, celui-ci a exercé ce pouvoir par une sous-délégation illégale ou a établi des règles de nature législative qui sont nulles en raison de leur caractère incertain et discriminatoire; (5) le pro gramme de vérification de sécurité mis à exécution transgresse la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Programme de vérification de sécurité
Le programme a été annoncé le 16 septembre 1987. Sa mise en oeuvre a commencé deux semai- nes plus tard, soit le 30 septembre 1987. Son objet était d'améliorer les mesures de sûreté à certains aéroports canadiens. Le programme vise dix aéro- ports internationaux et vingt-deux aéroports
intérieurs'.
Aux termes des mesures de sûreté appliquées dans les aéroports canadiens avant le 30 septembre 1987, certaines zones étaient désignées «zones réglementées». Cette désignation vise la plupart des zones situées au-delà des guichets d'enregistre- ment des passagers et, en particulier, les zones dans lesquelles il est possible d'avoir accès aux aéronefs ou aux articles transportés à bord des aéronefs. Les personnes travaillant dans les zones réglementées sont tenues de porter un laissez-pas ser, bien en vue sur l'extérieur de leurs vêtements. Le laissez-passer comporte une photographie et des renseignements, notamment le nom, permet- tant d'identifier son détenteur. Les laissez-passer sont en usage dans les aéroports canadiens visés depuis 1972. À ce que je sache, c'est l'OACI (l'Organisation de l'aviation civile internationale) qui a recommandé en 1971 l'emploi de ces laissez-passer 2.
Les personnes travaillant dans les zones régle- mentées comprennent les employés du gouverne- ment fédéral, les ressortissants étrangers qui tra- vaillent soit pour des gouvernements étrangers, soit pour des compagnies d'aviation étrangères, ainsi que des personnes, comme le demandeur Swan, qui sont des citoyens canadiens travaillant pour des employeurs du secteur privé. Environ 80 000 per- sonnes sont employées dans les aéroports auxquels le programme s'applique, par exemple à Lester B. Pearson (23 000); à Vancouver (13 000); à Dorval (8 000). Ce sont notamment des membres d'équi- page, des préposés au contrôle des passagers et des bagages, des agents de bord, des préposés à l'ache- minement des bagages, des nettoyeurs, des mécani- ciens, des techniciens et d'autres employés d'entre- tien comme les préposés au ravitaillement en carburant et les personnes chargées de la restaura- tion. La demanderesse, l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastro-
La prise d'otage à des fins politiques constituait en 1985 la principale menace à la sûreté des aéronefs. De 1985 à 1987, les activités terroristes ont pris une nouvelle forme; il y a eu un accroissement du sabotage. Des explosions à bord des aéronefs, dont un certain nombre en vol, ont eu lieu. Deux de celles-ci, survenues en 1985, résultaient de sabotage dont l'origine connue ou soupçonnée était au Canada.
2 La édition (1987) du Manuel de l'OACI de 1971, qui a été produite et qui forme l'annexe 2 de l'exposé conjoint des faits, recommande l'établissement d'un système de laissez-pas ser.
nautique, est l'agent négociateur accrédité repré- sentant quelque 15 000 employés des lignes aérien- nes et des entreprises de services.
À compter du 30 septembre 1987, date de la mise en oeuvre du programme de vérification de sécurité qui est contesté en l'espèce, toute per- sonne, sauf les ressortissants étrangers travaillant pour un gouvernement étranger ou pour une com- pagnie d'aviation étrangère, devait désormais avoir reçu une autorisation de sécurité pour obtenir un laissez-passer lui permettant de travailler dans les zones réglementées. À cette fin, la personne est tenue de fournir certains renseignements person- nels, des empreintes digitales et une formule de consentement à une évaluation de sûreté faite par le SCRS. Les renseignements sont transmis par le Bureau de contrôle des laissez-passer de l'aéroport en cause à un fonctionnaire du ministère des Transports—le Directeur, Renseignements, Habi tations sécuritaires et Perfectionnement en sécurité (parfois appelé le ABB). Celui-ci, ou vraisembla- blement un employé de son Bureau, vérifie si les renseignements sont complets et lisibles, puis les fait parvenir au SCRS.
Ce dernier fait une évaluation de sécurité et il présente au ministère des Transports une recom- mandation au sujet de la fiabilité de la personne en cause. L'enquête faite par le SCRS à la demande du ministère des Transports s'apparente à celle dont font l'objet les fonctionnaires fédéraux dont le poste exige l'accès à des renseignements de nature délicate ou à des biens de grande valeur apparte- nant à l'État. L'enquête est conduite en conformité avec la politique énoncée dans le document intitulé «Politique du gouvernement du Canada sur la sécurité». Voici quelques-uns des premiers para- graphes de ce document:
.1.1 Objectif et portée
La politique prescrit un système de sécurité devant protéger efficacement les renseignements classifiés et autres biens de nature délicate qui revêtent un intérêt national ainsi que les autres renseignements de nature délicate et biens de grande valeur.
.1.3 Application
La politique s'applique aux ministères, institutions et autres secteurs de la fonction publique du Canada qui sont énumérés à l'annexe I, Parties I et II de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, y compris les Forces canadiennes, la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité.
En outre, les dispositions de la politique concernant l'intérêt national s'appliquent à certaines autres institutions qui deman- dent l'accès à des renseignements classifiés et autres biens dont la protection s'impose dans l'intérêt national ainsi qu'aux servi ces d'autorisation de sécurité, sous réserve d'ententes entre le président de Conseil du Trésor et les ministres responsables de ces institutions. Les ententes doivent inclure un énoncé des mesures prises pour mettre en oeuvre ces dispositions dans l'institution concernée. A partir du 1" janvier 1987, seules les institutions assujetties à de telles ententes pourront avoir accès aux renseignements et aux biens et services décrits ci-dessus.
Sauf indication contraire, toutes les nominations et affecta tions, ainsi que tous les contrats de biens et de services sont assujettis à la politique.
.1.4 Autorisations et annulations
La politique est publiée en vertu de la Loi sur l'administra- tion financière, qui autorise le Conseil du Trésor à prendre des décisions concernant toutes les questions liées à la politique administrative et à la politique du personnel de la fonction publique du Canada, et en vertu d'une décision du Cabinet de janvier 1986 portant sur les mesures de sécurité. La délibéra- tion 802143 s'applique à cet égard.
La politique remplace le document du Bureau du Conseil privé datant de 1956 intitulé «Sécurité de l'information dans la fonction publique du Canada», la décision 35 émise par le Cabinet en 1963 au sujet de l'enquête de sécurité, ainsi que l'article .8 du chapitre 440 (Informatique: sécurité) et l'article .6 du chapitre 435 (Administration des télécommunications) du Manuel de la politique administrative du Conseil du Trésor. Elle remplace aussi les politiques publiées dans les circulaires du Conseil du Trésor 1986-26, 1987-10 et 1987-31.
La politique du gouvernement sur la sécurité établit trois niveaux d'autorisation de sécurité 3 . Le niveau d'autorisation requis à l'égard d'un employé dépend de la nature de son emploi. Plus le fonc- tionnaire aura accès à des renseignements de nature délicate ou à des biens de grande valeur, plus le niveau d'autorisation requis est élevé. C'est le premier niveau d'autorisation, soit le plus bas, que les fonctionnaires ont estimé à propos de rete- nir dans le cas des employés de l'Etat et des employés du secteur privé travaillant dans les zones réglementées des aéroports.
L'enquête menée par le SCRS pour ce niveau comprend tout d'abord trois vérifications. La pre- mière est la vérification du casier judiciaire. Le SCRS envoie une copie des empreintes digitales de la personne à la GRC, qui vérifie si elle a déjà été déclarée coupable d'une infraction ou été l'objet
3 La politique du gouvernement sur la sécurité établit trois types d'examen de la fiabilité (vérification de base de la fiabilité; vérification approfondie de la fiabilité; autorisation de sécurité). L'autorisation de sécurité donne elle-même lieu à trois catégories d'examen.
d'une inculpation retirée ou rejetée. La GRC remet ces renseignements au SCRS et y joint la copie des empreintes digitales que le SCRS lui avait fournie. Celui-ci conserve les empreintes dans le dossier de la personne aussi longtemps qu'il sera nécessaire de faire des vérifications de sécurité à son égard. L'évaluation de sécurité est mise à jour tous les cinq ans pendant la durée de l'emploi. Quand la personne quitte l'emploi pour lequel l'autorisation de sécurité était requise, le SCRS conserve les empreintes pendant une période sup- plémentaire de deux ans, puis les détruit. En véri- fiant le casier judiciaire, le SCRS demande des renseignements sur les infractions à l'égard des- quelles la personne a obtenu la réhabilitation.
La deuxième vérification faite par le SCRS porte sur ses propres dossiers («vérification des indices»). Il vérifie si le nom de la personne y figure. Les renseignements contenus dans ces dos siers concernent des activités qui sont, tenues pour des «menaces envers la sécurité du Canada», terme qui est défini à l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [S.C. 1984, chap. 21]. La définition comporte notamment l'élément suivant: «les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique».
Le troisième type de vérification effectué par le SCRS est la vérification de la solvabilité. Selon les renseignements obtenus du service d'informations financières, le SCRS fait une enquête plus appro- fondie sur les antécédents de la personne. Cette enquête pourrait avoir notamment pour objet de déterminer: si la personne a une mauvaise réputa- tion de solvabilité; si sa faillite est attribuable à son imprévoyance; si son insolvabilité a été aggra- vée ou causée par le jeu, l'alcool, l'abus de drogues ou d'autres facteurs dénotant le manque de juge- ment ou l'imprévoyance; si elle a dans le passé vécu au-dessus de ses moyens; si les renseigne- ments fournis par l'agence d'informations financiè- res révèlent le recours à la tromperie ou à la supercherie pour obtenir du crédit; si elle dispose d'une fortune inexpliquée.
