A-637-86 (T-1481-85)
Michel Brière (demandeur-intimé)
c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada (défenderesse- appelante)
et
Procureur général du Canada (mis-en-cause)
RÉPERTORIÉ: BRIÈRE c. CANADA (COMMISSION DE L'EMPLOI
ET DE L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Marceau, Lacombe et Desjar-
dins—Montréal, 1 décembre 1987; Ottawa, 15
juin 1988.
Assurance-chômage — Appel d'un jugement de la Division
de première instance annulant des mesures d'exécution forcée
L'intimé a fraudé la Commission entre 1974 et 1976 —
Avis de paiement en trop envoyé en 1981, mais non reçu par
l'intimé parce qu'il avait déménagé — Mesures d'exécution
forcée entamées en 1985 — Appel rejeté — La Commission a
eu raison de se fonder sur l'art. 57 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage — L'art. 102 est inapplicable — L'art.
120(2), portant que l'attestation d'expédition d'un avis par la
poste fait foi de sa réception constitue-t-il une présomption
réfutable ou irréfragable? — Cette présomption s'applique-
t-elle? — Effet de la notification tardive.
Interprétation des lois — Art. 120(2) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage — L'attestation d'expédition d'un avis
par la poste fait foi de sa réception — Crée-t-elle une
présomption réfutable ou irréfragable? — Examen des ver
sions anglaise et française afin de déterminer l'intention du
législateur.
Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première
instance qui annule les mesures d'exécution forcée visant le
recouvrement de prestations d'assurance-chômage touchées illé-
galement. Entre 1974 et 1976, l'intimé a présenté des demandes
de prestations d'assurance-chômage au nom de personnes ficti-
ves. En 1981 la Commission de l'assurance-chômage lui a
expédié un avis de trop-perçu de prestations, mais il ne l'a pas
reçu parce qu'il avait déménagé. En 1985, la Commission a
saisi le salaire de l'intimé. Le juge de première instance a
décidé qu'en vertu de l'article 57 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, la Commission disposait d'un délai de six
ans pour réexaminer la demande frauduleuse de prestations et
d'un autre délai de six ans à compter de la date de notification
du montant à rembourser, pour recouvrer le trop-perçu. L'in-
timé a cependant réfuté la présomption créée par le paragraphe
120(2) selon laquelle l'attestation d'expédition d'un avis par la
poste fait foi de sa réception. Étant donné que la notification
n'avait pas été reçue, la Commission perdait son droit d'action
et l'intimé ne lui devait plus rien. Le paragraphe 49(1) prévoit
le remboursement des prestations. Le paragraphe 49(4) dispose
qu'une somme due en vertu du présent article ne peut être
recouvrée plus de trente-six mois après la date à laquelle
l'obligation est née ou plus de soixante-douze mois à compter de
cette date dans le cas où une infraction prévue à l'article 47, a
été commise. En vertu de l'article 57, la Commission dispose
d'un délai de trente-six mois (ou de soixante-douze mois dans le
cas de fraude) pour examiner de nouveau toute demande et
pour calculer la somme remboursable. L'article 102 permet à la
Commission de modifier toute décision relative à une demande
de prestations et ce, sans restriction quant au délai. Le juge de
première instance n'a pas fait mention de l'article 102. Selon le
droit commun, le droit de demander la restitution du produit
d'une fraude se prescrit par trente ans à compter de la date à
laquelle la fraude a été découverte. Puisque l'action a pris
naissance au Québec, l'appelante s'est également prévalue de
l'article 2215 du Code civil qui prévoit que les dettes envers la
Couronne se prescrivent par trente ans. Le juge de première
instance a rejeté cet argument pour le motif qu'une disposition
particulière prévaut toujours contre une disposition générale.
Les questions en litige étaient les suivantes: (1) la Commission
pouvait-elle poursuivre en vertu de la Loi et, le cas échéant,
est-ce que l'article 57 ou 102 s'appliquait? (2) les conditions
prévues à l'article 57 avaient-elles été respectées? (étant donné
que la notification n'avait pas été reçue); (3) y avait-il encore
un droit d'action en droit commun? (4) le paragraphe 120(2)
(qui prévoit qu'une attestation d'expédition d'un avis par la
poste fait foi de sa réception) créé-t-il une présomption juris
tantem ou juris et de jure?
Arrêt (le juge Marceau dissident): l'appel doit être rejeté,
mais la disposition déclarant que l'intimé ne devait plus rien à
l'appelante doit être radiée.
Le juge Lacombe: La question relative à la prescription était
un faux problème puisque le droit d'action de l'appelante n'était
pas prescrit, même par l'article 49. La poursuite de la Commis
sion était justifiée par la Loi. Vu les déclarations fausses et
trompeuses faites par l'intimé, ce sont manifestement les para-
graphes 49(4) et 57(6) qui s'appliquaient en l'espèce, ceux-ci
conférant à la Commission deux délais supplémentaires de
trente-six mois chacun pour examiner de nouveau les demandes
de prestations et tenter de se faire rembourser les sommes
versées en trop.
La Commission était tenue d'invoquer l'article 57. L'article
102 était inapplicable. Celui-ci permet à la Commission de
modifier ses décisions, mais il ne traite ni du recouvrement des
prestations payées en trop ni de la prescription des demandes.
Ces questions font l'objet de l'article 49, ce qui entraîne obliga-
toirement l'application de l'article 57. Si la Commission se
prévaut de son pouvoir de réexamen prévu à l'article 57, elle
acquiert ainsi le droit de recouvrer des prestations payées en
trop en vertu de l'article 49. L'article 102 ne fait pas mention
des conséquences passées ou futures de la 'nouvelle décision.
Selon la maxime «generalia specialibus non derogant» l'article
57 s'applique à l'exclusion de l'article 102.
L'article 102 est une disposition administrative qui peut être
invoquée pour réexaminer une affaire et modifier une décision à
la lumière de nouveaux faits dont la Commission, un conseil
arbitral ou un juge-arbitre n'ont pas eu connaissance. La
Commission jouit de pouvoirs beaucoup plus étendus en vertu
de l'article 57 et elle peut, de son propre chef, modifier toute
une série de demande de prestations dans un délai de trois ou de
six ans. Elle peut se prévaloir du droit de réexamen prévu à
l'article 57 «nonobstant l'article 102». Les pouvoirs conférés par
ces deux articles ne sont pas interchangeables.
Le juge de première instance a décidé à juste titre que le
paragraphe 120(2) créait une présomption réfutable ou juris
tantum. En général, le droit ne favorise pas la création, surtout
par voie d'interprétation judiciaire, de présomptions juris et de
jure en l'absence d'un énoncé précis qui, en plus, doit être sans
équivoque dans les deux langues. Le sens strict de l'expression
française «fait foi» ne doit pas restreindre le sens des mots «is
evidence» en anglais de manière à leur donner le sens de «is
conclusive evidence». Qui plus est, lorsque le législateur a voulu
créer une présomption irréfragable dans d'autres articles, il y a
ajouté une qualification (par exemple, «sans autre preuve»). En
outre, «notifier» signifie «faire connaître expressément». Finale-
ment, la décision portant sur le droit aux prestations est sujette
à un appel devant le conseil arbitral. Si le paragraphe 120(2)
créait une présomption juris et de jure, un prestataire n'aurait
pas droit à une prorogation de délai et perdrait ainsi son droit
d'appel.
La notification du solde à rembourser devait être expédiée
avant le mois de mars 1982. Le défaut de notifier l'intimé dans
le délai prévu a fait perdre à la Commission son droit de
recouvrement. L'avis prévu à l'article 57, qui est envoyé tardi-
vement empêche tout recours fondé sur l'article 49.
Enfin, le juge de première instance a dépassé le cadre du
litige en décidant que l'intimé ne devait plus rien à l'appelante.
Il ne lui devait plus rien en vertu de la Loi. Le juge n'avait pas
à décider si la Commission avait un recours contre l'intimé
devant les tribunaux de droit commun.
Le juge Desjardins: Contrairement à l'expression anglaise «is
evidence of» figurant au paragraphe 120(2), l'expression fran-
çaise «fait foi de» signifie que l'attestation d'expédition par la
poste constitue une preuve que l'avis a été reçu, sans autre
preuve. Bien qu'il faille interpréter libéralement les dispositions
relatives au droit d'une personne de toucher des prestations, il
ne faut pas pour autant interpréter les dispositions administrati-
ves de la Partie V de manière à favoriser systématiquement le
prestataire. En créant l'article 120, le législateur avait pour but
d'aider la Commission à reconnaître l'authenticité de la preuve
documentaire. Il ne fait pas de doute que le paragraphe 120(2)
devait créer une présomption juris et de jure. Cette présomp-
tion ne s'applique cependant que «dans les délais normaux de
livraison du courrier», de sorte qu'il y a des circonstances
susceptibles d'empêcher son application. Elle ne peut pas s'ap-
pliquer dans le cas d'une erreur d'adresse.
Le juge Marceau (dissident): L'intimé était à la fois un
voleur qui a détourné les fonds de la Commission et un presta-
taire qui a touché des prestations auxquelles il n'avait pas droit.
Dans le premier cas, il a été obligé de rembourser la Commis
sion en vertu des règles de droit commun, cette obligation
subsistant jusqu'à ce que le remboursement soit effectué (sous
réserve de l'article 2232 du Code civil). La Commission a choisi
de poursuivre l'intimé en tant que prestataire sous le régime de
l'article 57 de la Loi.
L'article 102 ne s'applique pas. Il ne peut donner lieu à une
décision pouvant créer de manière indépendante et absolue, une
obligation de remboursement qui soit sûre, exigible et liquide.
Cela n'est possible qu'en vertu de l'article 57. En corrigeant les
modalités d'une décision antérieure, une décision fondée sur
l'article 102 peut faire ressortir l'existence d'une obligation de
rembourser des prestations. Cependant, la seule disposition de
la Loi qui permette le remboursement des prestations se trouve
au paragraphe 49(4).
La Commission peut, conformément à l'article 57, examiner
de nouveau une demande de prestations et faire naître une
nouvelle obligation indépendante de rembourser, dans un délai
précis, à compter du paiement des prestations. Il ne fait aucune
mention d'une prescription extinctive d'une dette. L'expiration
de délai prévu signifie seulement que la Commission ne pourra
plus agir de son propre chef et créer une créance qui soit
remboursable immédiatement. Elle serait obligée de passer par
les tribunaux de droit commun.
La notification fixe le point de départ d'un autre délai qui est
celui de la prescription extinctive de la dette; il s'agit du délai
prévu au paragraphe 49(4). A partir du moment où la Commis
sion a fini de réexaminer une demande de prestations, elle
dispose d'un délai de trois ou de six ans pour recouvrer la dette.
Une notification qui n'est pas reçue par le débiteur n'a pas cet
effet: la dette qui prend naissance à la suite du nouvel examen
d'une demande doit quand même être éteinte après trois ou six
ans.
Le paragraphe 120(2) crée une présomption absolue et irré-
fragable. Autrement, l'expression ais evidence that» serait
redondante puisqu'une telle présomption existe naturellement.
La présomption est cependant assujettie à la condition que le
destinataire soit correctement identifié, c'est-à-dire que le nom
doit être rattaché à une personne physique précise habitant à
l'adresse à laquelle la lettre est livrée. Le paragraphe 120(2) ne
s'appliquait pas en l'espèce.
La Commission a bien respecté les délais précisés dans la
Loi. Elle avait fini d'examiner de nouveau la demande au
moment de l'expédition de la notification qui pouvait, par
conséquent, s'appliquer au versement de prestations effectué six
ans auparavant. Les mesures d'exécution avaient été initiés par
lettre en date du 8 mai 1985, donc avant la date d'expiration du
délai de six ans.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code civil du Bas Canada, art. 1158, 1161, 1207, 1245,
2215, 2232.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 338(1),
663(2)e).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72
chap. 48, art. 2(1)b) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54,
art. 26), 17, 49, 55(1) (mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 80, art. 19), (9), (mod., idem), 57 (mod., idem,
art. 20; 1976-77, chap. 54, art. 48) 80 (mod. par S.C.
1984, chap. I, art. 124), 94, 102, 1l1, 112 (mod. par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 49) 120(2) (mod.
par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 35).
Loi régissant l'emploi et l'immigration, S.C. 1976-77
chap. 54, art. 10.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 38
Loi sur les langues officielles. S.R.C. 1970, chap. O-2,
art. 8.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [ 1979] 1 R.C.S.
865; Food Machinery Corp. v. Registrar of Trade
Marks, [1946] 2 D.L.R. 258 (C. de l'É.).
UIJIIiVI.I IUry l'AI in AVCl..
Brito c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1987] 1 C.F. 80 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Le procureur général du Canada c. Rivermont Construc
tion Company, jugement en date du 21 décembre 1982,
Cour supérieure du Québec, CSM n° 05-01 1373-782, non
publié.
DÉCISIONS CITÉES:
E. H. Price Limited c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841
(C.A.); White v. Weston, [1968] 2 Q.B. 647 (C.A.); R. c.
Varnes, [1975] C.F. 425 (1" inst.); Hills c. Canada
(Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; Abrahams c.
Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; Rose
(1981) CUB 6266; Miedus (1983) CUB 7983; Filion
(1980) CUB 5730.
