T-1780-89
Robert Austin Doyle (demandeur)
c.
Ministre du Revenu national (défendeur)
RÉPERTORIÉ : DOYLE C. M.R.N. (1 1 e inst.)
Section de première instance, juge Reed—Van-
couver, 14 septembre; Ottawa, 21 septembre 1989.
Impôt sur le revenu — Pratique — L'art. 225.1(5) de la Loi
n'exige pas qu'une lettre de suspension soit signée personnelle-
ment par le contribuable — Cette lettre peut être signée par le
mandataire dûment autorisé du contribuable — Le M.R.N.
peut déléguer les pouvoirs prévus à l'art. 225.1(5) à un fonc-
tionnaire du Ministère conformément aux principes de la
délégation implicite.
Mandat — Pratique en matière fiscale — Lettre de suspen
sion signée pour le contribuable par le mandataire — Le
pouvoir conféré est suffisant — La lettre visée n'est pas exclue
de l'entente sur le mandat puisqu'elle n'a pas pour effet de lier
le contribuable en concluant un règlement — La signature de
la lettre ne fait pas partie des actes réservés aux avocats — Il
n'est pas nécessaire de discuter des différents arrêts sur le
mandat apparent ou prétendu qui ont été cités.
En février 1987, un agent de la Division des appels de
Revenu Canada a écrit au mandataire du contribuable, H.N.
Thill & Associates (Thill), pour lui demander que le contribua-
ble consente à ce que les procédures relatives à sa déclaration
d'impôt de l'année 1984 soient suspendues jusqu'au prononcé
du jugement dans d'autres affaires déjà soumises à la Cour. Un
consentement a été donné à cet égard dans une lettre signée par
un des administrateurs de Thill. En janvier 1989, un jugement
rejetant les actions des contribuables a été rendu dans les autres
affaires. Le ministre a alors acquis le droit, en vertu du
paragraphe 225.1(5), de recouvrer l'impôt qu'il prétendait être
dû. La situation eût été différente si aucune lettre de suspension
n'avait été signée.
Tentant d'empêcher le recouvrement immédiat des montants
cotisés, le contribuable a soutenu que son mandataire n'était
pas habilité à signer la lettre de suspension et que, même dans
l'hypothèse où un tel pouvoir aurait été conféré, ce mandat
serait sans effet puisque la Loi exige que l'entente prévoyant la
suspension des procédures soit conclue entre le ministre et le
contribuable, qui, ni l'un ni l'autre, n'avaient signé les docu
ments pertinents.
Jugement: une ordonnance sera prononcée conformément
aux présents motifs.
À l'examen des circonstances de l'affaire et de l'entente
conclue au sujet du mandat entre Thill et le contribuable, il ne
fait aucun doute que Thill a été le mandataire du contribuable
et a reçu des pouvoirs suffisants pour lui permettre de signer la
lettre de suspension en cause. Cette lettre ne réglait pas un
litige de façon à lier le contribuable et n'était donc pas exclue
de l'entente relative au mandat. Il ne peut non plus être dit que
la signature de la lettre de suspension par Thill constituait un
acte non autorisé qui aurait été réservé à un avocat.
Le contribuable n'était pas tenu de signer personnellement.
Le paragraphe 225.1(5), qui a été invoqué par le demandeur,
n'exclut pas expressément ou implicitement la possibilité que
des mandataires signent pour des contribuables. Et, bien que la
pratique du Ministère consistât à exiger que les lettres de
suspension des procédures soient signées personnellement par le
contribuable, cette façon d'agir ne peut donner lieu à une
préclusion et ne saurait dicter l'interprétation qui doit être
donnée aux dispositions applicables de la Loi.
Ni le ministre, ni un sous-ministre adjoint n'est tenu de
signer personnellement. Il est clair que le pouvoir du ministre
de conclure des ententes relatives à la suspension des procédu-
res sur le fondement du paragraphe 225.1(5) est de nature à
être assujetti à une règle de délégation implicite. Ce pouvoir
n'est pas de ceux qui exigent une attention personnelle du
ministre. Il serait certes déraisonnable d'exiger du ministre qu'il
conclue personnellement une entente écrite avec quelque 1 700
contribuables concernant cette seule question. Les ententes
envisagées ne concernent pas des questions délicates d'intérêt
public.
