A-408-88
Great Lakes Towing Company (appelante)
c.
North Central Maritime Corporation (intimée)
A-409-88
Great Lakes Towing Company, le remorqueur
Ohio et le remorqueur South Carolina (défen-
deurs- appelants)
c.
Les propriétaires et exploitants du navire Rhône,
Vinalmar S.A. de Bâle, Suisse, le navire Rhône
(demandeurs- intimés)
et
Le navire Peter A.B. Widener, les propriétaires et
exploitants du navire Peter A.B. Widener, le
remorqueur Ste. Marie II, le remorqueur Rival,
McAllister Towing & Salvage Ltd., Bury Court
Shipping Company Ltd., North Central Maritime
Corporation, Seaway Dredge & Dock Company
Incorporated (maintenant «Seaway Towing Inc.»)
(défendeurs- intimés)
RÉPERTORIÉ: RHONE (LE) c. PETER AB WIDENER (LE) (CA.)
Cour d'apel, juges Pratte, Hugessen et Desjardins,
J.C.A.—Montréal, 7 et 8 novembre 1989; Ottawa,
6 février 1990.
Droit maritime Responsabilité délictuelle — Appel d'un
jugement de première instance tenant deux remorqueurs et une
barge remorquée responsables des dommages résultant de la
collision survenue entre la barge et un navire amarré —
Non-responsabilité des remorqueurs auxiliaires qui sont
placés sous le contrôle et la direction d'un remorqueur supé-
rieur — Pas d'obligation de présenter une preuve disculpatoire
ou toute autre preuve — La règle res ipsa loquitur ne crée pas
une présomption de droit — Limitation de responsabilité en
vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, art. 575
— Les propriétaires doivent établir l'absence de faute réelle de
la part de la personne physique qui incarne l'âme dirigeante de
la compagnie — La surveillance inadéquate du capitaine du
remorqueur de tête ne constitue pas une faute réelle car elle
n'a pas contribué à l'accident — Le responsable de l'entretien
de la flotte n'a pas commis de faute réelle compte tenu du
nombre et du caractère sophistiqué des inspections Il est
contraire à la règle de droit de faire des propriétaires de
navires des assureurs en leur imputant une faute réelle dans
tous les cas d'accidents résultant d'un bris d'équipement — Le
capitaine du remorqueur de tête est l'une des âmes dirigeantes
de la personne morale propriétaire en raison de l'étendue de
ses responsabilités dans la conduite de la flotille — Cette
conclusion suffit à justifier le rejet de la demande de limita
tion de la responsabilité.
Droit maritime — Contrats — La négligence concourante
des propriétaires de la barge n'a pas été plaidée en défense à
l'action contractuelle, bien qu'elle l'ait été dans l'action délic-
tuelle connexe — Ce moyen ne peut être soulevé pour la
première fois en appel — La clause limitative de responsabilité
stipulée dans le tarif publié des taux n'est pas contraignante
vu qu'il n'y a aucune preuve établissant que la défenderesse a
reçu un exemplaire du tarif ou a été informée de son existence.
Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre du jugement de
première instance tenant deux remorqueurs (l'Ohio et le South
Carolina) ainsi que la remorque (Peter A.B. Widener) respon-
sables des dommages subis par le Rhône. Le Rhône était
amarré à quai dans le port de Montréal lorsqu'il a été frappé
par le Widener, une barge tirée par quatre remorqueurs. L'Ohio
était le remorqueur de tête et son capitaine avait l'entier
commandement du remorquage. Le courant a fait dériver le
Widener à tribord, ce qui a exerçé une pression sur l'appareil de
remorquage de l'Ohio et entraîné le bris du guide-câbles. La
dérive s'est révélée incontrôlable, d'où la collision. Les proprié-
taires du Rhône ont intenté une action délictuelle contre les
cinq navires de la flotille et les propriétaires du Widener ont
intenté une action contractuelle contre les propriétaires des
remorqueurs. Le juge de première instance a conclu que la
collision avait été causée par les fautes de navigation commises
par l'Ohio, le Widener et le South Carolina. Il a également
jugé que le Widener était fautif pour avoir négligé d'assurer une
communication adéquate avec le capitaine de l'Ohio et n'avoir
pas jeté l'ancre. Il a conclu qu'il existait contre le South
Carolina une présomption de faute qui n'avait pas été réfutée
parce que son capitaine n'avait pas témoigné à l'audience. Il a
attribué quatre-vingt pour cent de la faute aux propriétaires des
deux remorqueurs et le solde aux propriétaires du Widener. Il a
rejeté la demande des propriétaires des remorqueurs qui cher-
chaient à limiter leur responsabilité en vertu de Loi sur la
marine marchande du Canada, alinéa 575(1)d), qui limite la
responsabilité du propriétaire d'un navire en cas d'avarie
causée, sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de sa part, par
l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle soit ou non à
bord, dans la navigation du navire. Il a conclu que l'âme
dirigeante de la compagnie propriétaire des remorqueurs était
incarnée par les capitaines et qu'il n'avait pas été établi que la
collision était survenue sans faute ou complicité réelle de leur
part. Dans l'action contractuelle, il a ordonné que les proprié-
taires du Widener soient entièrement dédommagés par les
propriétaires des remorqueurs responsables, estimant que ces
derniers n'avaient pas exécuté leurs obligations contractuelles
et que la clause limitative de responsabilité contenue dans le
tarif publié ne faisait pas partie du contrat intervenu entre les
parties. En rejetant l'action contre l'un des remorqueurs, le juge
de première instance a prononcé une ordonnance de type
Sanderson aux termes de laquelle les frais de la défenderesse
ayant eu gain de cause devaient être supportés par les défen-
deurs perdants. Les questions soulevées en appel portent sur la
responsabilité résultant des dommages causés au Rhône, le
droit des propriétaires des remorqueurs de limiter leur respon-
sabilité en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada
ainsi que sur la responsabilité résultant des dommages causés
au Widener.
Arrêt: les appels devraient être rejetés, sauf quant à la
condamnation prononcée contre le remorqueur South Carolina
qui devrait être radiée.
Bien que la conclusion du juge de première instance selon
laquelle une faute devait être imputée à l'Ohio ait été solide-
ment appuyée par la preuve, il a attribué une faute au South
Carolina en se fondant sur ce qu'il a perçu comme le défaut de
la part de ce navire de présenter une preuve concernant ses
agissements au moment critique. Le juge de première instance
a abordé la question comme si la règle res ipso loguitur créait
une présomption de droit, ce qui n'est pas le cas. Elle ne fait
que décrire une situation. Le juge de première instance a
également commis une erreur en croyant qu'il ne disposait
d'aucun élément de preuve concernant les ordres qu'avait reçus
le South Carolina, la manière dont il les avait exécutés et la
décision de se dégager. Les déclarations faites par les deux
capitaines à bord du South Carolina déposées d'un commun
accord en preuve, ainsi que l'interrogatoire au préalable du
capitaine de l'Ohio indiquent que le South Carolina a exécuté
les ordres qu'il a reçus du remorqueur Ohio jusqu'au moment et
à l'instant même de la collision. Les remorqueurs auxiliaires ne
sauraient être condamnés pour une faute qui n'est pas la leur
lorsqu'ils sont placés sous le contrôle et la direction d'un
remorqueur supérieur. Le South Carolina n'était aucunement
tenu de présenter une preuve indépendante pour se disculper,
voire même de présenter quelque preuve que ce soit. Étant
donné que les agissements du South Carolina ont fait l'objet
d'une preuve non contredite et entièrement disculpatoire, le
juge de première instance était dans l'erreur lorsqu'il a conclu à
la faute de ce remorqueur. En ce qui concerne la responsabilité
du Widener, le juge de première instance a conclu à la négli-
gence de son capitaine, non pas simplement parce qu'il n'avait
pas communiqué avec le capitaine de l'Ohio, mais parce qu'il ne
s'était pas enquis de ce qui se passait à bord de l'Ohio au
moment du bris de l'appareil de remorquage. Bien que le
capitaine ait déclaré dans son témoignage n'avoir eu aucune
raison de penser que quelque chose n'allait pas, il était loisible
au juge de première instance de préférer le témoignage de
l'expert (portant que s'il avait assuré une surveillance adéquate,
le capitaine n'aurait pu manqué de voir que l'Ohio avait perdu
le contrôle de la remorque) à celui du capitaine. Il n'y a eu
aucune erreur manifeste. Une fois qu'on a admis que le capi-
taine à bord du Widener a fait montre de négligence en ne se
rendant pas compte de ce qui se passait à bord de l'Ohio, il
devient facile de comprendre l'autre conclusion du juge de
première instance suivant laquelle le capitaine a commis une
faute en ne jettant pas l'ancre. La décision de jeter l'ancre était
l'une des rares que le Widener pouvait prendre de son propre
chef. C'est sur les éléments de preuve établissant que la colli
sion aurait pu être évitée si les ancres avaient été jetées en
temps voulu que le juge de première instance s'est appuyé pour
conclure à la faute du Widener. Au surplus, les propriétaires du
Widener avaient placé leur navire sous le commandement d'un
capitaine qui était leur préposé et des actes duquel ils étaient
responsables. Ils ne peuvent échapper à toute responsabilité
pour les erreurs de navigation commises par leur propre pré-
posé. Le défaut de jeter l'ancre constituait une erreur de
navigation spécifique dans la conduite du Widener, et non une
erreur dans la conduite du remorqueur. Le partage de la
responsabilité était raisonnable et aurait été identique en l'ab-
sence du South Carolina. Le prononcé d'une ordonnance San-
derson relevait du pouvoir discrétionnaire du juge de première
instance.
Les propriétaires d'un remorqueur peuvent limiter leur res-
ponsabilité en fonction de la seule jauge du navire. C'est au
propriétaire du navire qu'il appartient d'établir l'absence de
«faute réelle» de sa part, et donc son droit de limiter sa
responsabilité. C'est un lourd fardeau. Dans le cas où un navire
est la propriété d'une personne morale, la faute réelle qui aura
pour effet de priver cette personne morale du bénéfice de la
limitation légale de responsabilité devra être celle de la per-
sonne physique qui en incarne «l'âme dirigeante». Le juge de
première instance a conclu à la faute réelle du vice-président de
la personne morale propriétaire des remorqueurs en raison de la
surveillance inadéquate qu'il aurait exercée sur le capitaine de
l'Ohio. Même si un propriétaire peut se rendre coupable de
faute réelle par omission, il reste qu'il doit y avoir un lien de
causalité entre ces omissions et l'accident. Or rien n'indique que
le défaut de surveillance des propriétaires ait contribué à
l'accident. Les actes spécifiques de négligence imputés au capi-
taine relevaient de l'autorité et de la compétence normales d'un
capitaine. En second lieu, le juge de première instance a
commis une erreur en concluant qu'il y avait eu faute réelle de
la part de l'homme qui était responsable de l'entretien et de la
réparation de la flotte. Bien qu'il y ait eu une relation causale
entre le bris de l'appareil de remorquage et le dommage, le juge
de première instance a imposé aux propriétaires une norme
d'une rigueur impossible à satisfaire. Il a décrit les systèmes
d'inspection et d'entretien de l'équipement de la compagnie
comme «nombreux et sophistiqués». Les conclusions du juge de
première instance à cet égard ont pour effet de transformer les
propriétaires de navires en assureurs chaque fois qu'un accident
résulte d'un bris d'équipement. Telle n'est pas la règle de droit.
Enfin, bien que l'espèce se situe à la limite extrême de l'applica-
tion de la doctrine de l'identification corporative, le juge de
première instance n'a pas commis d'erreur de principe ou fait
montre d'une incompréhension manifeste des faits lorsqu'il a
jugé que le capitaine du remorqueur Ohio était une âme
dirigeante de la personne morale propriétaire. La question de
savoir qui est l'alter ego ou l'âme dirigeante d'une compagnie
est essentiellement une question de fait: une compagnie peut
avoir plus d'une «âme dirigeante» et différentes personnes peu-
vent incarner l'alter ego pour des fins spécifiques; un individu
peut aussi, en raison de l'isolement géographique ou d'autres
circonstances, être considéré comme l'alter ego pour certaines
fins, même s'il n'occupe pas officiellement une position au
sommet de la hiérarchie. Le capitaine Kelch assumait des
responsabilités étendues à l'égard de l'ensemble de la flotte.
Maître du remorquage, il avait le pouvoir de donner des ordres
à tous les capitaines, encore que sa nomination aux commandes
de la flotille n'émanait pas ni n'avait été faite à la connaissance
de ses supérieurs au sein de l'organisation. On le décrit comme
membre de la direction de la compagnie, employé salarié,
capitaine de la flotte, expert en dépannage et responsable de
l'entraînement des nouveaux capitaines. C'est également lui qui
s'occupait des documents des 44 remorqueurs. Le fait qu'il
agissait également comme capitaine et que c'est en cette qualité
qu'il a commis sa négligence n'est pas pertinent. Compte tenu
du lourd fardeau qui incombe au propriétaire de navire invo-
quant la limitation de responsabilité prévue par la loi, l'ensem-
ble de ces faits permettait au juge de première instance de
conclure que le capitaine Kelch incarnait une âme dirigeante de
la personne morale propriétaire, du moins aux fins de ce
remorquage spécifique. La conclusion qu'il tire à l'endroit du
capitaine Kelch suffit à justifier son rejet de la limitation de
responsabilité revendiquée en vertu de la Loi.
Dans l'action contractuelle, le juge de première instance n'a
pas partagé la responsabilité quant aux dommages causés au
Widener. Bien que la négligence concourante ait été plaidée
dans l'action délictuelle, ce moyen n'a pas été soulevé dans
l'action contractuelle et n'a donc pas été examiné. Il ne saurait
être soulevé pour la première fois en appel. La demanderesse
n'était pas liée par la clause limitative de responsabilité stipulée
dans le tarif publié de ses taux étant donné que rien ne prouve
que la défenderesse ait reçu une copie du tarif ou même qu'elle
ait été informée de l'existence d'un tarif comportant une clause
semblable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985),
chap. S-9, art. 575(1).
