A-97-89
157079 Canada Inc. (appelante)
c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur
testamentaire de la succession de George M.
Standal et George Standal's Patents Ltd. (inti-
més)
et
Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd.
et Swecan Equipment Ltd. (défenderesses-appe-
lantes)
c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur
testamentaire de la succession de George M.
Standal et Standal's Patents Ltd. (demandeurs-
intimés)
A-149-89
Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd.
et Swecan Equipment Ltd. (défenderesses-appe-
lantes)
c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur
testamentaire de la succession de George M.
Standal et Standal's Patents Ltd. (demandeurs-
intimés)
A-183-89
Swecan International Ltd., Swecan Tools Co. Ltd.
et Swecan Equipment Ltd. (défenderesses-appe-
lantes)
c.
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur
testamentaire de la succession de George M.
Standal et Standal's Patents Ltd. (demandeurs-
intimés)
RÉPERTORIÉ: STANDAL, SUCCESSION C. SWECAN INTERNATIO
NAL LTD. (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Des-
jardins, J.C.A.—Montréal, 17 et 18 mai; Ottawa,
23 juin 1989.
Injonctions — Injonction interlocutoire prononcée contre les
défenderesses dans une action en contrefaçon de brevet et
contre les tiers et prévoyant le retour au Canada et le verse-
ment à un séquestre du produit de la vente de la compagnie
défenderesse — Ordonnance qui ressemblerait à une injonction
Mareva — Elle visait à donner aux demandeurs une garantie
avant le jugement — Ce n'était pas une injonction Mareva —
L'injonction Mareva gèle les biens jusqu'au procès en empê-
chant uné personne de faire quelque chose et non pas en
annulant un acte passé — L'ordonnance Mareva s'adresse
seulement aux défendeurs, et non pas aux tiers comme en
l'espèce.
Compétence de la Cour fédérale — Les injonctions Mareva
sont apparues récemment dans la jurisprudence — La Cour
fédérale est un tribunal créé par une loi, qui n'a pas de pouvoir
inhérent lorsque des dispositions de ses Règles prévoient un
pouvoir limité d'accorder une injonction interlocutoire, mais
non pas de geler des biens — Le pouvoir de rendre des
injonctions Mareva est accessoire au pouvoir de protéger son
fonctionnement — Les ordonnances «subséquentes» pouvant
ainsi être protégées doivent être probables ou impliquer la
preuve d'une forte apparence de droit — Le pouvoir de con-
traindre les défendeurs ou les tiers à agir ne trouve aucun
appui dans l'art. 733 du Code de procédure civile du Québec.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — Compétence du protonotaire — Le protonotaire
avait rendu une ordonnance provisoire prévoyant le paiement
du produit impayé de la vente de l'actif de la compagnie
défenderesse dans une action en contrefaçon de brevet — !l
n'avait pas compétence selon la directive générale émise en
vertu de la Règle 336(1)g).
Justice criminelle et pénale — Mandats de main-forte —
Fondée sur des allégations selon lesquelles une ordonnance
antérieure prévoyait le retour au Canada du produit de la
vente de l'actif de la défenderesse, une ordonnance a été rendue
qui nommait un séquestre investi des pleins pouvoirs de per-
quisitionner et de saisir les biens et les preuves de titre —
L'ordonnance n'était pas fondée — Les poursuites pour
outrage au tribunal sont le moyen approprié de vérifier la
validité d'une allégation — La Cour devrait répugner à réha-
biliter les mandats de main-forte et à déléguer le pouvoir de
les décerner.
Il s'agissait d'appels formés contre une série d'ordonnances
relatives à des injonctions interlocutoires visant à donner aux
demandeurs une garantie avant le jugement. Il s'agissait d'une
action en contrefaçon de brevet relativement à de l'équipement
de scierie. Vu l'expiration des brevets en cause, l'action se
limitait à des dommages-intérêts. Le 28 janvier 1988, la défen-
deresse Swecan International Ltd. a vendu la plus grande partie
de son actif. Le prix de vente a été acquitté immédiatement,
sauf un solde de 620 000 $ qui était exigible en quatre verse-
ments annuels successifs et un montant de 200 000 $ qui a été
gardé en fiducie en attendant que certains documents accessoi-
res relatifs à l'utilisation de la raison sociale soient complétés.
La totalité du montant reçu par les vendeurs a été transférée à
une compagnie étrangère, contrôlée par la même personne que
celle qui avait contrôlé la défenderesse, pour être investie dans
des valeurs sûres et dans des obligations. En août 1988, l'ache-
teur a convenu d'accélérer le paiement des versements restants
et de payer la somme globale de 450 000 $ en règlement
complet du solde du prix de vente. Le 16 septembre 1988, le
protonotaire, qui n'était pas au courant de l'entente en vue
d'accélérer le paiement des versements, a accordé une ordon-
nance provisoire prévoyant le paiement du produit impayé de la
vente à un séquestre. Bien que les procureurs des défenderesses
aient été informés de cette ordonnance le 16 septembre, il est
possible que la défenderesse ou ses dirigeants ou l'acheteur n'en
aient pas été informés avant le 20 septembre. Le solde du prix
de vente a été versé le 16 septembre. La partie du prix de vente
gardée en fiducie pour les vendeurs a été libérée le 20 septem-
bre. Le 7 mars, l'ordonnance provisoire rendue par le protono-
taire a été transformée en ordonnance interlocutoire. A la
même époque, une deuxième ordonnance, prononcée contre les
défenderesses et les tiers y compris l'acheteur, exigeait le retour
au Canada de la totalité du produit de la vente se trouvant à
l'extérieur du pays et le versement de ces fonds à un séquestre.
Le 11 avril, un deuxième juge des requêtes, en se fondant sur
des allégations selon lesquelles l'ordonnance du 7 mars n'avait
pas été respectée, a rendu une ordonnance dans laquelle il
nommait un séquestre et lui conférait les pleins pouvoirs de
saisir les biens et toute preuve de titres.
Arrêt: les appels devraient être accueillis.
La Cour n'avait pas le pouvoir de rendre les ordonnances.
La deuxième ordonnance rendue le 7 mars n'était pas une
injonction Mareva. Le principe exceptionnel auquel l'injonction
Mareva donne effet est qu'un demandeur ne doit pas être
frustré par son débiteur qui déciderait de disposer de tous ses
biens avant que la Cour ne rende sa décision. Le but d'une
injonction Mareva est de geler l'actif du défendeur en attendant
le procès, et son objet est d'interdire au défendeur de disposer
de ses biens. L'ordonnance contestée n'empêche pas les défen-
deresses de faire quelque chose; elle les contraint à annuler un
acte déjà accompli et à retirer des placements déjà faits. Il y a
une différence fondamentale entre une ordonnance visant à
geler un actif et celle qui vise à reconstituer un tel actif: dans le
dernier cas, il s'agit d'une exécution, et l'exécution avant
jugement est un concept impensable.
De plus, une injonction Mareva peut seulement être pronon-
cée contre les défendeurs dans une action et non contre les tiers.
Les tiers peuvent être touchés par une injonction rendue contre
un défendeur, puisque ce serait un outrage que d'encourager
sciemment la violation de l'ordonnance. Ils ne peuvent cepen-
dant pas faire l'objet de l'injonction sans être poursuivis, et le
seul fait de leur signifier une demande d'injonction ne les
constitue pas parties à l'action.
La Cour fédérale a le droit de rendre une injonction Mareva.
Le principe fondamental de la doctrine Mareva est que les
tribunaux ne devraient pas permettre à un défendeur de pren-
dre des mesures destinées à contrecarrer les ordonnances qu'ils
rendront par la suite. La Cour fédérale est indirectement
autorisée à protéger son fonctionnement en ayant recours à ce
genre d'injonction interlocutoire. Dans une telle perspective, et
contrairement à ce qui est la pratique en Angleterre, les
ordonnances «subséquentes» pouvant ainsi être protégées ne
devraient pas être seulement des ordonnances possibles et discu-
tables, mais plutôt des ordonnances probables et impliquant la
preuve d'une forte apparence de droit. Une telle condition
préalable ne pourrait pas être vérifiée si on se fondait unique-
ment sur des actes de procédure alléguant et niant respective-
ment la contrefaçon de brevet, comme c'était le cas en l'espèce.
Les demandeurs n'ont pas prétendu pouvoir démontrer que leur
cause était plus que défendable.
