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A-219-89
Joseph (Giuseppe) Chiarelli (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: CHIARELLI C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et Stone J.C.A.— Toronto, 16 et 17 octobre 1989; Ottawa, 23 février 1990.
Immigration Expulsion Renvoi en vertu de l'art. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale Résident permanent reconnu coupable d'un crime grave Considéré comme étant impliqué dans des activités criminelles organisées Audience du comité de surveillance des activités de renseignement de sécu- rité Il s'agit de savoir si les art. 27(1)d)(ii), 32(2), 82.1 et 83 de la Loi sur l'immigration de 1976 violent les art. 7, 12 et 15 de la Charte La mesure d'exclusion est libellée de façon si vague qu'elle ne respecte pas la règle de la proportionnalité exigée pour qu'une telle limite puisse se justifier en vertu de l'art. 1 de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Résident permanent reconnu coupable d'un acte criminel Les art. 27(1)d)(ii) et 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 exigent la délivrance d'une ordonnance d'expulsion Ce n'est pas une peine cruelle et inusitée L'art. 32(2) n'inflige pas de peine C'est un corollaire aux limites imposées par l'art. 4 Le Parlement a le pouvoir d'imposer des limites au droit d'un résident permanent de demeurer au Canada.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité L'expulsion d'un résident permanent reconnu cou- pable d'une infraction grave est prévue par les art. 27(1)d)(ii) et 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 Il n'y a pas de discrimination Le Parlement a le pouvoir de faire une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents perma nents en ce qui concerne la possibilité de demeurer au Canada Les résidents permanents qui ont été reconnus coupables d'infractions graves ne font pas partie d'une catégorie analo gue à celles énumérées à l'art. 15 Les art. 82.1 et 83(1) qui décrivent la procédure qui mène à la délivrance d'une attesta tion exigeant le rejet d'un appel interjeté pour des motifs humanitaires en vertu de l'art. 72(1)b) ne créent pas de discri mination au sens de l'art. 15 La perte du droit d'appel est fondée sur la participation à des activités criminelles, non pas sur le statut de résident.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Il n'est pas injuste que les art. 27(1)d)(ii) et 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 prévoient la perte du droit de demeurer au pays et l'expulsion si un résident permanent est reconnu coupable d'une infraction grave Le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a exclu l'appelant de la salle d'audience afin de protéger les sources de renseignement de la police conformément à la procédure prévue aux art. 82.1 et 83 Comme la Commission n'a pas
établi que la procédure suivie ne respectait pas les exigences de la justice naturelle, la question de savoir si l'art. 83 contrevient à l'art. 7 ne relève pas de la compétence de la Cour Le refus de faire connaître les renseignements présentés devant le comité et les sources de renseignement constitue un manque- ment au principe de la justice fondamentale.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive L'exclusion de l'appelant de l'audience tenue par le comité de surveillance des activités de renseignement de sécu- rité afin de protéger les techniques d'enquête de la police contrevenait à l'art. 7 de la Charte Cette mesure ne pouvait pas se justifier en vertu de l'art. I (dissidence du juge Pratte, J.C.A.) La règle de la proportionnalité n'a pas été respectée Annulation complète des droits de la personne au profit de l'intérêt de l'État.
Renseignement de sécurité L'art. 48(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité dénie le droit de prendre connaissance de la preuve présentée par d'autres devant le comité de surveillance Il s'applique, compte tenu des adaptations de circonstance, à une enquête tenue en vertu de l'art. 82.1(3) de la Loi sur l'immigration afin de déterminer s'il existe des motifs sérieux de soupçonner qu'un résident permanent participe à des activités criminelles organisées Le comité a refusé de donner à l'appelant les détails de l'information obtenue de la GRC afin de protéger les sources de renseignement de la police Il y a eu violation de l'art. 7 de la Charte Elle ne pouvait pas se justifier en vertu de l'art. I de la Charte (dissidence du juge Pratte, J.C.A.).
Compétence de la Cour fédérale Section d'appel La Commission d'appel de l'immigration a renvoyé à la Cour la question de la constitutionnalité de l'art. 83 de la Loi sur l'immigration Comme il n'a pas été établi que la procédure suivie pour délivrer l'attestation prévue à l'art. 83 ne respectait pas les exigences de la justice naturelle, il s'agit d'une question théorique et hors de la compétence tant de la Commission que de la Cour.
L'affaire portait sur le renvoi par la Commission d'appel de l'immigration, en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, de certaines questions constitutionnelles qui se sont posées durant l'audition d'un appel d'une ordonnance d'expulsion. L'appelant, qui est résident permanent, a été reconnu coupable d'un acte criminel punissable par l'emprison- nement à perpétuité. Dans les cas de ce genre, le sous-alinéa 27(1)d)(ii) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 exigent que soit rendue une ordonnance d'expulsion. L'appelant a interjeté appel de l'ordonnance d'expulsion devant la Commission, mais, avant l'audition de l'appel, le solliciteur général et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration ont présenté un rapport conjoint au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité en vertu du paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, selon lequel l'appelant était une personne soupçonnée de se livrer à des activités criminelles organisées. Dans le cadre de son enquête, le comité de surveillance a tenu une audience. Dans le but de protéger les sources de renseignement de la police, l'appelant a été exclu de la salle d'audience pendant l'audition du témoi- gnage présenté par la GRC. On lui a remis plus tard un sommaire de ce témoignage. À la suite de l'enquête et du rapport du comité de surveillance, une attestation selon laquelle l'appelant était une personne appartenant à l'une des catégories
visées au sous-alinéa 19(1)d)(ii) a été délivrée et déposée devant la Commission conformément au paragraphe 83(1). L'article 82.1 et le paragraphe 83(1) décrivent la procédure qui mène à la délivrance de l'attestation du ministre. Le paragra- phe 83(2) prévoit que la Commission doit rejeter tout appel fait en vertu de l'alinéa 72(1)b) si une telle attestation a été déposée. Avant la reprise de l'audition de l'appel, la Commis sion a soumis les questions de droit suivantes à la Cour:
(1) Est-ce que le sous-alinéa 27(1)d)(ii) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration de /976 violent les droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte en ce qu'ils prévoient l'expulsion de certains criminels sans égard aux cir- constances entourant l'infraction ou à la situation de l'infracteur?
(2) Est-ce que les articles 82.1 et 83 de la Loi sur l'immi- gration de 1976 violent les droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte?
(3)a) Est-ce que le fait de se fonder sur l'attestation autori- sée par l'article 83 de la Loi sur l'immigration de 1976 donne lieu à une violation des droits de l'appelant en vertu de la Charte, parce que le processus suivi par le comité de surveil lance des activités de renseignement de sécurité n'a pas satisfait aux exigences de l'article 7?
b) Si oui, est-ce justifié par l'article premier? Arrêt: (1) Non.
(2) Les articles 82.1 et 83 ne violent pas les articles 12 ou 15 de la Charte. Les questions de savoir si ces articles violent l'article 7 de la Charte n'auraient pas être soumises à la Cour en vertu du paragraphe 28(4).
(3)a) Oui. b) Non.
Le juge Pratte, J.C.A. (dissident quant à la question (3)b)): Le sous-alinéa 27(1)d)(ii) et le paragraphe 32(2) ne violent pas le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités garanti par l'article 12 de la Charte. Le paragraphe 32(2) n'inflige pas de peine; c'est le corollaire nécessaire des limites imposées par l'article 4 de la Loi au droit des résidents permanents d'entrer au Canada et d'y demeurer. Lorsqu'il est établi qu'un résident permanent est une personne appartenant à l'une des catégories visées au paragraphe 27(1), il n'a plus le droit de demeurer au pays. Il n'est donc pas exagéré d'exiger qu'une ordonnance d'expulsion soit rendue contre cette per- sonne. De plus, le Parlement peut imposer des limites au droit qu'ont les résidents permanents de demeurer au pays.