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970,
chap. S-9, art. 647(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Richardson (James) & Sons, Ltd. v. «Robert J. Paisley»,
[ 1930] 2 D.L.R. 257 (P.C.); Stein et autres c. «Kathy K»
et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; (1975), 62
D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; Lennard's Carrying Company
v. Asiatic Petroleum Company, [1915] A.C. 705 (H.L.);
Wishing Star Fishing Co. c. B.C. Baron (Le), [1988] 2
C.F. 325; (1987), 45 D.L.R. (4th) 321; 81 N.R. 309
(C.A.); Canadian Dredge & Dock Co. et autres c. La
Reine, [1985] 1 R.C.S. 662; (1985), 19 C.C.C. (3d) 1; 45
C.R. (3d) 289; 59 N.R. 241; 9 O.A.C. 321.
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Lady Gwendolen, [1965] 1 Lloyd's Rep. 335 (C.A.);
Grand Champion Tankers Ltd v Norpipe AIS (The
Marion), [1984] 2 All ER 343 (H.L.); Northern Fishing
Company (Hull), Ltd. v. Eddom and Others, [ 1960] 1
Lloyd's Rep. 1 (H.L.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The Bramley Moore, [1963] 2 Lloyd's Rep. 429 (C.A.);
H.L. Bolton (Engineering) Co. Ltd. v. T.J. Graham &
Sons Ltd., [1957] 1 Q.B. 159 (C.A.); R. v. St. Lawrence
Corp. Ltd. (and nineteen others), [1969] 2 O.R. 305;
(1969), 5 D.L.R. (3d) 263; [1969] 3 C.C.C. 263; 59
C.P.R. 97; 7 C.R.N.S. 265 (CA.); R. v. H.J. O'Connell
Ltd., [1962] B.R. 666 (C.A. Qué.).
DÉCISIONS CITÉES:
Sanderson v. Blyth Theatre Company, [1903] 2 K.B. 533
(C.A.); Macdonalds Consolidated Ltd. c. The Viajero,
[1977] 1 C.F. 648 (1" inst.); Apple Computer, Inc. et
autre c. Mackintosh Computers Ltd. et autres (1987), 43
D.L.R. (4th) 184; 14 C.I.P.R. 315; 12 F.T.R. 287 (C.F.
1" inst.); McCutcheon v. MacBrayne (David), Ltd.,
[1964] 1 All E.R. 430 (H.L.).
DOCTRINE
Fleming, John G. The Law of Torts, 7th ed. Sydney: The
Law Book Company Ltd., 1987.
McGuffie, Kenneth C. British Shipping Laws, vol. 4,
«The Law of Collisions at Sea», London: Stevens &
Sons Limited, 1961.
Parks, Alex F. The Law of Tug, Tow and Pilotage, 2nd
ed. Centreville, Maryland: Cornell Maritime Press,
1982.
Waddams, S. M. The Law of Contracts, 2nd ed. Toronto:
Canada Law Book Ltd., 1984.
AVOCATS:
Marc Nadon pour Great Lakes Towing
Company.
Trevor H. Bishop pour McAllister Towing &
Salvage Ltd.
Jon H. Scott et Nancy Cleman pour Vinalmar
S.A. (propriétaires du navire «Rhône»).
Edouard Baudry pour North Central Mari
time Corporation.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Montréal pour Great
Lakes Towing Company.
Brisset, Bishop, Davidson, Montréal, pour
McAllister Towing & Salvage Ltd.
McMaster Meighen, Montréal, pour Vinal-
mar S.A. (propriétaires du navire «Rhône»).
Lavery, O'Brien, Montréal, pour North Cen
tral Maritime Corporation.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.:
LES FAITS
Les deux présents appels résultent d'une colli
sion survenue le 7 novembre 1980 dans le port de
Montréal. Le navire à moteur Rhône, qui était
amarré au quai 34, a été frappé à bâbord avant
par le navire Peter A.B. Widener, lequel était tiré
par quatre remorqueurs, l'Ohio, le South Caro-
lina, le Ste. Marie II et le Rival.
Le Rhône est un pinardier, propriété de la
société Vinalmar de Bâle, en Suisse.
D'une longueur de 605 pieds, le Widener est un
navire sans force automotrice. Ancien lacquier,
privé de ses moteurs et son gouvernail immobilisé,
il a été transformé en péniche malgré ses dimen
sions importantes. À l'exception de petites généra-
trices auxiliaires qui servent à alimenter l'éclai-
rage, les treuils et autres appareils de pont, le
navire est dépourvu de toute puissance. Il était
placé sous la gouverne du capitaine Lyons et son
équipage se composait de trois personnes. North
Central Maritime Corporation en est propriétaire.
L'Ohio est un gros remorqueur de forte puis-
sance (2 000 CV) naviguant sur les Grands Lacs.
À l'époque en cause, son commandement relevait
du capitaine Kelch.
Plus petit, le South Carolina possède une puis-
sance de 1 230 CV. A l'époque pertinente, il était
sous le commandement du capitaine Kurdas.
L'Ohio et le South Carolina appartiennent tous
deux à Great Lakes Towing Company.
Doté d'une force de 1 000 CV, le Ste. Marie II
est un peu plus petit que le South Carolina. Il était
sous les ordres du capitaine Wellington. Son pro-
priétaire est North Central Maritime Corporation,
laquelle possède également le Widener.
Avec une puissance de 950 CV, le Rival est le
plus petit des quatre remorqueurs. Le capitaine
Hétu était aux commandes. La société McAllister
Towing & Salvage Ltd. en est le propriétaire et
Bury Court Shipping Company Ltd., l'exploitant.
À l'époque en cause, les cinq navires composant
la flotille dont le Widener formait l'élément central
étaient ainsi disposés:
L'Ohio était le remorqueur de tête. De son
appareil de remorquage situé sur le pont arrière,
un câble le reliait à une bride attachée à l'étrave
du Widener. Le South Carolina était rattaché par
un câble partant de sa proue et allant jusqu'à une
épontille fixée au pont du Widener par tribord,
environ au tiers de la longueur vers l'arrière. Le
Ste. Marie II était attaché de façon similaire à une
position correspondante du côté bâbord du Wide-
ner. Quant au Rival, il était attaché à la poupe du
Widener par un câble partant de sa proue.
La flotille était entièrement placée sous le com-
mandement du capitaine Kelch qui, à bord de
l'Ohio, agissait comme maître du remorquage.
Le Widener transportait un chargement de grain
qu'il avait embarqué à Saginaw, au Michigan.
Pour la majeure partie du voyage à partir des
Grands Lacs et dans la Voie maritime, on n'avait
utilisé que trois remorqueurs, l'Ohio, le South
Carolina et le Ste. Marie II, l'Ohio étant toujours
le remorqueur de tête et son capitaine, le capitaine
Kelch, ayant toujours le commandement de toute
l'opération. C'est à l'écluse de St-Lambert que le
Rival s'est joint à la flotille comme remorqueur de
queue afin de faciliter la manoeuvre dans les eaux
restreintes du port de Montréal.
Le Widener devait se diriger vers le quai n° 4,
dans le bassin intérieur du port. Aussi, à la sortie
de la Voie maritime, juste en bas de l'Île Ste-
Hélène, la flotille a-t-elle immédiatement exécuté
un virage à bâbord de près de 180 degrés pour
ensuite remonter le fleuve contre le courant Ste-
Marie qu'il fallait en même temps traverser.
Arrivé en amont du quai 34 où était amarré le
Rhône, le courant a frappé le Widener par bâbord
avant, le faisant dériver à tribord. Cette dérive
s'est avérée malaisée à contrôler et, pour ajouter à
la difficulté, la très grande tension exercée sur
l'appareil de remorquage de l'Ohio a entraîné le
bris du guide-câbles: plusieurs centaines de pieds
de remorque ont ainsi filé avant que la situation ne
puisse être temporairement rétablie et que la
pleine puissance de remorquage de l'Ohio ne puisse
à nouveau se faire sentir à la proue du Widener.
Malgré les efforts des quatre remorqueurs, la
dérive du Widener s'est révélée incontrôlable et son
côté tribord avant est entré en contact avec le côté
bâbord avant du Rhône.
Immédiatement après la collision, le South
Carolina a opéré un dégagement et s'est retiré
pour éviter d'être coincé entre le Widener et le
Rhône. C'est alors que le Widener a jeté l'ancre, ce
qui a eu comme résultat non seulement d'arrêter
sa dérive, mais de le placer directement dans le
courant. Les quatre remorqueurs ont alors repris
leurs efforts et le Widener a pu se rendre sans
encombre à sa destination au quai n° 4.
Les deux navires ont subi des dommages dans la
collision. D'un commun accord entre les parties,
les dommages du Rhône ont été évalués à
88 357,89 $ et ceux du Widener à 49 200 $.
LES POURSUITES
Deux actions ont été intentées en Section de
première instance. Dans la première action portant
le numéro T-5225-80, les propriétaires du Rhône
ont poursuivi en dommages-intérêts les cinq navi-
res de la flotille, lesquels ont tous nié leur respon-
sabilité. De plus Great Lakes, Towing, en sa qualité
de propriétaire de l'Ohio et du South Carolina, a
invoqué par demande reconventionnelle la limita
tion de sa responsabilité en vertu des dispositions
de l'article 575 de la Loi sur la marine marchande
du Canada'.
Dans l'action T-1066-81, les propriétaires du
Widener ont exercé contre Great Lakes Towing un
recours en dédommagement pour inexécution du
contrat de remorquage. En plus de nier sa respon-
sabilité, la défenderesse a de nouveau invoqué
l'existence d'une limitation contractuelle de res-
ponsabilité fondée sur son tarif publié.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
Le juge Denault de la Section de première ins
tance [Navire «Rhône» c. Navire «Peter A.B.
Widener» et autres (1988), 18 F.T.R. 81 (C.F'. ire
inst.)] a conclu que la collision avait été causée par
les fautes de navigation commises par trois des
cinq membres de la flotille, à savoir les navires
Ohio, Widener et South Carolina. Il a également
conclu que le Ste. Marie II et le Rival avaient
réussi à réfuter la présomption de faute pesant sur
eux du fait de leur présence lors de la collision et il
a en conséquence exonéré leurs propriétaires de
toute responsabilité.
Le juge de première instance s'est montré des
plus sévères à l'endroit du capitaine Kelch, capi-
taine de l'Ohio qui, rappelons-le, avait le comman-
dement de toute la flotille. Il a conclu en particu-
lier que le capitaine Kelch avait commis une faute:
1. En effectuant son virage à la bouée placée à
l'entrée de la Voie maritime, obligeant ainsi la
flotille à croiser le courant Ste-Marie, au lieu
d'aller tourner plus bas en aval à la Vickers et
d'affronter le courant directement en remontant le
fleuve vers sa destination.
L.R.C. (1985), chap. S-9.
2. En naviguant à plein régime après avoir
effectué le virage, se privant ainsi lui-même et
privant la flotille de toute puissance de réserve en
cas d'urgence.
3. En ne maintenant pas de communications
adéquates entre lui, les autres remorqueurs et le
capitaine Lyons qui se trouvait à bord du navire
remorqué.
En ce qui concerne le Widener, il a été jugé
fautif pour avoir négligé d'assurer une communi
cation adéquate avec le capitaine Kelch à bord du
remorqueur Ohio, pour avoir négligé de suggérer
au capitaine Kelch de faire jeter l'ancre au Wide-
ner avant la collision et, à défaut d'en recevoir
l'ordre, pour n'avoir pas pris cette initiative de son
propre chef.
Quant au South Carolina, le juge de première
instance a conclu qu'il existait contre ce navire une
présomption de faute, laquelle n'avait pas été réfu-
tée parce que son capitaine n'avait pas témoigné à
l'audience.
Pour valoir entre les défenderesses dont il a
retenu la responsabilité, le juge de première ins
tance a attribué quatre-vingt pour cent de la faute
à Great Lakes Towing, en tant que propriétaire de
l'Ohio et du South Carolina, et le solde de vingt
pour cent à North Central Maritime, en tant que
propriétaire du Widener.
Le juge du procès a par ailleurs rejeté l'argu-
ment de la limitation de responsabilité. Il a conclu
que, pour les fins de l'action, l'âme dirigeante de la
compagnie propriétaire des remorqueurs Ohio et
South Carolina était incarnée par trois personnes,
les capitaines Lloyd, White et Kelch, et qu'il
n'avait pas été établi que la collision était survenue
sans faute ou complicité réelle de leur part.
En rejetant l'action du Rhône contre le remor-
queur Rival, le juge a prononcé une ordonnance de
type Sanderson 2 aux termes de laquelle les frais de
la défenderesse ayant eu gain de cause devaient
être supportés par les défendeurs perdants. Il a de
plus ordonné à ces derniers de payer aux deman-
deurs les honoraires additionnels d'un procureur-
conseil junior.
2 Voir Sanderson v. Blyth Theatre Company, [1903]
2 K.B. 533 (C.A.).
Dans la cause T-1066-81, le juge du procès a
conclu que Great Lakes Towing n'avait pas exé-
cuté ses obligations contractuelles envers North
Central Maritime, propriétaire du Widener. Il a
estimé que la clause limitative de responsabilité
contenue dans le tarif publié de Great Lakes
Towing ne faisait pas partie du contrat conclu
entre les parties et il a, en conséquence, refusé d'y
donner effet. Aussi a-t-il ordonné à Great Lakes
Towing de dédommager entièrement les proprié-
taires du Widener.
LES POURVOIS EN APPEL
Dans l'appel portant le numéro A-409-88, les
propriétaires du Ohio et du South Carolina atta-
quent les conclusions tirées à l'encontre de ces
navires dans l'action T-5225-80; par voie d'appel
incident, les propriétaires du Widener contestent
pour leur part la partie du jugement de première
instance selon laquelle ce navire aurait commis une
faute.
Enfin, dans l'appel n° A-408-88, Great Lakes
Towing se pourvoit contre le jugement rendu dans
l'action T-1066-81.
LES QUESTIONS EN LITIGE
Voici les questions qu'il importe de trancher
dans le présent appel:
A. La responsabilité résultant des dommages
causés au Rhône.
