A-332-88
Satnam Singh Bains (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
A-333-88
Peter James (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: BAINS c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Mac-
Guigan, J.C.A.—Toronto, 11 et 14 juillet 1989.
Immigration — Statut de réfugié — Les demandes fondées
sur l'art. 28 tendent à l'annulation des décisions par lesquelles
la Commission d'appel de l'immigration a refusé de proroger
le délai imparti pour déposer des demandes de réexamen des
revendications du statut de réfugié — La Commission s'est
fondée sur l'art. 70(1) de la Loi et sur l'art. 40 du Règlement
pour statuer qu'elle n'avait pas compétence pour connaître de
la demande — L'application rigide du délai limite pour
demander un réexamen est incompatible avec la justice natu-
relle et pourrait contrevenir à l'art. 7 de la Charte — Étant
une cour d'archives qui a compétence exclusive pour connaître
de la question en litige, la Commission doit examiner les faits
particuliers de chaque affaire pour déterminer si le requérant
pourrait être privé d'un droit protégé par la Charte au cas où
il ne serait pas autorisé â demander un réexamen et, dans
l'affirmative, si la justice fondamentale exige d'accorder une
telle autorisation — Demandes accueillies.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — L'application inflexible par la Commission d'appel
de l'immigration d'un délai limite pour demander un réexa-
men de la revendication du statut de réfugié est incompatible
avec les principes de justice fondamentale et peut entraîner une
atteinte au droit à la vie, à la liberté ou â la sécurité,
contrairement à l'art. 7 de la Charte — La Commission doit
examiner chaque affaire pour s'assurer que le refus de proro-
ger le délai ne viole pas les droits protégés par la Charte ou la
justice fondamentale — Les demandes fondées sur l'art. 28 et
qui tendent à l'annulation du refus par la Commission de
proroger le délai sont accueillies.
Contrôle judiciaire — Demandes de révision — Les deman-
des fondées sur l'art. 28 tendent à l'annulation du refus par la
Commission d'appel de l'immigration de proroger le délai
limite pour demander un réexamen de la revendication du
statut de réfugié — L'application inflexible d'un délai limite
est incompatible avec les principes de justice naturelle — La
Commission doit examiner les faits de chaque affaire pour
s'assurer qu'il n'y a pas eu violation de droits protégés par la
Charte et pour déterminer si la justice fondamentale exige
d'accorder l'autorisation de demander un réexamen en dehors
du délai fixé par la loi — Demandes accueillies.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 59(1), 65(1), 70(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 40(1) (mod. par DORS/80-601, art. 4).
Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigra-
tion (réfugié au sens de la Convention), DORS/81-420,
art. 4, 9.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Nandkishur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration), A-322-85, juge en chef Thurlow, jugement en
date du 22-5-87, C.A.F., non publié.
AVOCATS:
Barbara L. Jackman pour le requérant.
Charlotte A. Bell, c.r. et Marilyn Doering
pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jackman, Zambelli, Silcoff, Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici la version française des motifs du juge-
ment de la Cour prononcées à l'audience par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Les présentes
demandes, qui ont fait l'objet d'un même débat,
tendent à la révision et à l'annulation de deux
décisions par lesquelles l'ancienne Commission
d'appel de l'immigration a refusé de proroger le
délai dans lequel chacun des requérants doit dépo-
ser une demande de réexamen de sa revendication
du statut de réfugié sous le régime du paragraphe
70(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C.
1976-77, chap. 521 1 .
Certes, les ordonnances formelles de la Commis
sion n'ont fait que rejeter les demandes de proro-
gation du délai; mais il ressort des motifs de la
Commission qu'elle estimait n'avoir pas compé-
tence pour connaître des demandes. Dans la
mesure où ce point de vue repose sur le texte de la
Loi elle-même, susmentionnée, et sur le paragra-
phe 40(1) du Règlement sur l'immigration de
1978 [mod. par DORS/80-601, art. 4] 2 , il s'agit, à
l'évidence, d'un point de vue fondé et conforme à
la jurisprudence de cette Cour 3 . Les pouvoirs que
la Commission tient des articles 4 et 9 des Règles
de 1981 de la Commission d'appel de l'immigra-
tion (réfugié au sens de la Convention) 4 ne suffi-
I 70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié
au sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par
écrit, conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas ce
statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission
une demande de réexamen de sa revendication.
Tous les renvois à la Loi et au Règlement sont des renvois
aux textes dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur des
Lois révisées du Canada (1985), et des modifications apportées
par les Statuts du Canada de 1988, chapitres 35 et 36.
2 DORS/78-172, modifié.
40. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié
au sens de la Convention et que le Ministre a notifiée par
écrit, conformément au paragraphe 45(5) de la Loi, du fait
qu'elle n'avait pas ce statut, peut, dans les quinze jours
suivant la date où elle en a été notifiée, présenter par écrit à
la Commission, selon l'article 70 de la Loi, une demande de
réexamen de sa revendication en la remettant à un agent
d'immigration ou à la Commission.
3 Voir Nandkishur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration), non publié, 22 mai 1987, C.A.F., numéro du
greffe A-322-85.
