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A-1002-88
Sa Majesté la Reine et la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (appelantes) (défenderesses)
c.
Shalom Schachter (intimé) (demandeur)
et
Le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes (intimé) (intervenant)
RÉPERTORIÉ: SCHACHTER C. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone, J.C.A.—Toronto, 27, 28 et 29 novembre 1989; Ottawa, 16 février 1990.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité L'art. 32 de la Loi sur l'assurance-chômage accorde des prestations pour le soin des enfants aux parents adoptifs et non aux parents naturels Le juge de première instance a conclu à l'incompatibilité de l'art. 32 avec l'art. 15 de la Charte, et il a, en vertu de l'art. 24(1) de la Charte et pour obvier à la couverture sélective de la Loi, étendu les prestations aux parents naturels Nature et portée du pou- voir de la Cour d'accorder une réparation lorsqu'il y a viola tion des droits à l'égalité L'art. 15(1) confère un droit positif à l'égalité qui ne peut être garanti que par une répara- tion concrète L'extension de prestations en cas de couver- ture sélective de la loi constitue une réparation qui respecte la nature téléologique de la Charte tout en donnant effet aux droits consacrés par l'art. 15 Appel rejeté.
Droit constitutionnel Charte des droits Recours Le juge de première instance a conclu à l'incompatibilité de l'art. 32 de la Loi sur l'assurance-chômage (prestations pour le soin des enfants accordées aux parents adoptifs) avec l'art. 15(1) de la Charte Il a accordé une réparation sous le régime de l'art. 24(1) de la Charte en étendant les prestations aux parents naturels A-t-il commis une erreur en ne déclarant pas l'art. 32 inopérant en vertu de l'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982? L'art. 52(1) n'est pas la seule voie de recours lorsqu'une loi est jugée incompatible avec la Constitution L'art. 52(1) n'entre pas en jeu puisque c'est le caractère sélectif de l'art. 32, et non la mesure législative elle-même, qui est inconstitutionnel La Cour n'a pas outre- passé la fonction constitutionnelle des juges bien que la déci- sion exige l'utilisation de fonds publics qui ne sont pas affectés par le Parlement Une réparation concrète s'impose pour respecter le droit à l'égalité prévu par la Charte.
Assurance-chômage L'art. 32 de la Loi sur l'assurance- chômage qui accorde des prestations pour le soin des enfants aux parents adoptifs seulement est incompatible avec l'art. 15 de la Charte Le juge de première instance s'est fondé sur l'art. 24 de la Charte pour étendre les prestations aux parents naturels Interaction des art. 15(1) et 24(1) de la Charte et de l'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 La Cour tient de l'art. 24 de la Charte le pouvoir, pour obvier au
caractère sélectif de la Loi, d'étendre des prestations aux groupes lésés par une exclusion Cette réparation est consti- tutionnellement permise bien qu'elle donne lieu à l'affectation de fonds publics non autrement autorisée par le Parlement.
Le juge de première instance a conclu à l'incompatibilité de l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage avec l'article 15 de la Charte, parce qu'il n'accordait pas aux parents naturels le même bénéfice de la loi qu'aux parents adoptifs. L'article 32 accorde des prestations pour le soin des enfants aux parents adoptifs, mais non aux parents naturels. Le juge de première instance, en vertu de l'article 24 de la Charte et pour obvier au caractère sélectif de l'article contesté, a étendu les prestations prévues à l'article 32 aux parents naturels.
La conclusion selon laquelle l'article 32 n'accorde pas à tous le même bénéfice de la loi n'est pas contestée. L'appel soulève trois questions: (1) le pouvoir du juge de première instance de façonner une réparation sous le régime du paragraphe 24(1) malgré le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982; (2) la nature et l'étendue des pouvoirs d'un tribunal sous l'empire du paragraphe 24(1) d'accorder réparation de la viola tion des droits à l'égalité prévus à l'article 15 dans le cas d'une loi qui ne couvre pas toutes les situations; (3) le rôle des juges dans l'octroi d'une réparation qui équivaut à une modification de la législation par le tribunal et qui implique l'affectation de fonds publics à une fin non autorisée par le Parlement.
Arrêt (le juge Mahoney, J.C.A., dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Heald, J.C.A. (avec l'appui du juge Stone, J.C.A.): Le juge de première instance avait compétence pour accorder la réparation figurant dans la décision litigieuse. Ne saurait être accueilli l'argument des appelantes selon lequel lorsqu'une loi est jugée incompatible avec les dispositions de la Constitution, le tribunal ne peut pas faire autrement que de la déclarer inopérante en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitu- tionnelle de 1982. Dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., le juge Dickson a fait savoir que, pour ce qui est du paragraphe 24(1), «il ne [s'agissait] pas ... du seul recours qui [s'offrait] face à une loi inconstitutionnelle». Il ressort de ces remarques qu'il existe plus d'une voie de recours lorsque des droits garantis par la Charte ont été violés. On ne saurait les interpréter comme écartant le recours à l'article 24 dans les cas s'appliquerait l'article 52. Il a ajouté que «Lorsque ... la contestation est fondée sur l'inconstitutionnalité d'une loi, il n'est pas nécessaire de recourir à l'art. 24». Toutefois, en l'espèce, c'est l'omission qui est inconstitutionnelle, non pas la loi elle-même. Le libellé de l'article 32 ne contrevient pas à la Charte; c'est le caractère sélectif de la disposition qui la rend insuffisante et, par consé- quent, inconstitutionnelle. En raison de ce caractère sélectif, le paragraphe 52(1) ne saurait entrer en jeu, et la voie suivie par le juge de première instance ne s'oppose pas aux remarques faites par le juge Dickson dans l'arrêt Big M.
Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en exerçant les pouvoirs qu'il tient de l'article 24. Un tribunal compétent peut utiliser avec souplesse et imagination les pou- voirs que lui confère l'article 24, et est libre de faire pleinement usage de sa discrétion dans l'exercice de ces pouvoirs. Le paragraphe 15(1) confère un droit positif à l'égalité qui ne peut être garanti que par l'octroi d'une réparation concrète. La réparation accordée par l'instance inférieure protège ce droit; un jugement déclarant inopérant l'article 32 ne le ferait pas.
Le juge de première instance n'a pas non plus outrepassé sa fonction judiciaire en imposant un cadre législatif pour rempla- cer celui déclaré défectueux sur le plan constitutionnel. Une loi qui ne couvre pas toutes les situations invite à une réparation qui consiste dans l'extension de prestations. Une telle répara- tion est conforme à la nature téléologique de la Charte tout en donnant effet aux droits à l'égalité reconnus à l'article 15. Puisque la réparation accordée est la seule qui soit convenable et juste, elle est constitutionnellement permise. Qui plus est, le jugement de première instance ne prévoit qu'une réparation temporaire, laissant au «législateur le soin de remédier à la situation conformément à la Charte». La Cour n'a pas empiété sur la prérogative du législateur de faire un choix parmi les options d'orientation constitutionnellement valides en adoptant une loi qui corresponde à la Charte.
Rien n'étaye l'argument selon lequel la réparation accordée constitue un empiétement sur le pouvoir constitutionnel du législateur d'exiger des impôts. Ce n'est pas la première fois qu'un tribunal rend une décision exigeant l'utilisation de fonds publics non autrement autorisée par le Parlement.
Le juge Mahoney, J.C.A. (dissident): On ne saurait interpré- ter les remarques faites par le juge Dickson comme indiquant que les paragraphes 24(1) et 52(1) offrent des recours subsi- diaires dans le cas de la couverture sélective d'une loi. Il n'a pas été réellement statué sur l'interaction de ces dispositions. La seule «réparation» sollicitée, examinée et accordée en l'espèce fut un jugement déclaratif d'invalidité sous le régime du para- graphe 52(1).
Il faut faire preuve de prudence en interprétant les droits prévus par la Charte d'une façon téléologique et généreuse. La Charte n'est pas la Constitution dans son entier; ses dispositions ne sont ni accessoires ni prépondérantes. L'ensemble de la Constitution, et non seulement la Charte, est «l'expression de la volonté du peuple d'être gouverné conformément à certains principes considérés comme fondamentaux». Aucun principe n'est plus fermement établi que celui hérité de la Constitution britannique selon lequel aucune levée d'argent ne peut se faire sans l'autorisation du Parlement. L'affectation de fonds publics par un tribunal est contraire à ce principe. Une approche téléologique des réparations au paragraphe 24(1) ne saurait autoriser les tribunaux à aller aussi loin. Il appartient aux tribunaux de définir les limites dans lesquelles doivent se situer les dispositions législatives pour être valides sous le régime de la Charte; mais il incombe au Parlement d'édicter des dispositions satisfaisant à ses exigences.
La Constitution du Canada n'autorise pas la réparation élaborée par le juge de première instance. Ayant conclu à l'incompatibilité de l'article 32 avec une disposition de la Constitution, le juge de première instance était tenu de déclarer cet article inopérant. Si cette conclusion avait été tirée, l'ab- sence de conflit entre les paragraphes 24(1) et 52(1) serait évidente. Comme il n'existe aucune disposition incompatible, aucune réparation fondée sur le paragraphe 24(1) ne doit donc être prononcée. Le paragraphe 52(1) expose une réalité consti- tutionnelle dont un tribunal ne peut omettre de tenir compte lorsqu'elle est invoquée et considérée comme applicable dans le cadre d'une instance.
LOIS ET RÈGLEMENTS
An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1688 [Bill of Rights], 1 Will & Mary, Sess. 2, chap. 2 (R.-U.). Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 2, 7, 15(1), 24(1), 33.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 52(1).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 5], préambule.
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 32 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 150, art. 5).
Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), chap. U-1, art. 20.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 52(b)(iii), 57(3).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 324.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; 94 N.R. 373; Re Hoogbruin et al. and Attorney -General of British Columbia et al. (1985), 24 D.L.R. (4th) 718; [1986] 2 W.W.R. 700; 70 B.C.L.R. 1 (C.A.).
DECISIONS EXAMINÉES:
R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 914,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284; (1986), 31 D.L.R. (4th) 56-2; [1986] 6 W.W.R. 577; 28 C.C.C. (3d) 513; 25 C.R.R. 63; 69 N.R. 241; Re Blainey and Ontario Hockey Asso ciation et al. (1986), 54 O.R. (2d) 513; 24 D.L.R. (4th) 728; 14 O.A.C. 194 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, [1986] 1 R.C.S. xii; R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588; (1987), 78 N.S.R. (2d) 183; 39 D.L.R. (4th) 481; 193 A.P.R. 183; 33 C.C.C. (3d) 289; 57 C.R. (3d) 289; 75 N.R. 81; Califano v. Westcott, 443 U.S. 76 (1979); Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2
C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Renvoi relatif aux droits linguisti- ques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man. R. (2d) 83; 59 N.R. 321; R. v. Hamilton (1986), 57 O.R. (2d) 412; 17 O.A.C. 241 (C.A.); R. v. Van Vliet (1988), 45 C.C.C. (3d) 481; 10 M.V.R. 190 (C.A.C: B.); Auckland Harbour Board v. The King, [1924] A.C. 318; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 67 N.R. 241; R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; (1988), 31 O.A.C. 81; 45 C.C.C. (3d) 204; 66 C.R. (3d) 193; 89 N.R. 161; R. v. Rowbotham et al. (1988), 25 O.A.C. 321; 41 C.C.C. (3d) 1; 63 C.R. 113; Law Society of Upper Canada c. Skapin- ker, [1984] 1 R.C.S. 357; (1984), 9 D.L.R. (4th) 161; 3 O.A.C. 321; 11 C.C.C. (3d) 481; 53 N.R. 169; Marchand v. Simcoe County Board of Education et al. (1986), 55 O.R. (2d) 638; 29 D.L.R. (4th) 596; 25 C.R.R. 139 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [ 1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; Reg. v. Barnet London Borough Council Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 W.L.R. 16 (H.L.); Addy c. La Reine, [1985] 2 C.F. 452; (1985), 22 D.L.R. (4th) 52; 8 C.C.E.L. 13; 5 C.P.C. (2d) 127; 19 C.R.R. 193 (1' inst.); R. v. Punch, [1985] N.W.T.R. 373; [1986] 1 W.W.R. 592; 22 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 374; 18 C.R.R. 74 (C.S.); Dixon v. B.C. (A.G.), [1989] 4 W.W.R. 393 (C.S.C.-B.); Refe rence re an Act to Amend the Education Act (1986), 53 O.R. (2d) 513; 25 D.L.R. (4th) 1; 13 O.A.C. 241 (C.A.).