Le paragraphe 225.1(5) n'est pas mentionné dans le «code
législatif» de la délégation de l'article 900 du Règlement de
l'impôt sur le revenu. Cela ne signifie toutefois pas que seul un
sous-ministre adjoint peut agir comme délégué du ministre à
l'égard de ce paragraphe: le principe de la délégation implicite
édicté par la common law continue de s'appliquer. Le pouvoir
général conféré aux sous-ministres adjoints n'amoindrit pas
l'autorité de déléguer les pouvoirs détenus par le ministre sous
le régime du paragraphe 225.1(5) des fonctionnaires du
ministère qui occupent un rang inférieur à celui de sous-minis-
tre adjoint. Les principes permettant une délégation implicite
s'appliquent, et ce pouvoir n'a pas été excédé par l'autorisation
faite à un fonctionnaire chargé des appels de signer les lettres
demandant qu'il soit consenti à la suspension des procédures.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 150(1)d) (mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 85;
1986, chap. 44, art. 2), 221(1)f), 225.1(5) (édicté par
S.C. 1985, chap. 45, art. 116), 225.2 (édicté, idem).
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945,
art. 900(1),(2)a) (mod. par DORS/83-797, art. 1(1)),
b) (mod. par DORS/88-219, art. 1(1)), (3) (mod. par
DORS/87-470, art. 1(4)), a),b), (4) (mod. par
DORS/82-711, art. 1), a),b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
PS & E Contractors Ltd. v. R. (1989), 89 DTC 5067
(C.A. Sask.); Pica (F) et al v The Queen, [1985] 1 CTC
73 (C.S. Ont.); Woon, Bert W. v. Minister of National
Revenue, [1951] R.C.É. 18; (1950), 50 DTC 871.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fortier v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É.
400; 69 DTC 5354; Moloney c. R. (1989), 89 DTC 5099
(C.F. 1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Freeman and Lockyer (a firm) v. Buckhurst Park Pro
perties (Mangal), Ltd., [1964] 1 All E.R. 630 (C.A.);
European Asian Bank A.G. v. Punjab & Sind Bank (No.
2), [1983] 1 W.L.R. 642 (C.A.); Woodhouse AC Israel
Cocoa Ltd SA y Nigerian Produce Marketing Co Ltd,
[1972] 2 All ER 271 (H.L.); Jensen v. South Trail
Mobile Ltd., [1972] 5 W.W.R. 7 (C.A. Alb.); Cypress
Disposal Ltd. v. Inland Kenworth Sales (Nanaimo) Ltd.,
[1975] 3 W.W.R. 289 (C.A.C.-B.); Cumberland Proper
ties Ltd. c. Canada, [1989] 3 C.F. 390; 89 DTC 5333
(C.A.); Hawitt v. Campbell (1983), 46 B.C.L.R. 260
(C.A.).
AVOCATS:
S. K. Hansen pour le demandeur.
J. Van Iperen, c.r. pour le défendeur.
PROCUREURS:
Thorsteinson, Mitchell, Little, O'Keefe &
Davidson, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La présente espèce soulève deux
questions principales. La première est celle de
savoir si le paragraphe 225.1(5) [édicté par S.C.
1985, chap. 45, art. 116] de la Loi de l'impôt sur
le revenu (S.R.C. 1952, chap. 148 modifié [par
S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1] ainsi que les
modifications qui y ont été apportées jusqu'au 25
février 1987) exige que le contribuable ait signé
personnellement une lettre de suspension ou si une
telle lettre peut être signée par le mandataire du
contribuable pour le compte de celui-ci. La
deuxième question soulevée est celle de savoir si le
ministre du Revenu national est habilité à déléguer
les pouvoirs qu'il détient en vertu de ce paragraphe
à un fonctionnaire de son Ministère. La décision
en l'espèce est susceptible de s'appliquer à un
grand nombre de contribuables.
Le paragraphe 225.1(5) est ainsi libellé:
225.1.. .
(5) Par dérogation aux autres dispositions du présent article,
lorsqu'un contribuable signifie, conformément à la présente loi,
un avis d'opposition à une cotisation ou en appelle d'une
cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt ou la Division
de première instance de la Cour fédérale et qu'il convient par
écrit avec le ministre de retarder la procédure d'opposition ou la
procédure d'appel, selon le cas, jusqu'à ce que la Cour cana-
dienne de l'impôt, la Cour fédérale du Canada ou la Cour
suprême du Canada rende jugement dans une autre action qui
soulève la même question, ou essentiellement la même, que
celle soulevée dans l'opposition ou appel par le contribuable, le
ministre peut prendre des mesures visées aux alinéas (1)a) à g)
pour recouvrer tout ou partie du montant de la cotisation établi
de la façon envisagée par le jugement rendu dans cette autre
action, à tout moment après que le ministre a avisé le contri-
buable par écrit que, selon le cas,
a) le jugement de la Cour canadienne de l'impôt dans l'ac-
tion a été posté au ministre;
b) la Cour fédérale du Canada a rendu jugement dans
l'action;
c) la Cour suprême du Canada a rendu jugement dans
l'action. [Non souligné dans le texte original.]
