T-1627-82
Le chef Roy Whitney, Jr., Bradford Littlelight,
Tom Runner, Bruce Starlight, Alex Crowcbild,
Peter Manywounds, Jr., Gilbert Crowchild,
Sidney Starlight et Gordon Crowchild en leur nom
et au nom des membres de la bande indienne des
Sarsis et ladite Bande indienne des Sarsis
(demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(défenderesse)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE DES SARSIS C. CANADA (1"
INST.)
Section de première instance, juge Dubé—Van-
Couver, 19 et 21 février 1990.
Pratique — Plaidoiries — Détails — Les demandeurs
demandent qu'il soit ordonné à la défenderesse de fournir des
précisions au sujet d'un paragraphe de la défense dans lequel
elle allègue que les causes d'action seraient prescrites — Les
demandeurs allèguent que le paragraphe n'est pas •conforme à
la Règle 409 parce qu'il ne précise pas sur quelles dispositions
de la loi ni sur quels faits pertinents il est fondé — Il est fait
droit à la requête — La défenderesse doit préciser quels sont
les faits pertinents dont découle le délai de prescription et
quelles sont les dispositions de la loi invoquées — Les parties
ont droit à des détails avant la plaidoirie, pour être en mesure
de présenter une plaidoirie bien fondée, et avant le procès, pour
bien se préparer.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
324, 408(1), 409, 412(2), 415(1), 465(3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Sandvik, A.B. c. Windsor Machine Co. (1986), 8 C.P.R.
(3d) 433; 7 C.I.P.R. 232; 2 F.T.R. 81 (C.F. 1" inst.); Cat
Productions Ltd. c. Macedo et autre (1984), 1 C.P.R.
(3d) 517 (C.F. I" inst.); Gulf Canada Limited c. Le
remorqueur Mary Mackin, [1984] 1 C.F. 884; (1984), 42
C.P.C. 146; 52 N.R. 282 (C.A.); Société des Produits
Marnier-Lapostolle c. René Rey Swiss Chocolates Ltd.,
T-2086-88, juge Dubé, ordonnance en date du 3-10-89,
C.F. 1" inst., encore inédite.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Limited,
[1983] 1 C.F. 487; (1982), 67 C.P.R. (2d) 135 (1" inst.);
Riske c. Commission canadienne du blé, [1977] 2 C.F.
143; (1976), 71 D.L.R. (3d) 686 (1" inst.).
AVOCATS:
Irwin G. Nathanson, c.r. pour les demandeurs.
David Ackman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Nathanson, Schachter & Thompson, Vancou-
ver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DusÉ: Dans cette double requête, les
demandeurs demandent qu'il soit ordonné à la
défenderesse de fournir des précisions sur le para-
graphe 52 de la défense modifiée de nouveau et
qu'il lui soit ordonné de déposer une liste supplé-
mentaire de documents concernant les questions
soulevées aux paragraphes 53, 54 et 55 de ladite
défense.
Le paragraphe 52 de la défense modifiée de
nouveau est ainsi libellé:
[TRADUCTION] 52. Toutes les causes d'action que les deman-
deurs pourraient faire valoir contre la défenderesse sont prescri-
tes. La défenderesse invoque l'article 38 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970, 2° supplément, chap. 10, ainsi que les
prescriptions frappant lesdites causes d'action.
Les demandeurs allèguent que le paragraphe 52
n'est pas conforme à la Règle 409 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] parce qu'il ne
précise pas sur quelles dispositions de la loi la
défenderesse entend se fonder. La Règle 409 est
ainsi conçue:
Règle 409. Une partie doit plaider spécifiquement toute ques
tion (par exemple l'exécution, la décharge, une loi de prescrip
tion, la fraude ou tout fait impliquant une illégalité)
a) qui, selon ses allégations, empêche de faire droit à une
demande ou une défense de la partie opposée;
b) qui, si elle n'est pas spécifiquement plaidée, pourrait
prendre la partie opposée par suprise; ou
e) qui soulève des questions de fait ne découlant pas des
plaidoiries antérieures.
Les demandeurs se plaignent que le paragraphe 52
ne révèle pas ce qui suit:
a) quel serait le délai de la prescription;
b) quand ce délai aurait expiré;
c) quelles questions de fait, par exemple la
question de la dissimulation frauduleuse,
seraient pertinentes à diverses dates.
Les demandeurs invoquent une décision de 1986
rendue par le juge Collier, Sandvik, A.B. c. Wind-
sor Machine Co. (1986), 8 C.P.R. (3d) 433; 7
C.I.P.R. 232; 2 F.T.R. 81 (C.F. 1 re inst.). Dans
cette affaire, les défendeurs avaient contesté la
validité du brevet, nié la contrefaçon et soulevé la
question du délai de prescription applicable. La
Cour a dit ce qui suit, à la page 242:
A mon avis, ces arguments ne peuvent être retenus car les
prétendus moyens de défense n'ont pas été plaidés régulière-
ment. Voici ce qu'on trouve au paragraphe 20 de la défense de
Windsor et au paragraphe 19 de celle de Stihl: [TRADUCTION]
«Subsidiairement, la défenderesse ... se fonde sur les disposi
tions du paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale.»