DOCTRINE
Canada. Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada. Procès- verbaux et témoignages, fascicule 36 (12 janvier 1981), à la page 36:19.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
David Sgayias et Roslyn J. Levine pour les appelantes (défenderesses).
Brian G. Morgan et Larry Ritchie pour l'in- timé (demandeur).
Mary Eberts et Jennifer E. Aitken pour l'in- timé (intervenant).
PROCUREURS:
Le sous -procureur général du Canada pour les appelantes (défenderesses).
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour l'intimé (demandeur).
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington, Toronto, pour l'intimé (intervenant).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: J'ai lu, sous forme de
projet, les motifs de jugement rédigés dans le cadre de cet appel par mon collègue le juge Mahoney, J.C.A. En toute déférence, je ne saurais être d'ac- cord avec l'issue qu'il propose. En conséquence, j'estime nécessaire de discuter des questions que soulève l'appel, selon mon appréciation de l'affaire, et d'expliquer les raisons pour lesquelles j'en arrive à une conclusion différente de celle de mon collègue.
Selon ma compréhension de l'appel, il soulève trois questions générales: premièrement, la ques tion de savoir si un tribunal compétent est habilité à élaborer des réparations en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]] nonobstant les dispo sitions du paragraphe 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]]. En d'autres termes, cet appel soulève carrément la question de l'interac- tion des paragraphes 24(1) de la Charte et 52(1)' de la Loi constitutionnelle de 1982; deuxième- ment, le rapport entre les paragraphes 24(1) et 52(1) lorsque ces dispositions sont considérées dans le contexte d'autres articles de la Loi consti- tutionnelle de 1982 comme, par exemple, le para-
' 24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
graphe 15(1) qui traite des droits à l'égalité 2 , et, plus particulièrement, la nature et l'étendue du pouvoir de la Cour d'accorder réparation de la violation des droits à l'égalité prévus à l'article 15 dans les circonstances particulières de l'espèce; et troisièmement, le rôle des juges dans les circons- tances l'octroi d'une réparation prévue par la Charte équivaut à la modification de la législation par le tribunal et implique aussi l'affectation des fonds publics du Trésor à une fin non autorisée par le Parlement.
Comme l'a mentionné le juge Mahoney, le juge de première instance [[1988] 3 C.F. 515; (1988), 52 D.L.R. (4th) 525; 18 F.T.R. 199] a conclu que l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage [S.C. 1970-71-72, chap. 48 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 150, art. 5)] (aujourd'hui l'article 20, L.R.C. (1985), chap. U-1) était incompatible avec l'article 15 de la Charte parce qu'il n'accordait pas aux parents naturels le même bénéfice de la loi qu'aux parents adoptifs. En effet, il accordait des prestations pour le soin des enfants aux parents adoptifs, mais non pas aux parents naturels. Le juge de première instance, en vertu de l'article 24 de la Charte et pour obvier au carac- tère sélectif de l'article contesté, en a étendu le champ d'application. La conséquence de son juge- ment est l'octroi aux parents naturels des mêmes prestations pour le soin des enfants qu'aux parents adoptifs.
1. L'interaction des paragraphes 24(1) de la Charte et 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
L'avocat des appelantes a déclaré dès le départ qu'il ne contestait pas la conclusion du juge de première instance que l'article 32 n'accorde pas à tous le même bénéfice de la loi et, en conséquence, qu'il est contraire à l'article 15 de la Charte. Si l'on tient pour acquise la compétence du tribunal à accorder réparation en vertu de l'article 24, il est aussi concédé que celle qui a été façonnée était juste et appropriée dans les circonstances. Toute- fois, les appelantes soutiennent que le juge de première instance a commis une erreur en ne
2 15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
déclarant pas inopérant l'article 32, et qu'il a aussi commis une erreur quand il a prétendu modifier l'article 32 en prévoyant le paiement de prestations aux parents naturels.
Exprimé simplement, l'argument des appelantes est que le paragraphe 52(1) s'applique automati- quement lorsqu'une loi est considérée incompatible avec les dispositions de la Constitution. L'avocat des appelantes estime que l'article 24 de la Charte ne peut être invoqué lorsque l'article 52 s'applique. Il n'est pas allé jusqu'à affirmer la primauté de l'article 52, mais il a néanmoins soutenu que l'on ne peut invoquer l'article 24 pour empêcher l'ap- plication de l'article 52. Au paragraphe 39 de son exposé des faits et du droit, il formule l'argument suivant:
[TRADUCTION] ... le paragraphe 24(1) ne permet pas à la Cour de passer outre à la claire directive du paragraphe 52(1). En effet, lorsqu'il s'agit de la compatibilité d'une disposition législative avec la Charte, le paragraphe 24(1) n'entre pas en jeu.
À l'appui de cet argument, l'avocat des appelantes invoque les propos du juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres'. Dans l'affaire Big M, une société était accusée d'avoir violé la Loi sur le dimanche [S.R.C. 1970, chap. L-13]. Elle avait fait valoir en défense que la Loi violait le droit à la liberté de religion garanti par la Charte. La Couronne a soutenu que le tribunal de première instance n'avait pas la compétence nécessaire pour rendre un jugement déclaratif d'invalidité en vertu de l'article 24. En rejetant cet argument, le juge Dickson a dit, pour la majorité:
Le paragraphe 24(1) prévoit un redressement pour les per- sonnes, aussi bien physiques que morales, qui ont été victimes d'une atteinte aux droits qui leurs sont garantis par la Charte. Toutefois, il ne s'agit pas du seul recours qui s'offre face à une loi inconstitutionnelle. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la contestation est fondée sur l'inconstitutionnalité d'une loi, il n'est pas nécessaire de recourir à l'art. 24 et l'effet particulier qu'elle a sur l'auteur de la contestation est sans importance.
En toute déférence pour les partisans de l'opinion contraire, j'estime que l'avis précité dit clairement qu'il existe plus d'une voie de recours lorsque des droits garantis par la Charte ont été violés par une mesure législative inconstitutionnelle. Je crois manifeste que le juge Dickson n'écartait pas le
3 [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 914,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81, la p. 313 R.C.S.
recours à l'article 24 dans les cas s'appliquerait l'article 52. Je dis cela parce qu'il a mentionné que le redressement prévu à l'article 24 n'est pas le seul recours qui s'offre face à une loi inconstitution- nelle. Vont dans le même sens les commentaires du juge Wilson dans l'arrêt Singh et autres c. Minis- tre de l'Emploi et de l'Immigration".
Il me semble que la voie que doit suivre quicon- que veut obtenir une réparation peut fort bien dépendre de la façon dont son droit a été violé. Le juge Strayer a souligné la façon peu commune dont une disposition qui ne couvre pas toutes les situations viole les droits garantis par la Charte. Il a dit ce qui suit la page 544 C.F.):
L'article 32 est entaché de vice, non pas parce que les presta- tions qu'il prévoit sont interdites par la Charte, mais parce que ni cet article ni aucune autre partie de la Loi ne veulent aller suffisamment loin lorsqu'il s'agit de prévoir de façon égale des prestations pour ceux qui se trouvent dans la même situation: dans ce sens, «il ne couvre pas toutes les situations».
À mon sens, le juge Strayer établit ici une distinc tion entre les dispositions législatives qui sont inconstitutionnelles en raison de ce qu'elles pré- voient, et celles qui sont inconstitutionnelles en raison de ce qu'elles omettent. L'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage appartient à la seconde catégorie. Dans le passage cité plus haut, le juge Dickson s'est montré d'avis que lors- que la contestation se fonde sur le caractère
* [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1, à la p. 221 R.C.S., elle a dit:
4. Mesures de redressement
J'examinerai maintenant la question du redressement auquel ont droit les appelants. Les paragraphes 24(1) de la Charte et 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 s'appli- quent tous les deux. Le paragraphe 52(1) requiert une décla- ration que le par. 71(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 est inopérant dans la mesure il est incompatible avec l'art. 7. Les appelants qui ont subi un préjudice par suite de l'application à leur cas d'une loi inconstitutionnelle ont le droit, en vertu du par. 24(1), de s'adresser à un tribunal compétent en vue d'obtenir «la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances». Quelle réparation peut-on accorder en l'espèce?
La compétence de la Cour est invoquée de deux façons. En premier lieu, les présents pourvois découlent du rejet par la Cour d'appel fédérale de demandes d'examen judiciaire fon- dées sur l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Dans ce cas, la Cour est limitée aux pouvoirs que la Cour fédérale a le droit d'exercer en vertu de l'art. 28. En second lieu, cepen- dant, on invoque le pouvoir général de redressement que possède la Cour en vertu [de] l'art. 24 de la Charte.
inconstitutionnel de la disposition législative, il n'est pas nécessaire de recourir à l'article 24. Toutefois, ce n'est pas le cas en l'espèce, le libellé de l'article 32 lui-même ne contrevient pas à la Charte. Comme l'a souligné l'avocat de l'intimé, le fait qu'il ne couvre pas toutes les situations le rend insuffisant, et par conséquent inconstitution- nel. En l'espèce, c'est l'omission qui est inconstitu- tionnelle, non pas la disposition elle-même. La question vue sous cet angle, il serait donc possible de recourir à l'article 24 pour obtenir réparation. Donc, à mon sens, la voie suivie par le juge Strayer ne s'oppose pas à l'opinion exprimée plus haut par le juge Dickson 5 .
Je trouve un appui supplémentaire pour cette optique de la question dans les motifs du juge Wilson dans l'affaire R. c. Jones 6 . La mesure législative contestée dans cette affaire se trouvait être certains articles de l'Alberta School Act [R.S.A. 1980, chap. S-3]. On soutenait que les articles en cause étaient contraires à l'alinéa 2a) de la Charte (liberté de religion) aussi bien qu'à l'article 7 de la même loi (atteinte à la liberté). Tous les juges de la Cour suprême du Canada saisis de l'appel ont statué qu'il n'y avait pas violation de l'alinéa 2a). En outre, tous les juges, à l'exception du juge Wilson, ont conclu qu'il n'y avait pas non plus violation de l'article 7 de la Charte. Le juge Wilson était d'avis que la disposi tion contestée enfreignait l'article 7 de la Charte. En conséquence, elle est le seul juge parmi ceux qui étaient saisis de l'affaire à avoir considéré nécessaire de traiter de la question de la répara- tion. Elle a dit à la page 323 R.C.S.:
J'aimerais examiner un autre point qui a manifestement préoccupé la Cour d'appel. Elle a jugé que, comme l'appelant ne s'était pas vu refuser un certificat en vertu du par. 143(1), il n'était pas en droit de soulever la validité de la Loi [TRADUC- TION] «dans l'abstrait». Si je comprends bien la pensée de la cour, il semblerait qu'aucun recours ne pourrait être exercé en vertu du par. 24(1) sur le fondement d'une invalidité législative en soi, mais uniquement sur le fondement d'un acte accompli en vertu de celle-ci. L'appelant aurait pu avoir recours aux brefs de prérogative s'il s'était vu refuser un certificat, mais la
5 Le juge en chef Dickson soulève un point semblable dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [ 1986] 2 R.C.S.: 713;
(1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385, la p. 784 R.C.S.
