A-1190-88
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Patrick Francis Ward (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. WARD (C.A.)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et MacGuigan,
J.C.A.—Toronto, 8 février; Ottawa, 5 mars 1990.
Immigration — Statut de réfugié — L'intimé, originaire de
l'Irlande du Nord et ancien membre de la Irish National
Liberation Army (INLA) réclame le statut de réfugié au sens
de la Convention — La INLA a prononcé contre lui une
sentence de mort pour avoir aidé des otages à s'échapper — La
INLA est-elle un «groupe social» au sens de la définition de
l'expression «réfugié au sens de la Convention» dans la Loi? —
La crainte d'être persécuté doit-elle être inspirée par l'État?
— Le demandeur de statut est-il citoyen du Royaume-Uni? —
Obligation d'établir la nationalité — Le demandeur de statut
a-t-il établi qu'il ne pouvait se réclamer de la protection
d'aucun des pays dont il a la nationalité?
L'intimé, natif de l'Irlande du Nord (et conséquemment
considéré citoyen du Royaume-Uni et de la république d'Ir-
lande) s'est joint à la Irish National Liberation Army (INLA),
un organisme paramilitaire illégal qui s'était séparé de la IRA.
Désigné par la INLA pour surveiller deux otages, l'intimé,
tracassé par sa conscience, les a aidés à s'échapper. Il est rentré
en Irlande du Nord puis il est retourné dans la république
d'Irlande pour assister à un mariage, et il a été enlevé par la
INLA. Après avoir été torturé et condamné à mort, l'intimé
s'est évadé et a demandé protection à la police. Celle-ci a fait
hospitaliser l'intimé pour traitement de ses blessures consécuti-
ves à la torture, mais elle l'a arrêté pour complicité dans la
séquestration des otages. Après avoir purgé la plus grande
partie d'une peine d'emprisonnement de trois ans, l'intimé a été
relâché et la police l'a aidé à se rendre au Canada. Le ministre
a déterminé que l'intimé n'était pas un réfugié au sens de la
Convention, mais la Commission a accueilli la demande de
réexamen. Le procureur général a demandé l'annulation de
cette décision.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Urie, J.C.A. (le juge Marceau, J.C.A., souscrit à ces
motifs): (1) C'est à tort que la Commission a conclu que
l'intimé appartenait à un «groupe social» auquel s'appliquait la
définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de
1976. L'appartenance à la INLA ne justifie pas la revendica-
tion du statut de réfugié fondée sur la crainte provoquée par les
actions d'un membre du groupe contraires aux intérêts du
groupe, ces intérêts étant eux-mêmes opposés au bien de l'État.
Une crainte suscitée par le groupe lui-même et non par l'État
ne peut servir de fondement à la prétention qu'il y a
persécution.
(2) Bien que la Commission n'ait pas commis d'erreur en
concluant que l'incapacité du demandeur de statut à se récla-
mer de la protection de son pays et l'incapacité de l'État à lui
fournir une protection efficace étaient étroitement liées, c'est à
tort que la Commission a conclu que la preuve du manque de
protection créait la présomption de la vraisemblance de la
persécution et du bien-fondé de la crainte ressentie. Une telle
détermination ne pouvait se faire qu'après avoir apprécié et
soupesé les éléments de preuve. Le demandeur de statut doit
établir que l'État ne peut le protéger contre la persécution qu'il
redoute.
(3) La Commission a commis une erreur en ne se penchant
pas sur la question de la citoyenneté du Royaume-Uni et en
concluant que l'intimé n'était citoyen que de l'Irlande du Nord
et de la république d'Irlande. Le demandeur du statut de
réfugié doit établir qu'il ne peut ou ne veut se réclamer d'aucun
des pays dont il a la nationalité, et ce défaut est fatal à la
conclusion de la Commission que l'intimé a statut de réfugié au
sens de la Convention. La nationalité de l'intimé était d'une
extrême importance. Le droit de l'intimé de vivre dans le pays
dont il a la nationalité n'est devenu important que lorsqu'il s'est
agi pour lui de prouver, comme il y était tenu, son incapacité à
se réclamer du pays dont il a la nationalité. La Commission a
commis une erreur en imposant à la Couronne l'obligation
d'établir le droit de l'intimé à la nationalité du Royaume-Uni
ou son droit d'y vivre. Le paragraphe 8(1) impose le fardeau de
la preuve à la personne désireuse d'entrer au Canada.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (motifs dissidents mais concor-
dants en partie quant au résultat): (1) La Commission n'a pas
commis d'erreur en concluant que l'intimé appartenait à un
groupe social au sens de la définition de la Loi. L'argument du
requérant voulant que l'expression «groupe social» soit présu-
mée exclure les groupements terroristes afin que le Canada ne
devienne pas un refuge pour les terroristes était trop absolu. Le
point de départ de la définition est son élément personnel. C'est
le rapport entre la personne concernée et le groupe qui est en
jeu, et non un concept abstrait du groupe pris de façon absolue.
Les décisions de la Commission sur lesquelles le requérant s'est
appuyé ont été rendues dans des affaires où le demandeur de
statut n'était pas évidemment repentant. L'intimé s'était tourné
contre le terrorisme et il ne devrait pas se voir automatique-
ment refuser le statut de réfugié au sens de la Convention parce
que l'organisme auquel il a appartenu était un groupement
terroriste. Le groupe social visé en l'espèce devrait être consi-
déré comme comprenant ceux qui se sont détournés de la
INLA.
(2) La Commission n'a pas commis d'erreur dans son inter-
prétation de la définition de la persécution, tenant compte du
libellé de la loi, de l'absence de décisions canadiennes décisives
faisant jurisprudence et du poids des sources doctrinales inter-
nationales. La définition de «réfugié au sens de la Convention»
au paragraphe 2(1) n'implique pas nécessairement la compli-
cité de l'État. L'interprétation de la Commission n'était pas
contraire à l'alinéa 3g) de la Loi visant les obligations légales
du Canada sur le plan international et sa traditionnelle attitude
humanitaire.
(3) La Commission a commis une erreur de droit en ne se
demandant pas si l'intimé avait établi qu'il ne pouvait pas se
réclamer de la protection d'aucun des pays dont il avait la
nationalité. Il ressort clairement de la définition de «réfugié au
sens de la Convention» au paragraphe 2(1) que celui qui
revendique le statut de réfugié doit ne pouvoir ni vouloir se
réclamer de la protection d'aucun des pays dont il a la nationa-
lité. Le paragraphe 8(1) impose au demandeur de statut l'obli-
gation de prouver son droit d'entrer au Canada. La conclusion
qu'un État démocratique est incapable de protéger ses citoyens
contre les éléments subversifs ne saurait être tirée à la légère, et
on ne doit y parvenir qu'en attribuant correctement le fardeau
de la preuve.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet
1951, Genève, 189 R.T.N.U. 137, Article 1.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21,
art. 33(2).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 28(1)c).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 2(1), 3g), 4(2) (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art.
3), 8(1), 19(1)c),d),e),f),g), 46(1) (mod. par L.C.
1988, chap. 35, art. 14), (3) (mod., idem).
Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act
1974, 1974, chap. 56 (R.-U.).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Re Naredo et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1981), 130 D.L.R. (3d) 752 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.); Surujpal c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration (1985), 60 N.R. 73
(C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ward c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48 (C.A.I.); Lazo -Cruz,
80-6004, 16-1-80 (C.A.I.) non publiée; Naredo, 80-9159,
20-11-80 (C.A.I.) non publiée; inf. par (1981), 130
D.L.R. (3d) 752 (C.A.F.); St. Gardien Giraud, 81-9669,
20-3-86 (C.A.I.), non publiée.
DOCTRINE
Shorter Oxford English Dictionary, 3 0 éd., Oxford: Cla-
rendon Press, 1968, asocial».
Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à
appliquer pour déterminer le statut de réfugié au
regard de la Convention de 1951 et du Protocole de
1967 relatifs au statut des réfugiés (Genève, septem-
bre 1979).
AVOCATS:
Roslyn J. Levine pour le requérant.
Peter Rekai pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Rekai & Johnson, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE, J.C.A.: Le procureur général du
Canada recherche, par cette demande fondée sur
l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2° Supp.), chap. 10], l'annulation de la décision
en date du 2 décembre 1988 [Ward c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988),
9 Imm. L.R. (2d) 48] par laquelle la Commission
d'appel de l'immigration («la Commission») a
conclu que l'intimé était un réfugié au sens de la
Convention.
Les parties sont en grande partie d'accord sur
les faits importants et pertinents à l'espèce, mais
vu leur importance pour la décision rendue, il y a
lieu de les exposer de façon assez détaillée.
L'intimé est né et a résidé à' Londonderry
(Irlande du Nord). Vu cela, il semblerait qu'il soit
considéré comme ayant la nationalité aussi bien du
Royaume-Uni, dont fait indiscutablement partie
l'Irlande du Nord, et de la république d'Irlande. Il
a témoigné qu'il peut être détenteur d'un passeport
délivré par l'un ou l'autre ou l'un et l'autre des
deux pays, bien que le passeport en sa possession
lors de son admission au Canada eût été délivré
par la république d'Irlande.
Les rapports entre la Irish National Liberation
Army («INLA») et l'intimé ont pris naissance en
janvier 1982, mais il n'en est devenu officiellement
membre qu'en 1983. Selon la déposition de l'in-
timé, la INLA est un organisme paramilitaire
assujetti à une stricte discipline, qui veut notam-
ment que [TRADUCTION] «une fois membre, vous
l'êtes pour la vie»'. Le membre qui ne «suit pas les
diktats» sera «descendu parce qu'il constitue un
danger pour la sécurité de l'organisme» 2 . L'intimé
a décrit la INLA de la façon suivante 3 .
1 Dossier, vol. 2, p. 123.
2 Ibid.
3 Ibid.
[TRADUCTION] Q. Vous avez qualifié la INLA d'organisme
paramilitaire.
R. Oui.
Q. Comment est-elle constituée?
R. Sa constitution est celle d'un groupe qui s'est détaché de
la IRA provisoire.
Q. Ça n'est pas ce que je veux dire, je veux dire comment
était-elle structurée? Quelle était sa structure? Vous
devez avoir une hiérarchie quelconque.
R. Sa structure a pour point de départ un conseil militaire.
Q. Un conseil militaire.
R. Au sommet. Puis, en descendant, se trouvent les sections,
les bataillons, il y a des centaines de membres qui font
tous partie de cet organisme. Il y a des grades, comme
dans l'armée: des colonels, des sergents, des lieutenants et
tout le reste parce que c'est un organisme militaire.
Q. Une discipline y est-elle associée?
R. Une stricte discipline.
Q. Quel genre de discipline?
R. La discipline veut qu'une fois membre, vous l'êtes pour la
vie. Et si quelqu'un s'écarte de ces lignes de démarcation,
la seule solution est de l'assasiner, de s'en débarasser.