DOCTRINE
Nadeau, André et Léo Ducharme Traité de Droit civil du
Québec, vol. IX, Montréal: Wilson et Lafleur, 1965.
AVOCATS:
André Champagne pour le demandeur
(intimé).
Carole Bureau pour la défendresse (appe-
lante).
PROCUREURS:
Lapointe, Shachter, Champagne & Talbot,
Montréal, pour le demandeur (intimé).
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse (appelante).
Voici les motifs du jugement rendu en français
par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Cet appel,
porté à l'encontre d'un jugement déclaratoire de
première instance [(1986), 10 F.T.R. 80], présente
un intérêt qui va bien au delà de la solution
immédiate du différend qui oppose les parties. Il
soulève en effet un problème de coordination et
d'interprétation de plusieurs dispositions d'applica-
tion courante de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48 (la Loi), de
sorte que sa considération est susceptible d'avoir
une influence sur des aspects importants de la
pratique administrative. Voici ce dont il s'agit.
Entre le ler octobre 1974 et le 15 mars 1976',
Michel Brière, l'intimé, réussit à extorquer à la
Commission-appelante une somme importante
estimée à 35 588 $. Profitant de la connivence
d'une employée de la Commission, il présentait
sous de faux noms, et faisait accepter à l'aide de
documents contrefaits, des réclamations de presta-
tions de chômage payables dont il récoltait clan-
destinement les redevances. L'escroquerie fut éven-
tuellement mise à jour par des enquêteurs de la
Gendarmerie royale du Canada qui, le 26 septem-
bre 1977, signaient en cour criminelle, contre lui et
sa complice, des dénonciations rattachées à l'arti-
cle 338(1) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap.
C-34]. Brière lui-même reconnut vite sa culpabilité
et, le 24 octobre 1977, il se voyait imposer par un
juge de la Cour des Sessions de la Paix une
sentence qui comportait entre autres (comme le
permet le paragraphe 663(2)e) du Code criminel)
l'obligation de rembourser à la Commission une
somme de 15 000 $ dans un délai de sept jours. Sa
complice choisit au contraire d'attendre et ne
reconnut le bien-fondé des accusations portées
contre elle que le 16 février 1981, mais elle aussi, à
ce moment, fut tenue de rembourser immédiate-
ment un montant à la Commission de 5 000 S.
Une fois les procédures criminelles terminées, la
Commission songea à récupérer au complet les
sommes dont elle avait été fraudée. Se prévalant
d'une prérogative que la Loi lui donne de revenir
sur des actes passés, elle annula rétroactivement,
par décisions formelles datées du 25 mai 1981,
toutes ces périodes de prestations fictives dont
Brière avait frauduleusement profité. L'effet de
ces décisions était de confirmer officiellement que
l'ensemble des montants versés sur la base de ces
périodes de prestation annulées constituaient un
«trop-payé» sujet à remboursement. Le 29 juin
1981, la Commission adressait à Brière un avis
postal le notifiant du solde restant dû sur ce trop-
payé, après déduction des sommes que les senten
ces criminelles avaient permis de récupérer, et le
mettant en demeure de rembourser. Cet avis et les
Il faut appuyer sur les dates dans le récit des faits à cause
de la nature du problème qui, on le verra, en est un de
prescription.
trois autres qui le suivirent n'ayant eu aucune
suite, la Commission décida enfin (après quatre
ans!) de procéder à des mesures d'exécution. C'est
ainsi que le 8 mai 1985, utilisant le pouvoir spécial
qu'elle a de saisir en main tierce sans ordre de cour
(articles 80 [mod. par S.C. 1984, chap. 1, art. 124]
et 112 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47,
art. 49] de la Loi), elle s'adressait directement à
l'employeur de Brière lui demandant de retenir et
de verser régulièrement au Receveur-Général du
Canada, en satisfaction de sa créance, la partie
saisissable du salaire de son employé. Le 2 juillet
1985, Brière s'adressait à la Division de première
instance pour obtenir un jugement déclarant la
saisie-arrêt opérée entre les mains de son
employeur illégale et nulle, ce, au motif que la
dette qu'il avait eu envers la Commission était
maintenant éteinte par prescription. Jugement
accédant à sa demande fut rendu le 26 septembre
1986. C'est le jugement dont l'appelante conteste
ici le bien-fondé.
Avant de regarder de plus près le contenu de ce
jugement, il sera utile de relire, pour les avoir
présent à l'esprit, les principaux articles [articles
49, 57 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art.
20; 1976-77, chap. 54, art. 48), 102] de la Loi sur
lesquels les parties appuyaient devant le premier
juge—et appuient toujours d'ailleurs—leurs pré-
tentions respectives. Je les reproduis intégrale-
ment 2 .
49. (1) Lorsqu'une personne a touché des prestations en
vertu de la présente loi ou de l'ancienne loi au titre d'une
période pour laquelle elle était exclue du bénéfice des presta-
tions ou a touché des prestations auxquelles elle n'est pas
admissible, elle est tenue de rembourser la somme versée par la
Commission à cet égard.
(2) Toutes les sommes payables en vertu du présent article
ou des articles 47, 51 ou 52 sont des dettes envers Sa Majesté
recouvrables à ce titre devant la Cour fédérale du Canada ou
tout autre tribunal compétent ou de toute autre manière prévue
par la présente loi.
(3) Lorsqu'un prestataire acquiert le droit de percevoir des
prestations, le montant de toute dette visée aux paragraphes (1)
ou (2) peut, de la manière prescrite, être retenu sur les presta-
tions qui lui sont payables.
2 Quelques autres dispositions sont mises en cause comme
celles relatives aux pouvoirs spéciaux d'exécution que détient la
Commission (articles 80 et 112 de la Loi, tel qu'indiqué
ci-haut) et un texte sur l'envoi d'avis par la poste que je citerai
plus loin, mais ces articles-là ne sont pas aussi directement
impliqués dans la discussion.
(4) Aucune somme due à Sa Majesté en vertu du présent
article ne peut être recouvrée plus de trente-six mois après la
date à laquelle l'obligation est née sauf si, de l'avis de la
Commission, il a été commis à cet égard une infraction prévue
par le paragraphe (1) de l'article 47, auquel cas une telle
somme ne peut être recouvrée plus de soixante-douze mois
après la date à laquelle l'obligation est née.
57. (1) Nonobstant l'article 102 mais sous réserve du para-
graphe (6), la Commission peut, à tout moment, dans les
trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été
payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute
demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une
personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquel-
les elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice
desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme
d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et
au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission doit
calculer la somme payée ou payable, selon le cas, et notifier sa
décision au prestataire.
(2) Toute décision rendue par la Commission en vertu du
paragraphe (1) peut être portée en appel en application de
l'article 94.
(3) Si la Commission décide qu'une personne a reçu une
somme au titre de prestations auxquelles elle n'avait pas droit
ou pour une période durant laquelle elle n'était pas admissible,
cette somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui
est remboursable conformément à l'article 49.
(4) Si la Commission décide qu'une personne n'a pas reçu la
somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les
conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissi
ble, la somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui
est payable au prestataire.
(5) La date à laquelle la Commission notifie à la personne la
somme calculée en vertu du paragraphe (1) comme étant
remboursable en vertu de l'article 49 est, aux fins du paragra-
phe (4) de l'article 49, la date à laquelle naît l'obligation de
remboursement.
(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou
représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à
une demande de prestations, elle dispose d'un délai de soixante-
douze mois pour réexaminer la demande en vertu du paragra-
phe (1).
102. La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre
peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande
particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux
ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit
connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à
un tel fait.
Avec ces textes à l'esprit, il sera sans doute plus
facile de suivre le raisonnement du juge. Voici
donc, en résumé, ses motifs.
Sitôt les faits racontés, et les textes applicables
rappelés, le juge expose rapidement, en deux para-
graphes, les données pertinentes qu'il tire de la
Loi. Il s'exprime comme suit (page 83):
Essentiellement, la Commission de l'emploi et de l'immigra-
tion dispose de six (6) ans, dans les cas de fraude comme en
l'espèce, pour réexaminer toute demande de prestations et d'un
autre délai de six (6) ans, toujours dans une situation de fraude,
pour recouvrer le trop-payé. Ces délais sont de rigueur. La
seule question qui se pose toutefois est de déterminer le point de
départ de ces délais.
Dans le cas d'un nouvel examen de demandes de prestations,
le délai court à compter du moment où les prestations ont été
payées (cf. par. 57(1)). Si je me reporte à la preuve soumise en
l'espèce, il appert que les actes frauduleux ont été commis entre
le 1°" octobre 1974 et le 15 mars 1976 et donc que la Commis
sion aurait, toujours en application du par. 57(1) de la Loi,
jusqu'au 15 mars 1983 pour réexaminer les demandes de
prestations. Passé cette date, elle ne pourrait procéder à un
nouvel examen et, par voie de conséquence, serait empêchée
d'effectuer des démarches pour recouvrer le trop-payé.
Puis le juge en vient à ce qu'il considère la diffi
culté. Il poursuit [à la page 83]:
Ce qui complique singulièrement les choses ici, c'est que la
Commission doit, pour interrompre la prescription et valide-
ment mettre en marche le mécanisme de révision prévu à l'art.
57, notifier la personne qui a reçu des prestations en trop de
l'obligation de rembourser. Cette notification, ou son absence,
constitue en l'espèce la pomme de discorde. [Le souligné est du
juge.]
C'est que, explique le juge, le demandeur,
Brière, a nié avoir reçu l'avis que la Commission
lui a fait parvenir et un avis non reçu ne saurait
constituer une notification au sens de l'article 57,
soit une notification propre à opérer interruption
de prescription. Le noeud du litige est là, dit le
juge: y a-t-il eu notification? Ce n'est pas que
l'affirmation de Brière soit douteuse, s'empresse de
préciser le juge: elle est confirmée par le fait qu'il
ne demeurait plus à l'adresse où l'avis a été
envoyé. C'est qu'on pourrait se demander si cette
preuve n'est pas, comme le soutiennent les procu-
reurs de la Commission, interdite par ce paragra-
phe 120(2) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80,
art. 35] de la Loi qui dispose comme suit:
120... .
(2) Aux fins de la présente loi et des règlements ainsi que
des procédures engagées sous leur régime, un document pré-
senté comme étant un certificat de la Commission ou d'un de
ses fonctionnaires ou employés attestant l'expédition par la
poste d'un avis, d'une demande, d'une sommation ou d'un autre
document, fait foi de sa réception par le destinataire dans les
délais normaux de livraison du courrier.
Mais le juge ne croit pas qu'il puisse en être ainsi;
il se dit d'avis que la «présomption de réception»
créée par cette disposition du paragraphe 120(2)
n'est qu'une présomption simple qui laisse ouverte
la possibilité d'une preuve contraire. Puisqu'il
accepte la parole de Brière, il lui faut déduire de la
preuve que cette notification qu'exige l'article 57
pour interrompre la prescription n'a jamais eu lieu.
Et la conclusion pour lui s'impose, qu'il transcrit
dans son jugement formel comme suit:
J'accueille l'action en jugement déclaratoire du demandeur
et déclare que ce dernier ne doit plus rien à la défenderesse. Les
saisies-arrêts en mains tierces opérées en l'espèce par la défen-
deresse sont déclarées illégales et par le fait même annulées.
Chaque partie supportera ses dépens.
J'ai dit au début que l'intérêt de cet appel venait
de ce que les textes mis-en-cause étaient de grande
portée pratique. On s'en est sans doute rendu
compte. Ces textes en effet sont ceux que le Parle-
ment a adoptés en considération du fait que, dans
l'exercice de sa responsabilité, la Commission ne
pouvait qu'être particulièrement vulnérable aux
erreurs de toutes sortes, erreurs commises sponta-
nément ou erreurs suscitées par des déclarations
inexactes, équivoques, incomplètes ou fausses
venant des bénéficiaires eux-mêmes, ou même
encore, à l'occasion, erreurs résultant de manoeu
vres frauduleuses venant de tiers comme ici. Il
suffit pour comprendre cette vulnérabilité de
songer au nombre énorme de réclamations que la
Commission doit traiter quotidiennement; au fait
que ce traitement doit être assuré par une armée
d'officiers de tous niveaux, disséminés dans de
multiples bureaux locaux; que ces officiers sont
appelés à prendre parti sur la base souvent des
seules déclarations des intéressés et doivent agir
avec toute la célérité qu'exige le fait qu'ils ont
affaire la plupart du temps à des gens autrement
privés de toutes ressources. Que n'importe quelle
décision susceptible d'affecter le sens et la portée
de ces dispositions de la Loi sur la base desquelles
la Commission peut revenir en arrière pour réparer
ses erreurs, ait, pour elle, une importance primor-
diale, se comprend sans peine. Et c'est manifeste-
ment à une telle décision que l'appel convie.