Les faits pertinents sont les suivants. Une lettre
(une [TRADUCTION] «lettre de suspension des pro-
cédures») a été adressée par Revenu Canada le 25
février 1987 H.N. Thill & Associates («Thill»)
au sujet de Robert A. Doyle. Cette lettre deman-
dait que le contribuable Doyle consente à ce que
les procédures relatives à sa déclaration d'impôt de
l'année 1984 soit retardées. L'on y proposait la
suspension de ces procédures jusqu'au prononcé
d'un jugement dans d'autres affaires déjà soumises
à la Cour. Ces autres affaires soulevaient la même
question que le litige entre le présent contribuable
et Revenu Canada; le demandeur en l'espèce récla-
mait des déductions à l'égard des paiements antici-
pés de redevances qu'il avait reçues pour des licen
ces autorisant l'utilisation de certains documents
relatifs à la lecture rapide. L'on a renvoyé la lettre
qui recherchait le consentement du contribuable
Doyle à Revenu Canada en signifiant à ce Minis-
tère que Doyle acquiesçait à la suspension des
procédures relatives à sa cotisation. Cette lettre a
été signée pour le compte de M. Doyle par M.
Sinclair, un des administrateurs de Thill.
Le 20 janvier 1989, un jugement a été rendu
dans les autres affaires par M. le juge Joyal: l'arrêt
Moloney c. R. (1989), 89 DTC 5099 (C.F. l re
inst.). Ce jugement n'était point favorable aux
contribuables. Un appel a été interjeté à son égard.
Le ministre a maintenant le droit, en vertu du
paragraphe 225.1(5), de recouvrer l'impôt qu'il
prétend être dû par M. Doyle pour l'année d'impo-
sition 1984. Dans l'hypothèse où aucune lettre de
suspension n'aurait été signée et où M. Doyle
aurait lui-même agi comme demandeur devant les
tribunaux dans le cadre du présent litige, le minis-
tre aurait été empêché de prendre des mesures de
recouvrement des impôts avant que le litige ne soit
tranché en appel de façon définitive.
L'avocat de M. Doyle fait valoir les prétentions
suivantes concernant la situation de son client: (1)
le contribuable n'a jamais autorisé Thill à signer
pour son compte une entente prévoyant la suspen
sion des procédures; (2) dans l'hypothèse où un tel
pouvoir aurait été conféré, ce mandat serait sans
effet puisque la Loi (le paragraphe 225.1(5)) exige
que l'entente prévoyant la suspension des procédu-
res soit conclue avec le contribuable; (3) de plus, le
paragraphe 225.1(5) exige que l'entente sur la
suspension des procédures soit conclue avec le
ministre, alors que, en l'espèce, la lettre pertinente
n'a pas été signée par le ministre; cette lettre a été
signée par un agent de la Division des appels de
Revenu Canada (M. Gunn).
Portée du mandat
En ce qui concerne le premier argument de
l'avocat du demandeur, je ne doute aucunement
que Thill ait été le mandataire du contribuable et
ait reçu de Doyle des pouvoirs suffisants pour lui
permettre de signer la lettre de suspension en
cause. Les motifs de cette conclusion ressortiront
clairement des faits suivants, qui établissent le
cadre dans lequel s'inscrivent chacun des trois
arguments de cet avocat.
Thill a préparé la déclaration d'impôt du contri-
buable pour l'année 1983. Bien que Doyle ait signé
cette déclaration lui-même, l'adresse personnelle
qui est donnée en ce qui le concerne est celle de
Thill. Thill a préparé la déclaration d'impôt de
Doyle pour l'année 1984, et, encore une fois,
l'adresse y figurant au nom de Doyle est celle de
Thill. Ces faits n'ont pas une importance détermi-
nante. Ils, ne font qu'établir le contexte de la
présente affaire et démontrer que Doyle se fiait
beaucoup à l'expertise de Thill en ce qui concer-
nait la préparation et la présentation de ses décla-
rations d'impôt.
