T-2329-87
Association olympique canadienne (demande-
resse)
c.
Konica Canada Inc. et Brick Communications
Ltd. (défenderesses)
RÉPERTORIÉ: Assoc. OLYMPIQUE CANADIENNE C. KONICA
CANADA INC. are INST.f
Section de première instance, juge Denault—
Toronto, 23, 24 et 25 mai 1989; Ottawa, 20 mars
1990.
Marques de commerce — Contrefaçon — Injonction — Les
marques ont-elles été adoptées au sens des art. 9 et 11 de la
Loi sur les marques de commerce? — Les art. 9 et 11 ont-ils
un effet rétroactif à l'égard des utilisations antérieures de
marques enregistrées par la suite comme marques officielles?
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Les art. 9
et 11 de la Loi sur les marques de commerce ne sont pas
inconstitutionnels — Le législateur fédéral n'a pas excédé les
pouvoirs qu'il possède en matière d'échanges et de commerce
— Le législateur fédéral n'a pas empiété sur les pouvoirs
conférés aux provinces en matière de propriété et de droits
civils.
Interprétation des lois — Loi sur les marques de commerce
— Sens de l'expression «nul ne peut adopter à l'égard d'une
entreprise, comme marque de commerce ou autrement» — Il
est contraire aux principes d'interprétation législative de
donner un effet rétroactif à une loi.
Le juge Martin a accordé dans la présente instance une
injonction interlocutoire en novembre 1987. Il s'agit d'une
demande d'injonction permanente visant à faire interdire à la
défenderesse Konica de publier son édition du Guinness Book
of Olympic Records: The Complete 1988 Winter & Summer
Olympic Schedule. La défenderesse a publié son livre pour la
première fois en 1987. Les marques officielles enregistrées de la
demanderesse sont «Olympia+, «Summer Olympics» et «Winter
Olympics».
Le litige porte sur la question de savoir si Konica a adopté les
marques au sens de la Loi sur les marques de commerce et si
les articles 9 et 11 ont un effet rétroactif, de manière à interdire
les utilisations antérieures de marques enregistrées comme
marques officielles. On affirme également que les articles 9 et
11 sont inconstitutionnels.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La vente et la distributi6n de l'édition Konica ne violent pas
les marques officielles de la demanderesse. Les marques n'ont
pas été adoptées par Konica au sens de l'article 9, étant donné
qu'elles avaient déjà été adoptées par Guinness longtemps avant
que Konica ne distribue son livre. On ne peut donner une
interprétation rétroactive aux articles 9 et 11 alors que l'adop-
tion et la première utilisation ont eu lieu avant l'enregistrement
des marques de la demanderesse. Cette interprétation respecte
le principe que les nouvelles marques, qu'il s'agisse de marques
de commerce ou de marques officielles, doivent céder le pas
devant les marques adoptées ou enregistrées avant l'enregistre-
ment de la nouvelle marque. Même s'il se peut que cette
décision crée une brèche dans le monopole de la demanderesse
sur les retombées commerciales des Jeux olympiques, il n'ap-
partient pas aux tribunaux de tenir compte de considérations
d'opportunité lorsqu'ils interprètent un texte de loi. On doit
plutôt donner effet aux dispositions législatives non équivoques
du législateur. Aller à l'encontre des règles d'interprétation des
lois et donner un effet rétroactif à ces dispositions législatives
permettrait à toute «autorité publique. de passer outre aux
droits acquis des utilisateurs de marques de commerce
enregistrées.
Les articles 9 et 11 de la Loi ne sont pas inconstitutionnels.
Le législateur fédéral n'a pas outrepassé sa compétence et n'a
pas excédé les pouvoirs qu'il possède en matière d'échanges et
de commerce. Les mots «ou autrement* dans l'expression «nul
ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de
commerce ou autrement» signifient «ou à l'égard d'une entre-
prise de toute autre manière». Le législateur fédéral n'a pas
interdit l'utilisation courante des marques officielles. Konica
distribuait le livre «à l'égard d'une entreprise» autrement que
comme une marque de commerce.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5], art.
91(2).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
500 à 507.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap.