Mais avant d'en venir à cette analyse des dispo
sitions de la Loi mises en cause une remarque
préliminaire s'impose. On a noté que le jugement
de première instance contient une déclaration
générale de base à l'effet que l'intimé ne doit plus
rien à la Commission. Je dois dire avec respect que
cette déclaration est pour moi, à sa face même,
clairement erronée. Il me semble indéniable que
l'intimé a une obligation de remboursement envers
la Commission et qu'en vertu des règles de droit
commun cette obligation subsistera tant et aussi
longtemps que paiement n'aura pas eu lieu puisque
c'est la Reine qui est créancière à travers la Com
mission et qu'on ne prescrit pas, en principe, contre
la Reine (ceci dit, sous réserve de l'effet que
pourrait avoir le principe de l'article 2232 du Code
civil du Bas Canada à l'égard de la Couronne
fédérale). C'est la façon dont la Commission s'est
prise pour établir la dette et forcer son rembourse-
ment qui peut faire problème. La Commission ici
n'a pas procédé en intentant une action en justice
devant les tribunaux de droit commun, elle s'est
servi de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et
des pouvoirs spéciaux qu'elle pouvait en tirer,
notamment le droit de rendre elle-même sa
créance exécutoire et d'en assurer le recouvrement
par saisie en main tierce. C'est uniquement sur
cette façon de procéder que le juge pouvait se
prononcer et la question qu'il avait à résoudre était
celle de savoir non pas si la dette était prescrite,
elle ne l'était certes pas, mais si la Commission
était encore dans les délais requis par la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage pour la faire valoir
comme elle l'avait fait, c'est-à-dire d'autorité et
sans autres formalités.
Je dois même dire pour ma part que je me suis
demandé un moment s'il ne fallait pas reconnaître
que la saisie-arrêt était illégale au motif que, dans
les circonstances de l'espèce, la Commission n'était
pas autorisée à recourir, pour récupérer son dû,
aux dispositions exorbitantes du droit commun que
contient cette Loi spéciale pour l'administration de
laquelle des prérogatives spéciales lui ont été
accordées. N'était-ce pas seulement lorsqu'elle
avait affaire à un prestataire ou un ancien presta-
taire en vertu de la Loi que la Commission pouvait
utiliser ses pouvoirs extraordinaires? Je n'hésite
plus maintenant car il me semble que s'il est vrai
que l'intimé n'a jamais été ouvertement presta-
taire, il a néanmoins touché lui-même des argents
versés au titre de prestations et on ne pourrait
contester à la Commission le droit de considérer
qu'il a été ainsi prestataire sous des noms d'em-
prunt. Il faut voir en effet que la situation de
Brière participe à la fois de celle du voleur qui
détourne à son profit des fonds de la Commission
et de celle du prestataire qui se fait attribuer des
prestations auxquelles il n'a pas droit en faisant,
sur sa condition et ses activités, des déclarations
erronnées. Cette situation hybride donnait à la
Commission, pour l'exercice de sa créance, un
choix entre le recours aux tribunaux civils de droit
commun, le seul, incidemment, qui lui soit ouvert
dans le cas pur et simple de détournement de
fonds, et le recours aux dispositions spéciales de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, que le Par-
lement a prévues pour les cas de trop-perçus par
des prestataires suite à des déclarations erronnées.
La Commission aurait pu intenter des procédures
en remboursement et faire la preuve de sa créance
devant la Cour Supérieure, auquel cas celle-ci
n'aurait certes pu décliner jurisdiction. Elle a, au
contraire, choisi de faire appel à sa Loi et à
l'article 57, et je ne vois pas sur quelle base on
pourrait lui en dénier le droit.
Venons-en donc au problème que l'appel soulève
et demandons-nous si la Commission a utilisé les
textes de sa Loi en en respectant les exigences
quant aux formalités requises et aux délais fixés
pour leur mise en œuvre.
La première démarche qui s'impose est de déter-
miner en vertu de quelles dispositions de la Loi la
Commission pouvait, comme elle l'a fait, annuler
rétroactivement les périodes de prestations fictives
et ce faisant établir formellement l'existence d'un
«trop-payé», objet d'une obligation certaine, liquide
et exigible recouvrable directement par saisie-
arrêt. Les procureurs de l'appelante voudraient
que ce soit celles de l'article 102 qui ne contient
aucune mention de délai, plutôt que celles de
l'article 57 comme l'a pensé le juge. Les deux
articles, font-ils remarquer, prévoient la possibilité
de modifier rétroactivement une décision et les
deux peuvent fort bien se voir attribuer un champ
d'action autonome. En effet, alors que l'article 57,
rédigé en termes généraux, permet de revenir sur
n'importe quelle erreur, peu importe comment elle
est survenue, l'article 102 ne peut s'appliquer que
dans le cas de découverte d'un fait nouveau, ce qui
explique pourquoi d'ailleurs sa disponibilité à lui
n'est pas limitée dans le temps. Dans un cas
comme ici où les conditions d'application de l'arti-
cle 102 sont manifestement présentes, affirment
les appelants, les délais n'entrent pas en ligne de
compte, et il n'y a pas lieu de s'en préoccuper.
Je crois que cette suggestion des procureurs de
l'appelante de faire appel à l'article 102 plutôt que
57 repose sur une façon de lire la Loi qui n'est pas
correcte. L'article 102, tel que je le comprends, n'a
pas de rôle à jouer ici. Cet article, qui se trouve,
notons-le, dans la dernière Partie de la Loi consa-
crée à des dispositions purement administratives et
applicables spécialement aux appels devant le con-
seil arbitral et devant l'arbitre, ne peut donner lieu
à une décision susceptible de faire naître, par
elle-même et de façon autonome et nouvelle, une
obligation certaine, liquide et exigible de rembour-
sement. Une décision sous l'article 102, en recti-
fiant les termes d'une décision antérieure, peut
bien avoir l'effet d'attester qu'un paiement a été
fait indûment parce que basé à ce moment sur des
données de faits qui étaient incorrectes ou incom-
plètes ou mal perçues et par le fait même mettre
en pleine lumière pour ainsi dire l'existence chez
celui qui a reçu ce paiement sans droit d'une
obligation de rembourser. Mais cette obligation de
rembourser ne peut trouver de point d'appui dans
la Loi qu'à l'article 49 qui prévoit à son paragra-
phe 4 un délai ferme d'exécution qui courait
depuis le paiement. C'est d'ailleurs justement
parce qu'une décision sous l'article 102 n'était pas
destinée à avoir d'effet sur la date de naissance de
quelque obligation de rembourser ni sur le temps
donné à la Commission pour en assurer l'exécution
qu'il était tout à fait inutile de l'enfermer dans un
délai quelconque, ou de le rattacher de quelque
façon à l'article 49. Seul l'article 57 donne à la
Commission le pouvoir de prononcer une décision
qui par elle-même fera naître une obligation de
remboursement nouvelle, certaine, liquide et exigi-
ble. Le juge de première instance a eu raison de ne
pas s'arrêter à l'article 102.
Ce premier point étant acquis, il faut mainte-
nant se demander ce que peut venir faire le délai
dont fait état l'article 57, dont je rappelle de
nouveau, pour plus de commodité, les premier,
troisième et dernier paragraphes:
57. (1) Nonobstant l'article 102 mais sous réserve du para-
graphe (6), la Commission peut, à tout moment, dans les
trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été
payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute
demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une
personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquel-
les elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice
desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme
d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et
au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission doit
calculer la somme payée ou payable, selon le cas, et notifier sa
décision au prestataire.
(3) Si la Commission décide qu'une personne a reçu une
somme au titre de prestations auxquelles elle n'avait pas droit
ou pour une période durant laquelle elle n'était pas admissible,
cette somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui
est remboursable conformément à l'article 49.
(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou
représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à
une demande de prestations, elles dispose d'un délai de
soixante-douze mois pour réexaminer la demande en vertu du
paragraphe (1).
Le savant juge de première instance, on l'a vu,
considère que ce délai de trente-six ou soixante-
douze mois, à l'intérieur duquel seulement la Com
mission peut agir sous l'autorité de l'article 57,
constitue un délai de prescription et il attribue à la
notification exigée le rôle d'un acte interruptif de
prescription. Il me semble, je le dis avec déférence,
qu'une telle interprétation est mal conçue. Il n'y a
aucune raison de ne pas laisser le texte dire stricte-
ment ce qu'il dit, soit que la Commission peut
librement procéder à un nouvel examen d'une
demande qui a donné lieu au paiement de presta-
tions et déterminer que la demande a été initiale-
ment mal appréciée et traitée incorrectement,
pourvu qu'elle le fasse à l'intérieur d'un certain
délai après le paiement. Le texte ne parle nulle-
ment d'un délai de prescription extinctive d'une
dette. Sans doute peut-on dire que s'il y a vraiment
eu au départ un paiement indu, à strictement
parler, il y a eu aussi et en même temps naissance
d'une obligation de remboursement en vertu de
l'article 49. Mais, avant le nouvel examen, cette
obligation, si elle existait, n'était ni liquide ni en
pratique exigible puisqu'elle n'était même pas éta-
blie. On peut difficilement imaginer une dette qui
commencerait à se prescrire avant que son exis
tence même ne soit connue. La disposition placée
en contexte, est claire: tout ce qu'elle édicte c'est
que la Commission a trente-six ou soixante-douze
mois pour reconsidérer une demande et faire naître
d'autorité, le cas échéant, une obligation nouvelle
et autonome de remboursement qu'elle pourra exé-
cuter par les moyens exorbitants du droit commun
que la Loi a mis à sa disposition. L'écoulement de
ces trois ou six ans n'a qu'un effet: faire perdre à la
Commission la possibilité de procéder d'elle-même
d'autorité et de faire naître automatiquement une
dette immédiatement recouvrable. Même si la
Commission acquiert la certitude, par exemple,
qu'elle a été trompée ou volée lors d'un paiement
datant de plus de 6 ans, elle ne pourra plus avoir
d'autorité et se faire justice à elle-même. Non pas
certes que la Commission ait en ce cas perdu toute
possibilité de récupérer et que le fraudeur puisse
partir sans s'inquiéter. La Commission ne saurait
perdre son recours avant même de savoir qu'elle en
avait un mais elle devra maintenant s'en remettre
aux tribunaux de droit commun. Il ne saurait être
question ici à proprement parler d'un délai de
prescription extinctive d'une dette.
Ce qui nous emmène au troisième point: quel est
le rôle et l'effet de la notification requise. Bien sûr,
ce n'est pas d'interrompre la prescription s'il n'y a
pas vraiment de prescription qui court. C'est
d'abord naturellement de compléter la procédure
en avisant le prestataire de la somme dont la
révision l'a rendu redevable. Mais c'est aussi—et
cela nous intéresse directement—d'établir le point
de départ, le «terme a quo», d'un autre délai qui lui
en est un ouvertement et clairement de prescrip
tion extinctive, soit celui établi par le paragraphe
49(4) de la Loi. A compter du moment où a été
complétée la procédure de révision établissant la
dette de trop-perçu et l'obligation de rembourse-
ment, la Commission a un délai fixe de trois ou six
ans pour réaliser sa créance. Cette prescription
extinctive joue naturellement contre la Commis
sion puisque son effet est de rendre «non recouvra-
ble» la dette que la procédure de révision avait
établie.
Et on en arrive finalement à cette question qui
est apparue au juge de première instance comme
étant au coeur même du litige: quelle conséquence
peut avoir une notification qui, bien que faite de
bonne foi et conformément à la Loi, n'a pas atteint
son but premier d'aviser le débiteur? La réponse
ne fait pas de doute. Aucune conséquence ne sau-
rait en résulter quant au point de départ du délai
de prescription extinctive du paragraphe 49(4): la
dette résultant de la révision devra s'éteindre
quand même après trois ou six ans. Les seules
conséquences possibles seront bien sûr des consé-
quences favorisant le débiteur et on pense d'abord
au point de départ du délai d'appel du paragraphe
57(2) et ensuite, éventuellement, aux intérêts, ou
encore aux frais de recouvrement, le cas échéant.
En aucune façon donc y a-t-il lieu de s'en inquiéter
pour ce qui nous occupe ici.
Il n'est pas besoin d'aller plus loin pour être en
mesure de dégager à partir des faits de la cause la
réponse à la question posée. Mais auparavant je
me permettrai d'ouvrir une parenthèse pour expri-
mer brièvement mon avis sur un point que le débat
en première instance a élevé au rang de point
crucial: je veux parler de la nature de la présomp-
tion créée par le paragraphe 120(2) de la Loi dont
je rappelle les termes:
1t20... .
(2) Aux fins de la présente loi et des règlements ainsi que
des procédures engagées sous leur régime, un document pré-
senté comme étant un certificat de la Commission ou d'un de
ses fonctionnaires ou employés attestant l'expédition par la
poste d'un avis, d'une demande, d'une sommation ou d'un autre
document, fait foi de sa réception par le destinataire dans les
délais normaux de livraison du courrier.
