Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-243-89
Xie Wei Ming (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: MING c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et MacGuigan, J.C.A.—Toronto, 9 février; Ottawa, 28 février 1990.
Immigration Statut de réfugié Demande tendant à l'annulation d'une ordonnance d'exclusion et de la décision concluant à l'absence de minimum de fondement de la revendi- cation du statut de réfugié au sens de la Convention Le requérant, citoyen de la République populaire de Chine faisant partie de la classe capitaliste riche, craint de rentrer en Chine étant donné ses antécédents familiaux et son départ illégal de son pays Le requérant n'a pas compris l'interprète qui parlait trop rapidement un dialecte différent du sien et employait des mots anglais Demande accueillie Le requérant n'a pas bénéficié d'une audition équitable Le principe de l'équité dans la procédure exige qu'il y ait capacité de comprendre et d'être compris L'arbitre est tenu de s'assurer de la compétence de l'interprète Le règlement des objections exigeait une enquête, sans qu'elle ait le caractère formel du voir dire, en dépit des assurances subséquentes du requérant qu'il comprenait L'aptitude du requérant à s'ex- primer était importante car la formation a fondé sa conclusion sur la crédibilité du requérant sur les «contradictions» dans son témoignage L'art. 46.01 de la Loi sur l'immigration appelle la production de preuves sur les antécédents du pays visé en matière de respect des droits de la personne, mais il ne rend pas cette production obligatoire.
Contrôle judiciaire Demande de révision Détermina- tion de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention L'immigrant dit avoir de la difficulté à com- prendre l'interprète L'arbitre ne traite pas des objections particulières, mais reproche plutôt au requérant son manque de coopération La capacité de comprendre et d'être compris est une exigence minimale de l'équité dans la procédure Il incombe à l'arbitre de s'assurer de la compétence de l'inter- prète en faisant enquête lorsque l'interprétation soulève des objections Importance de la capacité du requérant de s'exprimer lorsque sa crédibilité est mise en question Annulation de l'ordonnance d'exclusion et de la décision con- cluant à l'absence de minimum de fondement de la revendica- tion du statut de réfugié au sens de la Convention parce que le requérant n'a pas bénéficié d'une audition équitable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7, 14.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 46.01 (édicté par L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 28, art. 14).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549; (1986), 69 N.B.R. (2d) 271; 27 D.L.R. (4th) 406; 177 A.P.R. 271; 66 N.R. 173.
AVOCATS:
Lorne Waldman pour le requérant. Urszula Kaczmarczyk pour l'intimé.
PROCUREURS:
Lorne Waldman, Toronto, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Fondée sur l'ar- ticle 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7], la présente demande recherche la révi- sion et l'annulation d'une ordonnance d'exclusion en date du 16 février 1989 qui a été prononcée contre le requérant par un arbitre et, également, la révision et l'annulation de la décision, datée, elle aussi, du 16 février 1989, dans laquelle cet arbitre et un membre de la section du statut de réfugié («la formation») ont statué que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du requérant n'avait pas un minimum de fondement. La permission de présenter la présente demande a été accordée par le juge en chef le 5 mai 1989.
Le requérant, qui est arrivé au Canada en février 1989, est un citoyen de la République populaire de Chine dont la famille a déjà fait partie de la classe capitaliste riche. Alléguant le passé de sa famille et son départ illégal du pays, il a fait valoir qu'il craignait d'être emprisonné s'il était forcé à retourner en Chine. Considérant mon point de vue sur la présente affaire, point n'est besoin d'énoncer les faits plus avant.
Cinq objections ont été présentées à l'encontre des décisions contestées: (1) les déficiences des
services d'interprétation ont privé le requérant d'une audition équitable; (2) certaines observa tions de l'arbitre donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité; (3) dans son appréciation de la crédibilité du requérant, la formation saisie de l'affaire a commis une erreur de droit en inter- prétant mal ou en ne prenant pas en compte certains éléments de preuve; (4) elle a appliqué un critère inapproprié lorsqu'elle a jugé la question de savoir si la revendication avait un minimum de fondement; et (5) la formation a perdu sa compé- tence du fait qu'elle a rendu sa décision sans exiger la présentation de certains éléments de preuve obligatoires.
