T-370-88
Joseph Emmerson Porter (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: PORTER C. CANADA (1' e INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Halifax,
13 décembre 1988; Ottawa, 14 mars 1989.
Douanes et accise — Loi sur l'accise — Confiscation —
Camion saisi en vertu de l'art. 163(3) lorsque le propriétaire a
été appréhendé alors qu'il transportait de l'eau-de-vie illéga-
lement fabriquée — Théorie historique et contemporaine du
droit de la confiscation — Distinction entre une confiscation de
nature réglementaire et une confiscation à caractère répressif
— La Charte ne rend pas inopérante la confiscation — Il est
déconseillé de rompre l'équilibre entre les droits privés et
individuels que garantit la Charte et le devoir du législateur de
protéger l'intérêt de la collectivité — Il convient de mettre en
balance les intérêts de l'État avec les préoccupations des
individus au sein même des dispositions qui définissent des
droits.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Le camion du demandeur a été saisi
en vertu de l'art. 163(3) de la Loi sur l'accise lorsque le
demandeur a été appréhendé alors qu'il transportait de
l'eau-de-vie illégalement fabriquée — Déclaré coupable et
condamné à une amende sous le régime de l'art. 163(1)a) —
L'art. 11 de la Charte n'est d'aucun secours puisqu'il ne
s'applique qu'aux inculpés — La procédure de confiscation est
dirigée contre le camion lui-même — Il n'y a pas eu double
incrimination puisque l'inculpé n'est définitivement puni que
lorsque toutes les conséquences pénales possibles de l'infrac-
tion sont épuisées — La loi permet d'appliquer diverses sanc
tions conjointement avec d'autres formes de châtiment — La
peine cruelle et inusitée doit -être excessive et exagérément
disproportionnée — La confiscation n'est pas inusitée compte
tenu de sa longue histoire au Canada, et n'est pas «excessive
au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine» —
L'art. 8 de la Charte (protection contre les saisies abusives)
vise à protéger le droit à la vie privée des personnes physiques
— Il n'est nullement allégué qu'il y a eu violation du droit à la
vie privée — Il n'y a pas eu violation de la présomption
d'innocence — La confiscation du véhicule est fondée, de par
la loi, non pas sur la condamnation ultime du demandeur,
mais sur le fait que le véhicule a été utilisé pour transporter de
l'alcool illicite.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — La confiscation sous le régime de l'art. 163(3) de la Loi
sur l'accise est justifiée en tant que mesure raisonnable conçue
pour déjouer d'autres entreprises criminelles, protéger le bien-
être de la collectivité et garantir les recettes de la Couronne.
Il s'agit, en l'espèce, de trancher un point de droit. Le camion
Toyota 1986 du demandeur, d'une valeur estimée de 14 000 $,
a été saisi en vertu du paragraphe 163(3) de la Loi sur l'accise
lorsque le demandeur a été appréhendé alors qu'il transportait
de l'eau-de-vie illégalement fabriquée. Il s'est par la suite
reconnu coupable de l'infraction et a été condamné à une
amende. Le paragraphe 163(3) prévoit que toute eau-de-vie de
ce genre et tous véhicules qui ont servi aux fins de transporter
cette eau-de-vie sont confisqués au profit de la Couronne. Le
demandeur soutient que le paragraphe 163(3) va à l'encontre
de la Charte, particulièrement aux articles 8 (protection contre
les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives), 11d) (pré-
somption d'innocence), h) (protection contre une double incri
mination) et 12 (protection contre les peines cruelles et inusi-
tées). La question se pose de savoir si les dispositions de la
Charte ont rendu inopérante la disposition relative à la
confiscation.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
La Cour a examiné les dispositions de la Charte ainsi que la
théorie historique et contemporaine du droit de la confiscation,
notamment l'expérience américaine, afin de résoudre l'affronte-
ment entre l'ancienne coutume de la confiscation et l'élévation
récente des droits et libertés individuels. Historiquement, les
tribunaux ont reconnu la nécessité de la confiscation «pour le
bien de la collectivité», notamment pour la protection des
recettes et de la santé publique. Les tribunaux américains ont
conclu que la confiscation était trop solidement implantée dans
la jurisprudence en matière de mesures répressives et de redres-
sement pour être supprimée. Au Canada, la légitimité des
dispositions de confiscation n'avait jamais été mise sérieuse-
ment en doute avant l'avènement de la Charte.
L'article 11 ne s'applique qu'aux inculpés. Au moment de la
confiscation du camion, la poursuite était intentée contre le
camion lui-même en raison de son utilisation comme moyen de
transport d'alcool illicite. La confiscation ne constitue pas un
double châtiment interdit par l'alinéa 11h) de la Charte parce
que, en droit, une action in rem est indépendante des considéra-
tions de propriété.
La confiscation peut servir à 1) réglementer les activités
illégales ou 2) punir ceux qui se livrent à de telles activités. En
l'espèce, il est difficile de qualifier la loi de loi de nature
réglementaire puisqu'elle évite l'imposition d'une confiscation à
l'innocent. Si sa principale fonction était de réglementer le
transport d'alcool illicite, la confiscation serait imposée dans
tous les cas. Même si la disposition contestée comportait un
aspect punitif, le demandeur ne saurait invoquer l'alinéa I Ih)
parce que la peine ne constitue pas une double incrimination,
l'inculpé n'étant définitivement puni que lorsque toutes les
conséquences pénales possibles de l'infraction sont épuisées. On
ne saurait s'appuyer sur l'article 12 parce que la confiscation
n'est pas cruelle et inusitée. La peine cruelle et inusitée est non
seulement excessive, mais elle est aussi exagérément dispropor-
tionnée. La confiscation n'est pas inusitée, et, compte tenu de sa
longue histoire, n'est pas excessive au point de ne pas être
compatible avec la dignité humaine. Les lois d'un corps législa-
tif sont présumées constitutionnelles jusqu'à preuve contraire.
Le demandeur n'a pas démontré que les dispositions de confis
cation sont inconstitutionnelles.
Il est allégué qu'il était abusif de saisir un bien d'une telle
valeur à la suite de cette violation de la Loi sur l'accise.