On a vu que, pour le juge de première instance,
cette présomption créée par le paragraphe 120(2)
de la Loi n'était qu'une simple présomption de
droit (juris tantum) qu'une preuve contraire pou-
vait détruire. Je me permettrai ici encore d'expri-
mer avec respect mon désaccord. Il ne me paraît
pas possible qu'il puisse s'agir d'autre chose qu'une
présomption absolue et irréfragable. L'utilisation
des mots «fait foi de sa réception» est à cet égard
déterminante: ce sont les mots d'une règle de fond
et non seulement d'une règle de preuve'. On ne
voit pas d'ailleurs ce qu'ajouterait la règle s'il ne
s'agissait que d'une présomption simple, une telle
présomption existant naturellement, en pratique,
en tant que présomption de fait résultant du simple
envoi d'une lettre par courrier postal. Ce que le
législateur a voulu manifestement c'est d'éviter à
la Commission l'obligation,—qui pourrait devenir
très lourde à cause du nombre en jeu,—de s'assu-
rer que l'avis qu'elle a envoyé par la poste a bien
été reçu et que son destinataire en a pris connais-
sance, but qui ne serait certes pas atteint si la seule
affirmation du destinataire que la lettre ne lui est
pas parvenu ou qu'il n'en a pas eu connaissance
devait prévaloir: la Commission ne pourrait jamais
3 Voir sur ce point: Brito c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration), [1987] 1 C.F. 80 (C.A.), aux p. 92 et 93.
se fier à la poste. Mais cela dit, il semble évident
que la règle ne saurait jouer autrement que dans
des conditions strictes. La présomption étant que
l'expédition par la poste fait foi de sa réception par
le destinataire, la condition essentielle est que le
destinataire soit correctement identifié et, puis-
qu'on parle de poste, cette identification correcte
exige, non seulement un nom, mais un nom qui, à
l'adresse où la lettre est livrée, est susceptible
d'être attribué à une personne physique précise.
Cette condition est normalement facile à remplir
puisqu'un réclamant est normalement tenu de
fournir à la Commission l'adresse postale où il
reçoit son courrier (paragraphe 55(9) [mod. par
S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 19] de la Loi 4 ).
Mais ce n'est pas une condition qui va de soi et il
est évident qu'ici elle n'était pas remplie. Une
remarque additionnelle cependant s'impose à ce
sujet.
Pourrait-on objecter, comme l'ont suggéré les
procureurs de la Commission, que si effectivement
l'adresse n'était pas la bonne, c'est que Brière ne
s'était pas conformé à l'obligation qu'il avait en
tant que prestataire de fournir son adresse postale
à la Commission. Je ne le crois pas. Je laisse
tomber le fait que Brière, lui-même, sous son vrai
nom et dans son individualité propre, ne s'est
jamais présenté comme prestataire et donc n'a pas
eu l'occasion de donner son adresse. Je dirai plus
simplement que l'objection ne pourrait être perti-
nente que si le défaut d'un prestataire de fournir
son adresse pouvait avoir l'effet de rendre la pré-
somption du paragraphe 120(2) applicable même
dans le cas d'envoi à une mauvaise adresse, pourvu
seulement que les officiers de la Commission aient
cru de bonne foi que l'adresse était bonne. Je pense
qu'une règle aussi radicale et lourde de conséquen-
ces que celle établie par une présomption irréfra-
gable ne saurait s'extensionner de cette façon. Le
texte même du paragraphe 120(2) ne le permet
pas et surtout la sanction du défaut d'un presta-
taire de se conformer aux diverses exigences procé-
durales prévues à l'article 55 [mod. par S.C. 1974-
75-76, chap. 80, art. 19] de la Loi, dont celle de
fournir son adresse, est expressément définie au
4 Le texte se lit comme suit:
55....
(9) Tout prestataire doit, sauf autorisation contraire de la
Commission, fournir l'adresse postale de sa résidence
habituelle.
paragraphe introductif de l'article et consiste stric-
tement dans la suspension de son admissibilité au
bénéfice des prestations. Ce paragraphe introductif
se lit en effet comme suit:
55. (1) Tout prestataire qui ne remplit pas une condition ou
ne satisfait pas à une exigence prévue par le présent article n'est
pas admissible au bénéfice des prestations tant qu'il n'a pas
rempli cette condition ou satisfait à cette exigence.
La règle de l'article 120(2), mon avis, ne pouvait
ici jouer.
Si on revient maintenant aux faits de la cause et
qu'on les examine en fonction des données de la
Loi telles que dégagées, on peut aisément voir, je
pense, que, malgré sa lenteur, la Commission est
restée à l'intérieur des délais que lui donnait la
Loi.
Les prestations basées sur les demandes fictives
ont toutes été versées entre le ler octobre 1974 et le
15 mars 1976. Les procédures de révision, y com-
pris la notification ont été complétées le 29 juin
1981, de sorte qu'elles pouvaient atteindre tous les
montants versés postérieurement au 29 juin 1975,
six ans auparavant. Cela était sans doute ample-
ment suffisant, étant donné que les paiements faits
en satisfaction des sentences criminelles devaient
automatiquement (Code civil du Bas Canada arti
cle 1158 et s.) être imputés sur la partie de la dette
qui était la plus ancienne. Enfin la mesure d'exécu-
tion que constitue la saisie-arrêt dont il est ques
tion à l'action, ayant été opérée par lettre du 8 mai
1985, est survenue avant l'expiration du délai de
six ans donnée par l'article 49 de la Loi.
Ainsi, à mon avis, le jugement de première
instance est mal fondé. La Cour devrait le casser
et déclarer la saisie-arrêt valide et tenante.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE LACOMBE: Il s'agit d'un appel d'un
jugement de la Division de première instance qui a
annulé les mesures d'exécution forcée prises par
l'appelante pour recouvrer de l'intimé le solde du
montant des prestations d'assurance-chômage qu'il
avait touché illégalement.
Le 26 septembre 1977, l'intimé et sa complice
étaient accusés d'avoir, entre le 1" octobre 1974 et
le 15 mars 1976, fraudé l'appelante de la somme
de 35 588 $. Sur plaidoyer de culpabilité, il était
condamné le 11 avril 1979 par la Cour des Ses
sions de la Paix de Montréal, entre autres, à
rembourser la somme de 15 000 $ à l'appelante
dans un délai de sept jours. Le 16 février 1981, la
même Cour condamnait sa complice à rembourser
la somme de 5 000 $ dans le délai d'un an. Ces
sommes ont été restituées dans les délais impartis.
Avec la complicité de sa co-accusée qui était une
fonctionnaire à l'emploi de l'appelante, l'intimé
avait imaginé le stratagème de présenter des
demandes de prestations d'assurance-chômage au
nom de différentes personnes fictives, en donnant
de fausses adresses et en utilisant de fausses cartes
d'assurance sociale. Il encaissait ou déposait les
chèques de prestations aux divers endroits où il
avait ouvert des comptes bancaires au nom de
chaque prestataire fictif.
Le 25 mai 1981, procédant, allègue-t-elle dans
ses procédures, conformément aux articles 17, 57
et 102 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage,
l'appelante annula toutes les périodes de presta-
tions réclamées par l'intimé et sa complice qui leur
avaient permis de toucher illicitement des presta-
tions d'assurance-chômage.
Le 29 juin 1981, l'appelante avisait l'intimé du
solde des prestations qu'il avait à rembourser. Des
mises en demeure lui furent envoyées les 15 mai
1984 et 11 février 1985. Le 28 mars 1985, un
certificat était déposé à la Cour fédérale du
Canada selon les dispositions de l'article 112 de la
Loi, établissant que l'intimé devait la somme de
15 726,42 $ et conformément au même article, par
demande à un tiers faite le 8 mai 1985, l'appelante
saisissait la partie saisissable de son salaire entre
les mains de son employeur. C'est alors que l'in-
timé, alléguant prescription de la créance, institua
une action pour faire déclarer illégales et nulles les
procédures en recouvrement intentées contre lui
par l'appelante.
En accueillant l'action, la division de première
instance a jugé essentiellement qu'aux termes de
l'article 57 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage, l'appellante disposait d'un délai de six ans
pour réexaminer les demandes de prestations de
nature frauduleuse et qu'elle avait un autre délai
de six ans pour en poursuivre le remboursement, à
compter de la date à laquelle lui était notifié le
montant que l'intimé avait à rembourser. Le pre
mier juge a décidé cependant que cette notification
n'avait pas été effectivement reçue par l'intimé et
était de ce fait inefficace pour préserver le droit
d'action de l'appelante. En conséquence, il déclara
que l'intimé ne lui devait plus rien et il annula la
saisie-arrêt en mains tierces pratiquée sur son
salaire par l'appelante.
Les dispositions pertinentes de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage sont les suivantes:
49. (1) Lorsqu'une personne a touché des prestations en
vertu de la présente loi ou de l'ancienne loi au titre d'une
période pour laquelle elle était exclue du bénéfice des presta-
tions ou a touché des prestations auxquelles elle n'est pas
admissible, elle est tenue de rembourser la somme versée par la
Commission à cet égard.
(2) Toutes les sommes payables en vertu du présent article
ou des articles 47, 51 ou 52 sont des dettes envers Sa Majesté
recouvrables à ce titre devant la Cour fédérale du Canada ou
tout autre tribunal compétent ou de toute autre manière prévue
par la présente loi.
(3) Lorsqu'un prestataire acquiert le droit de percevoir des
prestations, le montant de toute dette visée aux paragraphes (1)
ou (2) peut, de la manière prescrite, être retenu sur les presta-
tions qui lui sont payables.
(4) Aucune somme due à Sa Majesté en vertu du présent
article ne peut être recouvrée plus de trente-six mois après la
date à laquelle l'obligation est née sauf si, de l'avis de la
Commission, il a été commis à cet égard une infraction prévue
par le paragraphe (1) de l'article 47, auquel cas une telle
somme ne peut être recouvrée plus de soixante-douze mois
après la date à laquelle l'obligation est née.
57. (1) Nonobstant l'article 102 mais sous réserve du para-
graphe (6), la Commission peut, à tout moment, dans les
trente-six mois qui suivent le moment oû des prestations ont été
payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute
demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une
personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquel-
les elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice
desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme
d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et
au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission doit
calculer la somme payée ou payable, selon le cas, et notifier sa
décision au prestataire.
(2) Toute décision rendue par la Commission en vertu du
paragraphe (1) peut être portée en appel en application de
l'article 94.
(3) Si la Commission décide qu'une personne a reçu une
somme au titre de prestations auxquelles elle n'avait pas droit
ou pour une période durant laquelle elle n'était pas admissible,
cette somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui
est remboursable conformément à l'article 49.
(4) Si la Commission décide qu'une personne n'a pas reçu la
somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les
conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissi
ble, la somme calculée en vertu du paragraphe (1) est celle qui
est payable au prestataire.
(5) La date à laquelle la Commission notifie à la personne la
somme calculée en vertu du paragraphe (1) comme étant
remboursable en vertu de l'article 49 est, aux fins du paragra-
phe (4) de l'article 49, la date à laquelle naît l'obligation de
remboursement.
(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou
représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à
une demande de prestations, elle dispose d'un délai de soixante-
douze mois pour réexaminer la demande en vertu du paragra-
phe (1).
102. La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre
peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande
particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux
ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit
connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à
un tel fait.
Le moins que l'on puisse dire de ces dispositions,
c'est qu'elles ne pêchent pas par excès de clarté et
de simplicité.
Le premier grief de l'appelante à l'encontre du
jugement dont appel, soulève une importante ques
tion d'interprétation. On reproche en effet au pre
mier juge d'avoir escamoté l'article 102 de la Loi
qui l'autorisait à annuler ou à modifier ses déci-
sions sans lui imposer de délai ou de formalité
particulière pour ce faire. Vu qu'il s'agissait pour
elle non pas de recouvrer un trop-perçu de presta-
tions mais de se faire restituer le solde du produit
d'une fraude dont elle avait été la victime, son
droit d'action contre l'intimé ne se prescrivait que
par trente ans en vertu du droit commun et ce, à
compter de la date à laquelle la fraude avait été
découverte et ses conséquences, pleinement mesu-
rées.
L'action ayant pris naissance dans la province
de Québec, l'appelante invoque à l'appui de cette
prétention, l'arrêt inédits, rendu le 21 décembre
1982, par monsieur le juge Hugessen, alors
juge-en-chef associé de la Cour supérieure du
Québec et maintenant de cette Cour, dans l'af-
faire: Le Procureur général du Canada c. River-
mont Construction Company, qui a décidé que
5 CSM n° 05-011373-782.
dans un cas de fraude, s'appliquaient à la créance
de la Couronne fédérale, l'article 2215 6 , et le
principe: contra non valentem agere nulla currit
prescriptio, reconnu au premier alinéa de l'article
2232' du Code civil du Bas Canada.
Le premier juge a rejeté cet argument [à la page
85] en ces termes:
Le procureur de la défenderesse a ensuite soutenu que puisqu'il
s'agissait d'un cas de fraude, la Couronne, ici représentée par la
défenderesse, dispose de trente ans pour réexaminer et recou-
vrer un trop-payé. Je crois que la prescription trentenaire ne
s'applique qu'en l'absence de précision dans la loi particulière.
C'est le régime général. Mais comme la loi habilitante prévoit
clairement des délais de rigueur, je ne vois pas comment on
peut soutenir un tel argument. La disposition particulière l'em-
porte toujours sur une disposition générale.