Une injonction Mareva s'adresse au défendeur in personam,
interdisant à cette personne de faire quelque chose. Le pouvoir
de la Cour fédérale de contraindre les défendeurs ou les tiers à
agir ne trouverait aucun appui dans l'article 733 du Code de
procédure civile du Québec, qui permet une saisie de la res,
qu'elle soit ou non entre les mains de tiers, surtout lorsque la
res est située hors de la juridiction de la Cour.
En rendant son ordonnance provisoire, le protonotaire a agi
sans autorité. Une directive générale émise par le juge en chef
adjoint et établie en vertu de la Règle 336(1)g) interdit expres-
sément aux protonotaires d'instruire les demandes d'injonction,
y compris les injonctions de type Mareva ou Anton Pillar, et les
demandes en vue de la nomination d'un séquestre. L'ordon-
nance la transformant en injonction interlocutoire était sans
objet puisqu'au moment où elle a été rendue, il n'y avait pas de
solde impayé de la vente en bloc qui était payable.
Il n'existait aucun fondement permettant de rendre l'ordon-
nance du 11 avril. La seule façon pour la Cour de vérifier le
bien-fondé d'une allégation selon laquelle une ordonnance judi-
ciaire n'avait pas été respectée était de recourir à des poursuites
pour outrage au tribunal. La Cour ne devrait pas essayer de
réhabiliter l'ancien mandat de main-forte, dont le statut consti-
tutionnel est troublant, et déléguer le pouvoir de décerner ce
mandat à un comptable.
Les deux derniers versements provenant de la vente qui ont
été effectués en septembre ne devraient pas être considérés
différemment du versement initial. L'ordonnance rendue par le
protonotaire ne relevait pas de sa compétence. De toute
manière, une accusation d'outrage au tribunal doit être prouvée
hors de tout doute raisonnable et lors d'une procédure spéciale
instituée surtout en vue de protéger l'inculpé.
Le juge MacGuigan, J.C.A.: Une injonction Mareva ne
saurait être accordée à partir de ces faits de manière à exiger la
reconstitution de l'actif. Comme l'ordonnace rendue par le
protonotaire ne relevait pas de sa compétence, on ne pouvait
plus soulever la question relative à sa violation. Cela ne veut
pas dire qu'une injonction Mareva ne pourrait en aucun cas
exiger la reconstitution d'un actif. Si la défenderesse avait été
reconnue coupable d'outrage au tribunal, la situation aurait pu
justifier une injonction Mareva.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Comme l'ordonnance rendue par
le protonotaire ne relevait pas de sa compétence, les défenderes-
ses ne violaient pas une ordonnance judiciaire lorsqu'elles ont
transféré le solde du prix de vente hors du ressort de la cour. Le
juge de première instance a commis une erreur en concluant
que les défenderesses avaient transféré des biens en dehors du
territoire pour tenter d'éviter l'application d'un jugement possi
ble de notre Cour.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25, art. 733.
Loi de 1985 modifiant le droit pénal, L.R.C. (1985),
chap. 27 (1" suppl.), art. 190, 195(2), 200.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 44, 56(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 5,
336(1)g), 355, 464(1), 469(1), 470, 1203(3) (édicté
par DORS/79-57, art. 20).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Derby & Co. Ltd. v. Weldon (Nos. 3 & 4), [1989] 2
W.L.R. 412 (C.A.); Siskina (Owners of cargo lately
laden on board) v. Distos Compania Naviera S.A.,
[1979] A.C. 210 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c.
Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388.
DECISIONS CITÉES:
Nippon Yusen Kaisha v. Karageorgis, [1975] 3 All E.R.
282 (C.A.); Mareva Compania Naviera SA v Internatio
nal Bulkcarriers SA [The Mareva[, [1980] 1 All E.R.
213 (C.A.); Lister & Co. v. Stubbs (1890), 45 Ch. D. 1;
[1886-90] All E.R. Rep. 797 (C.A.); Bank Mellat v.
Kazmi, [1989] 2 W.L.R. 613 (C.A.); Aetna Financial
Services Ltd. c. Feigelman et autre, [1985] 1 R.C.S. 2;
Re Gaglardi (1960), 27 D.L.R. (2d) 281 (C.A.C.-B.);
Glazer v. Union Contractors Ltd. & Thornton (1960),
129 C.C.C. 150 (C.A.C.-B.); Re Bramblevale, Ltd.,
[1969] 3 All E.R. 1062 (C.A.); Bhatnager c. Canada
(ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F.
3 (I inst.); infirmée [1988] 1 C.F. 171 (C.A.).
AVOCATS:
Jérôme Gariépy pour 157079 Canada Inc.
David French et Anthony Butler pour Rode-
rick W. MacDonald, en tant qu'exécuteur
testamentaire de la. succession de George M.
Standal, George Standal's Patents Ltd. et
Standal's Patents Ltd.
Harold W. Ashenmil, c.r. et Karen A. Lallouz
pour Swecan International Ltd., Swecan
Tools Co. Ltd. et Swecan Equipment Ltd.
PROCUREURS:
Boucher, Gariépy, Moreault, Montréal, pour
157079 Canada Inc.
Lette McTaggart Blais Martin, Ottawa, pour
Roderick W. MacDonald, en tant qu'exécu-
teur testamentaire de la succession de George
M. Standal, George Standal's Patents Ltd. et
Standal's Patents Ltd.
Phillips, Friedman, Kotler, Montréal, pour
Swecan International Ltd., Swecan Tools Co.
Ltd. et Swecan Equipment Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Il s'agit en l'espèce
de quatre avis d'appel déposés par deux groupes
différents d'appelantes à l'encontre de trois ordon-
nances distinctes rendues par la Section de pre-
mière instance. Puisque ces quatre appels sont
reliés entre eux, ils seront entendus simultanément.
Les appels concernent une série d'ordonnances
relatives à des injonctions interlocutoires, rendues
successivement au cours d'une même action, et
cela dans le même but global, celui de donner aux
demandeurs en l'espèce une garantie avant le juge-
ment. La question en litige concerne à la fois le
pouvoir de la Cour de rendre de telles ordonnances
et, le cas échéant, la justification de l'exercice de
ce pouvoir dans les circonstances en l'espèce. Étant
d'avis que les appels doivent être rejetés pour le
motif que la Cour n'avait tout simplement pas le
pouvoir d'agir comme elle l'a fait, je ne me verrai
pas dans l'obligation d'examiner à fond la question
de justification, ce qui aurait exigé une analyse
complète de nombreux affidavits qui ont fait l'ob-
jet d'autant de contre-interrogatoires et qui ont été
appuyés par une multitude de documents. L'exa-
men des faits que j'aurai à faire sera beaucoup
moins détaillé qu'il ne l'aurait été autrement.
Malgré cela, même simplifiés à l'essentiel, les faits
devant être enregistrés demeurent assez com
plexes; beaucoup de personnes, dont certaines ne
sont désignées que par un numéro, sont en cause,
et il y a de nombreuses dates à retenir. Il faut donc
procéder à l'examen de ces faits de manière
ordonnée.
Les faits
1. Il importe de se placer d'abord dans le con-
texte procédural. L'action en contrefaçon de brevet
à laquelle les trois ordonnances interlocutoires con-
testées sont accessoires, a été intentée le 23 juillet
1980 contre une compagnie qui fabriquait de
l'équipement de scierie au Québec sous la raison
sociale de Swecan International Ltd. Les deux
autres compagnies nommées dans l'intitulé de la
cause comme défenderesses en première instance,
les défenderesses-appelantes en l'espèce, ne sont
plus des filiales actives de la Swecan International
Ltd. (Je parlerai désormais des «défenderesses en
l'espèce» ou de «Swecan» et, de la même façon, des
«demandeurs en l'espèce» qui sont les intimés dans
les quatre appels). Les allégations de contrefaçon
de brevet concernent des déchiqueteuses qui utili-
sent des couteaux courbés pour enlever les rebuts
de bois des rondins afin d'en faire des copeaux de
bois utilisables. Les deux brevets en litige ayant
expiré depuis le début de l'action, la réclamation
des demandeurs se limite à des dommages-intérêts
ou à un compte rendu des profits découlant de la
contrefaçon antérieure.
Une défense et une demande reconventionnelle,
toutes deux déposées le 19 juin 1981 ont suivi
l'action, mais ce fut tout: la poursuite est demeurée
en suspens depuis lors. Les procédures qui ont suivi
datent du 7 septembre 1988; il s'agissait de requê-
tes dont l'une a donné lieu aux ordonnances con-
testées en l'espèce. L'explication donnée par les
demandeurs pour leur inertie prolongée est reprise
en détail dans les motifs d'un des deux juges des
requêtes qui a rendu les ordonnances contestées
[Standal Estate c. Swecan International Ltd.