T-13, art. 3, 6(5), 9(1)n)(iii), 11.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Registraire des marques de commerce c. Association
olympique canadienne (1982), 139 D.L.R. (3d) 190; 67
C.P.R. (2d) 59; 43 N.R. 52 (C.A.F.); La Reine c. Kruger
(1978), 44 C.P.R. (2d) 135 (Reg. des marques de com
merce); Assoc. olympique canadienne c. Allied Corp.,
[1990] 1 C.F. 769 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd. c. Andres Wines
Ltd., T-2820-83, juge Cullen, jugement en date du
17-4-85 non publié; Association olympique canadienne c.
Allied Corp. (1987), 14 C.I.P.R. 126; 16 C.P.R. (3d) 80;
13 F.T.R. 93 (C.F. 1r° inst.); Insurance Corporation of
British Columbia c. Le registraire des marques de com
merce, [1980] 1 C.F. 669; (1979), 44 C.P.R. (2d) 1 (1°
inst.).
DÉCISION CITÉE:
Canadian Olympic Assn. v. Mannington Mills, Inc.
(1989), 24 C.P.R. (3d) 152 (Comm. des oppositions des
marques de commerce).
DOCTRINE
Driedger, Elmer A. Construction Of Statutes, 2' éd.,
Toronto: Butterworths, 1983.
Fox, Harold G. Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition, 3' éd., Toronto: Carswell Co. Ltd.,
1972.
AVOCATS:
Kenneth D. McKay et Arthur B. Renaud pour
la demanderesse.
D. H. Jack et Susan A. Goodeve pour les
défenderesses.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Dimock, Toronto pour la
demanderesse.
McDonald & Hayden, Toronto pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RENAULT: Il s'agit d'une demande
d'injonction permanente visant à faire interdire à
la défenderesse Konica de publier ou de distribuer,
sous quelque forme que ce soit, son édition spéciale
du Guinness Book of Olympic Records. Le 30
novembre 1987, le juge Martin a accordé une
injonction interlocutoire interdisant à la défende-
resse de «vendre, d'offrir pour la vente, de distri-
buer, d'annoncer ou d'exposer en public la pelli-
cule et le livre des records olympiques à emballage
par rétraction». C'était la forme sous laquelle se
présentait le paquet spécial original de Konica; il
était composé de trois cartouches de pellicule pho-
tographique en couleur Konica placées bout à bout
et à gauche de l'ouvrage Guinness Book of Olym-
pic Records; tout le paquet était ensuite emballé
par rétraction sous cellophane, ce qui empêchait
l'acheteur éventuel d'ouvrir le livre; il ne pouvait
voir que la couverture. Au haut de la couverture
on voit une bande bleue foncée sur laquelle le nom
commercial de la défenderesse est inscrit en gros
ses lettres blanches ainsi que les couleurs de
l'arc-en-ciel de sa marque. Sous cette bande se
trouvent le titre intégral et le sous-titre du livre:
Guinness Book of Olympic Records: The Com
plete 1988 Winter & Summer Olympic Schedule.
À compter du moment de la signification de
l'avis d'injonction interlocutoire jusqu'au prononcé
de l'ordonnance du juge Martin, la défenderesse a
interrompu la vente et la distribution de son
paquet promotionnel. La défenderesse avait
d'abord commandé 100 000 exemplaires du livre et
elle a ensuite passé une commande supplémentaire
de 25 000 exemplaires. Après l'injonction, elle a
annulé sa commande supplémentaire, a essayé de
donner les livres seuls, sans la pellicule, à ses
distributeurs, et s'est finalement retrouvée avec un
surplus de 22 000 livres. Les parties ont convenu
que les dommages devaient faire l'objet d'un
renvoi en vertu des Règles 500 507 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. L'action oppo-
sant la demanderesse à la défenderesse Brick Com
munications Ltd. a fait l'objet d'une transaction en
avril de 1988.
