A-405-88
Arthur Trono, en sa qualité de sous-commissaire,
région du Pacifique, Service correctionnel Canada
(appelant) (intimé)
c.
Maya Singh Gill (intimé) (requérant)
A-406-88
Arthur Trono, en sa qualité de sous-commissaire,
région du Pacifique, Service correctionnel Canada
(appelant) (intimé)
c.
Jason Gallant (intimé) (requérant)
RÉPERTORIÉ: GALLANT c. CANADA (SOUS-COMMISSAIRE, SER
VICE CORRECTIONNEL CANADA) (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Desjardins,
J.C.A.—Vancouver, 24 octobre 1988; Ottawa, 16
janvier 1989.
Pénitenciers — Transfèrement — Appel du jugement de
première instance qui a annulé le transfèrement de l'intimé
d'un établissement à sécurité maximale à un établissement à
sécurité maximale supérieure parce que l'avis des motifs de
transfèrement était trop vague pour permettre â l'intimé de
répondre — L'appelant a refusé de divulguer les détails d'un
plan d'extorsion auquel l'intimé aurait participé pour protéger
l'identité et la vie des indicateurs — Les règles d'équité en
matière de procédure sont-elles respectées? — Appel accueilli.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — L'appelant a transféré le détenu à un pénitencier à
sécurité supérieure en se fondant sur des renseignements selon
lesquels il aurait participé à un plan d'extorsion comportant
des menaces de violence et des stupéfiants — Refus de divul-
guer les détails sur les renseignements pour protéger des
indicateurs, — Le transfèrement à un établissement où la
liberté sera plus restreinte constitue une atteinte à la liberté
Y a-t-il eu violation de la justice fondamentale parce que
l'intimé n'a pas eu la possibilité de répondre aux allégations
portées contre lui?
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — Ayant reçu des renseignements confidentiels selon
lesquels le détenu aurait participé à un plan d'extorsion com-
portant des menaces de violence et l'introduction de stupé-
fiants, l'appelant a décidé de le transférer à un établissement à
sécurité supérieure — Des détails sur les renseignements n'ont
pas été divulgués pour protéger les indicateurs — Le pouvoir
discrétionnaire de transférer des détenus conféré par la Loi sur
les pénitenciers est-il justifié dans une société libre et
démocratique?
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Appel du jugement de première instance qui a annulé le
transfèrement du détenu à un établissement à sécurité supé-
rieure au motif que l'avis de transfèrement était trop vague
pour permettre au détenu de réfuter les allégations relatives à
sa participation à un plan d'extorsion et à l'introduction de
stupéfiants — Des détails sur les allégations n'ont pas été
divulgués pour protéger les indicateurs — Les principes
d'équité en matière de procédure et de justice fondamentale
sont-ils respectés? — Appel accuelli.
Il s'agit d'un appel formé contre une ordonnance portant
annulation de la décision de l'appelant de transférer l'intimé
d'un pénitencier à sécurité maximale à un pénitencier à sécurité
maximale supérieure. Dans l'avis écrit de recommandation de
transfèrement, on a invoqué le motif qu'il avait participé à un
plan d'extorsion comportant des menaces de violence, l'achat et
l'introduction de stupéfiants destinés à l'établissement. Les
détails précis sur le plan n'ont pas été fournis pour protéger
l'identité des indicateurs et pour que ceux-ci ne risquent pas
d'être tués ou blessés. La Section de première instance a annulé
la décision de transférer l'intimé au motif qu'elle a violé les
principes d'équité en matière de procédure, en ce sens que l'avis
donné était trop vague pour permettre à l'intimé de répondre
aux allégations portées contre lui.
Arrêt (le juge Desjardins, J.C.A., étant dissidente): l'appel
devrait être accueilli.
Le juge Pratte, J.C.A.: Les règles d'équité en matière de
procédure varient avec les circonstances. Certes, l'avis donné
n'était pas suffisant pour permettre à l'intimé de réfuter les
allégations portées contre lui; mais, comme le directeur croyait
que donner d'autres détails pourrait compromettre les indica-
teurs, les circonstances suffisaient à libérer l'appelant de l'obli-
gation de donner un avis plus détaillé. Le Parlement ne pouvait
avoir l'intention de soumettre le commissaire et ses délégués à
des règles d'équité en matière de procédure si l'application de
ces règles mettait la vie d'autres détenus en danger.
