T-2427-89
Trainor Surveys (1974) Limited (demanderesse)
c.
Province du Nouveau-Brunswick, province de
l'Ïle-du-Prince-Edouard, province de la Nouvelle-
Écosse, Conseil des premiers ministres des mariti-
mes et Service du cadastre et de l'information
foncière (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: TRAINOR SURVEYS (1974) LIMITED C. NOUVEAU-
BRUNSWICK (1' ° INST.)
Section de première instance, juge McNair—Hali-
fax, 13 février; Ottawa, 1°' mars 1990.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — Action en violation du droit d'auteur intentée
contre des Couronnes provinciales — Requête en rejet pour
défaut de compétence — Le fait que la Cour fédérale a
compétence concurrente avec les tribunaux provinciaux pour
connaître d'actions civiles en violation du droit d'auteur ne
suffit pas à lui attribuer compétence — Une disposition
expresse, qu'elle se trouve dans la loi provinciale ou dans les
lois sur les procédures contre la Couronne provinciale, s'im-
pose compte tenu de l'immunité traditionnelle des Couronnes
provinciales et de leurs organismes dans les procès intentés
devant la Cour fédérale et du fait que celle-ci est une cour
créée par la loi.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — L'action en violation du droit d'auteur intentée
contre les Couronnes provinciales est rejetée pour défaut de
compétence ratione personae — La position préférentielle que
la théorie de l'immunité de la Couronne accorde à cette
dernière en matière de procès va-t-elle à l'encontre de l'art.
15(1) de la Charte? — Ni la société demanderesse ni les
Couronnes défenderesses ne sont des «individuels» aux fins de
l'art. 15(1) de la Charte.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Action en violation du droit d'auteur intentée
contre des Couronnes provinciales — L'art. 7 de la Charte ne
s'applique pas puisque la question de la violation du droit
d'auteur concerne des droits de propriété ou des droits
économiques.
Droit d'auteur — Violation — L'action intentée devant la
Cour fédérale contre les Couronnes provinciales et leurs orga-
nismes est rejetée pour défaut de compétence ratione personae.
Couronne — Prérogatives — L'action en violation du droit
d'auteur intentée contre les Couronnes provinciales et leurs
organismes est rejetée pour défaut de compétence ratione
personae — Aucune disposition législative fédérale ou provin-
ciale n'a expressément abrogé l'immunité traditionnelle de la
Couronne provinciale dans les actions intentées devant la Cour
fédérale.
Pratique — Rejet d'actions — Défaut de compétence — Une
requête en rejet n'est pas analogue à une requête en radiation
— La question de la compétence, qui est une question de pur
droit, doit être jugée en toute objectivité sans tenir compte de
considérations qui pourraient s'appliquer dans le cas d'une
requête en radiation.
Il s'agit en l'espèce de statuer sur une question de droit, à
savoir si la Cour a compétence pour connaître de l'action en
violation du droit d'auteur intentée par la demanderesse contre
trois Couronnes provinciales et deux de leurs organismes, et sur
une requête en rejet pour défaut de compétence. Les défendeurs
soutiennent que la Cour n'a pas compétence ration personae,
bien qu'elle ait compétence concurrente pour connaître des
actions civiles en violation du droit d'auteur en vertu de l'article
37 de la Loi sur le droit d'auteur et du paragraphe 20(2) de la
Loi sur la Cour fédérale. Les provinces invoquent respective-
ment leurs lois sur les procédures contre la Couronne provin-
ciale. Elles prétendent que la Cour fédérale ne peut avoir
compétence à l'égard des provinces que dans la mesure où cette
compétence lui a été expressément attribuée par une loi provin-
ciale, compte tenu de l'immunité traditionnelle des Couronnes
provinciales dans les procès intentés devant la Cour fédérale, et
que les mandataires de la Couronne sont assujettis aux mêmes
restrictions que les Couronnes provinciales respectives en
matière de compétence. La demanderesse soutient que le tribu
nal doit être convaincu qu'il est «évident que l'action ne peut
réussir», établissant une analogie entre une requête en rejet et
une requête en radiation. En dernier lieu, la demanderesse fait
valoir que la position préférentielle que la théorie de l'immunité
de la Couronne accorde à celle-ci va à l'encontre du paragraphe
15(1) de la Charte. Elle prétend que la Couronne est une
personne physique qui possède la même capacité de contracter
que quiconque, et que les personnes morales sont des «indivi-
duels» et ont le droit d'être protégées contre la discrimination,
droit garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte.