Toutefois, l'article 8 de la Charte vise principalement à proté-
ger la vie privée des personnes physiques, et il ne protège les
biens que lorsque cela est nécessaire pour confirmer la protec
tion du droit à la vie privée. Il n'est nullement allégué qu'il y a
eu violation du droit du demandeur à la vie privée.
Le demandeur soutient également que, puisque les disposi
tions de confiscation s'appliquent avant que le propriétaire du
véhicule ait été jugé pour l'infraction et en ait été déclaré
coupable, il y a présomption de culpabilité. La confiscation est
fondée, non pas sur la condamnation ultime, mais sur le fait
que le véhicule a été utilisé pour transporter de l'alcool illicite.
Le souci de protéger les recettes réalisées grâce aux taxes
d'accise, qui est consacré par une ancienne doctrine et une
légitimité historique, mérite qu'on continue à le respecter,
puisque, au fil des ans, aussi radicale qu'elle puisse sembler à
l'occasion, la confiscation est une mesure qu'il est bon et
nécessaire de conserver. Le tribunal qui intervient dans la
politique législative risque toujours de rompre le fragile équili-
bre qui doit être maintenu entre les droits privés et individuels
que garantit la Charte et le devoir du législateur de garantir et
de protéger l'intérêt de la collectivité. Puisque l'article 12 est
libellé en des termes qui comportent des adjectifs qualificatifs,
il doit être sujet à certaines limites, dont le respect des intérêts
légitimes de l'État. Ce qui est cruel et inusité peut varier selon
les circonstances, et la Couronne n'est pas toujours tenue d'en
faire la preuve stricte dans le contexte de l'article premier. Le
juge peut cependant en tenir compte pour définir le droit
garanti.
Il n'y a rien d'incorrect à mettre en balance les intérêts de
l'État avec les préoccupations des individus au sein même des
dispositions qui définissent des droits. En tout état de cause, on
reconnaîtrait l'existence d'une limite semblable à ce droit pro-
tégé si l'analyse était faite dans le cadre de l'article premier. La
légitimité de la confiscation pourrait aisément être justifiée en
tant que mesure raisonnable conçue pour déjouer d'autres
entreprises criminelles, protéger le bien-être de la collectivité et
garantir les recettes de la Couronne.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1 (R.-U.),
art. 1, 8, 11d),h), 12.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III.
Loi sur l'accise, S.R.C. 1970, chap. E-12, art. 115,
163(1)a) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49),
(3).
Loi sur les douanes, S.C. 1986, chap. I.
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art.
10(9).
Lord Campbell's Act, 9 & 10 Vict., chap. 62.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Re Regina and Green (1983), 5 C.C.C. (3d) 95; 41 O.R.
(2d) 557 (H.C.); R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] I
R.C.S. 1045.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Regina v. Woodrow (1846), 153 E.R. 907 (Exch.);
United States v. Balint, 258 U.S. 250 (1922); U.S. v. One
1963 Cadillac Coupe de Ville, Two-Door, 250 F. Supp.
183 (W.D. Mo. 1966); Calero-Toledo v. Pearson Yacht
Leasing Co., 416 U.S. 663 (1974); The Palmyra, 12
Wheat. 1 (1827); Goldsmith, Jr.-Grant Co. v. United
States, 254 U.S. 505 (1921); The King v. Krakowec et
al., [1932] R.C.S. 134; In re Gittens, [1983] I C.F. 152;
(1982), 137 D.L.R. (3d) 687 (1 inst.); R. v. Simon (No.
3) (1982), 5 W.W.R. 728 (C.S.T.N.-O); R. v. Mitchell
(1987), 39 C.C.C. (3d) 141 (C.A.N.-E); F.K. Clayton
Group Ltd. c. M.R.N., [1988] 2 C.F. 467; (1988), 82
N.R. 313 (C.A.F.); Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986]
3 C.F. 291; 28 C.C.C. (3d) 263 (C.A.F.); R. c. Simmons,
[1988] 2 R.C.S. 495.
DÉCISIONS CITÉES:
Mayberry, Herbert Frederick v. The King, [1950] R.C.E
402; Koschuk, John v. The King, [1950] R.C.E 332; Re
Vincent et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1983), 148 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.); Hunter et autres
c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 N.R.
241.
DOCTRINE
Clark, J. Morris «Civil and Criminal Penalties and For-
feitures: A Framework for Constitutional Analysis»
(1976), 60 Minn. L. Rev. 379.
Finkelstein, Jacob «The Goring Ox: Some Historical
Perspectives on Deodands, Forfeitures, Wrongful
Death and the Western Notion of Sovereignty» (1973),
46 Temple L.Q. 169.
AVOCATS:
Christene H. Hirschfeld pour le demandeur.
Michael F. Donovan pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Cooper & McDonald, Halifax, pour le
demandeur.
Le sous -procureur général pour la défende-
resse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL:
FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE
Les faits de la présente espèce ne sont pas
contestés et sont relativement simples. Le deman-
deur a été appréhendé le 4 septembre 1987 alors
qu'il transportait de l'eau-de-vie illégalement
fabriquée en violation de l'alinéa 163(1)a) de la
Loi sur l'accise, S.R.C. 1970, chap. E-12 [mod.
par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49].
Le même jour, son camion, un camion Toyota
1986 d'une valeur estimée de quelque 14 000 $, a
été saisi en vertu du paragraphe 163(3) de la Loi.
Le demandeur s'est par la suite reconnu coupa-
ble de l'infraction et a été condamné à une amende
de 650 $ et à des frais. Dans l'intervalle, il avait
donné avis de son intention de contester la saisie en
vertu de l'article 115 de la Loi.
Finalement, la Couronne a déposé devant notre
Cour une dénonciation pour demander la confisca
tion du camion Toyota. Le demandeur s'y est
opposé en faisant valoir que le paragraphe 163(3)
de la Loi allait à l'encontre des articles 8, 11 et 12
de la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)].
Devant cette contestation constitutionnelle, les
parties ont, sur la base d'un exposé conjoint des
faits, convenu de faire trancher un point de droit
et, aux termes d'une ordonnance prononcée le 23
novembre 1988 par le juge en chef adjoint de notre
Cour, l'affaire a été entendue à Halifax le 13
décembre 1988.
LES QUESTIONS EN LITIGE
Le paragraphe 163(3) de la Loi sur l'accise est
ainsi conçu:
163... .