Pour obtenir gain de cause, la demanderesse doit
démontrer qu'on a porté atteinte à l'article 9 ou à
l'article 11 de la Loi sur les marques de com
merce, L.R.C. (1985), chap. T-13. Voici le libellé
des articles pertinents:
9. (1) Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise,
comme marque de commerce ou autrement, une marque com
posée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on
pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit:
a) les armoiries, l'écusson ou le drapeau de Sa Majesté;
b) les armoiries ou l'écusson d'un membre de la famille
royale;
c) le drapeau, les armoiries, ou l'écusson de Son Excellence
le gouverneur général;
d) un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les
marchandises ou services en liaison avec lesquels il est
employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouver-
nementale, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le
patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouverne-
mentale;
e) les armoiries, l'écusson ou le drapeau adoptés ou employés
à toute époque par le Canada ou par une province ou
municipalité du Canada, à l'égard desquels le registraire, sur
la demande du gouvernement du Canada ou de la province
ou municipalité intéressée, a notifié au public leur adoption
et leur emploi;
f) l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond blanc,
formé en transposant les couleurs fédérales de la Suisse et
retenu par la Convention de Genève pour la proctection des
victimes de guerre de 1949, comme emblème et signe distinc-
tif du service médical des forces armées et utilisé par la
Société de la Croix-Rouge Canadienne, ou l'expression
«Croix-Rouge» ou «Croix de Genève»;
g) l'emblème héraldique du Croissant rouge sur fond blanc
adopté aux mêmes fins que celles mentionnées à l'alinéa f)
par un certain nombre de pays musulmans;
h) le signe équivalent des Lion et Soleil rouges employés par
l'Iran aux mêmes fins que celles mentionnées à l'alinéa j);
i) les drapeaux, armoiries, écussons ou emblèmes nationaux,
territoriaux ou civiques, ou tout signe ou timbre de contrôle
et garantie officiels, dont l'emploi comme devise commerciale
a été l'objet d'un avis d'opposition reçu en conformité avec
les stipulations de la Convention et publiquement donné par
le registraire;
j) une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral;
k) toute matière qui peut faussement suggérer un rapport
avec un particulier vivant;
1) le portrait ou la signature d'un particulier vivant ou qui
est décédé dans les trente années précédentes;
m) les mots «Nations Unies«, ou le sceau ou l'emblème
officiel des Nations Unies;
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème:
(i) adopté ou employé par l'une des forces de Sa Majesté
telles que les définit la Loi sur la défense nationale,
(ii) d'une université,
(iii) adopté et employé par une autorité publique au
Canada comme marque officielle pour des marchandises
ou services,
à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté
ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné
un avis public d'adoption et d'emploi;
o) le nom «Gendarmerie royale du Canada« ou «G.R.C.», ou
toute autre combinaison de lettres se rattachant à la Gendar-
merie royale du Canada, ou toute représentation illustrée
d'un membre de ce corps en uniforme.
(2) Le présent article n'a pas pour effet d'empêcher l'emploi,
comme marque de commerce ou autrement, quant à une entre-
prise, d'une marque décrite au paragraphe (1) avec le consente-
ment de Sa Majesté ou de telle autre personne, société, autorité
ou organisation que le présent article est censé avoir voulu
protéger.
et aussi,
11. Nul ne peut employer relativement à une entreprise,
comme marque de commerce ou autrement, une marque adop-
tée contrairement à l'article 9 ou 10 de la présente loi ou
contrairement à l'article 13 ou 14 de la Loi sur la concurrence
déloyale, chapitre 274 des Statuts revisés du Canada de 1952.
Thèse de la demanderesse
La demanderesse prétend que la distribution de
l'ouvrage Guinness Book of Olympic Records de
la défenderesse, qui a été imprimé et publié pour la
première fois en 1987, contrevient au sous-alinéa
9(1)n)(iii) et à l'article 11 de la Loi sur les
marques de commerce. Pour prouver cette préten-
tion, l'avocat de la demanderesse a tenté d'établir:
(1) que la demanderesse, l'Association olympique
canadienne, est une autorité publique; (2) que le
titre et le sous-titre de l'ouvrage de la défenderesse
ressemblent à ce point aux marques officielles
«Olympic», «Summer Olympics» et «Winter Olym-
pics» qu'on pourrait vraisemblablement les confon-
dre avec ces dernières; et (3) que c'est en 1987 que
la défenderesse a adopté les marques incriminées
et, subsidiairement, que l'adoption préalable des
mêmes marques par le prédécesseur en titre de la
défenderesse constitue également une violation des
articles 9 et 11 de la Loi.