Le droit d'avoir la possibilité de se faire entendre est égale-
ment garanti par les principes de justice fondamentale, qui ne
jouissent pas de la même souplesse que les règles de justice
naturelle et d'équité. La décision de transférer l'intimé n'a pas
été prise conformément aux principes de justice fondamentale,
puisque l'intimé n'a pas vraiment eu la chance de répondre aux
allégations portées contre lui. Elle était toutefois autorisée par
une loi qui remplissait les exigences de l'article premier de la
Charte. La Loi sur les pénitenciers donne au commissaire et à
ses délégués le pouvoir discrétionnaire de transférer un détenu
d'un établissement à un autre. Dans une société libre et démo-
cratique, il est raisonnable et parfois même nécessaire de
conférer pareil pouvoir discrétionnaire aux autorités carcérales.
Le juge Marceau, J.C.A. (motifs au même effet quant à la
conclusion): Il ne s'agit pas de déterminer si la règle de
confidentialité à l'égard des indicateurs peut libérer une ins
tance décisionnelle de son obligation d'agir équitablement; il
s'agit plutôt d'établir si la règle peut influencer la portée de
cette obligation. Le principe audi alteram partem ne peut être
entièrement écarté, sauf en cas d'urgence exceptionnelle et pour
une courte période. La portée et la nature de la participation de
la personne dont les droits peuvent être touchés dépendent des
circonstances de l'espèce et de la nature de la décision à rendre.
Le principe audi alteram partem n'exigeait pas, compte tenu de
la nature du problème dont l'appelant était saisi et de sa
responsabilité envers les personnes qui lui sont confiées, qu'on
donne au détenu plus de renseignements avant de l'inviter à
présenter ses observations.
Il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décisions
administratives portant sur les détenus en milieu carcéral puis-
que ces décisions peuvent toucher des droits, privilèges ou
intérêts différents, ce qui peut entraîner différentes normes en
matière de garanties procédurales. Ces décisions diffèrent éga-
lement quant à leurs objectifs et à leur raison d'être. Dans le
cas d'une décision de transfèrement rendue pour le bon fonc-
tionnement de l'établissement, il n'y a pas de raison d'exiger
que le détenu dispose de la même quantité de détails que celle
requise dans le cas d'une décision imposant une sanction pour
une infraction. C'est uniquement le caractère raisonnable et
sérieux des motifs sur lesquels la décision est fondée qui doit
être confirmé, et la participation de la personne visée doit être
rendue pleinement significative pour cela seulement.
Le juge Desjardins, J.C.A. (dissidente): Le transfèrement
d'un détenu d'un établissement à un autre est une mesure
disciplinaire, qui entraîne l'application des règles d'équité en
matière de procédure, tant en vertu de l'article 7 de la Charte
que selon la common law. Lorsqu'une mesure disciplinaire est
prise, il incombe aux autorités carcérales de démontrer que les
circonstances ne leur permettent pas d'informer l'intimé des
faits sur lesquels l'accusation est fondée. On ne sait pas si les
autorités ont pris les mesures nécessaires pour réduire la marge
d'erreur. On a fait appel à des renseignements confidentiels et
l'avis est fondé sur des renseignements qu'on prétend fiables
sans qu'on explique pourquoi. Lorsque les autorités carcérales
fondent leur décision de prendre des mesures disciplinaires sur
des renseignements confidentiels, le dossier doit comprendre les
renseignements factuels sous-jacents à partir desquels les auto-
rités peuvent déduire raisonnablement que l'indicateur est cré-
dible ou les renseignements fiables. Lorsqu'il est impossible de
faire appel au contre-interrogatoire, à la confrontation ou à des
renseignements adéquats, il doit y avoir des mesures qui garan-
tissent que l'enquête vise bel et bien la recherche des faits
pertinents où la véracité des actes répréhensibles reprochés
puisse être vérifiée afin de prévenir une vengeance personnelle
de la part des indicateurs. La fiabilité de renseignements peut
être démontrée par exemple au moyen d'une enquête indépen-
dante ou de renseignements visant à les corroborer, obtenus de
sources indépendantes. On n'a fait ni l'un ni l'autre en l'espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 7.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 36.1 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. III,
art. 4, annexe III).
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Cardinal et autre c.
Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643;
Bell Canada c. Travailleurs en communication du
Canada, [1976] 1 C.F. 459 (C.A.); Inuit Tapirisat of
Canada c. Le très honorable Jules Léger, [1979] I C.F.
710 (C.A.); The Queen v. Randolph et al., [1966] R.C.S.
260; Howard c. Établissement Stony Mountain, [ 1984] 2
C.F. 642 (C.A.); R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Demaria c. Comité régional de classement des détenus,
[1987] I C.F. 74; (1986), 30 C.C.C. (3d) 55 (C.A.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Wolff v. McDonnell, 418 U.S. 539 (1974); Bell v. Wol
fish, 441 U.S. 520; 99 S Ct 1861; 60 L Ed 2d 447 (1979);
Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821.
DÉCISIONS CITÉES:
Morin c. Comité national chargé de l'examen des cas
d'unités spéciales de détention et autres, [1985] 2 R.C.S.
662; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2
R.C.S. 486; La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613;
Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; 7 C.C.C. (3d)
385; Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain,
[1985] I C.F. 378; (1984), 13 C.C.C. (3d) 330 (1" inst.);
Dawson v. Smith, 719 F.2d 896 (C.A. III. 1983); certio-
rari refusé 104 S Ct 1714; 80 L Ed 2d 186 (1984);
Lamoureux v. Superintendent, Massachusetts Correctio
nal Inst., Walpole, 456 N.E.2d 1117 (Mass. 1983); Goble
v. Wilson, 577 F.Supp 219 (Dist Ct. Ky. 1983); Homer v.
Morris, 684 P.2d (Utah 1984); State ex rel. Staples v.
Department of Health and Social Services, Div. of Cor
rections, 340 N.W.2d 194 (Wis. 1983).
AVOCATS:
George C. Carruthers pour l'appelant
(intimé).
J. Peter Benning pour l'intimé (requérant).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant (intimé).
Legal Services Society of British Columbia,
Abbotsford (C.-B.) pour l'intimé (requérant).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: La Cour est saisie
d'un appel de l'ordonnance prononcée par la Sec
tion de première instance [(1988), 62 C.R. (3d)
267; (1988), 19 F.T.R. 150] (le juge Dubé), annu-
lant la décision de l'appelant visant à transférer
l'intimé d'un établissement à sécurité maximale au
secteur à sécurité maximale supérieure du péniten-
cier de la Saskatchewan.
L'intimé purgeait quatre peines d'emprisonne-
ment à perpétuité pour meurtre, à l'établissement
Kent. Le 11 décembre 1987, il a été placé en
ségrégation et avisé verbalement qu'il était soup-
çonné d'avoir participé à une extorsion. Il devait
obtenir plus de renseignements après la tenue
d'une enquête interne sur la question. Le 19 jan-
vier 1988, il a reçu un document qui lui était
adressé, un avis de recommandation de transfère-
ment vers un secteur à sécurité maximale supé-
rieure. Ce document était signé par le directeur,
Pieter H. DeVink; en voici le texte:
[TRADUCTION] AU Détenu J. GALLANT J- SED 416430A
Je tiens à vous informer par la présente que j'ai l'intention de
recommander votre transfèrement involontaire au pénitencier
de la Saskatchewan, un secteur à sécurité maximale supérieure.
Vous pouvez soumettre des observations écrites dans les qua-
rante-huit (48) heures qui suivent et elles seront examinées en
même temps que ma recommandation.
MOTIFS: Selon des renseignements fiables que nous avons reçus,
il appert qu'entre janvier et décembre 1987, vous avez participé
à l'extorsion de fonds et de biens personnels de détenus, à
l'extorsion de fonds de membres de la population, à des mena
ces de violence envers d'autres personnes ainsi qu'à l'achat et
l'importation de stupéfiants destinés à l'établissement Kent.
Nous ne pouvons fournir de renseignements plus détaillés car
cela pourrait mettre vos victimes en danger.
Le 20 janvier 1988, l'intimé a reçu une copie
d'un long rapport sur l'évolution du cas, où il était
recommandé qu'il soit transféré à un secteur à
sécurité maximale supérieure. Le paragraphe sui-
vant figure à la dernière page du rapport, sous la
rubrique «évaluation».
[TRADUCTION] En apparence, GALLANT a fait des progrès
considérables au niveau des relations interpersonnelles en parti
cipant aux programmes et par ses rapports avec le personnel.