(3) Toute eau-de-vie mentionnée au paragraphe (1), en quel-
que lieu qu'elle se trouve, et tous chevaux et véhicules, tous
vaisseaux et autres appareils, qui ont servi ou servent aux fins
de transporter l'eau-de-vie ainsi fabriquée, importée, sortie,
aliénée ou détournée ou dans lesquels ou sur lesquels on la
trouve, sont confisqués au profit de la Couronne et peuvent être
saisis et détenus par tout préposé, et il peut en être disposé en
conséquence.
Pour le chauffeur de camion ordinaire ou le
voyageur canadien qui reviennent par la route d'un
voyage à l'étranger et qui voient la chose d'un
mauvais oeil, cette disposition de «confiscation» de
la Loi sur l'accise ou de la Loi sur les douanes
[S.C. 1986, chap. 1] comporte un certain aspect
draconien. Bien qu'elle existe depuis des siècles, la
pratique de la confiscation évoque à l'esprit l'idée
d'une peine ou d'une sanction qui dans de nom-
breux cas semble aller bien au-delà des exigences
de la punition et du châtiment. Il y a apparemment
une disproportion entre les recettes que perd la
Couronne et, comme en l'espèce, la valeur du
véhicule confisqué dans lequel les biens illicites
étaient transportés.
Ce genre de disproportion devient un problème
plus frustrant lorsqu'on l'examine dans le contexte
des droits et libertés déclarés dans la Charte et du
but évident qu'a cette dernière de garantir un
certain degré d'équité ou de bon sens dans l'exer-
cice des pouvoirs publics face aux agissements
illégaux des citoyens.
La question posée par les parties soulève une
foule de questions complexes, parmi lesquelles la
question de l'affrontement entre l'ancienne cou-
tume de la confiscation et celle de l'élévation plus
récente des droits et libertés individuels ne sont pas
les moindres. En cette période cruciale de la
Charte, y a-t-il encore de la place pour une mesure
aussi brutale que la confiscation d'un véhicule,
lorsque son propriétaire est aussi condamné à des
amendes, à une peine d'emprisonnement et qu'il
perd les biens saisis? En revanche, dans quelle
mesure la vénérable coutume de la confiscation
peut-elle être rayée des recueils de loi au motif
qu'elle contrevient à la Charte, niant ainsi aux
pouvoirs publics leur outil de contrainte le plus
efficace?
La constitutionnalité de la clause de confiscation
de la Loi sur l'accise nécessite donc un examen de
la Charte, de ses termes et de sa signification, et
nous oblige à définir les divers droits individuels
que l'on veut protéger. On doit également exami
ner la théorie historique et plus contemporaine du
droit de la confiscation, en déterminer le sens, la
nature et surtout les répercussions sur les particu-
liers pour pouvoir décider si elle est incompatible
avec la Charte.
HISTORIQUE DE LA CONFISCATION
Jacob Finkelstein, un professeur d'assyriologie
et de littérature babylonienne à l'Université Yale a
écrit ce qui, à mes yeux de profane, semble être un
article qui fait autorité: «The Goring Ox: Some
Historical Perspectives on Deodands, Forfeitures,
Wrongful Death and the Western Notion of Sove
reignty» dans (1973), 46 Temple L.Q. 169.
L'auteur suggère que le concept de la confisca
tion remonte à la prescription biblique que l'on
trouve au livre de l'Exode (Ex 21,28): «Si un boeuf
encorne un homme ou une femme et cause sa
mort, le boeuf sera lapidé et l'on n'en mangera pas
la viande». Le professeur Finkelstein trouve la
véritable application de la loi d'expiation dans
l'abandon de l'objet fautif et dans sa destruction
finale.
Le concept a subi divers changements subtils au
cours des siècles qui ont suivi. Au neuvième siècle,
sous le règne d'Alfred le Grand, il avait pris la
forme du concept de «noxal surrender» par lequel
un parent cédait au parent lésé l'objet qui avait été
la cause de la mort accidentelle, pour empêcher le
parent lésé de le poursuivre.
Au moment de son incorporation dans le droit
anglais, le concept était connu sous le nom de
«deodand», du latin «deo dandum» qui signifie
«donné à Dieu», ce qui démontre qu'il existe à tout
le moins un rapport étymologique avec le boeuf des
temps bibliques. Le rapport philosophique était
toutefois moins évident. L'objet fautif n'était plus
remis à Dieu ou au plus proche parent, mais plutôt
au roi. Comme la Couronne supplantait de plus en
plus l'Église en tant qu'autorité suprême du pays,
l'institution du deodand s'est de plus en plus sécu-
larisée et est devenue au fil des ans une source ou
une garantie importante de recettes, tout en con-
servant en même temps certains éléments de sa
fonction expiatoire initiale.
Vu sa totale inefficacité à indemniser d'un décès
accidentel, l'institution du «deodand» a été finale-
ment abolie en 1846 par l'adoption de la Lord
Campbell's Act [9 & 10 Vict., chap. 62]. Néan-
moins, l'outil de la confiscation au profit de la
Couronne a été conservé, puisqu'il était alimenté
par d'autres principes de common law, comme par
exemple dans le cas de la confiscation par la
Couronne du patrimoine d'une personne condam-
née.
Il a également trouvé application dans ce qu'on
est convenu d'appeler les affaires relatives ou
«bien-être de la collectivité» comme l'arrêt Regina
v. Woodrow (1846), 153 E.R. 907 (Exch.), dans
lequel du tabac frelaté a été confisqué au profit de
Sa Majesté même si son propriétaire était morale-
ment innocent de l'affaire. Le juge en chef Pollock
a noté dans cette affaire [à la page 911] le carac-
tère sévère de la loi, mais l'a jugé nécessaire
[TRADUCTION] «pour le bien de la collectivité». Je
conclus par déduction de ce jugement que la pro
tection des recettes était, en ce qui concerne le
bien-être de la collectivité, aussi importante que la
protection de la santé publique.
Le professeur Finkelstein y voit, à la page 204
de son article, [TRADUCTION] «une préoccupation
évidente pour la protection des recettes de la Cou-
ronne» et une acceptation, même de la part de ceux
qui avaient salué l'abolition du «deodand», du
[TRADUCTION] «droit du souverain d'infliger et
d'exiger des confiscations et des amendes, avec ou
sans preuve de la mens rea du défendeur ...»