Ces dispositions ne violent pas le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, droit garanti par l'article 7 de la Charte et auquel il ne peut être porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il n'était nullement injuste d'exiger l'expulsion d'une personne qui a perdu le droit de demeurer au pays, ni non plus de prescrire qu'un étranger admis chez nous comme résident permanent perdra le droit d'y demeurer s'il est déclaré coupable d'une infraction que le Parlement juge grave.
Le paragraphe 32(2) ne viole pas le droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte. Le paragraphe 32(2) n'exerce pas de discrimination contre les résidents permanents en exigeant d'eux qu'ils soient expulsés, tandis que dans des circonstances semblables les citoyens canadiens peuvent demeurer au pays.
La Charte elle-même établit une distinction entre les droits des citoyens canadiens et des résidents permanents à cet égard. Elle garantit aux citoyens canadiens le droit de demeurer au Canada, mais elle ne garantit pas ce même droit aux résidents permanents. Elle reconnaît donc implicitement le pouvoir du Parlement d'établir une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents permanents en ce qui concerne le droit de demeurer au Canada. En exerçant ce pouvoir, le Parlement n'est pas coupable de discrimination au sens de l'article 15. Le fait d'établir une distinction entre les résidents permanents qui ont été reconnus coupables d'une infraction grave et d'autres résidents permanents ne peut pas être assimilé à une discrimi nation au sens de l'article 15, car les résidents permanents qui ont été reconnus coupables d'actes criminels graves n'entrent pas dans une catégorie analogue à celles qui y sont énumérées de façon précise.
Les articles 82.1 et 83 ne privent pas les résidents perma nents d'un droit d'appel pour le motif qu'ils sont des résidents permanents mais parce que l'on croit qu'ils se livrent à des activités criminelles. Il ne s'agit donc pas d'une discrimination au sens de l'article 15.
Le seul motif pour lequel on peut dire que les articles 82.1 et 83 contreviennent à l'article 7 est qu'ils prévoient clairement qu'une attestation peut être délivrée à l'égard d'une personne qui n'a pas obtenu toute la possibilité de réfuter les allégations faites contre elle. La question de savoir si ces dispositions contreviennent à l'article 7 se pose uniquement lorsqu'une attestation en vertu de l'article 83 a été délivrée sans que la personne visée ait eu une possibilité suffisante d'être entendue. Sinon, la question est théorique. La Commission ne s'est pas préoccupée de cette question et ne pouvait pas en saisir la Cour, car elle n'avait pas établi que la procédure suivie pour délivrer l'attestation prévue par l'article 83 dérogeait aux exigences de la justice naturelle.
Le droit d'appel dont l'appelant a été privé par suite du dépôt de l'attestation est de la nature d'un appel de clémence. La justice fondamentale n'exige pas que ce droit d'appel soit accordé aux résidents permanents qui sont soupçonnés d'avoir participé à des activités criminelles.
La procédure suivie par le comité de surveillance n'a pas satisfait aux exigences de la justice fondamentale. Aucune décision ne devrait être prise au sujet des droits d'une personne sans donner à cette dernière une occasion valable d'être enten- due, ce qui en l'espèce signifiait que l'appelant se devait de connaître le contenu des renseignements présentés au comité ainsi que les sources de ces renseignements.
Le dépôt de l'attestation prévue à l'article 83 contrevenait à l'article 7. Même s'il ne touchait pas directement le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de l'appelant, il faut, pour être réaliste, reconnaître que le dépôt de l'attestation entraîne l'ex- pulsion, qui entrave nécessairement la liberté de la personne.
Cette violation de l'article 7 était toutefois raisonnable et justifiée en vertu de l'article premier de la Charte, notamment parce que l'enquête avait été tenue non pour statuer sur la culpabilité de l'appelant, mais pour déterminer s'il pouvait avoir droit à un appel pour des motifs purement humanitaires. La décision du comité de surveillance de ne pas divulguer à l'appelant les détails du témoignage obtenu de la GRC était permise par le paragraphe 48(2) de la Loi sur le Service
canadien du renseignement de sécurité. La divulgation de renseignements précis obtenus par la police dans le cadre d'une enquête en cours pourrait en miner grandement les résultats.
Le juge Stone, J.C.A. (motifs concourants du juge Urie, J.C.A.): La violation des droits de l'appelant garantis par l'article 7 de la Charte, violation entraînée par le dépôt de l'attestation prévue à l'article 83, n'était pas justifiée par l'article premier de la Charte. Il s'agissait de savoir si la confiance accordée à l'attestation était justifiée, compte tenu du processus régissant sa délivrance. Le problème provenait du fait que la loi n'excluait pas simplement l'appelant de l'audience dans le seul but de sauvegarder les techniques d'enquête de la Gendarmerie royale. Le paragraphe 48(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité est une disposi tion à la formulation très large qui nie à l'appelant le droit d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observa tions au comité. Bien que la disposition fût juste, rationnelle et non arbitraire, les autres exigences relatives à la règle de la proportionnalité n'ont pas été respectées. Plutôt que d'équili- brer les intérêts de l'État et ceux de la personne, la disposition annulait complètement les droits de cette dernière au profit de ceux de l'État. On ne pouvait pas dire que la disposition portait le moins possible atteinte aux droits de l'appelant.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 6(1),(2), 7, 12, 15.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28(4).
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 39(2),(3), 43, 44, 48, 49, 50, 51.
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 4(2).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 4, 19(1)d)(ii), 27(1)d)(ii) (mod. par S.C. 1984, chap. 40, art. 79(2), 12), 32(2), 72(1) (mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 81), 82.1 (mod., idem, art. 84), 83(1) (mod., idem), (2) (mod., idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1976] 1 R.C.S. 376; (1975), 52 D.L.R. (3d) 383; 3 N.R. 484; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 63 O.R. (2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; Law c. Solliciteur général du Canada, [1985] 1 C.F. 62; (1984), 11 D.L.R. (4th) 608; 57 N.R. 45 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045; (1987), 40 D.L.R. (4th) 435; [1987] 5 W.W.R. 1; 15 B.C.L.R. (2d) 273; 34 C.C.C. (3d) 97; 58 C.R. (3d) 193; 31 C.R.R. 193; 75 N.R. 321; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56
D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115; In re la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, [1973] C.F. 604; (1973), 38 D.L.R. (3d) 437 (C.A.); Martin Service Station Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1974] C.F. 398; (1974), 44 D.L.R. (3d) 99; 1 N.R. 464 (C.A.); R. v. Wooten (1983), 5 D.L.R. (4th) 371; 9 C.C.C. (3d) 513 (C.S.C.-B.); In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152; (1982), 137 D.L.R. (3d) 687; 68 C.C.C. (2d) 438; 1 C.R.R. 346 (1rc inst.); R. v. Parmar et al., (1987), 34 C.C.C. (3d) 260 (H.C. Ont.); R. v. Playford (1987), 63 O.R. (2d) 289; 40 C.C.C. (3d) 142; 61 C.R. (3d) 101; 24 O.A.C. 161 (C.A. Ont.); R. v. Rowbotham (1988), 41 C.C.C. (3d) 1; 63 C.R. (3d) 113; 25 O.A.C. 321 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
Irwin Koziebrocki et D. Shermbrucker pour l'appelant.
David Sgayias et Geraldine Sparrow pour l'intimé.
PROCUREURS:
Irwin Koziebrocki, Toronto, pour l'appelant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de la décision rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A. (dissident en ce qui concerne la question 3b)): La présente porte sur le renvoi par la Commission d'appel de l'immigra- tion, en vertu du paragraphe 28(4) sur la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], de certaines questions constitutionnelles nées durant l'audition d'un appel d'une ordonnance d'expulsion rendue contre l'appelant, Joseph (Giuseppe) Chia- relli', en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] .