Q. Ainsi donc, qu'arrive-t-il au membre qui rompt les rangs?
R. Il sera descendu. Parce qu'il constitue un danger pour la
sécurité de l'organisme. Ils ont leur propre service de
renseignement, leurs sympathisants de l'extérieur qui
recueillent et fournissent continuellement des renseigne-
ments.
La preuve révèle aussi qu'avant d'être membre
de la INLA, l'intimé avait été reconnu coupable en
1982 de possession d'armes à feu, de complot
visant à transporter illégalement des objets en
Irlande du Nord, et aussi d'avoir contribué à des
actes de terrorisme.
Peu après son adhésion à la INLA, l'intimé a
reçu la tâche de garder deux otages de la INLA,
qui étaient le beau-père et la soeur âgée de sept ou
huit ans d'un membre emprisonné de la INLA
dont celle-ci redoutait qu'il ne devienne mouchard,
c'est-à-dire un indicateur et un témoin du minis-
tère public en échange d'une nouvelle identité et de
son départ du pays. Il se fait que le membre de la
INLA emprisonné ne s'est pas rétracté et que les
otages ont été condamnés à mort par la INLA.
Puisque l'intimé [TRADUCTION] «ne pourrait faire
taire sa conscience s'il permettait que cela se pro-
duise» 4 , il a aidé les otages à s'enfuir au milieu de
4 Dossier, vol. 2, p. 126 et 127.
la nuit pendant son quart. Il les a conduits à un
poste de police voisin, où il les a laissés, puis il a
repris son quart. Peu après son retour, la police est
arrivée, elle a cerné l'endroit mais au cours de la
fusillade qui a suivi tous les membres de la INLA
se sont échappés, y compris l'intimé.
Deux jours plus tard, l'intimé a été arrêté par la
police dans la république d'Irlande. Il a été détenu
pendant deux jours, questionné sur la prise des
otages, puis libéré, après quoi il est retourné en
Irlande du Nord.
Un mois plus tard, il a été enlevé par la INLA
lorsqu'il assistait à un mariage en république d'Ir-
lande et il a été accusé d'avoir délibérément relâ-
ché les otages. Il a été détenu pendant deux jours
et trois nuits pendant lesquels il a été torturé,
traduit devant une cour martiale et condamné à
mort. Il a réussi à s'enfuir et il a demandé protec
tion à la police de la république d'Irlande, qui a
pris des mesures en vue de son hospitalisation pour
traitement de ses blessures attribuables à la tor
ture. Il a alors été arrêté pour complicité dans la
détention des deux otages susmentionnés. Peu
après, son épouse et ses deux enfants ont été
kidnappés par la INLA et détenus pendant dix
jours jusqu'à ce que l'intimé puisse assurer à cette
dernière qu'il n'allait pas «moucharder» au sujet de
l'enlèvement des autres otages.
Il s'est reconnu coupable de séquestration et il a
été condamné à une peine d'emprisonnement de
trois ans, dont il a purgé deux ans et neuf mois, à
sa demande et pour sa protection, en cellule d'iso-
lement dans une prison non politique. Juste avant
d'être relâché, il a demandé au chapelain de la
prison de l'aider à assurer sa protection contre les
membres de la INLA au moment de sa libération.
Le chapelain, avec l'assistance d'un policier au
courant de son affaire, a obtenu un passeport de la
république d'Irlande pour l'intimé, aussi bien que
des billets d'avion pour le Canada et un peu d'ar-
gent. L'intimé et sa famille ont été gardés par la
police irlandaise au cours des deux jours qui ont
précédé le départ de l'intimé pour Toronto, où il a
cherché à entrer en qualité de visiteur le 19 décem-
bre 1985. Il y est encore, a un emploi et sa famille,
qui réside encore en Irlande, lui rend visite chaque
année.
L'intimé a fait l'objet d'une enquête en mai
1986, qui a été ajournée pour lui permettre de
présenter sa revendication du statut de réfugié.
Après que le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion eut conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens
de la Convention, l'intimé a déposé auprès de la
Commission une demande de réexamen de sa
revendication. La Commission, dans une décision
unanime, a accueilli la demande de réexamen et a
conclu que l'intimé était un réfugié au sens de la
Convention. C'est de cette décision qu'interjette
appel le requérant, le procureur général du
Canada, par voie de demande fondée sur
l'article 28.
Je vais traiter des questions comme elles sont
exposées dans l'exposé des faits et du droit du
requérant, suivant l'ordre qui leur est donné dans
ce document.
QUESTION I
La Commission a-t-elle commis une erreur de
droit en omettant de se demander si la INLA était
un «groupe social» au sens de la définition de
l'expression «réfugié au sens de la Convention» au
paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de
1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] ?
Voici le libellé de cette définition, comme il se
lisait à l'époque concernée:
2. (1) ...
«réfugié au sens de la Convention« désigne toute personne qui,
craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de
sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
groupe social ou de ses opinions politiques
a) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut
ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays, ou
b) qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays
dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en
raison de ladite crainte, ne veut y retourner;
À l'audience tenue devant un agent d'immigra-
tion supérieur relativement à sa revendication, l'in-
timé a déclaré qu'il craignait d'être persécuté du
fait de son appartenance à un groupe social, à
savoir, la INLA. La première question à élucider
est donc celle de savoir si la INLA, en qualité
d'organisme paramilitaire illégal, qui selon la
preuves, a pour but l'unification de l'Irlande et la
5 Dossier, vol. 2, p. 18.
cessation de l'immixtion de la Grande-Bretagne
dans les affaires de l'Irlande du Nord, peut être
considérée comme étant un «groupe social» aux
fins de déterminer si une personne est un réfugié
au sens de la Convention au sens de la Loi.
La Commission n'a pas étudié précisément cette
question, acceptant, semble-t-il, que c'était «du fait
de son appartenance» à la INLA, en tant que
groupe social, que l'intimé craignait avec raison
d'être persécuté, d'où son incapacité ou sa répu-
gnance à se prévaloir de la protection du pays dont
il avait la nationalité. Conséquemment, convenant
que la INLA était «un groupe social», la Commis
sion s'est lancée à la recherche de la nationalité de
l'intimé, pour arriver à déterminer de quel ou quels
pays ce dernier pouvait réclamer la protection, et
elle a conclu que, bien qu'il fût clairement citoyen
de l'Irlande du Nord et de la république d'Irlande,
«aucune preuve n'a été produite devant la Commis
sion pour établir que le demandeur est également
un citoyen du Royaume-Uni» 6 . Je traiterai plus
loin dans mes motifs de cette conclusion claire-
ment erronée.
J'en arrive maintenant à la signification des
mots «groupe social». L'avocate du requérant a
soutenu que la définition de cette expression ne
peut être déterminée que par le contexte et l'objet
de la Loi, en fonction des obligations internationa-
les du Canada. L'avocate du requérant a souligné
que l'alinéa 3g) 7 de la Loi reconnaît la nécessité
pour le Canada «de remplir, envers les réfugiés, les
obligations légales du Canada sur le plan interna
tional et de maintenir sa traditionnelle attitude
humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou
persécutées». Pour qu'il y ait conformité avec l'ob-
jectif humanitaire de la Loi, les groupes qui cher-
chent par des actes de terrorisme à promouvoir
leur fin, en l'espèce le renversement de l'autorité
dûment constituée, devraient être exclus des grou-
pes sociaux qui répondent à la définition de réfugié
6 Dossier, vol. 4, p. 446.
3. Il est, par les présentes, déclaré que la politique d'immi-
gration du Canada, ainsi que les règles et règlements établis en
vertu de la présente loi, sont conçus et mis en oeuvre en vue de
promouvoir ses intérêts sur le plan interne et international, en
reconnaissant la nécessité
g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du
Canada sur le plan international et de maintenir sa tradi-
tionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes
déplacées ou persécutées;
au sens de la Convention. Agir autrement, a sou-
tenu l'avocate du requérant, ce serait faire du
Canada un havre pour ceux qui ont admis avoir
commis des actes de terrorisme, y avoir participé
ou apporté leur sympathie dans d'autres pays,
qu'ils désavouent ou non leur appui aux terroristes.
En tout état de cause, a-t-on fait valoir, ce sont les
actions de l'intimé lorsqu'il faisait partie du groupe
visé et les conséquences de ces actions qui étaient à
la source de sa crainte d'être persécuté, et non son
appartenance, au groupe en question.
Pour ce qui est du dernier argument, comme je
l'ai dit dans des motifs concourants dans l'arrêt Re
Naredo et Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tions au sujet d'un argument semblable mais non
identique, dont découlent deux questions:
a) une telle crainte est-elle fondée, et
b) si elle l'est, existe-t-elle du fait de la race, de
la religion, de la nationalité, de l'appartenance à
un groupe social ou des opinions politiques de
celui qui éprouve cette crainte?
Pour répondre à ces questions, la Commission
est 'tenue de prendre des conclusions de fait et d'en
arriver à des inférences à partir des faits établis en
preuve. En l'espèce, la Commission a conclu que
subjectivement, l'intimé craint pour sa sécurité s'il
devait retourner en république d'Irlande ou au
Royaume-Uni. (On traitera plus tard de la ques
tion de savoir s'il existait des preuves à l'appui de
la conclusion relative à la crainte du requérant
d'être renvoyé au Royaume-Uni.) Il se peut qu'ob-
jectivement parlant, il existe quelque motif justi-
fiant ces craintes tout au moins en ce qu'elles ont
trait soit à la république d'Irlande, soit à l'Irlande
du Nord.
La prochaine question que propose l'arrêt
Naredo, précité, consiste à savoir si la crainte du
requérant procède de son appartenance à un
groupe social, la INLA? Il ressort clairement de la
preuve que sa crainte directe et immédiate ne
provient pas de son appartenance au groupe mais
de l'arrêt de mort prononcé contre lui par la cour
martiale de la INLA. Bien que le geste qu'il a posé
en relâchant les otages ait conduit à sa comparu-
tion devant une cour martiale, c'est son apparte-
8 (1981), 130 D.L.R. (3d) 752 (C.A.F.), à la p. 754.
nance à la INLA qui est à la source de la convoca
tion de la cour martiale. Bien que l'avocate du
requérant ait certainement en partie raison dans
son dernier argument, les actes dictés par la cons
cience de l'intimé auraient été inutiles n'était-ce de
son appartenance à la INLA. Ce qui nous amène
évidemment à la question de savoir si la INLA est
un des groupes sociaux visés dans la définition que
donne la Loi de l'expression réfugié au sens de la
Convention, question restée sans réponse.