L'EXPÉRIENCE AMÉRICAINE
Le traitement donné aux États-Unis aux règles
de droit relatives à la confiscation pourrait être
particulièrement pertinent, parce qu'il bat en
brèche les solides garanties constitutionnelles de
l'application régulière de la loi et de la jouissance
des biens. Le professeur Finkelstein cite l'arrêt
United States v. Balint, 258 U.S. 250 (1922),
comme équivalent américain de l'arrêt Woodrow
(précité) parce qu'il exige, à l'égard de la protec
tion des recettes, une aussi grande vigilance que
celle qui a trait à la protection du public contre les
aliments avariés ou les substances nocives.
Dans l'arrêt U.S. v. One 1963 Cadillac Coupe
de Ville, Two-Door, 250 F. Supp. 183 (W.D. Mo.
1966), la Cour a exigé que la poursuite visant à
obtenir l'exécution d'une confiscation respecte le
principe de l'application régulière de la loi, mais
elle n'a pas empêché la confiscation sur le fonde-
ment de motifs de fond se rapportant à l'applica-
tion régulière de la loi.
La reconnaissance stricte et absolue des disposi
tions relatives à la confiscation a été rendue mani-
feste dans l'arrêt Calero-Toledo v. Pearson Yacht
Leasing Co., 416 U.S. 663 (1974), de la Cour
suprême des États-Unis. Dans cette affaire, les
propriétaires d'un yacht qui avait été saisi après
que ses locataires eurent été trouvés en possession
d'un stupéfiant illicite, ont contesté la constitution-
nalité d'une confiscation effectuée au mépris de
leur prétention d'innocence.
Le juge Brennan a fait remarquer que depuis les
origines de la République, la confiscation des véhi-
cules utilisés pour déjouer les lois douanières était
monnaie courante. Il a déclaré, à la page 683:
[TRADUCTION] [L]'adoption de lois de confiscation n'a pas
diminué; les lois contemporaines promulguées par le pouvoir
fédéral et par les États en matière de confiscation atteignent
pratiquement tous les genres de biens qui pourraient être
utilisés pour réaliser des entreprises criminelles.
Le juge Brennan a poursuivi en faisant remar-
quer qu'en Angleterre, la confiscation n'était pas
liée aux condamnations pour actes délictuels
graves lorsque la confiscation se fondait naturelle-
ment sur la condamnation. À la page 684, il a cité
un extrait du jugement rendu par le juge Story
dans l'affaire The Palmyra, 12 Wheat. 1 (1827):
[TRADUCTION] Mais cette théorie n'a jamais été appliquée aux
saisies et aux confiscations, créées par loi in rem, et relevant de
la compétence du fisc en matière de recettes. La chose est en
l'espèce surtout envisagée en fonction du fait que le contreve-
nant, ou plutôt l'infraction, se rattache principalement à la
chose, et ce, que l'infraction soit un malum prohibitum ou un
malum in se .. .
Dans un arrêt antérieur, l'arrêt Goldsmith,
Jr.-Grant Co. v. United States, 254 U.S,. 505
(1921), qui a été cité et approuvé dans l'arrêt
Calero-Toledo (précité), la Cour suprême des
États-Unis a reconnu qu'il pouvait y avoir une
certaine fiction juridique dans le fait d'imputer
une complicité à un véhicule dans une poursuite ad
rem, mais la Cour a conclu que la confiscation
était trop solidement implantée dans la jurispru
dence du pays en matière de mesures répressives et
de redressement pour être maintenant supprimée.
L'EXPÉRIENCE CANADIENNE
Avant l'avènement de la Charte canadienne des
droits et libertés, la légitimité des dispositions de
confiscation n'avait jamais été mise sérieusement
en doute. L'usage anglais consistant à recourir à la
confiscation comme moyen efficace de protection
des recettes du souverain a trouvé facilement
application ici.
Dans l'arrêt The King v. Krakowec et al.,
[1932] R.C.S. 134, la Cour suprême du Canada a
donné effet à la confiscation d'un camion apparte-
nant à un propriétaire de bonne foi dont le véhicule
avait été utilisé pour transporter de l'alcool illicite.
La Cour suprême a statué que la confiscation
s'appliquait sans égard à la culpabilité ou à l'inno-
cence du propriétaire, à la condition qu'il s'agisse
d'une poursuite in rem intentée contre l'objet
fautif lui-même.
Il est admis que depuis l'arrêt Krakowec, la loi a
été modifiée pour permettre la restitution de l'ob-
jet confisqué au propriétaire de bonne foi, mais
cela n'a aucun rapport avec les questions litigieu-
ses qui me sont soumises.
Il est également admis que dans d'autres affai-
res les tribunaux ont reconnu qu'il n'existait pas de
pouvoir discrétionnaire qui permette d'accorder un
redressement au propriétaire de bonne foi ou à la
personne dont la condamnation pour transport
d'alcool illicite était finalement annulée. La loi
exigeait et exige toujours que le véhicule utilisé
pour le transport d'alcool illicite soit confisqué au
profit de Sa Majesté (voir Mayberry, Herbert
Frederick v. The King, [ 1950] R.C.E. 402; et
Koschuk, John v. The King, [ 1950] R.C.E. 332.
En conséquence, la seule question qu'il me reste
à résoudre est de savoir si la Charte canadienne
des droits et libertés rend inopérante cette disposi
tion de confiscation.
LA CONFISCATION DEPUIS LE PROMULGATION DE
LA CHARTE
Le demandeur prétend que les dispositions du
paragraphe 163(3) de la Loi sur l'accise relatives à
la confiscation vont à l'encontre de plusieurs droits
et libertés protégés par la Charte.
Plus précisément, le demandeur invoque
l'article 8, qui reconnaît à chacun le droit d'être
protégé contre les fouilles, les perquisitions et les
saisies abusives. Le demandeur invoque également
l'alinéa 11d), qui reconnaît à tout inculpé le droit
d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré
coupable, conformément à la loi, par un tribunal
indépendant et impartial à l'issue d'un procès
public et équitable. Il invoque également l'alinéa
11h), qui accorde à tout inculpé le droit, d'une
part de ne pas être jugé de nouveau pour une
infraction dont il a été définitivement acquitté,
d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau
pour une infraction dont il a été définitivement
déclaré coupable et puni. Finalement, le deman-
deur s'appuie sur l'article 12, qui garantit le droit
de chacun à la protection contre tous traitements
ou peines cruels et inusités.
