T-591-86
Saskatchewan Co-operative Credit Society Limi
ted (demanderesse)
c.
L'honorable Michael Wilson, en qualité de minis-
tre des Finances du Canada et la Société d'assu-
rance-dépôts du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: SASKATCHEWAN CO-OPERATIVE CREDIT
SOCIETY LTD. c. CANADA (MINISTRE DES FINANCES) (I' »
INST.)
Section de première instance, juge Collier—
Toronto, 9 et 10 septembre 1989; Ottawa, 24
janvier 1990.
Institutions financières — Les définitions du mot «dépôt»
figurant dans la Loi sur la Société d'assurance-dépôts du
Canada et la Loi sur l'indemnité aux déposants de certaines
institutions financières comprennent toutes les sommes qu'une
institution reçoit dans le cadre normal de ses affaires et qu'elle
est obligée de rembourser sur demande ou conformément aux
dispositions d'un instrument de paiement qu'elle a émis en
échange de l'argent reçu — Lesdites lois visent à protéger les
petits investisseurs, à dédommager les déposants des pertes
qu'ils ont subies à la suite de la faillite de trois institutions
financières — La demanderesse s'est engagée à avancer des
fonds à une compagnie de placements hypothécaires qui est
maintenant en faillite, ces fonds devant être prêtés par la suite
— Subséquemment, elle a cédé sa participation au contrat à la
Banque Commerciale du Canada et elle a reçu un billet à
ordre à cet égard — Banque en liquidation — La demande-
resse n'est pas un déposant — Le mot «sommes» ne comprend
pas les droits de la demanderesse dans le contrat de participa
tion à un prêt hypothécaire — En avançant des fonds à la
Banque, la demanderesse n'a pas prêté de l'argent à la Banque
pour qu'elle le «détienne» pour elle, mais pour que cet argent
soit prêté — La deuxième opération réside dans la vente d'un
élément d'actif — Le billet à ordre représente, non pas une
obligation de rembourser de l'argent, mais l'obligation de
verser un paiement à l'égard de certains éléments d'actif
Il s'agit d'une action visant à obtenir un jugement déclarant
que la demanderesse est un déposant de la Banque Commer-
ciale du Canada, et un bref de mandamus qui enjoindrait à la
Société d'assurance-dépôts du Canada et aux défendeurs de
payer à la demanderesse les sommes de 60 000 $ et de
2 953 271,28 $ respectivement. La demanderesse a conclu avec
la Compagnie de Placements Hypothécaires BCC un contrat de
participation à un prêt hypothécaire, en vertu duquel elle devait
avancer des fonds à cette compagnie qui devait ensuite les
prêter aux emprunteurs. Après avoir avancé la somme de
2 953 271,28 $, la demanderesse a refusé de consentir d'autres
avances, puisqu'elle s'inquiétait de la sécurité de son placement.
Elle a cédé à la Banque Commerciale du Canada sa participa
tion au contrat de participation à un prêt hypothécaire, et elle a
reçu à cet égard un billet à ordre. Antérieurement au paiement,
la Banque a été liquidée. La demanderesse a demandé le
paiement de l'assurance-dépôts d'une somme de 60 000 $ con-
formément à la Loi sur la Société d'assurance-dépôts du
Canada et le paiement d'une somme de 2 953 271,28 $ en vertu
de la Loi sur l'indemnité aux déposants de certaines institu
tions financières. Les demandes ont été rejetées. La première
Loi prévoit une assurance pouvant atteindre 60 000 $ pour les
personnes ayant des sommes en dépôt auprès de diverses insti
tutions financières du Canada, et la deuxième autorise à indem-
niser les déposants de la Banque Commerciale du Canada, de la
Compagnie de Placements Hypothécaires BCC et de la Banque
Northland qui ont conservé des dépôts dépassant le montant de
60 000 $. Selon les définitions du mot «dépôt» données par ces
lois, ce mot comprend toutes les sommes qu'une institution
reçoit dans le cadre normal de ses affaires et qu'elle est obligée
de rembourser sur demande ou conformément aux dispositions
d'un reçu de paiement qu'elle a émis en échange de l'argent
reçu. Il échet d'examiner si la demanderesse est un déposant.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
Un dépôt est un contrat par lequel un client prête de l'argent
à une banque. Les conditions du prêt peuvent varier selon
l'entente conclue entre le banquier et le client. En l'absence de
conditions expressément convenues, la règle de common law
énonce que l'intention des parties est de conclure un prêt
remboursable sur demande.