Thèse de la défenderesse
En réponse, la défenderesse a fait valoir: (1) que
la reconnaissance comme autorité publique doit
être démontrée dans chaque cas, étant donné qu'il
s'agit d'une caractéristique qui est susceptible de
changer; (2) que la demanderesse cherche à obte-
nir un monopole sur certains mots, ce qui est
contraire à l'ordre public; (3) que les articles 9
et 11 n'ont pas été violés, étant donné que Konica
n'a pas «adopté» les marques en question, puis-
qu'elles ont été adoptées longtemps avant l'enregis-
trement des marques officielles de la demanderesse
par le prédécesseur en titre de Konica, et que
l'enregistrement d'une marque officielle ne peut
avoir d'effet rétroactif; et (4) que les mots «ou
autrement» aux articles 9 et 11 donnent à la loi
une portée d'une largeur inacceptable qui contre-
vient au paragraphe 91(2) de la Loi constitution-
nelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II,
n° 5]]; ce n'est qu'en donnant une interprétation
restrictive à ces mots pour en exclure le genre
d'utilisation qu'a faite la défenderesse que l'on
peut rendre cette disposition constitutionnelle.
Délimitation de la question en litige
Les moyens que les parties ont le plus fortement
contestés concernaient l'effet rétroactif des articles
9 et 11 de la Loi. Voilà, à mon sens, la question
cruciale en litige en l'espèce. Bien que je convienne
qu'une autorité publique doive à maintes reprises
démontrer son caractère public lorsqu'on exige
qu'elle le fasse dans un cas comme celui qui nous
occupe, je suis persuadé que l'Association olympi-
que canadienne continue à respecter le critère à
deux volets de l'avantage public et du contrôle
gouvernemental posé par la Cour d'appel dans
l'arrêt Registraire des marques de commerce c.
Association olympique canadienne (1982), 139
D.L.R. (3d) 190 (C.A.F.), aux pages 199 et 200.
La défenderesse a invoqué une déclaration faite
par le ministre d'État à la Condition physique et
au Sport amateur devant la Chambre des commu
nes selon laquelle le Trust olympique avait assuré
le gouvernement que les [TRADUCTION] «autorités
olympiques ... ne seront pas préoccupées si quel-
qu'un employait des noms ou des marques de
commerce avant 1980, moins que cela n'entre
directement en conflit avec les Jeux olympiques*.
L'avocat de la défenderesse a ensuite renvoyé la
Cour à l'affaire Canadian Olympic Assn. v. Man-
nington Mills, Inc. (1989), 24 C.P.R. (3d) 152
(Comm. des oppositions des marques de com
merce), dans laquelle l'A.O.C. poursuivait le titu-
laire d'une marque de commerce employée depuis
1974 qui n'entrait pas directement en conflit avec
les Jeux olympiques, étant donné que la marque de
commerce en question, «JT-88», était employée en
liaison avec du carrelage. La défenderesse a
ensuite soutenu que l'A.O.C. n'avait pas respecté
l'engagement qu'elle avait pris envers le Parlement
et dont le ministre responsable avait fait état
devant la Chambre des communes, et elle a allégué
que le gouvernement n'exerçait donc pas de con-
trôle sur l'A.O.C. et qu'en conséquence, celle-ci ne
respectait plus les conditions requises pour être
reconnue comme autorité publique. Indépendam-
ment de la valeur que la Cour doit accorder aux
déclarations ministérielles invoquées par l'avocat,
je ne vois pas comment cette déclaration (du 23
novembre 1987) pourrait avoir une incidence sur
les actes accomplis par l'A.O.C. en l'espèce, étant
donné que cette déclaration a été faite deux semai-
nes après l'introduction de la présente action (le 10
novembre 1987). En outre, bien qu'il soit bien
structuré en ce qui a trait à l'affaire Mannington
Mills, précitée, je conclus que le raisonnement de
l'avocat ne fournit pas de raisons suffisantes pour
réfuter les cinq motifs énoncés par la. Cour d'appel
en 1982 lorsqu'elle a statué que l'Association
olympique canadienne était effectivement une
autorité publique. J'estime que ces cinq motifs
demeurent aussi vrais aujourd'hui qu'ils l'étaient
en 1982. (Registraire des marques de commerce c.
Association olympique canadienne (1982), 139
D.L.R. (3d) 190 (C.A.F.), à la page 200.)