L'avocat de l'intimé s'est montré d'avis que tout
organisme raisonnablement définissable engagé
dans des activités politiques peut être inclus dans
la définition visée. Si tel est le cas, je comprends
difficilement pourquoi il était nécessaire d'inclure
dans la définition la mention «un groupe social»
alors que les mots «opinions politiques» font partie
de la définition. Être engagé dans des activités
politiques semble supposer l'existence d'«opinions
politiques» à moins qu'une personne au service de
ceux qui ont des opinions politiques n'en ait pas
elle-même, aucune preuve en ce sens existant en
l'espèce. En outre, les sources citées par l'avocat de
l'intimé à l'appui de sa proposition n'étaient pas
convaincantes. Plus utile était le commentaire
figurant au Guide des procédures et critères à
appliquer pour déterminer le statut de réfugié au
regard de la Convention de 1951 et du Protocole
de 1967 relatifs au statut des réfugiés publié par
le Haut Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés en 1979, («le Guide»). Le Guide définit de
la façon suivante l'appartenance à un certain
groupe social [à la page 20]:
77. Par «un certain groupe social», on entend normalement
des personnes appartenant à un groupe ayant la même origine
et le même mode de vie ou le même statut social. La crainte
d'être persécuté du fait de cette appartenance se confondra
souvent en partie avec une crainte d'être persécuté pour d'au-
tres motifs, tels que la race, la religion ou la nationalité.
78. L'appartenance à un certain groupe social peut être à
l'origine de persécutions parce que les prises de position politi-
que, les antécédents ou l'activité économique de ses membres,
voire l'existence même du groupe social en tant que tel, sont
considérés comme un obstacle à la mise en oeuvre des politiques
gouvernementales.
79. Normalement, la simple appartenance à un certain
groupe social ne suffira pas à établir le bien-fondé d'une
demande de reconnaissance du statut de réfugié. Il peut cepen-
dant y avoir des circonstances particulières où cette simple
appartenance suffit pour craindre des persécutions. [C'est moi
qui souligne.]
Il découle implicitement de ce qui précède que
la persécution imputable à l'appartenance à un
groupe doit procéder de ses activités considérées
comme un danger possible pour le gouvernement.
Les activités de la INLA sont clairement contrai-
res aux intérêts du gouvernement de l'Irlande du
Nord et du Royaume-Uni. Mais la simple apparte-
nance à un groupe ne justifie pas, en elle-même, la
revendication du statut de réfugié. A plus forte
raison, l'appartenance ne justifie pas la revendica-
tion du statut de réfugié fondée sur la crainte
découlant d'actes commis par un membre du
groupe qui sont contraires aux intérêts du groupe,
les intérêts de ce dernier étant eux-mêmes contrai-
res au salut public. Ces intérêts s'excluent l'un
l'autre.
Le Shorter Oxford English Dictionary donne
notamment du mot «social» cette définition:
[TRADUCTION] 1. Capable de s'associer ou de s'unir à
d'autres;
2. Associé, allié, réuni.
Bien que, si l'on se fonde sur cette définition, il
ne fasse aucun doute que la INLA, composée
comme elle l'est de personnes qui sont «associées,
alliées, réunies», est un groupe social, s'agit-il du
genre de groupe social dont l'appartenance justifie
la conclusion qu'une personne craint avec raison
d'être persécutée?
À mon sens, si la crainte procède du groupe
lui-même et ne vient pas de l'État, qu'il s'agisse de
la police ou d'une autre branche du gouvernement,
elle ne peut servir de fondement à la prétention
d'être persécuté. Autrement, par exemple, celui ou
celle qui fuit une faction parmi d'autres engagées
dans des activités terroristes visant à renverser le
gouvernement, par exemple, pourrait prétendre
être un réfugié, qu'il ou qu'elle ait ou non renoncé
à son opposition au gouvernement au pouvoir ou
aux activités dans lesquelles sont engagées les fac
tions ennemies. Permettre cela, ce serait, à mon
sens, aller à l'encontre des obligations du Canada
exposées dans la Loi et ne saurait se ranger dans la
catégorie des obligations humanitaires.
Je n'ai donc pas été persuadé que l'intimé, en sa
qualité de membre de la INLA, redoutant comme
il le fait d'être persécuté par cet organisme, a droit
à la protection accordée aux réfugiés véritables qui
répondent à tous les éléments de la définition de
réfugié au sens de la Convention figurant dans la
Loi. Il n'acquiert pas non plus ce droit pour avoir
agi, comme plusieurs autres anciens membres,
d'une façon que la INLA juge contraire à ses
intérêts. S'il fallait adopter un tel point de vue,
quiconque est en désaccord sur quelque sujet pour-
rait être considéré comme membre d'un groupe
social. Le simple fait d'énoncer cette proposition
en démontre l'absurdité.
QUESTION II
Même si le requérant appartient à un groupe
social, la Commission a-t-elle commis une erreur
de droit en n'appliquant pas le bon critère pour
établir si la crainte de l'intimé constitue la persé-
cution visée par la définition de «réfugié au sens de
la Convention» dans la Loi?
Deux récentes décisions de cette Cour ont traité
des facteurs appropriés dont il faut tenir compte.
Dans l'arrêt Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et •
de l'Immigration 9 , la Cour a statué que bien que
la preuve eût établi que les mauvais traitements
subis par le requérant lui avaient été infligés par
des brutes de la majorité ceylanaise et non par les
autorités gouvernementales ni par la police, cette
dernière n'a pris aucune mesure concrète pour
mettre fin aux brutalités. Le requérant avait donc .
largement justifié sa répugnance à se réclamer de
la protection du Sri Lanka, de sorte qu'il avait
satisfait à la définition de réfugié au sens de la
Convention. Dans ses motifs concordants dans l'ar-
rêt Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration (1984), 55 N.R. 129 la page 135 le
juge Stone, de la Cour d'appel, a dit ce qui suit:
De toute évidence, une personne ne peut être considérée comme
un «réfugié au sens de la Convention» seulement parce qu'elle a
subi des mauvais traitements de la part de ses concitoyens dans
son pays. Selon moi, il faut, pour satisfaire à la définition, que
la, persécution dont on se plaint ait été commise ou tolérée par
l'Etat lui-même, et qu'elle se traduise par des actes commis par
l'État contre un particulier ou par la tolérance dont l'État fait
preuve sciemment à l'égard de la conduite de certains de ses
citoyens, ou par son refus de protéger un particulier contre
cette conduite, ou son incapacité à le faire.
L'intimé prétend qu'il n'y a eu aucune persécution en l'espèce
parce que les auteurs des actes de violence dont se plaint le
requérant sont des bandes de brutes hors-la-loi et non pas l'État
lui-même. Selon lui, certains éléments de preuve démontrent
que l'État a effectivement désapprouvé ce genre de comporte-
ment et a fourni des mesures de redressement devant les
tribunaux du Sri Lanka. Cependant, je crois que nous devons
9 (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.).
examiner ce qui s'est réellement produit. Il est vrai que les actes
reprochés n'ont pas été commis par l'État ni ses représentants.
Par ailleurs, l'examen de l'ensemble de la preuve me convainc
que la police ne pouvait ou, pis encore, ne voulait pas protéger
de façon efficace le requérant contre les agressions dont il
faisait l'objet. Par conséquent, en raison de sa race et de sa
religion, le requérant ne pouvait raisonnablement s'attendre à
être protégé par une importante institution étatique contre des
agressions illégales. A mon avis, il avait des bons motifs
d'éprouver des craintes et, objectivement, ces craintes étaient
bien fondées.
Dans l'affaire Surujpal c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration" ) , un époux et une épouse
étrangers avaient réclamé le statut de réfugiés au
sens de la Convention après s'être enfuis de leur
Guyane natale. La Commission avait conclu qu'ils
n'étaient pas des réfugiés parce que la persécution
dont ils alléguaient avoir été victimes n'était pas
imputable à l'État ni à des «organes du gouverne-
ment» mais plutôt à des militants trop zélés d'un
parti politique. Le juge MacGuigan, J.C.A., qui
s'exprimait pour la Cour, a dit ce qui suit à. la page
75:
À notre avis, il n'est pas important de savoir si les forces de
l'ordre ont participé directement aux actes de violence ou non.
Ce qu'il importe de savoir, c'est si, au sens large, il y avait
complicité de la part de la police.
S'appuyant sur les deux opinions prononcées
dans l'arrêt Rajudeen, il a alors dit à la page 76:
... la complicité de l'État à l'égard de la persécution ressort
plus clairement en l'espèce, puisque les requérants et leurs
familles ont demandé l'aide de la police sans obtenir justice. Il
n'est pas nécessaire que le rôle de l'État dans la persécution soit
direct; il suffit qu'il soit indirect, dès lors que la complicité de
l'État est établie. [C'est moi qui souligne.]
La Cour a alors conclu que la décision de la
Commission était erronée en droit, et que les
requérants avaient satisfait à la définition de réfu-
gié au sens de la Convention.
Dans cette affaire, la Commission a dit ce qui
suit":
Il est évident qu'il n'y a pas de complicité de l'État dans la
persécution que craint le demandeur. La police irlandaise lui a
offert sa protection et, selon lui, la lui offrirait encore dans
l'avenir. Toutefois, la Commission est convaincue qu'étant
donné la nature de la INLA, la police et les autres autorités
gouvernementales ne pourraient assurer au demandeur une
protection efficace.
10 (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.).
' 1 Dossier, vol. 4, p. 447.
L'avocate du requérant n'a pas contesté cette
conclusion. Toutefois, en se fondant sur les arrêts
Rajudeen et Surujpal, elle a soutenu qu'il devait y
avoir pour le moins complicité de l'État pour que
la crainte entretenue soit considérée comme une
persécution justifiant la revendication du statut de
réfugié. À son sens, bien que la persécution et
l'incapacité de se réclamer de la protection de
l'État soient des éléments reliés dans la définition
de l'expression réfugié au sens de la Convention, il
faut traiter de ces deux concepts et y satisfaire de
façon indépendante. La Commission, a-t-elle
affirmé, a confondu la détermination de la persé-
cution et la protection inefficace.
Je suis d'accord avec elle. Si le demandeur de
statut «ne veut» pas se réclamer de la protection du
pays dont il a la nationalité, il en ressort implicite-
ment que sa répugnance tient à son sentiment que
l'État et ses représentants sont incapables de le
protéger contre ceux par qui il craint d'être persé-
cuté. Cette répugnance peut provenir du fait que
l'État et ses représentants sont les propres respon-
sables de la persécution redoutée, qu'ils assistent
ses auteurs de façon concrète ou qu'ils se conten-
tent de ne pas faire de cas des actes.. redoutés par le
demandeur de statut. Bien que ces exemples ne
soient pas exhaustifs, ils démontrent clairement
que si la répugnance du demandeur de statut à se
réclamer de la protection du pays dont il a la
nationalité doit justifier sa revendication du statut
de réfugié, il doit établir que l'État ne peut le
protéger contre la persécution qu'il redoute en
raison, dans les présentes circonstances, de son
ancienne appartenance à la INLA, c'est-à-dire
qu'il doit établir que ce qu'il craint est bien la
persécution au sens où la loi et la jurisprudence
entendent ce terme. Sur ce fondement, la partici
pation de l'État est une condition préalable lorsque
le demandeur de statut ne veut pas se réclamer de
la protection du pays visé.