Jugement: la Cour n'a pas compétence pour connaître de
l'action en violation du droit d'auteur intentée par la demande-
resse. La requête en rejet devrait être accueillie.
La question de la compétence, qui est une question de pur
droit, doit être jugée en toute objectivité, sans tenir compte de
considérations qui pourraient s'appliquer dans le cas d'une
requête en radiation.
La Cour fédérale est une cour qui a été créée par la loi et sa
compétence est définie et limitée par la Loi sur la Cour
fédérale. Le simple fait que la Cour fédérale a compétence
concurrente avec les tribunaux provinciaux pour connaître des
questions en cause ne suffit pas à conférer à la Cour la
compétence pour connaître de l'espèce en l'absence d'une dispo
sition expresse à cet égard, qu'elle se trouve dans la loi fédérale
ou dans les lois sur les procédures contre la Couronne.
L'article 7 de la Charte ne s'applique pas puisque l'objet de
la demande ne concerne que des droits de propriété ou des
droits économiques. Le nœud de tout le litige consiste à savoir
si la demanderesse et la Couronne sont visées par le paragraphe
15(1) de la Charte. Il a été statué que tant les personnes
morales que la Couronne ne sont pas des «individuels» aux fins
du paragraphe 15(1).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 15.
Crown Proceedings Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. C-31, art.
7.
Loi sur la compétence des tribunaux fédéraux, L.R.N.-B.
1973, chap. F-8, art. 1 (mod. par L.N.-B. 1979, chap.
41, art. 51; 1982, chap. 3, art. 28).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
20.
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, art.
37.
Loi sur les procédures contre la Couronne, L.R.N.-B.
1973, chap. P-18, art. 6 (mod. par L.N.-B. 1979, chap.
41, art. 98), 21.
Proceedings against the Crown Act, R.S.N.S. 1967, chap.
239, art. 9, 24(1), 25.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
401, 419, 474(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick
c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F.
13; (1985), 60 N.R. 203 (C.A.); Canadian Javelin Ltd. c.
La Reine du chef de Terre-Neuve, [1978] 1 C.F. 408;
(1977), 77 D.L.R. (3d) 317 (C.A.); Avant Inc. c. R.,
[1986] 2 C.F. 91; 25 D.L.R. (4th) 156; 8 C.P.R. (3d)
418; 1 F.T.R. 270 (1' inst.); Union Oil Co. of Canada
Ltd. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 74; (1975), 72 D.L.R.
(3d) 81 (C.A.); pourvoi devant la Cour suprême du
Canada rejeté [1976] 2 R.C.S. V; R. v. Stoddart (1987),
37 C.C.C. (3d) 351; 20 O.A.C. 365 (C.A. Ont.);
Rudolph Wolff & Co. v. Canada (1987), 26 C.P.C. (2d)
166 (H.C. Ont.) confirmé le 7 mars 1988 par C.A. Ont.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Dywidag Systems International Canada Limited v. Zut-
phen Brothers Construction Limited (1987), 76 N.S.R.
(2d) 398; 35 D.L.R. (4th) 433; 189 A.P.R. 398; 17
C.P.C. (2d) 149; 29 C.R.R. 6 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général
(Québec), [1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d)
403; 5 N.R. 271; Procureur général du Québec c.
Labrecque et autres, [1980] 2 R.C.S. 1057; (1980), 81
C.L.L.C. 14,119; Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc.,
[1987] 4 W.W.R. 279; (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 116
(C.A. C.-B.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C.
refusée [1987] 1 R.C.S. vii; (1987), 81 N.R. 240.
DÉCISIONS CITÉES:
Page c. Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd., [1972]
C.F. 1141; (1972), 29 D.L.R. (3d) 236 (C.A.); R. c.