Appliquant les définitions du mot «dépôt» données par les
lois, il faut se demander si la Banque a reçu des sommes
d'argent de la demanderesse lorsqu'elle a acquis les droits de
cette dernière dans le contrat de participation à un prêt hypo-
thécaire. Le mot «sommes» ne comprend pas ces droits. Le but
de ces deux lois est de protéger les investisseurs qui ont déposé
de l'argent auprès d'institutions financières et qui ne sont pas
en mesure de déterminer la viabilité financière de ces institu
tions. La Loi sur la Société d'assurance-dépôts du Canada vise
à assurer la sécurité des dépôts des petits investisseurs. La Loi
sur l'indemnité aux déposants de certaines institutions finan-
cières a été prise pour dédommager les déposants des pertes
qu'ils ont subies en raison de la faillite de trois institutions
financières particulières. La demanderesse a conclu deux opéra-
tions commerciales—l'achat d'un placement, c'est-à-dire l'ac-
quisition d'une part dans un prêt hypothécaire, et la vente de ce
placement selon des conditions négociées quant au prix, à la
date de paiement du prix d'achat et aux intérêts. Aucune de ces
opérations ne comporte d'indice d'un dépôt. Pour ce qui est de
la première opération, la demanderesse n'a pas avancé des
fonds à la Banque pour qu'elle les conserve ou les «détienne»
pour elle; elle n'a fait que remplir son obligation en vertu du
contrat de participation à un prêt hypothécaire. La demande-
resse ne s'attendait pas à recevoir des intérêts de la Banque. Les
intérêts acquis devaient provenir directement des emprunteurs.
La deuxième opération n'est rien de plus que la vente d'un
élément d'actif.
L'un des critères d'un dépôt, c'est l'obligation pour l'institu-
tion financière de rembourser l'argent. Le billet à ordre émis
par la Banque ne représente pas une obligation de rembourser
de l'argent. Il représente plutôt l'obligation de la Banque de
verser un paiement à l'égard de certains éléments d'actif.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Société d'assurance-dépôts du Canada, S.R.C.
1970, chap. C-30, annexe, art. 2 (édicté par S.C.
1976-77, chap. 27, art. 9).
Loi sur l'indemnité aux déposants de certaines institu
tions financières, S.C. 1985, chap. 51, art. 2.
Loi sur les compagnies de prêt, S.R.C. 1970, chap. L-12.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Davenport, [1954] 1 W.L.R. 569 (C.A.).
AVOCATS:
Peter Foley, c.r. et Ray C. Rutman pour la
demanderesse.
Eric A. Bowie, c.r. et Barbara A. Mclsaac
pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Gauley & Co., Saskatoon, Saskatchewan,
pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse est une
société qui est constituée en vertu d'une loi fédé-
rale et qui poursuit ses activités conformément à la
Loi sur les compagnies de prêt, S.R.C. 1970, chap.
L-12. Elle désire, par la présente action, obtenir à
l'encontre des défendeurs, le ministre des Finances
du Canada et la Société d'assurance-dépôts du
Canada, un jugement déclarant qu'elle est un
déposant de la Banque Commerciale du Canada et
que, par conséquent, elle a droit au paiement à
titre d'assurance-dépôts d'une somme de 60 000 $
ainsi qu'à une indemnité de 2 953 271,28 $ des
défendeurs, dette attestée par le billet à ordre que
la Banque Commerciale du Canada a émis en
faveur de la demanderesse.
Les faits en l'espèce ne sont pas contestés. Le 24
décembre 1981, une société de prêts hypothécaires
constituée en vertu d'une loi fédérale et appelée
Compagnie de Placements Hypothécaires de la
Banque Commerciale du Canada a conclu un con-
trat en vertu duquel elle a accepté de prêter à
certaines entreprises (ci-après appelées les
emprunteurs) la somme de 15 000 000 $ pour la
construction d'un édifice à bureaux dans le centre-
ville de Calgary. À cette fin, la Compagnie de
Placements Hypothécaires BCC a accordé un prêt
hypothécaire le 23 février 1982. En tout temps
pertinent, la Banque Commerciale du Canada a
agi comme conseiller financier et conseiller en
matière d'investissement à l'endroit de la Compa-
gnie de Placements Hypothécaires BCC.
