A-223-89
Sa Majesté la Reine et le ministre de l'Emploi et
de l'Immigration (appelants) (défendeurs)
c.
Conseil canadien des églises (intimé) (deman-
deur)
RÉPERTORIÉ: CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES c. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et MacGui-
gan, J.C.A.—Toronto, 23, 24 et 25 janvier;
Ottawa, 12 mars 1990.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — Intérêt public
— Appel formé contre le refus de radier la déclaration —
L'intimé comprend diverses Eglises qui aident les réfugiés —
L'action vise à faire déclarer inconstitutionnelle la législation
concernant l'immigration — Le fait que l'intimé soit une
personne morale ne l'empêche pas d'être revêtu de la qualité
pour agir dans l'intérêt public — Y a-t-il une autre manière
raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour? —
La Cour étudie la législation afin de déterminer s'il y a un
autre groupe directement touché qui puisse la contester lui-
même — L'intérêt public au sens large qui est défendu est
précisément celui que font valoir les demandeurs de statut —
La Cour admet d'office que des contestations provenant du
groupe directement touché (les demandeurs de statut) se pro-
duisent chaque jour — La déclaration constitue-t-elle une
attaque intimement intégrée, qu'aucun des groupes directement
touchés ne serait en mesure de monter? — Le juge de première
instance a commis une erreur en examinant la déclaration dans
son ensemble — Aucun principe d'intégration — Il est fait
droit à l'appel excepté quant à certaines allégations relatives
aux dispositions de la législation qui fondent la qualité pour
agir dans l'intérêt public, qui soulèvent une cause raisonnable
d'action.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — la
déclaration vise à faire déclarer inconstitutionnelle la législa-
tion concernant l'immigration — Aucune cause raisonnable
d'action n'est révélée dans les allégations dépendant de la
promulgation d'un règlement qui n'a pas encore été pris, ni
dans les allégations selon lesquelles les sanctions pénales
frappant ceux qui aident l'entrée au Canada de personnes non
munies des papiers nécessaires priveraient des demandeurs du
droit à l'assistance d'un avocat Les personnes touchées ne
seraient pas visées par la Charte, car non titulaires de la
citoyenneté et n'ayant pas le droit de demander leur admission.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Association
personnalisée, formée d'Églises, demandant que soit déclarée
inconstitutionnelle la législation concernant l'immigration —
Les art. 7 et 15 de la Charte ne s'appliquent pas aux personnes
morales — Le fait que l'intimé soit une personne morale ne
l'empêche pas de satisfaire à deux critères régissant la qualité
pour agir dans l'intérêt public: la question sérieuse et l'intérêt
véritable quant à la validité de la législation — Ceux qui
saisissent le tribunal de questions importantes ne devraient pas
être privés des connaissances spécialisées et des ressources des
personnes morales dont l'objet est la défense de l'intérêt
public.
Immigration — Association formée d'Églises, demandant,
conformément à l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982,
que soit déclarée inconstitutionnelle la législation concernant
l'immigration — Appel formé contre le refus de radier la
déclaration — Question de la qualité pour agir — Une cause
raisonnable d'action a-t-elle été soulevée? — Il est fait droit à
l'appel en partie — La poursuite de l'action est autorisée au
regard de certaines dispositions législatives qui fondent la
qualité pour agir dans l'intérêt public, qui soulèvent une cause
raisonnable d'action.
Le Conseil canadien des Églises a été fondé pour permettre
de coordonner l'action de ses membres relativement aux ques
tions qui les concernaient tous. Les Églises membres viennent
en aide aux réfugiés. Il a intenté une action visant à faire
déclarer inconstitutionnelles, sous le régime du paragraphe
52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la plupart des
dispositions en vigueur de la nouvelle Loi sur l'immigration,
ainsi que plusieurs dispositions de l'ancienne loi, parce qu'elles
violeraient la Charte et la Déclaration canadienne des droits.
Cet appel a été formé contre le rejet de la demande présentée
en vue d'obtenir une ordonnance rejetant l'action. Les questions
étaient celle de savoir si l'intimé avait l'intérêt nécessaire pour
demander un jugement déclaratoire et celle de savoir si sa
déclaration révélait une cause raisonnable d'action. On a sou-
tenu qu'en tant qu'association personnalisée, l'intimé ne saurait
satisfaire aux deux premiers critères régissant la qualité pour
agir dans l'intérêt public, énoncés dans Ministre de la Justice et
autre c. Borowski, parce que les dispositions constitutionnelles
invoquées par l'intimé pour demander que la législation soit
déclarée invalide (articles 7 et 15 de la Charte et alinéa la) de
la Déclaration canadienne des droits) ne s'appliquent pas aux
personnes morales. L'intimé a soutenu que sa déclaration cons-
tituait une attaque intimement intégrée contre la législation,
qu'aucune des parties directement touchées ne serait en mesure
de monter, surtout du fait qu'il pouvait procéder par voie
d'action, plutôt que par voie de révision administrative.
Arrêt: il devrait être fait droit à l'appel, excepté quant à
certaines allégations au regard desquelles il y aurait lieu de
permettre la poursuite de l'action, à la condition que, dans un
délai de trente jours, une déclaration modifiée de nouveau soit
déposée.
La reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt
public ressortit au pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Pour
être investi de la qualité pour agir dans l'intérêt public, le
demandeur doit démontrer ce qui suit: (1) il y a une question
sérieuse; (2) il a, à titre de citoyen, un intérêt véritable quant à
la validité de la législation; (3) il n'y a pas d'autre manière
raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.
Quant au fait que l'intimé soit une personne morale, la Cour
d'appel de l'Ontario a adopté, dans Energy Probe v. Canada
(Attorney General), une position libérale relativement à la
participation à un litige d'une association personnalisée dont
l'objet est la défense de l'intérêt public. Le juge d'appel Carthy
a exprimé l'opinion de la Cour que ceux qui saisissent le
tribunal de questions importantes ne doivent pas être privés des
connaissances spécialisées et des ressources dont ils ont besoin
pour bien faire valoir leur point de vue. Il ne devrait pas y avoir
de règle absolue d'exclusion. Si l'engagement d'une action par
une personne morale représente le seul moyen efficace de
contrôle judiciaire à l'égard d'une question, déclarer cette
question recevable participe de l'exercice raisonnable du pou-
voir discrétionnaire. Il a été satisfait aux deux premiers critères
car, en raison de son étendue, l'action soulève à première vue
une question sérieuse et le mobile de l'action de l'intimé est lié à
l'intérêt public, découlant d'un profond souci pour le bien
public.
Pour ce qui est du troisième critère, les principes énoncés
dans la jurisprudence sont clairs: la qualité pour agir dans
l'intérêt public n'est reconnue que dans le cas où il n'y aurait
aucun groupe directement touché qui puisse contester lui-même
la loi ou dans le cas où, bien qu'un tel groupe existe, l'on
estimerait qu'aucun membre du groupe n'est susceptible de la
contester, ou que le groupe qui est directement touché ne le
serait pas quant à la question plus large du bien public. Pour
statuer sur l'opportunité de reconnaître la qualité pour agir
dans l'intérêt public, il était nécessaire d'étudier attentivement
la législation en cause. Outre les demandeurs de statut, les
autres personnes qui sont susceptibles d'être touchées sont les
citoyens canadiens et les résidents qui s'exposent à des poursui-
tes en prêtant leur assistance à des demandeurs de statut.
Pourraient figurer parmi ce groupe des fidèles et des membres
du barreau. Toutefois, même ces personnes seraient touchées en
raison de leurs liens avec des demandeurs de statut, lesquels
forment le groupe qui est essentiellement touché par la législa-
tion. Les appelants ont soutenu que la nouvelle Loi est une loi
de réglementation qui aura certainement pour effet de susciter
des litiges à profusion. Dans McNeil, où a été reconnue la
qualité pour contester la loi bien que d'autres aient été plus
directement touchés par une loi de nature réglementaire,
ceux-ci n'étaient pas touchés relativement à l'intérêt public au
sens large. En l'espèce, l'intérêt public au sens large que défend
l'intimé est précisément celui que fait valoir le groupe directe-
ment touché. Certes, Borowski indique que la qualité pour agir
dans l'intérêt public peut être reconnue même si quelqu'un
d'autre a un intérêt plus direct. Cette proposition ne peut
cependant être valable que si la Cour, comme dans Borowski,
estime qu'il est peu probable que le groupe touché plus directe-
ment conteste la législation. La Cour a dû reconnaître d'office
le fait que de telles contestations se produisaient chaque jour.
Le juge saisi de la requête a commis une erreur en décidant
qu'il y a lieu de reconnaître à l'intimé la qualité pour faire
valoir les allégations contenues dans la déclaration, prise dans
son ensemble. Celle-ci ne devrait être prise dans son ensemble
que dans le cas où elle ferait valoir des causes d'action étroite-
ment reliées. La déclaration ne s'est pas révélée une attaque
intégrée contre la législation. Elle ne met en évidence aucun
principe véritable d'intégration et nombre des allégations sont
sans fondement, parce qu'elles traduisent une méprise au sujet
de la législation, qu'elles ne tiennent pas compte de décisions
antérieures sur ces questions, qu'elles soulèvent des questions
que pourraient faire valoir tous les résidents canadiens qui
seront un jour ou l'autre inculpés en vertu de la législation, ou
encore qu'elles sont prématurées, puisqu'elles contestent les
mesures que le gouvernement peut prendre par règlement, mais
qu'il n'a pas encore prises. En outre, l'article 52 prescrit que la
violation reprochée procède d'une atteinte à la Constitution.
Les allégations fondées sur la Déclaration canadienne des
droits ou sur des normes internationales ont dû être radiées.