(1989), 24 C.P.R. (3d) 509 (C.F. ire inst.), aux
pages 511 et 512] :
Lorsqu'ils ont engagé les présentes poursuites, les deman-
deurs ont intenté deux autres actions parallèles pour contrefa-
çon de brevets au Canada, soit l'une contre British Columbia
Forest Products Limited et Bow Valley Resource Services Ltd.
et l'autre contre Forano Inc. En outre, des actions similaires ont
été intentées en octobre 1981, aux Etats-Unis, à l'égard des
brevets américains correspondants. Aux États-Unis, une filiale
de Bow Valley Resource Services Ltd. (l'une des défenderesses
canadiennes susmentionnées) a intenté une action par laquelle
elle demandait que les brevets américains des demandeurs
soient déclarés invalides. Ces brevets américains correspondent
aux brevets qui font l'objet du présent litige et des autres
actions intentées au Canada.
Les deux parties ont attendu que l'action intentée aux États-
Unis soit instruite avant de procéder à l'audition de la présente
cause contre Swecan. Le litige américain représentait un lourd
fardeau financier pour les demandeurs, compte tenu des res-
sources restreintes dont ils disposaient. Les demandeurs ont
injecté toutes leurs ressources dans une même cause pour
démontrer la validité de leurs brevets. L'instruction de la cause
aux États-Unis s'est terminée en octobre 1985 et une décision a
été rendue en faveur des demandeurs. L'avocat de ces derniers
a alors envoyé une copie du jugement aux avocats des défende-
resses, l'étude Martineau, Walker. Dans la lettre en date du 22
octobre 1985 qui était jointe à ce jugement, l'avocat des
demandeurs a demandé aux avocats des défenderesses si ces
derniers désiraient discuter de la possibilité d'un règlement. Les
demandeurs ont été invités à proposer un règlement, ce qu'ils
ont fait dans une lettre en date du 27 janvier 1986. Une
contre-proposition a été envoyée en vertu d'une lettre en date
du 20 février 1986. Comme la contre-proposition était inaccep-
table, les pourparlers de règlement se sont arrêtés là. Le
jugement rendu aux États-Unis a été porté en appel et la cause
n'a été réglée qu'en juin 1988. Le 20 juin de la même année,
l'avocat des demandeurs a écrit à celui des défenderesses pour
lui dire que ses clients avaient l'intention de réactiver la pré-
sente action conformément à la Règle 331A. Les demandeurs
ont demandé la tenue d'un interrogatoire préalable le 1°' août
1988 et le dépôt d'une liste de documents en vertu de la Règle
447. Une autre lettre en ce sens a été envoyée à l'étude
d'avocats en question le 29 juillet 1988; l'avocat qui était
responsable du dossier avait quitté le bureau.
Je laisse cela de côté pour le moment. C'est
l'état actuel des procédures qui nous concerne
d'abord, et il faut en terminer l'examen. Cela peut,
de toute manière, se faire assez rapidement.
Depuis que l'action a été réactivée en septembre
1988, les interrogatoires, l'inspection des dossiers,
la communication des documents ainsi que d'au-
tres procédures nécessaires à la préparation du
procès ont été complétés. L'action doit être ins-
truite en ce mois de juin 1989.
2. La plupart des faits sur lesquels reposent les
ordonnances contestées sont survenus pendant
l'époque où l'action était en suspens. Il me semble
opportun d'exposer ces faits maintenant.
Le 28 janvier 1988, Swecan International Ltd.
ainsi que trois autres compagnies, toutes contrôlées
par un dénommé Gaston Pinat ont vendu en bloc
la plus grande partie de leur actif, y compris la
raison sociale Swecan, pour le prix d'environ
2 700 000 $. L'acquéreur était une personne
morale, s'appelant alors 157079, Canada Inc. (qui
plus tard a adopté la raison sociale Swecan Inter
national (1988) Ltd., bien qu'en l'espèce elle soit
encore désignée sous la raison sociale d'origine).
157079 Canada Inc. (que j'appellerai désormais
l'«acheteur» pour plus de facilité) a immédiate-
ment acquitté le prix de vente, sauf un solde fixé
au départ à 800 000 $ mais qui, à la suite de
corrections, a été abaissé à 620 000 $, exigible en
quatre versements annuels successifs. Une somme
de 200 000 $ a été prélevée du versement initial et
gardée en fiducie par des tiers en attendant que
certains documents accessoires relatifs à l'abandon
et au transfert de la raison sociale Swecan soient
complétés. La totalité du montant reçu par les
vendeurs a été immédiatement transférée par la
banque à Socoa International, une compagnie
constituée et contrôlée par Gaston Pinat, située
dans les îles Caïmans, un territoire sous adminis
tration britannique dans les Antilles britanniques.
Socoa International a ensuite versé ce montant à
une succursale de la Swiss Bank and Trust Corpo-
ration dans les îles Caïmans, en précisant qu'envi-
ron cinquante pour cent de l'argent devait être
investi dans des «valeurs sûres» et le reste dans des
obligations à échéances variables.
Le 5 août 1988, les vendeurs (qui avaient alors
abandonné, comme convenu, la raison sociale
Swecan; Swecan International Ltd. était devenue
160088 Canada Inc.) avaient cédé le solde du
produit de la vente en bloc (soit 620 000 $ exigible
en quatre versements) à une autre compagnie à
nom numérique, la 152931 Canada Inc., égale-
ment contrôlée par Pinat et dont l'unique adminis-
trateur était un avocat, Moe Ackman c.r. Un avis
de cette cession a été signifié à l'acheteur le 8 août
1988. Vers la mi-août 1988, par entente verbale
conclue après discussion, l'acheteur a convenu
d'accélérer le paiement des versements restants et
de payer au cessionnaire, la 152931 Canada Inc.,
la somme globale de 450 000 $ en règlement com-
plet et définitif du solde du prix de vente.
3. D'autres événements importants sont surve-
nus en septembre 1988, la Cour et à l'extérieur
de celle-ci, en même temps que la reprise de
l'action. Je les décrirai en ordre chronologique.
Le 7 septembre 1988, quatre avis de requête ont
été déposés au nom des demandeurs et devaient
être présentés ensemble le 13 septembre suivant.
Deux de ces requêtes ne sont pas pertinentes en
l'espèce puisqu'elles ne visaient qu'à obtenir la
permission de modifier la déclaration et de
nommer une personne pour interroger les défende-
resses au préalable. La troisième requête présente
un certain intérêt pour nous puisqu'elle sollicitait
une ordonnance en vertu de la Règle 464(1) des
Règles de la Cour Fédérale [C.R.C., chap. 663],
enjoignant à l'acheteur, 157079 Canada Inc., qui
est partie au contrat de vente en bloc de janvier
mais non à l'action en contrefaçon de brevet, de
produire certains documents, plans et dossiers
qu'elle avait obtenus des vendeurs. C'est cependant
la quatrième requête qui nous intéresse plus direc-
tement. Dans un affidavit déposé à l'appui de
celle-ci, l'avocat des demandeurs décrit les événe-
ments survenus à la suite de sa lettre du 20 juin
adressée aux procureurs des défenderesses et expli-
que sa décision soudaine de réactiver l'action:
[TRADUCTION] 17. Dans une autre lettre envoyée en juillet
1988 au bureau de Martineau Walker, les avocats des défende-
resses ont été avisés à nouveau du désir des demandeurs de
procéder à l'instruction de la cause. Aucune réponse écrite n'a
encore été reçue à l'égard de ces lettres.
18. Le 26 août 1988, j'ai téléphoné au bureau de Martineau
Walker et on m'a référé à Claude Brunet. Je lui ai dit que
j'aimerais recevoir une réponse aux deux lettres susmention-
nées. M. Brunet a répondu qu'il examinerait le dossier.
19. Le 29 août 1988, j'ai retéléphoné au bureau de Martineau
Walker et on m'a dit que Claude Brunet n'était pas disponible.
J'ai laissé un message afin qu'il me rappelle.
20. Le 31 août 1988, j'ai rappelé et j'ai laissé le même mes
sage. Jusqu'à maintenant, je n'ai obtenu aucune réponse.