En janvier 1982, le prêt a été consortialisé, de
sorte que diverses institutions prêteuses, dont la
demanderesse, ont participé au prêt, conformé-
ment à un contrat de participation à un prêt
hypothécaire. Un syndicat financier de cette
nature est créé lorsque la banque chef de file prête
initialement le plein montant du prêt hypothécaire
et répartit ensuite la participation entre d'autres
entités. En vertu du contrat, la demanderesse
devait avancer à la Compagnie de Placements
Hypothécaires BCC une somme de 4 000 000 $,
par voie de versements provisoires. La Compagnie
de Placements Hypothécaires BCC devait ensuite
avancer cette somme aux emprunteurs conformé-
ment au contrat de prêt. La demanderesse devait
recevoir un certificat de participation en faisant
l'avance. -
Le 22 janvier 1982, la demanderesse et les
autres parties au contrat de participation à un prêt
hypothécaire ont conclu un contrat de gestion de
prêt hypothécaire avec la Banque Commerciale du
Canada. Conformément à ce contrat, la Banque
devait administrer le prêt en contrepartie d'une
rémunération devant être payée par la demande-
resse et les autres participants.
La construction de l'édifice à bureaux a com-
mencé au début de 1982. Pendant les travaux, la
demanderesse a avancé à l'occasion des fonds à la
Compagnie de Placements Hypothécaires BCC
conformément au contrat de participation à un
prêt hypothécaire. À son tour, la Compagnie de
Placements Hypothécaires BCC a consenti plu-
sieurs avances aux emprunteurs. Ceux-ci ont été
impliqués dans plusieurs actions en justice concer-
nant la construction et le financement de l'édifice,
ce qui a incité la Compagnie de Placements Hypo-
thécaires BCC à cesser de consentir d'autres avan-
ces. En outre, elle a cherché à saisir l'immeuble à
la suite de certains défauts des emprunteurs à
l'égard du prêt hypothécaire. À cette époque, la
demanderesse avait avancé une somme totale de
2 953 271,28 $ et s'inquiétait de plus en plus de la
viabilité du projet et de la sécurité du placement
hypothécaire.
Par la suite, la Banque Commerciale du
Canada, agissant en qualité d'administrateur du
contrat de participation à un prêt hypothécaire et
comme conseiller de la Compagnie de Placements
Hypothécaires BCC, a tenté de proposer et négo-
cier divers règlements pour permettre le parachè-
vement du projet de construction. En juin 1984, la
demanderesse a refusé de consentir d'autres avan-
ces suivant le contrat de participation à un prêt
hypothécaire. En outre, elle a refusé de participer
à un règlement que la Banque Commerciale du
Canada avait proposé et en vertu duquel le créan-
cier hypothécaire devait réaliser la garantie au
nom des participants et tenter de vendre la
propriété.
Dans le but de protéger l'investissement et d'en
arriver à un règlement, la Banque Commerciale du
Canada a convenu d'acheter la participation de la
demanderesse et des autres parties au contrat de
participation à un prêt hypothécaire. Conformé-
ment aux conditions d'un contrat de cession en
date du 8 juin 1984, la demanderesse a cédé et
transporté sa participation au contrat de participa
tion à un prêt hypothécaire et au prêt hypothécaire
lui-même, de même que le droit qu'elle avait de
recevoir le remboursement des sommes préalable-
ment avancées. En échange, la Banque Commer-
ciale du Canada a convenu de payer à la demande-
resse la somme de 2 953 271,28 $, soit le
remboursement intégral de l'avance consentie par
la demanderesse en vertu du contrat de participa
tion à un prêt hypothécaire. Le paiement devait
être fait le 8 juillet 1986. La Banque Commerciale
du Canada a remis à la demanderesse un billet à
ordre comme preuve de cette obligation.