Tant sur le plan de la procédure qu'au mérite
même de l'argument soulevé, il n'y a pas là mal-
jugé de la part du premier juge. L'intimé n'avait
pas été poursuivi en vertu du droit commun mais
selon les procédures prévues spécifiquement à la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Son action
pour jugement déclaratoire s'attaquait à la validité
de ces procédures. Pour décider de l'action dont il
était saisi, le juge n'avait qu'à déterminer si le
recours de l'appelante était caduc aux termes
mêmes de la Loi qu'elle avait invoquée pour récla-
mer son dû. Tout comme le premier juge, nous
n'avons pas à nous demander si l'intimé aurait pu
être poursuivi en vertu du droit commun. Il ne l'a
pas été. Cette question n'est donc pas présente-
ment devant la Cour. Pour disposer de l'appel, il
suffit de décider si l'appelante pouvait recourir à la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et si le
premier juge s'est trompé en jugeant que l'appe-
lante n'en avait pas observé les dispositions
essentielles.
L'argument que fait valoir l'appelante est à
l'effet que les articles 57 et 102 de la Loi semblent
couvrir le même terrain, qui permettent d'une part
à la Commission d'«examiner de nouveau toute
6 2215. Les arrérages de rentes, prestations, intérêts et reve-
nus, et les créances et droits appartenant à Sa Majesté non
déclarés imprescriptibles par les articles qui précèdent, se pres-
crivent par trente ans.
Les tiers-acquéreurs d'immeubles affectés à ces créances ne
peuvent se libérer par une prescription plus courte.
7 Art. 2232. La prescription court contre toutes personnes, à
moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par ce
code, ou dans l'impossibilité absolue en droit ou en fait d'agir
par elles-mêmes ou en se faisant représenter par d'autres.
demande au sujet de ces prestations» et d'autre
part, d'«annuler ou modifier toute décision relative
à une demande particulière de prestations». Ces
deux dispositions feraient double emploi, du moins
en partie, et cette redondance aurait été voulue par
le législateur à des fins spécifiques. L'article 102
lui resterait ouvert justement parce qu'il ne prévoit
aucun délai pour son application alors que l'article
57 est assorti de contraintes et de formalités parti-
culières. Selon la Commission, cet article a au
moins l'effet de lui préserver, dans les cas de
fraude comme en l'espèce et ce, même dans les
cadres de l'application de la Loi, le bénéfice de la
longue prescription de l'article 2215 et du principe
énoncé à l'article 2232 du Code civil du Bas
Canada.
Cet argument est insoutenable. Dans la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage, le Parlement a
légiféré pleinement sur le droit de répétition des
prestations d'assurance-chômage versées en trop et
sur la prescription des créances qui en résultent
pour le compte de la Couronne, dont la Commis
sion est mandataire s. Les dispositions pertinentes
de la Loi constituent en elles-mêmes un code com-
plet qui, lorsque la Commission s'en prévaut, régis-
sent l'établissement et le recouvrement de ses
créances à l'exclusion des règles du droit commun.
Comme il n'est fait nulle mention dans la Loi que
l'on puisse y recourir additionnellement aux pres
criptions qu'elle renferme, il apparaît des termes
du deuxième paragraphe de l'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10 9 , que ne pouvaient s'appliquer à l'ins-
tance les dispositions du Code civil du Bas Canada
en matière de prescription des actions de la
Couronne' °.
8 Loi régissant l'emploi et l'immigration, S.C. 1976-77,
chap. 54, art. 10.
9 38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les
règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur
entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure
devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend
naissance dans cette province et une procédure devant la Cour
relativement à une cause d'action qui prend naissance ailleurs
que dans une province doit être engagée au plus tard six ans
après que la cause d'action a pris naissance.
(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de
droit relatives à la prescription des actions désignées au para-
graphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou
contre la Couronne.
10 E. H. Price Limited c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841 (C.A.).
Même dans l'hypothèse de l'application de l'arti-
cle 102, le droit d'action qui aurait pu résulter de
la décision de la Commission d'annuler toutes les
périodes de prestations versées à l'intimé, ne pou-
vait être assujetti à la prescription trentenaire.
D'ailleurs, la question de la prescription est un
faux problème dans la présente cause. Le droit
d'action de l'appelante n'était pas prescrit au sens
rigoureux du terme même au désir de l'article 49
de la Loi; c'est l'application de l'article 57 ou de
l'article 102 de la Loi qui a fait problème. Il faut
donc voir si, compte tenu des circonstances parti-
culières de l'intimé, la Commission pouvait procé-
der contre lui en vertu de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, et dans l'affirmative, si elle
devait recourir à l'article 57 plutôt qu'à l'article
102 pour établir sa créance.
Selon l'alinéa 2(1)b) [mod. par S.C. 1976-77,
chap. 54, art. 26] de la Loi, un prestataire est
défini comme «une personne qui demande ou qui a
demandé des prestations en vertu de la présente
loi». Il est indéniable que dans la période du 1"
octobre 1974 au 15 mars 1976, même s'il l'a fait
sous de faux noms, l'intimé a demandé des presta-
tions en vertu de la Loi, et c'est en vertu de cette
même Loi que la Commission lui a versé des
sommes qui ne pouvaient être autre chose que des
prestations d'assurance-chômage. Pour soutirer
ainsi des prestations de la Commission, l'intimé a
présenté des réclamations fictives au nom de pres-
tataires qui n'existaient pas. Pour réussir à frauder
la Commission pendant toute cette période, il a dû
faire autant de déclarations ou représentations
fausses et trompeuses qu'il a touché de prestations,
comme tout autre «faux» chômeur qui en son nom
réclame frauduleusement des prestations auxquel-
les il n'a pas droit, en déclarant faussement et de
propos délibéré avoir été en situation de chômage,
alors qu'il ne l'était pas. Le cas est nettement visé
par les paragraphes 57(6) et 49(4) de la Loi qui
donnent à la Commission des délais additionnels
de trente-six mois chacun pour réexaminer les
demandes et poursuivre le remboursement de pres-
tations qui originent de déclarations ou représenta-
tions fausses ou trompeuses. Ainsi donc, dès lors
qu'il s'agit pour la Commission de procéder en vue
du recouvrement de sommes qu'on lui a subtilisées
et qu'elle a versées au titre de prestations d'assu-
rance-chômage, quelqu'ait pu être la nature des
manoeuvres frauduleuses utilisées pour les obtenir
ou la gravité des déclarations ou représentations
fausses ou trompeuses faites pour les extorquer, il
lui est loisible d'avoir recours à la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage. C'est d'ailleurs de cette
façon que la Commission a procédé contre l'in-
timé. Elle l'a considéré comme un prestataire et lui
a réclamé le solde de ce qu'il lui était dû en se
servant des mécanismes prévus à la Loi. Il ne
saurait faire de doute que la Commission pouvait,
dans les circonstances, se prévaloir de cette Loi. La
question à résoudre est de savoir si, ce faisant, elle
s'est conformé à toutes ses exigences. Plus spécifi-
quement, pouvait-elle procéder indifféremment et
à son gré selon l'article 102 ou l'article 57 ou
était-elle plutôt astreinte aux délais et formalités
édictés par ce dernier article?
De l'analyse de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage, certaines constatations s'imposent à l'es-
prit. Si l'article 102 permet à la Commission de
réviser ses décisions, il ne traite nullement du
recouvrement et de la prescription des créances de
la Commission qui résultent du trop-payé versé à
des prestataires. Ces questions font l'objet de dis
positions précises à l'article 49, qui entraînent
forcément l'application de l'article 57. Par le jeu
des paragraphes 57(3) et 57(5), le droit au recou-
vrement du trop-perçu et ses modalités d'exercice
établis à l'article 49 sont tributaires du pouvoir
conféré à la Commission par le paragraphe 57(1)
de réexaminer les demandes de prestations et nul-
lement du pouvoir qu'elle a de réviser ses décisions
en vertu de l'article 102.
Le pouvoir de réexamen de l'article 57 a une
finalité spécifique propre. Son exercice par la
Commission crée en sa faveur un droit de répéti-
tion du trop-perçu des prestations ou l'obligation
pour elle de verser celles qu'elle avait déjà refusées
(paragraphe 57(4)). D'un autre côté, l'article 102
ne parle pas de l'effet pour l'avenir et des consé-
quences pour le passé que peut avoir la nouvelle
décision sur ce qui a été fait ou n'a pas été fait en
vertu de l'ancienne. Le pouvoir spécifique de
réexaminer toute demande de prestations en vue
d'établir un trop-perçu excipe du pouvoir général
de la Commission de réviser ses décisions relatives
à des demandes particulières de prestations. Selon
le principe: generalia specialibus non derogant,
l'article 57 s'applique à l'exlusion de l'article 102
et la Commission doit procéder en vertu du pre-
mier article si sa nouvelle décision la mène par
exemple à devoir exiger le remboursement du trop-
perçu des prestations, un pouvoir qui ne découle
pas de l'exercice de son droit de réviser ses déci-
sions en vertu de l'article 102.
L'article 57 ne peut être séparé de l'article 49;
les deux articles sont intimement liés. C'est là et
nulle part ailleurs que le législateur a parlé du
droit de recouvrement des prestations payées en
trop et de la prescription des créances qui en
découlent; questions qui relèvent du droit substan-
tif et non de la procédure. Il est sans doute signifi-
catif de voir les articles 49 et 57 dans la Partie II
de la Loi, qui traite des prestations d'assurance-
chômage dans tous leurs aspects, alors que l'article
102 se trouve à la Partie V intitulée DISPOSITIONS
ADMINISTRATIVES, qui régit surtout des questions
de procédure proprement dite, tels les appels
devant le conseil arbitral et devant le juge-arbitre,
les enquêtes de la Commission, l'exécution des
jugements, etc.
Il importe aussi de noter que l'article 102 s'ap-
plique tant aux décisions de la Commission qu'à
celles d'un conseil arbitral ou d'un juge-arbitre. On
voit mal qu'un délai de prescription puisse être
pertinent aux décisions de ces derniers. La notion
de prescription se rattache forcément à l'exercice
d'un droit d'action ou au recouvrement d'une
créance et non au pouvoir d'un organisme de révi-
ser ses propres décisions. L'article 102, en autant
qu'il se rapporte à la Commission, semble avoir
une vocation différente et plus modeste que les
objectifs visés aux articles 49 et 57 de la Loi. Le
pouvoir de révision conféré à la Commission doit
être de même espèce, c'est-à-dire de nature procé-
durale, que le même pouvoir qui est accordé au
conseil arbitral ou au juge-arbitre. Il autorise la
révision de «toute décision relative à une demande
particulière de prestations», lorsque des faits nou-
veaux sont révélés ou qu'un fait essentiel pré-exis-
tant apparaît qui puisse infléchir la première déci-
sion. Si l'un ou l'autre des trois organismes
mentionnés devait, par exemple, décider d'une
demande dans l'ignorance d'un document ou d'un
renseignement important ou sans qu'une partie
intéressée ait pu faire valoir son point de vue,
l'article 102 lui permet de ré-ouvrir le dossier et de
corriger la situation, lorsqu'après coup, on lui
signale ou il découvre lui-même cette anomalie.
En revanche, sujets à l'appel devant le conseil
arbitral, les pouvoirs de la Commission sont beau-
coup plus vastes et sa discrétion administrative
plus étendue aux termes de l'article 57. Cette
disposition l'autorise à revoir a posteriori sur une
période de trois ou six ans selon le cas, toute une
série de demandes de prestations et de décider à
nouveau de sa propre initiative de l'admissibilité
aux prestations, en vue de leur retirer, le cas
échéant, ses approbations antérieures et d'exiger
des prestataires le remboursement de ce qui avait
été valablement payé en conséquence.
Il faut enfin faire remarquer que le paragraphe
57(1) de la Loi commence par les mots: «Nonob-
stant l'article 102 mais sous réserve du paragraphe
(6)». Ce membre de phrase de même que tout le
paragraphe (6) ont été ajoutés à la Loi en 1977
par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 48.
Par l'ajout du paragraphe (6) en 1977, la Com
mission s'est vu octroyer un délai de trois années
additionnelles pour réexaminer les demandes de
prestations dans les cas, qu'elle détermine elle-
même, de déclarations ou représentations fausses
ou trompeuses. Dans tous les cas, cependant, le
pouvoir de réexamen de l'article 57 peut être
exerçé «nonobstant l'article 102», c'est-à-dire,
malgré, en dépit, sans être empêché par l'article
102, selon la définition que les dictionnaires don-
nent au mot «nonobstant». Le texte même du
paragraphe 57(1) semble bien indiquer que ce
pouvoir de réexamen est beaucoup plus large, à
tout le moins tout à fait différent du pouvoir de
révision de l'article 102. Ils ne sont pas interchan-
geables et ne peuvent être utilisés indifféremment
par la Commission selon les circonstances. Par
exemple, elle ne pourrait invoquer l'article 102,
lorsqu'elle est en dehors des délais de l'article 57
pour agir, ou qu'elle n'a pas été en mesure d'en
observer toutes les formalités, dont celle relative à
la notification au prestataire.
Comme autre moyen d'appel, l'appelante fait
état des erreurs que le premier juge aurait commi-
ses en décidant de la question de la notification
prévue à l'article 57 de la Loi. On se rappellera
que le 29 juin 1981, l'appelante a fait tenir par la
poste à l'intimé un avis de trop-perçu à sa dernière
adresse connue. Cet avis portait le certificat d'ex-
pédition par la poste prévu au paragraphe 120(2)
de la Loi. Le premier juge a décidé que cette
disposition créait une présomption légale simple ou
juris tantum qui pouvait être combattue par une
preuve contraire.