21. Le 23 août 1988, le Dr Lorne Rosenblood [l'avocat des
demandeurs aux États-Unis] m'a téléphoné pour me dire qu'il
était possible que Swecan International Ltd. ait vendu son
entreprise. Le 31 août 1988, j'ai reçu une copie du contrat de
vente en bloc en date du 29 janvier 1988. En vertu de ce
contrat, Swecan International Ltd. vendait la totalité de ses
actifs à 157979 [sic] Canada Inc.
La quatrième requête est la suivante:
[TRADUCTION] UNE ORDONNANCE conformément à la
Règle 5 et aux articles 733 et 742 du Code de procédure civile
du Québec ainsi qu'aux articles 17 et 20 de la Loi sur la Cour
fédérale, portant:
a) que le produit impayé de la vente de l'actif de Swecan
International Ltd., lequel produit doit être payé par 157079
Canada Ltd. en vertu d'un contrat de vente en date du 29
janvier 1988, devra être versé à l'échéance, à l'administrateur
de la Cour fédérale du Canada, qui détiendra ce produit en
fidéicommis de façon que ladite somme produise des intérêts
jusqu'au règlement final du présent litige, ou selon toute autre
ordonnance que la Cour peut rendre; et
b) qu'il soit interdit aux défenderesses, sur une base provisoire
jusqu'à ce que la présente requête soit tranchée, de distribuer à
leurs actionnaires ou autrement le produit qu'elles ont reçu ou
qu'elles pourront recevoir à la suite de la vente susmentionnée.
Ces quatre requêtes ont été présentées devant le
protonotaire le 13 septembre 1988 mais leur audi
tion a été remise au 26 septembre. Les procureurs
des défenderesses en l'espèce, qui n'étaient plus au
courant du litige, ni intéressés à celui-ci ont
demandé l'ajournement et l'avocat des demandeurs
y a consenti; la veille de l'audience, cependant,
celui-ci avait déposé une requête spéciale visant un
redressement provisoire (pour remplacer la qua-
trième requête) dont voici des extraits pertinents:
[TRADUCTION] Requête présentée au nom des demandeurs
en vue d'obtenir une ordonnance conformément à la Règle 5 et
aux articles 733 et 742 du Code de procédure civile du Québec,
ainsi qu'à l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, ladite
requête étant exécutoire jusqu'à la décision rendue sur une
requête interlocutoire correspondante et demandant:
a) qu'il soit provisoirement interdit aux défenderesses, de
demander le remboursement anticipé du produit exigible en
vertu du contrat de vente en bloc et de distribuer à leurs
actionnaires ou autrement le produit qu'elles ont reçu ou qu'el-
les pourront recevoir de la vente susmentionnée;
b) que 157079 Canada Ltd. consigne les paiements du pro-
duit impayé de la vente de l'actif de Swecan International Ltd.
en vertu d'un contrat de vente en date du 29 janvier 1988 à la
Cour, à l'ordre du receveur général du Canada au fur et à
mesure de leur échéance, jusqu'au règlement final du présent
litige ou suivant toute autre ordonnance que la Cour rendra; et
c) à la Cour de permettre l'audition de cette requête à la
suite d'un avis sommaire prévu à la Règle 320(1).
Le protonotaire a refusé de remettre l'examen
de cette nouvelle requête. Il a entendu les observa
tions relatives à la requête, sans avoir été informé,
cependant, que Swecan avait déjà cédé ses droits
sur le solde du produit de la vente et qu'une
entente avait déjà été conclue quant à l'accéléra-
tion du paiement. Il a ensuite mis la cause en
délibéré. Une ordonnance faisant droit aux conclu
sions demandées dans la requête a été rendue le 16
septembre. Les procureurs des défenderesses ont
été informés de cette ordonnance en fin d'après-
midi, le 16 septembre, mais il n'existe aucune
preuve qui démontre que M. Pinat, ou les diri-
geants de Swecan ou de l'acheteur en ont été
informés avant le 20 septembre.
Le 16 septembre 1988, l'acheteur a payé le
montant de 450 000 $ au cessionnaire, 152931
Canada Inc. conformément à l'entente conclue en
août. Le 20 septembre 1988, comme les documents
accessoires devant être produits selon les termes de
l'acte de vente avaient enfin été remis, la partie du
prix de vente qui avait été soustraite aux vendeurs
et gardée en fidéicommis a été libérée et versée à
la 152931 Canada Inc. Ces deux montants, tout
comme le produit initial de la vente en bloc payé le
29 janvier 1988 ont été immédiatement transférés
par virement interbancaire à la Socoa Internatio
nal aux îles Caïmans.
À la suite d'une série d'ajournements des autres
requêtes datées du 13 septembre alors que l'ordon-
nance provisoire demeurait en vigueur, les deman-
deurs ont présenté deux nouvelles requêtes en
injonction relatives à la vente en bloc et aux
sommes payées en vertu de ce contrat, ce qui a
donné lieu aux ordonnances qui sont directement
contestées par les quatre appels en l'espèce. Exa-
minons maintenant les ordonnances en question.
Les ordonnances en litige
Le 7 mars 1989, le juge Reed a rendu deux
ordonnances. La première de celles-ci a eu pour
effet de transformer l'ordonnance provisoire
rendue par le protonotaire qui prévoyait le paie-
ment du produit impayé de la vente en bloc à un
séquestre, en ordonnance interlocutoire devant
demeurer en vigueur jusqu'au règlement final du
litige. La deuxième ordonnance donnait effet à une
nouvelle requête des demandeurs découlant du
changement de circonstances survenu après l'au-
dience du 13 septembre, notamment les paiements
effectués les 16 et 20 septembre ainsi que le trans-
fert du produit de la vente à l'étranger. Tout le
litige porte sur cette deuxième ordonnance rendue
par le juge Reed, la seule, incidemment, pour
laquelle des motifs ont été prononcés et pour cette
raison, je la citerai textuellement:
LA COUR STATUE COMME SUIT:
a) les défenderesses et 152931 Canada Inc, 151095 Canada
Inc. et 157079 Canada Inc., leurs administrateurs, dirigeants,
préposés et mandataires et M. Gaston Pinat verront à retourner
au Canada la totalité du produit découlant du contrat de vente
en bloc conclu entre la défenderesse Swecan International Ltd.
et 157079 Canada Inc. et signé à Montréal le 29 janvier 1988
et verront à ce que ces fonds soient remis au séquestre nommé
ci-après; ce retour et cette remise seront faits lorsque ces fonds
seront libérés de la saisie par le tribunal des îles Caïmans, sauf
dans la mesure où ce produit n'est pas couvert par l'ordonnance
de saisie de ce tribunal, auquel cas les défenderesses et 152931
Canada Inc., 151095 Canada Inc. et 157079 Canada Inc., leurs
administrateurs, dirigeants, préposés et mandataires et M.
Gaston Pinat verront à retourner au Canada les fonds qui ne
sont pas couverts par l'ordonnance de saisie dans les cinq jours
de la date de la présente ordonnance;
b) le produit susmentionné sera placé sous le contrôle exclusif
de M. Paul Bertrand, comptable agréé et syndic du cabinet
d'experts-comptables de Samson, Bélair, à Montréal (Québec),
à titre de séquestre qui recevra et investira ce produit de la
façon autorisée par l'article 981o) du Code civil du Bas Canada
jusqu'au jugement final sur le fond du litige;
c) les demandeurs auront le droit de recouvrer leurs dépens
procureur-client de la présente demande.
La compagnie à nom numérique, 151095
Canada Inc., nommée dans l'ordonnance, était une
société de portefeuille, contrôlée par Pinat et à
laquelle il avait transféré ses actions de Swecan en
1986 et en 1988.
Il importe également d'expliquer la mention
faite dans l'ordonnance de la procédure qui s'est
déroulée aux îles Caïmans. Vers le 29 novembre
1988, Standal's Patents Ltd., un des demandeurs
devant la Grand Court des îles Caïmans, contre les
défenderesses dans la présente cause et aussi
contre Gaston Pinat, Socoa International, Swiss
Bank and Trust Corporation, Swecan Internatio
nal (1988) Ltd. (anciennement 157079 Canada
Inc.) et un dénommé Bernard Latour, réclamant
des dommages-intérêts au montant de 2 000 000 $
à la suite d'un présumé complot illégal destiné à
[TRADUCTION] a priver, empêcher et garder» Stan-
dal's Patents Ltd. de «recouvrer toute somme
découlant des procédures devant la Cour fédérale
du Canada» et demandant également une injonc-
tion interdisant à Socoa International et à Swiss
Bank and Trust Corporation de transférer, d'enle-
ver, de liquider, de débiter l'actif du compte
numéro 52911 ou d'effectuer toute opération s'y
rapportant au nom de Socoa International. La
Grand Court a rendu une ordonnance ex parte le
1°r décembre 1988 pour empêcher Socoa Interna
tional et Swiss Bank and Trust Corporation de
toucher à l'actif du compte numéro 52911 et leur
enjoignant de conserver les livres, états, pièces
justificatives et documents relatifs à tout compte
enregistré au nom de Socoa International auprès
de la Swiss Bank and Trust Corporation. Les
procédures aux îles Caïmans, y compris la saisie
avant jugement du compte Socoa, étaient, à la
date de l'audition de ces appels, toujours en
vigueur.