D'autre part, le fait que le demandeur de statut
«ne peut» pas se réclamer de cette protection impli-
que littéralement, à mon sens, qu'il ne peut pas, en
raison de son incapacité matérielle à le faire,
même rechercher la protection de son État. Cela
implique des circonstances qui échappent à sa
volonté et n'est pas une notion applicable à
l'espèce.
Le dossier montre clairement chue l'intimé ne
prétend pas que la complicité de l'Etat contribue à
sa crainte de demander la protection de la police
dans l'une ou l'autre partie de l'Irlande. Il redoute
plutôt qu'en raison de la nature même de la INLA
et de, sa façon de procéder, la police soit incapable
de le protéger. Conséquemment, la Commission
n'a pas commis d'erreur en tirant la conclusion
précitée et en statuant que:
. l'incapacité de la personne de se réclamer de la protection
de son pays, et l'incapacité de l'État d'assurer une protection
efficace sont inextricablement reliées 12 .
Je ne saurais toutefois partager son avis que:
La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont
également des éléments interreliés. Les personnes persécutées
ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays
d'origine, et la preuve de l'absence de protection peut créer une
présomption quant à la probabilité de la persécution et au
caractère bien fondé de la crainte 13 .
Cette présomption ne se soulève pas. La conclu
sion ne peut se prendre qu'après l'appréciation de
la preuve en vue de constater si le demandeur de
statut craint avec raison, de l'avis du tribunal
compétent, selon un fondement subjectif et objec-
tif, d'être persécuté pour l'un des motifs exposés
dans la définition en cause. Il faut traiter ensuite
des autres aspects de l'incapacité ou de la répu-
gnance du demandeur de statut à se réclamer de la
protection de l'État.
QUESTION III
La Commission a fondé sa décision sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de la façon prévue à
l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale, en
concluant que le seul pays dont l'intimé avait la
nationalité était l'Irlande du Nord et la république
d'Irlande.
Bien que je l'aie désignée comme étant la Ques
tion III, mes propos à son égard s'étendront aussi
aux Questions IV et V du requérant puisqu'elles
procèdent de la même erreur qu'aurait commise la
Commission. La conclusion contestée prise dans
son contexte se lit comme suit 14 :
Le demandeur soutient qu'il a une crainte bien fondée d'être
persécuté du fait qu'il a déjà été membre de la INLA. Selon
son témoignage, même s'il croit qu'il sera en sécurité aussi
longtemps qu'il demeurera au Canada, il craint pour sa vie s'il
12 (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, à la p. 59.
13 Ibid.
14 Idem, aux p. 53 et 54.
devait retourner en Irlande ou au Royaume-Uni. Ce point
soulève la question de la nationalité du demandeur. La preuve a
clairement établi que le demandeur est un citoyen d'Irlande, à
la fois de l'Irlande du Nord et de la république d'Irlande.
Toutefois, aucune preuve n'a été produite devant la Commis
sion pour établir que le demandeur est également un citoyen du
Royaume-Uni. En réponse aux questions qui lui ont été posées
en contre-interrogatoire, le demandeur a témoigné qu'à titre de
citoyen de l'Irlande du Nord, il a le droit de vivre en Grande-
Bretagne à moins d'être exclu en vertu de la Protection of
Terrorism Act du Royaume-Uni, selon laquelle toute personne
ayant des liens avec des organisations terroristes peut se voir
refuser l'entrée sur le continent britannique. L'intimé a mis en
doute le caractère raisonnable de la crainte qu'éprouvait le
demandeur face à la INLA s'il devait retourner en Grande-Bre-
tagne, mais il n'a pas établi le droit du demandeur de vivre en
Grande-Bretagne, ni son droit à la citoyenneté au Royaume-
Uni. Par conséquent, la Commission conclut que le pays d'ori-
gine du demandeur est l'Irlande du Nord et la république
d'Irlande. [C'est moi qui souligne.]
L'avocate du requérant a soutenu que la pre-
mière erreur de la Commission a été d'affirmer
qu'«aucune preuve n'a été produite devant la Com
mission pour établir que le demandeur est égale-
ment un citoyen du Royaume-Uni». [C'est moi qui
souligne.] De fait, l'intimé lui-même a témoigné
qu'il l'était, comme on le constatera à la lecture du
passage suivant de sa déposition 15 :
[TRADUCTION] Q. Vous avez déclaré au début être citoyen
de la république d'Irlande et je crois que vous avez
voyagé grâce à un passeport irlandais.
R. Non, je suis citoyen de l'Irlande. Je possède un passeport
de la république d'Irlande. Voilà ce que j'ai dit.
Q. Vous êtes détenteur d'un passeport de la république d'Ir-
lande. Avez-vous le droit de vivre en république
d'Irlande?
R. Oui.
Q. Avez-vous le droit de vivre dans cette partie du globe
appelée Irlande du Nord?
R. Oui.
Q Êtes-vous citoyen du Royaume-Uni?
R. Je le suis de fait, oui.
Q. Avez-vous le droit de vivre au Royaume-Uni, c'est-à-dire
en Écosse, en Irlande, au pays de Galles, en Angleterre,
dans l'île de Man et l'île de Guernsey. Pourriez-vous vivre
à ces endroits si vous le souhaitiez?
R. C'est douteux.
Q. Qu'est-ce qui est douteux?
R. C'est douteux, parce qu'au milieu des années 70 le gou-
vernement britannique a adopté une loi appelée la PTA,
la Prevention of Terrorism Act.
M. WARRINGTON: Je regrette, je ne puis vous entendre.
LE TÉMOIN: Au milieu des années 70, le gouvernement
britannique a adopté une loi en Angleterre par l'entremise du
15 Dossier, vol. 2, p. 166.
Parlement connue sous le titre de Prevention of Terrorism
Act, PTA, qui disait que quiconque était lié ou mêlé aux
groupements antisociaux en Irlande du Nord ne serait pas
admis en métropole britannique. Et il est arrivé de nombreu-
ses fois que des Irlandais qualifiés de Britanniques en Irlande
du Nord se soient fait dire, lorsqu'ils cherchaient du travail
en Angleterre, qu'ils étaient Irlandais, et de retourner chez
eux.
m. STONG: Q. Par les autorités britanniques?
R. Par les autorités britanniques en vertu de la PTA, la
Prevention of Terrorism Act.
Q. Des personnes qui sont membres de groupes terroristes
reconnus?
R. Pas nécessairement.
Q. Avez-vous déjà cherché en qualité de citoyen britannique
à vivre ailleurs au Royaume-Uni, à part l'Irlande du
Nord?
R. Non.
Q. Pourquoi pensez-vous que cette Loi s'appliquerait à vous?
R. En raison de mes condamnations antérieures.
Q. Est-il interdit à tous les Irlandais de vivre ailleurs en
Angleterre?
R. Je ne peux pas généraliser.
Q. Est-il interdit à tous les Irlandais qui ont purgé une peine
dans une prison non politique de vivre ailleurs?
R. C'est un processus de sélection qui échappe au contrôle
des citoyens irlandais. Il appartient au ministère britanni-
que concerné lorsqu'ils sont détenus à un aéroport ou un
port maritime de décider pourquoi ils devraient ou non
rester.
Q. Ainsi, il n'y a aucun moyen pour vous de savoir si vous
pouvez vivre ailleurs, et vous n'avez jamais tenté de le
faire et jamais cherché à savoir?
R. Je n'ai jamais tenté de le faire parce que le bon sens dit
que ce serait ridicule de ma part de demander à vivre en
Angleterre après avoir fait partie d'un organisme opposé
à l'autorité britannique. Ce serait comme demander à
Hitler de vivre à Jérusalem. [C'est moi qui souligne.]
Selon l'avocate du requérant, il s'agit là d'une
conclusion abusive tirée sans tenir compte de la
preuve, qui se trouve par conséquent visée par
l'alinéa c) de l'article 28 de la Loi constitutive de
cette Cour. Selon l'avocate, la conclusion est d'im-
portance majeure parce que l'établissement de la
nationalité du demandeur de statut est la première
démarche nécessaire à la détermination de toutes
les autres questions afférentes à sa revendication
du statut de réfugié.
Ainsi, si l'on conclut qu'il a la nationalité de
plus d'un pays, le demandeur de statut est tenu
d'établir qu'il ne veut se réclamer de la protection
d'aucun des pays dont il a la nationalité avant de
pouvoir être considéré comme un réfugié au sens
de la Convention. En fait, l'Article premier de la
Convention relative au statut des réfugiés, de 1951
[28 juillet 1951, Genève, 189 N.U.R.T. 137], sous-
alinéa 2, prévoit expressément ce qui suit:
Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité,
l'expression «du pays dont elle a la nationalité» vise chacun des
pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considé-
rée comme privée de la protection du pays dont elle a la
nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur
une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de
l'un des pays dont elle a la nationalité.
La position de l'avocat de l'intimé sur cet aspect
de l'affaire était que bien que son client ait con-
cédé que l'Irlande du Nord faisait partie du
Royaume-Uni, il ne jouissait pas du droit sans
restriction d'y vivre. Il avait un droit restreint en
ce sens que la Prevention of Terrorism (Tempo-
rary Provisions) Act 1974 [(R.-U.), 1974, chap.
56] fournissait le fondement permettant d'interdire
à un terroriste d'établir sa résidence, au Royaume-
Uni. Puisqu'en 1982 l'intimé avait été condamné
en Irlande du Nord pour avoir notamment contri-
bué à des actes de terrorisme, il pourrait bien se
voir refuser l'admission en vertu de cette Loi. Rien
au dossier ne prouve que l'intimé ait fait des
recherches ou des demandes pour découvrir s'il lui
était possible de se réclamer de la protection du
second pays dont il a la nationalité ou que, eut-il
fait ces démarches, on lui aurait refusé d'entrer.
S'il avait fait ces démarches et essuyé un refus, il
n'aurait pas pu obtenir la protection du Royaume-
Uni.
L'avocate du requérant ne nous a cité aucune
jurisprudence provenant d'un tribunal de notre
pays ayant trait à l'obligation d'un demandeur de
statut qui possède une double nationalité de se
réclamer de la protection de chacun des deux pays
en cause lorsqu'il redoute d'être persécuté dans
l'un de ces pays. Toutefois, l'avocate du requérant
a mentionné à l'appui de sa thèse non seulement le
traité de 1951, dont l'Article premier a été cité
plus haut, mais aussi le Guide des procédures et
critères à appliquer pour déterminer le statut de
réfugié; à la rubrique «Nationalité double ou mul
tiple», aux pages 25 et 26, après avoir cité l'alinéa
2 de l'article 1A(2) de la Convention de 1951, elle
a renvoyé au paragraphe 107 qui est libellé comme
suit:
107. Lorsqu'on examine le cas d'un demandeur ayant deux
ou plusieurs nationalités, il convient cependant de distinguer
entre la possession d'une nationalité du point de vue juridique
et le bénéfice de la protection du pays correspondant. Le cas
peut se présenter où le demandeur a la nationalité d'un pays à
l'égard duquel il n'éprouve aucune crainte mais où cette natio-
nalité peut être considérée comme étant inefficace dans la
mesure où elle n'emporte pas la protection qu'implique norma-
lement la possession de la nationalité. En pareil cas, la posses
sion d'une deuxième nationalité ne sera pas incompatible avec
le statut de réfugié. En règle générale, il doit y avoir eu une
demande et un refus de protection pour pouvoir établir qu'une
nationalité est inefficace. S'il n'y a pas eu refus exprès de
protection, l'absence de réponse dans un délai raisonnable peut
être considérée comme un refus.