6 [ 1986] 2 R.C.S. 284; (1986), 31 D.L.R. (4th) 562; [ 1986] 6 W.W.R. 577; 28 C.C.C. (3d) 513; 25 C.R.R. 63; 69 N.R. 241, à la p. 323 R.C.S.
validité de la Loi ne pourrait être mise en cause que par renvoi constitutionnel ou demande de jugement déclaratoire.
Avec égards pour la Cour d'appel, je crois qu'elle a tort sur ce point. Il y a lieu à recours sur le fondement du par. 24(1) si la loi est jugée, en vertu du par. 52(1), incompatible avec les dispositions de la Constitution. [C'est moi qui souligne.]
Bien que les faits en l'espèce diffèrent de ceux en cause dans l'arrêt Jones, précité, en ce sens que le demandeur en l'espèce a demandé un jugement déclaratoire et qu'il échapperait donc vraisembla- blement à la restriction faite par la Cour d'appel de l'Alberta, j'estime particulièrement persuasive la remarque incidente du juge Wilson selon laquelle «Il y a lieu à recours sur le fondement du par. 24(1) si la loi est jugée, en vertu du par. 52(1), incompatible avec les dispositions de la Constitution.»
Les appelantes font essentiellement valoir que l'article 24 ne peut être invoqué que lorsqu'il y a violation de la Charte autrement que par une mesure législative. Comme l'a souligné l'avocat de l'intimé, les mots «autrement que par une mesure législative» ou d'autres mots ayant le même sens ne se retrouvent pas à l'article 24. Selon lui, les articles 24 et 52 n'entrent pas en conflit; je partage cette opinion. Il est toutefois important de se sou venir, comme on l'a mentionné plus haut, que dans les circonstances particulières de l'espèce, la fai- blesse de l'article 32, sur le plan constitutionnel, provient non pas de son incompatibilité, mais plutôt de son caractère insuffisant. Conséquem- ment, en l'espèce, le paragraphe 52(1) de la Charte n'entre pas en jeu. Il n'existe aucune indi cation évidente que le législateur entendait que l'une des dispositions soit exhaustive ou couvre toutes les situations. Par conséquent, l'article 52 aussi bien que l'article 24 s'appliquent à première vue'. Cependant, étant donné le caractère sélectif de la mesure législative, l'article 52 ne peut s'appliquer.
L'avocat de l'intimé nous a aussi engagés à considérer les remarques faites par le ministre de la Justice et procureur général du Canada devant le Comité mixte spécial de la Constitution du Canada, le 12 janvier 1981 la page 36:191:
' Comparer avec: Construction of Statutes, éd., E. A. Driedger, à la p. 235.
[TRADUCTION] Recours:
L'Association canadienne pour les libertés civiles et le Con- grès juif canadien ont fortement insisté sur l'adjonction d'un article prévoyant un recours en cas de violation des droits. Toute personne victime de négation ou de violation de ses droits pourra ainsi s'adresser à un tribunal compétent et obtenir réparation.
Je serais favorable à ce que l'on ajoute un article qui se lirait ainsi:
Toute personne, victime de violation ou de négation des droits et libertés qui lui sont garantis par la présente Charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
Cette mesure permettra à tout individu de recevoir compen sation et justice si ses droits ont été lésés par l'adoption d'une loi ou par une activité quelconque d'un fonctionnaire.
Je n'oublie pas la mise en garde qu'a faite le juge Lamer dans l'arrêt Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. 8 , à l'égard des procès-verbaux du Comité mixte spécial. Cependant, j'estime que les com- mentaires du ministre de la Justice, précités, indi- quent clairement l'intention, par l'adjonction de l'article 24 de la Charte, d'offrir une réparation appropriée à «tout individu ... si ses droits ont été lésés par l'adoption d'une loi ou par une activité quelconque d'un fonctionnaire». Je crois aussi qu'il est loisible à un tribunal de recourir aux débats du Parlement pour tenter de déceler les fins ou la politique de ce dernier 9 . Si cela est permis, il me semble donc que de la même façon il est loisible au tribunal d'attacher un certain poids à des commen- taires comme ceux du ministre de la Justice et procureur général du Canada, précités, devant le Comité mixte spécial du Parlement. Je suis de cet avis, étant donné que ce ministre est précisément celui qui était chargé de guider la discussion sur la Loi constitutionnelle devant la Chambre des communes.
Donc, pour les motifs qui précèdent, j'ai conclu que le juge de première instance avait compétence, en vertu de l'article 24 de la Charte, pour accorder la réparation visée dans la décision dont il est interjeté appel.
8 [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266, aux p. 508 et 509 R.C.S.
9 Voir: Reg. v. Barnet London Borough Council Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 W.L.R. 16 (H.L.), à la p. 30.
2. L'interaction des paragraphes 24(1) et 52(1) pris dans le contexte du paragraphe 15(1)
L'arrêt de principe sur l'article 15 de la Charte est l'arrêt Andrews 10 . À la page 170 R.C.S., le juge McIntyre dit ce qui suit:
Le principe de l'égalité devant la loi est reconnu depuis longtemps comme un élément de notre tradition constitution- nelle et il a été consacré sous forme législative dans la Déclara- tion canadienne des droits. Cependant, contrairement à la Déclaration canadienne des droits qui ne parle que de l'égalité devant la loi, le par. 15(1) de la Charte offre une protection beaucoup plus large. L'article 15 énonce quatre droits fonda- mentaux: 1) le droit à ce que la loi s'applique également à tous; 2) le droit à ce que la loi ne fasse acception de personne, ou droit à l'égalité dans la loi; 3) le droit à la même protection de la loi, et 4) le droit au même bénéfice de la loi. L'inclusion de ces trois derniers droits supplémentaires à l'art. 15 de la Charte constituait une tentative de remédier à certaines faiblesses du droit à l'égalité contenu dans la Déclaration canadienne des droits.
Et de nouveau aux pages 170 et 171 R.C.S., il dit:
On constate facilement que l'art. 15 a été délibérément formulé de manière à remédier à certains défauts perçus dans la Décla- ration canadienne des droits. La loi antérieure fait partie des «contextes linguistique, philosophique et historique» de l'art. 15 de la Charte.
Il est clair que l'art. 15 a pour objet de garantir l'égalité dans la formulation et l'application de la loi. Favoriser l'égalité emporte favoriser l'existence d'une société tous ont la certi tude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération. Il comporte un aspect réparateur important. Dans l'arrêt Reference re an Act to Amend the Education Act (1986), 53 O.R. (2d) 513, le juge en chef Howland ainsi que le juge Robins (dissident quant au résultat mais non quant à cette observation) tentent d'énoncer la vaste gamme des valeurs englobées par l'art. 15. Voici ce qu'ils affirment, à la p. 554:
[TRADUCTION] À notre avis, pris dans son ensemble, le par. 15(1) est une formulation concise d'un droit positif à l'égalité sur le plan du fond et de l'application de la loi. C'est un droit général qui régit toute l'action législative. Au même titre que les idéaux de «justice égalitaire» et «d'égalité d'accès à la loi», le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, maintenant enchâssé dans la Charte, repose sur le principe moral et éthique, fondamental dans une société vraiment libre et démocratique, que tous devraient être traités sur un pied d'égalité par la loi et avec le même respect.
Dans l'extrait de la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Reference re an Act to Amend the Education Act (1986), 53 O.R. (2d) 513; 25 D.L.R. (4th) 1; 13 O.A.C. 241, mention
' 0 Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.
st faite d'un droit positif à l'égalité conféré par le paragraphe 15(1). Une simple déclaration d'invali- dité ne suffirait pas dans les circonstances de l'espèce, car elle ne garantirait pas le droit positif conféré en vertu du paragraphe 15(1). Ce droit positif ne peut être garanti que par l'octroi d'une réparation concrète. C'est précisément ce que le juge de première instance a tenté de faire dans la décision portée en appel. J'estime que ce point de vue se trouve aussi étayé par la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Brooks". Cette affaire traitait du régime d'assurance collective de Safeway, qui refusait aux femmes enceintes les prestations d'invalidité pendant dix-sept semaines en vertu du régime d'assurance maladie et d'acci- dents de la société. Safeway a soutenu notamment que le régime ne créait pas de discrimination, mais qu'il était simplement limité en ce qu'il ne couvrait pas tous les risques assurables. On a soutenu que la décision d'exclure la grossesse de la couverture du régime ne relevait pas de la discrimination, mais de la décision d'indemniser certains risques et d'en exclure d'autres. Le juge en chef Dickson, en rédigeant le jugement de la Cour, a dit ce qui suit sur cet argument la page 1240 R.C.S.):
Je l'ai déjà signalé, au Canada, l'existence de la discrimination ne dépend pas d'une constatation d'intention inique. Les effets de la couverture dite sélective militent contre l'application de la notion de couverture sélective dans ce contexte. La couverture sélective constitue peut-être simplement un moyen détourné de permettre la discrimination. Les avantages sociaux sont de plus en plus souvent intégrés dans les conditions de travail. Dès qu'un employeur décide de fournir un régime d'avantages sociaux, il ne peut pas faire d'exclusions de façon discrimina- toire. Une indemnisation sélective de cette nature reviendrait clairement à de la discrimination fondée sur le sexe. Les avantages fournis dans le cadre de l'emploi doivent être fournis sans discrimination.
Ces remarques du juge en chef du Canada s'appliquent particulièrement à la situation en cause. Le caractère sélectif de l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage se trouve à créer une discrimination contre un parent naturel comme l'intimé en l'espèce. En statuant que le régime de Safeway créait une discrimination fondée sur le sexe, la Cour a accueilli l'appel et elle a renvoyé «la plainte des appelants à l'arbitre pour qu'il fixe le redressement approprié en vertu de la Loi sur les droits de la personne [S.M. 1974, chap. 65] du Manitoba». En d'autres termes, le
" Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; 94 N.R. 373.
tribunal a, dans ce cas, trouvé un redressement concret pour protéger un droit positif. De la même façon, la réparation accordée par le juge de pre- mière instance en l'espèce atteint ce résultat.