Le 3 septembre 1985, Price Waterhouse Limitée
a été nommée liquidateur provisoire de la Banque
Commerciale du Canada afin de procéder à la
liquidation et à la dissolution de la Banque. Depuis
ce temps, la Banque est demeurée en liquidation en
vertu d'une ordonnance de la cour. Elle est insolva
ble et ne peut payer à la demanderesse le montant
qu'elle lui doit en vertu des conditions du billet à
ordre.
Après la liquidation de la Banque Commerciale
du Canada, la demanderesse a demandé le paie-
ment de l'assurance-dépôts au montant de
60 000 $ conformément à la Loi sur la Société
d'assurance-dépôts du Canada, S.R.C. 1970,
chap. C-3, et ses modifications («L.S.A.D.C.») et
le paiement d'une somme de 2 953 271,28 $ con-
formément aux dispositions de la Loi sur l'indem-
nité aux déposants de certaines institutions finan-
cières, S.C. 1985, chap. 51 («L.I.D.I.F.»). Les
demandes de la demanderesse ont été rejetées le 11
mars 1986, pour le motif qu'elle n'était pas un
déposant de la Banque Commerciale du Canada
conformément aux exigences de la législation.
La Loi sur la Société d'assurance-dépôts du
Canada prévoit une assurance pouvant atteindre
60 000 $ pour les personnes ayant des sommes en
dépôt auprès de diverses institutions financières du
Canada. La Loi sur l'indemnité aux déposants de
certaines institutions financières autorise le gou-
vernement du Canada à indemniser les déposants
de la Banque Commerciale du Canada, la Compa-
gnie de Placements Hypothécaires BCC et la
Banque Northland qui ont conservé des dépôts
dépassant le montant de 60 000 $ protégé par la
Loi sur la Société d'assurance-dépôts du Canada.
La demanderesse soutient que les défendeurs ont
eu tort de rejeter sa demande en vertu de la
L.S.A.D.C. et de la L.I.D.I.F. Elle demande à
cette Cour de déclarer qu'elle est un déposant de la
Banque Commerciale du Canada selon le sens de
ce mot dans la législation et de délivrer un bref de
mandamus enjoignant à la Société d'assurance-
dépôts du Canada et aux défendeurs ou à l'un
d'entre eux de lui payer respectivement les sommes
de 60 000 $ et 2 953 271,28 $.
La seule question sur laquelle cette Cour doit se
prononcer est celle de savoir si la demanderesse est
un déposant de la Banque Commerciale du
Canada, ce dépôt étant attesté par le billet à ordre.
À l'article 2 de la Loi sur l'indemnité aux
déposants de certaines institutions financières, le
mot «dépôt» est défini comme suit:
2....
«dépôt» Le solde impayé des sommes reçues d'une personne ou
détenues au nom de celle-ci, dans le cadre normal de ses
affaires, par une institution financière, y compris les intérêts
courus ou payables à cette personne, l'institution étant tenue:
a) de le mettre au crédit du compte de cette personne ou de
délivrer un instrument au titre duquel elle engage principale-
ment sa responsabilité, notamment un reçu, un certificat, une
débenture (à l'exclusion de celles émises par les banques à
charte), un instrument négociable, une traite, une traite ou
un chèque visés, un chèque de voyageur, une lettre de crédit
payée d'avance ou un mandat;
b) de rembourser les sommes, sur demande, à échéance ou
dans un délai déterminé.
Ce même mot est défini de façon presque identi-
que au paragraphe 2(1) de l'annexe de la Loi sur
la Société d'assurance-dépôts du Canada, [édicté
par S.C. 1976-77, chap. 27, art. 9]:
2. (1) Pour l'application de la présente loi et des règlements
administratifs de la Société d'assurance-dépôts du Canada,
«dépôt» signifie le solde impayé des sommes reçues d'une per-
sonne ou détenues au nom de celle-ci, dans le cadre normal de
ses affaires, par une institution fédérale ou provinciale au sens
de la présente loi, celle-ci étant tenue
a) de le mettre au crédit du compte de cette personne ou de
délivrer un instrument au titre duquel elle engage principale-
ment sa responsabilité, notamment un reçu, un certificat, une
débenture (à l'exclusion de celles émises par les banques à
charte), un instrument négociable, une traite, une traite ou
un chèque visés, un chèque de voyageur, une lettre de crédit
payée d'avance ou un mandat, et
b) de rembourser les sommes, sur demande du déposant, à
échéance ou dans un délai déterminé.