Bien que nous ne soyons pas liés par ce point de
vue parce qu'il n'a pas été incorporé au droit
canadien, il est convaincant parce qu'il donne une
interprétation logique de la définition de réfugié au
sens de la Convention à l'article 2 de la Loi sur
l'immigration de 1976. Comme l'avocat l'a aussi
souligné, le paragraphe 33(2) de la Loi
d'interprétation 16 prévoit que «le singulier s'appli-
que [...], le cas échéant, ... à la pluralité». Pour
ces motifs, j'estime que le demandeur de statut
doit établir qu'il ne veut ou ne peut se réclamer
d'aucun des pays dont il a la nationalité. C'est la
nationalité du demandeur de statut qui est de
prime importance. Son droit de vivre dans le pays
dont il a la nationalité devient pertinent seulement
quand il s'agit pour lui de s'acquitter de l'obliga-
tion qui lui est faite de prouver qu'il ne peut pas se
réclamer du pays dont il a établi avoir la
nationalité.
La prochaine question à laquelle il faut répondre
est la suivante: puisque l'intimé ne s'est pas
acquitté de son obligation, cette omission et celle
de la Commission portent-t-elles un coup fatal à la
conclusion de cette dernière que l'intimé avait
établi être un réfugié au sens de la Convention?
À mon avis, non seulement la Commission n'a-
t-elle pas traité de la question, mais elle a aggravé
son erreur en croyant qu'il appartenait à la Cou-
ronne d'établir «le droit du demandeur de vivre en
Grande-Bretagne, [ou] son droit à la citoyenneté
au Royaume-Uni». Il ressort du paragraphe 8(1)
de la Loi que la Couronne n'a pas ce fardeau, car
il y est dit qu'il appartient à la personne désireuse
d'entrer au Canada de prouver qu'elle a le droit
d'y entrer.
En conséquence, pour ces motifs aussi bien que
pour l'erreur commise par la Commission lors-
qu'elle a conclu que l'intimé était membre d'un
16 L.R.C. (1985), chap. I-21.
groupe social visé par la définition de réfugié au
sens de la Convention dans la Loi, la demande
fondée sur l'article 28 devrait être accueillie. La
décision de la Commission contestée en l'espèce
devrait être annulée et l'affaire devrait lui être
renvoyée pour qu'elle l'examine de nouveau d'une
façon compatible avec les présents motifs.
Avant de terminer, j'aurais tort de ne pas conve-
nir que les ennuis de l'intimé sont de nature à
attirer la sympathie, bien qu'il en soit l'auteur, à
l'origine tout au moins. Cependant, cette Cour est
tenue, comme toute autre, d'appliquer la loi au
meilleur de sa connaissance. Je ne saurais conce-
voir que le Parlement, en adoptant la définition de
réfugié au sens de la Convention, entendait l'éten-
dre aux membres d'organismes dont la seule raison
d'être est de renverser par la violence le pouvoir
dûment et démocratiquement constitué dans des
pays tels que le Royaume-Uni et la république
d'Irlande où continue indubitablement de s'impo-
ser la suprématie du droit. Si tel est le cas, l'intimé
ne peut être un réfugié. De simples assurances de
remords ne suffisent pas à effacer l'appartenance
passée. S'il existe quelque voie légale par laquelle
l'intimé peut être admis dans ce pays, il ne s'agit
pas à mon sens de la revendication du statut du
réfugié.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A. (dissident):
Cette demande fondée sur l'article 28 vise la révi-
sion et l'annulation de la décision par laquelle la
Commission d'appel de l'immigration («la Com
mission»), le 2 décembre 1988, a déterminé que
l'intimé était un réfugié au sens de la Convention
parce qu'il craignait avec raison d'être persécuté
du fait de son appartenance à un groupe social.
En résumé, les faits sont les suivants. L'intimé
est devenu membre en 1983 de la Irish National
Liberation Army («INLA»), un groupe paramili-
taire antibritannique en Irlande du Nord. La
INLA a été constituée au milieu des années 70 à la
suite du fractionnement de la Irish Republican
Army. Un article de journal la décrit comme étant
[TRADUCTION] «le groupement nationaliste de
guérilleros le plus secret et le plus extrémiste de
l'Irlande du Nord». (Dossier, vol. 4, page 437.)
L'intimé a reçu sa première mission importante
quelques mois après avoir adhéré à la INLA lors-
que cette dernière lui a demandé, ainsi qu'à d'au-
tres, de garder deux otages dans une maison de
villégiature à Donegal en république d'Irlande
(«Irlande») non loin de la frontière de l'Irlande du
Nord. Lorsque la INLA a par la suite décidé de
tuer les otages, l'intimé a eu une crise de cons
cience qui l'a amené à faciliter leur évasion au
cours de son quart la nuit, et de fait à les conduire
à un poste de police dans les environs.
Il s'est par conséquent attiré les soupçons de la
INLA et lorsqu'il assistait à un mariage en répu-
blique d'Irlande il a été enlevé par la INLA,
torturé pendant deux jours et plus tard condamné
à mort pour avoir aidé à la libération des otages. Il
a toutefois réussi à fuir et s'est présenté aux autori-
tés de la république d'Irlande.
Parce que ses empreintes digitales avaient été
relevées dans la maison de Donegal, il a été arrêté
par la Garda (la police irlandaise), a passé six
mois sous garde, a été reconnu coupable 'et con-
damné à trois ans d'emprisonnement pour avoir
détenu les otages contre leur volonté.
Dans l'intervalle, son épouse et ses deux enfants
ont été enlevés et détenus par la INLA pendant
environ deux semaines comme mesure de précau-
tion afin de le dissuader de se faire «mouchard» ou
de donner des renseignements contre la INLA.
Avant d'être libéré de la prison en Irlande, le 17
décembre 1985, l'intimé a pris contact avec le
chapelain de la prison pour lui demander assis
tance. Celui-ci a obtenu pour lui la délivrance d'un
passeport irlandais" et il lui a acquis la protection
de la Garda jusqu'à ce qu'il puisse s'envoler pour
le Canada deux jours plus tard.
La principale conclusion de fait de la Commis
sion est la suivante ((1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48,
aux pages 54 et 55):
La Commission a jugé que le demandeur était un témoin tout
à fait digne de foi. Son témoignage nous a convaincus que s'il
'l Il a déposé qu'en qualité de résidant de l'Irlande du Nord,
il avait droit de détenir des passeports britannique et irlandais.
(Dossier, vol. 2, p. 110.)
devait être renvoyé en Irlande, il représenterait, pour la sécurité
de la INLA, une menace tellement sérieuse qu'il risquerait fort
d'être capturé, torturé et mis à mort par la INLA. Même si la
INLA ne considérait pas le demandeur comme une menace
pour sa sécurité, la vie du demandeur serait gravement mena
cée en raison de l'arrêt de mort prononcé contre lui par la
INLA. L'intimé a soutenu que la INLA ne constitue pas une
menace pour le demandeur, car elle est en proie à un désarroi
interne. Toutefois, il n'a produit absolument aucune preuve
pour appuyer cette prétention. En fait, la preuve dont est saisie
la Commission indique que la INLA est une organisation qui
met toujours ses menaces à exécution.
La Commission a reconnu ensuite «qu'il n'y a
pas de complicité de l'État dans la persécution que
craint le demandeur» (à la page 55), mais elle a
conclu ce qui suit (aux pages 59 et 60):
La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont
également des éléments interreliés. Les personnes persécutées
ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays
d'origine, et la preuve de l'absence de protection peut créer une
présomption quant à la probabiblité de la persécution et au
caractère bien fondé de la crainte.
[TRADUCTION] Le rapport de cause à effet est encore plus
indirect lorsqu'on ne peut impliquer directement le gouverne-
ment du pays d'origine. Par exemple, des réfugiés ont fui des
émeutes ou les activités des soi-disant «escouades de la mort».
Les gouvernements ne sont peut-être pas capables de mettre
fin à ce genre d'activités, ils ne sont peut-être pas disposés ou
ils hésitent en collusion avec les responsables. Dans ces cas,
s'il n'y a vraiment aucune protection, on peut juger qu'il y a
persécution au sens de la Convention, car il ne s'ensuit pas
que le concept est limité aux actes des gouvernements ou de
leurs agents. (G.S. Goodwin-Gill, The Refugee in Internatio
nal Law, Clarendon Press: Oxford, 1983) p. 42 (souligne-
ments ajoutés; renvois supprimés).
Les principales autorités en la matière reconnaissent que la
définition de réfugié au sens de la Convention sous-entend un
examen de la capacité de l'État de protéger le demandeur, mais
sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait complicité de l'État dans la
persécution subie par le demandeur:
[TRADUCTION] «Il y a effectivement des motifs valables de
soutenir que même si un gouvernement désire ardemment
prévenir des atrocités de la part du public (ou certains
éléments de la population), mais qu'il ne peut le faire pour
une raison ou une autre, de sorte que les personnes menacées
doivent quitter le pays pour échapper à des blessures, ces
personnes doivent être considérées comme de véritables réfu-
giés. En fait, elles peuvent être aussi indigentes et avoir
autant besoin d'aide et de secours que tout autre groupe de
réfugiés.» (A. Grahl-Madsen, The Status of Refugees in
International Law, vol. 1 (A.W. Sijthoff-Leyden: 1966) p.
191; Voir également la citation du Guide, p. 58, précité)
Le requérant a allégué que la Commission a
commis des erreurs à trois égards: dans sa défini-
tion de l'expression groupe social, dans son inter-
prétation de la persécution, et dans ses conclusions
de fait combinées à d'autres erreurs de droit.