Si l'agent du SCRS qui fait l'évaluation de sécurité a des inquiétudes par suite des trois vérifi-
cations précitées, il fait faire une enquête sur place. Il faudra probablement avoir des entrevues avec les collègues, les employeurs, les ex- employeurs, les amis, les parents et les voisins de la personne en cause.
La décision de recommander le refus de l'autori- sation de sécurité est, au fond, préférablement sans doute, une décision qui fait appel à l'esprit de discernement et que l'agent du SCRS prend après avoir pesé un certain nombre de facteurs. M. Pearcy, directeur général adjoint, Triage sécuri- taire gouvernemental, Direction du triage sécuri- taire, SCRS, a témoigné à ce sujet:
[TRADUCTION] Nous tenons compte de nombre d'éléments du comportement d'une personne quand nous faisons une éva- luation de sécurité et quand nous recommandons l'autorisation de sécurité. Parmi les facteurs pertinents, on compte la déso- béissance à la loi, la transgression des règles de sécurité, la divulgation non autorisée de renseignements classifiés, la mal- honnêteté, les troubles mentaux ou émotifs, l'endettement excessif ou les difficultés financières fréquentes ou la` richesse inexpliquée, l'abus d'alcool ou de substances interdites; n'im- porte quel aspect du comportement d'une personne qui peut intéresser la sécurité.
Le SCRS ne recommande jamais que l'autorisa- tion de sécurité soit refusée sans faire une enquête sur place et, en règle générale, sans avoir une entrevue avec la personne, qui a ainsi la possiblité de faire entendre son point de vue sur les sujets d'inquiétude qui fondent la recommandation du SCRS. En outre, s'il est jugé opportun de recom- mander le refus, cette évaluation est présentée à l'examen du contentieux et du directeur du Ser vice. Le refus de l'autorisation n'est jamais recom- mandé sans l'approbation personnelle du directeur. La recommandation—approbation de l'autorisa- tion de sécurité ou refus de l'accorder—est ensuite renvoyée au ministère client—en l'occurrence, Transports Canada. S'il est recommandé que l'au- torisation soit accordée, un fonctionnaire du minis- tère des Transports tamponne le document ad hoc et le bureau de contrôle des laissez-passer de l'aé- roport est informé qu'il peut délivrer un laissez- passer. S'il est recommandé que l'autorisation soit refusée, un certain nombre de fonctionnaires, ou leurs représentants, qui forment le Conseil de sur veillance des autorisations de sécurité de Trans ports Canada, examinent les documents et statuent sur l'opportunité de recommander la délivrance d'un laissez-passer. L'intéressé ne comparaît pas devant ce Conseil et il n'est pas avisé de la tenue
des audiences. Le Conseil présente sa recomman- dation à l'administrateur général du ministère des Transports à qui il incombe en dernier ressort d'accorder l'autorisation.
Je le répète, sont soumis aux enquêtes de sécu- rité les fonctionnaires fédéraux ou les entrepre neurs ayant passé un marché avec le gouvernement qui doivent dans l'exécution de leurs fonctions avoir accès à des renseignements classifiés de nature délicate ou à des biens de grande valeur de l'État. Toutefois, les renseignements sur les antécé- dents personnels exigés d'un employé du gouverne- ment fédéral ou d'un candidat à un poste dans l'Administration fédérale et ceux qui sont exigés d'une personne qui demande un laissez-passer lui donnant accès aux zones réglementées d'un aéro- port sont quelque peu différents. Les premiers ne sont tenus de fournir des renseignements que sur leurs antécédents des dix années écoulées tandis que pour les derniers, ce ne sont que les antécé- dents de cinq années; les premiers sont tenus de fournir des renseignements concernant l'identité de tous leurs proches parents de plus de 16(18) ans, alors que les derniers ne sont tenus de fournir de tels renseignements -qu'au sujet de leur conjoint. Ces exigences ont un caractère moins rigoureux parce que le ministère des Transports avait d'abord envisagé d'établir son propre système d'autorisation de sécurité à l'égard des zones régle- mentées. Les formules de renseignements person- nels à portée plus restreinte ont été créées à cette fin et elles ont été conservées après la prise de la décision de recourir au système d'autorisation de sécurité du gouvernement plutôt que d'en établir un au ministère des Transports.
Des fonctionnaires du ministère des Transports (et d'autres ministères) ont décidé qu'il était opportun qu'un seul système d'autorisation de sécurité s'applique aux employés du gouvernement et aux employés du secteur privé travaillant dans les zones réglementées. Voici un passage de la transcription du témoignage de M. Pearcy:
[TRADUCTION] R:.. .
Tant les représentants du Service que ceux du Secrétariat du Conseil du Trésor ont fait valoir à l'époque qu'il y avait lieu de n'énoncer qu'une seule politique sur la sécurité du gouverne- ment du Canada relativement aux autorisations de sécurité exigées à l'égard des personnes ayant accès à des renseigne- ments classifiées ou à des installations cruciales pour l'intérêt national.
La politique en ce qui a trait aux aéroports a donc été modifiée par rapport à ce qu'on avait envisagé initialement, c'est-à-dire une simple vérification de nos dossiers, et elle a été rendue conforme à la politique du gouvernement du Canada sur la sécurité.
Q: On a donc décidé d'appliquer la politique du gouverne- ment sur la sécurité aux enquêtes de sécurité dans les aéroports, même dans le cas des employés du secteur privé?
R: Oui.
Q: Qui a pris cette décision? peut-on la trouver? Est-elle consignée?
R: La décision a été prise au cours d'une réunion tenue, je dirais, à l'automne 1987. Je n'étais pas présent à cette réunion mais je sais qu'y assistaient un représentant de la haute direc tion du Service, un représentant du Secrétariat du Conseil du Trésor, du ministère des Transports et, je crois, du Bureau du Conseil privé.
Si vous voulez savoir s'il existe un compte rendu officiel de cette décision, il n'y en a pas, autant que je sache.
De toute évidence, de graves conséquences découlent de l'impossibilité pour une personne d'obtenir une autorisation de sécurité. Elle ne peut pas travailler dans les zones en question. Dans bien des cas, elle perdrait son emploi. M. Milmine, un témoin que j'ai entendu, occupait un emploi de préposé à l'acheminement des bagages depuis vingt-huit ans au moment de l'instauration du programme d'autorisation d'accès. S'il n'avait pu obtenir de laissez-passer (il n'a pas été établi qu'il n'avait pas pu), les conséquences auraient été graves. Les conséquences découlant du refus de l'autorisation se rapportent également «au consen- tement» par lequel les employés autorisent le SCRS à faire une enquête de sécurité à leur égard. On peut certes parler de «consentement» véritable dans le cas des candidats à un poste, mais beau- coup moins dans le cas des employés actuels qui perdraient leur emploi s'ils n'obtenaient pas de laissez-passer.
Les ressortissants étrangers, autres que les immigrants admis, travaillant dans les zones régle- mentées ne sont pas assujettis à ce type d'enquête de sécurité. D'après l'exposé conjoint des faits, les renseignements , sur lesquels porterait une telle enquête ne seraient pas fournis par tous les gouver- nements étrangers. C'est leur employeur qui se porte «garant» des ressortissants étrangers. En outre, comme ils ont besoin d'un «permis de tra vail» pour occuper un emploi au Canada, des con- trôles des antécédents ont peut-être déjà été faits sur l'ordre du ministère de l'Emploi et de l'Immi-
gration. En effet, un agent canadien des visas a une entrevue, à l'étranger, avec les ressortissants étrangers qui demandent un permis de travail et ceux-ci sont tenus de fournir des renseignements sur leurs antécédents personnels, dont des rensei- gnements sur leur casier judiciaire. Si l'agent des visas a des soupçons à l'égard d'une personne, il entre en contact avec un agent de l'Immigration du SCRS qui mènera une enquête. Au surplus, les ressortissants de pays à «risque élevé» font plus ou moins systématiquement l'objet d'une vérification par le SCRS avant qu'un permis de travail leur soit accordé. Enfin, l'avocat des défendeurs fait observer qu'à leur arrivée au pays, les ressortis- sants étrangers ont une entrevue avec un agent de l'Immigration à la frontière.
Pouvoirs du SCRS
Le premier argument des demandeurs veut que le SCRS ne soit pas investi par la loi du pouvoir de mener l'enquête. Ils prétendent qu'aucun pouvoir n'est conféré à cet égard par les dispositions du paragraphe 13(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21. Les articles pertinents sont ainsi conçus:
12. Le Service recueille, au moyen d'enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.
13. (1) Le Service peut fournir des évaluations de sécurité aux ministères du gouvernement du Canada.
(2) Le Service peut, avec l'approbation du ministre, conclure des ententes avec:
a) le gouvernement d'une province ou l'un de ses ministères;
b) un service de police en place dans une province, avec l'approbation du ministre provincial chargé des questions de police.
Ces ententes autorisent le Service à fournir des évaluations de sécurité.
14. Le Service peut:
a) fournir des conseils à un ministre sur les questions de sécurité du Canada,
b) transmettre des informations à un ministre sur des ques tions de sécurité ou des activités criminelles,
dans la mesure ces conseils et informations sont en rapport avec l'exercice par ce ministre des pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés en vertu de la Loi sur la citoyenneté ou la Loi sur l'immigration de 1976.
15. Le Service peut mener les enquêtes qui sont nécessaires en vue des évaluations de sécurité et des conseils respectivement visés aux articles 13 et 14.
16. (I) Sous réserve des autres dispositions du présent arti cle, le Service peut, dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada, prêter son assistance au secrétaire d'État aux Affaires extérieures ou au ministre de la Défense nationale, dans les limites du Canada, à la collecte d'informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités:
a) d'un État étranger ou d'un groupe d'États étrangers,
b) d'une personne qui n'est:
(i) ni un citoyen canadien,
(ii) ni un résident permanent au sens de la Loi sur l'immi- gration de 1976,
(iii) ni une société commerciale ou corporation constituée en vertu d'une loi fédérale ou provinciale.