Le 15 février 1985, lorsque Doyle a signé sa
déclaration d'impôt de l'année 1984, il a également
signé l'autorisation suivante:
[TRADUCTION] À: H. N. Thill & Associates Inc.
22-1818 avenue Cornwall
Vancouver (C.-B.)
Aux fins de vous permettre de remplir les fonctions qu'il vous
confie à l'égard du présent dossier, le soussigné, par les présen-
tes, autorise votre société ainsi que ses fondés de pouvoir à le
représenter à titre de mandataires (pour les actes qui ne sont
pas réservés aux avocats ou aux membres de corporations
professionnelles) auprès de Revenu Canada en ce qui concerne
tout litige pouvant découler du dépôt de quelque déclaration
d'impôt pour son compte ainsi que de toute cotisation ou
nouvelle cotisation y faisant suite, ce mandat comprenant, dans
chaque cas, le pouvoir de le lier en concluant des règlements à
l'égard de tels litiges ou appels sur le fondement de directives
orales ou écrites.
Vers la fin d'avril 1985, Revenu Canada a
adressé une lettre à Doyle personnellement pour
l'aviser que le ministre refusait les déductions qu'il
avait réclamées dans sa déclaration d'impôt de
l'année 1984 à l'égard des paiements anticipés de
redevances relatives à des licences qui visaient des
documents enseignant la lecture rapide. Cette
lettre déclarait également que le ministre impose-
rait le contribuable Doyle en conséquence. M.
Doyle a répondu, dans une lettre en date du 30
avril 1985:
[TRADUCTION] Cher monsieur,
Je suggère que vous adressiez toutes les autres lettres visant
ma déclaration d'impôt de 1984/83 la société H. N. Till [sic]
& Assoc., qui m'a assuré qu'elle présenterait une opposition
formelle à l'encontre de votre décision, en me faisant savoir
qu'elle était mystifiée [sic] par votre exigence des trente. jours.
Avec mes salutations respectueuses,
Robert A. Doyle
Thill a écrit à Revenu Canada le 3 mai 1985. En
plus de lui faire parvenir une copie du mandat que
M. Doyle avait signé le 15 février 1985, elle infor-
mait le Ministère qu'aucune observation et aucun
argument ne seraient, pour lors, présentés de la
part de M. Doyle. Cette lettre demandait égale-
ment au Ministère de fixer la cotisation relative à
la déclaration de M. Doyle [TRADUCTION] «dès
l'instant où cela sera possible». Une cotisation a
ensuite été établie, qui a fait l'objet d'un avis
d'opposition déposé le 31 mai 1985. L'avis d'oppo-
sition a été signé par le contribuable personnelle-
ment. L'adresse de Thill se trouvait inscrite au
titre de l'adresse du contribuable sur cet avis. Thill
y était également décrite comme la [TRADUC-
TION] «mandataire autorisée» du contribuable.
La question sur laquelle portait le litige relatif à
la déclaration d'impôt du contribuable pour l'an-
née 1984 se posait également à l'égard de 1 736
autres déclarations d'impôt. Des négociations se
sont déroulées entre Thill et Revenu Canada, qui
ont convenu que quatre causes-types seraient plai-
dées devant la Cour fédérale. Le fait que certaines
cotisations ont été confirmées tandis que d'autres
ont été maintenues en suspens au stade de l'avis
d'opposition n'est pas important pour les fins de la
présente espèce.
Revenu Canada et Thill n'ont alors pu s'enten-
dre sur la question de savoir qui devait signer les
lettres de suspension des procédures. Revenu
Canada a prétendu que les lettres de suspension
devaient être signées personnellement par le con-
tribuable. Thill a soutenu que les mandats qu'elle
détenait de ses clients lui permettaient de signer de
tels documents pour leur compte. M. Gunn, de
Revenu Canada, atteste les faits suivants:
[TRADUCTION] 4. À tous les moments pertinents, Thill a sou-
tenu que Revenu Canada commettait une erreur en considérant
que les «lettres de suspension des procédures» devaient être
signées par les contribuables. Elle a donc agi en tenant pour
acquis que ces lettres avaient été signées régulièrement.
5. Au cours du mois qui a suivi, j'ai préparé des lettres de
suspension des procédures pour tous les avis d'opposition visés
par une suspension, et je les ai adressées à Thill. J'avais indiqué
à Thill, plus particulièrement à M. Bruce Benzel, que ces
lettres devaient être signées par les contribuables et non par
leurs mandataires.