Wilfrid Nadeau Inc., [1973] C.F. 1045 (C.A.); Andrews
c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143;
(1989), 56 D.L.R. (4th) l; [1989] 2 W.W.R. 289; 34
B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.
AVOCATS:
W. Wylie Spicer pour la demanderesse.
John D. Murphy pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Eddy & McElman, Fredericton, pour la
demanderesse.
Stewart MacKeen & Covert, Halifax, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de la décision rendus par
LE JUGE MCNAIR: En l'espèce, le litige porte
sur la question de savoir si la Cour n'a pas compé-
tence pour connaître de l'action intentée par la
demanderesse contre les Couronnes provinciales
respectives et deux de leurs organismes pour viola
tion présumée d'un droit d'auteur en raison des
qualités de leurs personnes ou, comme le dit la
maxime, ratione personae. La requête des défen-
deurs est présentée en vertu des Règles 401c) et
474(1)a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663], dont voici le libellé:
Règle 401. Un défendeur peut, avec la permission de la Cour,
déposer un acte de comparution conditionnelle en vue de soule-
ver une objection
c) quant à la compétence de la Cour, et une ordonnance
accordant cette permission doit prévoir toute suspension
d'instance nécessaire pour permettre de soulever cette objec
tion et de statuer à son sujet.
Règle 474. (I) La Cour pourra, sur demande, si elle juge
opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour
la décision d'une question, ...
Le 12 décembre 1989, la Cour a prononcé une
ordonnance accordant aux défendeurs la permis
sion de déposer une acte de comparution condi-
tionnelle et suspendant l'instance jusqu'à ce qu'il
ait été statué sur l'exception d'incompétence. La
présente instance nécessite une décision sur un
point de droit relatif à la compétence. Les défen-
deurs soutiennent essentiellement que notre Cour
n'a pas compétence ratione personae à l'égard de
chacun des défendeurs désignés dans l'action de la
demanderesse. De même, il semble admis que la
Cour a compétence concurrente sur l'objet de l'ac-
tion de la demanderesse, à savoir, la violation d'un
droit d'auteur. L'article 37 de la Loi sur le droit
d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, dispose:
37. La Cour fédérale, concurremment avec les tribunaux
provinciaux, a juridiction pour instruire et juger toute action,
poursuite ou procédure civile intentée pour infraction à une
disposition de la présente loi ou pour l'application des recours
civils que prescrit la présente loi.
Le paragraphe 20(2) de la Loi sur la Cour
fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, est ainsi
libellé:
20....
(2) La Section de première instance a compétence concur-
rente dans tous les autres cas de recours sous le régime d'une loi
fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le
paragraphe (1) relativement à un brevet d'invention, un droit
d'auteur, une marque de commerce ou un dessin industriel.
Le paragraphe 20(1) de la Loi confère à la Section
de première instance une compétence exclusive
notamment en matière d'enregistrement d'un droit
d'auteur ou d'inscription, de radiation ou de modi
fication dans un registre de droits d'auteur. De
toute évidence, les réclamations de la demande-
resse ne sont pas visées par les termes exclusifs du
paragraphe 20(1) de la Loi.
Je considère que les faits articulés par la deman-
deresse dans sa déclaration doivent être tenus pour
avérés aux fins de l'exception d'incompétence sou-
levée par les défendeurs. Aux paragraphes 2, 3 et 4
de sa déclaration, la demanderesse formule des
réclamations contre les trois provinces désignées en
se fondant sur leurs lois respectives concernant les
poursuites contre l'État. Au paragraphe 5, la
demanderesse allègue que le Conseil des premiers
ministres des Maritimes était, durant l'époque en
cause, le mandataire des provinces défenderesses
et, au paragraphe 6, elle allègue que le Service du
cadastre et de l'information foncière était le man-
dataire des provinces défenderesses et du Conseil
des premiers ministres des Maritimes. Aux para-
graphes 7 à 12 inclusivement, la demanderesse
allègue que les défendeurs ont violé le droit d'au-
teur qu'elle possède sur les cartes et sur les plans et
qu'ils les ont détournés, causant de ce fait un
préjudice et des dommages à la demanderesse. Au
paragraphe 13, la demanderesse réclame les répa-
rations habituellement demandées en matière de
violation du droit d'auteur, notamment, une
injonction, une déclaration de droit de propriété du
droit d'auteur, des dommages-intérêts pour viola
tion du droit d'auteur et détournement et une
reddition de comptes à l'égard des profits.