L'appelant est en Italie en 1960. Il est rési- dent permanent du Canada depuis son arrivée au pays, en 1975. Le 5 novembre 1984, il a comparu devant la Cour provinciale à Hamilton, Ontario, et
' L'intitulé de la cause désigne M. Chiarelli comme l'eappe- lant». Je vais aussi le désigner par ce terme même si M. Chiarelli, qui est un appelant devant la Commission, n'en est pas un devant la Cour.
a plaidé coupable à l'accusation de «possession de stupéfiant en vue d'en faire le trafic» (Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, paragraphe 4(2)), acte criminel punissable par l'emprisonne- ment à perpétuité. Il a été condamné à une peine de six mois de prison. Le 17 janvier 1986, un agent de l'immigration a établi un rapport en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976 2 identifiant l'appelant comme un résident perma nent décrit au sous-alinéa 27(1)d)(ii) [mod. par S.C. 1984, chap. 40, art. 79(2), 12] en ce qu'il avait été «déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi du Parlement [et] ... punissable d'au moins cinq ans de prison». A la suite d'une enquête, conclue le 7 mai 1986, l'arbitre a établi que l'appelant était effectivement résident perma nent décrit au sous-alinéa 27(1)d)(ii). Conformé- ment aux exigences du paragraphe 32(2) 3 , l'arbitre a prononcé l'expulsion de l'appelant.
L'appelant a immédiatement porté en appel cette ordonnance d'expulsion devant la Commis-
2 Voici un extrait de l'article 27:
27. (1) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en possession de renseignements indiquant qu'un résident permanent
d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi du Parlement
(ii) punissable d'au moins cinq ans de prison,
doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous- ministre à ce sujet.
(3) Sous réserve des instructions ou directives du Ministre, le sous-ministre saisi d'un rapport visé aux paragraphes (1) ... doit, au cas il estime que la tenue d'une enquête s'impose, adresser à un agent d'immigration supérieur une copie de ce rapport et une directive prévoyant la tenue d'une enquête.
(4) L'agent d'immigration supérieur qui reçoit le rapport et la directive visés au paragraphe (3), doit, dès que les circonstances le permettent, faire tenir une enquête sur la personne en question.
3 Voici un extrait du paragraphe 32(2):
32....
(2) L'arbitre, après avoir conclu que la personne faisant
l'objet d'une enquête est un résident permanent visé au
paragraphe 27(1), doit ... en prononcer l'expulsion.
sion d'appel de l'immigration 4 . Cet appel de la Commission devait être entendu le 12 février 1987. Cependant, le 10 février 1987, le solliciteur géné- ral et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration ont présenté un rapport conjoint au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité en vertu du paragraphe 82.1(2) [mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 84] de la Loi sur l'immi- gration de 1976 5 , selon lequel, à leur avis, l'appe- lant était une personne appartenant à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)d)(ii) de la Loi, soit, une des personnes «au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire qu'elles ... se livreront à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs per- sonnes agissant de concert pour commettre une infraction qui peut être punissable par voie de mise en accusation en vertu d'une loi du Parlement». Le 12 février 1987, la Commission d'appel de l'immigration a été informée que les deux minis- tres avaient rédigé ce rapport à la Commission et, en conformité des dispositions du paragraphe 82.1(5), a suspendu l'audition de l'appel.
Par la suite, le comité de surveillance a effectué l'enquête nécessaire. Dans le cadre de cette enquête, il a entendu l'appelant qui, cependant, ne semble pas avoir eu la possibilité de contester les allégations faites contre lui. Le comité a finale- ment déclaré au gouverneur en conseil que l'appe- lant était une personne appartenant à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)d)(ii) de la
^ L'appel a été formé en vertu du paragraphe 72(1) [mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 81] qui se lisait en partie comme suit:
72. (1) Sous réserve du paragraphe (3), toute personne frappée d'une ordonnance de renvoi qui est ... un résident permanent ... peut interjeter appel devant la Commission en invoyant l'un des deux motifs suivants, ou les deux:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que, compte tenu des circonstances de l'espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
Le pragraphe 72(3), qui ne s'appliquait pas à l'appelant, prévoyait que le droit d'appel des personnes ayant fait l'objet d'une attestation visée par le paragraphe 40(1) était limité aux motifs d'appel comportant une question de droit ou de fait, ou une question mixte de droit et de fait.
5 Le texte des articles 82.1 et 83 de la Loi sur l'immigration de 1976 est reproduit en annexe aux présents motifs avec les paragraphes 39(2) et (3) et les articles 43, 44, et 48 51 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
Loi sur l'immigration de 1976 et qu'une attesta tion devrait être délivrée en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 84] à l'égard de son appel de l'ordonnance d'expulsion. Le 14 octobre 1987, le gouverneur en conseil a adopté la conclusion du comité de surveillance et a ordonné au ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion de délivrer l'attestation. Cette dernière a été délivrée le 17 novembre 1987 et déposée devant la Commission d'appel de l'immigration le 3 décem- bre 1987. Par conséquent, la Commission, en con- formité du paragraphe 83(2), devait rejeter l'appel puisque ce dernier avait été formé en vertu de l'alinéa 72(1)b).
L'audition de l'appel devait reprendre le 19 février 1988. Cependant, quelques jours avant cette date, l'appelant a déclaré qu'il avait l'inten- tion de soulever quelques questions constitutionnel- les devant la Commission. Par conséquent, l'audi- tion de l'appel a été suspendue jusqu'au 1°r février 1989, date à laquelle la Commission, avec l'accord de toutes les parties, s'est appuyée sur le paragra- phe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale pour soumettre les questions de droit suivantes à la Cour:
1. a) Est-ce que le sous-alinéa 27(1)d)(ii) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, telle que modifiée par S.C. 1984, chap. 21, art. 84 (maintenant sous-alinéa 27(1)d)(ii) et paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2) violent ou nient les droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qu'ils prévoient l'expulsion de personnes déclarées coupables d'une infraction punissable d'au moins cinq ans d'emprisonnement, sans égard aux circonstances entourant l'infraction ou à la situation de l'infracteur?
b) Si le sous-alinéa et le paragraphe visés ci-dessus violent ou nient les droits' , garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte, sont-ils justifiés par l'article 1 de la Charte?
2. a) Est-ce que les articles 82.1 et 83 de la Loi sur l'immigra- tion de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, tels que modifiés par S.C. 1984, chap. 21, art. 84 (maintenant les articles 81 et 82 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2) violent ou nient les droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte dans la mesure ces dispositions:
(i) privent des particuliers du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne en violation des principes de justice fondamentale, et ou
(ii) soumettent des particuliers à des peines cruelles et inusitées, et ou
(iii) s'opposent à ce que la loi ne fasse acception de personne et qu'elle s'applique également à tous?
b) Si les articles visés ci-dessus violent ou nient les droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte, sont-ils justifiés par l'article 1 de la Charte?
3. a) Est-ce que le fait de se fonder sur l'attestation autorisée par l'article 83 de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, telle que modifiée par S.C. 1984, chap. 21, art. 84 (maintenant l'article 82 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2) déposée dans le dossier de M. Chiarelli donne lieu à une violation de ses droits en vertu de l'article 7 de la Charte, parce que le processus suivi par le comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité n'a pas satisfait aux exi- gences de l'article 7?
b) Si le fait de se fonder sur l'attestation viole ou nie le droit garanti par l'article 7 de la Charte, est-il justifié par l'article I de la Charte?
Examinons d'abord les questions relatives à la constitutionnalité du sous-alinéa 27(1)d)(ii) et du paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976. Selon ces dispositions, une ordonnance d'ex- pulsion doit être rendue contre un résident perma nent qui, comme l'appelant, a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi du Parlement et est passible d'une peine d'au moins cinq ans de prison. L'appelant soutient que cette exigence est contraire aux dispositions des articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
À l'égard de l'article 12 de la Charte, l'appelant soutient que l'expulsion d'un résident permanent pour le seul motif qu'il a commis une infraction décrite au sous-alinéa 27(1)d)(ii) sans que l'on tienne compte des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise constitue un traitement cruel et inusité au sens de l'article 12 de la Charte. Selon l'appelant, il s'ensuit donc que le paragraphe 32(2) prive les résidents permanents de leurs droits, garantis par l'article 12 de la Charte, «à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités». Selon l'appelant, cette situation est semblable à celle que la Cour suprême du Canada a examinée dans R. c. Smith (Edward Dewey) 6 ; en effet, la Cour suprême a statué que la peine obli- gatoire de sept ans d'emprisonnement prévue par le paragraphe 5(2) de la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1] pouvait être «exagéré- ment disproportionnée» par rapport à l'infraction commise et qu'elle était, pour ce motif, une peine cruelle et inusitée. De la même façon, l'appelant soutient qu'en l'espèce l'expulsion peut être exagé-
6 [1987] 1 R.C.S. 1045.
rément disproportionnée par rapport à l'infraction commise.