42. (1) Les individus qui font l'objet d'une décision de renvoi, de rétrogradation, de mutation ou d'opposition à enga gement, avancement ou mutation prise par un administrateur général pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige doivent être avisés du refus par l'administrateur général; celui-ci envoie l'avis dans les dix jours suivant la prise de la décision.
(2) Dans le cas où, pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige à l'égard d'un individu, celui-ci ou une autre personne fait l'objet d'une décision d'opposition à un contrat de fourniture de biens ou de services à ce gouvernement, l'administrateur général concerné envoie dans les dix jours suivant la prise de la décision un avis informant l'individu, et s'il y a lieu l'autre personne, du refus.
(3) Le comité de surveillance reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes présentées par:
a) les individus visés au paragraphe (1) à qui une habilitation de sécurité est refusée;
b) les personnes qui ont fait l'objet d'une décision d'opposi- tion à un contrat de fourniture de biens ou de services a été refusé pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité à ces personnes ou à quiconque.
L'avocat des demandeurs soutient que le para- graphe 13(1) n'autorise le SCRS à fournir des évaluations de sécurité à un ministère du gouver- nement du Canada qu'au sujet d'employés ou de candidats à un poste du ministère ou à l'égard de personnes (ou d'employés de personnes) qui pas- sent un marché avec le ministère. Selon cet argu ment, cette interprétation repose sur les données suivantes: (1) le but et le contexte de l'adoption de la Loi—en particulier, tels qu'ils ont été exposés par le ministre responsable au cours des débats à la Chambre des communes; (2) l'économie de la Loi,
y compris les dispositions dans lesquelles il est fait expressément mention de certains ministères; (3) les dispositions de l'article 42 touchant les enquê- tes du comité de surveillance.
Il est difficile d'accepter la thèse qui veut que la Loi ait pour objet de permettre au SCRS de fournir des évaluations de sécurité seulement à l'égard des personnes qui sont des employés ou des candidats à un poste de l'Administration ou qui ont un engagement contractuel de cet ordre. A première vue, le champ d'application du paragra- phe 13 (1) n'est pas restreint à ces personnes.
Les débats qu'on a cités ne corroborent pas, à mon sens, la thèse des demandeurs. Même s'il est à propos de les invoquer à l'appui de l'argument présenté, les observations qu'on y trouve concer- nent les «activités de renseignement de sécurité» et non pas les «évaluations de sécurité» ou les autori- sations de sécurité. Voici quelques passages des débats:
Nous voulons restreindre le mandat de notre service de sécurité afin que la portée de nos activités de renseignements de sécurité soit plus clairement et plus minutieusement définie. Nous voulons indiquer les pouvoirs précis que le service sera autorisé à utiliser, et nous voulons préciser les conditions et les limites de l'utilisation de ces pouvoirs. Nous voulons que ces conditions soient définies dans un cadre détaillé qui assurera le respect total de l'autorité de la loi, et nous voulons établir un comité non gouvernemental et totalement indépendant qui sur- veillera la justification des activités de renseignements de sécu- rité et rendra compte régulièrement au solliciteur général du Canada et au Parlement.
Le projet de loi a donc pour but, dans une large mesure, de présenter une nouvelle gamme de garanties et de contrôles qui n'existent pas actuellement pour protéger les droits des Cana- diens contre des ingérences indues.
Il est clairement ressorti au début de la décennie que les Canadiens intéressés par ces questions souhaitaient que le solliciteur général soit parfaitement et en tout temps au courant des activités du service du renseignement de sécurité et qu'il assume la pleine responsabilité de chaque mandat émis par les tribunaux pour enquêter sur des menaces envers la sécurité du Canada. Le grand public et le comité sénatorial ont bien fait valoir de cette façon qu'on peut espérer que le service rendra convenablement compte de ses activités.
Il faut tout au moins faire savoir au nouvel organisme en termes législatifs clairs et sans équivoque ce qu'il est censé faire. C'est pourquoi le projet de mandat est une partie si importante du projet de loi C-9. Le mandat sera la définition par le Parlement de la portée et des limites des activités de renseignement de sécurité. Il devra être pour les employés du Service du renseignement de sécurité un guide définitif de leurs
fonctions et constituer également un point de référence claire pour l'évaluation de l'efficacité et de la justesse des activités de
renseignement de sécurité.
Il ne doit faire aucun doute que les Canadiens sont assurés du droit fondamental de manifester leur désaccord sur le plan politique et de préconiser des changements radicaux dans les moeurs, les programmes gouvernementaux ou les institutions politiques sans faire l'objet de surveillance pour autant. La commission McDonald décrit l'exercice de ce droit comme «le nerf d'une démocratie dynamique» et nous ne saurions tolérer un système qui menace d'en entraver l'exercice.
Pour éviter toutefois toute possibilité, si ténue soit-elle, de fausse interprétation, nous avons précisé dans le projet de loi que nul ne peut faire l'objet d'une enquête du Service unique- ment parce qu'il a participé à des mouvements légitimes de défense, de protestation ou d'opposition.
Je signale également que d'après la mission qui lui a été confiée sous une forme remaniée dans le projet en discussion, les services de sécurité ne sont autorisés à faire que les enquêtes qui sont «strictement nécessaires» à la sécurité nationale. Donc, cette mission doit s'interpréter au sens strict. Ce n'est que lorsqu'il aura été démontré que ces enquêtes étaient nécessaires à la sécurité nationale que les services chargés de cette mission pourront en effectuer. [C'est moi qui souligne.]
(Canada, Débat de la Chambre des communes,
vol. II, 1984, aux pages 1272 1274 (10 février 1984).)
Les activités de renseignement de sécurité fai- sant l'objet de ces débats ne peuvent pas, selon moi, être assimilées aux enquêtes de sécurité qui sont menées seulement au su et avec le «consente- ment» de la personne évaluée. L'évaluation de sécurité, nous l'avons vu, consiste à vérifier les dossiers existants (casier judiciaire, dossiers du SCRS et données des services d'informations financières), plutôt qu'à rassembler des renseigne- ments de sécurité. Une enquête sur place, le cas échéant, peut constituer une activité hybride mais je doute qu'il s'agisse de l'activité qu'on envisa- geait dans les débats des Communes précités. De toute façon, peu importe que les activités touchant les habilitations de sécurité aient ou non été envi sagées dans les débats, puisque j'estime que le libellé du paragraphe 13 (1) n'est pas ambigu. La teneur même des débats indique que le mandat qui serait confié au SCRS serait défini en «termes législatifs clairs et sans équivoque». Le texte du paragraphe 13(1) est tout à fait clair et sans équivoque. À première vue, il n'est pas limité de la manière avancée par l'avocat.
Ce dernier affirme qu'il ressort de l'économie de la Loi que le paragraphe 13(1) ne vise que les employés actuels ou les candidats à un poste de l'Administration ou encore les personnes ayant passé ou souhaitant passer un marché avec l'Admi- nistration parce que, lorsque le législateur entend élargir la portée des pouvoirs conférés, cette inten tion est exprimée explicitement. Par exemple, l'ali- néa 14b) donne au SCRS le pouvoir de transmet- tre des informations aux ministres exerçant des pouvoirs et des fonctions qui leur sont conférés en vertu de la Loi sur la citoyenneté [S.C. 1974- 75-76, chap. 108] ou la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52]. En outre, l'article 16 interdit expressément au SCRS de fournir des renseignements, au sujet de citoyens canadiens, au ministre de la Défense nationale ou au secrétaire d'État aux Affaires extérieures. À mon avis, aucune de ces dispositions ne corrobore la thèse des demandeurs. L'article 14 ne porte pas sur les autorisations de sécurité. L'alinéa 14a) a pour objet les conseils fournis à un ministre sur les questions de sécurité («Le Service peut fournir des conseils à un ministre») et l'alinéa 14b) autorise le SCRS à transmettre des informations aux minis- tres en cause sur des questions de sécurité ou des activités criminelles («le Service peut transmettre des informations à un ministre»). Aux termes de l'article 16, le Service peut «prêter son assistance ... à la collecte d'informations» (c'est moi qui souligne) sur l'ordre de ministres nommés, peu importe que les informations intéressent la sécu- rité. L'article 13, je le répète, porte sur un autre type d'activité. Il est ainsi libellé: «le Service peut fournir des évaluations de sécurité» (c'est moi qui souligne.). Les articles 13, 14 et 16 ont tous pour objet des activités distinctes. Se servir des restric tions énoncées aux articles 14 et 16 pour interpré- ter de façon restrictive l'article 13 n'est pas, à mon sens, une méthode persuasive d'interprétation des lois.
Selon le troisième argument de l'avocat des demandeurs, il faut donner une interprétation res trictive au paragraphe 13(1) parce que le méca- nisme d'examen, prévu à l'article 42, ne s'applique qu'aux personnes qui sont des employés ou des candidats à un poste de l'Administration ou qui ont passé ou souhaitent passer un marché avec un ministère. Ces personnes ont le droit de saisir le Comité de surveillance des activités de renseigne-
ment de sécurité (CSARS) du refus de l'habilita- tion de sécurité. Ce Comité est constitué en vertu de l'article 34 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et il est composé de membres qui sont indépendants du SCRS et indé- pendants des ministères.
Il n'y a pas de doute que l'article 42 est limité comme on le soutient. Le SCRS ne fait enquête que sur les plaintes des employés, des candidats à un poste et des personnes ayant passé ou souhai- tant conclure un marché avec le gouvernement. C'est donner une interprétation trop large du para- graphe 13(1) que d'affirmer qu'en raison du champ d'application limité de l'article 42, il y a lieu de limiter également le paragraphe 13(1). Je ne crois pas que l'on puisse ainsi recourir à l'article 42.
Quant aux dispositions de l'article 42 touchant les enquêtes sur les plaintes, le Comité de surveil lance des activités de renseignement de sécurité a fait remarquer, dans son Rapport annuel 1988-89, aux pages 68 et 69, que le champ d'application du processus d'examen prévu à l'article 42 était lacunaire:
Habilitations de sécurité
Sans habilitation de sécurité, toute personne perd des chances d'emploi tant dans le secteur public que dans le secteur privé. La Loi sur le SCRS n'autorise l'intéressé à présenter une plainte au Comité (article 42) que dans certains cas.