Deuxièmement, j'accepte que le titre et le sous-
titre du livre de la défenderesse ressemblent à ce
point aux marques officielles enregistrées par la
demanderesse qu'on pourrait vraisemblablement
les confondre avec certaines d'entre elles. La
défenderesse n'a pas fortement contesté ce point.
En outre, il a été établi par le registraire dans
l'affaire La Reine c. Kruger (1978), 44 C.P.R.
(2d) 135 (Reg. des marques de commerce), à la
page 139, que le critère de la ressemblance du
sous-alinéa 9(1)n) (iii) de la Loi est encore moins
sévère que le critère de la confusion. La ressem-
blance de la marque officielle avec la marque
adoptée est le seul facteur dont il faut tenir
compte; d'autres considérations jugées pertinentes
dans les affaires de marques de commerce, comme
celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5), ne
sont pas pertinentes en l'espèce. Vu ce qui précède,
je conclus que le critère de la ressemblance a été
respecté.
Par ailleurs, je rejette le moyen invoqué par la
défenderesse au sujet de l'inconstitutionnalité des
articles 9 et 11. L'avocat de la défenderesse a
beaucoup tablé sur le sens qu'il attribue aux mots
«ou autrement». Il a prétendu que la défenderesse
avait employé la marque «Olympic» autrement que
comme une marque de commerce, étant donné
qu'elle faisait partie du titre stipulé pour le livre
dans le contrat de licence qu'elle avait conclu avec
l'éditeur. La défenderesse soutient qu'aux termes
de son contrat, elle n'avait d'autre choix que d'em-
ployer le titre et le sous-titre déjà utilisés par
l'éditeur. La défenderesse a ensuite prétendu qu'en
interdisant l'emploi du mot «Olympic» autrement
que comme une marque de commerce, le législa-
teur a outrepassé sa compétence, qu'il a excédé les
pouvoirs qu'il possède en matière d'échanges et de
commerce et qu'il a empiété sur les pouvoirs confé-
rés à la province en matière de propriété et de
droits civils. La défenderesse affirme que si l'on
interprète les mots «ou autrement» comme la
demanderesse le suggère de manière à porter
atteinte à l'entente contractuelle légitime qu'elle a
conclue avec l'éditeur de son édition spéciale du
livre Guinness, la Cour ferme alors les yeux sur
une visée inconstitutionnelle du législateur. L'avo-
cat est allé jusqu'à avancer l'idée que le libellé
actuel de la Loi interdit toute utilisation de mar-
ques officielles, même leur utilisation dans la con
versation courante. En toute déférence, je ne crois
pas que c'est ce que dit la Loi. Lorsqu'on les
interprète comme il se doit, les mots n'ont pas le
caractère inconstitutionnel que leur prête la défen-
deresse. Je rappellerai ici la disposition liminaire
de l'article 9 et de l'article 11:
Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque
de commerce ou autrement, ...
Les mots «comme marque de commerce ou autre-
ment» renforcent simplement le qualificatif princi
pal de ces articles, c'est-à-dire les mots «à l'égard
d'une entreprise». Ainsi donc, les mots «ou autre-
ment» signifient en fait «ou à l'égard d'une entre-
prise de toute autre manière». Les articles n'inter-
disent pas les utilisations qui n'ont aucun but
commercial. En fait, j'estime qu'ils n'interdisent
même pas l'emploi d'une marque à moins que
celle-ci ne soit principalement utilisée dans un but
commercial. L'avocat de la demanderesse a laissé
entendre que si la demanderesse le désirait, elle
pouvait poursuivre Guinness elle-même, ou toute
autre personne qui emploie ses marques officielles
dans le cadre d'une publication, mais que l'Asso-
ciation olympique canadienne avait comme politi-
que interne de ne pas contester l'emploi de ses
marques dans le contexte d'une publication. Je ne
suis pas sûr que la demanderesse puisse réellement
réussir si elle changeait sa politique et si elle
entamait ces actions. Bien que nos média d'infor-
mation et notre industrie de l'édition puissent être
fortement influencés par des incitatifs commer-
ciaux, je suis porté à penser que les tribunaux
doivent d'abord partir du principe que leur princi-
pale motivation n'est pas le profit.