Mais nous ne traitons pas ici d'une disposition exigeant l'imposition d'une peine sévère pour une infraction donnée. En effet, le paragraphe 32(2) n'impose pas de peine. Cette disposition est le corollaire nécessaire des limites imposées par l'ar- ticle 4 de la Loi au droit des résidents permanents d'entrer au Canada et d'y demeurer'. Lorsqu'il est établi qu'un résident permanent est une personne appartenant à l'une des catégories visées au para- graphe 27(1), cette personne n'a plus le droit de demeurer au pays. Il n'est donc pas exagéré ni déraisonnable d'exiger qu'une ordonnance d'expul- sion soit rendue contre cette personne. L'expulsion est en effet le seul moyen pratique de forcer un étranger qui se trouve illégalement au Canada à quitter le pays. De plus, le Parlement peut et doit imposer des limites aux droits qu'ont les résidents permanents de demeurer au pays. Et, à mon avis, on ne peut soutenir sérieusement qu'il est cruel, inusité ou déraisonnable de prescrire que les rési- dents permanents perdront le droit de demeurer au pays s'ils sont déclarés coupables d'une infraction que le Parlement juge en elle-même une infraction grave.
À mon avis, le sous-alinéa 27(1)d)(ii) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 ne violent pas les dispositions de l'article 12 de la Charte.
Cependant, est-ce que ces dispositions violent l'article 7 de la Charte? C'est ce que soutient l'appelant. Selon ce dernier, l'ordonnance d'expul- sion contre un résident permanent enfreint le «droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne», dont chacun a le droit de jouir et cette violation est contraire aux principes de la justice fondamentale (sur le plan du fond plutôt que sur celui de la procédure) lorsque la loi exige que
' Voici un extrait de l'article 4 de la Loi sur l'immigration de 1976:
4. (1) Tout citoyen canadien, ainsi que les résidents per manents non visés au paragraphe 27(1), ont le droit d'entrer au Canada.
(2) Sous réserve des lois du Parlement le citoyen canadien
[a] le droit d'y demeurer à l'exception
a) du résident perment visé au paragraphe 27(1);
l'expulsion soit imposée pour le seul motif qu'une infraction criminelle a été commise, sans tenir compte des circonstances entourant la perpétration de cette infraction. Cette prétention n'est pas fondée. En effet, il n'est nullement injuste d'exiger l'expulsion d'une personne qui a perdu le droit de demeurer au pays. Il n'est pas injuste non plus de prescrire qu'un étranger admis chez nous comme résident permanent perdra le droit d'y demeurer s'il est déclaré coupable d'une infraction que le Parlement juge grave en elle-même.
L'appelant a finalement soutenu que le paragra- phe 32(2) viole le droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte. 11 a présenté deux argu ments sur ce point. Voici le premier. Le paragra- phe 32(2) contrevient à l'article 15 parce qu'il exerce une discrimination contre des résidents per manents en exigeant d'eux qu'ils soient déportés alors que dans des circonstances semblables, les citoyens canadiens peuvent demeurer au pays. Cet argument n'est pas fondé. S'il était accepté, cela signifierait que la Charte garantit aux résidents permanents un droit égal à celui des citoyens canadiens de demeurer au pays. Ce n'est pas le cas. La Charte elle-même, aux paragraphes 6(1) et 6(2) 8 , établit une distinction entre les droits des citoyens canadiens et des résidents permanents à cet égard. Il est clair que, sous réserve de l'article 1, la Charte garantit aux citoyens canadiens le droit de demeurer au Canada. Il est tout aussi clair que la Charte ne garantit pas ce même droit aux résidents permanents. La Charte reconnaît donc implicitement le pouvoir du Parlement d'établir une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents permanents en imposant des limites aux droits des résidents permanents de résider au Canada. En exerçant ce pouvoir, le gouvernement n'est pas coupable de discrimination au sens de l'article 15. La situation serait différente si le Parlement ou une assemblée législative provinciale voulait établir une distinction entre les résidents permanents et les citoyens à un autre niveau qu'à
8 Ces paragraphes se lisent comme suit:
6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au
Canada, d'y entrer ou d'en sortir.
(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le
statut de résident permanent au Canada on le droit:
a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province;
b) de gagner leur vie dans toute province.
celui de la détermination des limites des droits des résidents à demeurer au pays. C'était notamment le cas dans l'affaire Andrews c. Law Society of British Columbia 9 , dans laquelle la Cour suprême du Canada a statué qu'une loi interdisant aux résidents permanents le droit de pratiquer le droit était discriminatoire et contraire aux dispositions de l'article 15 de la Charte.
Le second argument de l'appelant est que le paragraphe 32(2) viole l'article 15 de la Charte en établissant une distinction injustifiée entre rési- dents permanents déclarés coupables d'actions décrites au sous-alinéa 27(1)d)(ii) et les autres résidents permanents. Cependant, à mon avis, cette distinction, qu'elle soit justifiée ou injustifiée, ne peut être assimilée à une discrimination au sens de l'article 15. Aucune analogie ne peut être éta- blie entre les motifs de discrimination définis à l'article 15 et le fait que certains résidents perma nents ont été déclarés coupables d'infractions graves. Les résidents permanents qui ont été recon- nus coupables d'actes criminels graves ne tombent pas dans une catégorie analogue à celles qui sont énumérées à l'article 15 10 .
Ma réponse à la première série de questions soumises par la Commission est donc que l'exi- gence du paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immi- gration de 1976 relative à une ordonnance d'expul- sion rendue contre les résidents permanents qui correspondent à l'une des catégories décrites au sous-alinéa 27(1)d)(ii) ne contrevient pas aux arti cles 7, 12 et 15 de la Charte.
Les autres questions soumises par la Commis sion ont trait aux articles 82.1 et 83 de la Loi sur l'immigration de 1976. Ces articles s'appliquent lorsqu'un résident permanent a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion et qu'il en a appelé de cette ordonnance devant la Commission d'appel de l'immigration en vertu du paragraphe 72(1). Dans ce cas, l'appelant peut interjeter appel de l'ordon- nance d'expulsion en vertu de l'alinéa 72(1)a) sur la base d'«un moyen d'appel comportant une ques tion de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait» et, en vertu de l'alinéa 72(1)b), du «fait que, compte tenu des circonstances de l'es- pèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada».
9 [1989] 1 R.C.S. 143.
10 Voir: Andrews c. Law Society of British Columbia, supra, et R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296.
Cependant, le paragraphe 83(2) prévoit que la Commission doit rejeter tout appel fait en vertu de l'alinéa 72(1)b) si le ministre de l'Emploi et de l'Immigration est notamment une personne visée au sous-alinéa 19(1)d)(ii), c'est-à-dire une des per- sonnes «au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire qu'elles ... se livreront à des activités faisant partie d'un plan d'activités crimi- nelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert pour commettre une infraction qui peut être punissable par voie de mise en accusation en vertu d'une loi du Parlement». Il faut rappeler que cette attestation a été déposée à l'égard de l'appelant.