Premièrement, il faut que l'intéressé ait fait l'objet d'une décision de renvoi, de rétrogradation, de mutation ou d'opposi- tion à un engagement, avancement ou mutation ou encore à un contrat de fournitures ou de services à l'État du seul fait de n'avoir pas obtenu l'habilitation de sécurité nécessaire. Comme nous le disions dans notre rapport annuel de 1987-1988 (page 60), l'article est actuellement formulé de façon telle que si quelqu'un est écarté d'un emploi ou alors congédié par un entrepreneur fédéral pour supprimer un obstacle à l'obtention d'un marché avec l'Etat, cette personne n'a pas de véritable recours. En outre, si l'intéressé n'a pas l'habilitation de sécurité nécessaire pour avoir accès à certaines installations fédérales, par exemple un aéroport, il ne lui est pas possible d'avoir l'emploi désiré et dans ce cas, il n'a pas non plus de recours auprès du Comité.
Nous estimons que toute personne à qui une habilitation de sécurité est refusée devrait avoir le droit de porter plainte auprès du Comité de surveillance. Il ne devrait pas y avoir de catégories de Canadiens ou d'immigrants reçus qui, pour une même raison, ont le droit de porter plainte auprès du Comité tandis que d'autres n'ont pas ce droit. Dans le monde d'aujour- d'hui, ne pas avoir son habilitation de sécurité se répercute
immédiatement sur l'emploi et, à long terme, affecte les chan ces d'emploi.
Quoi qu'il en - soit, outre les répercussions sérieuses qu'un refus d'habilitation de sécurité a sur les chances d'emploi, la loyauté d'un citoyen canadien ou d'un immigrant reçu ne devrait jamais être remise en cause au point qu'une habilitation de sécurité lui soit refusée sans que l'intéressé n'ait automatiquement le droit d'exiger que le Comité de surveillance fasse enquête sur son cas.
Les modifications que nous proposons donneraient à tout citoyen canadien ou immigrant reçu le droit d'exiger une enquête du Comité de surveillance au niveau requis.
16. Nous recommandons que les paragraphes 42(1) et (2) soient abrogés et remplacés par la disposition suivante: «42.(1) Lorsqu'une habilitation de sécurité exigée, pour n'importe quel motif, par le gouvernement du Canada est refusée à quelqu'un ou lui est accordée à un niveau inférieur au niveau nécessaire ou qu'elle est ramenée à un niveau inférieur au niveau nécessaire, l'administrateur général ou la personne qui a pris cette décision doit, dans les dix jours suivant la prise de la décision, envoyer à l'intéressé un avis l'informant qu'une habilitation de sécurité du niveau requis lui a été refusée et qu'il a le droit, en vertu du présent article, d'en appeler de cette décision auprès du Comité de surveil lance des activités de renseignement de sécurité.»
Il faudrait apporter quelques modifications corrélatives au reste de l'article 42.
Le Comité de surveillance des activités de rensei- gnement de sécurité avait déjà fait une recomman- dation semblable dans son Rapport annuel de l'exercice précédent, 1987-88, à la page 60.
L'avocat des défendeurs soutient que le texte du paragraphe 13(1) est clair et sans équivoque et qu'il autorise le SCRS à mener des enquêtes de sécurité à la demande d'un ministère du gouverne- ment du Canada. D'après lui, il est nécessaire que le SCRS soit investi de pouvoirs aussi larges parce qu'il est parfois important de fournir des évalua- tions de sécurité à l'égard de personnes qui ont accès à des documents ou à des biens de l'Etat de nature délicate, mais qui ne sont pas des employés, des candidats à un poste ni des personnes ayant passé ou souhaitant conclure un marché avec un ministère.
À mon avis, le paragraphe 13(1) est rédigé de manière claire et sans équivoque. Il confère au SCRS les pouvoirs plus larges dont l'avocat a excipé. Dans la mesure l'habilitation de sécurité est demandée de bonne foi par le ministère et est accompagnée de l'autorisation voulue, le SCRS a le pouvoir de conduire l'enquête et de fournir
l'évaluation demandée. Cette solution vaut même si la personne à l'égard de laquelle l'habilitation de sécurité est demandée n'est pas un employé, ni un candidat à un poste, ni une personne qui a passé ou qui souhaite conclure un marché avec le gouverne- ment.
Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodro- mes—Sous-délégation illégale
Le programme de vérification de sécurité qui fait l'objet du litige est exposé dans un document intitulé «Programme d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport». Ce document est censé avoir été publié conformément au pouvoir dont le ministre est investi en vertu des paragra- phes 4(2) et (3) du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes. Ces paragraphes sont censés avoir été pris en vertu de l'alinéa 3.7(2)c) de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, modifiée par S.C. 1985, chap. 28, art. 1.
L'alinéa 3.7(2)c) de la Loi sur l'aéronautique est ainsi libellé:
3.7...
(2) En vue de protéger les aéronefs et leurs passagers et équipages, les aérodromes et autres installations aéronautiques, de prévenir les atteintes illicites à l'aviation civile et de prévoir des mesures efficaces lorsque de telles atteintes surviennent ou risquent de survenir, le gouverneur en conseil peut, par règlement:
c) imposer aux exploitants d'aérodromes et aux personnes qui y exercent des activités de prendre et de mettre en œuvre, aux aérodromes et dans les installations aéronauti- ques dont ils sont responsables, qu'elles soient situées ou non à ces aérodromes, les mesures de sûreté que peuvent prescrire les règlements ou que le ministre peut approuver à ces fins conformément aux règlements. [Non souligné dans le texte original.]
Les dispositions pertinentes du Règlement sur-les mesures de sûreté aux aérodromes (DORS/87- 452, 30 juillet 1987) sont ainsi conçues:
4. (1) L'exploitant de l'aérodrome doit prendre et mettre en œuvre à l'aérodrome les mesures de sûreté que le ministre a approuvées en fonction du niveau de menace à la sûreté qui existe à cet aérodrome.
(2) Le ministre peut, à l'égard d'un aérodrome, approuver les mesures de sûreté suivantes:
a) l'établissement des zones réglementées et l'utilisation de l'équipement, des installations et des procédures visant à empêcher l'accès non autorisé à ces zones, notamment:
(i) l'emplacement des zones réglementées,
(ii) les enceintes,
(iii) les systèmes de contr8le d'accès,
(iv) les laissez-passer, les systèmes d'identification du per sonnel et les procédures d'attribution de cote de sûreté,
(y) les laissez-passer destinés aux véhicules circulant dans
les zones réglementées et les systèmes d'identification,
(vi) l'emplacement et le libellé des panneaux d'identifica- tion des zones réglementées,
(vii) les procédures utilisées dans les zones réglementées pour empêcher que des personnes non contrôlées aient accès aux personnes contrôlées;
(3) Le ministre peut approuver toute autre mesure de sûreté qu'il juge nécessaire afin de prévenir les atteintes illicites à l'aviation civile et de prévoir des mesures efficaces lorsque de telles atteintes surviennent ou risquent de survenir. [Non souli- gné dans le texte original.]
Les demandeurs soutiennent que les paragra- phes (2) et (3) de l'article 4 du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes, dans la mesure ils sont censés conférer au ministre le pouvoir d'approuver les mesures de sûreté, sont invalides. Selon cette thèse, ces paragraphes constitueraient une sous-délégation illégale: ils ne renfermeraient qu'une énumération des sujets à l'égard desquels le ministre peut approuver des mesures de sûreté. Cet argument veut qu'il s'agisse d'une sous-délégation illégale parce que le gouverneur en conseil n'est pas habilité par la Loi à sous-déléguer ce pouvoir. L'alinéa 3.7(2)c) autorise le gouverneur en conseil lui-même à prendre des règlements relatifs aux mesures de sûreté et non pas à sous-déléguer ce pouvoir au ministre. L'avocat s'est référé aux textes suivants: de Smith, Judicial Review of Administrative Action, 3 e éd., Londres, Stevens & Sons Ltd., 1973, aux pages 263 269; Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131, aux pages 146 et 147; Institut canadien des compagnies immobilières publiques et autres c. Corporation de la ville de Toronto, [1979] 2 R.C.S. 2; Vic Restaurant v. The City of Montreal, [1959] R.C.S. 58, aux pages 82, 99 et 100; et Air Canada c. Cité de Dorval, [1985] 1 R.C.S. 861.
J'admets cet argument. C'est au gouverneur en conseil que l'alinéa 3.7(2)c) confère le pouvoir. Il est habilité à mettre les exploitants d'aérodromes et les personnes exerçant des activités aux aérodro- mes dans l'obligation de prendre certaines mesu- res. Il peut obliger ces personnes à mettre en oeuvre les mesures de sûreté prescrites par règle- ment et les mesures de sûreté approuvées par le
ministre «conformément aux règlements». Si l'on avait eu l'intention d'autoriser le gouverneur en conseil, à l'alinéa 3.7(2)c), à préciser les fins aux- quelles le ministre peut prendre des mesures de sûreté, je pense qu'on aurait rédigé cet alinéa avec plus de clarté. Par exemple, on aurait dit expressé- ment que «le ministre peut, par des directives, prendre des mesures de sûreté aux fins prescrites par règlement» ou «le ministre peut approuver des mesures de sûreté aux fins prescrites par règle- ment». Voir, par exemple, à cet égard, les disposi tions du paragraphe 3.4(2) de la Loi, qui habilitent le gouverneur en conseil à sous-déléguer son pou- voir au ministre.