L'alinéa 11h) de la Charte
Avant d'analyser les droits et libertés susmen-
tionnés, il faut d'abord examiner les mots
employés dans la Charte pour déterminer la nature
de la protection ou de la garantie que confère le
texte de loi et pour déterminer le degré de cette
protection ou de cette garantie.
Il est évident que l'article 11 ne s'applique
qu'aux inculpés. C'est une condition sine qua non
de l'application de la présomption d'innocence, de
la protection contre la double incrimination, ainsi
que de l'application ou de la pertinence des autres
droits énoncés à cet article.
Toutefois, dans le cas de la saisie ou de la
confiscation du camion du demandeur, la pour-
suite est, du moins suivant la théorie traditionnelle,
intentée contre le camion lui-même en tant qu'ob-
jet susceptible d'être confisqué au profit de Sa
Majesté en raison de son utilisation comme moyen
de transport d'alcool illicite. Ainsi que la jurispru
dence l'enseigne, la propriété du véhicule n'a
aucune incidence sur l'exercice du droit de confis
cation. Il se peut très bien que le propriétaire soit
innocent de tout méfait; pourtant, son véhicule
n'est pas moins susceptible d'être confisqué.
La pensée qui surgit immédiatement à l'esprit à
cet égard est qu'il serait effectivement paradoxal
d'opposer la confiscation à un propriétaire de
bonne foi tout en dédommageant de la confiscation
l'auteur réel de l'infraction au motif que les droits
que lui reconnaît l'article 11 ont été violés ou niés.
Les réponses rapides ne résoudent cependant pas
toutes les questions. Dans son habile plaidoirie,
l'avocat soutient essentiellement que la confisca
tion, ajoutée à la condamnation dont a fait l'objet
le demandeur, constitue le double châtiment qu'in-
terdit -l'alinéa 11h) de la Charte. Les faits qui
m'ont été soumis donnent certainement à penser
qu'il y a eu double châtiment. Non seulement le
demandeur a-t-il été condamné à une amende,
mais de plus il s'est vu saisir et confisquer son
camion de grande valeur.
Tout homme raisonnable souscrirait à cette pro
position. Il dirait qu'aucune justification éclecti-
que, par laquelle on interprète une action in rem
de façon à punir le véhicule fautif comme s'il était
l'équivalent contemporain du boeuf qui encorne, ne
saurait changer la réalité. Il examinerait la valeur
du camion et l'amende infligée et constaterait peu
de différence dans la nature de ces deux consé-
quences, qui découlent d'une même infraction. Il
conclurait que les peines pécuniaires subies par le
demandeur sont cumulatives et que tout argument
contraire est de la pure fiction.
Qu'il s'agit de pure fiction est la perception de
l'homme raisonnable. Aux yeux de la loi, une
action in rem est cependant une réalité bien con-
crète qui est entièrement indépendante des consi-
dérations de propriété ou de droits et qui, en un
sens, insuffle une personnalité à la chose. Cette
personnalité est telle que le comportement répré-
hensible ou sans tache de son propriétaire n'inté-
resse nullement la loi. C'est-à-dire que le lien de
droit entre la chose et son propriétaire ne s'appli-
que pas ou qu'il est soustrait à l'examen de la loi.
C'est-à-dire que nulle part à l'article 11 la chose
ou son propriétaire peuvent-ils trouver un abri ou
une protection quelconque.
Pourtant, sur la question de la double incrimina
tion, l'article 11 parle effectivement de peine. Il
dit, à son alinéa h), que l'inculpé qui a été déclaré
coupable et puni pour une infraction a le droit de
ne pas être jugé ni puni de nouveau pour cette
infraction. Si l'on se met à nouveau dans la peau
de l'homme raisonnable, on est forcé de considérer
la confiscation d'un objet de valeur comme une
peine, à tout le moins comme une peine de nature
économique, qui est prononcée contre le deman-
deur en plus de la peine qui lui est infligée sous
forme d'amende. Dans ce cas, le problème se
complique: la confiscation peut être considérée
comme un double châtiment pour la même infrac
tion, ce qui contrevient à l'alinéa 11h) de la Charte
et, en supposant que la perte de recettes que subit
Sa Majesté à cause de l'alcool illicite soit relative-
ment modeste, la confiscation peut également
constituer le genre de traitement ou de peine cruels
et inusités dont il est question à l'article 12 de la
Charte.
L'alinéa 11h) et l'article 12 de la Charte
La Cour doit une fois de plus chercher de l'aide
ailleurs que dans la jurisprudence canadienne.
Dans son article intitulé «Civil and Criminal
Penalties and Forfeitures: A Framework for Cons
titutional Analysis», (1976) 60 Minn. L. Rev. 379,
J. Morris Clark émet l'idée qu'aux États-Unis, il
se peut que les dispositions relatives à la confisca
tion aient une double nature et qu'elles servent
d'une part à réglementer les activités illégales et
d'autre part à punir ceux qui se livrent à de telles
activités. Dans certains cas, la confiscation sert
simplement à réglementer et ne constitue aucune-
ment un châtiment sur le plan conceptuel. Il en
serait ainsi dans le cas de saisies d'alcool, de
drogues illicites, d'argent contrefait ou de carabi-
nes à canon scié non enregistrées. Il n'y a pas
privation de propriété, car ces biens n'ont jamais
fait l'objet d'une propriété légale.
L'auteur poursuit en disant, à la page 479:
[TRADUCTION] La confiscation de ces objets n'est pas liée au
fait qu'ils ont été utilisés pour commettre un acte illégal, de
telle sorte que la sanction de la confiscation ne s'applique pas
uniquement aux contrevenants. L'intérêt qu'a l'État à empê-
cher les particuliers d'être en possession d'articles dangereux
est adéquatement servi par l'interdiction de l'utilisation de ces
objets par quiconque, que les intéressés aient ou non commis
des infractions et que les articles interdits aient été ou non
utilisés pour commettre des infractions.