Dans son argumentation orale, le requérant a renoncé à son cinquième motif d'opposition, mais, à mon sens, il y a lieu de faire certaines observa tions à son sujet, ne serait-ce que pour éviter sa reprise par un autre requérant dans une autre instance. Formulé comme il l'était dans l'exposé des faits et du droit du requérant, cet argument était fondé sur une interprétation du paragraphe 46.01(6) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), chap. I-2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14)1 («la Loi»), qui est ainsi libellé:
46.01 .. .
(6) L'arbitre ou le membre de la section du statut concluent que la revendication a un minimum de fondement si, après examen des éléments de preuve présentés à l'enquête ou à l'audience, ils estiment qu'il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte notamment des points suivants:
a) les antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté;
b) les décisions déjà rendues aux termes de la présente loi ou de ses règlements sur les revendications était invoquée la crainte de persécution dans ce pays.
Le paragraphe précité invite clairement les par ties à présenter des éléments de preuve sur les antécédents du pays concerné en matière de res pect des droits de la personne et sur l'issue des revendications du statut de réfugié relatives à ce pays, mais il ne rend pas cette présentation obliga-
toire. Cette preuve ne constitue pas une condition préalable pour conclure à l'absence d'élément cré- dible justifiant le statut de réfugié, et, lorsque ni le conseiller du requérant, ni l'agent chargé de pré- senter les cas ne soumettent un tel élément de preuve, la formation concernée n'est aucunement obligée d'en exiger la présentation pour arriver à une décision.
Le 2 février 1989, jour de la première audience de l'enquête, celle-ci a été ajournée pour permettre au requérant d'être représenté par un conseiller. À sa demande, l'arbitre lui a désigné un conseiller.
Lors de la première session, avant d'assermenter l'interprète, l'arbitre a demandé au requérant s'il la comprenait, ce à quoi il a répondu par l'affirma- tive. Mme Too, une autre interprète, était présente lors des deux autres audiences de l'enquête, qui ont été tenues les 13 et 16 février 1989. L'arbitre a présenté l'interprète en disant que sa compétence était reconnue en ce qui avait trait à la langue concernée, mais il n'a pas demandé au requérant s'il la comprenait avant de l'assermenter.
Après que le requérant eut affirmé à plusieurs reprises qu'il comprenait des déclarations précises faites par l'arbitre, le dialogue suivant a eu lieu (Dossier, aux pages 10 et 11):
[TRADUCTION] ARBITRE: Eh bien, si la preuve établit que vous satisfaites aux exigences du paragraphe 9(1) de la Loi de la manière expliquée, et que votre admission au Canada ne con- trevient pas à la Loi ou aux règlements, alors je vous autoriserai à entrer au Canada en qualité d'immigrant.
Comprenez-vous cela, monsieur? Pourriez-vous répondre verba- lement, s'il vous plaît?
PERSONNE CONCERNÉE: Pouvez-vous ... pouvez-vous le dire plus lentement.
ARBITRE: Lentement? Je ne suis pas votre interprète; c'est madame qui l'est. Vous n'écoutez pas mes ... mes paroles.
PERSONNE CONCERNÉE: Parce que je vous ai dit de parler lentement. Je ne peux entendre clairement.
ARBITRE: Ah, vous ne pouvez entendre madame clairement? PERSONNE CONCERNÉE: Trop rapide.
ARBITRE: Etes-vous en train de me dire que cette dame parle trop rapidement?
PERSONNE CONCERNÉE: Oui, trop rapidement.
ARBITRE: D'accord. Qu'est-ce que vous n'avez pas compris?
PERSONNE CONCERNÉE: Parce que, normalement, je parle très, très lentement. Je ne parle pas aussi rapidement.