Toutefois, la défenderesse Konica fabrique du
matériel et des articles de photographie; on peut
sans crainte de se tromper présumer que son incur
sion dans le domaine de l'édition canadienne vise
principalement à promouvoir ses propres produits.
Il s'agit donc d'un emploi «à l'égard d'une entre-
prise», encore qu'il s'agisse de l'emploi d'un mot
autrement que comme marque de commerce. La
défenderesse était tenue aux termes de son contrat
de licence d'utiliser le titre et le sous-titre qu'elle a
employés et qui contiennent des mots qui semblent
être les marques officielles de la demanderesse.
L'emploi par la défenderesse du mot «olympic» ou
d'autres mots ressemblant aux marques de la
demanderesse ne constitue pas un emploi comme
marque de commerce, au sens de la définition que
la Loi donne à ce mot'. Il m'apparaît évident que
1 Voici comment la Loi définit les mots «marque de com
merce» à son article 2:
(Suite à la page suivante)
Konica n'a pas adopté les mots «olympic» ou «1988
Winter & Summer Olympic Schedule» comme
marques de commerce. Ces mots ont plutôt été
adoptés à l'égard d'une entreprise autrement que
comme des marques de commerce.
Finalement, pour ce qui est des prétentions for-
mulées par la défenderesse au sujet de l'ordre
public, elles soulèvent simplement, selon moi, des
considérations qui peuvent être englobées dans les
autres motifs d'opposition pour faciliter l'interpré-
tation. Si la demanderesse a un monopole, c'est au
mieux un monopole sur certains emplois de cer-
tains mots et seulement dans certains contextes.
Ces conclusions me permettent de résumer les
points litigieux à deux questions connexes:
1. La défenderesse a-t-elle «adopté» les marques
au sens de la Loi?; et, sinon,
2. Les articles 9 et 11 ont-ils un effet rétroactif,
de manière à interdire les utilisations antérieures
des marques enregistrées comme marques
officielles?
«Nul ne peut adopter»
Le principal moyen qu'invoque la défenderesse
en l'espèce est que l'on ne peut donner un effet
rétroactif au sous-alinéa 9(1)n)(iii). La défende-
resse
prétend qu'elle n'a pas adopté les marques, .
étant donné qu'elles avaient été adoptées et utili
sées par Guinness longtemps avant que Konica ne
distribue son livre. La défenderesse affirme qu'elle
n'a pas adopté la marque, étant donné qu'elle a
déjà été adoptée. L'avocat de la défenderesse a cité
à la Cour l'article 3 de la Loi, qui dispose:
3. Une marque de commerce est réputée avoir été adoptée
par une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en
titre a commencé à l'employer au Canada ou à l'y faire
connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne
l'avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître,
lorsque l'un d'eux a produit une demande d'enregistrement de
cette marque au Canada. [C'est moi qui souligne.]
Je pense que sur ce point la thèse de la défende-
resse est bien fondée. Suivant la preuve non con-
tredite de la défenderesse, Bantam Books publie
(Suite de la page précédente)
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«marque de commerce» Selon le cas:
a) marque employée par une personne pour distinguer, ou
de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, ven-
dues, données à bail ou louées ou les services loués ou
exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues,
données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés,
par d'autres;
b) marque de certification;
c) signe distinctif;
d) marque de commerce projetée.
l'édition canadienne du livre Guinness depuis la fin
des années soixante, de nombreuses années avant
que la demanderesse n'adopte ses marques
officielles.
Mais ce n'est que le début du raisonnement: la
défenderesse reconnaît que Guinness, son prédé-
cessseur en titre, a effectivement adopté la marque
que la demanderesse a par la suite fait enregistrer
comme marque officielle. Pour se soustraire à la
responsabilité prévue à l'article 9, la défenderesse
doit également établir que l'article n'a pas d'effet
rétroactif. Comme l'avocat l'a laissé entendre,
cette même question a déjà été abordée dans le
jugement Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd. c.