6. Thill et ses employés n'ont à aucun moment souscrit à mon
point de vue. Toutes les lettres de suspension des procédures
m'ont été retournées, y compris celle qui concernait Robert A.
Doyle, dont une copie, signée par Thill, est attachée au présent
affidavit à titre de pièce «A».
7. À aucun moment n'ai-je contesté que Thill détienne le
pouvoir d'agir comme mandataire de Robert A. Doyle.
M. Doyle déclare qu'il n'a jamais été avisé de
l'existence de la lettre de suspension des procédu-
res; il affirme n'avoir jamais été consulté au sujet
de cette lettre et n'être au courant de son existence
que depuis quelques mois. Le témoignage de Thill
veut que cette société n'ait pas consulté ses clients
avant de signer les lettres.
L'avocat du contribuable soutient que l'autorisa-
tion du 15 février 1985 n'avait pas permis à Thill
de signer la lettre de suspension des procédures.
Cette lettre réglerait un litige de façon à lier le
contribuable et appartiendrait à une catégorie
d'ententes expressément exclues du mandat. Subsi-
diairement, il est soutenu que la signature de la
lettre de suspension des procédures fait partie des
actes [TRADUCTION] «réservés aux avocats» et
excède le mandat confié à Thill en étant expressé-
ment exclue de l'entente qui autorise cette société
à représenter le contribuable. Troisièmement,
même si la mesure prise par Thill ne tombait pas
sous le coup des clauses d'exclusion du mandat, la
signature de la lettre ne pourrait être considérée
comme ayant été autorisée puisque cette action
n'est pas autorisée par la stipulation établissant le
mandat principal de cette entente.
Aucun de ces arguments n'est convaincant. Une
lettre de suspension n'a pas pour effet de «lier [le
contribuable] en concluant [un règlement]». Elle
ne fait qu'arrêter le déroulement des procédures
jusqu'à ce que soient tranchés d'autres litiges dont
l'issue peut entraîner le règlement de la demande
du contribuable. Cependant, ni la lettre de suspen
sion des procédures ni l'issue des autres litiges ne
détermine précisément les droits ou les responsabi-
lités du contribuable ayant accepté que le litige
auquel il est partie ne soit tranché qu'une fois une
autre affaire résolue. Je ne crois pas non plus que
la signature d'une lettre de suspension des, procé-
dures par Thill faisait partie des actes [TRADUC-
TION] «réservés aux avocats». Cette société agissait
pour le compte de Doyle mais n'exerçait pas des
pouvoirs qui n'appartiennent qu'aux avocats. Con-
cernant le troisième argument de cet avocat, il a
été fait référence aux paragraphes 29 et 3,1 de la
Circulaire d'information CI 86-2R2, Directives à
l'usage des spécialistes en déclarations Tl. Ces
directives veulent que Revenu Canada exige le
dépôt d'un mandat avant de discuter d'une décla-
ration avec une autre personne que le contribuable
concerné. Cette exigence n'influence toutefois pas
l'interprétation du mandat du 15 février 1985.
Cette interprétation doit se fonder sur le libellé de
ce mandat. Le pouvoir conféré par les termes
utilisés est très large: [TRADUCTION] «le représen-
ter à titre de mandataires ... auprès de Revenu
Canada en ce qui concerne tout litige pouvant
découler du dépôt de quelque déclaration d'impôt
pour son compte ainsi que de toute cotisation ou
nouvelle cotisation y faisant suite». [Soulignement
ajouté.] À mon sens, il ne fait aucun doute que ces
termes englobaient la signature d'une lettre de
suspension des procédures pour le compte de
Doyle.
Étant parvenue à la conclusion qui précède, il ne
m'est pas nécessaire de discuter des différents
arrêts sur le mandat apparent ou prétendu qui ont
été cités par les parties: Freeman and Lockyer (a
firm) v. Buckhurst Park Properties (Mangal),
Ltd., [1964] 1 All E.R. 630 (C.A.); European
Asian Bank A.G. v. Punjab & Sind Bank (No. 2),
[1983] 1 W.L.R. 642 (C.A.); Woodhouse AC
Israel Cocoa Ltd SA v Nigerian Produce Marke
ting Co Ltd, [1972] 2 All ER 271 (H.L.); Jensen
v. South Trail Mobile Ltd., [1972] 5 W.W.R. 7
(C.A. Alb.); Cypress Disposal Ltd. v. Inland Ken -
worth Sales (Nanaimo) Ltd., [1975] 3 W.W.R.