À la page 478, M. Clark doit toutefois reconnaî-
tre qu'il est très difficile de faire une nette distinc
tion entre une confiscation de nature réglementaire
et une confiscation de caractère répressif. Il cite de
nombreuses affaires américaines dans lesquelles
des biens confisqués n'étaient ni des articles de
contrebande, ni des objets illicites, ni des objets
particulièrement faits pour commettre des activités
criminelles [TRADUCTION] «et dans lesquelles il a
été pourtant statué que la confiscation ne portait
pas atteinte aux droits personnels et ne punissait
pas leur propriétaire».
Ces observations nous ramènent à la case
départ. Confisquer le camion du demandeur qui a
été utilisé pour transporter de l'eau-de-vie illicite
principalement dans le but de punir le contreve-
nant est une chose; le confisquer principalement
dans le but de réglementer la circulation de cette
eau-de-vie illégale en est une autre.
C'est une question difficile à trancher. Si nous
avions affaire à une loi semblable à celle qui était
contestée devant la Cour suprême des États-Unis
dans l'affaire Calero, je n'aurais aucune hésitation
à qualifier la loi de loi de nature principalement
réglementaire, malgré le fait que l'une de ces
conséquences pourrait être d'appliquer une sanc
tion qu'on est convenu d'appeler économique. Tou-
tefois, la loi dont il est question en l'espèce n'est
pas aussi manifestement réglementaire. Si la prin-
cipale fonction de la loi était de réglementer le
transport d'alcool illicite, la meilleure façon d'at-
teindre cet objectif serait de garantir la confisca
tion dans tous les cas, sans égard à la culpabilité
ou à l'innocence du propriétaire ou du conducteur
du véhicule. Même s'il est vrai, comme nous
l'avons déjà fait remarquer, que la confiscation ne
se fonde pas sur une déclaration de culpabilité, il
est clair que la loi permet au propriétaire et au
titulaire de privilège qui sont entièrement de bonne
foi d'échapper aux conséquences qu'ils devraient
autrement subir. En d'autres mots, la loi évite
l'imposition d'une confiscation à celui qui est
moralement sans reproche. Bien que ce fait à lui
seul ne suffise pas à nier l'objectif de réglementa-
tion qui est à la base de la loi, il écarte effective-
ment le problème de savoir si la loi comporte à sa
base une intention punitive tout aussi forte.
Ceci étant dit, je dois néanmoins conclure que le
demandeur ne peut invoquer l'alinéa 11h) ou l'ar-
ticle 12 de la Charte pour aider sa cause. Même en
admettant que la disposition contestée comporte
un aspect punitif (sans décider si cet aspect est
aussi important ou moins important que l'aspect
réglementaire de la loi), la peine en question ne
constitue pas selon moi une double incrimination
ou un châtiment cruel et inusité. Je pourrais résu-
mer mon raisonnement de la façon suivante.
Il existe une présomption de droit suivant
laquelle les lois adoptées par un corps législatif
sont présumées constitutionnelles jusqu'à preuve
contraire. Il suffit que je dise que le demandeur a
le fardeau de démontrer que les dispositions de
confiscation de la Loi sur l'accise sont inconstitu-
tionnelles.
La théorie de la confiscation que l'on trouve
dans les lois du Canada est demeurée incontestée
pendant de nombreuses générations. Elle s'est
implantée dans notre conscience en tant qu'outil de
respect de la loi et de réglementation et elle reflète
les principes séculaires de l'action in rem, qui
entraînent la confiscation ou la destruction de la
chose qui a été utilisée pour commettre une acti-
vité illégale.
Dans l'affaire Re Regina and Green (1983), 5
C.C.C. (3d) 95; 41 O.R. (2d) 557, (analysée à la
page 16.7-4 de l'ouvrage Canadian Charter of
Rights and Freedoms Annotated), la Haute Cour
de l'Ontario a statué que la confiscation d'un
véhicule utilisé pour commettre une infraction à la
Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1]
était autorisée par le paragraphe 10(9) de la Loi
sur les stupéfiants et ne contrevenait pas à l'alinéa
11h) de la Charte. La Cour a jugé que le fait que
la confiscation n'est pas automatique et qu'elle
peut être demandée après qu'une peine d'empri-
sonnement a déjà été infligée ne signifie pas que
l'inculpé est puni de nouveau pour la même infrac
tion. En outre, l'inculpé n'est définitivement puni
que lorsque toutes les conséquences pénales possi
bles de l'infraction sont épuisées. Le droit canadien
permet d'appliquer diverses sanctions conjointe-
ment avec d'autres formes de châtiment. Fort de
ce jugement, on peut conclure que si la confisca
tion du camion du demandeur constitue un châti-
ment, il ne s'agit pas du double châtiment pour la
même infraction qu'interdit l'alinéa 11h).
Au surplus, en admettant que je sois tenté de
qualifier la confiscation de châtiment, je ne pour-
rais conclure qu'un tel châtiment est cruel et inu-
sité au sens de l'article 12. Il existe une abondante
jurisprudence sur cette question qui indique claire-
ment l'interprétation étroite qu'il faut donner à
cette disposition.
Dans le jugement In re Gittens, [1983] 1 C.F.
152; (1982), 137 D.L.R. (3d) 687, la Section de
première instance de la Cour fédérale du Canada a
statué que l'exécution d'une ordonnance d'expul-
sion ne constituait pas un traitement ou une peine
cruels et inusités. Le même principe a été suivi par
la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Re Vincent et
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1983),
148 D.L.R. (3d) 385.
Dans le jugement R. v. Simon (No. 3), (1982), 5
W.W.R. 728 (C.S.T.N.-O.), il a été statué que la
peine d'emprisonnement pour une période indéter-
minée prononcée contre un délinquant dangereux
ne contrevenait pas à la disposition équivalente de
la Déclaration canadienne des droits [S.R.C.
1970, Appendice III]. Dans le jugement R. v.
Mitchell (1987), 39 C.C.C. (3d) 141 (C.A.N.-E),
la Cour a jugé qu'une peine minimale d'emprison-
nement à perpétuité sans libération conditionnelle
pendant une période déterminée ne violait pas la
garantie contre les peines cruelles et inusitées.