L'article 82.1 et le paragraphe 83(1) décrivent la procédure qui mène à la délivrance de l'attesta- tion du ministre. Le processus est déclenché par le solliciteur général et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration qui font un rapport au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité créé en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [S.C. 1984, chap. 21 ] dans lequel ils expriment l'opinion qu'un résident permanent qui a présenté un appel devant la Commission en vertu de l'alinéa 72(1)b) est une personne visée au sous-alinéa 19(1)d)(ii). Sur réception de ce rapport, le comité de surveillance mène une enquête dans le cadre de laquelle il doit donner à la personne visée la possibilité d'être entendue à certaines conditions. Après l'enquête, il envoie un rapport au gouverneur en conseil. Le gouverneur en conseil peut alors, comme il l'a fait en l'espèce, ordonner au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de remettre une attestation à la Commission, ce qui obligera cette dernière à reje- ter l'appel de la personne visée dans la mesure l'appel est fondé sur «les circonstances en l'espèce».
La Commission demande si ces dispositions con- treviennent aux articles 7, 12 ou 15 de la Charte. Cependant, c'est probablement par erreur que l'ar- ticle 12 a été mentionné dans la question car on sait bien que rien dans ces dispositions n'évoque des traitements ou peines cruels ou inusités. Les seules questions qui peuvent créer des difficultés sont celles qui ont trait aux articles 7 et 15.
L'appelant a soutenu que les articles 82.1 et 83 violent l'article 15 parce qu'ils ont pour consé- quence de priver des appelants visés par leurs
dispositions du bénéfice d'une audience sur le fond de leur appel pour le motif qu'ils sont des résidents permanents. Cet argument n'est pas fondé. En effet, ces articles ne privent pas les résidents per manents d'un droit d'appel pour le motif qu'ils sont des résidents permanents mais bien parce que l'on croit qu'ils se livrent à des activités criminel- les. Il ne s'agit donc pas de discrimination au sens de l'article 15.
La question relative à l'article 7 de la Charte est plus difficile.
Le seul motif sérieux pour lequel on peut dire que les articles 82.1 et 83 contreviennent à l'article 7 est qu'ils prévoient clairement qu'une attestation peut être délivrée à l'égard d'une personne qui n'a pas obtenu toute la possibilité de réfuter les alléga- tions faites contre elle. On peut donc se demander si les dispositions autorisant un tel écart de la règle audi alteram partem sont nulles en ce qu'elles violent les dispositions de l'article 7 de la Charte. Cependant, la question se pose uniquement lors- qu'une attestation en vertu de l'article 83 a été délivrée sans que la personne visée ait eu une possibilité suffisante d'être entendue. Sinon, la question est purement théorique. Il s'ensuit donc que la Commission ne pouvait pas se préoccuper de cette question et en saisir la Cour, car elle n'avait pas établi que la procédure suivie pour délivrer l'attestation prévue par l'article 83 et visant l'appelant avait dérogé au principe de jus tice fondamentale. La Commission d'appel de l'im- migration peut, comme il a été statué dans l'arrêt Law c. Solliciteur général du Canada", avoir le pouvoir de trancher des questions relatives à la Charte portant sur la validité d'une attestation délivrée en vertu de l'article 83, mais elle ne peut pas répondre à ces questions sur un plan purement théorique lorsqu'il n'est pas nécessaire que des réponses soient fournies pour trancher une affaire dont la Commission est saisie, et cette dernière ne peut pas non plus, dans les mêmes circonstances, soumettre ces questions à la Cour 12 . J'estime donc que la question dont je traite maintenant n'aurait pas être soumise à la Cour. Pour ce motif, la Cour ne devrait pas y répondre.
" [1985] 1 C.F. 62 (C.A.).
I2 Voir: In re la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, [1973] C.F. 604 (C.A.), à la p. 615 et Martin Service Station Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 398 (C.A.).
Le même problème ne se pose pas à l'égard de la dernière question posée par la Commission car cette question a trait à la procédure suivie pour délivrer une attestation en vertu de l'article 83 à l'égard de l'appelant.
Cette dernière question, comme je la comprends, en contient trois:
1. Est-ce que la procédure suivie pour délivrer l'attestation en vertu de l'article 83 à l'égard de l'appelant contrevient aux exigences de la jus tice fondamentale?
2. Est-ce que l'appelant, par suite du dépôt de l'attestation, serait privé de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité?
3. Si la réponse aux deux questions précédentes est affirmative, est-ce que cette violation de l'article 7 de la Charte est justifiée en vertu de l'article 1?
Avant d'aborder la première de ces trois ques tions, il faut remarquer que l'appelant n'a pas soutenu et, à mon avis, ne pouvait raisonnablement soutenir, que la privation de son droit d'appel en vertu de l'alinéa 72(1)b), par suite du dépôt de l'attestation en vertu de l'article 83 est, en elle- même, contraire aux principes de justice fonda- mentale au sens du droit positif. Malgré le dépôt de l'attestation, l'appelant conserve un droit d'ap- pel en vertu de l'alinéa 72(1)a). Si l'ordonnance d'expulsion prononcée contre lui a été rendue à tort, elle sera annulée. Le droit d'appel dont l'ap- pelant est privé par suite du dépôt de l'attestation est simplement son droit de demander à la Com mission d'appel de l'immigration la permission de demeurer au pays, même si une ordonnance d'ex- pulsion valide a été rendue contre lui en confor- mité des principes de justice fondamentale. Il s'agit plutôt ici d'un appel de clémence. En effet, la justice fondamentale n'exige certainement pas que ce droit d'appel soit accordé à tous les rési- dents permanents, y compris à ceux qui sont sérieusement soupçonnés d'avoir participé à des activités criminelles.
Ce qui est en jeu ici, c'est la procédure suivie pour aboutir à la délivrance de l'attestation. Il est dit que cette procédure était déficiente parce que
l'appelant n'a pas eu une chance raisonnable de répondre aux allégations faites contre lui.
C'est le 10 février 1987 que le solliciteur général et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration ont présenté un rapport conjoint au comité de surveil lance des activités de renseignement de sécurité à l'égard de l'appelant, qui a été avisé de cette procédure dans une lettre datée du 13 février 1987. Le 27 mai 1987, le secrétaire exécutif du comité de surveillance a écrit à l'appelant pour l'informer que le comité avait reçu le rapport des deux minis- tres et qu'une enquête aurait lieu. La lettre était accompagnée du document suivant:
[TRADUCTION]
ÉNONCÉ DES CIRCONSTANCES AYANT DONNÉ LIEU À LA PRÉSENTATION D'UN RAPPORT PAR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION AU COMITÉ DE SURVEILLANCE DES ACTIVITÉS DE RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ
Selon les informations remises au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par le solliciteur général du Canada et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, M. Giuseppe Chiarelli:
1. est membre d'une organisation qui se livre à un plan d'acti- vités criminelles;
2. s'est engagé dans un plan d'activités criminelles, y compris la participation à un meurtre et à divers aspects du trafic des stupéfiants;
3. a été déclaré coupable:
a) d'avoir proféré des menaces par téléphone; et
b) d'avoir été en possession de stupéfiants dans le but d'en faire le trafic;
4. Même s'il n'a pas été accusé de l'homicide de Domenic Racco, la preuve révèle qu'il y a participé;
5. depuis 1982, il est associé à:
a) des personnes que l'on croit liées au crime organisé; et/ou
b) des personnes ayant des dossiers judiciaires; et/ou
c) des personnes soupçonnées de se livrer à des activités relatives au trafic des stupéfiants.
L'appelant a par la suite été avisé que le comité de surveillance tiendrait une audience à Ottawa à partir du 25 juin 1987 et qu'il aurait le droit d'y assister avec son avocat. La date de l'audience a par la suite été ajournée au 2 septembre 1987.
Le 14 juillet 1987, le comité de surveillance a envoyé à l'avocat de l'appelant deux longs docu-
ments intitulés «Suite de renseignements et de faits relatifs à Giuseppe Chiarelli» et «Sommaire de l'interprétation de l'interception de communica tions privées relatives au meurtre de Domenic Racco». Ces deux documents contenaient des ren- seignements selon lesquels l'appelant, depuis un certain temps, était associé à des gens soupçonnés de se livrer à des activités criminelles.