1. L'Ohio.
2. Le South Carolina.
3. Le Widener.
4. Les autres.
5. Le partage de la responsabilité.
6. Les frais.
B. Le droit des propriétaires de l'Ohio et du
South Carolina de limiter leur responsabilité
en vertu de l'article 575 de la Loi sur la
marine marchande du Canada.
C. La responsabilité résultant des dommages
causés au Widener.
1. La négligence concourante.
2. La limitation de responsabilité.
A. La responsabilité résultant des dommages
causés au Rhône
1. L'Ohio
La conclusion du juge de première instance
selon laquelle une faute devait être imputée au
capitaine Kelch, capitaine de l'Ohio, est largement
appuyée par la preuve. Une grande partie de cette
preuve provient d'ailleurs du capitaine Kelch lui-
même: bien que le juge du procès n'ait pas eu le
loisir de l'entendre, il apparaît manifestement,
d'après la transcription de son interrogatoire préa-
lable (déposé en preuve à l'audience) et de la
commission rogatoire, comme un personnage arro
gant et obstiné se croyant capable de maîtriser
n'importe quelle situation, même celle d'un remor-
quage périlleux dans des eaux étrangères. Des
éléments de preuve, que le juge a de toute évidence
retenus, ont établi qu'en raison de son empresse-
ment à terminer le voyage, il avait fait fi du conseil
qu'on lui avait donné d'amener la flotille en aval
jusqu'à la Vickers avant d'effectuer son virage. On
a également prouvé qu'il avait été mis en garde par
le capitaine du Rival contre la vitesse excessive de
la flotille qui remontait le courant Ste-Marie mais
qu'il avait ignoré cet avertissement. Enfin, il a été
établi qu'il a négligé de communiquer ses plans
d'action aux autres navires de la flotille et de tenir
leurs capitaines informés de tout fait nouveau,
même d'un incident majeur comme le bris de
l'appareil de remorquage ayant entraîné le dérou-
lement du câble. Non seulement il n'a pas été
démontré que le juge de première instance avait
commis une erreur manifeste dans son apprécia-
tion de la conduite du capitaine Kelch, mais il
appert au contraire qu'il a conclu à la faute en se
fondant sur une preuve solide et que toute autre
conclusion aurait donc été incompatible.
Sur ce point, le principal argument qu'a fait
valoir Great Lakes Towing, propriétaire de l'Ohio,
est que l'entière responsabilité de la collision est
attribuable à l'exploitation négligente du remor-
queur de queue, le Rival. Cette proposition n'est
toutefois pas étayée par la preuve. Le juge de
première instance l'a rejetée après un examen
attentif et rien ne nous permet d'intervenir à cet
égard.
2. Le South Carolina
Pour attribuer une faute au South Carolina, le
juge de première instance paraît s'être entièrement
reposé sur ce qu'il a perçu comme le défaut de la
part de ce navire de présenter une preuve concer-
nant ses agissements au moment critique. Voici ce
qu'il a dit à ce sujet [à la page 103]:
Quant au «South Carolina», on en sait peu de choses. Le
capitaine Kurdas était à la barre mais il n'a pas témoigné. Tout
ce qu'on sait au sujet de ce remorqueur, c'est que le capitaine
Kelch l'avait assigné pour travailler à tribord du «Widener» à
cause de sa force et de sa puissance plus considérable. On
ignore cependant tout des conversations ou communications
entre les capitaines Kelch et Kurdas et en particulier si ce
dernier a exécuté les ordres reçus ou même s'il a attiré l'atten-
tion du maître du remorquage sur l'urgence [sic] de la collision.
De même qu'on ignore le moment précis et sur l'ordre ou
suggestion de qui la décision a été prise par le «South Carolina»
de se dégager pour éviter d'être coincé entre le «Rhône» et le
«Widener». Bref, les propriétaires de ce remorqueur et son
capitaine ne se sont pas déchargés, à l'égard du «Rhône», du
fardeau qui leur incombait de prouver l'absence de faute ou
négligence de leur part.
Je dois dire dès le départ que, du point de vue du
droit, je doute fort que le South Carolina ait eu le
fardeau de prouver l'absence de faute de sa part,
dès lors qu'on a, comme en l'espèce, établi la
preuve d'une faute causale commise par d'autres
acteurs, notamment le remorqueur Ohio qui avait
le commandement du remorquage. Le juge de
première instance paraît avoir abordé la question
comme si la règle res ipsa loquitur créait une
présomption de droit. Or, il n'en est rien:
[TRADUCTION] Dans certaines circonstances, le simple fait
qu'un accident soit survenu permet d'en inférer la négligence du
défendeur. Le demandeur n'est en effet jamais tenu d'établir le
bien-fondé de sa demande par une preuve directe. La preuve
circonstancielle est tout aussi probante si, de la preuve de
certains faits, l'existence d'autres faits peut raisonnablement
être inférée. L'expression «res ispa loquitur» n'est rien d'autre
qu'une étiquette commode pour décrire des situations où,
malgré l'incapacité du demandeur à établir la cause exacte de
l'accident, le fait de cet accident en soi suffit, en l'absence
d'explication, à justifier la conclusion que le défendeur a très
probablement été négligent et que sa négligence a causé le
préjudice. La maxime ne présente donc aucun aspect nouveau:
elle est fondée sur le sens commun puisque la simple observa
tion et l'expérience de la vie nous enseignent qu'une chose peut
parfois raconter d'elle-même son histoire. Malheureusement,
l'emploi d'une expression latine pour décrire cette notion fort
simple est devenu source de confusion car elle donne l'impres-
sion de constituer une règle de fond particulière alors qu'elle ne
sert qu'à faciliter l'appréciation de la preuve et n'est en somme
que l'application de «la méthode générale consistant à inférer
un ou plusieurs faits en litige des circonstances établies en
preuve».
Il est impossible de classer les affaires où on a eu recours à
cette maxime: chaque accident est, par bien des aspects, unique
et la preuve de faits par d'autres faits ne saurait se réduire à
une formule. On peut toutefois indiquer en termes généraux les
conditions nécessaires à l'application de la maxime. L'événe-
ment doit bien évidemment révéler l'existence d'une négligence
et cette négligence doit être celle du défendeur; la négligence
doit être telle qu'elle donne lieu à deux inférences: (1) que
l'accident résulte du manquement par une personne à son
devoir de prudence envers le demandeur et (2) que le défendeur
était bel et bien cette personne 3 .
Non seulement la «res» doit-elle révéler l'existence d'une
négligence, mais il importe également qu'elle en fasse porter la
responsabilité au défendeur. Il ne peut en effet jamais être
question d'une négligence dans l'abstrait. Il ne suffit pas que
l'accident témoigne de la négligence de quelqu'un; encore faut-
il que cette négligence soit spécifiquement liée à la personne en
cause. Ainsi, dans le cas où plusieurs entrepreneurs ont parti-
cipé à la construction d'un édifice, son effondrement ne peut,
sans autre preuve, être imputé à l'un d'eux en particulier 4 .
En tout état de cause cependant, il appert que le
juge de première instance était dans l'erreur en
croyant qu'il ne disposait d'aucun élément de
preuve concernant les ordres qu'a reçus le South
Carolina, la manière dont il les a exécutés et la
décision de se dégager. Les parties avaient en effet
déposé, au début de l'instruction, un grand nombre
de documents qui devaient d'un commun accord
être reçus en preuve. Parmi ceux-ci, le juge paraît
ne pas avoir tenu compte des déclarations écrites
que chacun des deux capitaines à bord du South
Carolina a faites très peu de temps après l'inci-
dent. Le capitaine Kurdas, le supérieur qui était
aux commandes, a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] J'ai sorti un câble de mer du côté tribord du
Widener. Je travaillais suivant les ordres du remorqueur Ohio
pour pousser de l'avant, battre arrière, pousser sur la proue ou
la tenir en amont ou en aval selon les besoins, de mon mieux, en
manoeuvrant le remorqueur au maximum de ses capacités pour
exécuter chaque ordre donné.
Lorsque le Widener a commencé à dériver sur tribord, j'ai
manœuvré avec pleine puissance la barre à bâbord toute pour
tenir la proue en aval. La proue du Widener a continué son
embardée sur tribord. On m'a alors ordonné de battre arrière,
j'ai battu arrière pleine puissance jusqu'à ce que la proue du
Widener entre en collision avec le Rhône. J'ai alors largué mon
câble et battu arrière pour éviter d'être coincé entre le Widener
et le quai. Le Widener a jeté l'ancre pour arrêter l'embardée.
Lorsque le Widener s'est immobilisé, je me suis rattaché sur le
côté tribord du Widener. Nous avons alors repris notre route
vers le quai n° 4.
3 Fleming, John G., The Law of Torts, 7e éd. The Law Book
Company Ltd., 1987, à la p. 291.
4 Idem, à la p. 293.
(Dossier d'appel, annexe conjointe, volume 1, à la
page 106.)
Quant au second capitaine, le capitaine
McCarty, voici ce qu'il a déclaré:
[TRADUCTION] En exécutant un virage à gauche dans le cou-
rant avec l'Ohio en tête, le Ste. Marie II à bâbord avant, le
South Carolina à tribord avant et le remorqueur Rival à la
queue, le navire remorqué Peter A B Widener ayant le courant
sur son côté bâbord a dérivé en aval au lieu de tourner le nez
dans le courant. Le navire a traversé le fleuve et embouti le
navire Rhône qui était à quai. Le Peter A B Widener a frappé
le navire Rhône sur son pavois bâbord avant (ou étrave évasée)
avec sa proue côté tribord. S'ensuivit une embardée vers le
fleuve. Le remorqueur South Carolina a alors battu arrière
d'entre les navires Rhône et Widener et est allé sur le côté
bâbord. C'est à ce moment que le Widener a jeté l'ancre.
(Dossier d'appel, annexe conjointe, volume 1, à la
page 36.)
Bien qu'on puisse douter du poids de ces décla-
rations en raison de leur caractère intéressé, elles
ont été déposées d'un commun accord en preuve et
n'ont aucunement été contredites. Elles indiquent
clairement que le South Carolina a exécuté les
ordres qu'il a reçus du remorqueur Ohio jusqu'au
moment et à l'instant même de la collision entre le
Widener et le Rhône. Ces déclarations ne révèlent
donc aucune négligence de la part de ceux qui
étaient responsables de la conduite de ce navire.
L'interrogatoire au préalable du capitaine Kelch
a également été déposé intégralement en preuve du
consentement des parties. Il ressort clairement des
deux courts passages suivants que, de l'avis même
du capitaine Kelch, le South Carolina a exécuté
ses ordres:
[TRADUCTION]
R. Exact. Le seul qui ait laissé aller en constatant qu'il
n'avait plus le choix est le South Carolina. Il devait
décoller de là parce ...
Q. Pour n'être pas coincé entre le ...
R. Pour ne pas être écrasé.
(Dossier d'appel, annexe conjointe, volume 3, à la
page 505.)
[TRADUCTION]
Q. Lorsque le câble a commencé à filer, quels ordres avez-
vous donnés aux autres remorqueurs?
R. Seigneur, je ne le sais pas. Je vais vous dire à quoi je
pensais: le South Carolina était à l'intérieur et j'ai pensé:
«Mon Dieu, il doit s'en aller de là», c'est la seule chose à
laquelle je pensais. Je suis certain d'avoir dit quelque
chose, mais quoi, je ne le sais pas.
(Dossier d'appel, annexe conjointe, volume 3, à la
page 516.)
Les règles de droit applicables à la responsabi-
lité des remorqueurs auxiliaires sont bien résumées
par Parks:
[TRADUCTION] Les décisions rendues à l'égard de la responsa-
bilité des remorqueurs «auxiliaires» tournent apparemment
autour de la même doctrine de «l'âme dirigeante» qui s'applique
entre remorqueurs engagés dans une opération conjointe. Dans
la plupart des causes, on a statué que les remorqueurs auxiliai-
res ne devaient pas être condamnés pour une faute qui n'était
pas la leur lorsqu'ils sont placés sous le contrôle et la direction
d'un remorqueur supérieur. Comme le juge Learned Hand l'a
fait remarquer dans l'arrêt Oil Transfer Corp. v. Westchester
Ferry Corp., 1959 A.M.C. 485, 173 F.Supp. 637 (SDNY):
... lorsque la responsabilité de la marche commune de deux
navires a été assumée par l'un d'eux, l'autre n'est pas respon-
sable in rem si son propriétaire n'est pas responsable in
personam ... 5
Le South Carolina n'était aucunement tenu de
présenter une preuve indépendante pour se discul-
per. Je le répète, il est douteux qu'il ait été obligé
de présenter quelque preuve que ce soit. Étant
donné que les agissements du South Carolina font
l'objet d'une preuve non contredite et entièrement
disculpatoire au dossier, le juge de première ins
tance était dans l'erreur lorsqu'il a conclu à la
faute de ce remorqueur.
• 3. Le Widener
Les deux passages suivants des motifs du juge de
première instance contiennent l'essence de ses con
clusions à l'encontre du Widener [aux pages 98
et 103]:
L'expert Espley conclut dans son rapport à la responsabilité
des propriétaires du «Widener» pour avoir négligé de jeter
l'ancre en temps utile. Cette décision pouvait être prise par le
maître du remorquage, le capitaine Kelch, ou à défaut, par le
capitaine Lyons à bord de la barge. Dès après le bris mécani-
' que, le capitaine Kelch qui avait pris la barre du «Ohio», trop
préoccupé à sauver son propre remorqueur et confiant, de
corriger l'embardée, n'a pas pensé de donner l'ordre au «Wide-
ner» de jeter l'ancre. De son propre aveu, il n'a même pas
envisagé cette solution. Au dire des experts, il n'est sans doute
pas facile pour le pilote de la barge de se substituer au maître
du remorquage et de prendre la décision de jeter l'ancre; il ne
doit le faire que s'il est convaincu qu'il n'y a rien d'autre à
faire. Mais encore faut-il que les capitaines communiquent
entre eux et se tiennent réciproquement au courant de tous les
faits pouvant nécessiter leur intervention. En l'occurrence, il
Parks, Alex L. The Law of Tug, Tow and Pilotage, 2e éd.