Selon la preuve faite devant lui, il a jugé que
l'intimé avait réussi à renverser la présomption
établie au paragraphe 120(2) de la Loi. La preuve
a en effet révélé que l'adresse où l'avis lui fut
envoyé était celle figurant à son dossier criminel
lorsque la Cour des Sessions de la Paix de Mont-
réal lui avait imposé sa sentence le 11 avril 1979,
qu'il n'avait jamais reçu l'avis en question, ayant
changé d'adresse pour une autre ville l'année sui-
vante, le juge estimant que l'appelante n'avait pas
fait de démarches sérieuses pour le retracer avant
1984, ce qu'elle avait réussi facilement à faire pour
lui envoyer une mise en demeure le 15 mai 1984.
S'appuyant sur la cause de White v. Weston,
[1968] 2 Q.B. 647 (C.A.), où la signification de
procédures judiciaires à l'ancienne adresse d'un
défendeur fut jugée invalide, le premier juge a
décidé que l'appelante avait l'obligation de «s'assu-
rer de la bonne adresse de celui à qui une somme
d'argent est réclamée» pour conclure [à la page 86
F.T.R.] :
En effet, l'avis du 29 juin 1981 envoyé par la défenderesse à
l'ancienne adresse du demandeur, adresse qui n'était plus la
sienne depuis deux (2) ans à ce moment-là, ne peut en aucun
cas être considérée comme étant une bonne et valable notifica
tion aux termes du paragraphe en question de la Loi. [57(1)].
A défaut de cette notification dans les six (6) ans du trop-payé,
il ne peut y avoir de recouvrement. C'est aussi simple que cela,
la défenderesse a perdu son droit d'agir par sa faute et elle n'a
qu'elle-même à blâmer.
Les paragraphes 120(1) et (2) de la Loi se lisent
comme suit:
120. (1) Dans des procédures engagées en vertu de la pré-
sente loi,
a) un document présenté comme étant une résolution, un
procès-verbal ou autre document de la Commission, un autre
document utilisé en application de la présente loi ou une
copie de l'un d'eux, et comme étant certifié par un commis-
saire ou le secrétaire de la Commission,
b) un document présenté comme étant l'original, une copie
ou un extrait
(i) d'un document dont la Commission a la garde ou d'un
document établi en vertu de la présente loi, ou
(ii) d'une inscription dans les livres ou registres dont la
Commission a la garde,
et comme étant certifié par la Commission ou un fonction-
naire nommé ou employé en application de la présente loi.
c) un document présenté comme étant certifié par la Com
mission ou un fonctionnaire nommé ou employé en applica
tion de la présente loi, et indiquant un montant de cotisations
payées, payables ou dues ou de prestations ou une autre
somme versée à une personne ou due par elle,
d) un document présenté comme étant l'original, une copie
ou un extrait de tout ou partie des registres du personnel et
des salaires, feuilles de paie, grands-livres, comptes ou autres
livres ou documents d'un employeur et comme étant certifié
par un inspecteur ou un fonctionnaire nommé ou employé en
application de la présente loi auquel ils ont été produits en
vertu de la présente loi,
fait foi des faits y indiqués sans qu'il soit nécessaire de prouver
l'authenticité de la signature ni la qualité officielle de la
personne paraissant l'avoir signé et sans autre preuve.
(2) Aux fins de la présente loi et des règlements ainsi que
des procédures engagées sous leur régime, un document pré-
senté comme étant un certificat de la Commission ou d'un de
ses fonctionnaires ou employés attestant l'expédition par la
poste d'un avis, d'une demande, d'une sommation ou d'un autre
document, fait foi de sa réception par le destinataire dans les
délais normaux de livraison du courrier.
Le paragraphe 120(2) de. la Loi édicte donc que
l'attestation de l'expédition par la poste d'un avis
ou autre document fait foi de sa réception par le
destinataire aux fins de la Loi et des procédures
engagées sous son régime.
Pour appuyer sa proposition que l'expression
«fait foi de sa réception» veut dire «atteste sans
possibilité de contestation que le document a été
reçu», l'appelante cite l'arrêt de cette Cour rendu
dans l'affaire Brito c. Canada (Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration), [1987] 1 C.F. 80 (C.A),
où il fut jugé que l'utilisation d'une expression
semblable dans une disposition autorisant l'émis-
sion d'un certificat en vertu de la Loi sur l'immi-
gration de 1976" constituait une preuve con-
cluante et irréfragable de ce qui y était affirmé.
Cette affaire se distingue nettement des données
essentielles de la présente cause, au point de rendre
la décision inapplicable à l'espèce.
Il s'agissait là d'une attestation ministérielle à
l'effet que pour des raisons de sécurité et de crimi-
nalité que la Loi par ailleurs interdisait de divul-
guer, la personne désignée était inadmissible au
Canada. La Loi elle-même laissait à la seule dis-
crétion ministérielle le pouvoir de déterminer dans
certains cas l'inadmissibilité au Canada de certai-
nes catégories d'immigrants. La personne en cause
voulait contester devant un arbitre l'opinion, attes-
" S.C. 1976-77, chap. 52.
tée dans un certificat, que s'étaient formés les
ministres à l'effet que sa présence au Canada
serait préjudiciable à l'intérêt national. Il allait de
soi dans les circonstances que la Cour attribuât au
certificat une force probante définitive qui liait
l'arbitre, aux motifs que la version anglaise de la
disposition législative disait que «the certificate is
proof of the matters stated therein» et surtout que
la version française se lisait «fait foi de son
contenu».
Ici, l'expression «fait foi de sa réception)> est
rendu en anglais par les mots: «is evidence that the
notice ... was received». Il semble y avoir une
différence entre «is proof» et «is evidence». Dans
The Dictionary of English Law, par Earl Jowitt,
London: Sweet & Maxwell Limited, 1959, on lit à
la page 1425:
Preuve (proof) ...
[TRADUCTION] En ce qui concerne le droit de la preuve, une
allégation de fait est censée être prouvée lorsque le tribunal est
convaincu de sa véracité, et les éléments qui produisent ce
résultat s'appellent preuve.
Le mot «proof» est donc le résultat d'une preuve
«evidence», qui a valeur de force probante défini-
tive. Il ne faut pas oublier aussi que la loi en
général ne favorise pas la création, surtout par
interprétation judiciaire, de présomptions légales,
à plus forte raison, celles juris et de jure, sans un
texte précis qui au surplus doit être sans équivoque
dans les deux langues. Elles sont de droit étroit et
vu les conséquences draconiennes qu'elles entraî-
nent, toute disposition visant à les établir doit être
interprétée restrictivement 12 Le sens absolu de
l'expression «fait foi» en français ne doit pas
restreindre le sens plus aléatoire des mots «is evi
dence» en anglais comme s'ils se lisaient: «is con
clusive evidence» 13 . Il est intéressant de noter que,
par exemple, les actes authentiques au Québec
«font preuve de leur contenu» («make proof of
their contents») et que «l'aveu judiciaire fait pleine
12 Nadeau, André et Léo Ducharme Traité de Droit civil du
Québec, vol. IX, Montréal: Wilson et Lafleur, 1965, N° 542, p.
438.
" Voir: R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1
R.C.S. 865 où l'on a jugé que le mot «disposed of» des
Règlements de l'impôt sur le revenu [C.P. 1954-1917], ne
devait pas être restreint par le mot «aliéné» dans le texte
français.
foi contre celui qui l'a fait» (ais complete proof») 13 .
Il faut aussi considérer le contexte législatif dans
lequel l'expression «fait foi» a été utilisée dans les
deux lois en cause. Cet aspect n'a pas échappé au
juge Marceau qui écrivait à la page 93 dans
l'affaire Brito:
Tel que je lis les textes en cause et comprends le contexte
dans lequel ils s'insèrent, le Parlement n'envisageait pas qu'un
certificat émis sous le paragraphe 39(1) puisse faire l'objet
d'une contestation et donner ouverture à une enquête de carac-
tère judiciaire.
Dans la Partie V—DISPOSITIONS ADMINISTRA-
TIVES de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage,
on trouve plusieurs dispositions, par exemple aux
articles 111 et 120, où l'expression «fait foi de»/«is
evidence of» est utilisée avec ou sans qualification
pour régler de simples questions de preuve. Lors-
que le Parlement a voulu donner un caractère
irréfragable à la présomption légale ainsi créée, il
a ajouté à l'expression «fait foi», des mots pour le
dire. Par exemple, au paragraphe 111(9), un affi
davit d'un fonctionnaire annexant un document ou
une copie d'un document établi par la Commission
ou un employeur «fait foi de la nature et du
contenu du document, est admissible en preuve et
a la même force probante qu'aurait l'original du
document si son authenticité était établie de la
façon usuelle». De même, chacun des documents
mentionnés au paragraphe 120(1), supra, «fait foi
des faits y indiqués sans qu'il soit nécessaire de
prouver l'authenticité de la signature ni la qualité
officielle de la personne paraissant l'avoir signé et
sans autre preuve». Il serait singulier que sans ces
ajouts, un certificat émis en vertu de l'article
120(2) ait le même effet de constituer une preuve
irréfragable de la réception d'un document par le
destinataire dans les délais normaux de livraison
du courrier. Il peut y avoir une foule de raisons qui
expliquent qu'une pièce de courrier, bien que mise
à la poste et adressée au bon endroit et à la bonne
personne, n'ait pas été livrée ou ait été livrée des
jours sinon des semaines en retard: une adresse
incomplète, la perte ou le vol d'un sac postal, une
grève générale ou une grève perlée dans les servi
ces postaux, etc. En telles occurrences, le destina-
taire ne saurait être forclos de plaider que, le
certificat non obstante, il n'a jamais reçu livraison
du document qui lui a été envoyé par la poste. Il
'^ Articles 1207 et 1245, Code civil du Bas Canada.
s'agit avant tout d'une question de crédibilité qui
dans chaque cas doit être laissée à l'appréciation
de la Commission, du conseil arbitral ou du
tribunal' S.
Le mot «notifier» veut dire dans son sens cou-
rant: «faire connaître expressément» et en droit:
«porter à la connaissance d'une personne intéressée
et dans les formes légales (un acte juridique)»";
«to make known, to give notice, to inform 17 .»
Rappelons que selon le paragraphe 57(1), la
Commission doit notifier au prestataire sa décision
concernant son inadmissibilité aux prestations. Or,
cette décision est sujette à appel devant le conseil
arbitral (paragraphe 57(2)) en application de l'ar-
ticle 94. Cet article stipule en son premier
paragraphe:
94. (1) Le prestataire ou un employeur du prestataire peut à
tout moment, dans les trente jours de la date où il reçoit
communication d'une décision de la Commission, ou dans le
délai supplémentaire que la Commission peut accorder pour des
raisons spéciales dans un cas particulier, interjeter appel de la
manière prescrite devant le conseil arbitral. [Les soulignés sont
ajoutés.]
Si le paragraphe 120(2) devait créer une pré-
somption juris et de jure de la réception d'une telle
décision dans les délais normaux de livraison du
courrier, un prestataire, face à un tel certificat, ne
pourrait jamais même tenter de prouver ne pas
avoir reçu ou avoir reçu en retard le document en
question. Ne pouvant obtenir une extension de
délai, il perdra son droit d'appel devant le conseil
arbitral. Il ne semble pas que le Parlement ait
voulu un tel résultat.
En accord avec le premier juge, il faut conclure
que le paragraphe 120(2) crée une présomption
simple juris tantum, et il faut accepter ses conclu
sions sur les faits que l'intimé n'a pas reçu, le 29
juin 1981, la notification du montant des presta-
tions qu'il lui restait à rembourser.
En créant une telle présomption légale, l'objet
du paragraphe 120(2) est de dispenser la Commis
sion, par la production d'un tel certificat, de l'obli-
gation de prouver par témoins et par le dépôt du
15 Voir la décision du 28 mars 1980, du juge Addy, siégeant
comme juge-arbitre dans l'affaire Donald Filion, CUB 5730,
qui a jugé qu'un certificat émis en vertu du paragraphe 120(2)
n'était pas concluant.
1 fi Le Petit Robert.
17 The Shorter Oxford Dictionary.
récépissé postal, la mise à la poste de l'envoi dont il
s'agit et d'alourdir le fardeau de la preuve incom-
bant au destinataire qui prétendrait ne pas l'avoir
reçu ou l'avoir reçu en dehors des délais normaux
de livraison du courrier. Dans la grande majorité
des cas où la Commission doit notifier ses décisions
aux prestataires (v.g. paragraphes 53(3); 54(2)),
elle ne devrait pas rencontrer de problèmes admi-
nistratifs insurmontables, vu l'obligation imposée à
ces derniers de lui fournir l'adresse postale de leur
résidence habituelle (paragraphe 55(9)), défaut
de quoi ils se rendent inadmissibles au bénéfice des
prestations (paragraphe 55(1)). Le cas sous étude,
cependant, sortait vraiment de l'ordinaire, comme
en a témoigné à l'enquête le témoin de la Commis
sion. Elle savait que l'intimé et sa complice
l'avaient fraudé pour une somme substantielle dès
le mois de septembre 1977 lors du dépôt des
plaintes criminelles. Elle en a acquis la certitude
en octobre 1978, lorsqu'il a reconnu sa culpabilité
et encore davantage en avril 1979, lorsqu'il a été
condamné à lui restituer la somme de 15 000 $.