Pour ce qui est de la définition de l'appartenance à
un groupe social, je ne crois pas que l'on puisse
prétendre sérieusement que la INLA n'est pas
littéralement un groupe social, puisque ses mem-
bres sont unis par des objectifs communs dans une
association stable. Je crois que le groupe pourrait
être qualifié de groupe social non naturel, c'est-à-
dire un groupe qui n'est pas défini par la race ou la
nationalité. Cependant, le requérant a soutenu que
le sens du concept de groupe social doit s'entendre
compte tenu de l'alinéa 3g) de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 («La Loi»), qui donne comme l'un
des objectifs de la Loi la nécessité de remplir,
envers les réfugiés, les obligations légales du
Canada sur le plan international et de maintenir sa
traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des
personnes déplacées ou persécutées. On a donc
affirmé que conformément à cet objectif, il doit
être présumé que l'expression «groupe social»
exclut les groupes de terroristes. Pour reprendre les
termes de l'exposé des faits et du droit du requé-
rant, «agir autrement, ce serait faire du Canada un
havre pour ceux qui ont admis avoir commis des
actes de terrorisme, y avoir participé ou apporté
leur sympathie, qu'ils désavouent ou non leur
appui aux terroristes». Néanmoins, étant donné
l'ampleur de 1 'objectif exposé dans la Loi, je ne
puis concevoir que la définition soit correctement
interprétée d'une façon aussi absolue.
Le point de départ de la définition, me semble-
t-il, est son élément personnel: réfugié au sens de
la Convention désigne «toute personne qui, crai-
gnant avec raison d'être persécutée du fait de .. .
son appartenance à un groupe social». (C'est moi
qui souligne.) C'est le rapport entre la personne et
le groupe qui est en jeu, et non le concept abstrait
du mot groupe pris de façon absolue. En l'espèce
nous partons du fait (comme en a conclu la Com
mission) que l'intimé est une personne qui, après
avoir appartenu à un groupe social prima facie
craint maintenant d'être persécutée par lui. Est-il
raisonnable d'interpréter le terme «groupe social»
de façon si absolue qu'elle retire toute pertinence à
ce fait? À mon sens, commencer avec une défini-
tion absolue dans l'abstrait, c'est prendre la défini-
tion de la Loi par le mauvais sens.
Les groupes sociaux n'ont de fait rien d'absolu,
particulièrement les groupes sociaux non naturels.
Ils peuvent posséder des idéologies, mais certains
membres peuvent ne pas les partager, leur adhé-
sion étant plutôt motivée par le prestige, la peur,
ou d'autres motifs non idéologiques. Ces groupes
peuvent avoir des rites d'initiation, des droits d'ad-
hésion ou des listes d'adhérents, mais plusieurs
participants peuvent être attirés dans leur camp et
le monde peut les considérer membres, sans qu'ils
le soient cependant de la même façon que d'autres.
Ces groupes peuvent avoir un objectif terroriste
mais compter néanmoins parmi leurs rangs des
personnes moins portées à la violence et même des
adhérents voués à la non-violence et au pacifisme
universel. Peut-être, avant tout, l'adhésion peut-
elle être considérée comme indélébile et indissolu
ble, mais certains membres peuvent s'éloigner, ou
même rompre soudainement pour des raisons de
principe. Ceux qui ont brièvement oeuvré au sein
du Parti communiste dans les années trente, à une
époque de dépression et de désespoir, devraient-ils
être qualifiés en permanence de membres d'un
groupe subversif? A mon avis, il ne faut pas
brandir comme un glaive, le concept de groupe
social pour élaguer toutes les circonstances parti-
culières dans une circonférence désignée de façon
arbitraire. Dans un monde divisé par le racisme et
la religion, la politique et la pauvreté, la réalité est
trop complexe pour être restreinte de la sorte par
des absolus conceptuels.
Les décisions antérieures de la Commission
citées par le requérant'$, même si elles ne sont pas
erronées, traitent toutes d'affaires dans lesquelles
les demandeurs qui tentaient de s'appuyer sur leur
adhésion à un groupe social étaient impénitents ou
tout au moins n'étaient pas repentants de façon
évidente, alors qu'en l'espèce l'intimé, dans ses
premières armes comme terroriste, ne s'est pas
seulement tourné contre le terrorisme dans un
sursaut d'humanité et de bon sens, mais il a de
plus rendu la liberté à ses captifs. En l'absence de
disposition disant clairement le contraire, je ne
puis concevoir que le Parlement ait voulu qu'un
«Samaritain» aussi repenti soit automatiquement
exclu de la définition de réfugié au sens de la
Convention parce que le groupe qu'il a quitté en
IB Lazo -Cruz, 80-6004, le 16 janvier 1980 (C.A.I.), non
publiée; Naredo, 80-9159, le 20 novembre 1980 (C.A.I.), non
publiée; infirmée par cette Cour pour d'autres motifs (1981),
130 D.L.R. (3d) 752; et St. Gardien Giraud, 81-9669, le 20
mars 1986 (C.A.I.), non publiée.
raison de son terrorisme ne peut, à cause de ce
terrorisme, être considéré comme un groupe social.
La vocation terroriste générale de son groupe ne
devrait certes pas signifier que l'intimé, en tant
qu'individu, est incapable de le quitter.
Évidemment, le groupe auquel l'intimé dit avoir
appartenu est la INLA elle-même (dossier, vol. 1 à
la page 5; vol. 2, à la page 158) 19 , mais dans son
cas il faut entendre appartenance passée, comme
l'a souligné son avocat dans sa plaidoirie devant la
Commission (dossier, vol. 3, page 357). En d'au-
tres termes, le groupe social en question se com
pose de membres et d'anciens membres de la
INLA. A mon sens, c'est parce que le groupe
social visé en l'espèce doit être considéré comme
comprenant ceux qui ont renoncé à la INLA et à
ses objectifs et ses méthodes que ces faits ne
donnent pas lieu à la question de savoir si le
groupe est un orgamisme terroriste ou non.
Il est nécessaire de se souvenir que l'admissibi-
lité au statut de réfugié au sens de la Convention
ne permet pas automatiquement à celui qui obtient
ce statut de rester au Canada: voir les paragraphes
4(2) [mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 3], 46(1)
[mod., idem, art. 14] et 46(3) [mod., idem] de la
Loi. Le droit d'un réfugié reconnu tel de rester au
Canada est assujetti aux exceptions exposées aux
alinéas 19(1 )c),d),e),f) ou g) ou 19(2)a) qui ont
trait aux condamnations antérieures ou aux actes
d'espionnage ou de subversion. C'est là un obstacle
que l'intimé devra surmonter, même s'il parvenait
à établir son statut de réfugié au sens de la Con
vention, étant donné sa condamnation pour avoir
détenu des personnes contre leur volonté en
Irlande et vu son casier judiciaire en Irlande du
Nord (dossier, vol. 4, page 443), bien qu'il faille
noter qu'aucune de ses condamnations en Irlande
du Nord a donné lieu à des peines d'emprisonne-
ment. L'intimé aura à faire face à ce problème
même s'il devait obtenir gain de cause en l'espèce,
mais cela n'a rien à voir avec les questions litigieu-
ses en l'espèce, sauf dans la mesure où on devrait y
voir une autre défense possible pour le gouverne-
ment.
19 Je ne puis admettre l'argument subsidiaire de l'intimé
voulant que son groupe social puisse se définir comme étant
celui des personnes qui ont commis des actes contre la INLA et
qui l'ont défiée. C'est là un groupe bien trop vague pour être un
«particular group» au sens de la version anglaise de la Loi.
L'aspect le plus subtil de l'argument du requé-
rant veut que la Commission ait commis une
erreur de droit en présumant que l'intimé craignait
avec raison d'être persécuté du fait de son apparte-
nance à un groupe social, alors qu'il ressortait de
la preuve que ce sont les actes de l'intimé lorsqu'il
était membre du groupe et non son appartenance à
celui-ci qui étaient à la source de sa crainte d'être
persécuté.
L'intimé a apporté un appui superficiel à. cette
thèse en reconnaissant parfois au cours des débats
qu'il était menacé d'être persécuté en raison de la
peine de mort prononcée contre lui par le tribunal
bidon de la INLA parce qu'il avait aidé les otages
à s'enfuir. Par exemple, dans son affidavit initial, il
a déclaré que la INLA était [TRADUCTION]
«connue pour se venger de tous ceux dont elle croit
qu'ils ont contrecarré ses activités» (dossier, vol. 1,
page 5). Néanmoins, il ressort clairement de l'en-
semble de sa déposition que l'intimé prétendait que
la menace qui pesait sur lui venait plus précisé-
ment de sa connaissance des membres de la INLA,
de leurs crimes et de leur constitution, de leurs
habitudes et de leur façon de procéder. La vérita-
ble crainte de la INLA semble donc découler non
de ce qu'a fait l'intimé, mais de la possibilité qu'il
puisse «moucharder», un concept qu'il a exposé
comme suit (dossier, vol. 4, à la page.117):
[TRADUCTION] Q. C'est comme un indicateur dans la
mesure où celui qui donne des renseignements a accès à
de nombreux renseignements sur les activités paramilitai-
res en Irlande du Nord. Cela fait de lui un «supergrass»
par opposition au terme «grass».
Il s'est expliqué davantage en ces termes (dos-
sier, vol. 1, à la page 18):
[TRADUCTION] Q. Alors, vous avez laissé entendre qu'ac-
tuellement, étant donné l'organisme et ses activités, cet
organisme paramilitaire, vous représentez encore pour lui
un danger?
R. En effet.
Q. De quelle façon seriez-vous un danger pour lui si vous
retourniez, comme vous l'avez dit, en Irlande du Nord, ou
en république d'Irlande, ou n'importe où ailleurs en
Grande-Bretagne?
R. Eh bien!, comme je connais la structure de l'organisme,
ses politiques, et la façon dont il mène sa campagne
paramilitaire, il estimerait que si je devais retourner soit,
comme je l'ai dit, en ,république d'Irlande ou en Irlande
du Nord ou en Grande-Bretagne, que l'on pourrait me
convaincre de le «moucharder» si le gouvernement britan-
nique exerçait sur moi des pressions ou d'autre façon; et
c'est alors que je représenterais un danger, car la INLA
estimerait que je connais certains incidents qui se sont
peut-être en Irlande, pendant une certaine période, et que
je pourrais témoigner à cet égard. Et comme il s'est
produit dans le «système de mouchardage» («supergrass
system») des deux derniers procès en Irlande du Nord, de
nombreuses dépositions faites contre des gens qui y
étaient ont été déclarées mensongères au cours de nou-
veaux procès, et ainsi de suite. Ainsi donc, la INLA
craint que je puisse fabriquer des preuves, que je sache
quelque chose ou non.
La INLA, a-t-il dit, redouterait particulièrement
qu'il puisse [TRADUCTION] «subir des pressions
visant à l'amener à témoigner côntre elle» (dossier,
vol. 1, à la page 22 et vol. 2, à la page 214). A mon
avis, le véritable fondement de sa crainte découle
de son appartenance à la INLA et non de son
mauvais comportement en qualité de membre; en
d'autres termes, l'intention de la INLA n'est pas
principalement de venger des fautes passées (bien
qu'il puisse aussi s'agir de cela) mais d'en prévenir
de nouvelles.