Centreville, Maryland: Cornell Maritime Press, 1982, à la
p. 205.
semble que les communications ont été fort déficientes, ce qui
nous amène à étudier le dernier reproche, peut-être le plus
important, le manque de communication.
La responsabilité du «Widener» est engagée par la faute du
capitaine Lyons d'obtenir ou de fournir des informations sur la
situation d'urgence qui se présentait. Sans doute le mieux placé
pour évaluer la situation et en communication directe avec le
capitaine Kelch, son silence est inexplicable de même que sa
négligence à suggérer qu'on jette les ancres ou même à prendre
la décision de le faire, à défaut par le capitaine Kelch d'agir.
L'avocat du Widener conteste ces conclusions. Il
souligne que, d'après la transcription, le capitaine
Lyons était, en fait, en communication constante
avec le capitaine Kelch pendant toute la période
critique du passage du courant Ste-Marie. Tout
indique que c'était en effet le cas. L'argument
trahit toutefois une incompréhension de la nature
des critiques que le juge de première instance
adresse au capitaine Lyons: ce qu'il lui reproche,
ce n'est pas simplement d'avoir négligé de trans-
mettre des informations au capitaine Kelch mais,
beaucoup plus sérieusement, de ne pas s'être
enquis de ce qui se passait à bord de l'Ohio au
moment du bris de l'appareil de remorquage et
immédiatement après. Il ressort en effet de son
témoignage que le capitaine Lyons n'a jamais su, à
aucun moment avant la collision, que cet appareil
s'était brisé ou que quelque chose ne tournait pas
rond à bord de l'Ohio. Sa déposition doit être
rapprochée en particulier du témoignage de l'ex-
pert Espley auquel le juge de première instance se
réfère 6 . Selon ce témoin, le capitaine Lyons n'au-
rait pu manquer s'il avait assuré une surveillance
adéquate du pont du Widener, de voir que l'Ohio
était en difficulté et qu'il avait perdu le contrôle de
la remorque. Manifestement, le juge de première
instance a préféré ce témoignage à la déclaration
du capitaine Lyons qui a prétendu n'avoir eu
aucune raison de penser que quelque chose n'allait
pas et ne pas s'être aperçu que le câble filait de
façon incontrôlée. C'est un choix que le juge de
première instance était libre de faire et je ne suis
pas convaincu qu'il ait commis une erreur mani-
feste à cet égard.
6 Voir le dossier d'appel, annexe conjointe, volume 1, p. 4;
annexe 1, volume 1, p. 94 et 95; annexe 1, volume 2, p. 230
à 240.
À vrai dire, étant donné que le capitaine Lyons,
du pont du Widener, était le seul à avoir une vue
complète de l'ensemble de l'opération, et compte
tenu de la catastrophe qui se déroulait à bord de
l'Ohio (à un certain moment, sa poupe était à ce
point immergée qu'un témoin se trouvant sur le
pont arrière avait de l'eau jusqu'à la taille) et du
fait qu'environ sept cents pieds de câble avaient
filé au moment du bris de l'appareil, son témoi-
gnage est renversant:
[TRADUCTION]
Q. Maintenant, lorsque le Widener a commencé à dériver à
tribord, vous avez dit que vous pouviez voir l'Ohio tirer de
toutes ses forces. C'est là où vous vous attendiez qu'il soit
à ce moment précis?
R. C'est exact.
Q. Et, dans les faits, il était assez stable dans l'eau?
R. Oh, oui.
(Commission rogatoire, à la page 62.)
Une fois qu'on a admis que le capitaine Lyons, à
bord du Widener, a fait montre de négligence en
ne se rendant pas compte de ce qui se passait à
bord de l'Ohio, il devient facile de comprendre
l'autre conclusion du juge de première instance
suivant laquelle le capitaine a commis une faute en
ne suggérant pas de jeter l'ancre et même, lorsque
la situation s'est aggravée, en ne prenant pas cette
mesure de son propre chef. Même si le Widener
était une barge «non propulsée» privée presque de
toute indépendance, il avait à son bord un capi-
taine compétent et un équipage qui auraient pu
prendre l'une des rares décisions en leur ressort,
celle de jeter l'ancre. Le fait que la barge était
temporairement sous le commandement du capi-
taine Kelch de l'Ohio n'excuse pas ses propriétai-
res pour la négligence commise par leurs employés
dans la conduite du navire.
On peut appliquer à cet égard le test suivant: à
supposer que l'appareil de remorquage n'ait pas
été réparé, voire que la remorque se soit aussi
rompue, de sorte que l'Ohio n'aurait pu exercer
aucune traction efficace sur le Widener, pour-
rait-on sérieusement prétendre que ce dernier
pourrait invoquer l'absence d'ordre de l'Ohio pour
s'excuser de n'avoir pas jeté ses ancres et de
n'avoir pu ainsi éviter de dériver dans le Rhône?
Assurément non. Encore une fois, certains élé-
ments de preuve, bien que contradictoires, mon-
trent que la collision aurait pu être évitée si les
ancres avaient été jetées en temps voulu. C'est sur
ces éléments que le juge de première instance s'est
appuyé pour conclure à la faute du Widener.
On peut également considérer l'affaire sous un
autre angle. Les propriétaires du Widener avaient
placé leur navire sous le commandement d'un capi-
taine, en l'occurrence le capitaine Lyons, lequel
était leur préposé et des actes duquel ils étaient
responsables. De toute évidence, l'un des devoirs
du capitaine Lyons envers ses employeurs était de
suivre les ordres reçus du capitaine Kelch en sa
qualité de maître de remorquage. Bien que les
relations entre le capitaine Kelch et les propriétai-
res du Widener soient indubitablement celles d'un
entrepreneur indépendant plutôt que d'un maître
et d'un préposé, il est difficile de voir comment les
propriétaires du Widener pourraient échapper à
toute responsabilité pour les erreurs de navigation
commises par leurs propres préposés obéissant aux
ordres reçus d'entrepreneurs indépendants agissant
pour le compte des propriétaires'. Il ne s'agit pas
ici d'erreur dans la conduite de l'Ohio, conduite
dans laquelle le Widener n'était qu'un instrument
passif, mais plutôt d'une erreur de navigation spé-
cifique (le défaut de jeter l'ancre) du Widener
lui-même à un moment où une telle erreur repré-
sentait un danger imminent pour d'innocentés tier-
ces parties 8 .
' La situation est analogue à celle que mentionne McGuffie,
Kenneth C., dans British Shipping Laws, vol. 4 «The Law of
Collision at Sea», London: Stevens & Sons Limited, 1961, à la
p. 174, par. 231.
[TRADUCTION] Si la collision a été causée par la faute des
responsables de la remorque qui ont mal dirigé le remor-
queur, la remorque et le remorqueur peuvent tous deux être
solidairement responsables de tous les dommages envers le
navire tiers. Les propriétaires du remorqueur seraient respon-
sables à titre d'employeurs du timonier du remorqueur si ce
dernier avait été négligent et ce, même si leur préposé est
tenu, aux termes du contrat de remorquage, d'obéir, à ceux
qui se trouvent à bord de la remorque. Les propriétaires de
cette dernière sont quant à eux responsables parce que c'est
l'ordre erroné donné par leur préposé qui a causé la collision.
8 Comparer avec la situation que décrit le maître des rôles
lord Denning dans The Bramley Moore, [1963] 2 Lloyd's Rep.
429 (C.A.) [à la p. 436], où la remorque qui était entrée en
collision avec un autre navire n'avait aucune autonomie de
navigation:
[TRADUCTION] ... dans le cas où ceux qui sont à bord du
remorqueur sont négligents et ceux qui sont à bord de la
barge ne le sont pas, la cause des dommages est en vérité la
faute de navigation du remorqueur et non la faute de naviga
tion de la barge. C'est le remorqueur qui est la cause de tous
les problèmes.
On peut également se référer à cet égard à la
décision du Conseil privé dans l'arrêt The Pais
ley 9 . Cette affaire mettait pareillement en cause
un navire sans force automotrice pris en remorque,
le Paisley, qui était entré en collision avec un
navire amarré, le Saskatchewan. Ce dernier avait
subi d'importants dommages parce que l'ancre du
Paisley traînait dans l'eau, le jas partiellement
immergé et le diamant gisant sous deux pieds et
demi d'eau. La conséquence fut que le Saskatche-
wan a été atteint sous la ligne de flottaison du fait
d'une collision qui autrement aurait été mineure; il
a coulé et sa cargaison avait été trempée. Le
Conseil privé a tenu les propriétaires du Paisley
responsables en raison du rôle joué par le gardien
du navire. Il s'est exprimé ainsi [à la page 262]:
[TRADUCTION] Lors de l'audience tenue devant le Comité, il
n'a pas été contesté—et en fait il ne pouvait l'être—que Penrice
était responsable du «Paisley», de ses engins et de son équipe-
ment, y compris l'ancre. Cette dernière ayant été temporaire-
ment jetée au début de la période cruciale, l'un des devoirs de
Penrice, à l'approche du silo, était de remettre l'ancre en place
dans l'écubier. Avec l'aide des hommes du remorqueur, il s'est
mis au travail. Avant que la manoeuvre ne soit achevée toute-
fois, il s'est entendu avec le maître du remorquage pour laisser
l'ancre là où elle se trouvait. Sans cela, elle aurait été arrimée
en toute sûreté. Mais par suite de la décision de Penrice, le
diamant de l'ancre a été endommagé et la patte a pénétré le
flanc du «Saskatchewan». Le maître du remorquage Waugh
eût-il gardé ou laissé l'ancre ainsi dangereusement exposée
contre la volonté de Penrice que la situation aurait été toute
autre: il n'y a qu'à lui qu'on aurait alors pu attribuer la
responsabilité des dommages. Mais au contraire, c'est en raison
de l'initiative et de la participation active du gardien du navire
que l'ancre a été mal placée et qu'elle a causé l'avarie.
Je conclus donc, sur ce point, qu'il n'y a pas lieu
d'intervenir dans la décision du juge de première
instance d'imputer une faute au Widener.
4. Les autres
Lorsque j'ai traité de la responsabilité de l'Ohio,
j'ai mentionné les conclusions du juge de première
instance à l'égard du Rival. Ces conclusions exoné-
raient spécifiquement l'équipage de ce navire de
toute responsabilité dans la collision. Elles s'ap-
puient sur la preuve et on n'a prouvé l'existence
d'aucune erreur manifeste.
En ce qui concerne le dernier membre de la
flotille, le remorqueur Ste. Marie II, aucune des
9 Richardson (James) & Sons, Ltd. v. «Robert J. Paisley»,
[1930] 2 D.L.R. 257 (P.C.).
parties au présent appel n'a fait valoir que le juge
de première instance avait commis une erreur en
concluant à l'absence de faute de sa part.
5. Partage des responsabilités
Voici l'avis qu'a exprimé le juge de première
instance sur la question du partage des responsabi-
lités [aux pages 103 et 104]:
Mais la plus grande part de responsabilité incombe nécessai-
rement au remorqueur de tête, l'«Ohio», son capitaine et ses
propriétaires. L'improvisation dont on a fait preuve dans l'orga-
nisation et au cours de ce voyage, l'empressement démontré par
le capitaine Kelch pour entrer dans le port de Montréal, le
manque de communication flagrant entre les capitaines tant
avant de virer à la bouée de l'Ile Ste-Hélène que durant la
remontée du fleuve, la décision de tourner à cet endroit, la
vitesse de remontée, sont tous autant de facteurs qui ont
contribué à rendre l'accident inévitable. Par ailleurs, le bris
mécanique survenu à la remorque qui était l'objet d'une tension
extrême ne peut servir à disculper les propriétaires du «Ohio» à
l'égard du «Rhône».
J'ai indiqué précédemment qu'à mon avis, le
juge de première instance avait conclu à tort qu'il
y avait eu faute de la part du South Carolina et
ce, parce qu'il croyait erronément qu'une présomp-
tion pesait contre ce navire et que ce dernier
n'avait fourni aucune preuve quant aux mesures
prises dans les minutes ayant précédé la collision.
En vérité, le juge de première instance a tenu le
South Carolina responsable de fautes commises
par l'Ohio. Dans le passage précité où il partage
les responsabilités, le juge ne parle en effet que de
l'Ohio et du capitaine Kelch. A mon avis, et même
s'il n'est plus alors question du South Carolina, le
partage de la responsabilité à quatre-vingt pour
cent pour les propriétaires de l'Ohio et à vingt pour
cent pour les propriétaires du Widener était raison-
nable et aurait été identique même en l'absence du
South Carolina. Il n'y a donc pas lieu d'intervenir
à cet égard.
6. Les frais
Le prononcé d'une ordonnance Sanderson en
faveur des défendeurs gagnants, les propriétaires
et exploitants du remorqueur Rival, et à l'encontre
des défendeurs perdants relevait du pouvoir
discrétionnaire 10 du juge de première instance et je
10 Voir Macdonalds Consolidated Ltd. v. The Viajero,
[1977] 1 C.F. 648 (l''a inst.); Apple Computer, Inc. et autre c.
Mackintosh Computers Ltd. et autres (1987), 43 D.L.R. (4th)
184 (C.F. 1" inst.).
ne suis pas convaincu qu'il ait commis à cet égard
une erreur sujette à révision. De même, il n'y a pas
lieu que la Cour intervienne dans sa décision d'ad-
juger à la demanderesse des honoraires pour les
services d'un avocat-conseil junior.