Il est ressorti de l'examen de chacune des allégations de la
déclaration qu'il y avait lieu de reconnaître la qualité pour agir
dans le cas où il serait difficile pour les demandeurs de contes-
ter une disposition au moment où ils quittent le pays, et dans
celui où les délais impartis dans la législation pourraient être
insuffisants pour leur permettre de consulter un avocat en
mesure d'agir. Il y avait lieu en pareil cas de reconnaître la
qualité pour agir dans l'intérêt public et l'existence d'une cause
raisonnable d'action. Bien que les sanctions pénales prévues
pour le fait d'aider ou d'encourager l'entrée au Canada de
personnes non munies des papiers nécessaires puissent consti-
tuer une violation du droit à l'assistance d'un avocat (en
dissuadant les avocats de conseiller les réfugiés non munis des
papiers) et puissent fonder la qualité pour agir, elles ne sau-
raient constituer une cause raisonnable d'action car les person-
nes touchées seraient toutes des personnes non titulaires de la
citoyenneté canadienne et n'ayant pas le droit de demander leur
admission au Canada, et qui ne seraient donc pas visées par la
Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 2, 7, 8, 9, 10,
12, 15, 24(1).
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen-
dice III, art. la).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
52b)(1).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2,
art. 20(2), 23(5), 30(3) (mod. par L.R.C. (1985) (4°
suppl.), chap. 28, art. 9), 43(4) (mod. idem, art. 14),
49(1)a) (mod. idem, art. 16), b) (mod. idem), 69(1)
(mod. idem, art. 18), (4) (mod. idem), (5) (mod.
idem), 70(3) (mod. idem), 85(1)b) (mod. idem, art.
20), 114(1)a),r).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
419(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Thorson c. Procureur général du Canada et autres,
[1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Censors c.
McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; (1975), 12 N.S.R. (2d) 85;
55 D.L.R. (3d) 632; 32 C.R.N.S. 376; 5 N.R. 43; Minis-
tre de la Justice du Canada et autre c. Borowski
fBorowski n° 1], [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130
D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R.
420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352;
39 N.R. 331; Finlay c. Canada (Ministre des Finances),
[1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321;
[1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C.
(2d) 289; 71 N.R. 338; Energy Probe v. Canada (Attor-
ney General) (1989), 68 O.R. (2d) 449 (C.A.); Moham-
mad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1988), 55 D.L.R. (4th) 321; 21 F.T.R. 240; 91 N.R. 121
(C.A.F.); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême
refusée, [1989] 2 R.C.S. xi; Sethi c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 552;
(1988), 52 D.L.R. (4th) 681; 31 Admin. L.R. 123; 22
F.T.R. 80; 87 N.R. 389 (C.A.); Kindler c. MacDonald,
[1987] 3 C.F. 34; (1987), 41 D.L.R. (4th) 78; 26 Admin.
L.R. (2d) 186; 3 Imm. L.R. (2d) 38; 80 N.R. 388 (C.A.);
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115
D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Operation Dismantle Inc. et
autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441;
(1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13
C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISION INFIRMÉE:
Conseil canadien des églises c. Canada, [1989] 3 C.F.
3 (lrc inst.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1
R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d)
417; 94 N.R. 167; R. v. Wholesale Travel Group Inc.
(1989), 70 O.R. (2d) 545; 63 D.L.R. (4th) 325 (C.A.);
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu-
reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24
D.L.R. (4th) 321; 7 C.P.R. (3d) 145; 19 C.R.R. 233; 12
F.T.R. 81 (1" inst.); confirmé par [1987] 2 C.F. 359;
(1986), 34 D.L.R. (4th) 584; 11 C.I.P.R. 181; 12 C.P.R.
(3d) 385; 27 C.R.R. 286; 78 N.R. 30 (C.A.); autorisation
de pourvoi refusée, [1987] 1 R.C.S. xiv.
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S.
295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3
W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385;
13 C.R.R. 64; 85 C.L.L.C. 14,023; 58 N.R. 81 (C.A.);
Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada (Procu-
reur général), [ 1989] 3 C.F. 684; (1989), 60 D.L.R. (4th)
712; 26 C.P.R. (3d) 440; 28 F.T.R. 160; 99 N.R. 181
(C.A.); New Brunswick Broadcasting Co., Limited c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes, [1984] 2 C.F. 410; 13 D.L.R. (4th) 77; 2
C.P.R. (3d) 433; 12 C.R.R. 249; 55 N.R. 143 (C.A.).
AVOCATS:
Graham R. Garton pour les appelants
(défendeurs).
Barbara Jackman, Marlys Edwardh et
Nancy Goodman pour l'intimé (demandeur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants (défendeurs).
Jackman, Zambelli & Silcoff, Toronto, pour
l'intimé (demandeur).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Cette affaire
porte sur deux questions: celle de savoir si l'intimé
a l'intérêt nécessaire pour intenter cette action en
vue d'obtenir un jugement déclaratoire et celle de
savoir si sa déclaration révèle une cause raisonna-
ble d'action.
L'intimé a été fondé en 1945 et a été constitué
en vertu d'une loi fédérale en 1956. Son but était
de permettre aux diverses Églises canadiennes de
débattre les questions qui les concernaient toutes
et de coordonner leur action. Parmi les Églises
adhérentes, on compte l'Église anglicane du
Canada, le diocèse canadien de l'Église armé-
nienne orthodoxe, la Convention baptiste de l'On-
tario et du Québec, l'Église chrétienne (Disciples
du Christ), l'Eglise copte orthodoxe du Canada,
l'Église éthiopienne orthodoxe du Canada, l'Église
évangélique luthérienne du Canada, le diocèse grec
orthodoxe de Toronto (Canada), l'Eglise presbyté-
rienne du Canada, l'Eglise catholique nationale
polonaise, l'Église réformée—Conseil de l'Église
réformée du Canada, la Convention annuelle cana-
dienne de la Société des Amis, l'Armée du Salut—
Canada et Bermudes et l'Église unie du Canada.
La Conférence des évêques catholiques du Canada
est un membre associé de l'intimé. Les Églises
adhérentes, ainsi que d'autres Églises, désignent
des comités inter-Eglises chargés de remplir des
tâches communes sous la direction et la surveil
lance de l'intimé.
L'un de ces comités, le Comité inter-Églises
pour les réfugiés, a pour mission de coordonner les
politiques et les actions des Églises en ce qui a trait
à la protection et au réétablissement des réfugiés à
l'étranger et au Canada. Les Églises adhérentes et
associées de l'intimé viennent aussi en aide directe-
ment aux réfugiés et aux demandeurs du statut de
réfugié, au pays et à l'étranger.
Le 1°" janvier 1989, d'importantes modifications'
(des modifications» ou «la nouvelle Loi») ont été
' Loi modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et d'autres
lois en conséquence, S.C. 1988, chap. 35 et Loi modifiant la loi
sur l'immigration de 1976 et apportant des modifications
corrélatives au Code criminel, L.C. 1988, chap. 36, maintenant
L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 28 et 29.
apportées à la Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52 2 («l'ancienne Loi»), touchant en
particulier les dispositions relatives à la reconnais
sance du statut de réfugié au sens de la Conven
tion. L'intimé, les Églises adhérentes et le Comité
inter-Églises pour les réfugiés avaient fait des pres-
sions pour que le Parlement repousse les amende-
ments proposés et, le 3 janvier 1989, l'intimé a
déposé une déclaration 3 devant la Section de pre-
mière instance, visant à faire déclarer inconstitu-
tionnelles la plupart des dispositions en vigueur de
la nouvelle Loi, ainsi que plusieurs dispositions de
l'ancienne Loi, parce qu'elles violeraient certaines
dispositions de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44] ] et de la Déclaration cana-
dienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III].
Au total, l'intimé, au moyen de cinquante-trois
allégations distinctes, conteste la validité de qua-
tre-vingt-onze dispositions de la Loi codifiée et
d'une disposition du Règlement sur l'immigration
de 1978 [DORS/78-172], modifié.
Conformément à la Règle 419(1) [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], les appelants
ont demandé à la Section de première instance
[[1989] 3 C.F. 3] d'ordonner la radiation de la
déclaration et de rejeter l'action, pour la raison
que l'intimé n'avait pas l'intérêt nécessaire pour
solliciter un jugement déclarant invalides des
textes de loi et pour la raison que la déclaration ne
révélait aucune cause raisonnable d'action. Le 26
avril 1989, le juge saisi de la requête l'a rejetée et
c'est cette décision qui fait l'objet du présent appel.
Dans sa déclaration, l'intimé a fondé sa
demande de jugement déclaratoire à la fois sur le
paragraphe 24(1) de la Charte et sur le paragra-
phe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
[annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)], mais dans sa plaidoirie orale, il a dit
ne plus invoquer le paragraphe 24(1). Le paragra-
phe 52(1) est ainsi conçu:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit.
2 L'ancienne Loi se trouve dans L.R.C. (1985), chap. 1-2.
3 Celle-ci a reçu quelques modifications de peu d'importance
le 30 mai 1989.
I
Étant donné la portée de l'action visant à l'obten-
tion d'un jugement déclaratoire et l'absence de
tout fondement factuel en pareil cas, il a toujours
été jugé préférable d'en confier l'engagement au
procureur général, en tant que gardien de l'intérêt
public, plutôt qu'aux particuliers. De fait, les par-
ticuliers n'étaient regardés comme revêtus de l'in-
térêt ou de la qualité pour contester la constitu-
tionnalité d'une loi du Parlement que s'ils étaient
directement touchés ou s'ils subissaient un préju-
dice exceptionnel. Il n'en est cependant plus ainsi,
dans l'état actuel du droit. Dans un certain nombre
d'arrêts récents, la Cour suprême du Canada a
exposé les critères régissant désormais la qualité
pour agir dans l'intérêt public et elle a dit claire-
ment que la reconnaissance de cette qualité ressor-
tissait au pouvoir discrétionnaire des tribunaux:
Thorson c. Procureur général du Canada et
autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board
of Cénsors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265;
Ministre de la Justice du Canada et autre c.
