T-1627-82
Le chef Roy Whitney fils, Bradford Littlelight,
Tom Runner, Bruce Starlight, Alex Crowchild,
Peter Manywounds fils, Gilbert Crowchild, Sidney
Starlight et Gordon Crowchild en leur propre nom
et au nom des membres de la Bande des Sarcis et
ladite bande indienne des Sarcis (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(défenderesse)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE DES SARCIS C. CANADA (1 1e
INST.)
Section de première instance, juge Addy—
Vancouver, 15 janvier; Ottawa, 9 février, 1990.
Pratique — Preuve — Commission rogatoire — Ordonnance
protectrice — La défenderesse a obtenu la déposition, par voie
de commission rogatoire, de trois témoins assez âgés pour
s'assurer que cette déposition soit disponible au moment du
procès au cas où l'un d'eux mourrait avant l'instruction —
Déposition relative à des négociations orales entamées il y a 40
ans — Chaque partie conclut à une ordonnance en vue de
déterminer si la bande magnétoscopique et la transcription des
témoignages peuvent être divulguées et utilisées par les parties
et si oui, dans quelle mesure — Puisque les parties ont le droit
d'être présentes à toute procédure en tout temps avant et
durant le procès, l'usage général veut que les dépositions prises
au cours d'une commission rogatoire doivent être divulguées
avant le procès à toutes les parties — S'il est devenu néces-
saire d'obtenir une déposition par voie de commission roga-
toire, c'est en raison du retard des demandeurs — Les deman-
deurs ont le droit d'obtenir une photocopie de la transcription
et d'examiner et de reproduire les bandes magnétoscopiques —
Comme 1) les demandeurs ne devraient normalement avoir
accès à la déposition des témoins cités par la défense qu'au
moment de l'instruction de leur cause; 2) comme la défense
pourrait s'abstenir de citer des témoins au procès 3) et comme
la crédibilité entrerait en ligne de compte, les dépositions par
commission rogatoire seront scellées avant d'être produites —
Les avocats des demandeurs doivent s'abstenir de discuter avec
leurs clients du contenu des dépositions données au cours de la
commission rogatoire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
477(2).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Smith et al v. Greey et a1 (1885), 11 P.R. 238; Wessels v.
Wessels (1941), 56 B.C.R. 239; [1941] 3 D.L.R. 528;
[1941] 2 W.W.R. 629 (C.S.).
AVOCATS:
G. B. Gomery pour les demandeurs.
Dogan D. Akman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Nathanson, Schachter & Thompson, Vancou-
ver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: Trois témoins ont déposé par
voie de commission rogatoire en l'espèce. La
défenderesse était d'avis que leur déposition serait
importante pour la défense et elle voulait en pren-
dre connaissance afin de s'assurer que la déposi-
tion de ces témoins soit disponible au moment du
procès au cas où l'un d'eux mourrait avant que
l'affaire ne puisse être instruite, puisqu'ils étaient
témoins d'événements survenus environ quarante
ans auparavant et qu'ils étaient tous âgés.
Je suis saisi de deux requêtes, l'une présentée au
nom des demandeurs et l'autre au nom de la
défenderesse, sollicitant toutes deux une ordon-
nance en vue de déterminer si la bande magnétos-
copique et la transcription des témoignages peu-
vent être divulguées et utilisées par les demandeurs
au cours du procès et si oui, dans quelle mesure.
L'avocat de la défenderesse demande en fait
qu'aucun élément de cette preuve ne soit divulgué
à l'un ou l'autre des demandeurs ou à leurs
témoins. L'avocat des demandeurs prétend quant à
lui qu'il a le droit d'exiger la divulgation de tous
les éléments de preuve et d'en discuter avec ses
clients et les témoins avant le procès. D'un
commun accord, les deux requêtes ont été enten-
dues simultanément puisqu'elles portaient essen-
tiellement sur le même objet.
Je suis parfaitement au courant de la décision
anglaise Smith et al v. Greey et al (1885), 11 P.R.
238, qui avait ordonné la divulgation de tous les
éléments de preuve et avait été suivie en Colombie-
Britannique dans l'affaire Wessels v. Wessels
(1941), 56 B.C.R. 239; [1941] 3 D.L.R. 528;
[1941] 2 W.W.R. 629 (C.S.), que l'on m'a citée. Il
importe de remarquer que dans l'affaire Wessels,
la déposition par voie de commission rogatoire a
été prise en l'absence de la demanderesse ou de son
mandataire comparaissant en son nom parce
qu'elle n'avait pas les moyens de recourir aux
services d'un tel mandataire. Par conséquent, ni la
demanderesse ni son avocat n'avaient la moindre
idée de ce que contenait la déposition par voie de
commission rogatoire. Ni l'affaire Wessels (préci-
tée) ni l'affaire Smith v. Greey (précitée) n'ont
laissé entendre que la crédibilité ou la mémoire des
témoins était en litige.