La première défenderesse, la province de la
Nouvelle- Écosse, fonde son exception d'incompé-
tence ratione personae sur la Proceedings against
the Crown Act, R.S.N.S. 1967, chap. 239, et plus
particulièrement sur les articles 9, 24(1) et 25, qui
sont ainsi conçus:
[TRADUCTION] 9 Les poursuites contre la Couronne doivent
être engagées devant la Cour suprême ou la Cour de comté.
24 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi,
les poursuites contre la Couronne sont abolies.
25 Sauf disposition contraire de la présente loi, les disposi
tions de la présente loi l'emportent sur les dispositions incompa
tibles de toute autre loi.
La deuxième défenderesse, la province du Nou-
veau-Brunswick, adopte un position semblable en
ce qui concerne la compétence ratione personae.
Les articles 6 [mod. par L.N.-B. 1979, chap. 41,
art. 98] et 21 de la Loi sur les procédures contre la
Couronne, L.R.N.-B. 1973, chap. P-18, prévoient
ce qui suit:
6 Sous réserve des dispositions particulières de la présente loi,
les procédures contre la Couronne peuvent être intentées devant
la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick et condui-
tes conformément à la Loi sur l'organisation judiciaire.
21 Il ne peut être engagé de procédures contre la Couronne que
dans les cas prévus par la présente loi.
Aux termes du paragraphe 2(1), la Loi est assujet-
tie notamment à la Loi sur la compétence des
tribunaux fédéraux, L.R.N.-B. 1973, chap. F-8.
L'article premier [mod. par. L.N.-B. 1979, chap.
41, art. 51; 1982, chap. 3, art. 28] de la Loi dit
tout et est ainsi conçu:
1 Conformément aux dispositions des lois du Parlement du
Canada, à savoir la Loi sur la Cour suprême et la Loi sur la
Cour fédérale, la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale
du Canada ou la Cour suprême du Canada seule ont
compétence
a) dans les litiges survenant entre le Canada et la province
du Nouveau-Brunswick;
b) dans les litiges survenant entre la province du Nouveau-
Brunswick et toute autre province du Canada qui a adopté ou
peut adopter ultérieurement une loi semblable à celle-ci;
c) dans les poursuites, actions ou procédures dans lesquelles
les parties ont soulevé, par leurs plaidoiries, la question de la
validité d'une loi du Parlement du Canada ou d'une loi de la
Législature de la province du Nouveau-Brunswick et lorsque
la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick estime
qu'il s'agit d'une question essentielle, auquel cas elle doit, à
la demande des parties, et peut, en l'absence de cette
demande, ordonner le renvoi de la cause devant la Cour
suprême du Canada pour qu'il soit statué sur la question.
La troisième défenderesse, la province de
l'Île-du-Prince-Édouard, invoque la Crown Pro
ceedings Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. C-31, modi-
fiée. Voici le libellé de l'article 7 de cette Loi, à
l'exclusion des renvois:
[TRADUCTION] 7. Sous réserve des autres dispositions de la
présente loi, toutes les poursuites contre la Couronne devant la
Cour suprême de 1'Île-du-Prince-Edouard doivent être intentées
et conduites conformément à la Judicature Act...
Suivant les définitions des trois lois provinciales
relatives aux poursuites contre la Couronne, on
entend par «Couronne» «la Couronne du chef de la
province». La Loi sur les procédures contre la
Couronne du Nouveau-Brunswick assimile les
sociétés d'État à la Couronne dans sa définition du
mot «Couronne». Les articles de définition des trois
lois déclarent expressément que la Couronne n'est
pas une «personne».