B. Le droit des propriétaires de l'Ohio et du South
Carolina de limiter leur responsabilité en vertu
de l'article 575 de la Loi sur la marine mar-
chande du Canada
La disposition législative pertinente, qui était
autrefois le paragraphe 647(2) de la Loi sur la
marine marchande du Canada [S.R.C. 1970,
chap. S-9], se retrouve maintenant au paragraphe
575(1) dont voici la teneur:
575. (1) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non au
Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événements
suivants se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de
sa part, savoir:
a) mort ou blessures occasionnées à une personne ou blessu-
res occasionnées à une personne à bord de ce navire;
b) avarie ou perte de marchandises, d'objets ou autres choses
à bord du navire;
c) mort ou blessures occasionnées à une personne qui n'est
pas à bord de ce navire;
(i) soit par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle
soit ou non à bord du navire, dans la navigation ou la
conduite du navire, le chargement, le transport ou le
déchargement de sa cargaison, ou l'embarquement, le
transport ou le débarquement de ses passagers,
(ii) soit par quelque autre acte ou omission de la part
d'une personne à bord du navire;
• d) avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont men-
tionnés à l'alinéa b), ou violation de tout droit:
(i) soit par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle
soit ou non à bord du navire, dans la navigation ou la
conduite du navire, le chargement, le transport ou le
déchargement de sa cargaison, ou l'embarquement, le
transport ou le débarquement de ses passagers,
(ii) soit par quelque autre acte ou omission de la part
d'une personne à bord du navire,
responsable des dommages-intérêts au-delà des montants
suivants:
e) à l'égard de la mort ou des blessures corporelles, qu'elles
soient considérées seules ou avec toute avarie ou perte de
biens ou toute violation de droits dont fait mention
l'alinéa d), un montant global équivalant à trois mille cent
francs-or pour chaque tonneau de jauge du navire;
A à l'égard de toute avarie ou perte de biens ou de toute
violation des droits dont fait mention l'alinéa d), un montant
global équivalant à mille francs-or pour chaque tonneau de
jauge du navire.
Puisqu'il n'y pas eu en l'espèce de mort, de
blessures ou d'avarie de marchandises, ce sont les
dispositions de l'alinéa d) qui s'appliquent.
Il est maintenant bien établi qu'en matière de
remorquage (du moins lorsque le remorqueur et sa
remorque n'ont pas le même propriétaire), les
propriétaires du remorqueur sont admis à limiter
leur responsabilité en fonction de la seule jauge de
leur navire. Il en est ainsi quoique l'avarie ait pu
être causée par la négligence du remorqueur dans
la conduite de la remorque et malgré la taille
souvent beaucoup plus imposante de cette dernière.
L'arrêt de principe sur cette question est l'affaire
The Bramley Moore, précitée, où le maître des
rôles lord Denning s'exprime ainsi [à la page 437]
après avoir cité la disposition législative pertinente:
[TRADUCTION] Appliquons ce principe à une affaire mettant
en cause, comme en l'espèce, un remorqueur et un navire
remorqué. Si les personnes se trouvant à bord du remorqueur
ont fait preuve de négligence alors que tel n'est pas le cas des
personnes à bord de la remorque, et que cette dernière entre en
collision avec un autre navire, les dommages résultent alors
clairement de «l'acte ou de l'omission d'une personne à bord du
remorqueur». Si l'on insérait les mots appropriés dans l'article
tel qu'il est maintenant modifié, il serait ainsi libellé: «Les
propriétaires d'un remorqueur ne sont pas, lorsque les domma-
ges résultent de l'acte ou de l'omission d'une personne se
trouvant à son bord, responsables de ces dommages» au-delà
d'un montant calculé en fonction de la jauge du remorqueur.
Ainsi formulé, l'article semble clairement viser le cas 'où les
personnes à bord du remorqueur sont négligentes alors que
celles se trouvant à bord de la remorque ne le sont pas. Il en
ressort que les propriétaires d'un remorqueur peuvent limiter
leur responsabilité suivant la jauge de leur navire.
Le principe sous-tendant la limitation de la responsabilité est
que l'auteur de la faute devrait être tenu responsable suivant au
plus la valeur de son navire. Un petit remorqueur a une valeur
moindre et devrait ainsi encourir un degré moindre de responsa-
bilité, même s'il prend en remorque un gros navire de ligne et
cause d'importants dommages. Je conviens que cette règle n'est
pas particulièrement juste, mais la limitation de responsabilité
n'est pas une question de justice. C'est une règle dictée par
l'intérêt public qui puise son origine dans l'histoire et qui se
justifie par son utilité.
Il est également bien établi que c'est au proprié-
taire du navire qu'il appartient d'établir l'absence
de «faute ou complicité réelle de sa part» et, par-
tant, son droit de limiter sa responsabilité. C'est un
lourd fardeau.
L'obligation qui incombe aux propriétaires d'un navire est
lourde et ils ne peuvent pas s'en acquitter en démontrant que
leurs actes ne constituent pas [TRADUCTION] «l'unique cause
ou la cause prochaine ou la cause principale» du malheureux
accident. Comme l'a souligné le vicomte Haldane dans Stan-
dard Oil Co. of New York v. Clan Lines Steamers Ltd., à la
page 113
[TRADUCTION] ... ils doivent démontrer que l'événement
s'est produit sans qu'il y ait faute ou complicité de leur
part".
Ajoutons, en guise d'introduction sur ce point,
que dans l'état actuel du droit, lorsqu'un navire est
la propriété d'une personne morale, la faute ou
complicité réelle qui aura pour effet de priver cette
compagnie du bénéfice de la limitation légale de
responsabilité devra être celle de la personne phy
sique qui en incarne «l'âme dirigeante». Les mots
cités sont tirés du jugement du lord chancelier
Haldane dans l'affaire Lennard's Carrying Com
pany v. Asiatic Petroleum Company 12 :
[TRADUCTION] Maintenant, vos seigneuries, l'accident
s'est-il produit sans la faute ou la complicité réelle des proprié-
taires du navire, en l'occurrence les appelants? Vos seigneuries,
une société est une abstraction. Elle n'a pas d'esprit qui lui est
propre pas plus qu'elle ne possède de corps; aussi son principe
actif doit-il être recherché dans la personne qui, à certaines
fins, peut être appelée mandataire, mais qui est véritablement
l'âme dirigeante de la société, l'incarnation même de sa
personnalité.
Le juge de première instance a abordé ainsi la
question de la limitation de responsabilité [aux
pages 107 à 110]:
Voyons ce que révèle en l'espèce la preuve présentée par
G.L.T. pour limiter sa responsabilité.
Le capitaine Paul A. Lloyd, vice-président à l'exploitation de
G.L.T. a longuement témoigné. En cette qualité, il s'occupe de
l'administration, de l'embauche du personnel, de la cotation des
taux, et il est aussi responsable de la bonne marche des
nombreux remorqueurs appartenant à la compagnie; en fait, il
est la personne responsable «to make sure that they operated
properly». Mais en ce qui concerne entre autres le remorqueur
«Ohio», lorsqu'il est question de navigation, de l'approvisionne-
ment en cartes maritimes et de tout ce qui doit se trouver à
bord du remorqueur, il se fie au capitaine Kelch. Selon son
propre aveu, Kelch faisait partie de la direction de la compa-
gnie et avait de nombreuses décisions à prendre concernant
entre autres l'approvisionnement en cartes maritimes. D'ail-
leurs, concernant ce voyage en direction d'un port sur le
Saint-Laurent, sauf pour ce qui est des démarches préliminai-
res, toutes les décisions relevaient du capitaine Kelch, ce qui
n'empêchait pas ce dernier de faire de fréquents rapports à son
supérieur. Ainsi lorsqu'est venu le temps de s'assurer de la
présence d'un quatrième remorqueur pour sortir de la Voie
maritime du Saint-Laurent, Kelch a référé à Lloyd pour en
obtenir l'autorisation mais il s'agissait plus d'une formalité pour
couvrir l'aspect financier de la question car selon Lloyd, le
nombre de remorqueurs requis pour effectuer une manoeuvre
" Stein et autres c. «Kathy K» et autres (Le navire),
[1976] 2 R.C.S. 802, à la p. 819.
12 [1915] A.C. 705 (H.L.), à la p. 713.
était une question de navigation qui relevait spécifiquement de
Kelch. En fait, selon le témoignage même du capitaine Kelch,
ses nombreuses responsabilités au sein de la compagnie en
faisaient un représentant de celle-ci. À propos de ce voyage, il a
admis spontanément avoir agi en qualité de maître du remor-
quage, fait qu'ignorait son supérieur immédiat, le capitaine
Lloyd, jusqu'au moment du procès. Selon ce dernier, il n'était
même pas dans les habitudes de la compagnie de s'assurer qui
était en charge des manoeuvres dans le cas de remorquages
impliquant plus d'un remorqueur.
Il est inadmissible qu'un propriétaire de remorqueur qui
entend limiter sa responsabilité puisse ainsi se désintéresser de
savoir qui, comment et sous la responsabilité ultime de quel
capitaine un si long voyage pourrait être entrepris, sans même
qu'on se soit assuré qu'il ait à bord tous les instruments
nécessaires à la navigation.
La défenderesse a aussi fait entendre Joseph White, respon-
sable de l'entretien et des réparations de la flotte. Il a longue-
ment expliqué les caractéristiques des remorqueurs «Ohio» et
«South Carolina», les documents et pièces de rechange qu'on
pouvait trouver à bord. Il a aussi élaboré longuement sur les
différents programmes d'inspection annuels ou sporadiques
auxquels étaient soumis leurs remorqueurs et en particulier les
appareils de remorquage à bord du «Ohio». À ce sujet, après
avoir expliqué les systèmes de freinage de cet appareil, le
témoin a rappelé que la goupille qui s'est rompue lors de
l'incident survenu à Montréal en 1980 en était une de rempla-
cement qui aurait été installée dans les chantiers mêmes de la
compagnie, à une date indéterminée mais antérieure à 1975,
date où il a commencé à assumer ses fonctions. À sa connais-
sance, elle n'avait pas été remplacée depuis.
Il ne fait pas de doute que le bris mécanique survenu à bord
de l'appareil de remorquage est imputable à une négligence de
la compagnie dans l'entretien de son équipement et elle n'a
fourni aucune explication plausible si ce n'est la forte tension
exercée sur l'appareil. On a fait valoir que la goupille originale,
faite de cuivre, se rompait trop fréquemment par le passé, et
que pour cette raison, on avait décidé de la remplacer par une
autre en acier inoxydable qui ne serait plus jamais brisée ...
sauf le 7 novembre 1980. Ce fait n'excuse en rien la compagnie;
il n'est pas suffisant d'établir le bris de la goupille et le fait
qu'elle avait été remplacée plus de 5 ans auparavant pour se
dégager de sa responsabilité. À cet égard, les systèmes de
vérification et d'entretien d'équipement dont on a fait la preuve,
si nombreux et si sophistiqués étaient-ils, ne peuvent servir à
exonérer la compagnie.
La défenderesse a aussi fait entendre Thomas Meakin qui
occupait en fait le poste de mécanicien chef pour le compte de
la défenderesse et travaillait sous les ordres immédiats de Jos
White. Même si ce n'était pas sa tâche habituelle, le jour de
l'accident, il se trouvait à la poupe du «Ohio» lorsque le bris
mécanique s'est produit. Très explicite, ce témoin a longuement
expliqué le fonctionnement de l'appareil, ses systèmes de frei-
nage, et les programmes d'entretien auxquels il était soumis. Il
a particulièrement décrit le péril qui menaçait le «Ohio» avant
le bris mécanique, alors que la poupe était complètement
submergée et que lui-même, pourtant de stature imposante,
avait de l'eau jusqu'à la taille, et les manoeuvres qu'il a dû faire
in extremis pour arrêter le déroulement du câble. Sa présence
d'esprit et son courage extraordinaire ont probablement empê-
ché le remorqueur de sombrer et on ne peut certes personnelle-
ment lui reprocher quoi que ce soit.
Reste le capitaine Kelch qui, comme on l'a vu antérieure-
ment, faisait lui aussi partie de la direction de la compagnie et
assumait de nombreuses responsabilités. La Cour a déjà élaboré
auparavant sur les fautes qu'il a commises. Il importe peu qu'il
ait agi de façon fautive en sa qualité de dirigeant de la
compagnie comme capitaine de port ou que ses fautes soient
attribuables à des erreurs de navigation en tant que maître du
remorquage: il ne peut pour autant dissocier sa responsabilité
face à la demanderesse. Si la même personne qui commet une
faute de navigation est en même temps celle dont les actes
l'identifient aux actes de la compagnie, et qu'en cette qualité,
elle est aussi fautive, ses employeurs n'ont pas droit à la limite
de responsabilité prévue à l'article 647.
Bref, même en prenant pour acquis que la défenderesse
G.L.T. a réussi à prouver l'identité des personnes dont les actes
les identifiaient aux actes de la compagnie, elle est loin d'avoir
démontré que ces personnes ne sont pas coupables de faute ou
de complicité au sens qu'il faut donner à ces mots, comme on
l'a précisé dans l'affaire du «Kathy K.» Au contraire, la preuve
démontre que le capitaine Lloyd était celui dont les faits et
gestes l'identifiaient davantage aux actes de la compagnie en ce
qui concernait l'administration et la surveillance générale, et il
ressort abondamment de son témoignage qu'il ignorait prati-
quement tout de ce qui se passait à bord de ses remorqueurs
durant ce voyage, s'en souciait fort peu et laissait toute la
latitude voulue à ses capitaines. Quant au bris mécanique
survenu à bord dg «Ohio», le responsable de l'entretien Jos
White, n'en a fourni aucune explication plausible. Enfin, le
capitaine Kelch qui était responsable pour la compagnie non
seulement de l'approvisionnement à bord des remorqueurs de la
documentation nécessaire à un tel voyage, mais entre autres de
l'embauche d'un quatrième remorqueur pour mener la barge à
bon port, il a lamentablement failli à sa tâche en exerçant de
façon négligente, à l'égard du «Rival», ses fonctions de dirigeant
de la compagnie.
Bref, la défenderesse G.L.T. n'a pas établi qu'elle avait droit
à la limite de responsabilité.
Plusieurs aspects de cette conclusion me causent
des difficultés.
En premier lieu, le juge de première instance a,
si je ne m'abuse, conclu à la faute ou complicité
réelle du capitaine Lloyd en raison de la surveil
lance inadéquate qu'il aurait exercée sur le capi-
taine Kelch ou, selon ses termes, du désintérêt qu'il
aurait manifesté. Même s'il ne fait aucun doute
qu'un propriétaire peut se rendre coupable de
faute ou de complicité réelle en raison de péchés
d'omission, il reste qu'il doit y avoir un lien de
causalité quelconque entre ces omissions et l'acci-
dent. Les arrêts de principe sur cette question en
fournissent d'éloquents exemples.