On a aussi fait référence à la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Hoogbruin'. Dans cette affaire, les requérants, tous deux résidants permanents et votants inscrits de la Colombie-Britannique étaient temporaire- ment hors de cette province tandis qu'ils fréquen- taient l'université en Ontario. Pendant leur absence, une élection provinciale a eu lieu en Colombie-Britannique, dans le cadre de laquelle il leur a été impossible de voter, la Election Act [R.S.B.C. 1979, chap. 103] de cette province ne prévoyant pas le vote des absents. Ils ont demandé un jugement déclaratoire portant que leur droit de vote, garanti par la Charte, avait été violé. La Cour d'appel a rendu un jugement déclaratoire dans lequel elle disait: [TRADUCTION] «la Cour estime que les votants inscrits de la Colombie-Bri- tannique sont privés de leur droit de vote garanti à l'art. 3 de la Charte quand la seule raison pour laquelle ils ne peuvent exercer ce droit se trouve être l'absence d'un mécanisme procédural qui leur permettrait raisonnablement de voter» la page 723 D.L.R.]. Aux pages 722 et 723 D.L.R., la Cour (le juge Nemetz, juge en chef de la Colom- bie-Britannique, et les juges d'appel Aikins et Macdonald) a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] M. Edwards, en insistant au nom des intimés pour que la cour n'accorde aucun redressement, a agité le spectre du danger de voir le tribunal «s'arroger ou diriger» les fonctions de l'exécutif ou de la législature s'il devait rendre un jugement déclaratoire. À notre avis, cet argument n'est pas fondé. Lorsqu'une loi est incompatible avec les dispositions de la Charte, il est du devoir du tribunal, dans la mesure de cette incompatibilité, de la déclarer inopérante (par. 52(1)).
Avant la Charte, les tribunaux pouvaient déclarer et ont déclaré invalides des mesures législatives pour des motifs rele vant du partage des pouvoirs. Lorsque cela s'est produit, nous ne connaissons aucune circonstance l'organe législatif du gouvernement n'a pas fidèlement tenté de corriger la mesure législative contestée. De la même façon, lorsque cette cour déclare «inopérante» une loi, en tout ou en partie, en raison de son incompatibilité avec la Charte, il appartient à la législature de décider des mesures de redressement à prendre, compte tenu du jugement déclaratoire. Le paragraphe 24(1) de la Charte permet aux tribunaux d'accorder réparation à quiconque est victime de violation ou de négation de ses droits garantis. La Charte dit ce qui suit:
12 Re Hoogbruin et al. and Attorney -General of British Columbia et al. (1985), 24 D.L.R. (4th) 718; [1986] 2 W.W.R. 700; 70 B.C.L.R. 1 (C.A.).
24.(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
Il serait certes anormal que ces pouvoirs ne puissent s'exercer que lorsque des restrictions ont été expressément édictées, à l'exclusion des circonstances des restrictions inconstitution- nelles résultent d'omissions dans la loi. [C'est moi qui souligne.]
Il ressort de ces motifs que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était d'avis qu'un tribunal compétent était habilité par le paragraphe 24(1) à offrir une réparation pour obvier au caractère sélectif d'une loi.
L'avocat de l'intimé ainsi que l'avocate de l'in- tervenant se sont également appuyés sur l'arrêt Blainey de la Cour d'appel de l'Ontario 13 . Dans cette affaire, l'appelante était une fille de douze ans qu'on avait empêchée de faire partie d'une équipe de hockey pour garçons en vertu des règle- ments de l'Ontario Hockey Association (Associa- tion de hockey de l'Ontario) et de la Canadian Amateur Hockey Association (Association cana- dienne de Hockey amateur). L'article premier du Code des droits de la personne de l'Ontario [L.O. 1981, chap. 53] porte:
1. Toute personne a droit à un traitement égal en matière de services, de biens ou d'installations, sans discrimination fondée sur la race, l'ascendance, le lieu d'origine, la couleur, l'origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l'âge, l'état matrimonial, l'état familial ou un handicap.
Toutefois, le paragraphe 19(2) de ce Code [abrogé par L.O. 1986, chap. 64, art. 18(12)] disait ceci:
[TRADUCTION] 19. ...
(2) Il n'y a pas eu violation du droit, que prévoit l'article 1, à un traitement égal en matière de services et d'installations lorsque l'adhésion à un organisme d'athlétisme ou la participa tion à une activité d'athlétisme est réservée uniquement aux personnes du même sexe.
L'appelante a conclu à un jugement déclarant que le paragraphe 19(2) du Code allait à l'encontre du paragraphe 15(1) de la Charte. La majorité de la formation de la Cour d'appel a statué que ce paragraphe 19(2) violait l'article 15 de la Charte, parce qu'il avait pour conséquence de permettre une discrimination directe fondée sur le sexe. La majorité a décidé en outre que ce paragraphe
" Re Blainey and Ontario Hockey Association et al. (1986), 54 O.R. (2d) 513; 24 D.L.R. (4th) 728; 14 O.A.C. 194 (C.A.). Autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée [[1986] 1 R.C.S. xii].
n'était pas couvert par l'article premier de la Charte, puisqu'il s'agissait d'une restriction abu sive du droit à la même protection et au même bénéfice de la loi. Dans l'affaire Blainey, la rédac- tion du paragraphe attaqué dénote une exception à la protection générale contre la discrimination, laquelle protection est prévue à l'article premier du Code. Donc, dans cette affaire, la réparation demandée par Mlle Blainey pouvait être accordée sous forme d'un jugement déclaratif d'invalidité du paragraphe 19(2), sous le régime de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, puisqu'un tel jugement déclaratoire aurait pour conséquence que Mlle Blainey bénéficierait de la protection géné- rale contre la discrimination prévue à l'article premier du Code. Autrement dit, le jugement déclaratif d'invalidité dans l'affaire Blainey aurait, quant au fond, pour effet d'étendre à Mlle Blainey le droit d'être à l'abri de la discrimination conféré par l'article premier du Code.
Les deux avocats ont fait remarquer qu'un résul- tat semblable avait été atteint dans l'arrêt Andrews susmentionné. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a déclaré que la condition posée par la Barristers and Solicitors Act de la Colombie-Britannique [R.S.B.C. 1979, chap. 26] selon laquelle seul un citoyen canadien peut être inscrit au barreau de la Colombie-Britannique est incompatible avec l'article 15 de la Charte, et est donc inopérante. Selon la prétention des avocats, cette décision a pour conséquence que la Cour a étendu au requérant le droit d'être admis au bar- reau en aplanissant les obstacles à cette demande interdits par la Constitution. Il est allégué en outre que le pouvoir qu'a la Cour d'ordonner des répara- tions prévues à la Charte ne dépend pas de la façon dont une disposition législative est rédigée. Par exemple, si l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage avait été rédigé en sens inverse, c'est-à-dire en prévoyant que les presta- tions de soin des enfants pouvaient être accordées à tous les parents à l'exclusion des parents natu- rels, on pourrait accorder une réparation convena- ble en radiant l'exception sous le régime de l'arti- cle 32, puisque les parents naturels seraient alors replacés dans une position d'égalité par rapport aux autres parents. En réalité, c'est précisément ce que le juge de première instance a fait, puisque, par son ordonnance, il a ramené les parents natu- rels à une position d'égalité avec tous les autres parents. Comme l'a prétendu l'avocat de l'intimé:
[TRADUCTION] Il serait par ailleurs arbitraire de faire dépen- dre ces grandes différences de fond uniquement des différences stylistiques dans la rédaction. [Exposé des faits et du droit de l'intimé, paragraphe 64.]
L'avocate de l'intervenant s'est exprimée en ces termes (exposé des faits et du droit de l'interve- nant, paragraphe 44):
[TRADUCTION] ... bien qu'un jugement déclaratif d'invalidité en l'espèce puisse placer les parents naturels et les parents adoptifs dans la même situation, il ne favoriserait pas pour autant l'égalité. S'assurer que des groupes ou des particuliers ont le même droit négatif pour ce qui est des prestations va à l'encontre du but de la garantie d'égalité visé par l'article 15 et ne donne lieu qu'à la similitude et non à l'égalité.
Dans son argumentation orale, elle a ajouté qu'un tel résulat équivalait à une [TRADUCTION] «égalité assortie de vengeance» en raison de l'aspect punitif du résultat. Elle a fait valoir qu'il n'était pas possible d'atteindre l'égalité visée à l'article 15 simplement en enlevant une prestation à d'autres.
Je suis d'accord avec les arguments des deux avocats à cet égard. À mon avis, la jurisprudence canadienne n'exclut pas le recours à l'article 24 dans les circonstances de l'espèce. Au contraire, j'estime que la prépondérance de cette jurispru dence étaye l'exercice du pouvoir que la Cour tient de l'article 24 dans une situation comme l'espèce 14 . À la page 636 R.C.S. de l'arrêt R. c. Rahey 15 de la Cour suprême du Canada, le juge La Forest, lors de la discussion de la «Corrélation entre le droit et la réparation» dans le contexte des traditions de la tenue d'un procès dans un délai raisonnable, et de l'exigence semblable figurant à l'alinéa 11 b) de la Charte, s'est prononcé en ces termes:
Ce qui distingue la Charte de cette tradition, c'est non seulement l'expression constitutionnelle du droit, un droit qui, après tout, est connu en common law depuis plus de 750 ans, mais également la nature générale et souple de la réparation qu'elle prévoit pour sa violation. En d'autres termes, c'est non seulement le fait que le droit est enchâssé dans la Constitution qui nous oblige à l'examiner à nouveau, mais c'est qu'il a été réaffirmé dans le contexte d'un mécanisme de procédure entiè- rement nouveau, qui était évidemment destiné à être utilisé avec souplesse et imagination. Par conséquent, les tribunaux ne
14 En plus des décisions analysées ci-dessus, je cite les affaires Addy c. La Reine, [1985] 2 C.F. 452; (1985), 22 D.L.R. (4th) 52; 8 C.C.E.L. 13; 5 C.P.C. (2d) 127; 19 C.R.R. 193 (1' inst.) et R. v. Punch, [1985] N.W.T.R. 373; [1986] 1 W.W.R. 592; 22 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 374; 18 C.R.R. 74 (C.S.).
15 [1987] 1 R.C.S. 588; (1987), 78 N.S.R. (2d) 183; 39 D.L.R. (4th) 481; 193 A.P.R. 183; 33 C.C.C. (3d) 289; 57 C.R. (3d) 289; 75 N.R. 81.
peuvent plus considérer que les formes de réparation existantes définissent la portée du droit. En effet, la Charte situe la garantie de la tenue d'un procès dans un délai raisonnable dans un contexte de procédure qui permet aux tribunaux de lui donner tout son sens pour la première fois.
À la page 648 R.C.S., il a déclaré:
Réparation
Comme je l'ai indiqué à maintes reprises, un tribunal compé- tent est libre d'utiliser le pouvoir discrétionnaire complet que lui confère le par. 24(1) de la Charte pour choisir une répara- tion relativement à la violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable. Ce choix, comme le juge McIntyre l'explique dans le passage cité précédemment, dépend de toutes les cir- constances. La Charte précise clairement que la réparation qui doit être accordée est celle «que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances».
Ces deux citations renforcent mon point de vue selon lequel la Cour peut utiliser avec «souplesse» et «imagination» les pouvoirs qu'elle tient de l'arti- cle 24, et est libre de faire pleinement usage de sa discrétion dans l'exercice de ces pouvoirs.
Dans l'arrêt Mills c. La Reine 1 b, le juge McIn- tyre présente également un argument convaincant sur la portée du pouvoir conféré par l'article 24:
Il est difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu. Ce large pouvoir discrétionnaire n'est tout simplement pas réducti- ble à une espèce de formule obligatoire d'application générale à tous les cas, et les tribunaux d'appel ne sont nullement autorisés à s'approprier ce large pouvoir discrétionnaire ni à en restrein- dre la portée ... mais les circonstances varieront de façon infinie d'un cas à l'autre et la réparation accordée variera en conséquence.
Ainsi qu'il a été noté dans la jurisprudence discutée ci-dessus, nos tribunaux ont accordé des réparations concrètes, modifiant ces réparations pour les adapter aux circonstances de chaque cas particulier. A mon avis, et pour tous les motifs invoqués ci-dessus, le juge de première instance n'a, en l'espèce, commis aucune erreur dans l'exer- cice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 24.