Les contestations de la constitutionnalité des
dispositions législatives considérées comme infli-
geant une peine cruelle et inusitée ont surtout
porté sur les contraintes physiques et émotionnelles
de la personne. Suivant le critère posé par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Smith
(Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045, pour que
l'article 12 de la Charte s'applique, la peine ne doit
pas être simplement excessive, mais elle doit être
également exagérément disproportionnée. Toute-
fois, dans cette affaire, la Cour suprême traitait de
la peine minimale de sept ans d'emprisonnement
prescrite par la Loi sur les stupéfiants. Elle a jugé
que cette disposition allait à l'encontre de l'article
12 en raison de son impuissance à tenir compte des
divers facteurs que le tribunal doit prendre en
considération pour prononcer une peine juste et
appropriée.
En l'espèce, la confiscation du camion fait subir
une perte financière au demandeur, mais on ne
peut pas dire que cette perte soit cruelle et inusitée
au point de donner au demandeur le droit à la
protection de la Charte. La confiscation prévue à
la Loi sur les douanes et à la Loi sur l'accise n'est
certainement pas inusitée et, compte tenu de la
longue historique expérience que nous en avons, on
ne peut dire, pour reprendre les mots du juge
Lamer dans l'arrêt Smith [à la page 1072] (pré-
cité), qu'elle est «excessive au point de ne pas être
compatible avec la dignité humaine». Adopter une
position contraire reviendrait à conclure que les
critères canadiens de la dignité humaine ont été
radicalement modifiés au moment de l'entrée en
vigueur de la Charte.
Il me faut donc conclure que même si le para-
graphe 163(3) de la Loi sur l'accise comporte un
aspect punitif, sa sévérité ne le rend pas cruel et
inusité.
L'article 8 de la Charte
Le demandeur soulève une autre question liée à
la Charte. Il invoque l'article 8, qui garantit à
chacun le droit d'être protégé contre les fouilles,
les perquisitions et les saisies abusives. Dans le
présent litige, il n'est pas allégué que la perquisi-
tion qui a précédé la saisie était invalide, mais
seulement qu'il était abusif de saisir et de confis-
quer un bien d'une telle valeur à la suite de cette
violation de la Loi sur l'accise. Par cet argument,
le demandeur cherche à démontrer que notre
Constitution renferme implicitement un droit de
propriété absolu.
Il s'appuie fortement sur l'arrêt prononcé par la
Cour d'appel fédérale dans l'affaire F.K. Clayton
Group Ltd. c. M.R.N., [1988] 2 C.F. 467; (1988),
82 N.R. 313, qui portait sur la perquisition et la
saisie ultérieure de documents présumés être la
preuve d'une infraction à la Loi de l'impôt sur le
revenu. Le juge Hugessen a fait remarquer (en
conformité avec l'arrêt Hunter et autres c. Sou-
tham Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 N.R.
241, que la saisie, effectuée sans mandat, était à
première vue abusive et qu'elle était en outre
invalidée par les vagues normes que la loi donnait
sur les cas où la perquisition était justifiée. La
Cour a ordonné la restitution des documents, non
cependant parce que leur rétention et leur utilisa
tion portaient atteinte à un droit absolu de pro-
priété, mais seulement parce que la procédure
employée pour les obtenir était abusive, c'est-à-
dire qu'elle constituait une atteinte à la vie privée
qui ne relevait pas de la Charte. La restitution des
biens accompagne nécessairement la protection de
la vie privée.
Cette dichotomie droit de propriété/vie privée
est encore plus évidente à la lecture de l'arrêt
antérieur Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3
C.F. 291; 28 C.C.C. (3d) 263, de la Cour d'appel
fédérale. Dans cette affaire, le propriétaire d'une
pépinière a consenti à ce que les arbres qu'il avait
importés soient inspectés. On a découvert que les
arbres étaient infestés et on a ordonné leur des
truction. Le propriétaire prétendait que l'article 8
avait été violé. La Cour d'appel fédérale a infirmé
la décision rendue par le juge de première instance
au sujet du montant des dommages-intérêts. Le
juge Hugessen a fait remarquer [aux pages 341
C.F.; 302 C.C.C.] que parce que la perquisition
avait été faite de consentement et que la destruc
tion des arbres s'appuyait sur une croyance fondée
sur des motifs raisonnables, on pouvait qualifier la
question litigieuse de «violation d'un droit de pro-
priété indépendamment de toute question relative
à la vie privée» et que ce droit n'était pas, selon lui,
protégé par l'article 8 de la Charte.
Ces affaires nous amènent à conclure que
l'article 8 vise principalement à protéger le droit à
la vie privée des personnes physiques et qu'il ne
protège les biens que lorsque cela est nécessaire
pour confirmer la protection du droit à la vie
privée. (En ce sens, on pourrait dire qu'il s'agit
d'un droit de propriété «dépendant>). Dans le cas
qui m'est soumis, la demanderesse ne prétend pas
qu'il y a eu violation de son droit à la vie privée.
La perquisition qui a amené la découverte de
l'eau-de-vie illicite est présumée valide. Par consé-
quent, la saisie et la confiscation ultérieures (qui
sont fondées sur la découverte effective de l'alcool
et non simplement sur une croyance raisonnable de
son existence) ne peuvent être contestées sur le
fondement des droits de propriété «dépendants»
minimaux que l'on pourrait dire que l'article 8
reconnaît.
L'alinéa 11d) de la Charte
Le demandeur invoque également l'alinéa 11d)
de la Charte, qui reconnaît à tout inculpé le droit
«d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas
déclaré coupable, conformément à la loi, par un
tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un
procès public et équitable». Si j'interprète bien la
plaidoirie faite par l'avocat à cet égard, on me
demande de conclure que les dispositions de confis
cation de la loi s'appliquent avant que le proprié-
taire du véhicule, ou celui qui en a la possession,
ait été jugé pour une infraction et en ait été
déclaré coupable. On me demande également de
conclure que la confiscation constitue, en droit et
en fait, une présomption de culpabilité contre le
prévenu.
Cette manière de voir ne manque pas d'origina-
lité; néanmoins, je dois l'écarter très rapidement.
La confiscation du véhicule du demandeur est
fondée, de par la loi, non pas sur la condamnation
ultime du demandeur, mais sur le simple fait que
le véhicule a été utilisé pour transporter de l'alcool
illicite. S'il s'était avéré dans une poursuite ulté-
rieure que l'alcool n'était pas illicite, les disposi
tions de confiscation ne s'appliqueraient évidem-
ment pas et aucune question litigieuse ne serait
soumise à la Cour. Toutefois, il se trouve que
l'alcool découvert dans le véhicule était illicite et,
suivant la loi, tout est dit.