Dans les circonstances, la Commission se devait
de s'assurer, en juin 1981, de la bonne adresse de
l'intimé pour l'aviser dans le délai prescrit, du
montant qu'il avait encore à rembourser. Elle lui
réclamait le solde des prestations qu'elle lui avait
versées plusieurs années auparavant. L'intimé
avait cessé de recevoir des prestations, fut-ce illé-
galement depuis le mois de mars 1976. Il n'était
plus bénéficiaire de prestations mais un débiteur
de la Commission depuis longtemps. Un débiteur
n'est pas obligé de pourchasser son créancier pour
l'aviser de ses changements d'adresses. Il apparte-
nait à la Commission de faire diligence et d'effec-
tuer par la poste la notification requise en temps
utile aux lieux de résidence et domicile de l'intimé
ou de toute autre manière efficace.
L'intimé a reçu des prestations de septembre
1974 mars 1976. Conformément à l'article 1161,
2e alinéa du Code civil du Bas Canada's, la Com
mission a imputé la somme reçue par suite de
l'ordonnance de restitution rendue par la Cour des
Sessions de la Paix à Montréal, au remboursement
' 8 1161....
Si les dettes sont de même nature et également onéreuses,
l'imputation se fait sur la plus ancienne.
des semaines de prestation de septembre 1974 à
juin 1975. La notification du solde à rembourser
devait donc se faire avant le mois de mars 1982.
Celle du 29 juin 1981 a été comme on l'a vu,
inefficace. Ce n'est que le 15 mai 1984 que la
première mise en demeure de l'appelante, envoyée
cette fois à la bonne adresse de l'intimé a atteint ce
dernier et l'a informé du montant qu'on lui récla-
mait. J'estime, comme le premier juge, que le
défaut de notifier dans le délai imparti par l'article
57 était fatal au droit de recouvrement que la
Commission avait et qu'elle a voulu exercer en
vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
Ce faisant, selon l'expression du premier juge, elle
«a perdu son droit d'agir».
Il faut ajouter cependant que le juge avait préa-
lablement déclaré [à la page 83]:
Ce qui complique singulièrement les choses ici, c'est que la
Commission doit, pour interrompre la prescription et valide-
ment mettre en marche le mécanisme de révision prévu à l'art.
57, notifier la personne qui a reçu des prestations en trop de
l'obligation de rembourser.
Cet énoncé est inexact. La notification dont on
parle ici n'a évidemment rien à voir avec le déclen-
chement du processus de révision de l'article 57;
celle n'a de pertinence que pour la détermination
du point de départ du seul véritable délai de
prescription établi au paragraphe 49(4) de la Loi.
On laisse ainsi à penser qu'il s'agit ici d'une pres
cription unique de douze ans qui doit être inter-
rompue à mi-temps par la notification de façon à
préserver et le pouvoir de réexamen de l'article 57
et le droit au recouvrement de l'article 49.
Il s'agit plutôt de deux processus différents et
autonomes, assortis chacun de ses propres modali-
tés d'exercice. Par l'effet combiné des paragraphes
57(1) et 57(6), compter du moment où des
prestations ont été payées, la Commission dispose
d'un délai de trois ou six ans selon le cas pour
réexaminer les demandes, décider de l'admissibilité
aux prestations, faire le calcul de la somme à
rembourser et notifier le prestataire de sa décision.
Toutes ces conditions doivent être accomplies à
l'intérieur de ces délais pour compléter le processus
de réexamen des demandes de prestations afin de
pouvoir procéder à l'étape suivante du recouvre-
ment de la dette. Et il ne saurait y avoir de hiatus
entre les deux. Le libellé des articles 49 et 57
n'autorise pas à penser que la Commission puisse
valablement remplir son obligation de notifier le
prestataire, passé les délais mentionnés aux para-
graphes 57(1) et 57(6). S'il en était autrement,
elle pourrait prolonger à l'infini et à loisir son droit
de recouvrer sa créance pour un trop-perçu, en
dehors des cadres prévus aux articles 49 et 57 de la
Loi. Pour différer à son gré le point de départ de la
prescription extinctive de la dette établie au para-
graphe 49(4) de la Loi, elle n'aurait qu'à ne point
notifier le prestataire, rendant ainsi sa créance
presqu'imprescriptible, ou prescriptible pour une
période plus longue que celle mentionnée au même
paragraphe. Comme seraient invalides tout nouvel
examen des demandes de prestations fait et toute
décision d'inadmissibilité aux prestations prise
après l'expiration de ces délais, son défaut de
notifier le prestataire en temps utile a le même
effet. Il doit recevoir la même sanction: le droit
d'action pour recouvrer la créance est compromis
et il ne peut plus être exercé conformément aux
procédures prévues par la Loi. Autrement, ne vou-
draient absolument rien dire les mots que l'on
retrouve au paragraphe 57(1): «la Commission doit
calculer la somme payée ... et notifier sa décision
au prestataire».
L'obligation de rembourser le trop-perçu est
créée par le paragraphe 49(1). Cependant, comme
il apparaît clairement des paragraphes 49(4),
57(3) et 57(5), cette obligation ne naît vraiment
que lorsque la Commission notifie au prestataire la
somme qu'il doit rembourser en vertu de l'article
49 et qu'elle a calculée conformément au paragra-
phe 57(1). C'est à ce moment que la dette devient
liquide et exigible. Si l'obligation de rembourser
naît alors pour le prestataire, ainsi en contrepartie
et par voie de conséquence nécessaire au même
moment naît le droit de recouvrement de la
créance en faveur de la Commission. La date à
laquelle la Commission avise le prestataire du
montant à rembourser fixe le point de départ du
délai de la prescription pour le recouvrement de la
dette. D'où l'interdépendance essentielle entre
l'obligation de notifier, imposée à la Commission
par l'article 57 et son droit au remboursement qui
lui est accordé par l'article 49. Sans notification, il
n'y a pas d'obligation de rembourser pour le pres-
tataire ni de droit d'action pour la Commission.
Une notification tardive aux désirs de l'article 57
aura le même effet de rendre caduc et périmé le
recours exercé en vertu de l'article 49 de la Loi.
Plus loin dans son jugement, le premier juge a
lui-même corrigé son erreur de perception, men-
tionnée ci-haut, des éléments du processus déci-
sionnel de l'article 57 par rapport au processus du
recouvrement de la dette de l'article 49. En reje-
tant avec raison la prétention de l'intimé à l'effet
que la notification avait été effectuée par le dépôt
des plaintes devant la Cour criminelle à Montréal
en septembre 1977 et que partant la prescription
était acquise le 26 septembre 1983, il écrit [à la
page 83]:
... il aurait d'abord fallu s'assurer que la Commission avait
procédé au réexamen des demandes de prestations dans le délai
imparti ... Ainsi donc, pour que le mécanisme de recouvrement
puisse être mis en branle, il faut que la Commission avise
d'abord la personne qui a reçu des prestations auxquelles elle
n'avait pas droit de l'annulation de ses périodes de prestations
et du montant à rembourser.
Les conclusions du jugement a quo doivent être
confirmées.
Reste cependant la déclaration du premier juge
apparaissant tant dans les motifs que dans le dis-
positif de son jugement à l'effet que l'intimé ne
doit plus rien à l'appelante. Si cette affirmation
reste confinée aux cadres restreints de l'action dont
il était saisi, il n'est pas inexact de dire que l'intimé
ne doit plus rien à la Commission aux termes de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Le recours
que cette dernière a institué en vertu de cette Loi a
achoppé pour vice de procédure; elle a perdu son
droit d'action et ne peut le poursuivre de nouveau
sous le couvert de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage. Nous n'avons pas à décider dans le
présent appel si la Commission avait, a encore ou
conserve toujours un recours contre l'intimé devant
les tribunaux ordinaires en vertu du droit commun.
Pour le cas où la déclaration du premier juge
aurait une portée par trop générale qui dépasserait
les cadres du litige, il y aurait lieu de la biffer de
façon à ne pas préjuger d'avance de cette question.
Je maintiendrais l'appel en partie à la seule fin
de modifier le jugement de la Division de première
instance pour y biffer les mots «et déclare que ce
dernier ne doit plus rien à la défenderesse» de
façon à ce qu'il se lise maintenant comme suit:
J'accueille l'action en jugement déclaratoire du demandeur. Les
saisies-arrêts en mains tierces opérées en l'espèce par la défen-
deresse sont déclarées illégales et par le fait même annulées.
Chaque partie supportera ses dépens.
Pour le reste, je rejetterais l'appel avec dépens
en faveur de l'intimé.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DESJARDINS: J'ai eu l'avantage de lire
les motifs rédigés par mes collègues MM. les juges
Marceau et Lacombe.
J'estime que mon collègue M. le juge Lacombe
a raison de soulever la distinction qu'il y a en
anglais entre les mots «proof» et «evidence». Je ne
trouve rien à redire à l'interprétation qu'il donne à
l'expression anglaise «is evidence that the notice
... was received»: paragraphe 120(2) de la Loi.
(Voir Black's Law Dictionary, 5e éd., St. Paul,
Minn.: West Publishing Co., 1979; Bouvier's Law
Dictionary, 8e éd., St. Paul, Minn.: West Publis
hing Co., 1914; B. W. Pope, Legal Definitions,
Chicago: Callaghan Co., 1920). Toutefois, une
analyse de la locution française «fait foi de sa
réception» m'amène à conclure différemment.
L'expression «faire foi» est définie comme suit
dans le Dictionnaire des expressions juridiques,
(H. Rolland et L. Boyer), L'Hermès, 1983:
Faire preuve par soi-même, sans qu'il soit besoin d'établir le
titre par d'autres moyens.
Quant au Dictionnaire des expressions et locu
tions françaises, Le Robert, 1984, il y est énoncé
que cette même locution signifie:
«démontrer, prouver la véracité d'une assertion, d'un document,
etc.». Signifie proprement «créer la conviction».
En dernier lieu, rappelons ce qu'en dit Le Grand
Robert de la langue française, tome 4, 1986:
démontrer la véracité, porter témoignage, donner force
probante. -. Prouver, témoigner. L'acte authentique fait foi de
la convention (-. Authenticité). Les copies du titre original
peuvent faire foi dans certaines conditions. J'ai bien reçu votre
lettre à la date indiquée, le cachet de la poste en fait foi.
Bref, au contraire de l'expression «is evidence
of>, la locution «fait foi de» laisse clairement enten-
dre que le certificat de la Commission attestant de
l'expédition par la poste de l'avis de trop-payé
constitue, en lui-même, preuve de la réception
dudit avis et ce, sans qu'il soit besoin d'établir
cette 'réception par d'autres moyens.
Dès lors, un problème se pose. Face à un texte
bilingue dont les deux versions appellent une inter-
prétation différente, laquelle choisir? Avant de
nous engager plus avant dans cette discussion,
rappelons le libellé de l'article 8 de la Loi sur les
langues officielles, S.R.C. 1970, c. O-2:
8. (1) Dans l'interprétation d'un texte legislatif, les versions
des deux langues officielles font pareillement autorité.
(2) Pour l'application du paragraphe (1) à l'interprétation
d'un texte législatif,
a) lorsqu'on allègue ou lorsqu'il apparaît que les deux ver
sions du texte législatif n'ont pas le même sens, on tiendra
compte de ses deux versions afin de donner, sous toutes
réserves prévues par l'alinéa c), le même effet au texte
législatif en tout lieu du Canada où l'on veut qu'il s'applique,
à moins qu'une intention contraire ne soit explicitement ou
implicitement évidente;
b) sous toutes réserves prévues à l'alinéa c), lorsque le texte
législatif fait mention d'un concept ou d'une chose, la men
tion sera, dans chacune des deux versions du texte législatif,
interprétée comme une mention du concept ou de la chose
que signifient indifféremment l'une et l'autre version du texte
législatif;
c) lorsque l'expression d'un concept ou d'une chose, dans
l'une des versions du texte législatif, est incompatible avec le
système juridique ou les institutions d'un lieu du Canada où
l'on veut que ce texte s'applique mais que son expression dans
l'autre version du texte est compatible avec ce système ou ces
institutions, une mention du concept ou de la chose dans le
texte sera, dans la mesure où ce texte s'applique à ce lieu du
Canada, interprétée comme une mention du concept ou de la
chose, exprimée dans la version qui est compatible avec ce
système ou ces institutions; et
d) s'il y a, entre les deux versions du texte législatif, une
différence autre que celle mentionnée à l'alinéa c), on don-
nera la préférence à la version qui, selon l'esprit, l'intention
et le sens véritable du texte, assure le mieux la réalisation de
ses objets.
L'arrêt de principe concernant l'interprétation
de cette disposition demeure encore R. c. Compa-
gnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865.