Andres Wines Ltd. (T-2820-83, juge Cullen, juge-
ment en date du 17-4-85, non publié) *, ainsi que
dans le jugement Association olympique cana-
dienne c. Allied Corp. (1987), 14 C.I.P.R. 126
(C.F. i re inst.), le juge Cullen. Ces deux jugements
sont basés sur la remarque incidente suivante for-
mulée par le juge Cattanach dans le jugement
Insurance Corporation of British Columbia c. Le
registraire des marques de commerce, [ 1980] 1
C.F. 669 (i re inst.), à la page 686:
Il ressort des documents versés à ses archives et qu'il a
transmis à la Cour en application de l'article 60 de la Loi sur
les marques de commerce, que le registraire était préoccupé de
l'effet que l'interdiction consécutive à la notification de l'adop-
tion et de l'emploi d'une marque officielle aurait sur les mar-
ques de commerce enregistrées normalement, avec lesquelles
elle risquait d'entrer en conflit. Je ne suis pas saisi de cette
question, mais il me semble évident que la marque de com
merce ordinaire qu'un commerçant fait enregistrer doit céder le
pas à la marque officielle qu'une autorité publique ou un
organisme analogue emploie, parce que telle est là l'intention
du législateur.
La Cour d'appel a récemment rejeté cette
remarque incidente. Dans l'arrêt Allied [[1990] 1
C.F. 769], la Cour a rejeté l'appel interjeté par la
requérante Allied, mais a statué que l'on ne pou-
vait donner un effet rétroactif à l'article 9 de la
Loi et que la remarque incidente du juge Catta-
nach allait trop loin. À la différence du juge
Cattanach, la Cour d'appel accorde la valeur qui
convient, dans son interprétation, à la présomption
de la non-rétroactivité de la loi. À la page 774 de
ses motifs, le juge MacGuigan, J.C.A. cite le
passage susmentionné du juge Cattanach, et
déclare:
* Note de l'arrêtiste: Ce jugement est identique au jugement
rendu dans T.G. Bright & Co. Ltd. v. Andres Wines Ltd.,
publié dans (1985), 5 C.I.P.R. 110 (C.F. 1' inst.).
Il me semble que cette interprétation va bien au-delà de la
véritable intention du Parlement telle qu'elle est exprimée par
le libellé du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi. Le paragraphe
9(1) n'est pas uniforme dans les interdictions qu'il comprend et
l'alinéa 9(1)n) comporte des réserves qui ne se retrouvent pas
dans la plupart des autres alinéas. Pour les marques officielles
telles que les armoiries de Sa Majesté ou divers emblèmes
reconnus, il existe une interdiction absolue d'adoption par
d'autres personnes, mais le libellé de l'alinéa 9(1)n) n'est pas
absolu.
L'article 9 de la Loi porte dans son ensemble sur l'adoption,
et l'interdiction d'adoption est exprimée au futur dans la ver
sion anglaise («no person shall adopt»). Le sous-alinéa
9(1)n)(iii) interdit par conséquent l'adoption d'une marque de
commerce «dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vrai-
semblablement la confondre avec» une marque adoptée par une
autorité publique à l'égard de laquelle le registraire «a donné»
(passé composé) un avis public. Par conséquent, il n'interdit pas
rétroactivement l'adoption de marques de commerce. Il n'a
qu'une application prospective.
Je ne puis voir comment cette interprétation peut être modi-
fiée par l'article 11, puisque cette disposition interdit unique-
ment l'emploi d'une marque adoptée contrairement à l'article 9.
Une marque adoptée avant la communication d'un avis public
ne serait pas adoptée contrairement à l'article 9.
Dans son ouvrage intitulé Construction of Sta
tutes, 2° éd., Butterworths, 1983, à la page 196,
Driedger expose précisément l'opinion que le juge
MacGuigan, J.C.A. semble avoir suivi dans l'arrêt
Allied:
[TRADUCTION] La situation semble donc être la suivante:
lorsque l'application d'une loi dépend de l'accomplissement
d'une chose ou de la survenance d'un événement, la loi ne
s'applique pas à une chose faite ou à un événement survenu
avant l'entrée en vigueur de la loi; mais si l'application de la loi
dépend simplement de l'existence d'un certain état de fait, de ce
qui existe plutôt que de ce que l'on attend, la loi s'appliquera à
une situation qui est survenue avant l'entrée en vigueur de la
loi, si elle existe à ce moment-là. Ayant décidé que le principe
de la non-rétroactivité n'empêche pas la loi de s'appliquer dans
des circonstances particulières, il reste à répondre à la question,
qui n'a aucun rapport avec la précédente, de savoir s'il y a
inapplication de la loi au motif qu'elle porte atteinte à des
droits existants.