Borowski [Borowski n° 1], [1981] 2 R.C.S. 575;
Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986]
2 R.C.S. 607. En particulier, les propos du juge
Martland dans Borowski n° 1, à la page 598,
relatifs aux principes énoncés dans les arrêts
Thorson et McNeil, sont habituellement tenus
pour un exposé complet de l'état actuel du droit:
•
Selon mon interprétation, ces arrêts décident que pour établir
l'intérêt pour agir à titre de demandeur dans une poursuite
visant à déclarer qu'une loi est invalide, si cette question se pose
sérieusement, il suffit qu'une personne démontre qu'elle est
directement- touchée ou qu'elle a, à titre de citoyen, un intérêt
véritable quant à la validité de la loi, et qu'il n'y a pas d'autre
manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la
cour.
Selon cette nouvelle règle, le demandeur doit
démontrer, soit qu'il a un intérêt personnel, soit
qu'il est investi de la qualité pour agir dans l'inté-
rêt public. Dans le second cas, trois critères sont
applicables: premièrement, il doit y avoir un vrai
litige; deuxièmement, le demandeur doit, à titre de
citoyen, avoir un intérêt véritable quant à la vali-
dité de la loi; troisièmement, il ne doit pas y avoir
d'autre manière raisonnable et efficace de soumet-
tre la question à la Cour.
Dans Finlay, le juge Le Dain analyse ces trois
critères par rapport aux considérations de principe
sous-jacentes (aux pages 631 634):
Les préoccupations traditionnelles des juges de ne pas élargir la
qualité pour agir dans l'intérêt public peuvent être résumées
ainsi: la crainte d'une dissipation de ressources judiciaires
limitées et la nécessité d'écarter les troubles-fêtes; la préoccupa-
tion des tribunaux, quand ils statuent sur des points litigieux,
d'entendre les principaux intéressés faire valoir contradictoire-
ment leurs points de vue et la préoccupation relative au rôle
propre des tribunaux et à leur relation constitutionnelle avec les
autres branches du gouvernement. Ces préoccupations trouvent
leur réponse dans les critères d'exercice du pouvoir discrétion-
naire des juges de reconnaître qualité pour demander dans
l'intérêt public un jugement déclaratoire, que les arrêts Thor-
son, McNeil et Borowski exposent ...
La préoccupation relative au rôle propre des tribunaux et à
leur relation constitutionnelle avec les autres branches du gou-
vernement se voit satisfaite par l'exigence de la justiciabilité,
que le juge Laskin a, dans l'arrêt Thorson, dit être primordiale
pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire de recon-
naître ou non qualité pour agir dans l'intérêt public...
La crainte d'une dissipation de ressources judiciaires limitées
et la nécessité d'écarter les troubles-fêtes trouvent leur réponse
dans les exigences imposées par l'arrêt Borowski, qu'il y ait un
vrai litige et qu'un citoyen ait un intérêt véritable dans ce litige.
Je pense que l'intimé satisfait à ces deux exigences. Les points
de droit soulevés à l'égard du prétendu non-respect provincial
des conditions et engagements auxquels les versements fédéraux
au titre du partage des frais sont assujettis par le Régime et à
l'égard du pouvoir conféré par la loi de procéder à ces verse-
ments sont, à mon avis, loin d'être futiles. Ils méritent qu'un
tribunal les examinent. Le statut de personne nécessiteuse de
l'intimé, aux termes du Régime, quand il se plaint de subir un
préjudice à cause de ce prétendu non-respect provincial, démon-
tre qu'il est une personne ayant un intérêt véritable dans ces
points litigieux et non un simple trouble-fête.
La préoccupation d'un tribunal, lorsqu'il statue sur un point
litigieux, d'entendre les principaux intéressés faire valoir con-
tradictoirement leurs points de vue—un facteur particulière-
ment souligné par le juge en chef Laskin dans l'arrêt Borowski
trouve sa réponse dans l'exigence, confirmée dans cet arrêt,
qu'il n'y ait pas d'autre moyen raisonnable et efficace de saisir
un tribunal de la question. Dans les arrêts Thorson, McNeil et
Borowski, il a été jugé que cette exigence se trouvait satisfaite
du fait de la nature de la loi contestée et du fait aussi que IF
procureur général avait refusé d'intenter un recours malgré que
demande en ait été faite. Dans l'arrêt Borowski, les juges de la
majorité et de la minorité n'ont différé d'opinions, essentielle-
ment, selon mon interprétation de leurs motifs, que sur la
question de savoir s'il pouvait exister quelqu'un d'autre, qui ait
un intérêt plus direct que le demandeur, vraisemblablement à
même de contester la loi. En l'espèce présente, il ressort claire-
ment de la nature de la loi en cause qu'il ne peut y avoir
personne d'autre qui ait un intérêt plus direct que le demandeur
pour contester le pouvoir légal de faire les versements fédéraux
au titre du partage des frais.
Je suppose que la préoccupation relative au rôle
propre des tribunaux en matière constitutionnelle
est rarement en litige, pour la raison qu'a donnée
le juge Laskin (tel était alors son titre) dans
Thorson (à la page 151):
La question de la constitutionnalité des lois a toujours été
dans ce pays une question réglable par les voies de justice.
Cette préoccupation était en litige dans Finlay
car il ne s'agissait pas d'une affaire traitant de
constitutionnalité. La question de fond consistait à
décider si les contributions que le Canada conti-
nuait de verser au Manitoba conformément au
Régime d'assistance publique du Canada [S.R.C.
1970, chap. C-1] étaient illégales, parce que la
province aurait enfreint les conditions et engage
ments auxquels le Régime assujettissait ces verse-
ments. Puisqu'elle touchait d'aussi près le domaine
politique, la question a bien sûr été jugée suffi-
sante par la Cour et le juge Le Dain l'a tranchée
de la manière suivante (aux pages 632 et 633):
Cette Cour a statué sur la justiciabilité dans son arrêt Opera
tion Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, où l'on
s'est référé tant aux aspects institutionnels que constitutionnels
de la justiciabilité. Dans cette affaire, la justiciabilité a été
examinée dans le cadre d'une contestation, fondée sur la Charte
canadienne des droits et libertés, de la constitutionnalité d'une
décision de l'exécutif du gouvernement du Canada relevant des
domaines de la politique étrangère et de la défense nationale.
Suivant mon interprétation, les motifs du juge Wilson, auxquels
le juge Dickson (maintenant Juge en chef) a souscrit sur la
question de la justiciabilité, affirment que lorsqu'est en cause
un litige que les tribunaux peuvent trancher, ceux-ci ne
devraient pas refuser de statuer au motif qu'à cause de ses
incidences ou de son contexte politiques, il vaudrait mieux en
laisser l'examen et le règlement au législatif ou à l'exécutif.
Cela, bien entendu, fut dit dans le contexte de l'obligation
judiciaire de statuer en matière constitutionnelle en vertu de la
Charte, mais j'estime que cela s'applique également à un litige
non constitutionnel portant sur les limites d'un pouvoir conféré
par la loi. Il y aura indubitablement des cas où la question du
respect provincial des conditions d'un partage des frais avec le
fédéral soulèvera des points qui ne relèvent pas de la compé-
tence des tribunaux, mais les points litigieux particuliers con-
cernant l'inexécution provinciale que soulève la déclaration de
l'intimé sont des points de droit dont les tribunaux peuvent
manifestement ...
Dans une affaire comme celle qui nous occupe, je
pense qu'il n'y a pas lieu de considérer la question
de la justiciabilité comme distincte et, en outre, le
juge Martland ne la rangé pas parmi les trois
critères applicables à la question de la qualité pour
agir dans l'intérêt public. À mon avis, il est préfé-
rable de regarder la justiciabilité, non pas comme
une question distincte, mais comme une question
sous-jacente aux trois critères, qu'il ne convient
d'examiner explicitement que dans de rares cas;
Les appelants ont allégué qu'en tant qu'associa-
tion personnalisée, l'intimé ne saurait satisfaire
aux deux premiers critères régissant la qualité
pour agir dans l'intérêt public. Je vais étudier cet
argument surtout par rapport au deuxième critère.
Les appelants ont fait valoir à bon droit que les
dispositions constitutionnelles invoquées par l'in-
timé pour demander que la législation soit déclarée
invalide ne s'appliquent pas aux personnes mora-
les. Ce principe a été reconnu par la Cour suprême
au regard du droit «à la vie, à la liberté et à la
sécurité de [la] personne» garanti par l'article 7 de
la Charte: Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur
général), [1989] 1 R.C.S. 927. La protection
prévue au paragraphe 15 (1) de la Charte ne vise
que les personnes physiques («La loi ne fait accep-
tion de personne et s'applique également à tous»),
comme c'est le cas de l'alinéa la) de la Déclara-
tion canadienne des droits (de droit de l'individu à
la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne»), et,
de toute façon, cette Cour a dit que ces deux
dispositions ne visaient pas les personnes morales
Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada
(Procureur général), [1989] 3 C.F. 684 (C.A.);
pour l'une, et New Brunswick Broadcasting Co.,
Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F.
410 (C.A.), pour l'autre. Les appelants ont donc
soutenu que l'intimé, personne morale, ne pouvait
prétendre à la qualité pour agir dans l'intérêt
public.
Il est possible de réunir de bons arguments en
faveur de ce point de vue. L'affaire Irwin Toy
portait sur une action engagée en vue de faire
déclarer ultra vires certaines dispositions de la Loi
sur la protection du consommateur [L.R.Q. 1977,
chap. P-40] québécoise. C'est dans ce contexte que
la Cour suprême a décidé que la demanderesse, en
tant que personne morale, n'avait pas qualité pour
invoquer l'article 7 de la Charte. La Cour n'a
reconnu qu'une seule exception à cette règle d'ex-
clusion: c'est le cas de la personne morale qui fait
elle-même l'objet de poursuites pénales, exemption
qu'elle avait déjà admise dans l'arrêt R. c. Big M
Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295
(C.A.). À ce sujet, le juge d'appel Tarnopolsky a
décidé récemment au nom de la Cour d'appel de
l'Ontario, dans R. v. Wholesale Travel Group Inc.