L'alinéa 3.7(2)c) ne confère pas de pouvoir au ministre mais il renvoit au pouvoir que le ministre est présumé avoir. Le renvoi est exprimé par les termes «les mesures de sûreté que peuvent pres- crire les règlements ou que le ministre peut approuver à ces fins conformément aux règle- ments». J'interprète ce passage comme signifiant que le ministre ne peut exercer le pouvoir d'ap- prouver des mesures de sûreté pour l'application de l'alinéa 3.7(2)c) qu'en conformité avec les disposi tions réglementaires énoncées par le gouverneur en conseil. Je n'interprète pas ce renvoi comme suppo- sant un pouvoir plus large dont serait investi le ministre. A mon avis, l'avocat des demandeurs soutient à bon droit que l'alinéa 3.7(2)c) a pour objet un cadre réglementaire dans lequel le minis- tre doit exercer son pouvoir. Dans l'expression «les mesures de sûreté ... que le ministre peut approu- ver à ces fins», j'interprète les mots «à ces fins» comme une condition dont le pouvoir du ministre est assorti. Je crois que cette expression vise les fins des règlements. Je n'interprète pas les mots «à ces fins» comme un renvoi à la première partie du paragraphe 3.7(2). Cette expression serait redon- dante si elle devait être interprétée de cette manière.
J'estime, par conséquent, que les paragraphes 4(2) et (3) du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes, DORS/87-452, sont ultra- vires car ils dépassent le pouvoir conféré au gou- verneur en conseil par l'alinéa 3.7(2)c) de la Loi. Cette conclusion est peut-être suffisante pour tran- cher le litige en l'espèce, étant donné que le Pro-
gramme d'autorisation d'accès aux zones régle- mentées d'aéroport a été établi conformément aux paragraphes 4(2) et (3). Il se peut en effet qu'en raison de l'invalidité de ces paragraphes, toute mesure prise en vertu d'un pouvoir censé conféré par ceux-ci soit également ultra vires. Néanmoins, je vais examiner les autres arguments avancés.
Loi sur l'aéronautique—Pouvoirs ministériels
Même si les paragraphes 4(2) et (3) du Règle- ment sur les mesures de sûreté aux aérodromes sont ultra vires, il faut se demander si le ministre, indépendamment de tout pouvoir dont il est censé investi aux termes de ces paragraphes, peut exiger l'observation des prescriptions touchant les autori- sations de sécurité. Il s'agit de décider si le minis- tre est investi, en vertu des dispositions de la Loi elle-même, de pouvoirs administratifs ou législatifs l'habilitant à assujettir les demandeurs aux exigen- ces du programme de vérification de sécurité. Si je ne m'abuse, l'argument à cet égard repose sur le paragraphe 3.7(4) de la Loi sur l'aéronautique. Il est nécessaire de reproduire les versions française et anglaise de ce paragraphe parce que, de prime abord, elles semblent différer:
3.7 .. .
(4) Aux fins énoncées au paragraphe (2), le ministre peut prendre et mettre en oeuvre, aux aérodromes, à bord des aéronefs et à l'égard des installations ou services aéronautiques, les mesures de sûreté que le gouverneur en conseil peut, par règlement, prescrire ou celles que lui-même estime nécessaires. Ces mesures peuvent s'ajouter ou se substituer à celles visées au paragraphe (2).
Le paragraphe 3.7(4) confère un pouvoir au ministre. Il est nécessaire d'examiner la portée et la nature de ce pouvoir. Le pouvoir conféré est celui de prendre ou de mettre en oeuvre certains types de mesures de sûreté, et non pas celui de prescrire (par règlement ou par un autre texte de nature législative), les mesures que d'autres per- sonnes peuvent imposer ou que le ministre peut imposer lui-même. On pourrait conclure d'une lec ture superficielle du paragraphe 3.7(4), en particu- lier de sa version française, qu'il semble attribuer au ministre le pouvoir de prendre des mesures de sûreté d'ordre administratif dont la portée serait égale à celles que pourrait prescrire par règlement le gouverneur en conseil. Cette conclusion ne con- corde cependant pas avec les autres dispositions de
la Loi. Par exemple, le paragraphe 3.3(1) habilite le ministre à sous-déléguer à la GRC ou à toute personne les pouvoirs que lui confère la Loi. Il est difficile de conclure qu'une sous-délégation d'une portée aussi large aurait été prévue si les pouvoirs du ministre en vertu du paragraphe 3.7(4) avaient la même étendue que les pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil.
Je le répète, les versions anglaise et française du paragraphe 3.7(4) diffèrent. Elles ont également force de loi. On trouve dans la version anglaise de ce paragraphe les mots «for those purposes», comme dans la version anglaise de l'alinéa 3.7(2)c). Ces mots conditionnent les pouvoirs du ministre, tant au paragraphe 3.7(4) qu'à l'alinéa 3.7(2)c). Je ne pense pas que ces mots, dans l'une ou l'autre de ces dispositions, renvoient aux fins énoncées dans la première partie de la disposition, c'est-à-dire protéger les aéronefs et leurs passagers et équipages, etc. C'est d'autant plus manifeste dans le cas du paragraphe 3.7(4) que les premiers mots qui y sont employés conditionnent tout ce qui suit en renvoyant à la première partie du paragra- phe 3.7(2). Un second renvoi serait redondant. J'interprète les mots «necessary for those purpo ses» comme signifiant que le ministre a le pouvoir de prendre les mesures qu'il estime nécessaires en vue de la mise en œuvre des mesures de sûreté prescrites par règlement.
Naturellement, cette condition ne figure pas dans la version française. Celle-ci mentionne sim- plement le fait que les mesures que peut prendre le ministre peuvent s'ajouter ou se substituer à celles qui frappent les exploitants d'aérodromes aux termes de l'alinéa 3.7(2)c). À ce propos, il ressort clairement, à mon sens, de l'historique de ce texte de loi qu'il doit être interprété comme suit: le gouverneur en conseil établit d'abord par règle- ment les règles générales devant régir les mesures de sûreté qui seront prises. Les exploitants d'aéro- dromes, ou les propriétaires ou utilisateurs d'aéro- nefs, selon le cas, peuvent alors être tenus de mettre en oeuvre ces mesures de sûreté. Subsidiai- rement, le paragraphe 3.7(4) autorise le ministre à mettre en œuvre les mesures de sûreté établies par règlement.
Avant 1973, il n'existait pas de règlement relatif à la sûreté des aérodromes ou des transports aériens. La Loi sur l'aéronautique a été modifiée
en juillet 1973 (Loi modifiant la Loi sur l'aéro- nautique, S.C. 1973-74, chap. 20) par insertion de l'article 5.1. C'est la disposition qui a précédé l'article 3.7. L'article 5.1 s'appliquait seulement aux propriétaires et exploitants d'aéronefs (et non pas aux exploitants d'aérodromes):
5.1 (1) Le gouverneur en conseil peut établir, pour la pro tection des passagers, des équipages et des aéronefs, des règle- ments imposant aux propriétaires ou exploitants d'aéronefs immatriculés au Canada de prendre et d'exercer, aux aérodro- mes et dans les aéronefs, les mesures de sécurité que peuvent prescrire les règlements en ce qui concerne la surveillance, l'inspection et la fouille des personnes, des effets personnels, des bagages, des biens et du fret.
(2) Afin de protéger les passagers, les équipages et les aéronefs, le Ministre peut, à l'égard des envolées effectuées à partir des aérodromes du Canada, prendre et exercer, aux aérodromes et dans les aéronefs, au lieu ou en plus de celles qui sont imposées en application du paragraphe (1), les mesures de sécurité qui peuvent être prescrites par règlement du gouver- neur en conseil en ce qui concerne la surveillance, l'inspection et la fouille des personnes, des effets personnels, des bagages, des biens et du fret.
C'est au moyen du projet de loi C-128, que le législateur a inséré ces modifications afin d'autori- ser la fouille des personnes et des bagages avant qu'elles ne montent à bord des aéronefs. et que leurs bagages y soient placés. Il n'est pas sans intérêt de lire les commentaires faits par les dépu- tés de l'opposition au moment de la deuxième lecture du projet de loi C-128. Ces derniers, tout en souhaitant l'adoption du projet de loi, esti- maient important qu'une telle atteinte à la vie privée des citoyens canadiens ne soit autorisée que par un texte de loi (Canada, Débats de la Cham- bre des communes, vol. III, 1973, aux pages 3446 et 3447).
Le cinquième rapport du Comité permanent des transports et des communications de la Chambre des communes contient le rapport de l'étude du projet de loi C-128. Il révèle les vives inquiétudes des membres du comité au sujet du coût des mesures de sécurité et de la manière de le recou- vrer. Ainsi, les dispositions législatives proposées habilitaient le gouverneur en conseil à prendre des règlements obligeant les propriétaires et les exploi- tants d'aéronefs à prendre et à exercer des mesures de sécurité, c'est-à-dire à les forcer à les prendre à leurs frais. Toutefois, si les exploitants n'obser- vaient pas les règlements ou si leurs mesures n'étaient pas jugées satisfaisantes par le ministre,
celui-ci aurait le pouvoir de mettre lui-même en oeuvre les mesures de sécurité voulues. Cela ressort clairement des débats du Sénat et des Communes relativement à une autre modification apportée à la Loi, dans le projet de loi S-34. Aux termes de ce projet adopté en juin 1976 [S.C. 1974-75-76, chap. 100], les paragraphes 5.1(1) et (2) de la Loi sur l'aéronautique précités ont été abrogés et rempla- cés par des dispositions d'une portée équivalente mais imposant également des obligations aux pro- priétaires et utilisateurs d'aéronefs immatriculés à l'étranger (l'alinéa 3.7(2)b) actuel). Voir à ce sujet les Débats du Sénat du 18 mai 1976 à la page 2131.
Après qu'eurent été apportées les modifications de 1973 et 1976, les dispositions relatives aux mesures de sûreté sont restées telles quelles jus- qu'au 28 juin 1985. À ce moment-là, le libellé actuel de l'article 3.7 a été adopté. Par suite de cette modification, la portée des obligations a été élargie de sorte qu'il est possible d'obliger les exploitants d'aérodromes et les personnes qui y travaillent à mettre en oeuvre des mesures de sûreté. En outre, est abolie la restriction exprimée par les termes «en ce qui concerne la surveillance, l'inspection et la fouille des personnes, des effets personnels, des bagages, des biens et du fret». Mais rien ne porte à croire que la modification du libellé avait pour but d'attribuer au ministre le pouvoir de prendre des mesures de sûreté au moyen de directives.