Ainsi, dans l'affaire The Lady Gwendolen ", où
un navire naviguant à vive allure par un épais
brouillard avait heurté un navire à l'ancre, on a
décidé qu'en négligeant de voir à ce que le capi-
taine reçoive les instructions nécessaires sur le
maniement du radar et comprenne les dangers de
naviguer à vive allure dans le brouillard, même à
l'aide d'un radar, les propriétaires s'étaient rendus
coupables de faute ou de complicité réelle. L'ex-
trait suivant du jugement du lord juge Winn, à la
page 348, est particulièrement instructif sur cette
question de la causalité:
[TRADUCTION] Après avoir pris connaissance, grâce aux
analyses approfondies dont je suis grandement redevable aux
procureurs, de toutes les décisions où, dans les circonstances et
les situations les plus variées, les tribunaux ont statué sur la
présence ou l'absence d'une faute ou complicité réelle, j'estime
pouvoir en dégager deux principes évidents:
Premièrement: le propriétaire qui veut limiter sa responsabi-
lité doit établir que, même s'il est responsable de la cause
immédiate de l'événement en vertu du principe respondeat
superior, il n'était lui-même d'aucune façon en faute.à l'égard
de quelqu'élément causal que ce soit. La preuve d'un lien causal
est en effet un élément essentiel à l'ouverture d'une action en
violation d'une obligation, la «faute réelle» dans ce contexte ne
signifie donc pas nécessairement qu'il y ait eu violation d'une
obligation ouvrant droit à une action.
Deuxièmement: le propriétaire n'est pas lui-même sans avoir
commis de faute réelle s'il avait envers la partie ayant subi le
dommage ou la blessure une obligation (a) dont il ne s'est pas
acquitté, et (b) dont il aurait dû s'acquitter en faisant lui-même
quelque chose qu'il a négligé de faire et qui, dans les . .circons-
tances, relevait de sa propre compétence.
De même, dans l'affaire The Marion' où le
capitaine s'était, d'après les indications d'une carte
désuète, ancré sur un pipeline immergé, lequel
s'était rompu en causant des dommages considéra-
bles, on a conclu à la faute ou complicité réelle des
propriétaires parce qu'ils avaient négligé de faire
en sorte que le navire soit uniquement équipé de
cartes à jour et que les cartes désuètes soient
détruites. Ici encore, il y avait une relation causale
manifeste entre le défaut de surveillance et les
dommages, comme il ressort du passage suivant de
l'opinion de lord Brandon, à la page 352:
[TRADUCTION] II reste seulement à trancher la question de
la causalité, laquelle ne présente que peu de difficulté, compte
tenu en particulier de l'incidence du fardeau de la preuve. Les
appelants ne pouvaient prouver, et ils ne l'ont pas fait, que
même si FMSL avait exercé une surveillance adéquate en ce
qui a trait aux cartes, le capitaine Potenza aurait, malgré la
13 [1965] 1 Lloyd's Rep. 335 (C.A.).
14 Grand Champion Tankers Ltd v Norpipe AIS (The
Marion), [1984] 2 All ER 343 (H.L.).
présence à bord d'une carte récente indiquant la présence du
pipeline, continué en mars 1977 à naviguer avec une carte
désespérément désuète. De même, les appelants ne pouvaient
prouver, et ils ne l'ont pas fait, que M. Downard eût -it été
promptement informé de l'existence du rapport libérien et de
son contenu, les mêmes événements se seraient produits. Dans
l'un ou l'autre cas, il est probable soit que le capitaine Potenza
aurait été persuadé par FMSL de renoncer à naviguer avec des
cartes désuètes, soit, s'il avait manifesté son incapacité à chan-
ger à cet égard, qu'il aurait été relevé de son commandement.
Dans les circonstances, il est donc impossible pour les appelants
d'établir que les deux fautes réelles dont je les ai tenus respon-
sables n'ont pas contribué aux dommages causés au pipeline.
Enfin, on peut également se reporter sur cette
question à la décision de la Chambre des lords
dans l'affaire The Norman'', où on a jugé qu'il y
avait eu faute ou complicité réelle des propriétaires
qui avaient négligé d'envoyer un message télégra-
phique au capitaine pour l'avertir qu'ils venaient
de recevoir des renseignements sur l'existence pré-
sumée de dangers dans une zone mal cartographiée
déjà réputée dangereuse. Lord Radcliffe formule
ainsi la question de la causalité [à la page 12]:
[TRADUCTION] Les propriétaires ont-ils réussi à établir que
même s'il aurait été raisonnable de transmettre l'information,
sa réception n'aurait pas contribué à éviter le désastre? À cette
fin, j'estime que nous devons considérer les propriétaires
comme des demandeurs qui doivent convaincre la Cour que,
tout bien considéré, il n'est pas raisonnablement probable de
croire que le message, s'il avait été reçu, aurait modifié de
façon importante les actions ou les décisions du commandant
du Norman.
La comparaison de ces affaires avec les faits
constatés en l'espèce par le juge de première ins
tance est frappante. Rien n'indique en effet que le
défaut de surveillance des propriétaires ait contri-
bué de quelque façon, aussi éloignée soit-elle, à
l'accident. Les actes spécifiques de négligence qui
ont été imputés au capitaine Kelch sont sans
exception des questions ordinaires de navigation
relevant de l'autorité et de la compétence normales
du capitaine. Il n'y a pas la moindre preuve lais-
sant croire qu'un propriétaire de navire prudent se
serait personnellement préoccupé des détails de la
navigation au point de donner à Kelch des instruc
tions précises sur l'endroit où effectuer le virage de
la flotille, la vitesse à laquelle affronter le courant
Ste-Marie ou encore la façon de communiquer
avec les autres capitaines. En bref et pour repren-
dre les mots de lord Radcliffe dans l'affaire The
Norman, précitée, tout bien considéré, il n'était
15 Northern Fishing Company (Hull), Ltd. v. Eddom and
Others, [1960] 1 Lloyd's Rep. 1 (H.L.).
pas raisonnablement probable de croire qu'une
surveillance plus étroite et des rapports plus fré-
quents de la part des propriétaires au siège social
de la compagnie à Cleveland, auraient modifié de
façon importante les actions ou les décisions du
capitaine Kelch au moment où il naviguait avec sa
flotille dans le port de Montréal.
En second lieu, je suis d'avis que le juge de
première instance a commis une erreur en con-
cluant qu'il y avait eu faute ou complicité réelle du
capitaine White, une autre âme dirigeante de la
compagnie. En l'occurrence, la difficulté ne réside
pas dans la question de la causalité puisque la
relation causale entre le bris de l'appareil de
remorquage et le dommage ne fait aucun doute.
J'estime plutôt que le juge de première instance a
imposé aux propriétaires une norme d'une rigueur
impossible à satisfaire. Il décrit lui-même les systè-
mes d'inspection et d'entretien de l'équipement de
la compagnie comme «nombreux et sophistiqués».
Il ne conclut aucunement qu'ils étaient inadéquats
ou défectueux. Or, on peut se demander que peut
faire un propriétaire de plus que d'instituer un
programme adéquat d'inspection et d'entretien.
Laisser intactes les conclusions du juge de pre-
mière instance à cet égard aurait pour effet de
transformer les propriétaires de navires en assu-
reurs chaque fois qu'un accident résulte d'un bris
d'équipement. À mon avis, telle n'est pas la règle
de droit.
Il reste, sur ce point, à examiner la conclusion
du juge de première instance suivant laquelle le
capitaine Kelch était lui-même une âme dirigeante
de la compagnie propriétaire du navire. Dans son
cas, la question de la faute personnelle ou du lien
de causalité entre cette faute et le dommage ne
pose pas de difficulté. Il est maintenant bien établi
que, si Kelch était véritablement une âme diri-
geante de la compagnie, le fait qu'il agissait égale-
ment comme capitaine et que c'est en cette qualité
qu'il avait commis sa négligence n'est pas perti
nent. Le passage suivant du juge Stone de la Cour
d'appel dans l'arrêt Wishing Star Fishing Co. c.
B.C. Baron (Le) 16 fait autorité [à la page 339]:
À mon point de vue, la distinction établie pour les fins de
l'article 649 entre un acte posé par un individu particulier en sa
qualité de capitaine et un acte posé par cet individu en sa
qualité de propriétaire ne s'applique pas lorsqu'il s'agit de
déterminer si l'acte visé a été accompli «sans qu'il y ait faute ou
16 [1988] 2 C.F. 325 (C.A.).
complicité réelle» de la part de la société pour les fins de
l'article 647. Dans ce dernier cas, comme l'affirme la jurispru
dence, la question importante est celle de savoir si la personne
qui a posé l'acte en cause occupait à ce moment-là au sein de la
société un poste tel que son acte puisse être considéré comme
l'acte de la société elle-même. J'ai conclu que les actes et les
omissions de M. Krause appartenaient à cette catégorie et, en
conséquence, la société ne peut limiter sa responsabilité. Les
pertes ne se sont pas produites sans qu'il y ait «faute ou
complicité réelle» de sa part.
La véritable question qui se pose à l'égard du
capitaine Kelch est de savoir si le juge de première
instance était justifié de conclure qu'il était une
âme dirigeante de la Great Lakes Towing Com
pany. À première vue, cette conclusion est certes
étonnante. Somme toute, en dépit de son titre de
capitaine, Kelch est un employé et l'objet même de
l'article 575 est assurément de dégager les proprié-
taires de navires de toute responsabilité pour les
actes négligents de leurs employés lorsqu'ils n'y
ont pas eux-mêmes contribué. Manifestement, il
est impossible que, par le biais de l'identification
corporative, on impose ainsi une responsabilité que
le but même de la loi était d'éviter.
En revanche, il ne faut pas oublier que Kelch
était davantage qu'un capitaine ordinaire ou qu'un
simple employé et que, pour le compte de ses
employeurs, il exerçait, quant à la conduite de la
flotille, des obligations et des responsabilités
étendues.
Le critère établi dans l'arrêt Lennard's Car
rying, précité, quant à l'identification de la person-
nalité corporative n'a pas été sans évoluer. En
particulier, il n'a pas été limité aux fins plutôt
mystérieuses de limiter la responsabilité des pro-
priétaires pour les accidents maritimes. Dans l'ar-
rêt H.L. Bolton (Engineering) Co. Ltd. v. T.J.
Graham & Sons Ltd", la Cour d'appel de l'Angle-
terre l'a utilisé pour déterminer si une compagnie
propriétaire avait l'intention requise pour occuper
un immeuble en vertu de la Landlord and Tenant
Act. Lord Denning (tel était alors son titre) s'est
exprimé ainsi dans un passage souvent cité [à la
page 172]:
[TRADUCTION] Ainsi le juge a conclu que la présente compa-
gnie, par l'entremise de ses administrateurs, entendait occuper
les lieux pour ses propres fins. M. Albery conteste cette conclu
sion et il nous a renvoyés à des décisions remontant au siècle
dernier; toutefois, je dois dire que le droit sur cette question et
la manière de l'aborder ont évolué considérablement depuis
17 [1957] 1 Q.B. 159 (C.A.).
cette époque. Une compagnie peut être comparée à un corps
humain de plusieurs façons. Elle possède un cerveau et un
centre nerveux qui contrôle ce qu'elle fait. Elle a également des
mains qui tiennent les outils et agissent conformément aux
directives venant de ce centre. Certaines personnes au sein de la
compagnie sont de simples préposés et mandataires qui ne sont
rien de plus que des mains qui accomplissent le travail et dont
on ne peut pas dire qu'elles en représentent l'âme ou l'esprit.
D'autres sont des administrateurs et des gérants qui représen-
tent l'âme dirigeante de la compagnie et qui ont la haute main
sur son activité. L'état d'esprit de ces gérants est celui de la
compagnie et est considéré juridiquement comme tel. Ainsi, on
constate que, dans les cas où la loi exige une faute personnelle
comme condition de la responsabilité délictuelle, la faute du
dirigeant est considérée comme la faute de la compagnie. Ce
principe a été clairement énoncé par lord Haldane dans Len-
nard's Carrying Co. Ltd. v. Asiatic Petroleum Co. Ltd. Il en est
de même en droit pénal: lorsque la loi exige l'intention crimi-
nelle comme condition d'un délit, l'intention criminelle des
directeurs et des administrateurs rend la compagnie elle-même
coupable.
En fait, la doctrine de l'identification corpora-
tive se retrouve principalement aujourd'hui dans le
domaine du droit criminel. L'énoncé le plus récent
et qui fait autorité à ce sujet en droit canadien est
l'arrêt de la Cour suprême du Canada Canadian
Dredge & Dock Co. et autres c. La Reine [aux
pages 684 et 685] 18 :
Le principe en vertu duquel les actes criminels des mandatai-
res sont imputés à la compagnie mandante qui, est leur
employeur afin que l'on puisse conclure à la responsabilité
criminelle de celle-ci ne s'applique que dans les cas où l'âme
dirigeante agit dans les limites de son pouvoir (Beamish, pré-
cité, aux pp. 890 et 892; et St. Lawrence, précité, à la p. 320),
en ce sens que ses actes s'inscrivent dans le cadre de l'activité
de la compagnie (Halsbury's (4» éd.), vol. 14, p. 30, paragraphe
34, précité). A plusieurs reprises dans l'argumentation présen-
tée pour le compte des quatre appelantes, on retrouve une
transformation de la règle de l'âme dirigeante en une exigence
selon laquelle, pour qu'elle s'applique, l'âme dirigeante doit en
tout temps agir dans le cadre de son emploi. Inversement, selon
cet argument, si les actes de l'âme dirigeante dépassent complè-
tement «le cadre de son emploi», ces actes ne sauraient être
attribués à la compagnie dont elle est l'employée. Les problè-
mes terminologiques procèdent de ce que le concept de la
responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle a tradition-
nellement connu une restriction. En effet, il faut que l'employé
agisse «dans le cadre de son emploi» et non pas, pour employer
l'expression bien connue, [TRADUCTION] «uniquement de son
propre chef». Toutefois, la théorie de l'identification n'a rien à
voir avec le cadre de l'emploi au sens délictuel. L'arrêt St.