La demanderesse soutient qu'elle répond aux
critères d'un déposant qui sont énoncés dans ces
définitions. En effet, dit-elle, il existe un solde
impayé de sommes d'argent que la Banque Com-
merciale du Canada a détenues et reçues de la
demanderesse dans le cadre normal de ses affaires;
la Banque a émis à l'égard de ces sommes un
instrument négociable au titre duquel elle a engagé
principalement sa responsabilité et elle était tenue
de payer ces sommes à une date déterminée.
La demanderesse soutient que, lorsque la
Banque Commerciale du Canada a reçu la partici
pation de la demanderesse au prêt hypothécaire
consortial conformément aux dispositions du con-
trat de cession, la Banque a reçu des sommes
d'argent. Cette prétention repose sur une interpré-
tation libérale de l'expression «sommes d'argent»,
laquelle inclurait le droit de recevoir de l'argent.
En conséquence, la demanderesse fait valoir que,
lorsque la Banque Commerciale du Canada a reçu
la participation de la demanderesse au prêt hypo-
thécaire consortial, elle a reçu une chose in action,
plus précisément un droit de recevoir de l'argent.
En outre, la demanderesse se fonde sur le prin-
cipe reconnu selon lequel une banque «détient» de
l'argent pour ses clients comme débiteur, dans la
mesure où cette dette doit être reconnue et être
finalement remboursée. La dette de la Banque
envers ses clients peut être attestée par un reçu de
dépôt qui, selon la demanderesse, a toutes les
caractéristiques d'un billet à ordre. En émettant un
billet à ordre, la Banque Commerciale du Canada
a reconnu qu'elle était endettée relativement au
remboursement ultérieur des sommes d'argent. Les
obligations que la Banque a assumées en vertu du
billet à ordre étaient inconditionnelles. Selon la
demanderesse, comme la Banque Commerciale du
Canada avait émis un billet à ordre inconditionnel
comme preuve de dépôt, elle devait «détenir» les
sommes d'argent en vue du remboursement ulté-
rieur du billet.
La demanderesse ajoute que la Banque Com-
merciale du Canada a reçu les sommes d'argent
dans le cours normal de ses affaires. Afin de
permettre à ceux qui ont subi des pertes à la suite
de l'insolvabilité de la Banque d'être indemnisés, la
demanderesse demande à notre Cour de donner à
l'expression «cours normal des affaires» une inter-
prétation libérale, de façon à respecter l'esprit de
la loi. Selon la demanderesse, l'expression «opéra-
tion bancaire» n'est pas une expression technique
et ne peut faire l'objet d'une définition précise.
L'activité bancaire est donc une expression suffi-
samment large pour comprendre toute opération
effectuée dans le cadre de l'activité bancaire légi-
time. Le «cours normal des affaires» de la Banque
comprend les activités financières et commerciales
qu'une banque poursuit avec ses clients et par
lesquelles des liens débiteur-créancier sont créés
dans un but financier.
La demanderesse est donc d'avis que le mot
«dépôt» est défini de façon suffisamment large
dans la Loi sur l'indemnité aux déposants de
certaines institutions financières et dans la Loi sur
la Société d'assurance-dépôts du Canada pour
comprendre les opérations conclues entre elle-
même et la Banque Commerciale du Canada. Si
des restrictions importantes avaient été envisagées,
le Parlement aurait exprimé clairement son inten
tion en ce sens.
