A-277-89
Rothmans, Benson & Hedges Inc. (demanderesse)
(appelante)
C.
Procureur général du Canada (défendeur)
(intimé)
et
Société canadienne du cancer (intervenante)
A-301-89
Rothmans, Benson & Hedges Inc. (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
RÉPERTORIE: ROTHMANS, BENSON & HEDGES INC. C. CANADA
(PROCUREUR GENERAL) (CA.)
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et Des-
jardins, J.C.A.—Ottawa, 17 août 1989.
Pratique — Parties — Intervention — Appels formés contre
des ordonnances accordant à la Société canadienne du cancer
(SCC) et refusant à l'Institut de la publicité canadienne (IPC),
l'autorisation d'intervenir dans une action intentée en vue de
contester la constitutionnalité de la Loi réglementant les pro-
duits du tabac — Il n'y a pas de raison de limiter indûment les
interventions au niveau du procès lorsque la seule question
sérieuse concerne un moyen de défense fondé sur l'art. I de la
Charte, contre la contestation d'une loi d'intérêt public — Les
tribunaux considèrent que possède l'intérêt requis pour inter-
venir dans une poursuite où l'intérêt public est en jeu, l'orga-
nisme qui est véritablement intéressé et qui possède des con-
naissances et une compétence pertinentes quant aux questions
soulevées en l'espèce — Le juge n'a commis aucune erreur en
statuant que la SCC a satisfait au critère mais l'intervention
devrait se limiter aux questions relatives à l'art. 1 — La
demande présentée par l'IPC est accueillie — La position de
l'IPC s'étend au-delà de la question de la publicité en faveur
des produits du tabac aux questions plus générales relatives à
la liberté d'expression dans le domaine commercial — Pour
déterminer selon l'art. I si les limites imposées à l'encontre
d'une liberté garantie par la Charte sont raisonnables, cette
intervention pourra contribuer à une juste appréciation des
divers facteurs en cause.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — Appels formés contre des ordonnances accordant à un
organisme et refusant à un autre l'autorisation d'intervenir
dans une action intentée en vue de contester la constitutionna-
lité de la Loi réglementant les produits du tabac — Les
interventions au niveau du procès ne sont pas soumises aux
restrictions habituelles lorsque la seule question sérieuse con-
cerne un moyen de défense fondé sur l'art. 1 de la Charte
contre la constitutionnalité d'une loi d'intérêt public — Les
tribunaux considèrent que possède l'intérêt requis pour inter-
venir, l'organisme qui est véritablement intéressé et qui pos-
sède des connaissances et une compétence pertinentes quant
aux questions soulevées en l'espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 2b).
Loi réglementant les produits du tabac, L.C. 1988,
chap. 20.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Re Canadian Labour Congress and Bhindi et al. (1985),
17 D.L.R. (4th) 193 (C.A.C.-B.).
AVOCATS:
Edward P. Belobaba et Barbara L. Ruther-
ford pour l'appelante.
Gerry N. Sparrow pour l'intimé.
Karl Delwaide et Andre T. Mecs pour
l'intervenante.
Claude R. Thomson, c.r., pour l'Institut de la
publicité canadienne.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Toronto,
pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé.
Martineau, Walker, Montréal, pour l'interve-
nante.
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour
l'Institut de la publicité canadienne.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Il s'agit de deux
appels entendus ensemble et formés contre des
ordonnances par lesquelles le juge Rouleau a
accordé, dans le cas de la Société canadienne du
cancer (SCC) [[1990] 1 C.F. 74], et a refusé, dans
le cas de l'Institut de la publicité canadienne
(IPC) [[1990] 1 C.F. 84], l'autorisation d'interve-
nir dans une action intentée par Rothmans, Benson
& Hedges Inc. (Rothmans) contre le procureur
général du Canada en vue de contester la constitu-
tionnalité de la Loi réglementant les produits du
tabac (LRPT) (L.C. 1988, chap. 20).