CONCLUSION
Comme je l'ai déjà dit, les points litigieux rela-
tifs à la Charte qu'a soulevés le demandeur ne sont
ni sans importance ni vexatoires. Il semble effecti-
vement que la confiscation du véhicule du deman-
deur évoque une mesure législative malveillante et
sévère imposée dans le but d'assurer le respect des
lois fiscales. On y flaire des relents d'une période
historique où les recettes du roi dépendaient de
quelques sources et où la personne qui essayait de
se soustraire à un paiement licite devait prendre
garde (à elle-même et à ses biens).
Néanmoins, je n'ai trouvé aucun motif que le
demandeur pourrait invoquer pour prouver que les
droits que lui garantit la Charte ont _été violés. Le
souci de protéger les recettes réalisées grâce aux
droits de douanes et aux taxes d'accise, qui est
consacré par une ancienne doctrine et une légiti-
mité historique, mérite, à mon avis, qu'on continue
à le respecter, même si c'est à regret. C'est le genre
de respect que le tribunal doit au législateur, qui a
estimé au fil des ans qu'aussi radicale qu'elle
puisse sembler à l'occasion, la confiscation est une
mesure qu'il est bon et nécessaire de conserver.
Toutefois, certains estimeront peut-être que ce
genre de respect va à l'encontre de la méthode
d'interprétation de la Charte qui consiste à exami
ner le but qu'elle vise. Je ne voudrait pas que l'on
interprète mes propos comme signifiant que la
retenue devrait toujours empêcher le tribunal de
s'aventurer dans un domaine où d'autres crain-
draient de s'engager. J'estime plutôt que le tribu
nal qui intervient dans la politique législative
risque toujours de rompre le fragile équilibre qui
doit être maintenu entre les droits privés et indivi-
duels que garantit la Charte et le devoir du législa-
teur de garantir et de protéger l'intérêt de la
collectivité. Un bref réexamen de la violation pré-
sumée de l'article 12 peut rendre manifeste la
nécessité d'un tel équilibre.
Pour commencer, il faut bien comprendre que je
ne méconnais pas le fait que certains peuvent
penser que cette mise en équilibre relève à juste
titre de l'article premier de la Charte dans le cadre
duquel il faudrait faire la preuve du devoir qu'a le
législateur de protéger l'intérêt du public confor-
mément à une formule stricte qui met en balance
cette obligation avec l'obligation toute aussi impor-
tante de ne pas porter atteinte aux droits des
individus.
Toutefois, il me semble inéluctable qu'un droit
qui est, comme l'article 12, libellé en des termes
qui comportent des adjectifs qualificatifs, doit être
sujet à certaines limites et que le respect des
intérêts légitimes de l'État constitue l'une des limi-
tes dont on peut tenir compte pour définir l'éten-
due du droit protégé. En d'autres mots, pour inter-
préter des termes comme «cruel et inusité», il n'est
ni souhaitable ni nécessaire d'établir une série de
critères immuables pour définir la «cruauté». Ce
qui est «cruel et inusité» peut varier selon les
circonstances et la Couronne n'est pas toujours
tenue d'en faire la preuve stricte dans le contexte
de l'article premier. Le juge peut cependant en
tenir compte pour définir le droit garanti.
Je m'appuie à cet égard sur l'arrêt prononcé par
le juge en chef Dickson dans l'affaire R. c. Sim-
mons, [1988] 2 S.C.R. 495, dans laquelle une
fouille à nu effectuée dans un aéroport par des
agents des douanes était contestée au motif qu'elle
violait la protection contre les fouilles, les perquisi-
tions et les saisies abusives garantie par l'article 8.
Dans des motifs auxquels ont souscrit trois autres
membres d'une formation collégiale de sept juges,
le juge en chef a refusé d'appliquer les critères
établis dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam
Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, pour définir le «carac-
tère raisonnable» d'une perquisition. Il a plutôt
affirmé [à la page 537] que «la détermination du
caractère raisonnable ... doit dépendre dans une
certaine mesure des circonstances dans lesquelles
elle [la perquisition ou la fouille] a [eu] lieu», tout
en soulignant qu'«il serait erroné d'attacher une
importance dominante» à ces circonstances. En
tout état de cause, c'est dans le contexte de l'arti-
cle 8 et non de l'article premier qu'il a réduit la
portée des exigences de l'arrêt Hunter, parce que
l'affaire Simmons était une affaire de douanes et
qu'il fallait tenir spécialement compte de l'intérêt
qu'avait l'État à protéger ses frontières et à faire
échec à la circulation de stupéfiants illégaux.
S'il en est ainsi, il n'y a rien d'incorrect à mettre
en balance les intérêts de l'État avec les préoccu-
pations des individus au sein même de dispositions
qui définissent des droits et, dans ce contexte, je
répète mon hésitation à rompre l'équilibre auquel
le législateur est parvenu, malgré le fait que la
mesure semble dure et excessive.
Cependant, même si j'avais tort de voir une telle
limite à l'article 12, je demeure persuadé qu'on
reconnaîtrait l'existence d'une limite semblable à
ce droit protégé, et avec encore plus de vigueur, si
l'analyse était faite dans le cadre de l'article pre
mier. Sous cette rubrique, la légitimité de la con-
fiscation pourrait aisément être justifiée en tant
que mesure raisonnable conçue pour déjouer d'au-
tres entreprises criminelles, protéger le bien-être de
la collectivité et garantir les recettes de la Cou-
ronne. Bien que l'on puisse facilement imaginer
une peine moins sévère, et que la sévérité de la
peine pourrait à cet égard couvrir une très vaste
gamme, ou peut avec raison accorder au législa-
teur une certaine latitude en ce qui concerne l'éta-
blissement du remède propre à assurer le respect
de la loi dans les affaires relatives aux recettes (y
compris les douanes, l'accise et l'impôt sur le
revenu) dans lesquelles la déclaration volontaire
est la règle et l'inspection et les mesures de con-
trainte de l'État sont l'exception.
Je dois donc rejeter l'action du demandeur.
Compte tenu des circonstances de l'affaire, je ne
prononce toutefois aucune ordonnance quant aux
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.