289 (C.A.C.-B.); Cumberland Properties Ltd. c.
Canada, [1989] 3 C.F. 390; 89 DTC 5333 (C.A.);
Hawitt v. Campbell (1983), 46 B.C.L.R. 260
(C.A.).
Est-il nécessaire que le contribuable signe person-
nellement?
Plus difficile est la question de savoir si le
paragraphe 225.1(5) exige que le contribuable
signe personnellement la lettre de suspension des
procédures. Selon l'argument qui est mis de l'avant
par le demandeur, le paragraphe 225.1(5) porte
que le «contribuable» est celui qui doit convenir par
écrit de retarder les procédures avec le ministre, de
sorte qu'un mandataire ne peut être autorisé à
consentir à la suspension pour le compte du contri-
buable. L'avocat du défendeur a cité l'arrêt Fortier
v. Minister of National Revenue, [ 1969] 2 R.C.É.
400; 69 DTC 5354, une décision qui lui est défavo-
rable. Dans cette affaire, la Cour a semblé con-
clure qu'une disposition exigeant qu'une copie de
la décision rendue par la Commission d'appel de
l'impôt soit expédiée au contribuable n'était point
satisfaite par l'expédition de cette décision au
mandataire de ce contribuable. L'on a également
fait valoir les faits suivants: le Ministère avait
toujours considéré que les contribuables devaient
signer de telles lettres personnellement, et les avis
d'opposition sont toujours, comme c'est le cas en
l'espèce, signés par les contribuables personnelle-
ment.
Premièrement, j'observe que le paragraphe
225.1(5) ne déclare pas expressément que les
ententes écrites visant à retarder les procédures ne
peuvent être signées par un mandataire du contri-
buable. Le libellé de ce paragraphe diffère par
exemple de celui de l'alinéa 150(1)d) [mod. par
S.C. 1985, chap. 45, art. 85; 1986, chap. 44, art.
2], qui établit clairement que les déclarations d'im-
pôt d'un particulier contribuable doivent être
signées par ce particulier. Ce paragraphe n'est pas
non plus similaire à une disposition comme le
paragraphe 225.2(1) [édicté par S.C. 1985, chap.
45, art. 116], qui précise au sujet de certaines
mesures qu'elles doivent être prises à l'égard du
contribuable personnellement à moins qu'une
autre manière de procéder ne soit expressément
permise.
Deuxièmement, en ce qui concerne l'arrêt For-
tier, il est clair que le [TRADUCTION] «manda-
taire» qu'il visait ne l'était en fait plus au moment
de l'expédition de la décision de la Commission
d'appel de l'impôt — son mandat avait expiré. Les
faits de cet arrêt ne peuvent le mettre au rang des
décisions dans lesquelles un mandataire agissait
pour le compte du contribuable. De plus, aux
pages 400 R.C.É; 5356 DTC de son jugement, le
juge Noël semble dire que l'on peut s'éloigner des
dispositions de la Loi (qui exigeaient que la déci-
sion soit expédiée au contribuable par la poste) à
la condition que les parties y consentent expressé-
ment.
Troisièmement, en ce qui a trait à la pratique du
Ministère d'exiger que les contribuables signent
personnellement les lettres de suspension des pro-
cédures, il est clair que, ainsi que l'ont reconnu les
deux avocats, elle ne peut donner lieu à une préclu-
sion: Woon, Bert, W. v. Minister of National
Revenue, [1951] R.C.É 18; (1950), 50 DTC 871.
Il est fort possible que la position adoptée par le
Ministère à cet égard procède d'une série de motifs
d'ordre administratif très variés: celui de ces
motifs qui pourrait être prépondérant concerne les
difficultés que risque de présenter la preuve de
l'existence et de la portée d'un mandat prétendu ou
apparent. Quelles que soient les nécessités admi-
nistratives régissant la conduite des fonctionnaires
du Ministère, elles ne dictent pas l'interprétation
qui doit être donnée aux dispositions applicables de
la loi. En résumé, aucune jurisprudence n'a été
citée qui exigerait de façon expresse ou implicite
que l'utilisation du terme «contribuable» au para-
graphe 225.1(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu
soit interprété comme empêchant les contribuables
de charger des mandataires d'agir pour leur
compte pour les fins de ce paragraphe. Je ne crois
pas que le terme «contribuable» au paragraphe
225.1(5) ait un sens aussi rigide que le voudrait le
demandeur. À mon avis, il devrait s'interpréter
comme permettant à un mandataire de signer pour
le compte d'un contribuable à la condition que le
mandat soit bien établi.