La question de la compétence elle-même
On peut résumer comme suit les prétentions
formulées par les défendeurs sur cette question:
1. La Cour fédérale ne peut avoir compétence à
l'égard des trois provinces que dans la mesure
où cette compétence lui a été expressément
attribuée par une loi provinciale, compte tenu
également de l'immunité traditionnelle de la
Couronne du chef des provinces dans les procès
intentés devant la Cour fédérale et du fait que
les dispositions générales de la Loi sur la Cour
fédérale, visant la compétence ratione mate-
riae, n'avaient pas pour but de supprimer cette
immunité: Avant Inc. c. R., [1986] 2 C.F. 91
(1" inst.); et Union Oil Co. of Canada Ltd. c.
La Reine, [1976] 1 C.F. 74 (C.A.) [pourvoi
devant la Cour suprême du Canada rejeté
[1976] 2 R.C.S. y].
2. Le fait que la loi de l'Île-du-Prince-Édouard
exige seulement que les actions contre la Cou-
ronne provinciale soient intentées et conduites
conformément aux dispositions de la Judicature
Act ne change en rien la situation d'immunité
de common law de la Couronne en matière de
procès intentés devant les tribunaux autres que
ceux de la province. La Loi sur la compétence
des tribunaux fédéraux du Nouveau-Brunswick
ne s'applique pas en l'espèce, étant donné qu'il
n'est pas question d'un litige entre le Canada et
le Nouveau-Brunswick ou entre cette province
et toute autre province qui peut avoir édicté une
loi semblable, et la constitutionnalité d'une loi
du Parlement fédéral ou de la Législature de la
province n'est pas contestée dans la présente
action.
3. Il faut considérer comme prouvées les alléga-
tions des paragraphes 5 et 6 de la déclaration
relatives au mandat qui existe entre le Conseil
des premiers ministres des Maritimes et le Ser
vice du cadastre et de l'information foncière.
Dans les trois provinces, les poursuites contre
les mandataires de la Couronne sont assimilées
à des poursuites contre la Couronne. Il s'ensuit
donc que ces mandataires de la Couronne, le
Conseil des premiers ministres des Maritimes et
le Service du cadastre et de l'information fon-
cière, sont assujettis aux mêmes restrictions que
les Couronnes provinciales respectives en
matière de compétence.
Sur la question de la compétence, la demande-
resse adopte le point de vue selon lequel une
requête en radiation pour défaut de compétence est
analogue à une requête en radiation fondée sur la
Règle 419 des Règles de la Cour fédérale, étant
donné que le tribunal doit être convaincu qu'il
[TRADUCTION] «est évident que l'action ne peut
réussir». La demanderesse prétend qu'il faut tenir
compte de la question de savoir si l'on a établi que
la cause de la demanderesse est sans espoir à cause
du défaut de compétence.
Il ne me paraît pas possible d'établir une telle
analogie entre les affaires qui soulèvent la question
pure et simple de l'incompétence de la Cour et
celles qui ont trait aux requêtes en radiation fon-
dées sur la Règle 419. À mon avis, la question de
la compétence, qui est une question de pur droit,
doit être jugée en toute objectivité sans tenir
compte de considérations qui pourraient s'appli-
quer dans le cas d'une requête en radiation Page c.
Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd., [1972]
C.F. 1141 (C.A.); et R. c. Wilfrid Nadeau Inc.,
[1973] C.F. 1045 (C.A.).
Il convient d'observer au départ que la Cour
fédérale du Canada est une cour créée par la loi et
que sa compétence est définie et limitée par la loi
qui l'a créée. Dans l'arrêt Commission d'énergie
électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime
Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13
(C.A.), le juge Stone, qui prononçait le jugement
de la Cour à la suite d'une requête en sursis
d'exécution d'une ordonnance en attendant l'issue
d'un appel, a déclaré à la page 25:
La prétention voulant que la Cour possède le pouvoir inhé-
rent de surseoir à l'exécution de l'ordonnance de l'Office peut
être réglée rapidement. La Cour fédérale, contrairement à une
cour supérieure d'une province, est une cour créée par la loi.