Le 25 août 1987, l'avocat de l'appelant a appris que, le premier jour de l'audience, soit le 2 septem- bre, le comité siégerait à huis clos et que ni lui ni son client ne pourrait assister aux travaux du comité. C'est donc en l'absence de l'appelant et de son avocat que, le 2 septembre 1987, le comité de surveillance a entendu le témoignage de membres de la GRC. Le jour suivant, un résumé de ces témoignages a été remis à l'avocat de l'appelant lorsque celui-ci s'est présenté avec son client à la reprise de l'audience. Voici ce document:
[TRADUCTION]
SOMMAIRE DES TÉMOIGNAGES À HUIS CLOS LE 2 SEPTEMBRE 1987 DANS L'AFFAIRE DE L'AUDIENCE DE M. CHIARELLI
Le 2 septembre 1987, au cours de la première journée des audiences, le comité de surveillance des activités de renseigne- ment de sécurité a appris de source policière que Giuseppe Chiarelli participe à un plan d'activités criminelles. En effet:
1. M. Chiarelli est un membre respecté d'une organisation qui se livre à un plan d'activités criminelles et depuis environ 1979, il est associé à Domenic Musitano, Anthony Musitano, Pas- quale Musitano, Giuseppe Avignone et d'autres personnes, dont certaines possèdent des dossiers judiciaires, et qui participent à des activités criminelles permanentes, notamment en relation avec de l'extorsion et le trafic des stupéfiants.
2. À plusieurs reprises, M. Chiarelli, seul ou avec une autre personne, est entré en contact avec des hommes d'affaires de la région à Hamilton afin de leur extorquer de l'argent. Lorsque ces personnes refusaient de verser l'argent demandé, M. Chia- relli menaçait de nouveau ces personnes, leur famille ou leurs biens. M. Chiarelli proférait ces menaces lui-même ou accom- pagnait la personne qui le faisait.
3. Depuis 1979, M. Chiarelli s'est livré à diverses activités illégales relatives au trafic des stupéfiants pour le compte de Domenic Musitano. En particulier, M. Chiarelli a travaillé comme messager et distributeur de cocaïne et a tenté de recouvrer des sommes dues à Domenic Musitano en marge du trafic des stupéfiants.
Le deuxième jour de l'audience, le président du comité de surveillance a déclaré à l'appelant et à son avocat que le sommaire contenait tous les
renseignements qui pouvaient être divulgués au sujet du témoignage des membres de la GRC le jour précédent. Il a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] Je ne suis pas très satisfait des procédures que nous impose la Loi qui a créé le comité et je pense particulièrement à l'audition de témoignages en l'absence du requérant ou de son avocat. Nous avons contesté cette procé- dure dans de nombreuses affaires au cours des dernières années. C'est la première fois que la GRC y participe. Les principes qui se sont appliqués à l'exclusion du requérant et de son avocat sont les mêmes. Ils ont trait aux techniques utilisées par les agences d'enquête. Jusqu'à présent, ce sont des membres du Service canadien du renseignement de sécurité qui ont été visés par ces dispositions et, en particulier, des agents ouvrant dans le domaine de la lutte au terrorisme et du contre-espion- nage. L'argument est le suivant: si des renseignements sur les informateurs ou des techniques étaient rendus publics, la capa- cité de continuer à utiliser ces techniques disparaîtrait rapidement.
Je veux que vous sachiez qu'hier je me suis défendu âprement pour que le requérant et son avocat obtiennent le plus de renseignements possible. J'estime que, en m'acquittant de mes responsabilités bien au-delà de la lettre de la Loi et des Règles de procédure, dont vous avez obtenu une copie, j'estime que nous avons fait le maximum et que vous avez reçu toute l'information qu'il était possible de fournir dans les circons- tances.
Les documents envoyés à l'avocat de l'appelant le 14 juillet 1987 ont par la suite été classés avec les casiers judiciaires de l'appelant et de ses prétendus associés. L'avocat de la GRC a déclaré qu'il ne souhaitait pas présenter d'autres éléments de preuve ni faire d'autres observations. L'avocat de l'appelant a refusé de participer à cette audience, sinon pour contester l'équité et la constitutionna- lité de la procédure suivie par le comité. Enfin, le président du comité a pris l'affaire en délibéré mais a indiqué que le plaignant aurait un mois pour présenter des documents ou des informations écrites au comité. Le 7 octobre 1987, l'avocat de l'appelant a saisi cette occasion et a envoyé un argument écrit au comité de même que des décla- rations solennelles de membres de la famille de l'appelant attestant la moralité de ce dernier. L'ap- pelant lui-même n'a présenté ni déclaration sous serment ni déclaration solennelle.
Le 21 octobre 1987, le comité de surveillance a informé l'appelant qu'il avait envoyé au gouver- neur en conseil un rapport concluant qu'il était une personne se trouvant dans l'une des situations
visées au sous-alinéa 19(1)d)(ii) de la Loi sur l'immigration de 1976 et qu'une attestation devrait être délivrée en vertu de l'article 83 à l'égard de son appel de l'ordonnance d'expulsion. Quelques jours plus tard, l'appelant a été informé que, par suite d'une ordonnance du gouverneur en conseil, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration avait délivré une attestation en vertu de l'article 83 et que cette dernière avait été déposée devant la Commission d'appel de l'immigration.
À mon avis, la justice fondamentale exige qu'au- cune décision soit prise au sujet des droits d'une personne sans donner à cette dernière une occasion valable d'être entendue. En l'espèce, le comité de surveillance devait déterminer si l'information dont il disposait lui donnait des motifs raisonnables de croire que l'appelant était une personne se trouvant dans l'une des situations décrites au sous- alinéa 19(1)d)(ii) de la Loi sur l'immigration de 1976. Pour obtenir une occasion valable d'être entendu, l'appelant se devait d'être informé non seulement du contenu exact des renseignements présentés au comité (pour être capable de les contredire), mais aussi des sources de ces rensei- gnements (afin d'être en mesure de contester leur sérieux). Puisque l'appelant n'a pas eu la possibi- lité d'obtenir tous les renseignements de même que les sources de ces renseignements, je suis d'avis que la procédure suivie en l'espèce n'a pas satisfait aux exigences de la justice fondamentale.
Cependant, est-ce que le dépôt d'une attestation en vertu de l'article 83 a enfreint le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de l'appelant? Le dépôt de l'attestation a eu pour effet d'enlever à la Commission d'appel de l'immigration le pouvoir d'accueillir l'appel de l'appelant pour des motifs humanitaires. Ce dernier point, en lui-même, ne touchait pas directement le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de l'appelant ". Cependant, pour être réaliste, il faut reconnaître que par suite du dépôt de l'attestation, l'appelant sera expulsé en Italie alors que, sans le dépôt de cette attestation, il aurait pu être autorisé à demeurer au pays. Puisque, à mon avis, l'expulsion entrave nécessai-
13 Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376.
rement la liberté de la personne 14 , je dirais qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte.
La question suivante est de savoir si cette viola tion a été autorisée par l'article 1 de la Charte. En d'autres termes, est-ce que la limite imposée aux droits de l'appelant de connaître les allégations faites contre lui était raisonnable? A-t-elle été prescrite par une règle de droit et pouvait-elle se justifier dans le cadre d'une société démocratique?
En vertu du paragraphe 82.1(3) de la Loi sur l'immigration de 1976, le paragraphe 48(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité s'applique, avec les adaptations nécessai- res, aux enquêtes effectuées par le comité de sur veillance en vertu de ce paragraphe de la Loi sur l'immigration de 1976. Le paragraphe 48(2) pré- voit notamment ce qui suit:
48....
(2) Au cours d'une enquête ... [toutes les parties intéres- sées] doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance ainsi que d'être entendu en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat; toutefois, nul n'a le droit absolu d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observations au comité, ni d'en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.
Cette disposition, si on la comprend littéralement, enlèverait seulement à chaque personne compa- raissant devant le comité le droit d'être informée des «observations» faites par les autres; mais elle ne restreindrait pas leur droit d'être informées des éléments de preuve présentés devant le comité. Cette interprétation littérale, à mon avis, serait absurde. Il faut donc interpréter l'article de la façon suivante: chaque personne qui comparaît devant le comité n'a le droit de connaître ni les observations ni les éléments de preuve présentés par les autres témoins.