Pour leur part, les défendeurs se résument à dire
que la demanderesse n'est pas un déposant de la
Banque Commerciale du Canada et n'a donc pas
droit à une indemnité en vertu de l'une ou l'autre
de ces lois
Les défendeurs soutiennent que la Banque Com-
merciale du Canada n'a pas reçu d'argent de la
demanderesse lorsqu'elle a acheté la participation
de celle-ci au contrat de participation à un prêt
hypothécaire et émis le billet à ordre en faveur de
la demanderesse. Selon les défendeurs, il convient,
non pas d'examiner et de définir le mot «sommes»
in vacuo, mais plutôt d'examiner ce mot dans son
contexte et de déterminer le sens que le Parlement
a voulu lui donner dans le contexte. Le mot
«sommes» qui apparaît dans la définition du mot
«dépôt» comprend, selon les défendeurs, de l'argent
comptant et les équivalents d'espèces qui sont
généralement utilisés comme moyens d'échange ou
qui peuvent immédiatement être convertis en espè-
ces à leur valeur nominale. Le mot comprendrait
les chèques, les obligations d'épargne du Canada,
les chèques de voyage et les coupons d'obligations
exigibles et payables, mais non les immeubles, les
hypothèques ou, comme dans le présent cas, une
participation dans un prêt hypothécaire.
En outre, les défendeurs ont fait valoir que la
Banque Commerciale du Canada ne détenait pas
des sommes au nom de la demanderesse dans le
cours normal de ses affaires. L'expression «cours
normal des affaires» renvoie, dans son contexte,
aux activités de réception et de détention de dépôts
de la Banque Commerciale du Canada. La vente
par la demanderesse de sa participation au contrat
de prêt hypothécaire à la Banque Commerciale du
Canada ne comporte aucune trace de dépôt, de
l'avis des défendeurs.
Toujours selon les défendeurs, la dette relative
au billet à ordre émis en faveur de la demanderesse
n'a pas été inscrite dans les registres comptables et
les états financiers de la Banque Commerciale du
Canada avec d'autres dépôts. Elle figure plutôt
comme écriture de compensation à l'égard de la
participation de la Banque au prêt lui-même. Le
remboursement du billet à ordre devait avoir lieu
en juillet 1986 et la Banque Commerciale du
Canada n'a pas mis de côté ou détenu de sommes
d'argent au nom de la demanderesse. La dette se
rapportait au billet et était une dette éventuelle
non provisionnée.
Ma tâche consiste maintenant à déterminer si la
demanderesse était un déposant de la Banque
Commerciale du Canada. Si la réponse est affir
mative, la demanderesse aura droit à une indem-
nité de 60 000 $ en vertu de la Loi sur la Société
d'assurance- dépôts et à un montant de
2 953 271,28 $ en vertu de la Loi sur l'indemnité
aux déposants de certaines institutions financiè-
res.
Au cours de l'audience, il est devenu évident
qu'il était difficile, sinon impossible de définir avec
précision le mot «dépôt». Afin de définir ce mot de
façon appropriée dans le contexte de l'activité
bancaire, il faut examiner la nature contractuelle
du lien créé par ladite activité, lequel a été décrit
dans la jurisprudence comme un lien débiteur-
créancier. Dans R. v. Davenport, [1954] 1 W.L.R.
569 (C.A.), lord Goddard, juge en chef, a décrit
comme suit le lien à la page 571:
[TRADUCTION] Bien que l'on parle des personnes qui ont de
l'argent à la banque, il faut comprendre que la seule personne
qui a de l'argent à la banque est le banquier. Si je verse de
l'argent à ma banque en lui remettant un montant en espèces
ou un chèque, cet argent devient immédiatement l'argent du
banquier. Le lien entre le banquier et le client est un lien
débiteur-créancier. Il ne détient pas mon argent comme manda-
taire ou fiduciaire; ce concept a été exploré dans l'arrêt-clé
Foley v. Hill [(1844), 1 P.H. 399]. Dès que l'argent est payé à
la banque, il devient celui du banquier et le contrat conclu entre
celui-ci et le client est celui par lequel le banquier reçoit un prêt
d'argent du client et promet, en échange, d'honorer les chèques
du client sur demande. Lorsque le banquier remet de l'argent,
qu'il remette un montant en espèces au comptoir ou qu'il
crédite le compte bancaire de quelqu'un d'autre, il paie à même
son propre argent et non à même celui du client; il débite
toutefois le compte du client. Le client a une chose in action,
c'est-à-dire le droit de s'attendre à ce que le banquier honore
son chèque. En conséquence, en l'espèce, l'argent payé à l'égard
de ces chèques était l'argent du banquier, mais il a donné lieu à
un débit dans le compte du client.