(1989), 70 O.R. (2d) 545, que [TRADUCTION]
«l'on peut, de toute évidence, semble-t-il, inférer du
rapprochement des arrêts Irwin Toy et Big M
Drug Mart que si une personne morale ne peut pas
faire valoir l'article 7 dans une cause où il s'agit,
par exemple, de faire déclarer une loi invalide, en
revanche elle ne peut pas être mise en accusation
en vertu d'une loi qui viole cet article» [Non
souligné dans le texte original.]
Néanmoins, un doute subsiste. Dans l'arrêt
Irwin Toy, la personne morale était touchée direc-
tement au point d'être frappée de poursuites péna-
les (188 chefs d'accusation pour des infractions
prévues par la Loi), d'une demande d'injonction et
d'une poursuite pour outrage au tribunal, relative-
ment à la même loi. Elle ne sollicitait donc pas la
reconnaissance de la qualité pour agir par
altruisme, pour défendre les soi-disant droits du
public, mais cherchait à protéger ses propres inté-
rêts. Il n'est pas du tout certain que la qualité pour
faire valoir l'article 7 lui aurait été refusée si elle
avait tenté d'arguer de celui-ci au nom du grand
public. Son inhabilité à agir en son propre nom ne
la rend pas inhabile à prêter son assistance à
autrui.
Dans l'arrêt Smith, Kline & French Laborato
ries Limited c. Procureur général du Canada,
[1986] 1 C.F. 274 (i re inst.), à la page 316;
confirmé pour d'autres motifs par [1987] 2 C.F.
359 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée,
C.S.C., le 9 avril 1987 [[1987] 1 R.C.S. xiv], le
juge Strayer, dans une opinion incidente, a semblé
disposé à reconnaître la qualité pour agir à des
sociétés demanderesses, relativement à l'article 15
de la Charte, «lorsqu'il n'existe aucune autre possi-
bilité de contrôle judiciaire».
En outre, la Cour d'appel de l'Ontario, dans
Energy Probe v. Canada (Attorney General)
(1989), 68 O.R. (2d) 449 (C.A.), a accordé à une
association personnalisée dont l'objet est la défense
de l'intérêt public la qualité pour demander que
soient déclarées inconstitutionnelles certaines dis
positions de la Loi sur la responsabilité nucléaire
[L.R.C. (1985), chap. N-28], au motif qu'elles
étaient incompatibles avec les articles 7 et 15 de la
Charte. Il est vrai que le fait qu'onze particuliers
et deux personnes morales avaient retenu les servi
ces du même avocat pour défendre leur cause a pu
influer sur l'issue, et la Cour a dit que ce facteur,
du moins quant à la municipalité, avait pesé dans
sa décision. Néanmoins, cette dernière a adopté
une position libérale relativement à la participation
de l'association personnalisée. Au nom de la cour
d'appel, le juge Carthy a dit ce qui suit (à la
page 467):
[TRADUCTION] Il s'agit de décider ... si un intérêt véritable à
l'égard de la validité de la loi peut être établi. M. Borowski
n'avait pas d'intérêt direct ni d'intérêt éventuel dans la question
de l'avortement, autre qu'à titre de citoyen intéressé à la
constitutionnalité des lois. Sa qualité aurait-elle été examinée
selon d'autres critères s'il s'était appelé «Borowski Inc.», asso
ciation à but non lucratif dont le but est la défense d'idées
touchant la législation relative à l'avortement? Je ne le crois
pas. Au surplus, si la Cour décidait en l'espèce de reconnaître
aux particuliers, mais non aux personnes morales, la qualité
pour agir, cela ne servirait pas le but de l'exception, qui est de
saisir le tribunal des questions importantes, car l'une des parties
au litige serait privée des connaissances spécialisées et des
ressources dont elle a besoin pour bien faire valoir son point de
vue.
Si la municipalité était la seule requérante en l'espèce, il y
aurait lieu de prendre d'autres éléments en considération, sur-
tout quant à la question de savoir s'il y a une manière plus
efficace de soumettre la question à la cour, mais comme toutes
les parties sont représentées par le même avocat, aucun préju-
dice ne peut être causé aux intimés par son inclusion et il
résultera un avantage de la possibilité de recouvrer un montant
plus élevé de dépens. Étant donné les circonstances, je n'établi-
rais pas de distinction entre la municipalité et Energy Probe et,
conformément au principe énoncé dans l'arrêt Borowski pré-
cité, je dirais qu'elles ont toutes deux «à titre de citoyen[s], un
intérêt véritable quant à la validité de la loi».
À tout prendre, je partage son avis. Car, après
tout, la décision relative à l'intérêt pour agir dans
l'intérêt public relève du pouvoir discrétionnaire de
la cour et il me semble qu'il ne devrait donc pas y
avoir de règle absolue d'exclusion. Si l'engagement
d'une action par une personne morale représente le
seul moyen efficace de contrôle judiciaire à l'égard
d'une question, j'estime que déclarer cette action
recevable participe de l'exercice raisonnable du
pouvoir discrétionnaire. Peut-être y aurait-il lieu,
comme il sé peut que le juge Strayer ait voulu le
laisser entendre, de ne tenir compte que du troi-
sième critère. Mais il ne faut pas l'exclure de
manière absolue.
En l'espèce, l'intimé n'est peut-être pas une
«association personnalisée qui a pour objet la
défense de l'intérêt public» comme l'association
demanderesse dans Energy Probe, mais il ne me
semble pas permis de douter que, par rapport à la
loi en cause, le mobile de son action était lié à
l'intérêt public, découlant d'un profond souci pour
le bien public. Comme même les appelants l'ont
reconnu dans leur mémoire (paragraphe 28),
[TRADUCTION] «l'intimé a de manière générale
manifesté à l'endroit des personnes qui revendi-
quent le statut de réfugié le même «intérêt» que le
demandeur dans l'affaire Borowski à l'égard des
droits du foetus». Selon moi, il faudrait conclure
que l'intimé a satisfait au deuxième critère, savoir
qu'il a «à titre de citoyen, un intérêt véritable
quant à la validité de la loi».
Pour ce qui est du premier critère, «la question
sérieuse», plusieurs des précédents ont indiqué qu'il
chevauchait en partie la question plus large de la
cause raisonnable d'action. Dans le cas qui nous
occupe, il me semble qu'en raison de son étendue,
l'action soulève à première vue une question
sérieuse, mais il restera à examiner la déclaration
sous ce rapport. Pour l'instant du moins, je suis
disposé à passer au troisième critère, que j'estime
être le point crucial.
Il ressort nettement des quatre arrêts de la Cour
suprême relatifs à la qualité pour agir, que la
nature et la portée de la loi en cause sont des
éléments fondamentaux. Dans Thorson, la Cour a
jugé que la Loi sur les langues officielles [S.R.C.
1970, chap. O-2] «n'est pas une loi de réglementa-
tion» mais qu'elle est «à la fois déclaratoire et
exécutoire» (à la page 151). Elle ne crée aucune
infraction et n'impose aucune peine. Aucun devoir
n'est imposé au public, bien qu'on puisse dire que
la fonction publique est touchée, indirectement,
semble-t-il, car c'est elle qui doit fournir des servi
ces dans les deux langues officielles. Ces considé-
rations amènent le juge Laskin (tel était alors son
titre) à conclure, à la page 161, que:
... lorsque tous ceux qui font partie du public sont visés
également, comme dans la présente affaire, et qu'une question
réglable par les voies de justice est posée relativement à la
validité d'une loi, la Cour doit être capable de dire que, entre le
parti d'accueillir une action de contribuables et celui de nier
toute qualité lorsque le procureur général refuse d'agir, elle
peut choisir d'entendre l'affaire au fond.
Après avoir examiné la loi, les juges ont décidé à la
majorité que sa constitutionnalité ne pourrait
jamais être contestée si aucun contribuable n'avait
qualité pour la contester.
Dans l'affaire McNeil, un groupe, composé des
distributeurs de films, des propriétaires de lieux de
spectacles, des opérateurs de cinématographes et
des apprentis, était directement régi par la Thea-
tres and Amusements Act [R.S.N.S. 1967, chap.
304] de la Nouvelle-Écosse. Mais le public était
aussi visé car la loi déterminait ce qu'il pouvait
voir dans les salles. Le juge en chef Laskin a ainsi
résumé le litige (à la page 271):
[A]u système de réglementation applicable à un groupe d'ex-
ploitants de lieux de spectacles et de distributeurs de films vient
s'ajouter, au premier plan, le pouvoir apparemment illimité de
la commission de décider ce que le public peut voir dans les
lieux de spectacles ou autres divertissements.
Étant donné que la question de la validité n'a pas à être
décidée en l'espèce et qu'en fait elle n'a même pas été soulevée
à l'égard de la qualité pour agir, je me limiterai donc à conclure
qu'aux termes de la loi contestée, les citoyens de la Nouvelle-
Ecosse ont des motifs raisonnables de se déclarer directement
touchés par ce qu'on peut leur présenter dans un lieu de
spectacle dans leur province, bien que les entreprises régies par
la loi soient visées plus directement. La loi contestée ne me
semble pas viser uniquement les exploitants de salles et les
distributeurs de films. Elle touche aussi à l'un des droits les plus
fondamentaux du public.
Puisqu'il ne semble y avoir pratiquement aucun autre moyen
de soumettre la loi contestée à l'examen judiciaire, cela suffit, à
mon avis, à appuyer la demande de l'intimé à savoir que la
Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en sa faveur et lui
reconnaisse la qualité pour agir. [Non souligné dans le texte
original.]
Encore une fois, c'est à la suite de l'analyse de
l'effet de la Loi sur la société, que la Cour a conclu
qu'il n'y avait «pratiquement aucun autre moyen»
de réellement contester la Loi.