À mon avis, le paragraphe 3.7(4) autorise le ministre à mettre en oeuvre les mesures de sûreté qui ont été prescrites par règlement ainsi que les autres mesures accessoires qu'il estime nécessaires pour l'application des règlements, mais il n'habilite pas le ministre à établir, au moyen de directives, ce qui, en vertu de la loi, doit être prescrit par le gouverneur en conseil, par règlement.
Directives ministérielles—Nulles en raison de leur caractère incertain—discriminatoires—ultra vires?
Le Programme d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport, que le ministre a établi, est entré en vigueur le 30 septembre 1987. Comme nous l'avons vu, le programme est censé avoir été
établi conformément au Règlement sur les mesu- res de sûreté aux aérodromes. Voici les passages pertinents de ce document:
1. Une étude sur la sûreté des aéroports et des transporteurs aériens, complétée en septembre 1985, recommandait que toutes les personnes qui doivent avoir accès aux zones régle- mentées d'aéroport ou un aéronef fassent l'objet d'une vérifica- tion de casiers judiciaires et des indices de sécurité. Il était également recommandé que dans le cas de ressortissants étran- gers, un dirigeant de la société représentée s'en porte garant.
2. Le règlement sur la sûreté d'aérodrome confère au Ministre des Transports le pouvoir d'approuver des mesures de sécurité relatives à l'emplacement des zones réglementées, aux laissez- passer pour zones réglementées, à des systèmes d'identification du personnel et à toute procédure d'autorisation connexe. Les exigences du Programme d'Autorisations d'Accès aux Zones Réglementées d'Aéroport (PAAZRA) telles que décrites dans ce document sont des mesures de sûreté approuvées en vertu du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes.
POLITIQUE
5. Toutes les personnes détenant un laissez-passer permanent pour zones réglementées d'aéroport (ex.: un laissez-passer autre que «temporaire» ou de «visiteur») doivent, comme condition pour l'obtention d'un laissez-passer, faire l'objet de vérification de casiers judiciaires et des indices de sécurité.
MODALITÉS
10. Toutes les demandes d'autorisation d'accès aux zones régle- mentées proviennent du Directeur général régional aéroports ou du Gestionnaire (général) de l'aéroport et sont traitées unique- ment par le: Directeur, Renseignements, SECOM et Perfection- nement en sécurité (ABB) Transports Canada .. .
11. La remise et le renouvellement des laissez-passer perma nents se fait de la manière suivante:
a) Nouveaux requérants—aucun laissez-passer ne doit être émis jusqu'à ce que l'autorisation de l'accès aux zones régle- mentées d'aéroport soit approuvée par ABB. Un laissez-pas ser temporaire de zones réglementées peut être émis aux nouveaux requérants pourvu qu'ils fassent l'objet de contrôles de sécurité.
b) Renouvellement des laissez-passer permanents—les lais- sez-passer permanents peuvent être renouvelés à condition que le titulaire ait complété les documents requis permettant ainsi les vérifications de sécurité par ABB. Les laissez-passer renouvelés peuvent être révoqués suite au résultat des vérifi- cations de casiers judiciaires et des indices de sécurité.
c) Un laissez-passer permanent pour zones réglementées ne peut être émis aux personnes qui refusent de compléter les documents nécessaires.
12. Les ressortissants étrangers employés aux aéroports cana- diens par des sociétés ou un gouvernement étranger peuvent recevoir un laissez-passer permanent pourvu que la demande de laissez-passer soit accompagnée d'une lettre signée par un membre de la haute direction de la société ou du gouvernement étranger qui se porte garant du requérant. En sus de la demande, le requérant devra fournir une copie du formulaire,
Immigration 1102, 1208, 1263 ou 1264 lequel contient les détails sur les conditions d'entrée au Canada, sa période de validité et peut indiquer si l'emploi est autorisé.
13. L'autorisation d'accès pour zones réglementées d'aéroports doit être mise à jour au moins une fois tous les cinq ans ou plus souvent, s'il y a motif particulier qu'aura approuvé le ABB. Les gestionnaires/superviseurs sont requis de rapporter immédiate- ment à ABB, tout incident qui pourrait avoir un impact sur l'aptitude d'une personne de détenir un laissez-passer de zones réglementées.
ROLES ET RESPONSABILITÉS
15. Suit l'attribution des rôles et des responsabilités:
a. Directeur des Programmes de politique, planification et législation en matière de sécurité (ABA)
Établit et modifie toutes les politiques, normes et législation ayant trait au système de laissez-passer pour zones réglemen- tées d'aéroport et des procédures reliées aux autorisations de sécurité.
b. Directeur, Renseignement—SECOM et Perfectionnement en sécurité (ABB)—
Élabore et modifie les modalités, coordonne et contrôle le programme de vérification de sécurité. Communique avec les organismes nationaux pour satisfaire aux exigences d'en- quête. A la suite de l'examen des renseignements obtenus concernant un individu et de la consultation si nécessaire du gestionnaire compétent, détermine si son embauche ou une affectation particulière comporte des risques à l'approbation de l'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport. Les recommandations relatives au refus d'accorder l'autori- sation d'accès aux zones réglementées d'aéroport seront sou- mises au Conseil de surveillance des autorisations de sécurité de Transports Canada. Le conseil examinera tous les rensei- gnements obtenus et accordera l'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroports ou recommandera au Sous- ministre que celle-ci soit refusée. Informe le Directeur géné- ral régional Aéroports ou le Gestionnaire (général) de l'aéro- port, des résultats selon le cas.
c. Directeur général régional Aéroports et Gestionnaire (général) d'aéroport
Établit et met en oeuvre le Programme d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport, identifie les postes à l'aéroport qui ont besoin d'une vérification sécuritaire sous ce programme et s'assure que ce besoin est noté sur chaque demande de dotation avant que celle-ci soit soumise au GRAP. Obtient la documentation voulue des personnes qui doivent pénétrer dans les zones réglementées, fournit de l'aide ou des conseils au sujet de cas inhabituels et applique les décisions rendues par le ABB, le AB ou le Sous-ministre. Dans les cas une autorisation d'accès aux zones réglemen- tées est refusée ou révoquée, avise l'employé de son droit d'appel, assigne temporairement d'autres tâches à l'employé, fait son possible pour trouver un autre emploi dans la même localité, soit à l'aéroport ou au sein du ministère, demande avis et conseils au gestionnaire régional de l'Administration du personnel.
FORMULES
17. Tous les requérants d'un laissez-passer permanent de zones réglementées doivent présenter une demande complétée de laissez-passer ... compléter la «Formule de renseignements personnels—Personnel des aéroports» ... fournir leurs emprein- tes digitales ... et signer la formule de «Consentement de divulgation de renseignements personnels» du Conseil du Trésor .... Ces renseignements sont régis par les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le ABB a besoin d'une copie de chaque formule pour effectuer les vérifi- cations de sécurité ...
REFUS/RÉVOCATION
25. Les renseignements défavorables sur les requérants ou les détenteurs d'un laissez-passer aux zones réglementées d'aéro- port seront examinés par le Conseil de surveillance des autori- sations de sécurité de Transports Canada, pour décision concer- nant le refus ou la révocation du laissez-passer par le Sous-ministre, Transports Canada.
MESURES DE REDRESSEMENT
26. Une personne employée du gouvernement fédéral, candi date à un poste avec le gouvernement fédéral- et un entrepre neur qui fait affaire avec le gouvernement fédéral, qui ne sont pas satisfaits de la décision rendue par le Sous-ministre, peu- vent faire appel auprès du Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, comme le précise l'article 42 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. [Texte du paragraphe 26 tel qu'il a été modifié en date du 30 août 1988.] [Non souligné dans le texte original.]
Les demandeurs sont offusqués par le Pro gramme d'autorisation d'accès aux zones régle- mentées d'aéroport parce que la plupart des élé- ments essentiels qu'ils estiment gênants n'y sont pas exprimés explicitement: ils sont tenus de four- nir leurs empreintes digitales; on applique à leur égard une norme d'habilitation de sécurité établie à d'autres fins; on a demandé au SCRS de faire les enquêtes de sécurité et il peut à cette fin avoir une entrevue avec leur employeur, leurs ex-employeurs, leurs amis et leurs voisins; la GRC est chargée de faire une évaluation; le SCRS conserve leurs empreintes digitales dans ses dossiers (pendant toute la durée de leur emploi). Ils sont assujettis à toutes ces exigences qui ne sont énoncées expressé- ment ni dans la loi, ni dans les règlements, ni dans les directives du ministre.
Par surcroît, les demandeurs se plaignent de ce que des aspects fondamentaux du processus d'en- quête puissent être modifiés à volonté. Parmi les éléments qui pourraient être ainsi modifiés, sans même qu'on touche aux directives du ministre, on compte les suivants: les normes auxquelles il faut satisfaire pour obtenir l'habilitation de sécurité; la
décision de se conformer ou non à la norme établie dans la politique du gouvernement sur la sécurité; si l'on se conforme à la politique du gouvernement, le niveau d'habilitation de sécurité qui sera retenu; la participation du SCRS; la façon de disposer des copies des empreintes digitales et les dossiers dans lesquels elles seront conservées; le droit d'une per- sonne de savoir pourquoi l'habilitation de sécurité lui a été refusée; la possibilité pour la personne à qui a été refusée l'habilitation de sécurité (si elle n'est pas un employé du gouvernement ou un candidat à un poste du gouvernement) de réfuter les motifs justifiant le refus; si le droit au réexa- men est accordé, l'organisme ou le groupe de personnes qui sera chargé de cet examen.