En l'espèce, la Cour suprême devait se pencher sur
le sens à donner à l'expression "disposed of' et au
mot «aliénés» apparaissant au paragraphe 1100(2)
des Règlements de l'impôt sur le revenu. Aux
pages 871 et 872 du jugement, M. le juge Pratte a
jeté les bases de l'interprétation que devait recevoir
l'article 8 de la Loi sur les langues officielles,
supra:
Je ne pense pas que l'al. 8(2)b) de la Loi sur les langues
officielles soit d'un grand secours à l'intimée. La règle prescrite
par cet alinéa n'est qu'un guide parmi plusieurs autres, dont il
faut se servir pour rechercher le sens d'une loi qui, «selon
l'esprit, l'intention et le sens véritables du texte, assure le mieux
la réalisation de ses objets» (al. 8(2)d)). La règle de l'al. 8(2)b)
n'est pas absolue au point d'automatiquement l'emporter sur
tous les autres principes d'interprétation. J'estime donc qu'il ne
faut pas retenir la version la plus restrictive si elle va clairement
à l'encontre du but de la loi et compromet la réalisation de ses
objets au lieu de l'assurer.
Lord Herschell a formulé, dans l'arrêt Colquhoun v. Brooks
[(1889), 14 A.C. 493], l'une des règles cardinales d'interpréta-
tion d'un texte législatif; il a écrit à la p. 506:
[TRADUCTION] En outre, nous avons indiscutablement le
droit et, en réalité, le devoir d'interpréter une disposition
législative en tenant compte de toutes les autres dispositions
de la loi qui précisent l'intention du législateur et tendent à
montrer qu'une disposition ne doit pas recevoir la même
interprétation que si elle était considérée isolément et indé-
pendamment du reste.
Dans l'arrêt Canada Sugar Refining Company, Limited v.
The Queen, [[18981 A.C. 735], lord Davey a déclaré à la p.
741:
[TRADUCTION] ... Chaque article d'une loi doit s'interpréter
en regard du contexte et des autres articles de la loi de sorte
que, dans la mesure du possible, l'ensemble de la loi ou des
lois connexes forme un tout logique.
Il ne fait aucun doute que cette règle fondamentale d'inter-
prétation législative subsiste et n'est pas mise de côté par l'art.
8 de la Loi sur les langues officielles. [Je souligne.]
En somme, ce n'est pas nécessairement la ver
sion la plus restrictive qui devra être adoptée si, à
la lumière de l'ensemble des dispositions de la
législation en litige, on en arrive à la conclusion
qu'elle «va clairement à l'encontre du but de la loi
et compromet la réalisation de ses objets au lieu de
l'assurer.»: BCN, supra, à la page 872.
Dans l'arrêt Food Machinery Corp. v. Registrar
of Trade Marks, [1946] 2 D.L.R. 258 (C. de l'E.),
M. le juge Thorson s'est vu confronté à un problè-
me qui s'apparente grandement au nôtre. Dans
cette affaire, les versions française et anglaise du
paragraphe 26(2) de la Loi sur la concurrence
déloyale, 1932, S.C. 1932, chap. 38 appuyaient
toutes _deux des interprétations inconciliables. La
solution que proposa alors M. le juge Thorson (à la
page 263) semble être une prescience de ce qu'é-
noncera plus tard M. le juge Pratte dans l'arrêt
BCN, supra:
[TRADUCTION] Le sens grammatical du texte français semble
être clair et conforme à l'interprétation de l'appelante. À mon
avis, le sens du texte anglais est également clair, mais on l'a
interprété de deux façons, l'une étant contestable et l'autre à
l'abri de toute contestation. Il arrive souvent que l'on compare
les versions française et anglaise d'une loi en vue d'en clarifier
le sens, vu que le législateur s'exprime dans les deux langues
officielles qui ont la même valeur. Je n'ai pu trouver de
jurisprudence sur cette question particulière qui s'est posée
dans le présent appel; s'il y a ambiguïté, elle est due à la
divergence entre les deux textes et il me semble que la Cour
devrait statuer sur la question comme elle le ferait pour toute
autre question ambiguë, c'est-à-dire en cherchant à connaître la
véritable intention du législateur, en suivant les principes d'in-
terprétation reconnus dans ces cas. Dans les circonstances, je
crois qu'il serait sage de statuer que lorsqu'il existe deux
interprétations pour le texte français ou le texte anglais d'une
loi dont l'une est contestable et l'autre à l'abri de toute contes-
tation, celle qui est incontestable selon les principes d'interpré-
tation reconnus devrait être adoptée, même si le libellé de
l'autre texte va à son encontre et est conforme à l'interprétation
contestable; cette dernière n'est pas pour autant soustraite à la
contestation en raison d'une telle conformité et ne permet pas
de l'invoquer. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, suite à un examen des différentes
dispositions de la Loi, M. le juge Lacombe s'est
déclaré convaincu que le paragraphe 120(2) éta-
blissait une présomption juris tantum. Je pense
autrement. La Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage est une loi à portée sociale à laquelle il faut
donner une interprétation large et libérale: Hills c.
Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513
à la page 559; Abrahams c. Procureur général du
Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la page 10; Rose
(1981) CUB 6266 et Miedus (1983) CUB 7983.
Notons toutefois que cette règle a été énoncée dans
le contexte de litiges portant sur l'admissibilité
d'une personne au bénéfice des prestations et non
sur l'application des dispositions administratives de
la Loi. Que les dispositions substantives de cette
législation soient interprétées libéralement m'appa-
raît tout à fait à propos puisque, comme le disait
Mme le juge Wilson, «le but général de la Loi est de
procurer des prestations aux chômeurs»: Abra-
hams, supra, à la page 10. Néanmoins, les articles
figurant à la Partie V de la Loi ne portent aucune-
ment sur le droit d'une personne au bénéfice des
prestations. Ils visent plutôt l'établissement d'un
mécanisme administratif permettant d'assurer la
mise en oeuvre efficace de la politique législative.
Nul besoin ne se fait sentir d'accorder à ces dispo
sitions une interprétation qui, en cas d'ambiguïté
du texte, favoriserait systématiquement le presta-
taire.
La Commission de l'emploi et de l'immigration
du Canada manipule chaque année un nombre
incalculable de demandes de prestations. Elle doit
en outre procéder à une multitude d'envois pos-
taux. Une lecture de l'article 120 de la Loi démon-
tre clairement que l'intention du législateur est de
faciliter la tâche de la Commission lorsque arrive
le moment pour elle d'établir l'authenticité d'une
preuve documentaire. Si, comme je le pense, le
Parlement désirait réellement atteindre cet objec-
tif, pourquoi se serait-il contenté d'édicter une
présomption juris tantum? L'envoi d'une lettre par
courrier régulier constitue en soi une présomption
simple à l'effet que ladite missive a été reçue.
Étant présumé ne pas parler pour ne rien dire,
pourquoi le Parlement se serait-il contenté de répé-
ter ce qui prévalait déjà? En agissant de la sorte,
aurait-il atteint le but qu'il s'était fixé, soit de
faciliter la tâche de la Commission? Toutes ces
raisons m'amènent à conclure que le paragraphe
120(2) de la Loi vise nécessairement à la création
d'une présomption juris et de jure. La version
française de la Loi m'apparaît traduire l'intention
du législateur avec plus d'exactitude que ne le fait
la version anglaise. D'ailleurs la présomption ne
joue que «dans les délais normaux de la livraison
du courrier>. Le paragraphe 120(2) permet donc
que soient soulevées des circonstances qui peuvent
empêcher l'application de la présomption.
Je pense comme mon collègue le juge Marceau
que cette présomption ne peut recevoir application
si l'adresse figurant sur la notification ne corres
pond pas à celle du prestataire. En l'espèce, cette
présomption n'a pas joué puisque l'intimé n'habi-
tait plus à l'adresse indiquée dans la notification
que lui a envoyée la Commission le 29 juin 1981.
La question essentielle consiste cependant à
déterminer si la Commission pouvait se prévaloir
des dispositions de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage lorsqu'elle a fait enregistrer, le 28 mars
1985, un certificat auprès de la Cour fédérale du
Canada établissant que l'intimé lui devait la
somme de 15 726,42 $ et lorsque, le 8 mai 1985,
elle s'adressait à l'employeur pour obtenir la partie
saisissable du salaire de l'intimé Michel Brière.
Michel Brière, on se le rappelle, a reçu des
prestations d'assurance-chômage sous des noms
d'emprunt, entre le lei octobre 1974 et le 15 mars
1976. Des procédures criminelles ont été intentées
contre lui le 26 septembre 1977. Il plaida coupable
et sentence fut prononcée le 11 avril 1979. Le 5
septembre 1979, la Cour d'appel du Québec con-
firmait l'obligation imposée à Brière par la Cour
des Sessions de la paix de rembourser à la Com
mission une somme de 15 000 $, ce qu'il fit. Sa
complice, dans un autre dossier, fut appelée à
verser 5 000 $ à la Commission. Par la suite, la
Commission révisa les demandes faites par Brière
et le notifia le 29 juin 1981 qu'il devait la somme
de 20 572 $. L'avis fut envoyé au 2880 de la rue
Masson à Montréal. Cette adresse avait été four-
nie par Brière lors du prononcé de sa sentence.
L'intimé cependant n'habitait déjà plus cette
adresse lorsque l'avis lui fut envoyé. Ce n'est que le
15 mai 1984, après avoir fait appel aux services
d'un bureau de crédit que la Commission rejoi-
gnait Brière à sa véritable adresse de Saint-Hippo-
lyte, Québec. Un deuxième avis lui fut envoyé le
11 février 1985. Ne recevant aucune réponse, la
Commission procéda le 28 mars 1985 par dépôt
d'un certificat devant la Cour fédérale du Canada
selon les dispositions de l'article 112 de la Loi.
Le 29 juin 1981, la Commission était en mesure
de réclamer toutes les prestations ayant été versées
six ans auparavant, soit celles qui le furent entre le
29 juin 1975 et le 15 mars 1976 (paragraphe 57(1)
de la Loi). Toutefois, la notification du 29 juin
1981 n'a pas atteint le débiteur. Pour les raisons
expliquées plus haut, la présomption du paragra-
phe 120(2) n'a pas joué. Cette notification du 29
juin 1981 a sans doute été faite de bonne foi.
A-t-elle cependant quelque valeur juridique? C'est
ici, et je le dis avec respect, que je ne puis être
d'accord avec l'opinion de mon collègue le juge
Marceau.
Le paragraphe 57(1) de la Loi oblige la Com
mission à notifier le prestataire de sa décision. Le
texte de loi ne fait aucun doute à ce sujet (voir à
titre d'exemple R. c. Varnes, [1975] C.F. 425 (l fe
inst.)).
Le délai de trente-six ou soixante-douze mois
mentionné aux paragraphes 57(1) et (6) de la Loi
s'appliquent-ils à la notification? Je réponds par
l'affirmative. Le paragraphe (1) de l'article 57
prévoit quatre opérations. La Commission peut, à
tout moment, dans une période déterminée, exami
ner de nouveau et, si elle décide qu'une personne a
reçu une somme d'argent sans justification ou n'a
pas reçu une somme d'argent à laquelle elle avait
droit, elle doit calculer le montant dû ou payable
et notifier le prestataire. Je ne saurais appliquer la
limite de trente-six ou soixante-douze mois au seul
réexamen et ne pas l'appliquer à la décision, au
calcul et à la notification. Je ne saurais non plus
appliquer la limite de trente-six ou soixante-douze
mois au réexamen et à la décision et ne pas
l'appliquer au calcul et à la notification. Je lis les
paragraphes (1) et (6) de l'article 57 comme un
tout. La Commission a de trente-six à soixante-
douze mois pour examiner de nouveau une
demande, et si, durant cette période, elle décide
qu'une somme lui est due ou est par elle payable,
selon le cas, elle doit, toujours durant cette
période, calculer cette somme et notifier sa déci-
sion au prestataire. L'opinion contraire voudrait
que la période de temps fixée au paragraphe 57(1)
ne s'applique que pour le réexamen et pour la
décision et que la Commission ait tout le temps
pour calculer et pour notifier. Si cela était, la
Commission disposerait d'une période flottante à
loisir avant que ne prenne naissance le point de
départ de la période qui lui est allouée pour recou-
vrer sa dette (paragraphes 57(5) et 49(4)). Je ne
puis croire que c'était là l'intention du Parlement.
Je me dois donc de conclure, à l'instar de mon
collègue le juge Lacombe, à l'impossibilité pour la
Commission de recourir aux dispositions de la Loi
de 1971 sur l'assurance-chômage pour obtenir de
M. Brière le remboursement du trop-payé en litige
puisque la notification du 29 juin 1981 n'a pas
rejoint le débiteur et que celle du 15 mai 1984 est
hors délai.
Il est certain cependant que dès le moment où
Michel Brière percevait en trop des prestations
d'assurance-chômage, il encourait un dû à Sa
Majesté, pour fraude, et ce, en vertu des principes
du droit commun. Je laisse aux tribunaux compé-
tents en cette matière le soin de décider de l'exis-
tence du recours que détient la Commission en
vertu du droit commun.
Tout comme mon collègue le juge Lacombe, je
maintiendrais l'appel en partie à la seule fin de
modifier le jugement de la Division de première
instance pour y biffer les mots «et déclare que ce
dernier ne doit plus rien à la défenderesse» de
façon à ce que ce jugement se lise maintenant
comme suit:
J'accueille l'action en jugement déclaratoire du demandeur. Les
saisies-arrêts en mains tierces opérées en l'espèce par la défen-
deresse sont déclarées illégales et par le fait même annulées.
Chaque partie supportera ses dépens.
Pour le reste, je rejetterais l'appel avec dépens.
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