Dans l'arrêt Borowski, les juges de la majorité
et de la minorité sont tombés d'accord sur les
principes et n'ont divergé d'opinions qu'en ce qui
concerne la question de savoir qui d'autre pourrait
réellement contester les dispositions du Code cri-
minel relatives à l'avortement. Le juge en chef
Laskin, dissident cette fois-ci, a dit ce qui suit (aux
pages 584 et 585):
Puisque les arrêts Thorson et McNeil ne sont pas, à strictement
parler, applicables en raison de la nature des lois en cause, la
seule question qui subsiste est de savoir si la présente affaire
autorise la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire et à
reconnaître la qualité pour agir. La raison qui m'incite à
distinguer le contexte législatif est qu'il y a en l'espèce des
personnes que l'application des par. 251(4), (5) et (6) intéresse
et qui peuvent les contester en invoquant une violation à la
Déclaration canadienne des droits. Je parle des médecins et des
hôpitaux, dont l'intérêt à l'application des par. 251(4), (5) et
(6) est plus évident que celui du demandeur. L'époux, qui peut
s'opposer à ce que sa femme enceinte cherche à obtenir un
avortement thérapeutique, a aussi un intérêt plus évident. Dans
son cas, il peut se poser un dilemme, étant donné l'avancement
inexorable de la grossesse. Bref, même si on satisfait aux
exigences prévues par la loi pour un avortement thérapeutique,
il peut être difficile d'entreprendre et de compléter les procédu-
res judiciaires en vue d'obtenir une décision sur la compatibilité
des par. 251(4), (5) et (6) avec la Déclaration canadienne des
droits avant que ne survienne l'avortement ou l'accouchement,
selon le cas. En principe, cependant, cela ne devrait pas être un
empêchement, la question aura été décidée à la demande d'une
personne ayant un intérêt, et non à la demande d'une personne
qui n'a aucun autre intérêt que celui de citoyen et de
contribuable.
Le juge en chef a tenu compte d'une autre
considération (à la page 587):
En dépit du fait qu'elle soulève une question hautement
controversée, la présente affaire n'a pas de caractère concret.
En outre, il m'apparaît qu'on viderait difficilement la question
en permettant de la porter devant les tribunaux d'une manière
abstraite comme ce serait le cas si le demandeur seul affrontait
deux ministres de la Couronne, même en l'absence d'interve-
nants qui pourraient, avec une hantise égale dans le sens
opposé, plaider en faveur de l'application des dispositions con-
testées. Même si on accepte, comme cela est probable, qu'en
reconnaissant au demandeur la qualité pour agir, d'autres
personnes ayant une opinion contraire peuvent chercher à
intervenir et seraient autorisées à le faire, cela aurait pour
résultat de déclencher une bataille entre des parties qui n'ont
pas un intérêt direct, et de livrer cette bataille devant les
tribunaux.
Au nom de la majorité, le juge Martland a
qualifié la loi différemment (aux pages 596
et 597):
La loi contestée en l'espèce n'est ni déclaratoire ni exécutoire
comme l'est la Loi sur les langues officielles, et elle n'est pas
non plus une loi de réglementation comme l'est la Theatres and
Amusements Act. Elle est de nature justificative. Elle permet,
dans certaines circonstances précises, d'accomplir des actes qui
seraient par ailleurs de nature criminelle. Elle n'impose pas
d'obligations, mais elle prévoit plutôt une exception à la respon-
sabilité pénale. De ce fait, il est difficile de trouver une
catégorie de personnes directement touchées ou qui subissent
un préjudice exceptionnel et qui aient un motif de contester la
loi.
Les médecins qui provoquent des avortements thérapeutiques
sont protégés par la loi et n'auraient pas de motif de la
contester. Les médecins qui n'accomplissent pas d'avortements
thérapeutiques n'ont pas d'intérêt direct à protéger en l'atta-
quant et, par conséquent, une contestation de la part d'un
médecin de ce groupe ne serait pas différente de celle de tout
autre citoyen concerné. La même chose s'applique aux hôpi-
taux. Un hôpital qui nomme un comité de l'avortement théra-
peutique n'a pas de motif de contester la loi. Un hôpital qui ne
nomme pas de comité n'a pas de motif de le faire.
Aucun motif ne justifie une femme enceinte désireuse d'obte-
nir un avortement de contester la loi qui lui permet de l'obtenir.
L'époux qui souhaite empêcher un avortement que sa femme
enceinte veut obtenir peut être touché directement par la loi en
question en ce sens que, à cause de la loi, elle pourrait obtenir
un certificat permettant l'avortement si la continuation de sa
grossesse met vraisemblablement sa vie ou sa santé en danger,
et empêcher ainsi que l'avortement soit un crime. Cependant, la
possibilité que l'époux intente des procédures pour contester la
loi est illusoire. L'avancement de la grossesse ne s'accommode-
rait pas des longs délais inévitables qu'exigent les procédures
judiciaires jusqu'au jugement définitif. L'avortement aurait été
pratiqué ou l'enfant serait né longtemps avant que l'instance
soit décidée en dernier ressort, peut-être devant cette Cour.
La loi que l'on veut contester vise directement les foetus
humains dont la gestation est arrêtée par des avortements
légalisés. Il est évident qu'ils ne peuvent être parties aux
procédures judiciaires, et pourtant la question, quant à la
portée de la Déclaration canadienne des droits sur la protection
du droit à la vie, est d'une importance considérable. Il n'y a pas
de façon raisonnable de soumettre la question à la cour à moins
qu'un citoyen intéressé n'intente des procédures.
Le juge Martland a répété sa conclusion en termes
un peu différents (à la page 598):
En l'espace, il n'y a pas de personnes directement touchées qui
puissent réellement contester la loi.
Le critère retenu par la majorité est bien sûr le
troisième que le juge Martland a énoncé et qui est
reproduit au début de cette section: «il n'y a pas
d'autre manière raisonnable et efficace de soumet-
tre la question à la cour».
Dans l'arrêt Finlay, où la question de fond
sous-jacente tournait autour des accords fédéro-
provinciaux de partage des frais et où le deman-
deur était une personne nécessiteuse au sens du
Régime d'assistance publique du Canada dont la
seule source de revenu était la prestation sociale
versée par la province (intérêt qui, d'après la cour,
ne constituait pas un intérêt personnel), la Cour
(s'exprimant par l'entremise du juge Le Dain) a
conclu de nouveau (aux pages 633 et 634):
En l'espèce présente, il ressort clairement de la nature de la loi
en cause qu'il ne peut y avoir personne d'autre qui ait un intérêt
plus direct que le demandeur pour contester le pouvoir légal de
faire les versements fédéraux au titre du partage des frais.
Le critère appliqué dans toutes ces décisions est
très limité. La qualité pour agir dans l'intérêt
public n'est reconnue que dans le cas où il n'y
aurait aucun groupe directement touché qui puisse
contester lui-même la loi (Thorson, Finlay) ou
dans le cas où, bien qu'un tel groupe existe, l'on
estimerait qu'aucun membre du groupe n'est sus
ceptible de la contester (Borowski). L'affaire
McNeil s'apparente peut-être davantage aux arrêts
Thorson et Finlay: le groupe qui est touché direc-
tement ne l'est pas quant à la question plus large
du bien public, c'est-à-dire de la censure cinémato-
graphique; en matière de censure, il n'y a pas
vraiment de groupe touché, ou plutôt, chacun est
également touché.
Dans l'affaire Energy Probe, la décision de la
Cour d'appel de l'Ontario va peut-être au-delà de
l'arrêt de la Cour suprême. Il y avait un groupe
touché, savoir les victimes d'un accident nucléaire
dont les demandes seraient limitées par des clauses
restrictives, des délais de prescription et des forma-
lités procédurales. Mais selon toute probabilité, ce
groupe n'aurait d'existence, si tant est qu'il en ait
jamais, que dans un avenir indéterminé. En atten
dant, un danger existait, celui du recours accru à
l'énergie nucléaire et du risque inhérent, et par
rapport à ce danger, il n'y avait pas de groupe
touché (aux pages 468 et 469):
[TRADUCTION] Dans le cas qui nous intéresse, il y a des
allégations de fait très précises et l'on allègue précisément qu'il
existe actuellement une menace à la sécurité de chacun. Quoi-
que le contexte des allégations, sous les rubriques b), c) et d),
concerne des limites relatives au montant des dommages-inté-
rêts, ainsi que des délais de prescription, qui ne sauraient être
applicables que dans l'avenir, on allègue que ces dispositions
ont pour effet de créer un préjudice actuel—plus de centrales
nucléaires et plus de risques. Une fois ce fait admis, il est facile
de conclure «qu'il n'y a pas d'autre manière raisonnable et
efficace de soumettre la question à la cour».
Quand je vois des gens sérieux, comme les appelants en l'es-
pèce, nous faire part de sujets d'inquiétude importants pour
tous leurs concitoyens, je n'hésite pas à conclure qu'il ne s'agit
pas là d'un abus de l'exception touchant l'intérêt public, mais
que leur action tend à très bien la servir. S'il était fait droit à
l'action et qu'une partie de la Loi fût déclarée inopérante, cette
déclaration aurait pour avantage immédiat de forcer l'industrie
et le Parlement à réévaluer dans le contexte des droits que le
tribunal a reconnus les risques et les avantages en matière
d'énergie nucléaire, ainsi que les autres solutions possibles sur
le plan énergétique.
Si on l'examine de près, la décision Energy Probe
se révèle analogue à l'arrêt McNeil: il n'y a pas de
groupe spécialement touché au regard de la ques
tion principale relative à l'intérêt public.
Les principes semblent donc clairs., pour statuer
en l'espèce sur l'opportunité de reconnaître la qua-
lité pour agir dans l'intérêt public, il sera néces-
saire d'étudier attentivement la loi en cause.
II
La nouvelle Loi renferme une définition légère-
ment différente du terme «réfugié au sens de la
Convention»; la Loi énonce une nouvelle procédure
de détermination des revendications du statut de
réfugié au sens de la Convention; en outre, aux
termes de cette Loi, est constituée, pour détermi-
ner les revendications, une nouvelle Commission de
l'immigration et du statut de réfugié, formée de
deux sections: la Section du statut de réfugié et la
Section d'appel.
Outre les demandeurs de statut, les autres per-
sonnes qui sont susceptibles d'être touchées sont
les citoyens canadiens et les résidents qui s'expo-
sent à des poursuites en prêtant leur assistance à
des demandeurs de statut. Pourraient figurer
parmi ce groupe des fidèles ainsi que des membres
du barreau. Toutefois, même ces autres personnes
seraient touchées en raison de leurs liens avec des
demandeurs de statut et, de toute évidence, ces
derniers forment le groupe qui est essentiellement
touché par la loi.