Je reviens aux ordonnances contestées.
Le 29 mars 1989, en réponse à une requête de
Swecan demandant la suspension de la seconde
ordonnance rendue le 7 mars, le juge Reed a
modifié l'ordonnance pour permettre à Swecan de
verser un cautionnement de deux millions de dol
lars (2 000 000 $) au lieu de retourner le produit
de la vente en bloc au Canada, mais elle a refusé la
demande de suspension. L'acheteur a également
demandé une suspension qui a aussi été refusée le
29 mars.
Le 11 avril 1989 les demandeurs se sont de
nouveau adressés à la Section de première ins
tance, alléguant que l'ordonnance du 7 mars
n'avait pas été respectée et demandant d'autres
mesures coercitives. Le juge Joyal a fait droit à la
requête et il a rendu une ordonnance longue et
extraordinaire. Je me sens obligé de la reproduire
in extenso:
[TRADUCTION] La Cour ordonne ce qui suit:
1. Cette requête pourra être entendue après qu'un préavis
sommaire en aura été donné.
2. Le produit et les fonds provenant de la vente en bloc du 29
janvier 1988, tel que mentionné dans l'ordonnance du 7 mars
1989 de la présente Cour, englobent tous les biens qui ont été
remplacés ou échangés contre les montants payés à l'origine,
notamment:
(1) toute action ou droits semblables dans Socoa Internatio
nal transmis à 152931 Canada Inc., 151095 Canada Inc.,
160088 Canada Inc., Gaston Pinat ou à d'autres en contre-
partie de ces montants;
(2) tout titre d'action dans d'autres compagnies, obligations,
certificats de placement ou autre bien acheté ou obtenu à
l'aide de ces sommes, que ceux-ci soient en la possession de
152931 Canada Inc., de 151095 Canada Inc., de 160088
Canada Inc., de Gaston Pinat ou de Socoa International.
3. M. Paul Bertrand, expert-comptable agréé et administrateur
de la firme Samson, Bélair à Montréal, Québec, Canada, est
nommé séquestre:
(a) du produit de la vente en bloc susmentionnée, et
(b) de toute action ou droits semblables détenus par Gaston
Pinat dans 151095 Canada Inc., 152931 Canada Inc., et
Socoa International, 151095 Canada Inc. et 152931 Canada
Inc. [sic],
et habilité à:
(1) prendre possession de ces droits et biens en signifiant un
avis de saisie, ... accompagné d'un exemplaire de l'ordon-
nance, au siège social de chacune des sociétés susmentionnées
ainsi qu'à chaque personne ou compagnie ayant la garde des
biens appartenant à Gaston Pinat;
(2) saisir toute preuve de titres d'actions pouvant se trouver
en la possession de Gaston Pinat, des compagnies susmen-
tionnées et de leurs préposés et mandataires;
(3) décerner un ou plusieurs mandats de main-forte au shérif
ou à l'huissier de la province de Québec nommé par les
demandeurs afin de permettre au séquestre de pénétrer dans
les lieux occupés par les parties identifiées dans cette ordon-
nance ainsi que dans les lieux occupés par leurs préposés et
mandataires (y compris les bureaux de MM. Moe Ackman et
Guy St. George de la ville de Montréal), de fouiller tous les
dossiers sur place et d'y retirer tout document relatif à la
vente en bloc et aux droits sur les actions susmentionnés; si
un privilège est invoqué concernant ces documents, le séques-
tre les mettra sous scellé et les remettra au greffe de la Cour
fédérale pour que celle-ci en dispose par ordonnance;
(4) détenir et exercer tous pouvoirs sur le produit de la vente
en bloc et sur les actions susmentionnées, en les conservant
de la manière prévue par l'article 981o) du Code civil du Bas
Canada, ou sous la forme où ils étaient au moment de la
saisie, ou sous toute autre forme demandée par Gaston Pinat
et que le séquestre estime appropriée. Les parties, Gaston
Pinat ou le séquestre peuvent, à tout moment, en se rensei-
gnant sur le mode de disposition de ces biens, demander de
faire changer la forme sous laquelle ils doivent être
conservés.
(5) dans la mesure où cela s'avère nécessaire et dans le but
d'aider le séquestre à prendre possession du produit de la
vente en bloc, exercer le droit de Gaston Pinat de convoquer
des assemblées d'actionnaires, d'élire de nouveaux adminis-
trateurs et de nommer des nouveaux dirigeants pour chacune
des compagnies nommées, y compris:
(a) se nommer lui-même seul administrateur et dirigeant
de chacune de ces compagnies,
(b) exercer, en sa qualité d'administrateur et de dirigeant
de ces compagnies, les droits détenus par celles-ci dans
Socoa International, et
(c) de la même façon élire de nouveaux administrateurs et
nommer de nouveaux dirigeants pour Socoa International,
et exercer les droits que Socoa détient sur les parties de son
actif qui proviennent du produit de la vente en bloc.
4. Une fois que le séquestre aura pris possession du produit
susmentionné de la vente en bloc, il rétrocédera tous les droits
et autres biens saisis et transmettra ses fonctions aux personnes
désignées par Gaston Pinat.
5. Il est interdit à toute personne ayant connaissance de cette
ordonnance d'enlever, de détruire ou de céder tout dossier,
document ou autre bien appartenant à Gaston Pinat, à 151095
Canada Inc., à 152931 Canada Inc. et à 160088 Canada Inc.,
faisant l'objet de la vente en bloc susmentionnée et qu'elle a en
sa possession ou sous son contrôle, ou de permettre à quelqu'un
d'autre de le faire, jusqu'à ce que le séquestre les examine et
donne mainlevée.
6. Conformément aux Règles 2200 et 2201, Gaston Pinat est
tenu de se présenter devant M. D'Aoust au greffe de la Cour
fédérale à Montréal, sur rendez-vous fixé par ce dernier, pour
répondre de sa participation à la disposition du produit de la
vente en bloc.
7. La présente ordonnance ne porte pas atteinte au droit de
l'une ou de l'autre partie de demander des garanties addition-
nelles ou toute autre ordonnance ou modification de la présente
ordonnance, si nécessaire, pour obtenir le contrôle des biens
détenus par Socoa et permettre le retour de ces biens au
Canada pour qu'ils soient détenus conformément à l'article
981o) du Code civil du Bas Canada; ces biens peuvent égale-
ment être détenus de la même façon qu'au moment de la saisie
ou sous la forme demandée par Gaston Pinat et que le séquestre
estime appropriée. Les parties, Gaston Pinat ou le séquestre
peuvent à tout moment demander que le mode de conservation
de ces biens soit modifié ou demander des directives quant à
leur disposition.
8. Les ordonnances rendues par Madame le juge Reed en date
du 7 mars 1989 demeurent en vigueur, sous réserve des modifi
cations requises par la présente ordonnance et compte tenu des
adaptations de circonstance. En particulier, le séquestre peut,
avec le consentement de l'avocat des demandeurs, conserver le
produit sous la même forme qu'au moment de la saisie ou sous
la forme demandée par Gaston Pinat et que le séquestre estime
appropriée. De manière générale, le séquestre peut prendre les
mesures qu'il juge nécessaires pour prendre possession du pro-
duit de la vente en bloc susmentionnée, y compris intenter des
poursuites aux îles Caïmans.
9. La Cour ne rend aucune ordonnance quant aux dépens.
Les procédures en appel
Comme je l'ai dit au début, la Cour est saisie de
quatre appels distincts. Il faut maintenant éclaircir
cette situation. On aura remarqué que la deuxième
ordonnance du 7 mars 1989 rendue par Madame
le juge Reed était destinée non seulement aux
défenderesses en l'espèce mais aussi à des tiers,
dont l'un était 157079 Canada Inc., l'acheteur.