La décision du comité de surveillance de ne pas divulguer à l'appelant les détails du témoignage de la GRC était donc tout à fait légale. Selon moi, elle était aussi raisonnable et justifiée.
L'objet de l'enquête menée par le comité était d'établir si le solliciteur général et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration avaient des motifs sérieux de soupçonner l'appelant d'être mêlé à ce
14 Voir: R. v. Wooten (1983), 5 D.L.R. (4th) 371 (C.S.C.-B.), à la p. 476; contre: In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152 (1" inst.), à la p. 159.
qu'on appelle communément le «crime organisé». Les éléments de preuve qui nous ont été soumis révèlent qu'il faut protéger tout autant le secret des enquêtes policières sur les activités du crime organisé que celui des enquêtes en matière d'es- pionnage. Dans les deux cas, la divulgation de renseignements précis obtenus par la police dans le cadre d'une enquête en cours pourrait en miner grandement les résultats. Dans ces circonstances, il était à mon avis à la fois raisonnable et justifié de limiter le droit de l'appelant à connaître les alléga- tions qu'il devait réfuter, particulièrement à la lumière du fait que l'enquête du comité de surveil lance avait été tenue non pour statuer sur sa culpabilité, mais pour déterminer s'il pouvait avoir droit à un appel pour des motifs purement humanitaires.
Je répond donc comme suit aux questions soumi- ses par la Commission:
1. Le sous-alinéa 27 (1)d) (ii) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 ne violent pas les articles 7, 12 ou 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
2. Les articles 82.1 et 83 de la Loi sur l'immigra- tion de 1976 ne violent pas les articles 12 ou 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
La question de savoir si ces articles violent l'article 7 de la Charte n'est pas une question que la Commission peut soumettre à la Cour en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale.
3. a) La Commission, en se fondant sur l'attesta- tion délivrée en vertu de l'article 83 l'égard de M. Chiarelli, enfreindrait les droits de M. Chiarelli en vertu de l'article 7 de la Charte.
b) Cette violation de l'article 7 est justifiée par l'article 1, de la Charte.
ANNEXE
Articles 82.1 et 83 de la Loi sur l'immigration de 1976:
82.1 (1) Au présent article et à l'article 83, »comité de surveillance» s'entend au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
(2) Dans le cas le Ministre et le solliciteur général sont d'avis, à la lumière des rapports secrets qu'ils détiennent en matière de sécurité ou de criminalité:
a) qu'une personne qui a fait ou qui, en vertu du paragraphe 75(3), est réputée avoir fait appel en vertu des alinéas 72(1)b) ou (2)d), ou
b) - une personne appartenant à la catégorie de la famille dont la demande de droit d'établissement fait l'objet d'un appel interjeté par le répondant en vertu du paragraphe 79(2)
est une personne visée
c) dans le cas d'un résident permanent, au sous-alinéa 19(1)d)(ii) ou à l'un des alinéas 19(1)e) ou g), ou 27(1)c), ou
d) dans les autres cas, à l'un des alinéas 19(1)d) à g) ou 27(2)c),
ils peuvent faire un rapport au comité de surveillance et doi- vent, dans les dix jours suivant le rapport, faire envoyer un avis pour informer l'appelant du rapport et lui indiquer qu'à la suite d'une enquête sur ce rapport, l'appel peut être rejeté.
(3) Lorsqu'un rapport lui est transmis en conformité avec le paragraphe (2), le comité de surveillance fait enquête sur les motifs sur lesquels il est fondé et, à cette fin, les paragraphes 39(2) et (3) et les articles 43, 44 et 48 à 51 de la Loi sur le Service canadien de renseignement de sécurité s'appliquent compte tenu des adaptations de circonstance, à l'enquête comme s'il s'agissait d'une enquête relative à une plainte pré- sentée en vertu de l'article 42 de cette loi, sauf
a) qu'un renvoi, dans l'une de ces dispositions, à l'adminis- trateur général vaut renvoi au Ministre et au solliciteur général;
b) que l'alinéa 50a) de cette loi ne s'applique pas à la personne que vise le rapport.
(4) Afin de permettre à l'appelant d'être informé de la façon la plus complète possible des circonstances qui ont donné lieu au rapport, le comité de surveillance lui envoie, dans les plus brefs délais possible après réception du rapport, un résumé des informations dont il dispose à ce sujet.
(5) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, lorsqu'un rapport est transmis au comité de surveillance en vertu du paragraphe (2), l'audition d'un appel concernant la personne que vise le rapport fait ou réputé, en vertu du paragra- phe 75(3), avoir été fait en vertu des alinéas 72(1)b) ou (2)d) ou en vertu de l'article 79 ne peut commencer ou, si elle a commencé, doit être suspendue jusqu'à ce qu'un rapport à ce sujet ait été remis par le comité de surveillance au gouverneur en conseil en vertu du paragraphe (6) et que celui-ci ait pris une décision à cet égard.
(6) Le comité de surveillance
a) à l'issue d'une enquête sur un rapport qui lui est transmis en vertu du paragraphe (2), envoie au gouverneur en conseil un rapport contenant ses conclusions sur le fait de savoir si une attestation devrait ou non être délivrée en vertu du paragraphe 83(1) et les motifs sur lesquels elles s'appuient;
b) en même temps ou plus tard, envoie à l'appelant un rapport contenant les conclusions visées à l'alinéa a).
83. (1) Dans le cas il est d'avis, après étude du rapport du comité de surveillance visé à l'alinéa 82.1(6)a), qu'une personne mentionnée à l'alinéa 82.1(2)a) ou qu'une personne appartenant à la catégorie de la famille mentionnée à l'alinéa 82.1(2)b) est une personne visée
a) dans le cas d'un résident permanent, au sous-alinéa 19(1)d)(ii) ou à l'un des alinéas 19(1)e) ou g) ou 27(1)c), ou
b) dans les autres cas, à l'un des alinéas 19(1)d) à g) ou 27(2)c),
le gouverneur en conseil peut ordonner au Ministre de délivrer une attestation à cet effet.
(2) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la Commission doit rejeter tout appel fait ou réputé, en vertu du paragraphe 75(3), avoir été fait en vertu des alinéas 72(1)b) ou (2)d) ou en vertu de l'article 79 si une attestation visée au paragraphe (1), signée par le Ministre, lui est remise.
(3) Dans toute poursuite ou procédure intentée sous le régime de la présente loi, une attestation délivrée en vertu du paragraphe (1) fait foi de son contenu devant la Commission, l'authenticité de la signature et la qualité officielle du signa- taire ne pouvant être contestées que par le Ministre.
Les paragraphes 39(2) et (3) et les articles 43, 44 et 48 51 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité:
39....
(2) Par dérogation à toute autre loi fédérale ou toute immu- nité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du paragraphe (3), le comité de surveillance:
a) est autorisé à avoir accès aux informations qui se ratta- chent à l'exercice de ses fonctions et qui relèvent du Service ou de l'inspecteur général et à recevoir de l'inspecteur géné- ral, du directeur et des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice;
b) au cours des enquêtes visées à l'alinéa 38c), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces enquêtes et qui relèvent de l'administrateur général concerné.
(3) À l'exception des renseignements confidentiels du Con- seil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des infor mation visées au paragraphe (2) ne peut, pour quelque motifs que ce soit, être refusée au comité.
43. Un membre du comité de surveillance peut, à l'égard des plaintes dont celui-ci est saisi, exercer les pouvoirs et fonctions que la présente partie confère au comité.
44. Le comité de surveillance peut recevoir les plaintes visées aux articles 41 et 42 par l'intermédiaire d'un représentant du plaignant. Dans les autres articles de la présente loi, les disposi tions qui concernent le plaignant concernent également son représentant.
48. (1) Les enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de la présente partie sont tenues en secret.
(2) Au cours d'une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le plaignant, le directeur et l'administrateur général concerné doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance ainsi que d'être entendu en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat; toutefois, nul n'a le droit absolu d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observa tions au comité, ni d'en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.