Les appelants ont soutenu que la nouvelle Loi
est à l'évidence une loi de réglementation qui aura
certainement pour effet de susciter des litiges à
profusion. En réalité, la Cour doit admettre d'of-
fice qu'à l'heure actuelle de tels litiges sont déjà
soumis à l'examen judiciaire.
L'intimé n'a pas nié que la Loi soit une loi de
réglementation, mais il a affirmé que la Cour
suprême dans l'arrêt McNeil a reconnu à une
personne la qualité pour contester la loi même
lorsque d'autres étaient plus directement touchées
par une loi de nature réglementaire. Cet argument
ne peut cependant pas être retenu, excepté dans le
cas particulier dont nous avons déjà discuté, savoir
quand les autres personnes directement touchées
n'étaient pas touchées relativement à l'intérêt
public au sens large. En l'espèce, l'intérêt public au
sens large que défend l'intimé, soit l'intérêt des
demandeurs de statut, est précisément celui que
fait lui-même valoir le groupe directement touché.
Le juge saisi de la requête a appliqué le troi-
sième critère régissant la qualité pour agir dans
l'intérêt public, de la manière suivante (aux
pages 11à13):
Finalement, je suis convaincu qu'il n'existe aucune manière
raisonnable, efficace ou pratique pour la catégorie de personnes
qui sont plus directement touchées par ... les questions ...
soulevées dans la déclaration de la demanderesse. Ces nouvelles
mesures législatives ont incontestablement accéléré la procé-
dure applicable aux personnes qui revendiquent le statut de
réfugié au Canada. Ces revendicateurs sont susceptibles d'être
renvoyés dans les soixante-douze heures. Dans cette courte
période de temps, le requérant doit consulter un avocat, ce qui
en soi peut prendre passablement de temps en raison des
barrières linguistiques et de la difficulté pour l'avocat d'établir
une bonne relation professionnelle avec une personne qui, dans
certains cas, peut provenir d'un pays où les droits de la per-
sonne ont été méconnus ou qui, comme on peut s'y attendre, a
besoin de beaucoup de temps pour accorder sa confiance à une
personne en autorité.
Même en acceptant la prétention des défendeurs suivant
laquelle un réfugié qui a fait l'objet d'une mesure de renvoi
peut demander une suspension ou une injonction à la Cour
fédérale pour contester la mesure de renvoi, cette demande
d'injonction ne peut être examinée par la Cour avant qu'au
moins dix jours se soient écoulés depuis la date du dépôt des
pièces du requérant. Par conséquent, le réfugié aura déjà subi
un préjudice et toute réparation qu'accordera la Cour pourra
être illusoire, compte tenu du fait que le réfugié relèvera de la
compétence d'un autre État.
À mon avis, la présente affaire s'apparente beaucoup à la
situation qui existait dans l'arrêt Borowski. Certes, il y avait
des personnes qui étaient plus directement touchées par les
dispositions législatives relatives à l'avortement que M.
Borowski lui-même. Dans sa décision, le juge Martland se sert
de l'exemple du mari d'une épouse enceinte qui désire empêcher
un avortement. [Le juge saisi de la requête cite alors les propos
du juge Martland dans Borowski.]
À mon avis, la demanderesse à l'instance répond à ce critère
et la Cour lui reconnaît par les présentes la qualité pour
poursuivre son action.
Comme le juge saisi de la requête, l'intimé
s'appuie sur l'arrêt Borowski pour soutenir que la
qualité pour agir dans l'intérêt public peut être
reconnue même si quelqu'un d'autre a un intérêt
plus direct. Cette proposition ne peut cependant
être valable que si la Cour, comme dans Borowski,
estime qu'il est peu probable que le groupe touché
plus directement conteste la loi, tandis qu'en l'es-
pèce, la Cour doit admettre d'office le fait que de
telles contestations se produisent chaque jour.
La solution retenue par le juge saisi de la
requête pose un problème fondamental: il a exa-
miné la déclaration dans son ensemble au lieu
d'étudier chacune des allégations séparément.
Cette méthode ne serait justifiée, d'après moi, que
dans le cas où la déclaration ferait valoir des
causes d'action étroitement reliées.
Or en l'espèce, l'intimé a insisté dans la déclara-
tion même pour que la loi dans son intégralité soit
examinée, parce qu'elle serait [TRADUCTION]
«entachée d'un vice fondamental du point de vue
constitutionnel». Cet argument, je le répète, ne
peut en soi fonder la qualité pour agir, à moins
qu'il ne soit peu probable que les questions puis-
sent autrement être soumises à l'examen judiciaire.
Mais au cours de sa plaidoirie orale, l'intimé a
présenté son argument sous une forme qui le rend
plus défendable: sa déclaration constituerait une
attaque intimement intégrée contre la loi, qu'au-
cune des parties directement touchées ne serait en
mesure de monter, surtout du fait qu'il peut procé-
der par voie d'action, plutôt que par voie de révi-
sion administrative, et qu'il peut ainsi fonder sa
contestation intégrée sur des faits.
Cette assertion nécessite l'examen de la déclara-
tion elle-même.
III
En fait, il n'est pas nécessaire de faire un examen
minutieux de la déclaration pour en conclure
qu'elle ne saurait constituer une attaque intégrée
contre la loi. Non seulement elle ne met en évi-
dence aucun principe véritable d'intégration, mais
encore nombre des allégations sont sans fonde-
ment.
Tout d'abord, le jugement déclaratoire que cher-
che à obtenir l'intimé dans l'intérêt public revêt, et
doit revêtir, un caractère général, c'est-à-dire
porter qu'une disposition est inconstitutionnelle
dans la mesure où elle vise tous les demandeurs du
statut de réfugié, ou du moins tous ceux à qui elle
est susceptible de s'appliquer. Une cause qui ne
concerne qu'une situation hypothétique ou des cir-
constances particulières pourrait bien être soutena-
ble, pour ce qui est du demandeur personnellement
touché dans ces circonstances, mais elle ne saurait
reposer sur la qualité pour agir dans l'intérêt
public. Ensuite, la violation reprochée doit procé-
der d'une atteinte à la Constitution elle-même, et
non pas à la Déclaration canadienne des droits ou
à de soi-disant normes internationales, car c'est ce
que prescrit l'article 52. Je radierais donc toutes
les allégations fondées sur la Déclaration cana-
dienne des droits ou sur des normes internationa-
les.
De façon plus précise, l'intimé a fait valoir ce
qui suit, à l'alinéa 3d) de la déclaration:
[TRADUCTION] 3. ...
d) L'article 18, savoir les paragraphes 71(4) et (5) de la Loi
modifiant la Loi sur l'immigration, 1988, chap. 35, ne
garantit pas à la personne de moins de dix-huit ans ou qui est
incapable de comprendre la nature de la procédure le droit à
l'assistance d'un avocat, parce qu'il n'exige pas la désignation
d'un tuteur et qu'il autorise la section du statut à désigner
une personne, aux frais de la Commission, pour représenter
un mineur ou un incapable, au cours de la procédure devant
la section, sans que cette personne ait nécessairement reçu la
formation juridique et ait l'expérience suffisante en matière
d'immigration et de reconnaissance du statut de réfugié.
Toutefois, cette affirmation traduit une méprise
totale au sujet des paragraphes 69(4) et (5) de la
Loi [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28,
art. 18]. Ces dispositions garantissent la désigna-
tion d'un «tuteur ad litem» dans le cas où l'inté-
ressé n'a pas dix-huit ans ou n'est pas en mesure de
comprendre la nature de la procédure en cause. La
désignation de ce représentant complète le droit à
l'assistance d'un avocat qui est prévu au paragra-
phe 69(1) [mod. idem] de la Loi, il n'y porte pas
atteinte. Cette attaque est donc absolument dénuée
de fondement.
Deuxièmement, l'intimé a prétendu ce qui suit, à
l'alinéa Sb) de la déclaration:
[TRADUCTION] 5. ...
b) L'article 14, savoir les paragraphes 47(1), 48(1), 48.01(2)
et 48.01(6) et les articles 48.02 et 48.03 de la Loi modifiant
la Loi sur l'immigration, 1988, chap. 35, dispose qu'un
arbitre nommé aux termes de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique et de la Loi sur l'immigration de 1976
rend la décision et préside l'enquête ou l'audience relative à
la revendication du statut de réfugié et qu'il est l'une des
deux personnes habilitées par la Loi à décider si la demande
de protection présentée au Canada par un réfugié est receva-
ble par la section du statut de la Commission de l'immigra-
tion et du statut de réfugié. L'arbitre n'est pas indépendant et
impartial, ce qui prive le réfugié du droit à une audience
équitable conformément aux principes de justice fondamen-
tale ...
Cet argument a cependant déjà été rejeté par cette
Cour dans Mohammad c. Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration (1988), 55 D.L.R. (4th) 321;
autorisation de pourvoi devant la Cour suprême
refusée le 27 avril 1989 [[1989] 2 R.C.S. xi]. Cette
Cour ne peut pas raisonnablement être priée de
réouvrir la question de l'indépendance des arbitres
un peu plus d'un an après qu'elle s'est prononcée
sur celle-ci.
Troisièmement, l'intimé a avancé l'argument qui
suit, à l'alinéa 5c) de la déclaration:
[TRADUCTION] 5. ...
c) L'article 14, savoir le paragraphe 48(1) et les articles
48.01, 48.02 et 48.03 de la Loi modifiant la Loi sur l'immi-
gration, 1988, chap. 35, porte que le membre de la section du
statut nommé aux termes de la Loi sur l'immigration de
1976 est l'une des deux personnes habilitées par la Loi à
décider si la demande de protection présentée au Canada par
un réfugié est recevable par la section du statut de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le
membre de la section du statut n'est pas indépendant et
impartial, car il ne jouit pas de l'inamovibilité, aux termes
des paragraphes 63(1) et (2) de ladite loi, et la reconduction
ou la continuation de son mandat dépendent de la volonté du
gouverneur en conseil, ce qui prive le réfugié du droit à une
audience équitable conformément aux principes de justice
fondamentale. À l'heure actuelle, les membres de la section
du statut ont un mandat d'une durée d'un an à cinq ans.