Cette dernière a immédiatement porté cette ordon-
nance en appel et peu après, les défenderesses en
l'espèce ont fait de même. Ces deux appels ont été
joints dans le même dossier, no. A-97-89, le
deuxième étant désigné comme un appel incident
conformément à la Règle 1203(3) [édictée par
DORS/79-57, art. 20] des Règles de la Cour
fédérale. L'ordonnance rendue par Madame le
juge Reed le 29 mars 1989, rejetant une requête en
suspension d'instance pendant l'appel interjeté par
les défenderesses en l'espèce, a donné lieu à un
troisième appel portant le numéro du greffe
A-149-89. Enfin, l'ordonnance rendue par le juge
Joyal le 11 avril 1989 a fait l'objet d'un quatrième
appel, no. A-183-89 interjeté par les défenderesses
en l'espèce.
Le tableau doit maintenant être assez complet
pour me permettre d'expliquer pourquoi je suis
d'avis que, vu les circonstances qui existaient à
l'époque, la Cour ne pouvait rendre aucune des
dites ordonnances, de sorte que tous les appels
doivent être accueillis.
L'invalidité des ordonnances
Il n'y a pas grand-chose à dire au sujet de
l'ordonnance rendue par le protonotaire le 16 sep-
tembre ni au sujet de celle du 7 mars qui confir-
mait et transformait l'ordonnance provisoire en
ordonnance interlocutoire. En fait, ces deux ordon-
nances ne concernent pas directement ces appels,
elles sont plutôt incidentes. Au sujet de la première
ordonnance, je suis cependant d'avis que le proto-
notaire a agi sans autorité (voir la Règle 336 des
Règles de la Cour fédérale') et, quant à la
deuxième, elle était sans objet puisqu'au moment
où elle a été rendue, il n'y avait pas de solde
impayé du produit de la vente en bloc, payable par
157079 Canada Inc. aux défenderesses en l'espèce
(situation qui existait même avant que soit rendue
l'ordonnance provisoire, mais qui n'avait pas été
portée à la connaissance du protonotaire, comme
nous l'avons déjà expliqué).
1 Elle prévoit notamment:
Règle 336. (1) Nonobstant la Règle 326(1), un protono-
taire a le pouvoir
(Suite à la page suivante)
Je ne m'attarderai pas sur l'ordonnance du 11
avril non plus. Puisqu'il s'agit d'une ordonnance
s'ajoutant à la deuxième ordonnance du 7 mars
rendue par le juge Reed, les commentaires au sujet
de cette dernière s'appliqueront tout autant à la
première. Il n'existait tout simplement aucun fon-
dement permettant de rendre une telle ordon-
nance: on a seulement invoqué le non-respect de
l'ordonnance du 7 mars et la seule façon pour la
Cour de vérifier le bien-fondé de cette allégation et
d'agir en conséquence était de recourir à des pour-
suites pour outrage au tribunal. J'ajouterai que je
ne vois tout simplement pas comment, alors que les
tribunaux et les législatures 2 ont mis tant d'efforts
pour écarter l'ancien mandat de main-forte dont le
statut constitutionnel est pour le moins troublant,
la présente Cour pourrait songer à le réhabiliter et
à déléguer le pouvoir de décerner ce mandat à un
comptable, de manière à lui permettre, avec tous
les pouvoirs reconnus à l'État, de pénétrer sans
cesse dans des lieux, de fouiller dans des dossiers et
d'enlever des documents.
J'en viens alors immédiatement à la deuxième
ordonnance du 7 mars rendue par Madame le juge
Reed et qui est, nous l'avons vu, au coeur de toute
cette controverse.
En établissant le fondement juridique de son
ordonnance, le juge Reed a d'abord considéré l'ar-
ticle 733 du Code de procédure civile [L.R.Q.,
chap. C-25] de la province de Québec, qu'on lui
avait cité. Cet article prévoit la saisie avant juge-
ment des biens du défendeur lorsqu'il est à crain-
(Suite de la page précédente)
g) de statuer sur toute demande interlocutoire qui lui a été
nommément confiée ou qui a été confiée à l'un quelconque
des protonotaires sur directive spéciale ou générale du juge
en chef ou du juge en chef adjoint ...
[TRADUCTION] Pouvoirs des protonotaires
Directive générale établie en vertu
de la règle 336(1)g)
Suivant la règle 336(1)g), le protonotaire-chef et le proto-
notaire-chef adjoint ont le pouvoir d'instruire et de juger
toute demande interlocutoire portée devant la Section de
première instance, à l'exception de:
2. toute demande d'injonction y compris une injonction, du
type Mareva ou Anton Pillar, faite ex parte ou après avis,
ou toute demande faite ex parte ou après avis en vue
d'obtenir la nomination d'un séquestre.
(établie par le juge en chef adjoint Jerome le 31 octobre 1985).
2 Voir: [Loi de 1985 modifiant le droit pénal] L.R.C. (1985),
chap. 27 (1°' suppl.), art. 190, 195(2), 200.
dre que sans cette mesure le recouvrement de la
créance en l'espèce ne soit mis en péril'. Elle a dû
être convaincue que cette disposition pourrait être
invoquée, au besoin, en application du paragraphe
56(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C.
(1985), chap. F-7] ou de la Règle 5 des Règles de
la Cour fédérale'. Elle était cependant d'avis qu'il
n'était pas nécessaire de suivre cette voie. L'ordon-
nance demandée par les requérantes et qu'elle était
sur le point de rendre visait une injonction interlo-
cutoire semblable à une injonction Mareva et juri-
diction pour émettre une telle injonction se trou-
vait à l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale et
à la Règle 469(1) des Règles de la Cour fédérale
qui disposent:
44. En plus de tout autre redressement que peut accorder la
Cour, cette dernière peut accorder un mandamus, une injonc-
tion ou une ordonnance d'exécution intégrale ou nommer un
séquestre dans tous les cas où il lui paraît juste ou convenable
de le faire; toute pareille ordonnance peut être rendue soit sans
condition soit selon les modalités que la Cour juge équitables.
3 Le texte est le suivant:
733. Le demandeur peut, avec l'autorisation d'un juge, faire
saisir avant jugement les biens du défendeur, lorsqu'il est à
craindre que sans cette mesure le recouvrement de sa créance
ne soit mis en péril.
4 L'article 56(1) porte:
56. (1) En sus de tous brefs d'exécution ou autres que les
Règles prescrivent pour l'exécution des jugements ou ordon-
nances de la Cour, celle-ci peut décerner des brefs visant la
personne ou les biens d'une partie et ayant la même teneur et
le même effet que ceux qui peuvent être décernés par l'une
quelconque des cours supérieures de la province dans laquelle
un jugement ou une ordonnance doivent être exécutés; et
lorsque le droit de cette province exige, pour l'émission d'un
bref, une ordonnance d'un juge, un juge de la Cour peut
rendre une ordonnance semblable en ce qui concerne un tel
bref lorsque la Cour doit en décerner un.
Quant à la Règle 5, appelée «règle des lacunes», elle prévoit:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se
pose une question non autrement visée par une disposition
d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou
ordonnance générale de la Cour (hormis la présente Règle),
la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant
des instructions, soit après la survenance de l'événement si
aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et la
procédure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la province
à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des
procédures,
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en
l'espèce.
Règle 469 (1) Une partie peut demander une injonction inter-
locutoire, avant ou après le début de l'instruction de l'action,
même si la déclaration ou la demande reconventionnelle de
cette partie ou l'avis à la tierce partie par cette partie, selon le
cas ne contient pas de demande d'injonction; et cette demande
d'injonction doit être appuyée par un affidavit établissant les
faits qui rendent l'injonction nécessaire et doit être faite par
voie de requête dont avis doit être donné à toutes les autres
parties.
La seule question, selon le juge, était de savoir
si, en l'espèce, il convenait qu'elle exerce sa compé-
tence, et puisqu'elle était d'avis que la cause des
demandeurs reposait sur une forte apparence de
droit, que la balance des inconvénients penchait en
leur faveur, qu'il y avait un risque réel que leur
réclamation soit sans effet, que les défenderesses
avaient retiré des biens de la juridiction de la Cour
pour essayer d'échapper à un jugement possible et
qu'en plus, les biens ainsi retirés avaient été trou-
vés et identifiés, la solution était facile. Elle écrit
(aux pages 16 et 17):
Tous les éléments nécessaires à l'octroi d'une demande d'in-
jonction Mareva ont été prouvés, sauf un: les biens dont on
demande la remise à un séquestre ne se trouvent pas dans le
territoire de cette Cour. Toutefois, ce facteur n'empêche pas
l'octroi de l'ordonnance recherchée. Il ne s'agit pas d'une
ordonnance qui serait rendue contre les biens eux-mêmes, mais
contre des sociétés et des particuliers qui se trouvent dans le
territoire ... Il est indubitable que la demande d'ordonnance
devrait être accordée.