ARBITRE: Ce n'est pas ce qui m'intéresse à ce point-ci. Je vous demande ceci : qu'est-ce que vous n'avez pas compris?
PERSONNE CONCERNÉE: Rien, je ne peux comprendre, mais si vous pouvez parler lentement, alors je ...
ARBITRE: Vous voulez dire, si madame peut parler lentement? PERSONNE CONCERNÉE: Oui.
ARBITRE: À ce que je peux constater, vous et Mme Too avez le même débit.
PERSONNE CONCERNÉE: Mais vous parlez trop vite.
ARBITRE: Qui parle trop vite? Je veux ... je veux tenter d'éclaircir ce point. Qui parle trop vite?
PERSONNE CONCERNÉE: Vous traduisez trop rapidement. Je ne peux pas tout entendre.
ARBITRE: Eh bien, M. Xie, je considère qu'il vous incombe d'écouter attentivement, et j'ai l'impression que vous n'écoutez pas aussi attentivement que vous le devriez.
PERSONNE CONCERNÉE: J'écoute.
ARBITRE: C'est bien. Je suis heureux de l'entendre.
CONSEILLER: Eh bien, avec ... avec déférence, M. l'arbitre peut-être pourrions-nous seulement effectuer à une très brève révision.
ARBITRE: Une brève révision, M. Scott?
CONSEILLER: Oui, M. l'arbitre. M.... M. Xie, les mots sur ce papier ...
ARBITRE: Excusez-moi, M. Scott, que voulez-vous dire par «brève révision»? Vous voulez une suspension d'audience ou ... CONSEILLER: Non, non. Je veux seulement m'assurer qu'il comprend.
ARBITRE: D'accord. Eh bien, il dit qu'il ... Excusez-moi, allez-y.
Je crois que je vais continuer et il ... il a demandé que Mme Too parle plus lentement et j'ai pris note de sa demande, et je ... je suis certain que Mme Too en a également pris note et parlera ... fera des efforts pour parler plus lentement, et en conséquence, et je poursuivrai jusqu'à ce que M. Xie indiqué qu'il n'entend pas ou qu'il ne comprend pas.
À la suite de cet échange, le requérant s'est vu demander par six fois s'il comprenait, et il a toujours répondu par l'affirmative. En soi, tout problème relatif aux services d'interprétation de l'audience du 13 février semblerait donc avoir été résolu. Toutefois, le 16 février, au début de l'au- dience suivante, l'échange suivant a eu lieu entre le conseiller du requérant, S. Scott, et l'arbitre «Dos- sier, aux pages 20 et 21):
[TRADUCTION] CONSEILLER: Oui, il a été complété, M. l'arbi- tre, M. le membre de la Commission. A [sic] ... avant que nous reprenions l'enquête, toutefois, il y a une question très très importante que je me dois de soulever.
L'on se souviendra que le dernier jour, à ... à au moins deux occasions, M. Xie a soulevé la question des services d'interpré- tation et de la rapidité avec laquelle l'interprète traduisait les procédures. Il ne pouvait évidemment me faire savoir ce qui se passait parce que nous étions incapables de communiquer entre nous.
Toutefois, au cours de la soirée du jour de la dernière audience, c'est-à-dire lundi, M. Xie a téléphoné à Jenny Han [sic], que
j'avais engagée comme mon interprète. Il se trouvait dans un état de détresse et de confusion. Il n'avait pas compris l'inter- prète. Il a dit que sa confusion était due à deux facteurs séparés et distincts.
Le premier était la rapidité de l'élocution de l'interprète et l'autre, la difficulté —je suppose qu'il y en avait trois, excusez- moi, M. l'arbitre il était confus en raison dialecte de l'interprète, et il considérait qu'elle mêlait des termes anglais avec le dialecte cantonnais lorsqu'elle était incapable d'effec- tuer une interprétation littérale.
Mme Han [sic] était inquiète, et elle m'a appelé. Nous nous sommes rencontrés hier, et elle m'a donné tous les détails.