Par conséquent, son pouvoir de connaître des litiges et de les
trancher doit se fonder sur les termes qu'a utilisés le Parlement
en lui accordant ce pouvoir.
Dans l'arrêt Canadian Javelin Ltd. c. La Reine
du chef de Terre-Neuve, [1978] 1 C.F. 408
(C.A.), la Cour a rejeté l'appel interjeté de la
décision par laquelle le juge de première instance
avait rejeté, pour défaut de compétence, une action
intentée par trois compagnies contre la province de
Terre-Neuve. Le juge en chef Jackett a déclaré ce
qui suit, à la page 409:
À mon avis, il est reconnu en droit que la Couronne ne peut
être poursuivie devant un tribunal pour une demande de redres-
sement faite contre Elle sauf dans le cas où le tribunal s'est vu
attribuer la compétence statutaire pour connaître des demandes
d'une catégorie spécifique formulées contre la Couronne.
À mon avis, le simple fait que la Cour fédérale a
compétence concurrente avec les tribunaux provin-
ciaux pour connaître d'actions civiles en violation
du droit d'auteur ne suffit pas à conférer à la Cour
la compétence pour connaître du présent procès
intenté contre les Couronnes provinciales et les
organismes provinciaux désignés comme défen-
deurs en l'absence d'une disposition expresse en ce
sens, qu'elle se trouve dans la loi fédérale ou dans
les lois relatives aux poursuites contre la Couronne
de chacune des trois provinces. Je souscris au
raisonnement formulé par le juge Collier dans le
jugement Avant Inc. c. R., précité, et, pour le
paraphraser, je conclus que «pour pouvoir saisir
notre Cour d'une action contre la Couronne pro-
vinciale, il faut [...] qu'il existe une disposition
législative permettant d'engager [. ..] des poursui-
tes». Or dans le cas qui nous occupe il n'en existe
aucune. Je suis également d'avis que la tradition-
nelle immunité de la Couronne provinciale et de
ses organismes en matière de procès devant la
Cour fédérale n'a pas été supprimée en l'espèce
par les dispositions générales de la Loi sur la Cour
fédérale relatives à la compétence concurrente
ratione materiae à l'égard du droit d'auteur, sui-
vaut le principe posé dans l'arrêt Union Oil Com
pany c. La Reine, précité.
Le paragraphe 15(1) de la Charte
Les défendeurs affirment que la demanderesse
ne peut invoquer l'article 7 ou le paragraphe 15(1)
de la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] à l'appui de son présumé droit
de saisir la Cour fédérale de son action en violation
du droit d'auteur. En fait, il semble acquis aux
débats que l'article 7 de la Charte ne s'applique de
toute façon pas parce que l'objet de la demande ne
concerne que des droits de propriété ou des droits
économiques. Quant au paragraphe 15(1) de la
Charte, les défendeurs prétendent que la mention
explicite des termes «every individual» dans la
version anglaise de ce paragraphe empêche les
personnes morales de se prévaloir des droits à
l'égalité qui y sont garantis, citant à l'appui l'arrêt
Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc., [1987] 4
W.W.R. 279 (C.A. C.-B.) [autorisation d'interje-
ter appel devant la Cour suprême du Canada
refusée [1987] 1 R.C.S. vii]. Prévoyant que la
demanderesse invoquerait l'arrêt Dywidag Sys
tems International Canada Limited v. Zutphen
Brothers Construction Limited (1987), 76 N.S.R.
(2d) 398 (C.A.), les défendeurs ont prétendu qu'on
peut établir une distinction entre la présente
affaire et l'affaire Zutphen, en ce que le litige ne
porte pas, comme dans cette dernière, sur une
accusation de fausse déclaration faite avec négli-
gence à l'égard d'un contrat conclu entre deux
personnes, et que dans cette dernière affaire, les
défendeurs avaient tenté avec succès de mettre la
Couronne fédérale en cause en vertu du paragra-
phe 15(1) de la Charte. Les défendeurs soulignent
que le raisonnement à la base de l'arrêt Zutphen
était la discrimination faite sur le plan procédural
entre le particulier et la Couronne relativement à
un litige perçu comme le résultat de l'attribution
d'une compétence exclusive à la Cour fédérale en
vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale.