Pour l'essentiel, l'intimé fait valoir le même argu
ment à l'alinéa 11a). À mon avis, cette question a
déjà été réglée dans la décision Sethi c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988]
2 C.F. 552 (C.A.).
Quatrièmement, l'intimé affirme ceci, à l'alinéa
5f) de la déclaration:
[TRADUCTION] 5. ...
f) L'article 14, savoir le paragraphe 48.01(7) de la Loi
modifiant la Loi sur l'immigration, 1988, chap. 35, investit
le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, qui remplit le
rôle de poursuivant au stade de l'audience ou de l'enquête
initiale, du droit de déterminer au cours de cette même
audience ou enquête si la revendication du demandeur a un
minimum de fondement (ce pouvoir est, à l'heure actuelle,
délégué à l'agent chargé de présenter le cas, qui exerce la
fonction de poursuivant dans la procédure en cause). Le
ministre et son représentant sont donc habilités à rendre une
décision et ils ne donnent pas au réfugié la possibilité de se
faire entendre avant l'exercice de ce pouvoir. Le réfugié est
ainsi privé du droit à une audience devant une personne
indépendante et impartiale, si le ministre est d'avis que sa
revendication n'a pas un minimum de fondement.
La Cour a statué sur une question semblable dans
Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.);
où elle a décidé qu'une disposition qui, essentielle-
ment, favorise un immigrant et ne le lèse pas ne
saurait porter atteinte à l'équité.
Ces exemples, me semble-t-il, montrent bien que
la déclaration, loin de former une argumentation
serrée et solide, ne représente qu'un vague ramas-
sis d'assertions variées, dont un bon nombre sont
dénuées de fondement.
Au surplus, la partie de l'allégation relative aux
sanctions pénales frappant les personnes qui appor-
tent leur aide à des réfugiés pour des raisons
d'ordre humanitaire (le paragraphe 15, en général,
sauf peut-être l'alinéa 15b), auquel je reviendrai)
soulève des questions que peuvent, et que feront,
valoir tous les résidents au Canada qui seront un
jour ou l'autre inculpés des infractions prévues
dans ces dispositions de la Loi.
En dernier lieu, d'autres parties de la déclara-
tion (notamment les alinéas 6c) et 7a)) sont, au
mieux, prématurées, parce qu'elles contestent les
mesures que le gouvernement peut prendre par
règlement conformément à l'alinéa 114(1)r) de la
Loi mais au sujet desquelles aucun règlement n'a
encore été pris et aucun contexte n'est donc fourni
pour l'examen de questions de constitutionnalité.
À tout prendre, je ne peux que conclure que le
juge saisi de la requête a commis une erreur en
décidant qu'il y a lieu de reconnaître à l'intimé la
qualité pour faire valoir les allégations contenues
dans la déclaration, prise dans son ensemble.
Néanmoins, vu l'alinéa 52b)(i) de la Loi sur la
Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], qui
confère à cette Cour le pouvoir de rendre le juge-
ment que la Section de première instance aurait dû
rendre, il faut se demander si l'intimé devrait se
voir reconnaître la qualité pour agir quant à certai-
nes allégations de la déclaration et, dans l'affirma-
tive, si celles-ci soulèvent une cause raisonnable
d'action.
Relativement à cette dernière question, il est
bien établi qu'il ne suffit pas d'invoquer la Charte
pour que soit soulevée d'office une question suscep
tible d'être réglée par voie de justice. Les principes
de droit applicables ont été exposés par la Cour
suprême dans plusieurs arrêts récents. Dans Pro-
cureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, la page
740, le juge Estey a dit qu'un tribunal doit radier
une déclaration «seulement dans les cas évidents et
lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas "au-
delà de tout doute".» La partie qui demande la
radiation a la charge de la preuve. Dans Operation
Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 449 et 450, le juge
en chef Dickson a souscrit aux propos du juge
Wilson dans la même affaire (aux pages 486
et 487):
Le droit donc paraît clair. Les faits articulés doivent être
considérés comme démontrés. Alors, la question est de savoir
s'ils révèlent une cause raisonnable d'action, c.-à-d. une cause
d'action «qui a quelques chances de succès» (Drummond -Jack-
son v. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094) ou,
comme dit le juge Le Dain dans l'arrêt Dowson c. Gouverne-
ment du Canada (1981), 37 N.R. 127 (C.A.F.), à la p. 138,
est-il «évident et manifeste que l'action ne saurait aboutir»?
Après avoir appliqué ce principe aux allégations
de la déclaration à l'égard desquelles la qualité
pour agir a été reconnue, je suis d'avis que des
allégations qui dépendent d'un règlement qui n'a
pas encore été pris, en application de l'alinéa
114(1)r) de la Loi, et qui ne le sera peut-être
jamais, sont spéculatives au point de ne pas être
raisonnables. Pareilles allégations ne révèlent pas,
à mon sens, une cause d'action qui a la moindre
chance de succès, mais sont, au mieux, prématu-
rées.
IV
Selon l'allégation énoncée au paragraphe 3, certai-
nes dispositions de la Loi contreviendraient à l'ar-
ticle 7 et à l'alinéa 10b) de la Charte en limitant le
droit d'une personne à l'assistance d'un avocat, ou
en l'en privant. En règle générale, il se peut qu'il
soit difficile pour les personnes touchées de mettre
en doute la constitutionnalité de restrictions appor-
tées au droit à l'assistance d'un avocat, aussi con-
vient-il de reconnaître au demandeur la qualité
pour agir dans l'intérêt public. Toutefois, les ali-
néas 3b) et 3c) sont fondés sur une interprétation
déraisonnable de la loi et l'alinéa 3a) ne soulève
pas une question visée par l'article 52.
Il ne reste donc qu'à examiner l'alinéa 3c).
L'intimé y conteste la validité du paragraphe 30(3)
[mod. par L.R.C. (1985) (4» suppl.), chap. 28, art.
9] de la Loi relatif à la mise à disposition d'un
avocat qui soit en mesure de recevoir des instruc
tions dans les vingt-quatre heures suivant la prise
d'une mesure de renvoi. Étant donné le peu de
temps accordé pour consulter un avocat, un réfugié
pourrait avoir de la difficulté à contester efficace-
ment le délai qui lui est imparti. Il n'est pas non
plus évident que la question ne puisse pas faire
l'objet d'un argument défendable. Je permettrais
que l'action se poursuive pour ce qui est de la
contestation fondée sur l'article 7, mais non quant
à celle fondée sur l'alinéa 10b), parce qu'une telle
transgression concernerait les personnes placées
sous garde, et non pas tous les demandeurs de
statut.
Il est allégué au paragraphe 4 que certaines
dispositions de la Loi violeraient les articles 7, 9 et
12 de la Charte, parce qu'aux termes de celles-ci,
certaines catégories de personnes seraient l'objet
de peines et de traitements cruels et inusités et
pourraient être mises en détention obligatoire de
façon arbitraire. Ces catégories de personnes pour-
raient soumettre elles-mêmes efficacement des
questions appropriées à l'appréciation du tribunal.
Par surcroît, les personnes touchées par les disposi
tions contestées ne sont pas des réfugiés mais sont
plutôt des personnes qui ont été déclarées coupa-
bles d'actes criminels ou qui prônent la subversion,
soit des catégories à l'égard desquelles l'intimé n'a
pas, à l'alinéa 2b), invoqué la qualité pour agir
dans l'intérêt public.
Au paragraphe 5, l'intimé allègue que certaines
dispositions de la Loi contreviennent à l'article 7
de la Charte parce qu'elles ne portent pas que la
revendication du statut de réfugié doit faire l'objet
d'une audience équitable conformément aux prin-
cipes de justice fondamentale. Les demandeurs de
statut pourraient facilement faire valoir eux-
mêmes ces allégations.
D'après l'allégation formulée au paragraphe 6,
certaines dispositions contreviendraient à l'article
7 de la Charte parce qu'elles ne protègent pas
véritablement le droit du réfugié à la vie, à la
liberté et à la sécurité de sa personne, en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Ces dispositions excluraient certains demandeurs
du processus de détermination des revendications
du statut de réfugié, soit temporairement (6a)),
soit à titre définitif (6b) - f)).
Justement à cause du fait que ces demandeurs
n'auraient pas accès au processus de détermination
des revendications du statut et qu'ils pourraient
facilement être renvoyés sans avoir véritablement
la possibilité de contester la Loi, il me semble qu'il
n'y aurait pas «d'autre manière raisonnable et
efficace» de soumettre ces questions à l'examen
judiciaire que de reconnaître à l'intimé la qualité
pour contester les dispositions législatives pertinen-
tes dans cette action en jugement déclaratoire.
Toutefois, les allégations exposées aux alinéas
6b) et c) sont tout à fait spéculatives, car elles
dépendent de la promulgation, sous le régime de
l'alinéa 114(1)a) de la Loi, d'un règlement qui
limiterait les revendications du statut de réfugié en
fonction de facteurs géographiques.
Les allégations formulées aux alinéas 6d) à J)
dépendent toutes de l'existence de circonstances
particulières qui ne pourraient être prises en consi-
dération dans une action visant à obtenir une
déclaration générale conformément à l'article 52.
Au paragraphe 6, il ne reste donc que l'alinéa
a). On y fait d'abord mention du paragraphe 43(4)
de la Loi [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.),
chap. 28, art. 14], qui permet d'ordonner au
demandeur qui réside ou séjourne aux États-Unis
de retourner aux États-Unis en attendant qu'un
membre de la Section du statut soit disponible et
puisse participer à l'enquête. À mon avis, il serait
difficile pour les demandeurs de contester cette
disposition au moment où ils quittent le pays et il
conviendrait de reconnaître à cet égard la qualité
pour agir dans l'intérêt public. L'alinéa 6a) com-
porte aussi une allégation semblable relativement
aux paragraphes 20(2) et 23(5), qui prévoient le
cas où il n'est pas possible pour l'agent en cause
d'en référer soit à l'agent principal, soit à l'arbitre.