Sauf le respect que je lui dois, je conteste le
bien-fondé du raisonnement du juge.
Je me permettrai d'abord quelques remarques
incidentes. Si la question de savoir si la Cour peut
rendre une injonction Mareva soulève quelque dif
ficulté, ce n'est pas que l'ordonnance elle-même
constituerait un remède qui outrepasse la compé-
tence de la Cour. Il n'y a aucun doute que la Cour
possède la compétence voulue pour rendre des
injonctions provisoires, interlocutoires et perma-
nentes. La question est plutôt de savoir si la Cour
peut rendre une telle injonction, avant jugement,
dans le seul but de donner une garantie de paie-
ment à un demandeur. Il est bien connu que
lorsque l'injonction Mareva a été introduite en
1975 par la Cour d'appel de l'Angleterre dans
l'arrêt Nippon Yusen Kaisha v Karageorgis,
[1975] 3 All E.R. 282; et Mareva Compania
Naviera SA v International Bulkcarriers SA [The
Mareva], [1980] 1 All E.R. 213, elle représentait
un écart radical par rapport aux principes juridi-
ques traditionnels. Selon le droit relatif aux injonc-
tions à l'époque, sauf dans des circonstances très
spéciales, (transferts frauduleux, conservation de
l'objet du litige), aucune injonction n'était accor-
dée avant le jugement dans le but d'empêcher les
défendeurs de toucher à leur actif (l'arrêt qui a
fait autorité en droit anglais pendant de nombreu-
ses années était Lister & Co. v. Stubbs (1890), 45
Ch. D. 1; [1886-90] All E.R. Rep. 797 (C.A.)). La
doctrine Mareva, que les tribunaux anglais ont
développée tout récemment, s'applique-t-elle à la
présente Cour? On pourrait hésiter si on considère
que celle-ci n'est qu'une Cour constituée en vertu
de la loi sans pouvoirs inhérents et que les Règles
de la Cour fédérale (Règles 469(1) et 470) pré-
voient déjà un pouvoir limité de rendre une injonc-
tion interlocutoire (pour la conservation des biens)
mais ne confèrent aucun pouvoir explicite de geler
des fonds.
D'autre part, l'article 733 du Code de procédure
civile du Québec prévoit une mesure de protection
qui diffère de celle visée par une ordonnance
Mareva. Alors que cette dernière est indéniable-
ment une ordonnance adressée au défendeur in
personam, interdisant à cette personne de faire
quelque chose (comme la Cour d'appel anglaise l'a
une fois de plus répété avec emphase dans Bank
Mellat v. Kazmi, [1989] 2 W.L.R. 613), au con-
traire, le remède prévu par l'article 733—bien qu'il
constitue également une mesure exceptionnelle qui
déroge au principe général—est une saisie qui
touche la res (qu'elle soit ou non entre les mains de
tiers) et s'applique indépendamment de la per-
sonne. Le pouvoir de cette Cour de contraindre les
défendeurs ou les tiers à agir ne trouverait aucun
appui dans cette disposition du Québec, surtout
dans des situations où la res est situé hors de la
juridiction de la Cour.
Néanmoins, je n'ai pas l'intention, de nier que
cette Cour a le droit de rendre une ordonnance
Mareva. Si l'on admet que la raison d'être, le
principe fondamental de la doctrine Mareva tel
qu'il a été énoncé récemment par lord Donaldson,
M.R., dans l'arrêt Derby & Co. Ltd. v. Welson
(Nos. 3 & 4), [1989] 2 W.L.R. 412 (C.A.) à la
page 422, principe selon lequel aucune cour ne
devrait permettre à un défendeur de prendre des
mesures destinées à contrecarrer les ordonnances
qu'elle rendra par la suite, on ne voit pas pourquoi
la Cour ne serait pas indirectement autorisée à
protéger son fonctionnement en ayant recours à ce
genre d'injonction interlocutoire. Dans une telle
perspective (et contrairement à ce qui semble être
la pratique en Angleterre), les ordonnances «subsé-
quentes» pouvant ainsi être protégées ne devraient
pas être seulement des ordonnances possibles et
discutables, mais plutôt des ordonnances probables
impliquant la preuve d'une forte apparence de
droit (voir les motifs du juge Estey dans l'arrêt
Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman et
autres, [ 1985] 1 R.C.S. 2, la seule occasion où la
Cour suprême a statué sur une injonction
Mareva). En fait, une telle condition préalable
peut difficilement être vérifiée si on se fonde uni-
quement sur une déclaration alléguant une contre-
façon de brevet et une défense niant cette alléga-
tion, comme c'est le cas en l'espèce. Malgré la
façon de voir du juge des requêtes, l'avocat des
demandeurs—les intimés en l'espèce—n'a pas pré-
tendu pouvoir démontrer que sa cause était plus
que défendable.
Le véritable fondement de mon objection au
raisonnement du juge va cependant au-delà de ces
considérations. Je crois tout simplement que l'or-
donnance contestée telle qu'elle a été rendue
n'était pas de la nature d'une injonction Mareva.
Une injonction Mareva, comme toute injonction
interlocutoire, peut seulement être prononcée
contre les défendeurs dans une action. Elle ne peut
s'adresser aux tiers. Comme l'a dit lord Diplock
dans l'arrêt Siskina (Owners of cargo lately laden
on board) v. Distos Compania Naviera S.A.,
[1979] A.C. 210 (H.L.) à la page 256:
[TRADUCTION] Le droit d'obtenir une injonction interlocutoire
ne constitue pas une cause d'action. Il n'est pas autonome. Il est
tributaire d'une cause d'action qui existe déjà contre le défen-
deur et qui découle de la violation, réelle ou possible, d'un droit
légal ou reconnu en equity du demandeur, que celui-ci peut
faire valoir contre le défendeur devant la cour. Le droit d'obte-
nir une injonction interlocutoire n'est qu'accessoire à la cause
d'action déjà existante.
Évidemment, les tiers peuvent être touchés par
une injonction rendue contre un défendeur dans
une action, puisque ce serait un outrage au tribu
nal que d'encourager sciemment la violation de
l'ordonnances. Ils ne peuvent cependant pas faire
5 Voir par exemple Re Gaglardi (1960), 27 D.L.R. (2d) 281
(C.A.C: B.).
eux-mêmes l'objet de l'injonction sans être pour-
suivis et le seul fait de leur signifier une demande
d'injonction ne les constitue pas parties à l'action.
On pourrait objecter qu'en l'espèce, le dénommé
Pinat était le véritable défendeur puisqu'il contrô-
lait à lui seul les compagnies défenderesses. Je ne
vois pas comment ce seul fait permettrait de ne pas
tenir compte des personnalités distinctes en cause,
mais, de toute manière, cette question ne concerne
pas l'acheteur qui, mis à part la vague mention
d'une relation professionnelle, est complètement
indépendant des défenderesses et de M. Pinat.
Il existe, cependant, une raison beaucoup plus
fondamentale et importante que la présence des
tiers parmi les personnes touchées par l'ordon-
nance pour refuser de donner à celle-ci le statut
d'une injonction Mareva. Cette raison se rattache
à la nature même de l'injonction Mareva. Le
principe exceptionnel auquel l'injonction Mareva
donne effet est qu'un demandeur dans une pour-
suite en justice ne doit pas être frustré par son
débiteur qui déciderait de disposer de tous ses
biens avant que la Cour ne rende sa décision.
Ainsi, le but d'une injonction Mareva est donc de
geler l'actif du défendeur en attendant le procès et
son objet est uniquement d'interdire au défendeur
de faire des opérations visant à disposer de ses
biens ou à les transporter hors du territoire soumis
aux brefs d'exécution de la Cour. Il est évident que
cela ne ressemble pas à l'ordonnance contestée
puisque celle-ci, loin d'empêcher les défenderesses
de faire quelque chose, les contraint à annuler un
acte déjà accompli et à retirer des placements déjà
faits.