Le ministre ou le sous-ministre adjoint est-il tenu
de signer personnellement?
En ce qui concerne le troisième argument sou-
levé par l'avocat du demandeur, personne ne con-
teste que, en common law, il est fréquent que la
nature des pouvoirs accordés à un ministre sous le
régime d'une loi permette facilement d'induire
qu'ils peuvent être sous-délégués: PS & E Con
tractors Ltd. v. R. (1989), 89 DTC 5067 (C.A.
Sask.), en particulier à la page 5070 (2 e colonne);
Pica (F) et al y The Queen, [1985] 1 CTC 73
(C.S. Ont.). En l'absence d'une disposition au
contraire dans la Loi, je ne doute point que la
nature du pouvoir décrit au paragraphe 225.1(5)
rende raisonnable, sinon presque obligatoire, la
conclusion que la Loi est conçue de façon à per-
mettre implicitement au ministre de déléguer un
tel pouvoir aux fonctionnaires de son Ministère. Ce
pouvoir n'est pas de ceux qui exigent une attention
personnelle ou un consentement du ministre. En
effet, l'idée que le ministre doive conclure une
entente écrite avec quelque 1 700 contribuables (le
présent litige vise à lui seul un tel groupe) semble
clairement déraisonnable. Les ententes envisagées
par le paragraphe 225.1(5) ne concernent pas des
questions délicates d'intérêt public; elles n'ont pour
objet que le traitement efficace des litiges juridi-
ques par la division des appels du ministère du
Revenu national et par les tribunaux. Il n'existe
aucun motif valable pour lequel les ententes relati
ves à la suspension des procédures devraient être
personnellement signées par le ministre.
En appliquant les principes énumérés par la
jurisprudence, il est clair que le pouvoir du minis-
tre de conclure des ententes relatives à la suspen
sion des procédures sur le fondement du paragra-
phe 225.1(5) est de nature à être assujetti à une
règle de délégation implicite. Toutefois, l'alinéa
221(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu auto-
rise expressément l'adoption de règlements délé-
guant des pouvoirs pour les fins de la Loi de
l'impôt sur le revenu:
221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des
règlements
f) autorisant un fonctionnaire désigné ou une catégorie dési-
gnée de fonctionnaires à exercer les pouvoirs ou remplir les
fonctions du Ministre sous le régime de la présente loi,
Des dispositions réglementaires ont été édictées
à cette fin. J'en cite une partie [Règlement de
l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945, art.
900(1),(2)a) (mod. par DORS/83-797, art. 1(1)),
b) (mod. par DORS/88-219, art. 1(1)), (3) (mod.
par DORS/87-470, art. 1(4)), a),b),(4) (mod. par
DORS/82-711, art. 1), a),b)]:
900. (1) Un fonctionnaire qui occupe le poste de sous-minis-
tre adjoint du Revenu national pour l'Impôt peut exercer tous
les pouvoirs et remplir toutes les fonctions que la Loi attribue
au Ministre.
(2) Un fonctionnaire qui occupe le poste de directeur de
l'Impôt auprès d'un bureau de district du ministère du Revenu
national, Impôt, peut exercer les pouvoirs et remplir les fonc-
tions que la Loi attribue au Ministre en vertu
a) des articles 48, 224, 224.1, 224.3 et 233 de la Loi;
b) des paragraphes 10(3) et (7), 13(6), 28(3), 45(3), 58(5),
65(3), 66(12.72), (12.73) et (14.4), 70(6), (9), (9.2) et (9.4),
74(5), 83(3.1), 85(7.1), 91(2), 93(5.1), 96(5.1), 104(2),
109(5), 110(7), 116(2), (4) et (5.2), 125(4), 126(5.1),
127(10), (10.4) et (10.5), 127.53(3), 131(1.2), 149.1(15),
150(2), 153(1.1), 159(2), (4), et (5), 162(3), 164(1.2),
190.17(3), 220(4), (4.1), (4.2) et (5), 223(1), 225.2(1),
226(1), 227(10.5), 230(1), (1.1), (3), (7) et (8), 230.1(3) (en
ce qu'il vise l'application des paragraphes 230(3), (7) et (8)
de la Loi), 231.2(1), 244(4) et 248(9) de la Loi;
(3) Le directeur général de la Direction des appels, le
directeur de la Division des appels et renvois ou le directeur de
la Division de la politique et des programmes du ministère du
Revenu national, Impôt, peuvent exercer les pouvoirs et remplir
les fonctions attribués au Ministre en vertu:
a) des articles 174 et 179.1 de la Loi; et
b) des paragraphes 164(4.1), 165(3) et (6) et 239(4) de la
Loi.