À mon sens, un dépôt est un contrat par lequel
un client prête de l'argent à une banque. Les
conditions du prêt peuvent varier selon l'entente
conclue entre le banquier et le client. En l'absence
de conditions expressément convenues, la règle de
common law énonce que l'intention des parties est
de conclure un prêt remboursable sur demande.
Lorsqu'on examine non seulement la common
law, mais aussi les lois d'application générale, on
s'aperçoit que le mot a été défini de plusieurs
façons. Comme l'indique la demanderesse, il a été
défini de façon très large dans la Loi sur la Société
d'assurance-dépôts du Canada et la Loi sur l'in-
demnité aux déposants de certaines institutions
financières. Il comprend toutes les sommes qu'une
institution reçoit dans le cours normal de ses affai-
res et qu'elle est obligée de rembourser sur
demande ou conformément aux dispositions d'un
reçu ou instrument de paiement qu'elle a émis en
échange de l'argent reçu.
Lorsqu'on applique cette définition aux faits du
présent litige, il faut se demander si la Banque
Commerciale du Canada a reçu des sommes d'ar-
gent de la demanderesse lorsqu'elle a acquis les
droits de cette dernière dans le contrat de partici
pation à un prêt hypothécaire.
À mon avis, le mot «sommes» qui apparaît dans
la définition du mot «dépôt» de la Loi ne comprend
pas ces droits. Pour en arriver à cette conclusion,
j'ai appliqué le principe d'interprétation largement
reconnu selon lequel les mots d'une loi doivent être
lus dans l'ensemble de leur contexte et selon leur
sens grammatical et ordinaire, en tenant compte
du but et de l'objet de la loi et de l'intention du
Parlement.
À la lecture de la Loi sur l'indemnité aux
déposants de certaines institutions financières et
de la Loi sur la Société d'assurance-dépôts du
Canada, il est évident que le but de ces textes
législatifs est de protéger les investisseurs qui ont
déposé de l'argent auprès d'institutions financières
du Canada et qui ne sont pas en mesure de déter-
miner la viabilité financière de ces institutions. La
Loi sur la Société d'assurance-dépôts du Canada
vise à assurer la sécurité des dépôts des petits
investisseurs jusqu'à concurrence de 60 000 $. La
Loi sur l'indemnité aux déposants de certaines
institutions financières est une loi qui vise explici-
tement à dédommager les déposants des pertes
qu'ils ont subies à la suite de la faillite de la
Banque Commerciale du Canada, la Compagnie
de Placements Hypothécaires BCC et la Banque
Northland. Cette législation a pour but d'indemni-
ser les déposants qui ont décidé de faire confiance
à ces institutions financières.
Contrairement à ce que soutient la demande-
resse, je ne crois pas que l'une ou l'autre de ces lois
visait à offrir une indemnité pour le genre de perte
qu'elle a subie. En réalité, la demanderesse a
conclu deux opérations commerciales distinctes.
La première était l'achat d'un placement en jan-
vier 1982, c'est-à-dire l'acquisition d'une part dans
un prêt hypothécaire. Cette opération est attestée
par le contrat de participation à un prêt hypothé-
caire, dont le paragraphe 2.1 se lit comme suit:
[TRADUCTION] 2.1 Le prêteur accorde à chacun des partici
pants et ces derniers acceptent par les présentes, sous réserve
des conditions du présent contrat et de l'engagement hypothé-
caire, une participation à un prêt hypothécaire. Chacun des
participants s'engage envers le prêteur à fournir la partie du
prêt hypothécaire indiquée en regard de son nom ci-dessous:
PARTICIPANT PARTIE DU PRÊT
RE IT
3 000 000 $
Saskatchewan 4 000 000 $
Nova Scotia 3 000 000 $
Le prêteur s'engage envers les participants à fournir la partie
du prêt hypothécaire indiquée ci-dessous:
PRÊTEUR PARTIE DU PRÊT
MIC 5 000 000 $
La deuxième opération était la vente de ce
placement en 1984 la Banque Commerciale du
Canada selon des conditions négociées quant au
prix, à la date de paiement du prix d'achat et aux
intérêts. Cette opération est attestée dans le con-
trat de cession qui se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] 1. Nova Scotia et Saskatchewan cèdent et
transportent par les présentes à la Banque la totalité de leur
participation au prêt hypothécaire et au contrat de participa
tion à un prêt hypothécaire.