En l'espèce, il est non seulement allégué mais il
semble y avoir une forte possibilité que la crédibi-
lité de différents témoins et la fidélité de leur
mémoire soient une question des plus importantes
que devra trancher le juge de première instance
puisque sa décision sera nécessairement fondée sur
ce qui aurait été dit et négocié oralement il y a
environ quarante ans. Il s'agit en outre d'un
recours collectif auquel chaque membre de la
bande indienne des Sarcis est partie et plusieurs
d'entre eux témoigneront probablement en se rap-
pelant ce qui s'est passé au cours des négociations.
Selon l'usage général en Angleterre et au
Canada, les dépositions prises au cours d'une com
mission rogatoire doivent être divulguées avant le
procès à toutes les parties pour que celles-ci les
utilisent si elles le jugent à propos. Cette obligation
découle de la règle selon laquelle les parties ont le
droit d'être présentes à toute procédure en tout
temps avant et durant le procès: il s'agit d'une
règle salutaire qui devrait généralement être
suivie. Cependant, comme c'est le cas pour la
plupart des règles de procédure établies par la
jurisprudence, il peut y avoir des circonstances
exceptionnelles où une saine administration de la
justice exige qu'on prévoie des exceptions.
Comme il a été dit, quarante ans se sont écoulés
depuis que le droit d'action a pris naissance et il
est devenu nécessaire d'obtenir une déposition par
voie de commission rogatoire en raison du retard
des demandeurs. Ces derniers ont tardé non seule-
ment à intenter l'action mais à y donner suite: la
déclaration a été produite en 1982 et l'affaire est
loin d'être prête à être instruite.
L'avocat des demandeurs était présent au cours
de la commission rogatoire et il a bien sûr le droit
d'obtenir une photocopie de la transcription et
d'examiner et de reproduire les bandes magnétos-
copiques s'il le désire.
Il peut également se servir de sa connaissance
des éléments de preuve à titre de guide au cours
des interrogatoires préalables. La Règle 477(2)
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]
qui porte sur les ordonnances préalables au procès
ou à l'action en vue de l'utilisation des éléments de
preuve à l'instruction dispose:
Règle 477. .. .
(2) La Cour pourra, par la même ordonnance ou une ordon-
nance subséquente, donner toutes autres instructions qui parais-
sent raisonnables relativement aux temps et lieu de l'interroga-
toire, à la façon d'y procéder, à la comparution des témoins et à
la production de pièces lors de cet interrogatoire, et à toutes les
questions qui s'y rattachent.
Les témoins qui ont déposé lors de la commis
sion rogatoire ont été cités pour le compte de la
défenderesse. Les demandeurs ne devraient norma-
lement avoir accès à leurs témoignages qu'au
moment de l'instruction de leur cause. En outre, la
défenderesse pourrait très bien décider au moment
du procès de s'abstenir de les citer.
Pour les motifs susmentionnés et surtout parce
que la crédibilité entrerait en ligne de compte dans
la plupart des questions importantes qui devront
être tranchées par la Cour, et qu'il y aurait fort
probablement une ordonnance excluant les
témoins, j'ai l'intention de rendre une ordonnance
protectrice régissant les dépositions par voie de
commission rogatoire. En vertu de cette ordon-
nance, une fois que les copies de la transcription et
de la bande magnétoscopique originale auront été
transmis aux avocats qui en font la demande, les
dépositions par commission rogatoire seront scel-
lées avant d'être produites, avec une note indi-
quant que les scellés ne pourront être levés sans
une autre ordonnance de cette Cour. Les avocats
des demandeurs ne pourront directement ou indi-
rectement divulguer à leurs clients ou à toute
personne autre que des experts qu'ils pourraient
vouloir consulter et peut-être citer comme témoins
la substance ou le contenu des dépositions données
au cours de la commission rogatoire ni en discuter
avec ces personnes. Les experts qui seront consul
tés doivent également savoir que la Cour leur
interdit de communiquer quelque élément que ce
soit de la preuve à toute autre personne sans une
autre ordonnance de ladite Cour.
Puisqu'il n'y a pas de droit de propriété sur
quelque témoin que ce soit, même éventuel, il va
sans dire qu'il ne faut pas interpréter cette ordon-
nance comme si elle interdisait aux mandataires
des parties de consulter l'un des trois témoins qui
ont déposé lors de la commission rogatoire ou de
communiquer à toute autre personne le contenu de
cette consultation.
Puisque les deux requêtes dont je suis saisi sont
accueillies en partie, les dépens suivront l'issue de
la cause.
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