Les défendeurs prétendent que la présente affaire
n'est pas analogue à la situation où une partie peut
en assigner une autre devant un tribunal devant
lequel l'autre partie ne possède pas un droit réci-
proque de poursuite. En outre, on prétend que les
dispositions législatives fédérales applicables en
l'espèce, à savoir le paragraphe 20(2) de la Loi sur
la Cour fédérale et l'article 37 de la Loi sur le
droit d'auteur, ne confèrent à la Cour fédérale
qu'une compétence concurrente, de telle sorte que
tout moyen tiré de la discrimination doit certaine-
ment échouer. Finalement, les défendeurs font
valoir que l'article 15 n'a pas pour but d'obliger les
législateurs provinciaux à conférer une compétence
à des tribunaux qui ne relèvent pas de leurs limites
territioriales ou de leur ressort, en l'espèce à la
Cour fédérale du Canada.
La demanderesse table beaucoup sur l'arrêt
Dywidag Systems International Canada Limited
v. Zutphen Brothers Construction Limited, pré-
cité, à l'appui de sa prétention que le paragraphe
15(1) de la Charte soulève la question de savoir si
la position préférentielle que la théorie de l'immu-
nité de la Couronne accorde à cette dernière en
matière de procès n'est pas un anachronisme en
cette ère moderne de la Charte. La demanderesse
prétend, en invoquant les arrêts Verreault (J.E.) &
Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1
R.C.S. 41; et Procureur général du Québec c.
Labrecque et autres, [1980] 2 R.C.S. 1057, que la
Couronne est une personne physique qui possède la
même capacité de contracter que quiconque. La
demanderesse prétend en outre que les personnes
morales sont visées par le paragraphe 15(1) de la
Charte et qu'à ce titre, elles bénéficient du droit
garanti d'être protégées contre la discrimination.
La demanderesse cite à l'appui de cette proposition
l'arrêt Andrews c. Law Society of British Colum-
bia, [1989] 1 R.C.S. 143.
Je suis d'accord avec l'avocat des défendeurs
pour dire que l'arrêt Zutphen porte sur des faits
différents de ceux de la présente espèce, essentiel-
lement parce qu'on a jugé dans cet arrêt que la
compétence exclusive de la Cour fédérale de con-
naître de procès intentés contre la Couronne fédé-
rale contrevenait aux dispositions relatives à l'éga-
lité contenues à l'article 15 de la Charte. Voici
comment le juge d'appel Jones expose son raison-
nement sur ce point, à la page 447:
[TRADUCTION] En conférant une compétence exclusive à la
Cour fédérale, l'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale a pour
effet de placer le particulier dans une position différente de la
Couronne comme partie. Alors que la Couronne peut poursui-
vre le particulier devant la Cour suprême, le particulier ne
possède pas ce même droit de poursuivre la Couronne. Il
s'ensuit que le particulier n'est pas égal devant la loi et qu'il ne
jouit pas de la même protection et du même bénéfice de la loi,
indépendamment de toute discrimination.
Dans le cas qui nous occupe, il n'est pas question
d'une compétence exclusive conférée à la Cour
fédérale qui pourrait être perçue comme assujettis-
sant la demanderesse à une discrimination sur le
plan procédural. Les dispositions législatives fédé-
rales applicables, auxquelles j'ai fait allusion, con-
fèrent simplement une compétence à l'égard des
procès ou poursuites pour violation du droit
d'auteur.
En tout état de cause, le nœud de tout le litige, il
me semble, consiste à savoir si la demanderesse et,
en fait, la Couronne, sont visées par le paragraphe
15 (1) de la Charte.
Dans l'arrêt Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm
Inc., la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a
statué que les personnes morales n'étaient pas
visées par le paragraphe 15 (1) de la Charte parce
qu'elles ne sont pas des particuliers («individual»).