ARBITRE: Je n'ai pas entendu cela, M. Scott. CONSEILLER: Excusez-moi?
ARBITRE: Je n'ai pas entendu ce que vous avez dit. Vous ... vous...
CONSEILLER: Et elle m'a donné tous les détails. ARBITRE: Donc ...
CONSEILLER: Aussi, M. l'arbitre, je considère qu'il est de mon devoir de soulever ces questions devant vous avant que nous reprenions l'enquête.
ARBITRE: Eh bien, M. Scott, comme vous le savez sans doute, Mme Too agit comme interprète pour ce ... pour ce ... pour ce bureau depuis de nombreuses années.
CONSEILLER: Je ne puis le dire, monsieur. Je n'avais jamais vu Mme Too avant la dernière audience.
ARBITRE: D'accord. Peut-être que vous ne le savez pas, mais moi, je le sais.
CONSEILLER: Oui.
ARBITRE: Et je vous dis que je préside à des audiences comme celle-ci depuis environ dix ans et que, au cours de cette période, durant laquelle Mme Too a servi d'interprète à ... à de nombreuses personnes venant du même endroit que, que M. Xie, aucune plainte n'a été portée au sujet de ses services. Et, à part M. Xie, qui a dit que Mme Too parle trop rapidement alors qu'elle s'efforçait de parler plus lentement ... notez que, en me fondant sur mon expérience, je dirais qu'elle n'a pas parlé plus rapidement avec lui qu'avec les autres.
Je n'ai, à ce point-ci, aucun motif de douter que Mme Too possède la compétence voulue pour agir comme interprète lors de la présente enquête. Par contre, j'ai de bonnes raisons de me méfier des dispositions de votre ... votre ... votre ... votre client : au cours de cette enquête, par son attitude, par son attitude, il manifeste un certain manque de coopération, si je puis m'exprimer ainsi. Et, en conséquence, jusqu'à ce que soit soulevée une question particulière, je vais poursuivre la présente enquête en utilisant les services de Mme Too.
Pourriez-vous, M. Warrington, nous faire part de vos observations.
MEMBRE DE LA C.I.S.R.: Je me contenterais d'ajouter, M. l'arbitre, que Mme Too devrait informer M. Xie—pourriez- vous le faire—qu'il peut vous demander de répéter n'importe lesquels des propos tenus s'il se pose quelque question que ce soit au sujet de l'interprétation et, également, que vous conti- nuerez à parler lentement.
Sur ce fondement, le requérant a soutenu que les services d'un interprète compétent lui avaient été
refusés, contrairement au droit que lui reconnais- sent les articles 7 et 14 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. 1985, appendice II, 44]]. Il a été sou- tenu que, lorsqu'une objection est soulevée relati- vement à la compétence d'un interprète, le tribunal doit suspendre les procédures en cours et tenir un voir dire pour s'assurer de la compétence de l'inter- prète; le tribunal devrait permettre au demandeur du statut de réfugié ou à son conseiller de partici- per à cet examen en posant des questions pertinen- tes au sujet de l'interprète, en faisant entendre des témoins sur la question de la compétence de l'in- terprète et en faisant valoir des prétentions à cet égard. On a dit que si l'on devait conclure que l'interprète n'est pas compétent, il faudrait en trouver un qui l'est avant que les procédures ne puissent reprendre.
Les parties reconnaissent que, comme l'a dit le juge Wilson dans l'arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549, la page 622, «le principe de l'équité dans les procédures judiciaires exige à tout le moins qu'il y ait une capacité de comprendre et d'être compris», et elles reconnaissent que le requé- rant avait droit aux services d'un interprète compétent.