Les demandeurs soutiennent que si les modalités de l'enquête avaient été énoncées dans un règle- ment, elles auraient à tout le moins fait l'objet d'une certaine vérification avant d'être décrétées. Ils font observer que, le 6 mars 1986, le gouverne- ment a publié le Code du citoyen: équité en matière de réglementation, dont voici un extrait:
La réglementation gouvernementale restreint les libertés indivi- duelles. Dans une société démocratique, le citoyen doit être informé des décisions de réglementation et doit pouvoir partici- per au processus décisionnel. En outre, il a le droit de connaître la politique et les critères applicables à l'exercice du pouvoir de réglementation afin d'être en mesure de «contrôler ceux qui contrôlent* les organes de réglementation et de juger de la performance du gouvernement à cet égard.
2. Le gouvernement encouragera et facilitera la consultation et la participation entières des Canadiens au processus de régle- mentation fédéral.
3. Le gouvernement fournira aux Canadiens un préavis suffi- sant des projets de, réglementation.
6. Les règles, les sanctions, les mécanismes et les décisions des organes de réglementation auront un fondement juridique solide. [Non souligné dans le texte original.]
Le Code du citoyen: équité en matière de régle- mentation n'a bien sûr pas force de loi. C'est une simple exhortation. Il n'est pas d'un grand secours pour les demandeurs.
Pour répondre aux demandeurs qui se réfèrent au Code et qui soutiennent que, si les modalités d'enquête avaient été énoncées dans un texte légis- latif (loi ou règlement), elles auraient fait l'objet d'un examen plus rigoureux, les défendeurs affir- ment que le ministre est toujours disposé à étudier
les propositions de modification au Programme d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport.
L'avocat des demandeurs soutient que les direc tives ministérielles participent d'une sous-déléga- tion illégale et sont nulles en raison de leur carac- tère imprécis et incertain. Comme nous l'avons vu, elles ne contiennent aucune norme établissant les critères selon lesquels doit être vérifiée la fiabilité des personnes à qui sont accordés ou refusés des laissez-passer pour les zones réglementées; le rôle du SCRS n'y est pas défini; les éléments fonda- mentaux des directives pourraient être modifiés à volonté. Divers fonctionnaires se sont vu confier le soin de tous ces aspects. Selon un autre argument avancé, les directives comporteraient un aspect discriminatoire parce que les fonctionnaires ont le droit de faire examiner le refus de l'habilitation de sécurité, de la part du SCRS, alors que les employés du secteur privé n'ont pas ce droit. En outre, les ressortissants étrangers ne sont pas obli- gés de se soumettre aux mêmes exigences en matière de sûreté que les citoyens et les immi grants reçus.
L'avocat soutient au surplus que les directives établissent une façon de procéder irrégulière parce qu'elles permettent que soit refusée une habilita- tion de sécurité (et par conséquent que soit refusé un emploi) sans les garanties procédurales qu'exi- gent les principes de la justice naturelle. Quant à ce dernier argument, l'avocat des défendeurs affirme qu'il est prématuré pour les demandeurs de soutenir que les directives ne comportent pas, sur le plan de la procédure, de garanties suffisantes pour que soient respectées les règles de la justice naturelle. Il fait remarquer qu'en l'occurrence, il n'y a pas eu en fait inobservation d'un principe de justice naturelle et que, si un tel déni se produisait, la personne visée pourrait demander la révision et l'annulation de la décision conformément à l'arti- cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7.
Si je ne m'abuse, l'avocat soutient que les direc tives du ministre devraient être tenues pour analo gues à un règlement administratif et faire l'objet du même genre d'examen que celui dont est d'ordi- naire l'objet ce type de législation subordonnée. Il s'est reporté aux décisions suivantes: R. v. Sandler, [1971] 3 O.R. 614 (H.C.), Re One Hundred and
Eleven Group Enterprises Ltd. and City of Toronto et al. (1974), 6 O.R. (2d) 210 (C. div.), Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 R.C.S. 368 et Cité de Sillery c. Canadian Petrofina Limited et autres, [1970] R.C.S. 533. Suivant cet argument, si les disposi tions des directives étaient énoncées dans un règle- ment, elles pourraient être contestées aux motifs qu'elles sont nulles en raison de leur caractère imprécis et incertain, qu'elles sont discriminatoires et qu'elles établissent un mécanisme d'examen qui ne tient pas suffisamment compte des principes de justice naturelle.
J'estime l'argument des demandeurs convain- cant. Il me semble à tout le moins que si le ministre était investi du pouvoir, au même titre que le gouverneur en conseil, de prendre, au moyen de directives, les mesures que le gouverneur en conseil peut prendre par règlement, les directives du ministre devraient faire l'objet du même examen rigoureux qu'un règlement. Toutefois, d'après la jurisprudence, sauf erreur, cette analyse ne vaut que si le pouvoir conféré au ministre est d'ordre législatif; elle ne vaut pas dans le cas d'un pouvoir administratif. Aucun précédent ne m'a été soumis qui permette le type d'examen rigoureux de l'exercice du pouvoir administratif dont l'avocat des demandeurs fait état (mis à part la doctrine de l'attente raisonnable, qui ne s'applique pas en l'es- pèce). Puisque, je le répète, je n'interprète pas la Loi sur l'aéronautique comme conférant au minis- tre le pouvoir de prendre, au moyen de directives, des mesures de sûreté comme celles qui sont en cause, il n'est pas nécessaire que je tranche cette question. À mon avis, les dispositions pertinentes de la Loi avaient clairement l'objet suivant: les principes généraux régissant les diverses mesures de sûreté seraient prescrits par règlement. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de pousser plus loin l'examen de cet argument.
Charte canadienne des droits et libertés
L'avocat soutient que les paragraphes 3.7(2) et (4) de la Loi sur l'aéronautique ou les dispositions pertinentes du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes ou le Programme d'autori- sation d'accès aux zones réglementées d'aéroport sont invalides parce qu'ils violent les articles 7 et 8 de la Charte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Il ressort nettement de la jurisprudence, notam- ment de l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, qu'il faut interpréter la Charte de manière à donner effet au but visé et que la notion de «justice fondamentale», à l'article 7, s'entend de l'application régulière de la loi tant sur le plan de la procédure que du fond. Les avocats sont d'accord là-dessus.
Je n'ai pas de difficulté à accepter l'argument selon lequel le programme en question ne satisfe- rait pas au critère de la «justice fondamentale» s'il tombait sous le coup de l'article 7 de la Charte. Les éléments essentiels du programme ne sont pas énoncés; il est imprécis et donne prise à l'arbi- traire; il ne contient pas de garanties expresses quant à l'application régulière de la loi sur le plan de la procédure. Néanmoins, il est difficile de fonder un argument sur l'article 7 ou sur l'article 8 de la Charte. On peut difficilement conclure qu'un droit garanti par la Charte a été aboli. Il est difficile de fonder un argument sur l'article 7 parce que les intérêts des employés en l'espèce ne sont pas aisément assimilables au droit de chacun «à la vie», «à la liberté» ou «à la sécurité de sa personne». C'est enfin avec peine qu'on ferait valoir un argument appuyé sur l'article 8 parce qu'il semble mal à propos d'assimiler les enquêtes menées par le SCRS à des «fouilles, perquisitions ou saisies».
Quant à l'argument fondé sur l'article 7, l'avo- cat voudrait que j'assimile l'intérêt des deman- deurs en l'espèce au droit à la «liberté», comme le tribunal l'a fait dans les affaires Re Mia and Medical Services Commission of British Colum- bia (1985), 17 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.-B.) et Wilson v. British Columbia (Medical Services Commission) (1988), 53 D.L.R. (4th) 171 (C.A.C.-B.). Celles-ci portaient sur des mesures prises par la Medical Services Commission, qui avait le pouvoir de [TRADUCTION] «diriger et administrer directement» le régime provincial d'as- surance maladie. Le médecin qui voulait se faire verser des honoraires en vertu du régime provincial d'assurance maladie devait obtenir un numéro de facturation. Afin d'encourager les médecins à
s'établir dans les régions moins populaires de la province, la commission refusait d'attribuer des numéros de facturation aux nouveaux médecins, dans une région, lorsqu'elle estimait que les méde- cins étaient en trop grand nombre dans cette région. Dans l'affaire Mia, le juge en chef McEa- chern a dit, aux pages 411 et 412:
[TRADUCTION] Selon certains auteurs, la notion de «liberté» de l'art. 7 ne vise que l'absence de captivité et ne s'entend pas de la conduite ou de l'activité humaine; elle ne se rapporte pas aux questions économiques; son sens peut être restreint de diverses manières,
Je me rends bien compte qu'en règle générale, les tribunaux américains sont peu disposés à intervenir dans les décisions législatives en matière économique. Je conviens qu'il s'agit de la règle générale, mais je n'ai pas à statuer en l'espèce sur une loi dûment promulguée et même si c'était le cas, il y a ...
Parmi les droits dont nous jouissons depuis des siècles, on compte le droit d'exercer le métier ou la profession pour laquelle nous avons les titres requis, et celui de nous: déplacer librement dans toutes les régions du pays à cette fin. [Non souligné dans le texte original.]
Il ressort nettement de cette décision que le droit à la liberté reconnu par la Cour ne découlait pas du droit de travailler ou d'exercer une activité lucrative mais plutôt du droit de se déplacer dans tout le pays, qui est garanti par l'article 6 de la Charte et dont l'exercice était interdit par le sys- tème de facturation mis sur pied par la commission en Colombie-Britannique.
Dans l'affaire Wilson, le tribunal a posé la question dans les termes suivants à la page 182:
[TRADUCTION] ... si la notion de «liberté» de l'art. 7 est suffisamment large pour comprendre la possibilité pour un médecin diplômé d'exercer la médecine en Colombie-Britanni- que sans contrainte d'ordre géographique ou de temps ou quant au but qu'il se propose, bien que le droit qu'il fait valoir comporte accessoirement un aspect économique. [Non souligné dans le texte original.]