Lawrence, précité, et d'autres discussions de cette expression en
droit canadien se réfèrent aux tâches déléguées à l'âme diri-
geante. Cela ressort clairement des directives données au jury
par le juge du procès et de l'analyse de ce moyen de défense
faite par la Cour d'appel. Dans l'arrêt St. Lawrence, précité, la
Cour a terminé sa description des éléments de la théorie de la
18 [1985] I R.C.S. 662, le juge Estey.
délégation par l'observation que la responsabilité de la société
n'était engagée que si l'âme dirigeante [TRADUCTION] «agissait
dans le cadre de son emploi». Cette expression, qui dérive du
droit de la responsabilité délictuelle et du mandat et du droit
régissant les rapports entre employeur et employé, ne convient
pas à la théorie de l'identification. C'est en plein la responsabi-
lité du fait d'autrui et cela invite le recours au moyen de
défense selon lequel les actes criminels doivent prima fade
sortir du cadre des fonctions et du pouvoir d'un employé. En
donnant ses directives au jury, le savant juge du procès a trouvé
une expression plus juste: [TRADUCTION] « ... pourvu que ses
actes entrent dans le cadre du domaine de ses attributions».
Dans l'arrêt Tesco, précité, à la p. 171, lord Reid emploie
l'expression [TRADUCTION] «dans le cadre d'une délégation»
faite par la compagnie. Ce critère établit essentiellement qu'il y
a identité de l'âme dirigeante et de la compagnie si les actes de
celle-là ont été accomplis par le directeur dans son secteur de
responsabilité. Ce secteur peut être fonctionnel, géographique,
ou encore il peut englober l'ensemble des opérations de la
compagnie. En fait, il est plus exact de dire que l'acte en
question doit être accompli par l'âme dirigeante de la compa-
gnie dans l'exercice de ses fonctions au sein de celle-ci. On ne
saurait chercher à échapper à l'application de cette doctrine en
alléguant qu'un acte criminel commis par un employé de la
compagnie ne peut pas relever du cadre de son autorité, à moins
qu'on ne lui ait expressément ordonné de commettre l'acte en
question. Admettre une telle, condition serait réduire presque à
néant l'effet de la règle. Les actes de l'incarnation d'une
compagnie dans son secteur de compétence administrative peu-
vent entraîner la responsabilité criminelle de cette dernière, peu
importe qu'il y ait eu ou non délégation expresse; que le conseil
d'administration ou les membres de la direction de la compa-
gnie ait été ou non au courant des activités en cause; et, point
qui sera analysé plus loin, qu'il y ait eu ou non interdiction
expresse. [Non souligné dans le texte original.]
[à la page 675]:
... la conduite criminelle, y compris l'état d'esprit, d'employés
et de mandataires de la compagnie est imputée à celle-ci de
manière à entraîner sa responsabilité criminelle. Mais il faut
alors que l'employé ou le mandataire en question, par le poste
qu'il occupe au sein de l'organisation et dans l'activité de la
compagnie, soit réellement son âme dirigeante, son centre, son
cerveau et son incarnation si bien que l'acte de l'individu est
assimilé à l'acte de ladite compagnie. Selon cette théorie, il
n'existe aucune espèce de responsabilité du fait d'autrui ni
d'autre forme de mandat; il y a plutôt une responsabilité en
droit criminel qui résulte de l'identité de la personne morale et
de la personne physique.
[aux pages 681 et 682]:
Dans la décision R. v. J.J. Beamish Construction Co., préci-
tée, le juge Jessup (tel était alors son titre), brosse un tableau
plus détaillé de l'évolution par laquelle les compagnies ont
perdu leur immunité quasi totale en droit criminel pour se
trouver presque sur un pied d'égalité avec les personnes physi
ques dans les mêmes circonstances. Trois ans plus tard, le juge
Schroeder de la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt R. v. St.
Lawrence Corp., précité, aux pp. 315 à 321, a de nouveau
examiné cette transition. Le juge Schroeder a fini par adopter,
à la p. 320, la même formulation du principe directeur que celle
adoptée par le juge Jessup dans l'affaire Beamish, précitée,
quoique celle-ci ne soit pas mentionnée expressément:
[TRADUCTION] Bien que dans des cas autres que ceux de
la diffamation criminelle, de l'outrage criminel au tribunal,
de la nuisance publique et des infractions de responsabilité
stricte créées par la loi, la responsabilité criminelle d'une
compagnie du fait de ses employés ou de ses mandataires ne
soit pas fondée sur la doctrine de respondeat superior, il n'en
demeure pas moins que, si, en raison de la catégorie de
personnes à laquelle appartient le mandataire, la cour peut
conclure que, dans l'exercice de ses attributions et responsa-
bilités, il est un organe vital de ladite compagnie et qu'il en
est en réalité l'âme dirigeante, de sorte que ses actes et ses
intentions deviennent les actes et les intentions de la compa-
gnie elle-même, sa conduite suffit à ce moment-là pour
justifier l'inculpation de celle-ci. Ajoutons à ce propos qu'il y
a un principe bien établi selon lequel cette proposition est
soumise à la condition que, dans l'accomplissement des actes
en question, le mandataire n'excède pas son pouvoir, conféré
expressément ou implicitement. [Non souligné dans le texte
original.]
[à la page 693]:
La doctrine de l'identification réunit le conseil d'administra-
tion, le directeur général, le directeur, le gérant et n'importe
quelle autre personne ayant reçu une délégation du conseil
d'administration à qui est déléguée l'autorité directrice de la
compagnie, et la conduite de l'une quelconque des entités ainsi
réunies est alors imputée à ladite compagnie. Ainsi, selon l'arrêt
St. Lawrence, précité, et d'autres décisions, une compagnie peut
avoir plus d'une âme dirigeante. C'est particulièrement le cas
dans un pays comme le Canada où les activités d'une compa-
gnie s'exercent souvent sur une vaste étendue géographique.
Les compagnies de transport, par exemple, doivent nécessaire-
ment fonctionner par la délégation et la sous-délégation du
pouvoir central; par la division et la sous-division des centres
nerveux; et par la décentralisation par délégation des organes
directeurs de l'entreprise.
Deux arrêts antérieurs, également tirés du droit
criminel et que cite avec approbation le juge Estey
dans Canadian Dredge & Dock Co., sont dignes
d'intérêt. Dans le premier, R. v. St. Lawrence
Corp. Ltd. (and nineteen others) 19 , le juge Schroe-
der, dans un passage suivant immédiatement celui
que cite le juge Estey à la page 682, ci-dessus,
s'exprime ainsi au nom de la Cour d'appel de
l'Ontario [aux pages 320 et 321]:
[TRADUCTION] L'histoire du traitement accordé aux compa-
gnies, tant en droit civil qu'en droit criminel, révèle un rejet de
la conception étroite du passé en faveur d'une conception très
large de portée beaucoup plus grande de la responsabilité
corporative potentielle. Cette tendance est légitime compte tenu
du fait que les compagnies sont à la fois plus puissantes et
mieux équipées que les individus. Si elles étaient libres d'agir à
leur guise dans le monde de l'industrie et du commerce, elles
19 [1969] 2 O.R. 305 (C.A.).
seraient potentiellement plus dangereuses et risqueraient d'in-
fliger au public de plus graves préjudices que leurs compéti-
teurs démunis.
Je partage entièrement les conclusions précitées du savant
juge à la lumière de cette évolution récente du droit de la
responsabilité corporative en matière criminelle. Il ressort des
décisions examinées qu'une compagnie peut avoir plus d'une
âme dirigeante ou alter ego. Ainsi, une compagnie ayant des
divisions dans des territoires éloignés de son siège social peut
avoir des âmes dirigeantes dans ces différents territoires. M.
Pim, qui agissait dans le cadre de ses attributions de vice-prési-
dent en charge des ventes des deux compagnies appelantes, en
était autant l'âme dirigeante dans son domaine particulier que
l'était M. Cooper dans un domaine plus large. Il n'était peut-
être qu'un petit satellite d'une grande planète, mais au sein de
la galaxie sa position n'avait rien d'inférieur et le savant juge
était en droit de tenir la compagnie criminellement responsable
de ses actes et de ceux d'autres mandataires de la compagnie
qui agissaient sous la direction et le contrôle de M. Pim. [Non
souligné dans le texte original.]
Le second arrêt est la décision encore plus
ancienne de la Cour d'appel du Québec R. v. H.J.
O'Connell Ltd 20 . Cet arrêt n'est publié que sous la
forme d'un sommaire dont voici la partie perti-
nente [aux pages 666 et 667]:
[TRADUCTION] Le 20 juin 1960, l'intimée a conclu avec le
ministre de la Voirie de la province de Québec un contrat
pour le pavage de certaines routes dans le district de Labelle.
Le contrat prévoyait que le paiement se ferait en fonction
d'un certain prix à l'unité, le coût total prévu étant de
311 567 $. Au moment de la signature du contrat, le travail
était déjà en cours puisqu'il avait commencé au milieu du
mois de mai 1960. Il a été exécuté sous la direction du
coaccusé, un dénommé Barthe, le contremaître responsable
du chantier. Le juge de première instance a conclu que
Barthe avait comploté avec un autre coaccusé, un dénommé
Gouin, qui était son subordonné, et avec d'autres personnes
pour établir un système grâce auquel la Couronne a effectué
des paiements pour de l'asphalte qui n'a jamais été livré: des
reçus de livraison fictifs étaient insérés dans des liasses de
vrais reçus servant à l'établissement des paiements périodi-
ques versés à l'intimée. Le juge de première instance a estimé
que Barthe avait comploté avec Gouin ainsi qu'avec d'autres
employés de l'intimée et du ministère de la Voirie. Il a
néanmoins acquitté l'intimée au motif qu'elle n'était pas
criminellement responsable des actes commis par les
employés coupables. Le juge résume ainsi son interprétation
des règles de droit relatives à la responsabilité criminelle
d'une compagnie:
Il est évident que le tribunal doit être convaincu que les
officiers supérieurs, c'est-à-dire les président, vice-prési-
dent, etc., et surtout le bureau d'administration, sans
avoir commis l'offense personnellement, devaient néces-
sairement être au courant des faits et gestes de leurs
préposés ou agents.
Pour résumer la jurisprudence, une compagnie a le mens rea
nécessaire pour être trouvée coupable d'une offense crimi-
20 [1962] B.R. 666 (C.A. Qué.).
pelle si [sic] l'offense a été commise par un de ses
officiers ou le bureau de direction qui ont la responsabi-
lité de diriger les activités de la compagnie, mais elle ne
peut pas être tenue responsable de l'acte d'un employé
subordonné qui n'était qu'un agent local. Autrement dit, il
faut qu'un concours de volontés dans l'esprit des adminis-
trateurs soit clairement établi entre eux et leur agent en
autorité pour trouver la compagnie coupable de la même
façon que l'agent serait lui-même trouvé coupable.
Comme principal motif d'appel, la Couronne allègue que le
juge du procès a mal interprété cette question de la responsa-
bilité criminelle d'une compagnie pour les actes de ses man-
dataires. Par requête, l'intimée demande le rejet de l'appel en
faisant valoir que l'appel de la Couronne n'était pas fondé sur
une question de droit. Or, la Cour d'appel est d'avis que le
jugement repose sur l'appréciation de la règle de droit telle
qu'elle ressort du passage cité précédemment. Si cette appré-
ciation est incorrecte, le jugement est erroné en droit et la
Cour peut intervenir. La requête de l'intimée est en consé-
quence rejetée.
Le Code criminel établit clairement que les compagnies peu-
vent être coupables de crimes, mais il ne contient aucune
disposition qui puisse nous éclairer sur le problème particu-
lier dont la Cour est maintenant saisie. Une compagnie peut,
du moins dans certaines circonstances, être tenue responsable
des actes de mandataires autres que son président, vice-prési-
dent ou directeur général. En l'espèce, il ressort de la preuve
que Barthe avait le plein contrôle des activités de la compa-
gnie dans la mesure où elles étaient reliées à ce contrat
particulier ainsi qu'à d'autres activités se déroulant dans le
même district. S'il rencontrait des difficultés, il pouvait en
référer au siège social de l'intimée, mais apparemment on ne
s'attendait pas à ce qu'il le fasse. Ses responsabilités lui
permettaient même d'exécuter à sa discrétion des, contrats
mineurs susceptibles d'être facilement réalisés en même
temps que le contrat principal. Il n'avait d'ailleurs aucun
compte à rendre sur les sommes qu'il pouvait dans ces cas
percevoir. Dans les circonstances, la Cour d'appel affirme
ignorer quelle aurait été la décision du juge de première
instance s'il n'avait pas considéré, incorrectement de l'avis de
la Cour, que l'intimée ne pouvait être tenue criminellement
responsable des actes d'un mandataire qui n'était pas un haut
dirigeant, à moins que ces actes aient été commis au su de ses
administrateurs. [Non souligné dans le texte original, renvois
omis.]
À partir de cette jurisprudence, il me semble
que nous pouvons dégager des principes pertinents
pour la solution du présent problème:
1. La question de savoir qui est l'âme dirigeante
ou l'alter ego d'une compagnie est essentiellement
une question de fait, variant selon les circonstances
de chaque espèce et la façon dont la compagnie
gère concrètement ses activités.
2. Une compagnie peut avoir plus d'une «âme
dirigeante» et différentes personnes peuvent incar-
ner l'alter ego de la compagnie pour des fins
spécifiques et dans le cadre particulier de certaines
activités.
3. Un individu peut, en raison de l'isolement
géographique ou d'autres circonstances, être consi-
déré comme l'alter ego de la compagnie pour
certaines fins, même s'il n'occupe pas officielle-
ment une position au sommet de la hiérarchie.
À la lumière de ces principes, examinons à
nouveau la position du capitaine Kelch.