16 [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 67 N.R. 241, aux p. 965 et 966 R.C.S.
3. Le rôle des tribunaux lorsque l'octroi d'une réparation prévue à la Charte entraîne la modifi cation judiciaire de la loi et entraîne également l'affectation de fonds publics à une fin non autori- sée par le législateur
a) Modification judiciaire
Les appelantes soutiennent que la Charte n'a pas transféré aux tribunaux le pouvoir de réécrire ou de modifier la loi pour qu'elle s'accorde avec la Charte. Selon leur avocat, [TRADUCTION] «il incombe au législateur de faire un choix parmi les options d'orientation constitutionnellement permi- ses et de promulguer une loi qui corresponde aux exigences de la Charte». (exposé des faits et du droit des appelantes, paragraphe 43). Fortes de cet argument, les appelantes estiment que le juge de première instance a [TRADUCTION] «outrepassé la fonction judiciaire régulière en choisissant et en imposant un cadre législatif pour remplacer celui déclaré défectueux sur le plan constitutionnel» (exposé des faits et du droit des appelantes, para- graphe 44).
Cet argument me pose des problèmes. Une telle approche ne tient pas compte de l'existence de l'article 33 de la Charte" qui préserve expressé- ment la suprématie parlementaire concernant les droits énoncés à l'article 2 ainsi qu'aux articles 7 à 15 de la Charte. On devrait se rappeler que cette suprématie constitutionnelle (y compris la Charte) a été imposée aux législateurs par les législateurs, après une pleine discussion dans l'arène politique,
" L'article 33 porte:
33. (1) Le Parlement ou la législature d'une province peut adopter une loi il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposi tion donnée de l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.
(2) La loi ou la disposition qui fait l'objet d'une déclara- tion conforme au présent article et en vigueur a l'effet qu'elle aurait sauf la disposition en cause de la charte.
(3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d'avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.
(4) Le Parlement ou une législature peut adopter de nou- veau une déclaration visée au paragraphe (1).
(5) Le paragraphe (3) s'applique à toute déclaration adop- tée sous le régime du paragraphe (4).
dans les médias et devant les tribunaux. Dans l'arrêt Skapinker 18 , le juge Estey a décrit le rôle des tribunaux vis-à-vis de la Charte:
En l'espèce, nous sommes appelés à remplir une tâche nou- velle, savoir interpréter et appliquer la Charte canadienne des droits et libertés ... Il ne s'agit pas d'une loi ordinaire ni même d'une loi de nature exceptionnelle comme la Déclaration cana-
dienne des droits . Il s'agit d'une partie de la constitution d'un pays adoptée selon un processus constitutionnel qui, dans le cas du Canada en 1982, a revêtu la forme d'une loi du Parlement du Royaume-Uni. Les mécanismes d'adoption peu- vent varier d'un pays à l'autre. Ils perdent leur importance ou sont relégués au seul rang de fait historique lors de l'adoption définitive du texte qui sert de constitution. L'Acte de l'Améri- que du Nord britannique de 1867 était un tel texte de loi ... Quant à l'interprétation et à l'application de ce texte, le Comité judiciaire du Conseil privé ... a affirmé: [TRADUCTION] «L'Acte de l'Amérique du Nord britannique a planté au Canada un arbre susceptible de croître et de se développer à l'intérieur de ses limites naturelles.»
La Charte ne tire pas son origine de l'un ou l'autre niveau de compétence législative du gouvernement, mais de la Constitu tion elle-même. Elle appartient au fond même du droit cana- dien. En réalité, elle est «la loi suprême du Canada» ... Le processus délicat et constant d'ajustement de ces dispositions constitutionnelles est traditionnellement laissé, par nécessité, au pouvoir judiciaire. Il faut maintenir l'équilibre entre la sou- plesse et la certitude. Il faut, dans la mesure il est possible de les prévoir, s'adapter dès à présent aux situations futures ... La Loi constitutionnelle de 1982 apporte une nouvelle dimen sion, un nouveau critère d'équilibre entre les individus et la société et leurs droits respectifs, une dimension qui, comme l'équilibre de la Constitution, devra être interprétée et appli- quée par la Cour.
Gardant à l'esprit les principes énoncés par le juge Estey ci-dessus, j'aborde maintenant les faits de l'espèce présente. Un jugement déclaratif d'in- validité en vertu du paragraphe 52(1) a pour con- séquence de priver les parents adoptifs des presta- tions de soin des enfants que leur accorde l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Un tel résultat, tout comme la réparation proposée par le juge de première instance, équivaut à une modi fication judiciaire. Compte tenu du point de vue de la Cour suprême du Canada selon lequel l'octroi des réparations prévues à la Charte devrait répon- dre à une démarche souple et fonctionnelle 19 , et qu'il faut tenir compte de l'objet visé en appliquant les réparations fondées sur la Charte et en inter
" Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; (1984), 9 D.L.R. (4th) 161; 3 O.A.C. 321; 11 C.C.C. (3d) 481; 53 N.R. 169, aux p. 365 367 R.C.S.
19 Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, aux p. 894 905,
le juge Lamer.
prétant les droits qu'elle garantit 20 , j'estime que la réparation donnée en l'espèce est juste et convena- ble compte tenu de ses faits particuliers. À mon avis, une loi qui ne couvre pas toutes les situations invite à une réparation qui consiste dans l'exten- sion de prestations. Le droit à l'égalité quant aux résultats, reconnu par l'article 15, n'aura pas de sens à moins qu'une réparation concrète ne soit fournie en cas de dispositions qui ne couvrent pas toutes les situations Gommes celles qu'on trouve à l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage. Dans ces circonstances, l'article 24 envisage et sanctionne clairement le genre de réparation que le juge de première instance a accordé en l'espèce. La réparation accordée représente un raisonnable «équilibre entre les individus et la société» envisagé par le juge Estey dans l'arrêt Skapinker susmen- tionné. La Charte porte sur la protection des droits existants. Le jugement de première instance pro- tège les droits existants de l'intimé et d'autres personnes comme lui. D'autre part, le jugement proposé par les appelantes ne protégera pas ces droits existants. En conséquence, j'estime que la réparation prescrite est constitutionnellement per- mise.
D'autre part, le jugement de la Section de pre- mière instance ne prévoit qu'une réparation tempo- raire, laissant au «législateur le soin de remédier à la situation conformément à la Charte, soit en étendant de semblables prestations aux parents naturels, soit en éliminant les prestations accordées aux parents adoptifs, soit en prévoyant des presta- tions plus restreintes dont bénéficieraient égale- ment les parents tant adoptifs que naturels à l'égard du soin des enfants» la page 544 C.F.). La réparation accordée par le juge Strayer n'af- fecte nullement la prérogative du législateur de faire un choix parmi les options d'orientation cons- titutionnellement valides en adoptant une loi qui corresponde aux exigences de la Charte. Puisque la réparation accordée en l'espèce est de nature tem- poraire, il est peu probable que le législateur juge nécessaire d'invoquer l'article 33 de la Charte. Par ces motifs, je ne saurais être d'accord avec les prétentions des appelantes à cet égard.
20 R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; (1988), 31 O.A.C. 81; 45 C.C.C. (3d) 204; 66 C.R. (3d) 193; 89 N.R. 161, à la p. 641 R.C.S., le juge Wilson.
b) L'affectation de fonds publics à une fin non autorisée par le législateur
Les appelantes font valoir que la réparation accordée par le juge de première instance constitue une invasion du domaine fiscal qui est l'apanage du législateur, en ce sens qu'elle donne lieu à l'affectation de fonds publics au versement de prestations dont l'extension a été ordonnée par le tribunal. Selon les appelantes, le pouvoir d'exiger des impôt et de débourser les recettes relève de la compétence exclusive du législateur. Elles estiment donc que la Cour doit respecter le pouvoir consti- tutionnel du législateur sur le trésor public.
J'estime que cette proposition n'est pas étayée par la jurisprudence. Dans l'affaire R. v. Rowbo- tham et a1. 21 , la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Martin, Cory et Grange, J.C.A.) a ordonné une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte qui nécessitait l'utilisation de fonds publics. À la page 371 O.A.C., la Cour s'est prononcée en ces termes:
[TRADUCTION] En bref, lorsque le juge de première instance constate que la représentation d'un accusé par avocat s'impose pour garantir un procès équitable, l'accusé, ainsi qu'il a été indiqué, tient de la constitution le droit de se faire assister par avocat aux frais de l'État s'il n'a pas les moyens d'en retenir un. Lorsque le juge de première instance est convaincu qu'un accusé n'a pas les moyens de retenir les services d'un avocat et que la présence de celui-ci est nécessaire pour garantir un procès équitable pour l'accusé, une suspension d'instance jus- qu'à la constitution d'un avocat payé par l'État est une répara- tion convenable sous le régime du par. 24(1) de la Charte lorsque la poursuite insiste pour que le procès ait lieu en violation du droit de l'accusé, que prévoit la Charte, à un procès équitable. En l'espèce, il est inutile de décider si le juge de première instance serait, dans ces circonstances, également autorisé à ordonner que l'Aide juridique ou le procureur géné- ral compétent paye les honoraires d'avocat.
De même, dans l'affaire Marchand v. Simcoe County Board of Education et a1. 22 , le juge Sirois de la Haute Cour de justice de l'Ontario, après avoir conclu que les droits constitutionnels du demandeur à l'instruction dans la langue de la minorité avaient été niés, s'est fondé sur le para- graphe 24(1) de la Charte pour déclarer que le demandeur et ceux qu'il représente tiennent de l'article 23 de la Charte le droit de faire instruire leurs enfants, au niveau secondaire, en français
21 (1988), 25 O.A.C. 321; 41 C.C.C. (3d) 1; 63 C.R. 113.
22 (1986), 55 O.R. (2d) 638; 29 D.L.R. (4th) 596; 25 C.R.R. 139 (H.C.), aux p. 661 à 663 O.R.
dans des établissements d'enseignement de langue française financés sur les fonds publics. Il faudrait se rappeler également que dans l'arrêt Singh sus- mentionné, la Cour suprême du Canada, en ordon- nant de renvoyer les revendications du statut de réfugié des appelants à la Commission d'appel de l'immigration pour qu'elle tienne une audition complète dans chaque cas, a prescrit une répara- tion qui a donné lieu à une utilisation importante des fonds publics non autorisée par le législateur.
De plus, ainsi que l'a fait remarquer l'avocate de l'intervenant, la réparation proposée par les appe- lantes, à savoir un jugement déclaratif d'invalidité en vertu du paragraphe 52(1) va également affec- ter le trésor public en ce sens qu'un tel résultat épargnerait au gouvernement du Canada les sommes d'argent jusqu'ici payables, à titre de pres- tations de soin des enfants sous le régime de l'article 32, aux parents adoptifs. Si un résultat positif est constitutionnellement nul pour cette raison, assurément un résultat négatif serait égale- ment interdit.
À mon avis, un tribunal tient effectivement de l'article 24 le pouvoir d'étendre des prestations à des groupes lésés par une exclusion de prestations. Une telle extension de prestations semble être la seule réparation qui soit conforme à la nature téléologique de la Charte tout en donnant effet aux droits à l'égalité reconnus à l'article 15 de la Charte. Puisque, dans les circonstances, l'extension semble être la seule réparation qui soit «convenable et juste», j'estime qu'elle est permise quand bien même elle donnerait lieu à l'affectation de fonds non autorisée par le législateur.