Le paragraphe 38(1) est ainsi conçu:
38(1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles
de droit relatives à la prescription des actions en vigueur
entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure
devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend
naissance dans cette province et une procédure devant la
Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance
ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard
six ans après que la cause d'action a pris naissance.
Après avoir reproduit la Règle 409, le juge Collier
a ajouté ce qui suit, à la page 243:
En l'espèce, les défenderesses font valoir des moyens de droit.
Ceux-ci n'énoncent spécifiquement aucun fait substantiel
(Règle 409(1)) dont on peut arguer pour invoquer les disposi
tions relatives à la prescription en vigueur dans des provinces
données. Tels que formulés, les moyens ne donnent absolument
aucun renseignement sur ce qui est réellement allégué. Il aurait
plutôt fallu, à mon sens, exposer les faits substantiels permet-
tant de faire valoir la prescription de deux ans. Ensuite, on
aurait plaidé les dispositions provinciales ou les articles en
cause ainsi que leurs effets quant aux délais pour le calcul des
prétendus dommages-intérêts ou la comptabilisation des
bénéfices.
Dans le cas présent, les moyens ne donnent absolument
aucun renseignement à la demanderesse.
La défenderesse refuse de fournir les détails à ce
moment-ci pour la raison que les demandeurs
auraient pu les exiger pour produire une réponse,
mais que le délai pour ce faire est expiré. L'avocat
soutient que les interrogatoires préalables ont com-
mencé et que la défenderesse sera mieux en mesure
de fournir ces détails après avoir obtenu des
demandeurs plus de renseignements grâce à ces
interrogatoires. Il s'appuie sur une décision de la
Cour fédérale de 1982, Caterpillar Tractor Co. c.
Babcock Allait Limited, [1983] 1 C.F. 487;
(1982), 67 C.P.R. (2d) 135 (1 re inst.) dans laquelle
le juge Addy a dit ce qui suit, à la page 490 (C.F.):
En général, lorsqu'une partie a, dans sa plaidoirie, répondu
complètement à la plaidoirie de la partie adverse et a présenté
une preuve contraire, elle ne peut s'opposer à la plaidoirie de
l'autre partie ni demander des détails dans le but de compléter
sa plaidoirie à une date ultérieure. (Voir Dominion Sugar Co.
v. Newman ((1917-18), 13 O.W.N. 38 (H.C.J.)) et Montreuil
c. La Reine ([1976] 1 C.F. 528 (V' inst.)).)
Je ne pense pas que ces propos puissent être
d'aucun secours pour la défenderesse. Dans le cas
qui nous occupe, les demandeurs n'ont pas produit
de réponse.
La défenderesse invoque aussi la décision de
1976 du juge suppléant Primose dans Riske c. La
Commission canadienne du blé, [1977] 2 C.F.
143; (1976), 71 D.L.R. (3d) 686 (1P° inst.), dans
laquelle celui-ci a décidé de rejeter la demande de
détails supplémentaires sur la déclaration au motif
que la défenderesse connaissait les renseignements
demandés. En l'espèce, on ne peut certainement
pas affirmer que les demandeurs connaissent déjà
les prescriptions invoquées tant que la défenderesse
ne les a pas plaidées.
La défenderesse se réfère en outre à une décision
de 1984 du juge McNair, Cat Productions Ltd. c.
Macedo et autre (1984), 1 C.P.R. (3d) 517 (C.F.
1 n inst.), dans laquelle celui-ci a décidé que les
défendeurs avaient droit à des détails. Il a égale-
ment dit que l'objet des détails était de prévenir
l'effet de surprise. Voici ce qu'il a dit [aux
pages 519 et 520]:
Les détails ont pour but de permettre à une partie de connaître
les arguments de la partie adverse de manière à éviter les
surprises. On ordonne de fournir des détails plus librement
qu'autrefois car l'époque des «arguments surprises» est mainte-
nant révolue. Aujourd'hui les tribunaux insistent pour que les
plaidoiries définissent avec clarté et précision les questions en
litige. Des allégations générales qui autrefois auraient pu
échapper à un examen donnent habituellement lieu aujourd'hui
à une ordonnance enjoignant de fournir des détails. Les cours
ont établi une distinction entre les détails nécessaires avant la
plaidoirie et ceux qui sont nécessaires au moment du procès. La
Cour donne droit à une demande de détails avant la plaidoirie
de façon à permettre à l'autre partie de présenter une plaidoirie
bien fondée. Quant aux détails exigés avant le procès, toute
partie a généralement droit aux détails qui lui sont nécessaires
pour préparer adéquatement son argumentation en vue du
procès.
D'une manière générale, je partage ce point de
vue. Les demandeurs dans le cas présent avaient
droit à des détails avant de déposer leur réponse et
ils ont maintenant droit à des détails pour bien se
préparer en vue du procès. De toute façon, la Cour
a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner que des
détails soient fournis à toute étape de l'action.