(4) Un fonctionnaire qui occupe le poste de chef des Appels
dans un bureau de district ou dans un centre fiscal du ministère
du Revenu national, Impôt, peut exercer les pouvoirs et remplir
les fonctions que la Loi attribue au Ministre en vertu
a) du paragraphe 165(3) de la Loi autrement qu'à l'égard
d'appels interjetés à la Cour fédérale; et
b) des paragraphes 165(6) et 239(4) de la Loi.
Nulle part ces dispositions mentionnent-elles le
paragraphe 225.1(5) de la Loi.
La question soulevée est donc celle de savoir si,
devant ce [TRADUCTION] «code législatif» des délé-
gations, le principe de la délégation implicite de la
common law a encore quelque rôle à jouer. Elle
consiste à savoir si, du fait que le législateur a
attribué au gouverneur en conseil l'autorité voulue
pour déléguer les pouvoirs du ministre et que le
gouverneur en conseil a exercé un tel pouvoir, l'on
doit considérer que le législateur a voulu retirer au
ministre le pouvoir de délégation implicite qui lui
serait normalement dévolu.
J'observe tout d'abord que le pouvoir d'édicter
des règlements que prévoit le paragraphe 221(1)
est facultatif:
221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des
règlements
J) autorisant un fonctionnaire désigné ... [Soulignement
ajouté.]
De plus, si les sous-ministres adjoints sont auto-
risés par l'article 900 du Règlement à exercer tous
les pouvoirs que la Loi attribue au ministre, plu-
sieurs directeurs généraux du Ministère se trou-
vent également habilités à exercer certains de ces
pouvoirs. L'autorisation expresse d'exercer les pou-
voirs relatifs à certains articles de la Loi qui est
accordée à des fonctionnaires occupant un poste de
rang inférieur à celui de sous-ministre adjoint ne
diminue en rien le pouvoir général des sous-minis-
tres adjoints d'exercer, eux aussi, un tel pouvoir.
Cette attribution ne rendrait pas non plus le minis-
tre moins apte à exercer de tels pouvoirs personnel-
lement si telle était sa décision. De par leur écono-
mie générale, ces dispositions ont un caractère
facultatif.
Comme il a déjà été noté, l'article 900 du
Règlement ne traite nulle part du paragraphe
225.1(5) de façon expresse. Je ne doute point que
le pouvoir détenu par le ministre sous le régime de
cet article puisse être exercé par un sous-ministre
adjoint en vertu du paragraphe 900(1) du Règle-
ment. Il reste à savoir si, du fait que les disposi
tions du Règlement qui suivent son paragraphe
900(1) omettent de traiter expressément du para-
graphe 225.1(5), l'on doit considérer qu'un sous-
ministre adjoint peut seul agir comme délégué du
ministre à l'égard de ce paragraphe. Je ne suis pas
convaincu que tel soit le cas. Je ne suis pas con-
vaincu que le pouvoir général conféré aux sous-
ministres adjoints amoindrisse l'autorité de délé-
guer les pouvoirs détenus par le ministre sous le
régime du paragraphe 225.1(5) à des fonctionnai-
res du Ministère qui occupent un poste de rang
inférieur au poste de sous-ministre adjoint. Il se
peut fort bien que les articles énumérés expressé-
ment à l'article 900 du Règlement soient soumis à
des règles particulières et que, dans leur cas, un
régime de délégation habilitant des directeurs
généraux autres que ceux qui se trouvent expressé-
ment identifiés dans le Règlement à exercer les
pouvoirs détenus par le ministre sous le régime
d'un article particulier soit invalide parce que con-
traire au règlement. Cette question n'a cependant
pas à être tranchée en l'espèce. Je suis d'avis que
les principes permettant une délégation implicite
s'appliquent au paragraphe 225.1(5) de la Loi; à
mon sens, ce pouvoir n'a pas été excédé par l'auto-
risation faite à M. Gunn, un fonctionnaire chargé
des appels, de signer les lettres demandant qu'il
soit consenti à une suspension des procédures con-
formément au paragraphe 225.1(5) de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
Une ordonnance conforme aux présents motifs y
fera suite.
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