CONCLUSION
En conclusion, puisque je ne suis pas persuadé, pour tous les motifs invoqués en l'espèce, que le juge de première instance a eu tort dans sa déci- sion sur les questions soulevées par le présent appel et dans son jugement en date du 30 août 1988, il s'ensuit que le présent appel devrait être rejeté. Pour ce qui est des dépens de l'appel, je conviens avec le juge Mahoney qu'on devrait accorder à Schachter ses frais entre parties de l'appel.
LE JUGE STONE, J.C.A.: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A. (dissident): Le pré- sent appel, qui est interjeté d'une décision de M. le juge Strayer rapportée à [ 1988] 3 C.F. 515, sou- lève, de façon nette et directe, une question consti- tutionnelle fondamentale. Cette question est celle de savoir si un tribunal compétent, après avoir conclu à l'incompatibilité d'une disposition législa- tive avec la Constitution du Canada, est habilité à accorder une réparation qui empiète sur la compé- tence du Parlement de légiférer et, à tout le moins dans les circonstances de l'espèce, d'affecter des sommes d'argent. La disposition législative en cause est l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage, à présent l'article 20, L.R.C. (1985), chap. U-1; elle a été jugée incompatible avec l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés au motif qu'elle n'accordait pas le même bénéfice de la loi aux parents naturels. Cet article permet aux parents adoptifs, mais non aux parents naturels, de recevoir des prestations pour le soin des enfants. S'autorisant de l'article 24 de la Charte, le juge de première instance a élaboré une réparation qui accorde les mêmes prestations pour le soin des enfants aux parents naturels, et qui exige un déboursement de deniers publics dans des circonstances non prévues par le Parlement.
Le libellé même de la disposition contestée et du jugement porté en appel n'ont pas une importance décisive pour les présents motifs. Ces textes figu- rent néanmoins dans l'annexe qui s'y trouve jointe.
Outre le pouvoir même de rendre l'ordonnance, un seul de ses aspects a été soulevé dans l'appel: l'inclusion de la disposition selon laquelle le droit des mères naturelles à des prestations pour le soin des enfants prévu à l'article 32 ne devrait pas être annulé par le droit aux prestations de maternité qui leur est par ailleurs accordé. Cette disposition ne m'apparaît comporter aucune erreur distincte. La modification des conclusions autorisées au procès (dossier d'appel, volume XIV, aux pages 2032 et suivantes) a introduit l'interaction des prestations de soins aux enfants et de maternité dans les actes de procédure. Bien que l'intimé Schachter ne pût lui-même avoir droit à des pres- tations de maternité, cette interaction est nécessai- rement entrée en jeu une fois la violation de la Charte établie, puisqu'il n'existait aucune distinc-
tion constitutionnellement soutenable entre les pères et les mères à l'égard des prestations pour le soin des enfants.
Outre celle qui précède, aucune des questions réellement tranchées par le juge de première ins tance n'est sérieusement contestée. Il a conclu, et ceci est maintenant admis, que l'article 32 refuse le même bénéfice de la loi aux parents naturels en exerçant une discrimination. L'on ne prétend pas que, dans l'hypothèse elle pouvait être rendue, l'ordonnance en cause ne constitue pas une répara- tion convenable et juste. Parmi les réparations recherchées subsidiairement figurait une déclara- tion que l'article 32 est invalide et inopérant, assortie d'une réserve prévoyant qu'il demeurera en vigueur durant une certaine période afin de permettre l'adoption de dispositions législatives correctives (dossier d'appel, volume I, à la page 6).
Les appelantes disent que, dès le moment une disposition législative est jugée incompatible avec la Constitution, qui comprend évidemment la Charte, elle doit, en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, être déclarée inopé- rante. Et cela, selon leur prétention, clôt la ques tion. C'est au Parlement qu'il appartient d'édicter des dispositions législatives qui n'enfreignent pas la Constitution. La Cour n'a pas la compétence voulue pour invoquer l'article 24 de la Charte et élaborer une réparation qui étende le bénéfice de la loi aux personnes que, à dessein ou par inadver- tance, le Parlement a omises. À supposer que cet argument ait été soumis au juge de première ins tance, celui-ci n'a pas statué à son sujet. Le juge n'a pas examiné la question de savoir s'il était tenu de prononcer le jugement déclaratoire sollicité par les appelantes, bien qu'il ait certainement consi- déré un tel jugement comme une possibilité, qu'il a rejetée.
Les intimés ne nient pas qu'une déclaration d'invalidité puisse constituer la réparation conve- nable et juste dans certaines circonstances des dispositions législatives sont incompatibles avec la Charte. Ils en donnent pour exemple l'absence d'un bénéfice égal de la loi découlant d'une intru sion législative injustifiée (overintrusion). Il se peut bien que, dans un tel cas, une réparation convenable et juste réside dans la déclaration qu'une intrusion injustifiée pouvant être considérée isolément des autres dispositions est inopérante.
Cependant, en l'espèce, le bénéfice égal de la loi est refusé en raison d'une couverture sélective (underinclusion). Il ne serait ni convenable ni juste de réaliser un tel objectif en refusant un avantage, prît-il la forme d'un droit ou d'une exemption, à ceux à qui le Parlement l'a conféré expressément; cette façon d'agir serait contraire à la fois à la raison et à l'intention probable du Parlement. Cet objectif ne doit pas être réalisé en dépouillant ceux que le Parlement a avantagés mais en avantageant les personnes que le Parlement a négligées de façon inconstitutionnelle.
Les appelantes comme les intimés considèrent très rassurante l'idée que les conséquences législa- tives des mesures recherchées peuvent, si tel est le choix du Parlement, être de courte durée. Dans l'hypothèse il ne trouverait pas la solution de la Cour satisfaisante, le Parlement pourrait régler cette question par l'adoption de dispositions légis- latives, auxquelles, si tel était son choix, il confére- rait un effet rétroactif.
Les dispositions de la Constitution qui se trou- vent visées en l'espèce sont les paragraphes 15(1) et 24(1) de la Charte et le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
52. (1) La Constitution du Canada est la loi supême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
À l'appui de leur proposition qu'une réparation visée à l'article 24 devrait être accessible, les inti- més citent l'arrêt Califano v. Westcott, 443 U.S. 76 (1979), rendu par la Cour suprême des États- Unis dans une affaire dont les faits étaient similai- res à ceux de la présente espèce. Les dispositions législatives en cause accordaient des droits pécu- niaires à des enfants qui se trouvaient dans le besoin parce que le chômage de leur père les
privait du soutien parental. Ces dispositions ont été jugées inconstitutionnelles au motif qu'elles éta- blissaient une classification procédant d'une discri mination uniquement fondée sur le sexe. La Cour de district avait effectivement modifié les disposi tions législatives en cause en substituant le mot «parent» ([TRADUCTION] «parent») au mot «father» ([TRADUCTION] «père»). Les intimés, dans l'appel, cherchaient à substituer l'expression «principal wage- earners ([TRADUCTION] «princi- pal soutien de famille») à ce terme. Les motifs de la majorité, aux pages 89 et suivantes, disent ce qui suit:
[TRADUCTION] «Lorsqu'une loi est défectueuse en raison de sa couverture sélective», a noté M. le juge Harlan, «le choix s'offre entre l'une ou l'autre des deux réparations suivantes: un tribunal peut déclarer la nullité [de la loi] en ordonnant que les avantages qu'elle accorde ne s'étendent pas à la catégorie que la législature entendait aider, ou il peut étendre les avantages de la loi à ceux qui sont lésés par l'exclusion» (arrêt Welsh v. United States, 398 U.S. 333, à la page 361 (1970) (motifs concourants quant au résultat)). Dans des arrêts antérieurs statuant sur des actions fondées sur la protection égale de la loi qui contestaient des lois fédérales accordant certains avantages et ayant une couverture sélective, cette Cour a suggéré qu'il convient d'étendre, plutôt que d'annuler, les avantages promul- gués. [Les citations sont omises.] Notre Cour a en effet réguliè- rement confirmé des jugements de cours de districts ordonnant que des prestations de bien-être social soient payées aux mem- bres d'une catégorie de personnes inconstitutionnellement exclue. [Les citations sont omises.]
Il n'est toutefois pas nécessaire que nous élaborions ici les conditions dans lesquelles un tribunal devrait invalider, plutôt qu'étendre, les avantages prévus par une loi fédérale à couver- ture sélective; en effet, aucune des parties n'a demandé l'exa- men de cette question. Toutes les parties au litige soumis à la Cour de district se sont entendues pour dire que l'extension des prestations constituait la réparation appropriée.
À chaque fois qu'un tribunal donne plus d'extension à un programme de prestations aux fins de corriger une couverture sélective inconstitutionnelle, ce tribunal risque d'enfreindre des prérogatives législatives. L'extension ordonnée par la Cour de district possède à tout le moins le mérite d'être simple: en ordonnant que le mot «father» ([TRADUCTION] «père») soit remplacé par un équivalent ne désignant pas un sexe plutôt que l'autre, la Cour a évité d'entraver l'application du programme AFDC-UF, puisque les prestations qui seront payées aux famil- les dont un des parents est en chômage le seront suivant les conditions mêmes qui régissaient depuis longtemps le paiement de prestations aux familles dont le père était en chômage. La solution du «principal wage-earner» ([TRADUCTION] «principal soutien de famille»), par contraste, introduirait une nouvelle expression dans le système du programme AFDC; elle soulève- rait des questions définitionnelles et des questions de politique pour lesquelles des mesures législatives ou administratives sont plus appropriées.
Dans ces circonstances, il convient de laisser aux instances démocratiques du gouvernement le soin d'ajuster ou non la portée du programme AFDC en fonction du concept du «princi- pal soutien de famille». En somme, nous considérons que la Cour de district, dans son effort visant à supprimer la différen- ciation fondée sur le sexe qu'opérait le programme AFDC-UF, a étendu les dispositions de celui-ci de la manière la plus simple et la plus équitable possible.
À l'examen de cette décision, il apparaît bien établi que la réparation élaborée par le juge de première instance est bien le type de redressement qui, dans les circonstances, aurait été accordé aux Etats-Unis; cet arrêt met également bien en évi- dence le principe sous-tendant la formulation de cette réparation. Toutefois, comme l'a observé M. le juge Lamer dans les motifs qu'il a prononcés au nom de la majorité dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 498:
Dans cette constitution [des États-Unis], faut-il le rappeler, on ne trouve ni l'art. 52, ni le contrôle interne des art. 1 et 33. À mon avis, nous rendrions un mauvais service à notre propre Constitution en permettant simplement que le débat américain définisse la question pour nous, tout en ignorant les différences de structure vraiment fondamentales entre les deux constitu tions.
Les intimés ont fait valoir de nombreux argu ments à l'appui du maintien de la réparation accordée en l'espèce. Ceux-ci comprennent l'ap- proche téléologique ainsi que l'interprétation libé- rale et non légaliste des droits garantis par la Charte qui sont mises de l'avant dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; réitérées dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, et, peut-être, étendues dans leur application par la majorité de la Cour, dont l'opinion était exprimée par le juge Wilson, dans l'arrêt R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595, à la page 641:
Il faut, à mon avis, tenir compte de l'objet visé en appliquant les réparations fondées sur la Charte et en interprétant les droits qu'elle garantit.