La Cour analyse ensuite la jurisprudence, aux
pages 183 187, puis conclut, aux pages 186 et 187:
[TRADUCTION] Résumons: Le terme «liberté» employé dans le contexte de l'art. 7 n'est pas limité à la simple absence de contrainte physique. Il ne s'entend toutefois pas de la protection des biens ou de droits purement économiques. Il peut viser la liberté d'établissement, y compris le droit de choisir son métier et le lieu de son exercice, sous réserve du droit de l'État de restreindre les activités des personnes dans des limites qui soient justifiées et raisonnables, en conformité avec les princi- pes de justice fondamentale.
Le juge de première instance a dit que la question concernait le «droit de travailler» (une question purement économique), alors qu'il aurait s'arrêter à un aspect plus important de la liberté, soit le droit d'occuper un emploi ou d'exercer une profession (une question touchant la dignité et l'estime de soi-même).
Le gouvernement a décrété, en fait, qu'ils ne peuvent pas exercer la médecine sans avoir un numéro, et que tout numéro qui leur sera attribué restreindra leur droit de se déplacer. Leur lieu de résidence sera déterminé en fonction d'une restriction géographique et un numéro de remplaçant ne leur permettra que temporairement d'exercer leur profession et les obligera à se déplacer d'un lieu à un autre et d'un bureau à un autre. [Non souligné dans le texte original.]
À mon avis, ces précédents ne sont d'aucune utilité pour les demandeurs. Le programme qui a été établi en l'occurrence ne constitue pas une entrave à la liberté d'établissement. Le droit de se déplacer n'est pas restreint. La situation des demandeurs est plus facilement assimilable aux affaires mettant en cause le «droit travailler», invoqué dans la jurisprudence précitée, dans laquelle il a été décidé que les droits purement économiques ou le «droit de travailler» ne sont pas visés par l'article 7.
L'avocat soutient que le concept de «sécurité de la personne» de l'article 7 comprend le droit à la vie privée et que, dans ce sens, les droits des demandeurs ont été violés. Il s'est référé aux arrêts R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177 et R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417. L'affaire Morgentaler trai- tait bien sûr de la répression pénale de l'avorte- ment. On trouve dans le sommaire de l'arrêt les décisions du juge Lamer et du juge en chef Dick- son relativement aux types d'intérêts que vise l'article 7 [aux pages 32 et 33]:
L'atteinte que l'État porte à l'intégrité physique et la tension psychologique causée par l'État, du moins dans le contexte du droit criminel, constituent une violation de la sécurité de la personne ... Forcer une femme, sous la menace d'une sanction criminelle, à mener le foetus à terme, à moins qu'elle ne remplisse certains critères indépendants de ses propres priorités et aspirations, est une ingérence profonde à l'égard de son corps et donc une atteinte à la sécurité de sa personne.
Les décisions du juge Beetz et du juge Estey y sont également résumées la page 34]:
L'expression «sécurité de la personne», au sens de l'art. 7 de la Charte, doit inclure le droit au traitement médical d'un état dangereux pour la vie ou la santé, sans menace de répression pénale. Si une loi du Parlement force une femme enceinte dont
la vie ou la santé est en danger à choisir entre, d'une part, la perpétration d'un crime pour obtenir un traitement médical efficace en temps opportun et, d'autre part, un traitement inadéquat, voire aucun traitement, son droit à la sécurité de sa personne a été violé.
Dans l'affaire Singh, les intérêts en cause étaient les menaces de mort ou d'atteinte à l'intégrité physique auxquelles des personnes expulsées seraient exposées dans leur pays d'origine.
Je ne peux pas conclure que les intérêts des demandeurs correspondent à ceux sur lesquels la Cour a statué dans les arrêts Morgentaler et Singh. On ne peut certainement pas qualifier leur situation de «traumatisme psychologique infligé par l'État» (voir la page 55 de l'arrêt Morgenta- ler). De toute évidence, les demandeurs sont offus- qués parce que les fonctionnaires du SCRS sont autorisés à rassembler beaucoup de renseigne- ments sur leur vie privée et qu'ils pourraient inter- roger leurs voisins et leurs amis. Je ne pense cependant pas que l'on puisse affirmer que la «sécurité de la personne» inclut le droit d'être soustrait à de telles enquêtes, même si ce concept comprend, comme l'affirme l'avocat, le droit à la vie privée. Les tribunaux, du moins jusqu'à main- tenant, ne sont pas allés jusque là.
Dans l'affaire Dyment, l'argument invoqué repo- sait sur l'article 8 de la Charte. Il s'agissait d'un médecin qui avait prélevé un échantillon de sang sur un patient inconscient et l'avait remis à un policier. Le juge La Forest s'est exprimé dans ces termes, aux pages 426 430:
. le droit conféré par la common law de ne pas être soumis à des fouilles, à des perquisitions et à des saisies abusives, avait pour effet de protéger la vie privée des particuliers. Dans cette optique, il ne devrait pas être surprenant qu'un droit, enchâssé dans la Constitution, de ne pas être soumis à des fouilles, à des perquisitions et à des saisies abusives, devrait être interprété en fonction de l'objet qui le sous-tend, sans être restreint mainte- nant par les outils techniques originairement conçus pour garantir la réalisation de cet objet. Quoi qu'il en soit, cette Cour, dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., a clairement jugé, pour reprendre les termes du juge Dickson, que l'art. 8 a pour objet «de protéger les particuliers contre les intrusions injusti- fiées de l'Etat dans leur vie privée» (précité, à la p. 160) et qu'il devait être interprété largement pour réaliser cette fin, sans que l'on soit inhibé par l'attirail historique qui lui a donné nais- sance. [Non souligné dans le texte original.]
Le point de vue qui précède est tout à fait approprié dans le cas d'un document constitutionnel enchâssé à une époque où, selon ce que nous dit Westin, la société a fini par se rendre compte que la notion de vie privée est au cœur de celle de la
liberté dans un État moderne; voir Alan F. Westin, Privacy and Freedom (1970), aux pp. 349 et 350. Fondée sur l'autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien-être. Ne serait-ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l'ordre public. L'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l'essence même de l'État démocratique.
Naturellement, un équilibre doit être établi entre les revendi- cations en matière de vie privée et les autres exigences de la vie en société, et en particulier celles de l'application de la loi, et c'est justement ce que l'art. 8 vise à réaliser. Comme l'affirme le juge Dickson, dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, aux pp. 159 et 160:
La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonnablement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi.
Enfin il y a le droit à la vie privée en matière d'information. Cet aspect aussi est fondé sur la notion de dignité et d'intégrité de la personne. Comme l'affirme le groupe d'étude la p. 13): «Cette conception de la vie privée découle du postulat selon lequel l'information de caractère personnel est, propre à l'inté- ressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l'entend.» Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une impor tance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent on se doit de protéger les attentes raisonnables de l'individu que ces rensei- gnements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu'ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués. Tous les paliers de gouverne- ment ont, ces dernières années, reconnu cela et ont conçu des règles et des règlements en vue de restreindre l'utilisation des données qu'ils recueillent à celle pour laquelle ils le font; voir, par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111.
Une dernière remarque d'ordre général s'impose, à savoir que si le droit à la vie privée de l'individu doit être protégé, nous ne pouvons nous permettre de ne faire valoir ce droit qu'après qu'il a été violé. Cela est inhérent à la notion de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. 11 faut empê- cher les atteintes au droit à la vie privée et, lorsque d'autres exigences de la société l'emportent sur ce droit, il doit y avoir des règles claires qui énoncent les conditions dans lesquelles il peut être enfreint.
Je n'interprète pas ces observations comme allant jusqu'à considérer les enquêtes policières
comme une atteinte au droit à la vie privée que garantit la Constitution si ces enquêtes ne compor- tent pas d'ingérence par force dans les biens de la personne visée ou de violence à son endroit (ou à l'endroit d'autres personnes). Je ne pense pas que les enquêtes que l'on fait en l'espèce puissent être tenues pour des fouilles, des perquisitions ou des saisies au sens de l'article 8 ni qu'elles soient visées par l'article 7 au regard du concept du droit à la vie privée supposer que le droit à la vie privée corresponde au concept de «la sécurité de la per- sonne» dans cet article).
L'avocat soutient toutefois que la prise des empreintes digitales des demandeurs constituait une fouille, une perquisition et une saisie abusives. Cette situation serait analogue au prélèvement d'un échantillon de sang sur le patient qui a été fait dans l'affaire Dyment. D'après lui, on ne peut pas affirmer que ces «fouilles, perquisitions et sai- sies» ont été faites avec le consentement des per- sonnes visées, vu les circonstances dans lesquelles les empreintes ont été prises. Dans l'arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, la Cour suprême a examiné la possibilité que la prise d'empreintes digitales constitue une fouille, une perquisition ou une saisie. À la page 414, le juge La Forest dit ce qui suit:
L'article 8 garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. À supposer qu'on puisse considérer le prélèvement d'empreintes digitales comme une fouille (une opinion rejetée dans les affaires qui en traitent; voir R. v. McGregor (1983), 3 C.C.C. (3d) 200 (H.C. Ont.), et Re M. H. and The Queen (No. 2) (1984), 17 C.C.C. (3d) 443) (B.R. Alb.) conf. sans motifs écrits (1985), 21 C.C.C. (3d) 384 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi en cette Cour accordée le 19 septembre 1985, [1985] 2 R.C.S. ix), il semble clair que la prise des empreintes digitales n'est pas déraisonnable dans les présentes espèces pour les mêmes raisons qu'il ne viole pas les principes de justice fondamentale.
À mon sens, même si la prise des empreintes digitales était faite sans le consentement des inté- ressés en l'occurrence, je ne pourrais tout de même pas conclure qu'il soit déraisonnable d'exiger qu'el- les soient fournies. Je ne pense pas qu'il s'agirait d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie abusives. Je pense aussi qu'il s'agit manifestement du type d'exigence qui pourrait être considérée comme une limite raisonnable et dont la justifica tion peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Elle serait donc visée par l'exemption prévue à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.
Pour les raisons énoncées ci-dessus, une ordon- nance sera prononcée, accordant aux demandeurs la réparation sollicitée.
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