Même si la preuve n'était pas aussi claire, je
dois admettre que je répugnerais à donner à l'ap-
partenance une définition si restreinte qu'elle
exclut toutes ses circonstances accessoires. La sen
tence de mort prononcée contre l'intimé était,
après tout, reliée à son appartenance au groupe:
elle a été rendue contre lui parce qu'en sa qualité
de membre, il a contremandé et activement contre-
carré les ordres de la INLA. Dans un organisme
paramilitaire, l'«appartenance» doit s'interpréter de
façon plus large que dans un groupe «social» plus
commun.
Je ne puis donc accueillir la première objection
du requérant à la décision de la Commission.
La seconde erreur que voit le requérant dans la
décision de la Commission vise sa définition de la
persécution. Il a affirmé plus particulièrement que
les principes de droit que cette Cour a dégagés
dans les arrêts Rajudeen c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129; et
Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion (1985), 60 N.R. 73 ont une moins grande
portée que celle que propose la jurisprudence inter-
nationale suivie par la Commission.
L'intimé a reconnu n'avoir aucune plainte à
formuler contre le bon vouloir des gouvernements
du Royaume-Uni et de l'Irlande à le protéger. Le
danger qui le menaçait ne venait pas d'eux, mais
de la puissance de la INLA, (dossier, vol. 2, à la
page 216):
[TRADUCTION] Q. Pour que ce point soit bien clair, vous
revendiquez le statut de réfugié parce que vous estimez
que les gouvernements des deux nations dont vous avez la
nationalité ou la citoyenneté ne peuvent ou ne veulent
vous protéger?
R. C'est exact.
Q. Contre des terroristes, plus particulièrement la INLA?
R. Je ne dis pas qu'ils ne m'offriraient pas leur protection. Je
dis que tôt ou tard, même s'ils se tenaient à mes côtés
constamment—
Q. Vous dites que les deux pays vous protégeraient?
R. Ils essaieraient, mais ils n'y réussiraient pas.
L'intimé a exposé comme suit son problème en
ce qui concerne les autorités de l'une et l'autre
Irlande (dossier, vol. 2, aux pages 161 et 162):
[TRADUCTION] Q. Je comprends cela, avant d'en arriver à
ce point, quelle est votre expérience relativement à la
sécurité des autorités de l'Irlande du Nord et du Sud et à
leur capacité de protéger leurs citoyens contre les enlève-
ments ou contre les tentatives d'assasinat?
R. Eh bien!, il est évident qu'il n'existe aucun gouvernement
au monde qui s'avouerait incapable de protéger ses
citoyens. Il se trouve que dans bien des cas, l'Irlande du
Nord et la république d'Irlande sont incapables de proté-
ger leurs gens. Elles ont perdu des milliers de policiers, de
soldats et de civils. Elles sont incapables de les protéger,
elles ne peuvent protéger tout le monde et surtout pas une
personne qui a sympathisé avec un organisme comme la
INLA.
Pourquoi les protégeraient-elles? Des gens se font tuer
chaque jour de la semaine. Alors elles ne peuvent se
permettre leurs propres services de sécurité, dont inci-
demment les membres sont armés. Ils vont se coucher
armés, ils vont à l'église armés, ils sont aussi armés quand
ils sortent se distraire le soir avec leur épouse et leurs
enfants. Malheureusement, certains se font tuer de la
sorte, alors ils ne peuvent se permettre leur propre protec
tion. Pourquoi pas? Parce que ce à quoi ils font face dans
la INLA est un mouvement clandestin. Vous ignorez qui
est votre cible. Vous pouvez être assis dans un bar à
siroter une bière, quelqu'un vous adresse la parole et la
première chose que vous savez, vous dites ce qu'il ne
faudrait pas et vous savez que vous avez été repéré.
Vous ne connaissez pas votre ennemi. Comment peuvent-
ils arrêter quelqu'un qu'ils ne connaissent pas? Comment
peuvent-ils me protéger contre une personne qu'ils ne
connaissent pas? C'est ainsi que fonctionne un mouve-
ment clandestin. La majorité de ses membres est
inconnue.
Je voudrais bien qu'ils puissent me protéger mais j'ai
l'intime conviction, et n'importe qui raisonnablement
intelligent qui a lu les journaux au cours des 16 dernières
années sait que c'est impossible.
L'agent de la Garda qui a esté en justice contre
lui l'a prévenu qu'il ne pouvait être protégé ni dans
le Nord ni dans le Sud, et qu'il lui fallait vivre
ailleurs (dossier, vol. 1, à la page 22—voir aussi
vol. 2, à la page 159):
[TRADUCTION] Q. Comment avez-vous obtenu votre passe-
port?
R. Je l'ai obtenu par l'entremise par l'agent chargé de
présenter les cas pour la police, c'est l'agent qui s'occu-
pait directement de l'affaire, Kevin Carty.
Q. Et comment savez-vous qu'il a obtenu le passeport pour
vous?
R. Parce qu'il avait arrangé l'affaire. Il est venu un jour à la
prison avant ma libération, le 16 décembre '85, il a pris
les mesures pour les photographies; il s'est rendu au
bureau des passeports et m'a obtenu un passeport de
l'Eire, et il m'a conseillé de ne pas demeurer en Irlande,
parce qu'ils ont évidemment leurs propres services de
renseignements; les informations qu'on leur passe vou-
laient que je sois—qu'il m'arriverait malheur après avoir
quitté la prison, vous savez.
La Commission a accueilli ce témoignage et elle
a conclu que la complicité de l'État n'était pas
essentielle pour qu'il y ait persécution. Il suffisait à
la Commission que l'État soit de fait incapable
d'assurer une protection.
La Commission a prétendu faire une distinction
entre les propos du juge Stone dans l'arrêt Raju-
deen et ce que j'ai écrit dans l'arrêt Surujpal. De
fait, ces deux affaires faisaient état de situations
plutôt différentes de celles en l'espèce car dans l'un
et l'autre cas, la police était indifférente à la
persécution contre les demandeurs de statut; la
seule distinction entre les deux affaires tenait à ce
que l'on avait demandé l'aide de la police dans
l'affaire Surujpal. mon avis, les remarques inci-
dentes dans ces affaires devraient s'interpréter
selon la situation de fait qui leur est propre.
En l'espèce, il est reconnu que les gouverne-
ments britanniques et irlandais étaient bien dispo-
sés, et la question de fait sur laquelle s'est penchée
la Commission consistait à savoir s'ils étaient
capables de protéger l'intimé.
La pierre de touche du sens du mot persécution
est, naturellement, la définition de réfugié au sens
de la Convention au paragraphe 2(1) de la Loi:
2. (1) ...
«réfugié au sens de la Convention» désigne toute personne qui,
craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de
sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
groupe social ...
a) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut
ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays ..
Ces mots n'impliquent pas nécessairement la com-
plicité de l'État. Il suffit que le demandeur de
statut «ne veu[ille] se réclamer de la protection» de
son pays «craignant avec raison d'être persécuté».
Naturellement, la raison fréquente pour laquelle le
demandeur de statut ne veut pas se réclamer de la
protection de son pays, c'est qu'il est persécuté par
son gouvernement.
Le requérant soutient que seules deux situations
se prêtent à l'interprétation de l'alinéa a): l'incapa-
cité du demandeur de prendre contact avec son
gouvernement en raison par exemple de l'endroit
où il se trouve, et son incapacité à obtenir satisfac
tion de son gouvernement. On a dit que la pre-
mière de ces situations illustrait les mots ne peut,
et que la seconde illustrait les mots ne veut. Consé-
quemment, comme aucune catégorie n'est applica
ble au demandeur de statut en l'espèce, il n'est pas
visé par la définition en cause.
Il me semble que le requérant a probablement
raison quand il dit que les mots ne peut signifient
littéralement est incapable, c'est-à-dire incapable
même de prendre contact. Mais je ne puis voir
aucun motif de restreindre le sens de l'expression
ne veut à une seule interprétation. Il peut exister
plusieurs raisons pour lesquelles un demandeur de
statut ne veut pas se réclamer de la protection de
son pays. Le fait que l'alinéa ne contient que deux
dispositions n'est pas une raison suffisante pour
affirmer qu'il n'existe que deux significations pos
sibles, une pour chaque disposition. A mon sens, la
conclusion logique est qu'il y a au moins deux
significations, sans qu'il faille nécessairement se
limiter à ce chiffre. La première disposition peut
donner lieu à une seule interprétation, alors que la
seconde peut en recevoir plusieurs. Le libellé ne
justifie pas une forte dichotomie, pas plus qu'il ne
permet de voir dans la seconde disposition la
nécessité de la complicité de l'État.
Le requérant a en outre fait valoir que les mots
«du fait de cette crainte» se rattachent clairement à
l'expression «craignant avec raison d'être persé-
cuté» que l'on trouve plus haut. Je suis d'accord
avec lui. Mais cela me semble être une pétition de
principe que de dire que la crainte bien-fondée
d'être persécuté doit provenir de l'État ou tout au
moins impliquer sa complicité. C'est là la question,
et je ne trouve pas que les mots s'expliquent
d'eux-mêmes.
L'interprétation donnée par la Commission à la
définition trouve un appui dans le Guide des pro-
cédures et critères à appliquer pour déterminer le
statut de réfugié au regard de la Convention de
1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut
des réfugiés, Haut commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés, Genève 1979. Voici ce que
dit le Guide au sujet des mots «ne peut» et «ne
veut» (aux pages 24 et 25):
98. Lorsqu'il ne peut se réclamer de cette protection, cela tient
à des circonstances indépendantes de sa volonté. Il peut y avoir,
par exemple, un état de guerre, une guerre civile ou d'autres
troubles graves qui empêchent le pays dont l'intéressé a la
nationalité de lui accorder sa protection ou qui rendent cette
protection inefficace. La protection du pays dont l'intéressé a la
nationalité peut également lui avoir été refusée. Ce refus de
protection peut confirmer ou accroître la crainte qu'a l'intéressé
d'être persécuté et peut même constituer en soi un élément de
persécution.
100. Les mots «ne veut» s'appliquent au réfugié qui refuse
d'accepter la protection du gouvernement du pays dont il a la
nationalité. Ils sont explicités par les mots «du fait de cette
crainte». Lorsqu'une personne accepte de se réclamer de la
protection de son pays, cette acceptation est normalement
incompatible avec le fait de se trouver hors de son pays par
crainte d'être persécuté. Chaque fois qu'il est admis à bénéfi-
cier de la protection du pays dont il a la nationalité, et qu'il n'a
aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette
protection, l'intéressé n'a pas besoin de la protection internatio-
nale et n'est pas un réfugié.
Le commentaire sur l'expression «ne veut» est trop
vague pour trancher son sens, mais de fait le Guide
a directement traité de la question lorsqu'il s'est
penché sur le sujet des "agents de persécution"
(aux pages 17 et 18):
65. On entend normalement par persécution une action qui est
le fait des autorités d'un pays. Cette action peut également être
le fait de groupes de la population qui ne se conforment pas aux
normes établies par les lois du pays. A titre d'exemple, on peut
citer l'intolérance religieuse, allant jusqu'à la persécution, dans
un pays par ailleurs laïc mais où d'importantes fractions de la
population ne respectent pas les convictions religieuses d'autrui.