La différence est-elle fondamentale? La prati-
que et la doctrine Mareva ont beaucoup évolué au
cours des dernières années en Angleterre; la Cour
d'appel de l'Angleterre, lors de son dernier arrêt
Derby, précité, l'a même appliquée à «l'échelle
mondiale» aux biens se trouvant en dehors de sa
juridiction: l'ordonnance en l'espèce ne pourrait-
elle pas suivre cette tendance? je ne le crois pas.
À mon avis, une ordonnance visant à geler un actif
est tout à fait différente de celle qui vise à recons-
tituer un tel actif. Dans le premier cas, le temps est
pour ainsi dire arrêté, ce qui a pour résultat la
conservation de l'actif et seule la liberté du défen-
deur en souffre; dans le deuxième cas, on recule
dans le temps, ce qui a pour résultat la reconstitu-
tion de l'actif et les tiers sont nécessairement direc-
tement touchés. Dans le premier cas, nous pouvons
toujours parler de mesures incidentes et conserva-
toires alors que dans le second, nous ne le pouvons
pas: il s'agit là d'une exécution et l'exécution avant
jugement est pour moi un concept impensable 6 .
On a beaucoup parlé des deux derniers verse-
ments provenant du produit de la vente en bloc qui
ont été effectués en septembre, mais je ne vois pas
comment, au stade où en était l'instance le 7 mars,
ils pouvaient être considérés différemment du ver-
sement initial de janvier 1988 et ainsi faire plus
facilement l'objet d'un «retrait». Il est allégué, bien
sûr, que ces versements et leur transfert immédiat
aux îles Caïmans ont eu lieu après l'audience
devant le protonotaire en prévision d'une ordon-
nance défavorable possible, ce qui équivaudrait à
un outrage au tribunal. La décision de la Cour
suprême dans Baxter Travenol Laboratories of
Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada), Ltd.,
[1983] 2 R.C.S. 388 est également invoquée. Je
soulignerai qu'il existe une grande différence entre
le cas dont la Cour suprême a été saisie dans
l'arrêt susmentionné où le comportement outra-
geux de la défenderesse avait eu lieu entre le
moment où les motifs du juge de première instance
avaient été déposés au dossier et celui où le juge-
ment formel que l'avocat devait préparer avait été
signé. En l'espèce, il n'y avait rien de sûr concer-
nant la décision relative à la requête à la fin de
l'audience du 13 septembre et, en fait, l'ordon-
nance sollicitée ne relevait pas de la compétence
du protonotaire. Mais de toute manière, une accu
sation d'outrage au tribunal doit être prouvée hors
de tout doute raisonnable (voir Glazer v. Union
Contractors Ltd. & Thornton (1960), 129 C.C.C.
150 (C.A.C.-B.); Re Bramblevale, Ltd., [1969] 3
All E.R. 1062 (C.A.); Bhatnager c. Canada
(ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986]
2 C.F. 3 (1 inst.), à la page 13, infirmée en appel
[[1988] 1 C.F. 171] mais pas sur ce point) et lors
d'une procédure spéciale instituée surtout en vue
6 À propos, le juge des requêtes a laissé entendre dans ses
motifs que l'ordonnance qu'elle a rendue était comparable aux
ordonnances concernant la production de documents hors de la
juridiction de la cour. La différence essentielle, il me semble,
est que la production de documents n'a rien à voir avec
l'exécution et surtout, elle est essentielle au devoir de la cour de
résoudre équitablement le litige. La garantie avant jugement ne
joue pas ce rôle.
de protéger l'inculpé (voir la Règle 355 des Règles
de la Cour fédérale).
Ce sont là les raisons pour lesquelles je crois que
la deuxième ordonnance rendue le 7 mars par
Madame le juge Reed, par conséquent, celle
qu'elle a rendue le 29 mars, dépassaient la compé-
tence de la Cour.
Je suis donc d'avis que la Cour doit annuler
toutes les ordonnances portées en appel. Cela,
ironiquement, aura pour effet de maintenir la pre-
mière ordonnance rendue par Madame le juge
Reed le 7 mars, qui transformait l'ordonnance
provisoire rendue par le protonotaire en ordon-
nance interlocutoire, puisqu'elle n'a pas été portée
en appel. Mais n'ayant aucun objet, cette ordon-
nance demeure, me semble-t-il, sans effet.
Les appels devraient donc être accueillis et les
ordonnances rendues en première instance les 7 et
29 mars et le 11 avril 1989 devraient être annulées.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il n'est pas
nécessaire de répéter les faits que mon confrère le
juge Marceau, J.C.A. a exposés en détail. Je veux
simplement en faire ressortir un fait énoncé par le
juge Reed (Dossier d'appel, vol. 1 page 138):
[TRADUCTION] M. Pinat était présent dans la salle d'audience
pendant toute l'audience du 13 septembre 1988 [devant le
protonotaire] lorsque son avocat a plaidé la requête devant
cette Cour à partir de faits erronés.
À la suite de l'audience et de la décision rendue
par le protonotaire le 16 septembre et soi-disant
avant d'être informé de la décision, M. Pinat a
accepté le paiement anticipé du dernier montant
impayé par l'acheteur en vertu de l'entente de
vente en bloc du mois de janvier précédent, mon-
tant qu'il a immédiatement transféré à Socoa
International aux îles Caïmans.
Je suis d'avis que c'était la nature manifeste-
ment outrageuse de ces actes d'acceptation et de
transfert, accomplis en pleine connaissance de ce
qui se passait devant le protonotaire qui a amené
les juges de première instance, à décider comme ils
l'ont fait et si la décision rendue par le protono-
taire avait effectivement relevé de sa compétence,
leur réaction aurait pu être justifiée. Mais je sous-
cris entièrement à l'argument du juge Marceau
J.C.A., selon lequel le protonotaire n'avait pas la
compétence voulue pour rendre une telle ordon-
nance à cause de la directive générale du juge en
chef adjoint fondée sur la Règle 336(1)(g). Cette
question n'a pas été soulevée devant la Section de
première instance, mais comme elle a été portée à
notre attention, nous ne pouvons pas ne pas en
tenir compte.
Étant donné que l'ordonnance du 16 septembre
rendue par le protonotaire était illégale, il me
semble qu'on ne peut plus soulever la question
relative à sa violation par Pinat et les compagnies
dont il était l'actionnaire principal. Je ne suis pas
prêt, cependant, à soutenir qu'en aucun cas une
injonction Mareva ne pourrait exiger la reconstitu-
tion d'un actif. Si les faits avaient été tels que la
Section de première instance les a perçus, surtout
si, par exemple, Pinat avait été reconnu coupable
d'outrage au tribunal, la situation aurait pu justi-
fier une injonction Mareva. Le droit dans ce
domaine est en pleine évolution comme en témoi-
gne la décision récente de la Cour d'appel anglaise
dans l'arrêt Derby & Co. Ltd. v. Weldon (Nos. 3 &
4), [ 1989] 2 W.L.R. 412 (permission d'interjeter
appel refusée). À mon avis, il suffit de dire pour
les fins de la décision en l'espèce qu'une injonction
Mareva ne saurait être accordée à partir de ces
faits de manière à exiger la reconstitution de
l'actif.
À tous les autres égards, je souscris aux motifs
prononcés par le juge Marceau, J.C.A., et à sa
décision en l'espèce.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'ai eu l'avan-
tage de lire le projet des motifs des juges Marceau,
J.C.A., et MacGuigan, J.C.A.
Les faits ont été exposés dans les motifs du
jugement du juge Marceau, J.C.A. et j'y souscris.
Comme mes deux collègues, je suis convaincue que
le juge de première instance ne pouvait pas rendre
sa deuxième ordonnance du 7 mars 1989 qui est
fondamentale en l'espèce. Étant donné que le pro-
tonotaire n'avait pas la compétence voulue pour
prononcer l'ordonnance provisoire du 16 septembre
1988, les défenderesses ne peuvent pas avoir essayé
de violer une ordonnance de la cour lorsqu'elles ont
transféré aux îles Caïmans, les 16 et 20 septembre
1988, le solde du prix de vente qu'elles venaient de
recevoir de l'acheteur. Le juge de première ins
tance ne pouvait donc pas conclure que «les défen-
deresses ont transféré des biens en dehors du terri-
toire pour tenter d'éviter l'application d'un
jugement possible de cette Cour» (dossier d'appel à
la page 145). L'ordonnance rendue par le juge
Joyal le 11 avril 1989, étant accessoire à l'ordon-
nance du juge Reed, est également annulée.
Je souscrirais à la décision prononcée par le juge
Marceau, J.C.A.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.