Les articles 9 et 11 de la Loi sur les marques de
commerce ne comportent en fait aucune ambi-
guïté, aucune formulation qui pourrait donner à
penser que l'on voulait donner un effet rétroactif à
l'article. L'expression en cause dans le cas qui
nous occupe est «Nul ne peut adopter». Le texte
n'est exprimé ni au passé ni au parfait, ce qui
permettrait de conclure à une intention de donner
un effet rétroactif. De fait, le libellé employé à
l'égard des marques officielles donne à penser le
contraire: «9. (1) Nul ne peut adopter ... n) [une]
... marque (iii) adopté[e] et employé[e] par une
autorité publique ... à l'égard [de laquelle] le
registraire . .. a donné un avis public». Cette for
mulation indique que le législateur avait manifes-
tement l'intention que la loi s'applique seulement
pour l'avenir. Ainsi donc, la même logique à la
base de/la conclusion formulée par la Cour d'appel
dans l'arrêt Allied me force à conclure que l'on ne
peut donner aux articles 9 et 11 une interprétation
rétroactive. Même si le libellé appuyait davantage
une telle intention, la situation factuelle en ques-
tion—l'adoption, ou première utilisation, d'une
marque—est un événement, et un événement qui
s'est produit avant l'enregistrement des marques
de la demanderesse, et, partant, avant que la loi ne
prenne effet à l'égard des marques en question. La
jurisprudence et la doctrine indiquent que l'on ne
peut imputer une intention rétrospective au législa-
teur en pareil cas. En outre, non seulement
n'a-t-on pas réfuté en l'espèce la présomption de la
non-rétroactivité de la loi, mais on n'a pas non plus
combattu la présomption interdisant de porter
atteinte aux droits acquis.
Ce n'est que par un texte législatif clairement
exprimé que le législateur aurait pu supprimer les
droits acquis de Guinness Books et de ses preneurs
de licences comme Konica. La Loi ne prévoit rien
de tel; en fait, elle n'est nullement ambiguë et elle
est expressément rédigée en des termes auxquels,
conformément aux règles d'interprétation bien
connues, on ne peut donner un effet rétroactif. En
conséquence, la vente et la distribution de l'édition
Konica du Guinness Book of Olympic Records, de
la pellicule emballée par rétraction et du paquet
contenant le livre ne violent pas les marques offi-
cielles de l'Association olympique canadienne.
Je suis conforté dans mon opinion par le fait
qu'en statuant autrement, on créerait un dange-
reux précédent. Cela permettrait en fait à toute
«autorité publique» de passer outre aux droits
acquis des utilisateurs de marques de commerce
enregistrées qui se retrouveraient ainsi sans aucun
recours. Je préfère une interprétation qui respecte
le principe que les nouvelles marques, qu'il s'agisse
de marques de commerce ou de marques officiel-
les, doivent céder le pas devant les marques adop-
tées ou enregistrées avant l'enregistrement , de la
nouvelle marque, étant donné qu'il était loisible au
nouveau venu de se trouver une marque plus inno
vative (Voir Fox, Canadian Law of Trade Marks
and Unfair Competition, page 178).
Il se peut que la présente décision crée une
petite brèche dans le monopole de l'Association
olympique canadienne sur les retombées commer-
ciales de la vente de marchandises associées aux
Jeux olympiques. Dans cette mesure, la présente
décision peut sembler inopportune. En revanche,
on pourrait également invoquer l'ordre public pour
appuyer toute décision qui contribuerait à mettre
un frein à la commercialisation du sport amateur.
Cependant, comme le juge Cattanach l'a déclaré
dans le jugement Insurance Corporation of British
Columbia c. Le registraire des marques de com
merce, [ 1980] 1 C.F. 669 à la page 684, il n'appar-
tient pas aux tribunaux de déterminer si un texte
législatif donné est opportun ou inopportun; ils
doivent plutôt «l'appliquer» tel quel, et donner effet
aux dispositions législatives non équivoques du
législateur.
La demande d'injonction permanente est rejetée
et les dépens sont adjugés à la défenderesse.
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