L'intimé a néanmoins soutenu que, par sa déci- sion de poursuivre l'enquête sous réserve des ques tions particulières qui pourraient être soulevées, la formation saisie de l'affaire a apporté au problème une solution raisonnable. L'intimé voit une confir mation de cette prétention dans le fait que l'avocat du requérant ait semblé abandonner toute autre objection et dans le fait que le requérant ait semblé satisfait par la suite (Dossier, à la page 36):
[TRADUCTION]
Q. M. Xie, jusqu'à maintenant, avez-vous eu de la difficulté à comprendre Mme Shirley Too?
R. Je comprends.
Q. Entièrement?
R. Aujourd'hui. Vous traduisez bien.
ARBITRE: Vous voulez dire qu'elle a traduit correctement?
AGENT CHARGÉ DE PRÉSENTER LES CAS: Oui.
PERSONNE CONCERNÉE: Peut-être que vous aviez l'habitude de parler l'anglais; voilà pourquoi votre débit est assez rapide.
Je suis toutefois incapable d'envisager cette question avec autant de désinvolture. Le conseiller du requérant a soulevé trois objections concernant l'interprétation : la rapidité de l'élocution de l'in- terprète; son dialecte en langue chinoise; et l'incor- poration de mots anglais à ses propos. Dans ses observations, l'arbitre n'a tenu compte que du premier problème soulevé, qui aurait probable- ment pu, effectivement, être réglé par le ralentisse- ment du débit de l'interprète. Les problèmes visés par les deux autres objections ne pouvaient cepen- dant, pour leur part, être réglés aussi facilement; chose certaine, ils ne pouvaient être résolus sans qu'une enquête ne soit tenue sous une forme ou sous une autre. L'arbitre n'a pas même demandé à Mme Too si elle considérait qu'il existait un pro- blème. Au lieu de cela, il a affirmé qu'il la croyait compétente et il a blamé le requérant pour son manque de coopération. Certes, l'interprète avait souvent fait la preuve de sa compétence, mais lorsqu'une langue, comme le chinois, présente une multitude de dialectes, des problèmes de compré- hension risquent de se manifester entre des person- nes dont la compétence linguistique peut être reconnue.
À mon sens, l'objection soulevée par le conseiller du requérant était une objection sérieuse. Une fois soulevée, elle commandait une solution. Elle ne pouvait être rejetée par l'arbitre sans la tenue d'une enquête, bien qu'il soit douteux qu'une enquête ayant un caractère aussi formel que le voir dire pratiqué dans les procès criminels soit néces- saire ou souhaitable. Étant donné que, au cours de l'audience, le conseiller du requérant ne pouvait communiquer avec celui-ci que par l'intermédiaire de l'interprète même dont la compétence était mise en doute relativement à son client, je ne puis considérer comme décisif le défaut de ce conseiller de continuer de faire valoir son opposition une fois rendue la décision négative de l'arbitre. C'est à l'arbitre qu'il incombait de s'assurer de la compé- tence de l'interprète.
Je ne considère pas non plus décisive l'affirma- tion subséquente du requérant qu'il comprenait les procédures. Il pouvait sans doute les suivre de façon générale, mais l'objection même qu'il a sou- levée au début de la troisième audience doit, à la lumière de ses précédentes déclarations, portant, elles aussi, qu'il comprenait, nous inciter à la prudence.
De plus, la question qui se pose ne vise pas seulement la compréhension du requérant mais aussi son aptitude à s'exprimer adéquatement par l'intermédiaire de son interprète. Ce facteur revêt une importance particulière car la formation con- cernée s'est appuyée sur la crédibilité du requérant pour en arriver à sa conclusion. Ce sont les [TRA- DUCTION] «contradictions» dans le témoignage du requérant qui ont amené cette formation (Dossier, à la page 47) à mettre en doute sa prétention qu'il craignait avec raison d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social.
Considérant la question de la compétence de l'interprète dans l'ensemble de son contexte, je dois conclure que le requérant n'a pas bénéficié d'une audition équitable. En conséquence, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28, j'annulerais les décisions qu'elle conteste et je renverrais la ques tion pour nouvelle audition devant une formation différente de celle visée en l'espèce.
LE JUGE URIE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.