Il est admis de part et d'autre que la demande-
resse fonde sa contestation principalement sur la
Charte [Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.)] en invoquant la liberté
d'expression garantie par l'alinéa 2b). Il n'y a pas
de doute non plus, étant donné les interdictions
prévues dans la LRPT, que la meilleure façon de
s'opposer à cette contestation est de présenter une
défense fondée sur l'article premier et que le sort
de l'action dépend du succès ou de l'insuccès de ce
moyen de défense.
Nous sommes tous d'avis que le juge Rouleau a
formulé correctement les critères à appliquer pour
déterminer s'il y avait lieu d'autoriser les deman-
des d'intervention. Il s'agit d'un domaine dans
lequel le droit évolue rapidement et, dans une
affaire comme en l'espèce, où la principale et
peut-être même la seule question sérieuse concerne
un moyen de défense, fondé sur l'article premier,
contre la contestation d'une loi d'intérêt public, il
n'y a pas de raison de limiter indûment les inter
ventions au niveau du procès de la façon que les
tribunaux l'ont toujours fait à juste titre pour
d'autres genres de litige. Une question fondée sur
l'article premier exige habituellement la présenta-
tion d'éléments de preuve qui permettent à la Cour
de rendre une décision appropriée, et c'est au
moment du procès que ces éléments de preuve
devraient être produits (voir Re Canadian Labour
Congress and Bhindi et al. (1985), 17 D.L.R.
(4th) 193 (C.A.C.-B.)). Par conséquent, nous esti-
mons que, de toute façon aux fins de la présente
affaire, le juge Rouleau a eu raison de dire [à la
page 79] que «les tribunaux considèrent que pos-
sède l'intérêt requis pour intervenir dans une pour-
suite où l'intérêt public est en jeu l'organisme qui
est véritablement intéressé par les questions soule-
vées dans le cadre du litige et qui possède des
connaissances et une compétence pertinentes».
En ce qui concerne l'intervention de la SCC, on
ne nous a pas convaincus que le juge Rouleau a
commis une erreur révisable en statuant que ladite
société satisfaisait au critère ainsi formulé. Nous
sommes toutefois d'avis que l'intervention de la
SCC devrait se limiter aux questions relatives à
l'article premier, que cette société devrait être
tenue de présenter une plaidoirie ou déclaration
dans un délai de 10 jours et être autorisée à
produire une preuve et à présenter une plaidoirie à
l'appui de celle-ci au procès. Toute question rela
tive à la communication de documents ou à la
procédure antérieure au procès devrait être tran-
chée soit par consentement des parties soit au
moyen d'une demande adressée au juge des requê-
tes de la Section de première instance. L'appel
interjeté par Rothmans sera donc accueilli à seule
fin de modifier l'ordonnance ainsi qu'il a déjà été
mentionné.
Pour ce qui concerne l'intervention demandée
par l'IPC, nous sommes d'avis que la justice exige
que cette demande soit également accueillie. Le
juge des requêtes a reconnu que l'IPC a un intérêt
dans le litige, mais il semblait croire que sa posi
tion et sa compétence ne différaient pas de celles
de la demanderesse Rothmans. En toute déférence,
nous ne sommes pas d'accord. La position de l'IPC
dans le présent litige s'étend au-delà de la stricte
question de la publicité en faveur des produits du
tabac aux questions plus générales relatives à la
liberté d'expression dans le domaine commercial.
Lorsqu'il s'agit de déterminer selon l'article pre
mier si les limites imposées à l'encontre d'une
liberté garantie par la Charte sont raisonnables et
justifiées, cette position peut contribuer de façon
importante à une juste appréciation des divers
facteurs en cause. La Cour accueillera donc l'appel
interjeté par l'IPC et lui permettra d'intervenir
selon les mêmes modalités que celles qui sont
indiquées ci-dessus dans le cas de la SCC.
À notre avis, il n'y a pas lieu d'adjuger des
dépens dans l'une ou l'autre section de la Cour.
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