Lorsque des actes ayant un caractère discriminatoire grave ou
très offensant sont commis par le peuple, ils peuvent être
considérés comme des persécutions s'ils sont sciemment tolérés
par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables
d'offrir une protection efficace. [C'est moi qui souligne.]
La Commission a cité ce passage ((1988), 9 Imm.
L.R. (2d) 48, aux pages 58 et 59).
Bref, j'estime que compte tenu (1) du libellé de
la loi, (2) de l'absence de décisions canadiennes
décisives faisant jurisprudence, et (3) du poids des
sources doctrinales internationales, l'interprétation
donnée par la Commission à la définition de la loi
est celle qui est préférable. Sans aucun doute cette
interprétation rendra-t-elle admissibles à entrer au
Canada les demandeurs de statut venant de pays
déchirés par les conflits, dont les problèmes procè-
dent non pas de leur gouvernement nominal, mais
de diverses factions ennemies, mais je ne puis
croire que cela soit contraire aux «obligations léga-
les du Canada sur le plan international et ... [à]
sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des
personnes déplacées ou persécutées».
Le requérant a aussi soutenu qu'il était néces-
saire d'exclure ceux qui avaient eux-mêmes été
complices des actes du groupe qui sont maintenant
considérés comme les persécuteurs. Dans la
mesure où il n'a pas encore été traité de ce point,
je me contenterai de dire qu'au mieux il soulève
une question de fait que la Commission doit déci-
der. Il peut fort bien y avoir des demandeurs de
statut qui ne peuvent prétendre être persécutés
parce qu'ils sont eux-mêmes réputés être les persé-
cuteurs. C'est là de fait une autre défense qui
s'offre au gouvernement, et à mon sens c'est le
genre de considération sur laquelle on devrait lais-
ser la Commission se prononcer en fonction des
faits.
Je dois donc conclure que la seconde objection
du requérant n'est pas fondée.
Ce que j'ai catégorisé comme étant la troisième
objection à la décision de la Commission est, de
fait, un ensemble de plusieurs points.
Tout d'abord, on soutient que la Commission a
pris une conclusion de fait erronée contraire à
l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale
lorsqu'elle a affirmé qu'«aucune preuve n'a été
produite devant la Commission pour établir que le
demandeur est également un citoyen du Royaume-
Uni» (dossier, vol. 4, à la page 446). L'intimé a
tenté de justifier sa prétention en soutenant que ce
que la Commission voulait réellement dire, c'est
que l'intimé n'avait pas un droit non équivoque de
vivre n'importe où au Royaume-Uni. C'est peut-
être là en effet ce que voulait dire la Commission,
mais j'estime qu'elle a commis une erreur en
disant qu'il n'y avait «aucune preuve» que l'intimé
était citoyen du Royaume-Uni. La preuve était
peut-être ambiguë, mais elle n'en existait pas
moins (voir par exemple le dossier, vol. 2, à la page
166).
Comprise correctement, je crois que l'ambiguité
de la preuve avait trait à un accessoire normal de
la citoyenneté, c'est-à-dire le droit d'entrer n'im-
porte quand dans le pays dont on est citoyen. On a
présenté des éléments de_ preuve voulant qu'une loi
britannique intitulée Prevention of Terrorism
(Temporary Provisions) Act 1974, qui remonte au
milieu des années soixante-dix, ait habilité le gou-
vernement britannique à refuser d'admettre en
Grande-Bretagne (c'est-à-dire le Royaume-Uni
sans l'Irlande du Nord) ou à en expulser tout
citoyen qui, de l'avis subjectif de ce gouvernement,
trempait dans des activités illégales en Irlande du
Nord. Aucun de ces éléments de preuve n'a été
produit par des témoins experts, mais on les a
présentés tant et plus (voir par exemple le dossier,
vol. 2, aux pages 166 168, 203 et 205), et la
Commission s'est appuyée sur eux dans sa décision
(1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, la page 54.
La Commission aurait fort bien pu considérer
(mais elle ne l'a pas fait) que cette restriction
apparente apportée à la citoyenneté par la loi
britannique dénotait par elle-même un manque de
protection équivalant à la persécution («ne peut .. .
se réclamer de la protection de ce pays»). Le Guide
précité appuierait un tel point de vue (à la
page 24):
99. Ce qu'il faut entendre par refus de protection doit être
déterminé selon les circonstances de l'affaire. S'il apparaît que
l'intéressé s'est vu refuser le bénéfice de certains droits ou
prestations (par exemple la délivrance d'un passeport national
ou la prorogation de ce passeport ou l'admission sur le territoire
national) qui sont normalement accordés à ses compatriotes,
cela peut constituer un refus de protection au sens de la
définition. [C'est moi qui souligne.]
Toutefois, étant donné sa conclusion que les seuls
pays dont le demandeur de statut a la nationalité
sont l'Irlande et l'Irlande du Nord, la Commission
n'a répondu qu'à la question de savoir si l'intimé
craignait avec raison d'être persécuté dans ces
endroits et non sur le territoire métropolitain de la
Grande-Bretagne.
L'intimé a soutenu que la crainte d'être persé-
cuté n'a pas nécessairement à s'étendre à l'ensem-
ble du territoire du pays dont le demandeur de
statut a la nationalité. Cette prétention trouve un
appui dans une citation du Guide (précité, à la
page 23):
91. La crainte d'être persécuté ne doit pas nécessairement
s'étendre à l'ensemble du territoire du pays dont l'intéressé a la
nationalité. En cas de conflit entre des ethnies ou en cas de
troubles graves équivalant à une situation de guerre civile, les
persécutions dirigées contre un groupe ethnique ou national
particulier peuvent être limitées à une partie du pays. En pareil
cas, une personne ne se verra pas refuser le statut de réfugié
pour la seule raison qu'elle aurait pu chercher un refuge dans
une autre partie du même pays si, compte tenu de toutes les
circonstances, on ne pouvait raisonnablement attendre d'elle
qu'elle agisse ainsi.
Cependant, le critère établi par le Guide consiste à
savoir si «compte tenu de toutes les circonstances,
on ne pouvait raisonnablement attendre d'elle
qu'elle agisse ainsi». Étant donné la nécessité de
porter un jugement dans les circonstances, le
défaut d'un tel jugement de la part de la Commis
sion parce qu'elle n'a pas traité de toute la ques
tion ne peut à mon sens aider l'intimé. J'estime que
le requérant a eu raison de dire que la Commission
a commis une erreur de droit en omettant de
considérer si l'intimé avait établi qu'il ne pouvait
se réclamer de la protection d'aucun des pays dont
il a la nationalité.
Le requérant a appuyé ses dires en renvoyant à
une disposition de la Convention de 1951, relative
au statut des réfugiés et à un extrait du Guide
libellé comme suit (précité, aux pages 25 et 26):
7) Nationalité double ou multiple
La section A 2°, deuxième alinéa, de l'article premier de la
convention de 1951 prévoit ce qui suit:
«Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité,
l'expression «du pays dont elle a la nationalité» vise chacun
des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas
considérée comme privée de la protection du pays dont elle a
la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée
sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protec
tion de l'un des pays dont elle a la nationalité.»
106. Cette disposition, qui n'appelle pas d'explications particu-
lières, a pour but d'exclure du statut de réfugié toutes les
personnes ayant plusieurs nationalités qui peuvent se réclamer
de la protection d'au moins un des pays dont elles ont la
nationalité. Chaque fois qu'elle peut être réclamée, la protec
tion nationale l'emporte sur la protection internationale.
Bien que cette partie de la Convention de 1951
n'ait pas été incorporée au droit canadien, je suis
néanmoins disposé à dire que la définition de
réfugié au sens de la Convention au paragraphe
2(1) de la Loi signifie clairement qu'un deman-
deur de statut doit ne pouvoir ni vouloir se récla-
mer de la protection d'aucun des pays dont il a la
nationalité. À l'appui de cette prétention, il suffit
de se référer au paragraphe 33(2) de la Loi d'in-
terprétation: «le singulier s'applique [...], le cas
échéant, ... à la pluralité». J'estime que la ques
tion n'est pas de savoir si la Commission a commis
une erreur, car elle l'a fait, mais plutôt de détermi-
ner si cette erreur était importante.
L'intimé a soutenu que la conclusion qu'il avait
la nationalité du Royaume-Uni et de l'Irlande
n'aurait pas modifié la décision de la Commission
quant au statut de réfugié au sens de la Conven
tion. Il est vrai que la preuve est à peu près égale
en ce qui concerne le danger auquel il serait exposé
aussi bien en Grande-Bretagne que dans les deux
parties de l'Irlande: dossier, vol. 1, à la page 22;
vol. 2, aux pages 162, 166 168, 186, 203, 205 et
214; vol. 3, aux pages 272, 274, 302 304. S'en-
suit-il par conséquent que l'on doit présumer que
la Commission a pris la même décision au sujet de
la persécution de l'intimé en Grande-Bretagne que
celle qu'elle a prise à l'égard des deux parties de
l'Irlande?
Malheureusement, la Commission a commis
également une autre erreur quand elle a déclaré
que le requérant «n'a pas établi le droit du deman-
deur de vivre en Grande-Bretagne, ni son droit à la
citoyenneté au Royaume-Uni» (1988), 9 Imm.
L.R. (2d) 48, la page 54. Cette charge n'incombe
pas au requérant puisque selon le paragraphe 8(1)
de la Loi, il appartient au demandeur de statut de
prouver qu'il a le droit d'entrer au Canada. Bien
que cette erreur ait trait expressément à la
Grande-Bretagne, et pourrait donc être considérée
comme aggravant simplement l'erreur antérieure
de la Commission, les erreurs qui portent sur la
charge de la preuve sont particulièrement trou-
blantes et ne sauraient passer inaperçues au cours
d'une révision.
La conclusion qu'un État stable, démocratique
et respectueux des lois est incapable de protéger
ses citoyens contre les éléments criminels ou sub-
versifs ne saurait être prise à la légère, et on né
doit y parvenir qu'en attribuant correctement le
fardeau de la preuve.
J'estime donc nécessaire que la question de
savoir si l'intimé peut se réclamer de la protection
du Royaume-Uni doit être renvoyée à la Commis
sion pour qu'elle statue à cet égard.
En conséquence, la demande fondée sur l'article 28
doit être accueillie, la décision de la Commission
d'appel de l'Immigration en date du 2 décembre
1988 doit être annulée, et l'affaire doit être retour-
née à la Commission pour qu'elle décide si l'intimé
ne peut ou, craignant avec raison d'être persécuté
du fait de son appartenance à un groupe social, ne
veut se réclamer de la protection du Royaume-
Uni.
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