Cette façon d'envisager les réparations prévues à l'article 24 se trouve clairement appuyée par les antécédents législatifs, notamment la déclaration faite par le ministre de la Justice, qui figure dans les Procès-verbaux et témoignages du Comité
mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, le 12
janvier 1981, la page 36:19. Pour étayer leur prétention que la réparation pouvait être accordée, les intimés en soulignent le caractère pratique déjà mentionné: le Parlement peut effectivement agir s'il n'est pas satisfait de la réparation accordée; une suspension de cette réparation peut être ordon- née si, comme dans le Renvoi relatifs aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man. R. (2d) 83; 59 N.R. 321, la Cour consi- dère qu'elle nuirait indûment à l'ordre établi; et la réparation accordée correspond probablement davantage aux intentions réelles du Parlement que ne le ferait une simple déclaration d'invalidité. Les intimés suggèrent que les personnes dont les droits à l'égalité ont été violés par une couverture législa- tive sélective ne devraient pas être placées dans la situation du [TRADUCTION] «chien du jardinier», c'est-à-dire en être réduites à priver d'autres per- sonnes d'un avantage, et ils demandent, dans l'hy- pothèse tel serait nécessairement le résultat de leur démarche, ce qui pousserait une personne saine d'esprit à entreprendre une telle contestation sous le régime de la Charte. Les citoyens ne devraient pas être découragés de faire valoir leurs droits. Une déclaration d'invalidité ne favorise en rien l'égalité; un égal accès à une absence d'avan- tage ne constitue pas l'égalité.
La validité d'une approche téléologique ne peut être mise en doute, et j'accepte aussi la logique et la force des considérations pratiques. En supposant que le juge de première instance ait détenu le pouvoir d'accorder la réparation en cause, je ne la modifierais pas. Je considère qu'elle remplit adé- quatement les exigences d'une approche téléologi- que; cette solution favorise effectivement l'égalité, ce qu'un jugement déclaratif d'invalidité ne peut faire que de façon stérile et formelle. Toutefois, comme l'a reconnu l'avocat de l'intimé Schachter dans son argumentation orale, c'est pour une raison de principe que les appelantes contestent le jugement de la Section de première instance. Elles n'attaquent pas l'exercice qui a été fait d'un pou- voir discrétionnaire, mais elles contestent la com- pétence même de la Cour pour ordonner une telle réparation.
Je n'ai pu trouver qu'un seul passage de la Cour suprême du Canada qui puisse s'interpréter comme traitant de l'interaction des paragraphes concernés. Celui-ci figure dans le jugement pro- noncé par le juge Dickson (c'était alors son titre) au nom de la majorité dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, à la page 313 R.C.S.:
Le paragraphe 24(1) prévoit un redressement pour les per- sonnes, aussi bien physiques que morales, qui ont été victimes d'une atteinte aux droits qui leurs sont garantis par la Charte. Toutefois, il ne s'agit pas du seul recours qui s'offre face à une loi inconstitutionnelle. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la contestation est fondée sur l'inconstitutionnalité d'une loi, il n'est pas nécessaire de recourir à l'art. 24 et l'effet particulier qu'elle a sur l'auteur de la contestation est sans importance.
L'article 52 énonce le principe fondamental du droit constitu- tionnel, savoir la suprématie de la Constitution.
Les intimés voudraient que, à partir de la déclara- tion que le paragraphe 24(1) ne constitue pas le seul recours face à une loi inconstitutionnelle, nous inférions que les paragraphes 24(1) et 52(1) offrent nécessairement des recours subsidiaires dans des circonstances appropriées, circonstances qui comprendraient la couverture sélective. Je suis incapable d'interpréter le passage qui précède comme énonçant une telle conclusion. Il n'est pas réellement statué sur l'interaction des dispositions concernées. Certes la seule «réparation»—en sup- posant que ce terme soit adéquat—sollicitée, exa minée et accordée fut un jugement déclaratoire concluant à l'invalidité des dispositions législatives attaquées sous le régime du paragraphe 52(1).
La Cour suprême s'est encore une fois pronon- cée par l'intermédiaire du juge Dickson dans l'ar- rêt Hunter et autres c. Southam Inc., il était question d'une intrusion législative injustifiée plutôt que d'une couverture sélective; elle a dit à la page 148 R.C.S.:
La Constitution du Canada, qui contient la Charte cana- dienne des droits et libertés, est la loi suprême du Canada. Elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. C'est ce que prescrit le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Aux pages 168 et suivantes R.C.S., elle a ajouté:
Les appelants soutiennent que même si les par. 10(1) et 10(3) n'établissent pas un critère compatible avec l'art. 8 lorsqu'il s'agit d'autoriser une entrée, une fouille, une perquisi- tion et une saisie, ils ne devraient pas être radiés comme incompatibles avec la Charte, mais ils devraient plutôt recevoir une interprétation large de manière à leur prêter le critère approprié ... En l'espèce, l'incompatibilité évidente avec l'art.
8, qui se manifeste par l'absence d'un arbitre neutre et impar tial, fait en sorte que les arguments des appelants concernant l'ajout, au moyen d'une interprétation large, des critères appro- priés applicables à la délivrance d'un mandat, sont purement théoriques. Cependant, même s'il n'en était pas ainsi, je serais peu disposé à donner suite à ces arguments. Même si les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et des droits qu'elle confère aux particuliers, il incombe à la législature d'adopter des lois qui contiennent les garanties appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Constitution. Il n'appartient pas aux tribunaux d'ajouter les détails qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives. Si elles n'offrent pas les garanties appropriées, les lois qui autorisent des fouilles, des perquisitions et des saisies sont incompatibles avec l'art. 8 de la Charte. Comme je l'ai dit, toute loi incompatible avec les dispositions de la Constitution est, dans la mesure de cette incompatibilité, inopérante.
Il appartient aux tribunaux de définir les limites dans lesquelles doivent se situer les dispositions législatives pour être valides sous le régime de la Charte, mais il continue de ressortir au Parlement d'édicter des dispositions satisfaisant à ses exigences.
Les arrêts R. v. Hamilton (1986), 57 O.R. (2d) 412; 17 O.A.C. 241 (C.A.) et R. v. Van Vliet (1988), 45 C.C.C. (3d) 481; 10 M.V.R. 190 (C.A.C.-B.), ont tous deux examiné la question de l'égalité devant la loi en regard de dispositions du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] procla- mées en vigueur dans certaines, mais non dans l'ensemble, des provinces. Elles n'étaient en vigueur ni en Ontario ni en Colombie-Britannique lorsque leurs cours d'appel ont été appelées à statuer sur des demandes dans lesquelles des per- sonnes déclarées coupables réclamaient d'être trai- tées comme si ces dispositions avaient été procla- mées. La Cour d'appel de l'Ontario a accueilli cette demande; la Cour d'appel de la Colombie- Britannique, dans une décision majoritaire, l'a rejetée. Ni dans l'une ni dans l'autre de ces affai- res était-il demandé un jugement déclaratoire pro- nonçant l'invalidité des dispositions législatives concernées; ce facteur les distingue nettement de la présente espèce.
Parlant au nom de la Cour ontarienne, le juge Dubin, de la Cour d'appel, a dit à la page 438 O.R.:
[TRADUCTION] La constitutionnalité des dispositions en cause du Code criminel n'ayant pas été contestée, le fardeau de la preuve incombe à la personne qui prétend à une violation ou à une négation des droits ou des libertés que lui garantit la Charte. Seule une telle personne a droit à une réparation. Lorsque la preuve révèle que la personne concernée appartient
à la catégorie des personnes dont la libération peut être envisa gée par un tribunal, la réparation appropriée consiste à accor- der à cette personne le droit dont jouissent les autres personnes qui se trouvent dans les mêmes circonstances dans d'autres parties du Canada.
II ne semble pas avoir examiné la possibilité que l'octroi de la réparation demandée puisse consti- tuer effectivement une action à caractère législatif puisqu'il fallait traiter les dispositions en cause soit comme si elles avaient été proclamées en vigueur en Ontario, soit, comme si l'exigence de leur pro clamation n'avait pas été édictée. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a pour sa part consi- déré une telle possibilité, pour conclure que, en accordant cette même réparation, elle légiférerait et excéderait ses pouvoirs. À la page 519 C.C.C., le juge Southin, de la Cour d'appel (avec l'appui du juge Carrothers, de la Cour d'appel), a dit:
[TRADUCTION] Le Parlement aurait très bien pu ne pas insérer le par. (5) dans la Loi de 1985 si l'article prévoyant la proclamation n'en avait pas, lui aussi, fait partie. La Cour d'appel de l'Ontario a, en pratique, abrogé l'article sur la proclamation.
Prendre les dispositions qui ont été prises dans l'arrêt R. v. Hamilton équivaut à modifier la Loi de 1985. Modifier, c'est légiférer, et légiférer, c'est usurper le rôle du Parlement.
Le régime politique prévu par notre Loi constitutionnelle de 1867 ne confère le pouvoir de légiférer qu'au Parlement et aux législatures des provinces.
Elle a alors examiné les articles 17, 18, 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R,C. 1970, Appendice II, 5]], pour conclure à la page 520 C.C.C.:
[TRADUCTION] Le pouvoir exécutif est attribué au Souve- rain, tandis que le pouvoir de légiférer est conféré au Parle- ment. Ni l'un ni l'autre n'est dévolu aux tribunaux.
La Charte n'a pas conféré les pouvoirs prévus aux art. 91 et 92 aux tribunaux; elle les a seulement habilités à annuler des dispositions législatives.
Avec déférence, cette dernière observation n'est pas tout à fait juste. Les tribunaux ne sont pas habilités à annuler des dispositions législatives par la Charte mais par le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, et, comme la Cour suprême l'a observé dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, à la page 746 R.C.S.:
[Il] ne modifie pas les principes qui, au cours des années, ont constitué le fondement du contrôle judiciaire. Dans un cas on n'a pas respecté les modalités et la forme requises en matière constitutionnelle, l'invalidité continue d'être la conséquence de ce non-respect. Le mot «inopérantes» signifie qu'une règle de
droit ainsi incompatible avec la Constitution est inopérante pour cause d'invalidité.
Je considère inattaquable la conclusion que la Constitution du Canada confère la compétence exclusive de légiférer au Parlement (ainsi qu'aux assemblées législatives des provinces). Pour parve- nir à cette conclusion, je me contenterai de sous- crire aux observations sur la Constitution et sur l'histoire qui ont été formulées par le juge Southin, et je n'ajouterai mes propres observations qu'à l'égard des conséquences fiscales directes du juge- ment porté en appel, un élément qui était absent des procès mettant en jeu le Code criminel.
La Loi sur l'assurance-chômage [L.R.C. (1985), chap. U-1] prévoit ce qui suit:
117. (1) Sont payés sur le Trésor et débités au Compte d'assurance-chômage:
a) toutes les sommes versées au titre des prestations en vertu de la présente loi;
Le droit à des prestations implique directement l'obligation de débourser des argents du Trésor. La réparation mise en jeu dans la présente espèce édicte une telle obligation relativement à des cir- constances non prévues par le Parlement. Dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, à la page 344 R.C.S., le juge Dickson a souligné qu'il était important que les droits prévus à la Charte soient abordés libéralement et en fonction de leur objet, après quoi il a dit:
En même temps, il importe de ne pas aller au-delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n'a pas été adoptée en l'absence de tout contexte et que, par conséquent, ... elle doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés.
Il importe aussi de rappeler que la Charte consti- tue une partie de la Constitution et non la Consti tution dans son entier. Les dispositions de la Charte ne sont ni accessoires, ni prépondérantes. Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, à la page 745 R.C.S., la Cour suprême a défini la constitution d'un pays comme:
... l'expression de la volonté du peuple d'être gouverné confor- mément à certains principes considérés comme fondamentaux et à certaines prescriptions qui restreignent les pouvoirs du corps législatif et du gouvernement.