2. Le présent transfert de participation entre en vigueur le 8
juin 1984.
3. En contrepartie de la cession par Nova Scotia et Saskatche-
wan de leur participation audit prêt hypothécaire et audit
contrat de participation à un prêt hypothécaire, la Banque
s'engage à payer ce qui suit:
a) À Saskatchewan Co-operative Credit Society Limited,
la somme de DEUX MILLIONS, NEUF CENT CINQUANTE-
TROIS MILLE, DEUX CENT SOIXANTE ET ONZE DOL
LARS ET 28 CENTS (2 953 271,28 $), exigible le 8 juillet
1986, sans intérêt.
b) À Nova Scotia Savings & Loan Company, la somme de
DEUX MILLIONS, DEUX CENT QUATORZE MILLE, SIX
CENT SOIXANTE-DIX-SEPT DOLLARS ET 54 CENTS
(2 214 677,54 $), exigible le 8 juillet 1986, sans intérêt.
À l'instar des défendeurs, je reconnais qu'au-
cune de ces opérations ne comporte d'indice d'un
dépôt, selon le sens donné à ce mot en common law
ou dans les textes législatifs.
En ce qui a trait à la première opération, lorsque
la demanderesse a avancé de l'argent à la Banque
Commerciale du Canada conformément aux con
ditions du contrat de participation à un prêt hypo-
thécaire, elle n'a pas prêté de l'argent à la Banque
comme un client le fait lorsqu'il dépose de l'argent.
Elle a plutôt avancé des fonds dans le but explicite
de faire transférer cet argent aux emprunteurs. La
seule raison pour laquelle elle a avancé cet argent
à la Banque Commerciale du Canada, c'est le fait
que celle-ci agissait comme gestionnaire du prêt
hypothécaire conformément au contrat de &estion
conclu entre la Banque et la demanderesse. A mon
avis, la demanderesse n'a pas avancé de fonds à la
Banque pour que celle-ci les conserve ou les
«détienne» pour elle; elle n'a fait que remplir son
obligation en vertu du contrat de participation à
un prêt hypothécaire. En outre, la demanderesse
ne s'attendait pas à recevoir des intérêts de la
Banque Commerciale du Canada. Les intérêts
acquis devaient provenir directement des emprun-
teurs.
En ce qui a trait à la deuxième opération, je suis
d'avis qu'elle n'est rien de plus que la vente d'un
élément d'actif par la demanderesse. Dans le but
de protéger son investissement, la demanderesse a
décidé de céder à la Banque Commerciale du
Canada ses droits dans le contrat de participation
à un prêt hypothécaire, en échange d'un billet à
ordre.
Il convient également de souligner que l'un des
critères d'un dépôt, selon le sens attribué à ce mot
dans les textes législatifs, c'est l'obligation pour
l'institution financière de rembourser l'argent.
Dans le présent litige, il serait inapproprié de dire
que l'obligation de la Banque Commerciale du
Canada envers la demanderesse est une obligation
de rembourser de l'argent. Le billet à ordre que la
Banque a émis en faveur de la demanderesse ne
représente pas une obligation de rembourser de
l'argent. Il représente plutôt l'obligation de la
Banque de verser un paiement à l'égard de certains
éléments d'actif, en l'occurrence, les droits et par-
ticipations de la demanderesse au contrat de parti
cipation à un prêt hypothécaire que la Banque a
achetés en juin 1984.
En conséquence, je ne puis en arriver à la con
clusion que la Banque Commerciale du Canada a
reçu de l'argent de la demanderesse lorsqu'elle a
acheté les droits et participations de celle-ci au
contrat de participation à un prêt hypothécaire. Le
billet à ordre que détenait la demanderesse n'est
pas la preuve d'un dépôt, mais plutôt la preuve
d'une dette impayée à la suite de la vente par la
demanderesse d'un élément d'actif à la Banque
Commerciale du Canada.
Pour les motifs exposés ci-dessus, l'action de la
demanderesse est rejetée. Les défendeurs ont droit
à leurs dépens.
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