Ces dispositions ne s'appliquent pas seulement aux
demandeurs de statut, mais elles visent tous les
demandeurs qui doivent attendre qu'un agent prin
cipal examine leur cas ou qu'un arbitre puisse
mener l'enquête. Encore une fois, il serait opportun
de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt
public à cet égard. Il y aurait lieu, de permettre
également la poursuite de la contestation de l'ali-
néa 85(1)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.),
chap. 28, art. 20] de la Loi, puisqu'elle se rattache
aux paragraphes 43(4), 20(2) et 23(5). Je conclus
en outre à l'existence de causes d'action défenda-
bles.
Au paragraphe 7, l'intimé prétend que certaines
dispositions contreviennent à l'article 15 de la
Charte, parce qu'elles ne garantissent pas que
toutes les personnes qui demandent la reconnais
sance du statut de réfugié au sens de la Convention
et qui se réclament de la protection du Canada
jouissent du droit à l'égalité devant la loi et du
droit à la même protection et au même bénéfice de
la loi, indépendamment de toute discrimination.
Comme les dispositions contestées ont pour effet
de priver certains demandeurs de statut du droit de
se prévaloir du processus de détermination des
revendications, il serait opportun en l'occurrence
de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt
public. Ces affirmations sont cependant spéculati-
ves, à mon avis, pour la raison que j'ai donnée au
regard des alinéas 6b) et c).
Il est allégué au paragraphe 8 que certaines
dispositions de la Loi transgressent l'article 7 de la
Charte, parce qu'elles ne protègent pas véritable-
ment le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de
la personne. Puisque les personnes touchées sont
celles dont le statut de réfugié a été reconnu à titre
définitif, mais qui doivent néanmoins surmonter
d'autres obstacles, il n'y a pas lieu d'accorder à
leur égard la qualité pour agir dans l'intérêt public
car, dans la mesure où elles sont déjà au Canada,
elles peuvent elles-mêmes ester en justice valable-
ment.
Aux termes de l'allégation énoncée au paragra-
phe 9, certaines des dispositions déjà mentionnées
au paragraphe 8 contreviendraient à l'article 15 de
la Charte. Une fois de plus, et pour la même
raison, il n'y a pas lieu de reconnaître en l'occur-
rence la qualité pour agir dans l'intérêt public.
Au paragraphe 10, l'intimé affirme que cer-
taines dispositions touchant les mesures de renvoi
contreviennent à l'article 7 de la Charte. Aux
termes de l'alinéa 49(1)b) [mod. par L.R.C.
(1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 16] de la Loi, qui
est contesté à l'alinéa 10a), il est sursis à l'exécu-
tion d'une mesure de renvoi à la demande du
demandeur qui a le droit de demander la révision
de la mesure sous le régime de la Loi sur la Cour
fédérale, seulement durant soixante-douze heures
à compter du moment où la mesure a été prise.
Comme ce délai sera peut-être trop court pour
permettre au demandeur de consulter un avocat en
mesure d'agir, il me semble que cette allégation
peut justifier la qualité pour agir dans l'intérêt
public. Je conclus en outre qu'elle énonce une
cause raisonnable d'action. Toutefois, à supposer
que la question du manque de temps pour consul-
ter un avocat ne puisse être soulevée, les deman-
deurs de statut pourraient faire valoir eux-mêmes
efficacement les autres motifs de contestation rela-
tifs aux mesures de renvoi qui sont formulés aux
alinéas 106) et c).
Aux termes du paragraphe 11, l'article 7 de la
Charte aurait été violé parce que la Loi ne prévoit
pas d'audience équitable devant la Commission de
l'immigration et du statut de réfugié. J'ai déjà
étudié l'alinéa 11a). Tout demandeur dont les
droits auraient été violés pourrait faire valoir effi-
cacement toute cause raisonnable d'action énoncée
au paragraphe 11.
Au paragraphe 12, l'intimé allègue que l'article
7 a été transgressé parce que sous le régime du
paragraphe 70(3) [mod. par L.R.C. (1985) (4 e
suppl.), chap. 28, art. 18] de la Loi, un réfugié au
sens de la Convention serait dans l'impossibilité de
faire appel devant la Section d'appel en invoquant
des raisons d'ordre humanitaire. Tout demandeur
de statut qui serait touché pourrait faire valoir
efficacement cette allégation.
Selon le paragraphe 13, certaines dispositions de
la Loi contreviendraient à l'article 15 de la Charte.
À mon avis, aucune partie de cette allégation ne
peut être soutenue plus efficacement par un
demandeur ayant qualité pour agir dans l'intérêt
public que par des personnes directement touchées.
D'après l'allégation exprimée au paragraphe 14,
certaines dispositions de la Loi porteraient atteinte
aux articles 7 et 15 de la Charte. Les alinéas 14a)
et b) portent sur des restrictions au droit au con-
trôle judiciaire par la Cour fédérale du Canada et
par la Cour suprême du Canada. Les demandeurs
de statut peuvent eux-mêmes soulever efficace-
ment ces questions.
L'alinéa 14b) attaque l'absence de révision au
fond des décisions portant rejet, que rendent l'une
ou l'autre des sections. Encore une fois, les deman-
deurs de statut peuvent eux-mêmes soulever effica-
cement cette question.
Pour terminer, l'alinéa 14c) conteste la constitu-
tionnalité des alinéas 49(1)a) [mod. par L.R.C.
(1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 16] et b) de la
Loi. Aux termes de l'alinéa 49(1)a) de la Loi, le
demandeur de statut qui a un droit d'appel devant
la Section d'appel peut faire l'objet d'une mesure
de renvoi vingt-quatre heures après qu'il a été
avisé de son droit d'appel conformément à l'article
36 de la Loi, si l'avis d'appel n'a pas été déposé
dans ce délai de vingt-quatre heures. En applica
tion de l'alinéa 49(1)b) de la Loi, le demandeur de
statut qui a le droit de produire une demande
d'autorisation d'introduire une instance aux termes
des articles 18 ou 28 de la Loi sur la Cour fédérale
peut faire l'objet d'une mesure de renvoi soixante-
douze heures après que la mesure de renvoi a été
prise.
Les délais impartis peuvent sans aucun doute
être insuffisants pour permettre aux intéressés de
consulter un avocat afin de choisir la ligne de
conduite qui s'impose, peut-être même de contester
ces délais. Les éléments dont il faut tenir compte
sont semblables à ceux qui entrent en jeu dans le
cas de l'alinéa 3c). Il y a lieu, à mon sens, de
reconnaître en l'occurrence la qualité pour agir
dans l'intérêt public et l'existence d'une cause
raisonnable d'action.
Au paragraphe 15, l'intimé prétend que certai-
nes sanctions pénales violent les articles 2, 7 et 8 et
l'alinéa 10b) de la Charte; ce serait notamment le
cas des dispositions pénalisant le fait d'aider ou
d'encourager l'entrée au Canada d'une personne
qui n'est pas munie d'un visa, d'un passeport ou
d'un titre de voyage requis. À mon point de vue,
les demandeurs eux-mêmes—tout comme les
autres personnes qui peuvent aussi être inculpées
d'infractions—peuvent contester efficacement
toutes ces dispositions sauf peut-être quant à .l'allé-
gation formulée à l'alinéa 15b), selon laquelle la
Loi, en dissuadant par la menace de sanctions les
avocats de conseiller les réfugiés non munis des
papiers nécessaires, priverait peut-être les intéres-
sés du droit à l'assistance d'un avocat. Cette asser
tion pourrait fonder la qualité pour agir, mais elle
ne saurait constituer une cause raisonnable d'ac-
tion car les personnes touchées seraient toutes des
personnes non titulaires de la citoyenneté cana-
dienne, se trouvant à l'étranger et n'ayant pas le
droit de demander leur admission, et qui ne
seraient donc pas visées par la Charte.
Au paragraphe 16, l'intimé allègue que les dis
positions transitoires de la Loi contreviennent aux
articles 7 et 15 de la Charte, parce qu'elles ne
permettent pas aux personnes qui avaient revendi-
qué le statut de réfugié avant la date de référence
de la loi de poursuivre leur demande conformé-
ment à l'ancienne loi. Selon cette allégation, ces
personnes seraient injustement frappées par la
rétroactivité de la nouvelle loi et privées de l'éga-
lité de bénéfice de la loi que la Charte accorde aux
autres demandeurs qui sont dans la même situa
tion et à l'égard desquels une décision avait été
rendue avant la date de référence. À mon avis, il
n'est pas nécessaire de reconnaître la qualité pour
agir dans l'intérêt public relativement à ce
paragraphe.
V
En conséquence, il devrait être fait droit à l'appel,
excepté quant aux allégations énoncées à l'alinéa
3c), en partie, et aux alinéas 6a), 10a) et 14c). Il
n'y aurait lieu de permettre la poursuite de l'action
qu'au regard de ces allégations-là, à la condition
que, dans un délai de trente jours, l'intimé dépose
une déclaration modifiée de nouveau, limitée aux
allégations pertinentes par rapport à la réparation
demandée, savoir un jugement déclaratoire portant
que les dispositions en cause de la Loi sont incom
patibles avec la Constitution et sont inopérantes en
vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitution-
nelle de 1982. Dans cette déclaration modifiée, ces
dispositions devraient être désignées seulement
selon la numérotation exacte du texte codifié de la
Loi sur l'immigration 4 .
Étant donné que les appelants n'ont pas eu
totalement gain de cause, ils auraient droit à la
moitié de leurs dépens devant cette Cour et devant
la Section de première instance.
PRATTE, J.C.A.: J'y souscris.
MAHONEY, J.C.A.: J'y souscris.
° L'utilisation par l'intimé de la numérotation des projets de
loi est source de confusion et, qui pis est, cette numérotation
elle-même n'est pas toujours exacte.
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