Dans l'affaire Gulf Canada Limited c. Le
remorqueur Mary Mackin, [1984] 1 C.F. 884;
(1984), 42 C.P.C. 146; 52 N.R. 282 (C.A.), les
plaidoiries avaient été échangées et l'interrogatoire
préalable de la demanderesse avait commencé
mais n'était pas terminé, quand la défenderesse a
demandé des détails sur une simple allégation de
négligence. Le juge a ordonné que des détails
soient fournis. La demanderesse a interjeté appel.
À la majorité, la Cour d'appel fédérale a rejeté
l'appel. Après avoir étudié minutieusement la
jurisprudence, le juge Heald a conclu comme suit
[à la page 890]:
Compte tenu de cette situation de fait et à la lumière des
critères adoptés par les tribunaux anglais et par d'autres tribu-
naux canadiens, je ne peux conclure que le juge des requêtes a
agi en se fondant sur un principe erroné ou une mauvaise
interprétation des faits, ou que l'ordonnance qu'il a rendue n'est
ni juste ni raisonnable. Dans de telles circonstances, un tribunal
d'appel n'interviendra pas dans l'exercice du pouvoir discrétion-
naire du juge de première instance pour une question interlocu-
toire de ce genre.
Dans une décision plus récente, Société des Pro-
duits Marnier-Lapostolle c. René Rey Swiss Cho
colates Ltd., rendue le 3 octobre 1989, T-2086-88,
j'ai étudié le refus de la part de la défenderesse de
fournir des détails à la demanderesse pour la
raison que la demande était prématurée, puisqu'il
devait y avoir des interrogatoires préalables. J'ai
décidé que, selon la Règle 408(1), chaque plaidoi-
rie doit obligatoirement contenir un exposé précis
des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie
qui plaide; qu'aux termes de la Règle 415(1), toute
plaidoirie doit fournir les détails nécessaires à
toute allégation; que d'après la Règle 412(2), le
fait de soulever une question de droit ne doit pas
être accepté comme remplaçant un exposé des faits
essentiels sur lesquels se fonde la conséquence
juridique. Quant à la question de savoir si la
demande était prématurée, étant donné qu'il devait
y avoir des interrogatoires préalables, j'ai conclu
que, conformément aux dispositions de la Règle
465(3), après le dépôt de la défense, la partie peut
interroger au préalable la partie opposée: il s'ensuit
logiquement que la défense elle-même doit être
conforme aux règles, c'est-à-dire qu'elle doit four-
nir les détails nécessaires, avant l'interrogatoire
préalable.
Par voie de conséquence, la défenderesse dépo-
sera et signifiera tous les détails qui ont été
demandés sur le paragraphe 52 de la défense
modifiée de nouveau, dans les deux semaines sui-
vant la date de cette ordonnance.
Le second volet de la requête porte qu'il soit
ordonné à la défenderesse de déposer et de signifier
aux demandeurs une liste supplémentaire de docu
ments relatifs aux questions soulevées dans les
paragraphes 53, 54 et 55 de la défense modifiée de
nouveau. La semaine dernière, la défenderesse a
déposé une liste de documents, mais les deman-
deurs n'ont pas eu le temps de la vérifier en
fonction des plaidoiries. Par conséquent, ils ont
demandé l'ajournement: s'ils jugent la liste satis-
faisante, ils en resteront là; dans le cas contraire,
ils demanderont à la défenderesse de compléter la
liste.
En principe, un requérant a le droit d'ajourner
sa propre requête inscrite pour audition au cours
d'un jour réservé à l'audition des requêtes, comme
dans le cas présent, sous réserve bien sûr des
dépens ou d'autres conditions dont la Cour peut
assortir l'ajournement. L'avocat de la défenderesse
n'a pas consenti à l'ajournement, principalement
aux motifs qu'il a dû se déplacer, d'Ottawa à
Vancouver, pour assister à la présentè audition -et
qu'en tout état de cause, cette requête aurait dû
être faite par écrit sans plaidoirie des parties,
conformément à la Règle 324.
Il est proprement ahurissant que le ministère
fédéral de la Justice, dont les avocats et les
bureaux se trouvent dans toutes les principales
villes du pays, y compris à Vancouver, fasse venir
quelqu'un d'Ottawa pour comparaître à l'audition
de cette requête, dont l'avocat a reconnu lui-même
qu'elle revêtait tellement peu d'importance que la
Règle 324 s'y appliquait. Pareille attitude—et le
manque évident de collaboration entre les par-
ties—peuvent expliquer en partie pourquoi cette
affaire, introduite en 1982, progresse encore en
1990 avec une lenteur de tortue et à grands frais.
En conséquence, la deuxième partie de la
requête est ajournée sine die et l'on ne pourra
tenter de la reprendre qu'en conformité avec la
Règle 324, par écrit. Chaque partie supportera ses
propres frais.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.