C'est dans l'ensemble de la Constitution, et non seulement dans la Charte, que réside cette expres sion de la volonté du peuple canadien.
Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 proclame le désir des provinces «de s'unir en fédération ... avec une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni». Or aucun principe de la Constitution britannique n'est, ou n'était en 1867, plus fermement établi ou plus fondamental que la déclaration des Chambres du Parlement visant à [TRADUCTION] «assurer leurs anciens droits et libertés», le Bill of Rights de 1688 [1 Will & Mary, Sess. 2, chap. 2 (R.-U.)], qui portait
[TRADUCTION] Qu'une levée d'argent pour la Couronne ou à son usage, sous prétexte de prérogative, sans le consentement du Parlement, pour un temps plus long et d'une manière autre qu'elle n'est ou ne sera consentie par le Parlement, est illégale.
Il ne fait aucun doute que ce principe vise aussi bien le déboursement de fonds publics que la levée de taxes. Le Comité judiciaire du Conseil privé a exposé l'état de la situation constitutionnelle dans l'arrêt Auckland Harbour Board v. The King, [1924] A.C. 318, aux pages 326 et suivantes:
[TRADUCTION] ... il est un principe établi dans la Constitution britannique depuis plus de deux siècles, un principe qui, selon leurs Seigneuries, a été transmis à la Constitution de la Nou- velle-Zélande sans rien perdre de sa rigueur: aucun montant d'argent ne peut êtreayé sur le Trésor dans lequel ont été versés les revenus de l'État, si ce n'est en vertu d'une autorisa- tion distincte du Parlement lui-même. Ils sont bien loin les jours la Couronne ou ses préposés pouvaient, indépendamment du Parlement, accorder une telle autorisation ou ratifier un paie- ment irrégulier.
L'affectation de fonds publics par un tribunal est tout aussi côntraire à ce principe que l'affectation de tels fonds par prérogative.
Le Parlement a prévu une affectation générale visant à satisfaire aux jugements de cette Cour lorsqu'il a édicté le paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7:
57....
(3) Les sommes d'argent ou dépens adjugés à une personne contre la Couronne, dans toutes procédures devant la Cour, sont prélevés sur le Trésor.
Cette affectation ne vise pas la réparation accor- dée en l'espèce. Un jugement déclaratoire portant qu'une catégorie de personnes à laquelle le Parle- ment n'a pas accordé de prestations d'assurance- chômage a droit à leur paiement ne constitue pas une adjudication d'argent.
Avec déférence, je ne considère pas que l'arrêt R. v. Rowbotham et al. (1988), O.A.C. 321 consti-
tue un précédent concernant l'affectation de fonds publics en vertu d'une réparation fondée sur l'arti- cle 24. En fait, selon mon interprétation, cette question est précisément celle sur laquelle la Cour d'appel de l'Ontario a refusé de se prononcer en concluant, à la page 371 O.A.C.:
En l'espèce, il est inutile de décider si le juge de première instance serait, dans ces circonstances, également autorisé à ordonner que l'Aide juridique ou le procureur général compé- tent paye les honoraires d'avocat.
De la même manière, je ne considère pas que la multitude d'ordonnances rendues par des tribu- naux pour enjoindre aux gouvernements locaux— soient-ils des municipalités, des commissions sco- laires ou autres—de remplir leur mandat confor- mément à la loi et, de ce fait, de dépenser de l'argent, soient, sur le plan constitutionnel, compa- rables à l'affectation judiciaire de fonds ressortis- sant au contrôle exclusif d'une législature ou d'un Parlement souverains.
Même s'il était décidé qu'un tribunal est compé- tent à légiférer en ordonnant une réparation visée au paragraphe 24(1) dans des circonstances n'im- pliquant pas l'affectation de crédits publics, il ne pourrait être conclu à l'existence d'un tel pouvoir lorsque la réparation en cause affecte des argents du Trésor à des fins non autorisées par le Parle- ment. Une approche téléologique des réparations prévues au paragraphe 24(1) ne saurait autoriser les tribunaux à aller aussi loin.
À mon sens, les prétentions des appelantes sont fondées: la Constitution du Canada n'autorise pas la réparation élaborée par le juge de première instance. Ayant conclu à l'incompatibilité de l'arti- cle 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage avec une disposition de la Constitution canadienne, le juge de première instance était obligé de décla- rer cet article inopérant. Si cette conclusion avait été prise, l'absence de conflit entre les paragraphes 24(1) et 52(1) serait évidente. Comme il n'existe aucune disposition législative incompatible, aucune réparation fondée sur le paragraphe 24(1) ne doit être prononcée.
Selon mon opinion, le paragraphe 52(1) n'offre pas de «réparation» au sens réel du terme. Il expose une réalité constitutionnelle dont un tribunal ne peut omettre de tenir compte lorsqu'elle est invo- quée et considérée comme applicable dans le cadre d'une instance.
J'accueillerais l'appel et, sauf en ce qui concerne les dépens, j'annulerais le jugement de la Section de première instance. Conformément au sous-ali- néa 52b)(iii) de la Loi sur la Cour fédérale, je rendrais le jugement qui aurait être prononcé et, conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, je déclarerais que l'article 20 (antérieurement, l'article 32) de la Loi sur l'assurance-chômage est inopérant en raison de son incompatibilité avec l'article 15 de la Charte. Comme l'ont demandé les appelantes, je ne modifierais pas l'adjudication des dépens faite par la Section de première instance, et, dans les circonstances de la présente affaire, j'accorderais à l'intimé Schachter les frais entre parties qu'il a engagés dans le présent appel.
Il n'existe aucun intérêt public impératif justi- fiant la Cour de suspendre l'exécution du jugement pour permettre l'adoption de mesures correctives, comme c'était le cas dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba et dans l'arrêt Dixon v. B.C. (A.G.), [1989] 4 W.W.R. 393 (C.S.C.-B.). La suspension qui viserait à permettre la présentation d'un pourvoi devant la Cour suprême du Canada serait une toute autre démarche. Une telle suspen sion peut être sollicitée au moyen d'une demande présentée sous le régime de la Règle 324 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663].
ANNEXE
32. (1) Nonobstant l'article 25 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations initiales sont payables à un prestataire de la première catégorie qui fait la preuve qu'il est raisonnable pour lui de demeurer à la maison à cause du placement auprès de lui, en conformité avec les lois régissant l'adoption dans la province il réside, d'un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption.
(2) Sous réserve du paragraphe 22(3), les prestations initia- les prévues au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui, en retenant la première en date des semaines en question,
a) commence avec la semaine au cours de laquelle le ou les enfants sont réellement placés auprès du prestataire de la première catégorie, et
b) se termine
(i) dix-sept semaines après la semaine au cours de laquelle le ou les enfants sont placés,
(ii) avec la semaine au cours de laquelle il n'est plus raisonnable pour ce prestataire de demeurer à la maison pour la raison visée au paragraphe (1), ou
(iii) avec la semaine qui précède immédiatement la semaine les prestations sont demandées et payables en vertu d'un autre article de la présente Partie.
(3) Lorsque des prestations doivent être versées à un presta- taire de la première catégorie en vertu du présent article et que celui-ci reçoit une rémunération pour une période tombant dans une semaine comprise dans la période visée au paragraphe (2), le paragraphe 26(2) ne s'applique pas et cette rémunération doit être déduite des prestations afférentes à cette semaine.
(4) Les prestations ne doivent pas être versées en vertu du présent article à plus d'un prestataire de la première catégorie relativement à un seul placement d'un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption.
(5) Lorsque, avant que des prestations n'aient été versées à un prestataire de la première catégorie relativement à un seul placement d'un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption, deux assurés auprès desquels le ou les enfants sont placés pour adoption, demandent des prestations en vertu du présent article, aucune prestation ne doit être versée en vertu du présent article avant l'adoption d'une de ces demandes.
JUGEMENT
vu la présente action, qui a été instruite en présence des avocats des parties à tous les jours juridiques de la période commençant le 11 avril 1988 et se terminant le 20 avril 1988, à Toronto (Ontario); et
APRÈS LECTURE des actes de procédure, de l'entente sur l'admission de documents, des lois et des instruments interna- tionaux en cause, ainsi que des autres documents déposés en preuve, et après audition des témoins et des plaidoiries orales des avocats; et
vu la conclusion de cette Cour que l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, sous sa forme modifiée, déroge au principe du même bénéfice de la loi prévu au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés en établis- sant une distinction entre les parents naturels et les parents adoptifs en ce qui concerne une période de prestations relatives aux soins d'enfant qui fait suite à l'arrivée d'un enfant dans un foyer; et
vu qu'aucune justification n'a été présentée aux termes de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés à l'égard de cette dérogation au principe du même bénéfice de la loi; par les présentes,
1. CETTE COUR STATUE qu'un jugement déclaratoire est pro- noncé pour affirmer que, tant que l'article 32 de la Loi de 1971 de l'assurance-chômage sous sa forme modifiée (la «Loi») demeurera en vigueur, un prestataire de la première catégorie qui est la mère ou le père naturel d'un ou de plusieurs enfants nouveaux-nés jouira des mêmes droits que les parents adoptifs en ce qui concerne les prestations prévues par la Loi à l'égard des périodes au cours desquelles il ou elle aura cessé de travailler pour prendre soin de cet enfant ou de ces enfants, en sorte que les conditions et les critères suivants prévus à l'article 32 relativement aux prestations leur sont applicables:
(a) Quinze semaines de prestations sont prévues pour que l'un ou l'autre parent demeure à la maison pendant la période de dix-sept semaines suivant l'arrivée de l'enfant à la maison du prestataire, sous réserve de la limite prévue à
l'alinéa 22(3)a) de la Loi, pourvu que la mère naturelle ne soit pas, aux termes de l'alinéa 22(3)a), privée complètement ou en partie du bénéfice des prestations relatives aux soins aux enfants parce qu'ayant reçu des prestations à la suite de sa grossesse au cours de la même période. Ces prestations sont payables même si le prestataire n'est pas disponible pour travailler, à la condition que celui-ci y ait par ailleurs droit en vertu de la Loi.
(b) L'un ou l'autre parent, s'il est par ailleurs un prestataire qualifié, peut recevoir ces prestations s'il est «raisonnable» pour ce prestataire de demeurer à la maison à la suite de l'arrivée de l'enfant, mais seulement tant qu'il est «raisonna- ble» de le faire.
(c) Un seul parent peut recevoir des prestations relativement à l'arrivée de l'enfant à la maison.
(d) Les prestations susmentionnées sont versées à l'égard du soin des enfants et non de la maternité.
2. CETTE COUR STATUE ÉGALEMENT que la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada défenderesse devra examiner la demande de prestations initiales présentée par le demandeur le 2 août 1985 et décider du droit du demandeur à ces prestations initiales en tenant pour acquis que, dans l'hypo- thèse la demande du demandeur satisfait aux autres exigen- ces de la Loi et du premier paragraphe du présent jugement, le demandeur a droit à ces prestations initiales.
3. CETTE COUR STATUE ÉGALEMENT que l'exécution du pré- sent jugement est suspendue par les présentes jusqu'à l'expira- tion du délai d'appel et, dans l'éventualité appel en est interjeté, jusqu'à ce que cet appel soit tranché de façon définitive.
4. CETTE COUR STATUE ÉGALEMENT que les défenderesses paieront au demandeur, après leur taxation, les frais entre parties relatifs à la présente action et accessoires à la présente action.
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