Le juge d'appel Tarnopolsky a développé ce même
thème dans l'arrêt R. v. Stoddart, (1987), 37
C.C.C. (3d) 351 (C.A. Ont.), à la page 360:
[TRADUCTION] Les droits énoncés au paragraphe 15(1) sont
ceux de «tous» («every individual»). C'est la seule disposition de
la Charte qui accorde des droits à «tous». Ce terme a été
expressément substitué par le Comité conjoint du Sénat et de la
Chambre des communes au terme «chacun» («everyone»), qui
était employé dans le projet original de Charte d'octobre 1980
(voir le procès-verbal des débats et des témoignages 1980-81,
29 janvier 1981).
L'Oxford English Dictionary définit le terme «individual»
comme [TRADUCTION] «l'être humain, par opposition à la
société, à la famille, etc.» De même, le Black's Law Dictionary
définit ce terme de la façon suivante:
[TRADUCTION] Comme nom, ce terme s'entend de l'indi-
vidu, par opposition au groupement ou à la collectivité et
désigne très souvent un particulier ou une personne physique
par opposition à une personne morale ou à un groupement de
personnes physiques ou morales; ce sens restreint ne serait
cependant pas inhérent à ce mot et il pourrait, dans certains
cas, s'appliquer aux personnes morales.
En fait, il est de jurisprudence assez constante que le terme
ne désigne que les êtres humains et qu'il exclut les personnes
morales [...]
Le juge s'est ensuite demandé si le terme «indivi-
dual» de la version anglaise du paragraphe 15(1)
de la Charte s'appliquait à la Couronne et, après
avoir examiné l'arrêt Zutphen et d'autres précé-
dents, il a conclu en ces termes, à la page 362:
[TRADUCTION] La Couronne n'est pas un «individual» avec
lequel une comparaison peut être faite pour déterminer s'il y a
eu violation du paragraphe 15(1).
Dans le jugement Rudolph Wolff & Co. v.
Canada (1987), 26 C.P.C. (2d) 166 (H.C. Ont.)
[conf. par la C.A. Ont. le 7 mars 1988], la deman-
deresse poursuivait la Couronne fédérale en dom-
mages-intérêts devant la Cour suprême de l'Onta-
rio pour inexécution de contrat, violation
d'obligations de fiduciaire et fausse déclaration.
La défenderesse a présenté une requête en radia
tion au motif que le litige relevait de la compé-
tence de la Cour fédérale du Canada en vertu du
paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
La demanderesse a fait valoir que l'attribution
d'une compétence exclusive à la Cour fédérale
portait atteinte aux droits à l'égalité que lui garan-
tissait le paragraphe 15(1) de la Charte, citant à
l'appui l'arrêt Zutphen, précité. Après avoir exa-
miné attentivement les décisions Zutphen et Stod-
dart et d'autres précédents, le juge Henry a énoncé
la conclusion suivante, à la page 173:
[TRADUCTION] À mon avis, l'arrêt Stoddart de la Cour
d'appel appuie le principe que pour l'application des lois régis-
sant les rapports entre la Couronne et les particuliers en
matière civile et criminelle, le paragraphe 15(1) ne s'applique
pas, parce que la Couronne n'est pas une personne que l'on peut
comparer à un particulier aux fins de cette disposition.
Qu'il suffise de dire que je souscris entièrement
aux opinions exprimées par le juge Tarnopolsky et
par le juge Henry dans les arrêts Stoddart et
Rudolph Wolff & Co. respectivement. À mon avis,
l'arrêt Andrews c. Law Society of British Colum-
bia, précité, n'appuie pas le principe formulé par la
demanderesse. Au surplus, je ne vois pas en quoi
les arrêts Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur
général (Québec) et Procureur général du Québec
c. Labrecque et autres, précités, appuient de quel-
que façon que ce soit la thèse de la demanderesse.
Par ces motifs, je suis forcé de conclure que la
Section de première instance de la Cour fédérale
n'a pas compétence pour connaître de l'action en
violation du droit d'auteur de la demanderesse. La
requête en rejet des défendeurs est donc accueillie
avec dépens, et une ordonnance sera prononcée en
conséquence.
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