Il n'y a aucun doute que Kelch était, dans les
faits, le maître du remorquage et de la flotille, et
qu'il était investi du pouvoir de donner des ordres à
tous les capitaines de la flotte dont il était le
commandant de facto.
[TRADUCTION]
R. Le capitaine Kelch était le maître du remorquage désigné
par les propriétaires du remorqueur et de la barge, ce qui
en faisait le commandant de toute la flotille, quel que soit
le nombre de remorqueurs ajoutés ou retirés. Le capitaine
Kelch était le maître du remorquage.
(Capitaine R. B. Lyons, commission rogatoire, à la
page 14).
[TRADUCTION]
Q. Très bien ... Pouvez-vous nous dire, de façon générale,
quelles sont les fonctions d'un maître de remorquage tel
que vous . .. manifestement, vous êtes le responsable,
celui qui prend toutes les décisions?
R. Oh, oui.
Q. Est-ce vous qui dites à chaque remorqueur quelle position
il doit prendre?
R. Oui.
r Q. Donnez-vous des ordres de marche spécifiques à chaque
remorqueur?
R. Oui.
Q. Vous leur dites d'aller à demi-régime, à plein régime, ce
genre de choses?
R. Oui.
Q. De tirer ou de pousser dans une certaine direction?
R. Oui.
(Paul A. Kelch, interrogatoire préalable, annexe
conjointe, volume 3, à la page 465).
[TRADUCTION]
Q. Étiez-vous en position de donner des ordres aux capitai-
nes des autres remorqueurs?
R. Oh oui, absolument.
(Paul A. Kelch, commission rogatoire, dossier
d'appel, annexe 1, volume 3, à la page 419).
Encore plus significatif, bien que surprenant, est
le fait, abondamment révélé par la preuve, que la
nomination de Kelch aux commandes de la flotille
(par opposition à son commandement du remor-
queur Ohio) n'émanait pas ni n'avait été faite à la
connaissance d'une personne occupant un rang
supérieur au sein de l'organisation de Great Lakes
Towing Company:
[TRADUCTION]
Q. . avez-vous communiqué avec le capitaine Kelch avant
le début du remorquage?
R. Je l'ai seulement envoyé faire le travail, son travail.
C'était son travail. C'est lui qui faisait tous les remorqua-
ges à l'extérieur pour notre compagnie à cette époque—
sur l'«Ohio,,. Il était strictement sur l'«Ohio».
(Paul A. Lloyd, preuve, audience du 15 septembre
1987, page 44 de la transcription.)
[TRADUCTION]
Q. Permettez-moi de vous demander ceci: sur les Grands
Lacs, lorsque vous faites un remorquage avec la- partici
pation de plus d'un remorqueur, vous avez un remorqueur
de tête—qui est habituellement le plus gros si je ne
m'abuse—et vous avez des remorqueurs plus petits. Qui à
bord de ces remorqueurs agit normalement comme maître
du remorquage?
R. Ils travaillent ensemble.
Q. N'y a-t-il pas nécessairement un maître du remorquage?
R. Non, pas que je sache. Ils travaillent ensemble.
(Paul A. Lloyd, preuve, audience du 15 septembre
1987, page 45 de la transcription.)
[TRADUCTION]
Q. Votre témoignage est-il alors que dans les cas où Great
Lakes Towing entreprend un remorquage requérant l'uti-
lisation de plus d'un remorqueur, la compagnie ne s'as-
sure pas qu'il y ait une personne responsable de
l'opération?
R. Vous avez tout à fait raison. Non, elle ne le fait pas.
(Paul A. Lloyd, preuve, audience du 15 septembre
1987, pages 45 et 46 de la transcription.)
[TRADUCTION]
Q. Si j'ai bien compris, capitaine Lloyd, vous dites que
jusqu'au moment de l'accident à Montréal, si vous voulez,
la direction de Great Lakes Towing ne savait pas qui était
en charge de l'opération?
R. C'est rigoureusement exact.
(Paul A. Lloyd, preuve, audience du 15 septembre
1987, page 47 de la transcription.)
Ailleurs dans la preuve, Kelch est décrit comme
faisant partie de la direction de la compagnie,
employé salarié (par opposition à employé payé à
l'heure), capitaine de la flotte, expert en dépan-
nage et responsable de l'entraînement des nou-
veaux capitaines.
Kelch décrit lui-même ainsi un autre aspect de
ses responsabilités:
[TRADUCTION]
R. ...
Un autre travail consiste à s'occuper des documents du
navire, à s'assurer qu'on a veillé à tout, les permis pour le
téléphone, tous les documents de tous les remorqueurs.
J'ai essayé de les faire dater du même jour au même
moment.
Q. Pour tous les remorqueurs de la flotte?
R. Oui, tous.
À un certain moment, j'avais mon nom sur chacun des
documents des navires de la flotte.
(Paul A. Kelch, commission rogatoire, dossier
d'appel, annexe I, volume 3, aux pages 438
et 439.)
La flotte de remorqueurs de Great Lakes
Towing Company comportant en 1980 un total de
quarante-quatre navires, l'étendue des responsabi-
lités du capitaine Kelch était effectivement
considérable.
Compte tenu du lourd fardeau qui incombe au
propriétaire de navire invoquant la limitation de
responsabilité prévue par la loi, je suis d'avis que
l'ensemble de ces circonstances permettait au juge
de première instance de conclure que le capitaine
Kelch constituait de fait une âme dirigeante de
Great Lakes Towing Company, du moins aux fin i s
d'exécuter les obligations de la compagnie relative-
ment au remorquage du Widener jusqu'au port de
Montréal. En tant que tribunal d'appel, nous ne
devons intervenir dans une telle conclusion que si
nous sommes convaincus que le juge de première
instance a mal interprété le droit ou a commis une
erreur manifeste dans ses constatations de fait. Or,
bien que le présent cas, à mon avis, se situe à la
limite extrême de l'application de la doctrine de
l'identification corporative, on ne m'a pas con-
vaincu qu'il y a eu erreur de principe ou incompré-
hension manifeste des faits. En conséquence et
même si j'ai auparavant indiqué que le juge de
première instance avait, à mon sens, commis une
erreur de droit dans ses conclusions à l'égard des
capitaines Lloyd et White, la conclusion qu'il tire à
l'endroit du capitaine Kelch suffit à justifier son
rejet de la limitation de responsabilité revendiquée
par Great Lakes Towing Company en vertu de
l'article 575 de la Loi sur la marine marchande du
Canada.
C. Responsabilité résultant du dommage causé au
Widener
1. Négligence concourante
Rappelons que, dans l'action intentée par les
propriétaires du Rhône (N° T-5225-80, appel
n° A-409-88), le juge de première instance a par-
tagé la responsabilité entre les propriétaires du
Rhône et ceux du Widener à quatre-vingt pour
cent contre vingt pour cent. Cependant, dans l'ac-
tion intentée par les propriétaires du Widener (n°
T-1066-81, appel n° A-408-88), il a accordé le
plein montant non contesté des dommages. Les
appelants soutiennent que cette position est incohé-
rente. Leur argumentation à ce sujet est entière-
ment contenue dans le paragraphe suivant de leur
mémoire:
[TRADUCTION] En premier lieu, nous soumettons que le juge
de première instance était manifestement dans l'erreur en
condamnant G.L.T. à payer 100 % des dommages subis par
North Central. En effet, lorsqu'il a statué sur la responsabilité
de G.L.T. à l'égard du Rhône, le juge Denault a décidé que la
part de la faute de cette compagnie dans la collision s'établis-
sait à 80 %. Par ailleurs, il a également décidé que 20 % de la
responsabilité incombait à North Central (page 28 du juge-
ment, A.B., vol 4, 751). Cela étant, comment le juge de
première instance pouvait-il alors condamner G.L.T. à payer
100 % des dommages de North Central? Nous prétendons que
le juge de première instance aurait dû, pour être logique,
condamner G.L.T. à payer 80 % des dommages réclamés par
North Central. Nous ne croyons pas utile d'insister sur ce point
puisqu'il nous semble très évident que le juge de première
instance a commis une erreur.
Cette argumentation ne nous éclaire pas.
L'avocat des appelants paraît ignorer, ou à tout
le moins oublier, toute la question controversée du
rôle de la faute partagée dans les demandes de
nature contractuelle 21 ainsi que l'état du droit
maritime canadien (lequel échappe naturellement
à la législation provinciale en matière de négli-
gence) sur ce sujet.
De plus, l'argument des appelantes selon lequel
le juge de première instance n'a pas été «logique»
est loin d'être aussi évident que semble le penser
leur avocat. Le fait que les coauteurs de la faute
aient violé à des degrés différents leur devoir de
prudence envers une tierce partie innocente n'ex-
clut pas nécessairement et inévitablement la possi-
21 Pour un résumé commode et concis, voir Waddams, S. M.,
The Law of Contracts, 2e éd. Toronto: Canada Law Book Ltd.,
1984, aux p. 581 à 583.
bilité qu'en raison d'un contrat, l'un des coauteurs
soit tenu d'indemniser l'autre pour le tout 22.
Quoique les remarques qui précèdent ne justi-
fient évidemment pas le rejet de l'argument des
appelants sur ce point, elles montrent que cet
argument n'est, en fait, qu'une idée après coup
invoquée pour la première fois en appel. On le
constate d'emblée en se référant aux actes de
procédures produits en Section de première ins
tance: dans la défense et demande reconvention-
nelle modifiée déposée dans l'action portant le n°
T-1066-81, tout ce que les appelants avaient à dire
sur la question de la négligence est contenu dans
les paragraphes suivants:
[TRADUCTION] 10. La collision survenue entre le navire
«RHÔNE» et le «PETER A.B. WIDENER» a été causée par la
négligence, l'imprudence, la faute et l'inhabileté de la part de
ceux qui étaient en charge des remorqueurs «RIVAL» et
«SAULT STE. MARIE II»;
11. Ladite collision ne résulte d'aucune façon de la négligence,
imprudence, faute ou inhabileté de la part de ceux qui étaient
en charge des remorqueurs «OHIO» et «SOUTH CARO-
LINA»;
12. Toutes les manoeuvres exécutées par les remorqueurs
«OHIO» et «SOUTH CAROLINA» avant la collision étaient
raisonnables et prudentes dans les circonstances du moment.
(Dossier d'appel, à la page 8.)
Or, on n'y retrouve aucune allégation quelle
qu'elle soit de négligence de la part du Widener.
La demande des propriétaires du Widener dans
l'action n° T-1066-81 était fondée sur un contrat et
c'est sur cette base que le juge de première ins
tance l'a accueillie. La négligence concourante n'a
pas été plaidée en défense et n'a donc pas été
examinée. En tant que défense à une demande de
nature contractuelle, ce moyen ne soulève pas seu-
lement de difficiles questions de droit mais exige
des conclusions de fait précises et détaillées, en
particulier sur la question de la causalité. Or, le
juge de première instance n'était pas saisi de ces
questions et n'a donc pas pu les prendre en consi-
dération dans l'action n° T-1066-81. Le fait que la
négligence du Widener a été plaidée en défense à
l'action délictuelle qu'a intentée le Rhône contre
22 L'assurance en est un exemple patent mais il y en a
d'autres, telle la disposition contenue dans nombre de conven
tions collectives et en vertu de laquelle l'employeur convient
d'indemniser les employés contre les demandes, émanant de
tierces parties, pour lesquelles il pourrait lui-même être tenu
indépendamment responsable.
tous les membres de la flotille (n° de greffe
T-5225-80) n'autorise pas Great Lakes Towing
Company à importer ce moyen dans l'action con-
tractuelle. Aussi serait-il erroné et injuste de faire
droit à la tentative des appelants de soulever main-
tenant ces questions pour la première fois en appel.
2. La limitation de la responsabilité
En défense à l'action contractuelle du Widener,
Great Lakes Towing a principalement fait valoir
que la clause limitative de responsabilité stipulée
dans le tarif publié de ses taux faisait partie du
contrat conclu entre les parties et qu'on devait
donc y donner effet. Les services de Great Lakes
Towing ayant été retenus par téléphone, la ques
tion de savoir quelles clauses ont ou n'ont pas été
incluses dans l'entente devient une question de fait.
De même, étant donné que c'est Great Lakes
Towing qui allègue l'existence d'une telle clause
limitative de responsabilité en cas d'inexécution,
c'est à elle qu'incombe le fardeau d'en faire la
preuve 23.
Le juge de première instance a traité de la
question en termes clairs et concis [à la page 114]:
Pour que la demanderesse soit liée par ce tarif et en particu-
lier par la clause limitative de sa responsabilité, la défenderesse
doit prouver qu'on lui en a livré un exemplaire. Non seulement
cette preuve n'a-t-elle pas été faite, mais la preuve tend plutôt à
démontrer que lors de l'entente par téléphone, on a., convenu
d'un tarif quotidien et on n'a pas porté à l'attention de la
demanderesse quelque disposition que ce soit de ce tarif et
encore moins cette clause limitative de responsabilité.
À mon avis, ce passage énonce correctement le
droit et comporte une conclusion de fait qui ressort
clairement de la preuve. Il n'y a donc pas lieu
d'intervenir.
CONCLUSIONS ET DISPOSITIF
Pour les motifs qui précèdent:
Dans l'action n° A-408-88 (T-1066-81), je rejet-
terais l'appel avec dépens;
Dans l'action n° A-409-88 (T-5225-80), j'ac-
cueillerais l'appel uniquement à l'égard de, la con-
damnation prononcée à l'encontre du remorqueur
South Carolina afin de la radier du jugement de
première instance. À tous autres égards, je rejet-
terais l'appel. Le succès des appelants étant limité
23 Voir McCutcheon v. MacBrayne (David), Ltd., [1964] 1
All E.R. 430 (H.L.).
à un aspect de la cause très mineur et, dans les
circonstances, sans aucune incidence pratique,
j'adjugerais aux intimés les frais de l'appel. Je
rejetterais l'appel incident formé par les pro-
priétaires du Widener, avec dépens en faveur
seulement des intimés qui étaient parties deman-
deresses en première instance.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.