49. Au cours d'une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le comité de surveillance demande, si cela est opportun, à la Commission canadienne des droits de la personne de lui donner son avis ou ses commentai- res sur la plainte.
50. Le comité de surveillance a, dans ses enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de la présente partie, le pouvoir:
a) d'assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous serment et à produire les pièces qu'il juge indispensables pour ins- truire et examiner à fond les plaintes, de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives;
b) de faire prêter serment;
c) de recevoir des éléments de preuve ou des informations par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur recevabilité devant les tribunaux.
51. Sauf les cas une personne est poursuivie pour une infraction à l'article 122 du Code criminel (fausses déclarations dans des procédures extrajudiciaires) se rapportant à une décla- ration faite en vertu de la présente loi, les dépositions faites au cours de procédures prévues par la présente partie ou le fait de l'existence de ces procédures ne sont pas recevables contre le déposant devant les tribunaux ni dans aucune autre procédure.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs de la décision rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: J'ai lu les motifs du jugement proposés par mon collègue le juge Pratte et je suis d'accord avec lui sur tous les points à l'exception de la réponse à la question 3b).
Même si je suis d'accord avec les motifs qui lui ont permis de conclure que l'attestation autorisée par l'article 83 de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 (maintenant l'article 82 des L.R.C. (1985), chap. I-2) avait entraîné une violation des droits de l'appelant garantis par l'article 7 de la Charte, parce que la procédure suivie par le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ne satisfaisait pas aux exigences de cet article, je soutiens aussi que la négation des droits garantis par l'article 7 n'est pas justifiée par l'article 1 de la Charte. Cette dernière
question découle clairement de la question 3a) qui met en cause la validité constitutionnelle du pro- cessus autorisé à l'égard de l'enquête à mener en vertu de l'article 82.1, avant la délivrance et le dépôt de l'attestation.
Le pouvoir de mener l'enquête découle du para- graphe 82.1(3) de la Loi (maintenant 81(4)):
82.1.. .
(3) Lorsqu'un rapport lui est transmis en conformité avec le paragraphe (2), le comité de surveillance fait enquête sur les motifs sur lesquels il est fondé et, à cette fin, les paragraphes 39(2) et (3) et les articles 43, 44 et 48 à 51 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité s'appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, à l'enquête comme s'il s'agissait d'une enquête relative à une plainte pré- sentée en vertu de l'article 42 de cette loi ...
Voici le texte du paragraphe 48(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21 (maintenant L.R.C. (1985), chap. C-23):
48....
(2) Au cours d'une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le plaignant, le directeur et l'administrateur général concerné doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance ainsi que d'être entendu en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat; toutefois nul n'a le droit absolu d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observa tions au comité, ni d'en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.
Les paragraphes 83(1) et (2) (mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 84) de la Loi prévoient respective- ment la délivrance et le dépôt de l'attestation établie après enquête. Il s'agit donc de savoir si la confiance accordée à l'attestation exigée par le paragraphe 83(2) est justifiée, compte tenu du processus régissant sa délivrance en conformité du paragraphe 82.1(3) de la Loi et du paragraphe 48(2) de la Loi sur le Service canadien du rensei- gnement de sécurité.
Comme le souligne mon collègue, le président du comité de surveillance a révélé qu'il n'était pas satisfait des procédures qui lui étaient imposées par la Loi, mais il a ajouté que les principes s'appliquant à l'exclusion de l'appelant pendant la déposition de témoins de la GRC avaient trait aux «techniques utilisées par les organismes d'enquête» car, a-t-il ajouté, «si des renseignements sur les informateurs ou des techniques étaient rendus
publics, la capacité de continuer à utiliser ces techniques disparaîtrait rapidement.»
À mon sens, la difficulté ne provient pas du fait que ce motif ne pourrait jamais justifier l'exclusion de l'appelant des procédures, mais que les disposi tions législatives sur lesquelles l'exclusion est fondée ne se limitent d'aucune façon à une exclu sion fondée sur ce seul motif. Le paragraphe 48(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité est une disposition de fond à la formu lation très large qui nie expressément à un appe- lant le droit «d'être présent lorsqu'une autre per- sonne présente des observations au comité». C'est tout cet empiètement possible sur les droits confé- rée par l'article 7 qui m'amène à me demander si les dispositions législatives en vertu desquelles cette ingérence est autorisée peuvent se justifier en vertu de l'article 1 de la Charte qui prévoit:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Le juge en chef Dickson, dans l'affaire R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, aux pages 73 et 74, a résumé récemment les principes qui doivent s'appliquer à une analyse de l'article premier:
L'article premier de la Charte peut potentiellement servir à «sauvegarder» une disposition législative qui enfreint l'art. 7: Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., le juge Lamer, à la p. 520. Les principes régissant l'analyse requise aux termes de l'article premier ont été énoncés dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et, de façon plus précise encore, dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Une disposition législative qui enfreint un article de la Charte ne peut être sauvegardée en vertu de l'article premier que si la partie qui en soutient la validité peut démontrer, en premier lieu, que l'objectif de la disposition est «suffisamment important pour justifier la sup pression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitu tion» (arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., à la p. 352) et, en second lieu, que les moyens choisis pour l'emporter sur le droit ou la liberté sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique. Ce second aspect fait en sorte que les moyens législatifs soient proportion- nels aux fins législatives (Oakes, aux pp. 139-140). Dans l'arrêt Oakes, à la p. 139, la Cour se réfère à trois facteurs particuliè- rement utiles à l'évaluation de la proportionnalité entre les moyens et les fins. En premier lieu, les moyens choisis pour atteindre un objectif important doivent être rationnels, justes et non arbitraires. En second lieu, les moyens législatifs doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en cause. En troisième lieu, les effets de la restriction du droit ou de la liberté en cause ne doivent pas être dispropor- tionnés par rapport à l'objectif recherché.
Je suis convaincu que l'intérêt de l'État à l'égard de la protection des sources et des techniques confidentielles de la police est un objectif suffisam- ment important pour justifier la suppression des droits protégés par l'article 7 de la Charte. J'es- time aussi que la non-divulgation de renseigne- ments prévue dans la procédure établie par le paragraphe 82.1(3) est une méthode rationnelle, juste et non arbitraire pour atteindre cet objectif. Cependant, je crois aussi que la règle de la propor- tionnalité n'est pas respectée. Plutôt que de prévoir des mécanismes permettant d'équilibrer l'intérêt de l'État, qui cherche à protéger les sources et les techniques policières, et les intérêts de la personne en matière de justice fondamentale, comme les tribunaux l'ont fait en common law 15 , la disposi tion choisit d'annuler complètement les droits de la personne au profit des intérêts de l'État. La dispo sition aurait pu atteindre ses objectifs en enfrei- gnant beaucoup moins gravement les droits de l'appelant, soit au moyen de mécanismes de con- trepoids plutôt que par une négation totale des droits de l'appelant. Par conséquent, on ne peut pas dire que la disposition «porte le moins possible atteinte» aux droits de l'appelant. De plus, il existe probablement des circonstances dans lesquelles la divulgation de l'information est absolument néces- saire pour établir l'innocence de la personne contre laquelle les allégations ont été faites; dans ces circonstances, la violation du droit visé, à mon avis, serait disproportionnée par rapport à l'objec- tif recherché. Je conclus donc que le paragraphe 82.1(3) de la Loi, qui prescrit une limite en vertu du paragraphe 48(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, n'est pas justifié en vertu de l'article 1 de la Charte.
Pour ces motifs, je répondrais de la façon sui- vante à la question 3b): la violation des droits de l'appelant en vertu de l'article 7 de la Charte n'est pas justifiée par l'article 1 de la Charte.
LE JUGE URIE, J.C.A.: Je souscris aux motifs.
15 Voir p. ex., R. v. Parmar et al. (1987), 34 C.C.C. (3d) 260 (H.C. Ont.); R. v. Playford (1987), 63 O.R. (2d) 289 (C.A.); R. v. Rowbotham et al. (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.),
aux p. 38à 44.
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