4 DORS/81-420.
4. Lorsqu'une question soulevée au cours d'une procédure
devant la Commission n'est pas prévue par ces règles, la
Commission peut faire le nécessaire pour être en mesure de
juger et de résoudre de façon efficace et complète toute
question abordée dans une demande.
9. (1) La Commission peut abréger le délai prescrit dans
ces règles ou fixé dans une ordonnance de la Commission
pour accomplir un acte ou engager une procédure selon les
modalités qui lui semblent appropriées.
(2) La Commission peut proroger un délai qu'elle a fixé
dans une ordonnance pour accomplir un acte selon les moda-
lités qui lui semblent appropriées; cette prorogation peut être
accordée par une ordonnance de la Commission, même si la
demande de prorogation n'est présentée qu'après l'expiration
du délai prescrit ou fixé.
sent pas à lui permettre de proroger un délai fixé
par le gouverneur en conseil en vertu du pouvoir de
réglementation que lui confère la Loi.
Le principal argument des requérants va toute-
fois au-delà du texte de la législation sur l'immi-
gration elle-même, et soulève un point intéressant
concernant la Charte. Il est maintenant bien établi
qu'une revendication du statut de réfugié peut
faire entrer en jeu des droits protégés par la Char-
tes. En bref, les requérants font valoir qu'un délai
limite rigide et inflexible imparti pour demander
un réexamen sans qu'il soit possible d'obtenir une
prorogation quelles que soient les circonstances est
incompatible avec les principes de justice fonda-
mentale et peut entraîner une atteinte au droit à la
vie, à la liberté et à la sécurité de la personne,
contrairement à l'article 7 de la Charte [Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] 6 .
À notre avis, cet argument est irréfragable. En
effet, l'avocate du ministre s'est contentée de répli-
quer que les faits de l'espèce étaient tels que, en
réalité, ce n'était pas violer les règles de justice
fondamentale que de contraindre les requérants à
subir les conséquences de leurs propres actes
réfléchis.
Dans l'affaire Bains (numéro du greffe
A-322-88), il ressort du dossier que le requérant
s'est évadé d'une détention en avril 1981, après que
sa revendication du statut de réfugié eut reçu une
décision défavorable de la part du ministre et
avant qu'il ne pût demander un réexamen. Il a
donc vécu «dans la clandestinité», violant sciem-
ment la loi canadienne sur l'immigration. Il a été
arrêté le 4 janvier 1987, et sa demande de proroga-
tion de délai n'a été déposée que le 24 avril 1987.
Dans l'affaire James (numéro du greffe
A-333-88), le requérant a appris la décision défa-
vorable du ministre en novembre 1984 et il a alors,
en connaissance de cause et sur avis de son avocat,
5 Voir Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, [1985] 1 R.C.S. 177.
6 Les requérants ont également invoqué un argument sous le
régime de l'article 15, mais, bien indépendamment de sa nature
hautement problématique, il n'ajoute, semble-t-il, rien à la
revendication fondée sur l'article 7.
décidé de ne pas demander un réexamen pour
suivre d'autres voies pour obtenir un droit d'éta-
blissement. C'est seulement en mai 1986 qu'il a
fait une demande de prorogation de délai, après
que ces voies n'eurent pas abouti.
Ce qu'on peut reprocher à l'argument invoqué
par l'avocate du ministre est que la Commission,
estimant qu'elle n'avait pas compétence pour le
faire, n'a jamais examiné les faits de l'une ou de
l'autre affaire. Il se peut que, finalement, la Com
mission souscrive à l'argument de l'avocate du
ministre et conclue que les faits ne révèlent aucune
violation des règles de justice fondamentale, mais
il appartient, en premier lieu à tout le moins, à la
Commission et non à cette Cour d'examiner cette
question et d'y répondre. La Commission est une
cour d'archives', ayant «compétence exclusive» 8
pour connaître d'une question telle que celle qui se
pose en l'espèce, à savoir une demande de réexa-
men d'une revendication du statut de réfugié. Ses
pouvoirs et sa compétence doivent être interprétés
à la lumière de la Charte. En conséquence, elle ne
saurait simplement refuser de connaître d'une
demande du type en question en l'espèce; elle doit
plutôt examiner les faits particuliers de chaque
affaire pour déterminer si le requérant risque
d'être privé d'un droit protégé par la Charte au cas
où il ne serait pas autorisé à demander un réexa-
men et, dans l'affirmative, si la justice fondamen-
tale exige qu'il lui soit accordé une telle
autorisation.
Les demandes fondées sur l'article 28 [Loi sur
la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] seront
accueillies, les décisions annulées et les affaires
renvoyées à la Commission pour qu'elle procède à
un nouvel examen en partant du principe que la
Commission a compétence pour examiner si la
justice fondamentale exige que, dans les circons-
tances, les requérants soient autorisés à demander
un réexamen de leurs revendications du statut de
réfugié en dehors du délai fixé par la loi.
' Loi sur l'immigration de 1976, paragraphe 65(1).
8 Loi sur l'immigration de 1976, paragraphe 59(1).
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