Cependant, il semble que dans les coulisses, il ait choisi de
participer avec le détenu Meva [sic] Gill, SED 700167A, à une
tentative d'extorsion de fonds en menaçant d'autres détenus et
des membres de la population de violence physique. Les fonds
ainsi amassés servaient à acheter des stupéfiants qui étaient
introduits en contrebande dans l'établissement.
En réponse à l'avis reçu le 19 janvier, et aux
allégations faites dans le rapport sur l'évolution du
cas, l'intimé a écrit deux lettres au directeur qui a
néanmoins maintenu sa recommandation. Le 27
janvier 1988, cette recommandation a été confir-
mée par l'appelant, en sa qualité de sous-commis-
saire de la région du Pacifique.
Le ler février 1988, l'intimé a déposé un avis de
requête devant la Section de première instance
[[1988] 3 C.F. 361], cherchant à obtenir l'annula-
tion de la décision de l'appelant visant à le transfé-
rer de l'établissement Kent au pénitencier de la
Saskatchewan. D'après l'intimé, la décision a été
rendue en contravention avec les principes d'équité
en matière de procédure puisque les motifs dont on
lui a fait part pour son transfèrement étaient trop
vagues, ce qui l'a empêché de répondre aux alléga-
tions portées contre lui. Deux affidavits ont été
déposés à l'encontre de cette requête. Voici les
deux derniers paragraphes de celui de l'appelant:
[TRADUCTION] 4. J'ai également reçu la recommandation de
M. De Vink selon laquelle Jason Gallant devrait être transféré
à un secteur à sécurité maximale supérieure en Saskatchewan,
à cause de sa participation à un plan d'extorsion et d'introduc-
tion de stupéfiants avec Maya Singh Gill. À la même occasion,
j'ai reçu des observations manuscrites de Jason Gallant que j'ai
lues et dont j'ai tenu compte pour rendre ma décision. J'ai
également tenu compte du rapport sur l'évolution du cas de
Jason Gallant, y compris les commentaires favorables au sujet
de la croissance personnelle de M. Gallant. J'ai également lu et
pris en considération les seize pages de commentaires manus-
crits de M. Gallant, ainsi que des lettres écrites pour son
compte par Frank Wise, Heather Stewart et Vicki Renner. De
plus, j'ai lu et pris en considération des renseignements que m'a
confiés M. De Vink, selon lesquels Jason Gallant participait à
un plan d'extorsion de fonds des autres détenus afin d'intro-
duire des stupéfiants dans l'établissement Kent.
5. Vers le 27 janvier 1988, j'ai décidé de maintenir la recom-
mandation de M. De Vink, à partir de tous les renseignements
dont je disposais.
L'autre affidavit est signé par M. DeVink, direc-
teur de l'établissement Kent. En voici un extrait:
[TRADUCTION] 2. D'après les renseignements confidentiels
reçus de détenus de l'établissement Kent, je suis convaincu que
Jason Gallant et Maya Singh Gill ont participé à un plan visant
à extorquer des fonds des détenus pour acheter des stupéfiants
qui devaient être importés dans l'établissement Kent.
3. Tous les renseignements menant à cette conclusion venaient
d'indicateurs auxquels on avait garanti l'anonymat.
4. Ces renseignements sont tirés des confidences de six indica-
teurs. Quatre d'entre eux étaient des victimes de tentatives
d'extorsion de la part de Maya Singh Gill et Jason Gallant. Les
sommes d'argent demandées, les menaces employées et la pro-
cédure suivie pour ramasser les fonds différaient dans les
quatre cas. À mon avis, le fait de communiquer le nom de la
victime, les sommes d'argent extorquées, les menaces employées
et la procédure suivie pour ramasser les fonds entraîneraient
probablement l'identification de la victime.
5. L'un des indicateurs était un membre d'un petit groupe de
détenus qui complotaient en vue de poser un acte donné dans le
cadre du plan d'extorsion. À ce que je sache, ce plan n'était pas
connu de tous les détenus. À mon avis, le fait de divulguer les
détails de ce plan révélerait qu'un membre des petits groupes
impliqués était l'indicateur, ce qui pourrait permettre de
l'identifier.
6. La sixième déclaration vient d'un indicateur qui n'est pas un
détenu mais un parent d'un détenu qui a été menacé par Maya
Singh Gill et Jason Gallant. À la suite de ces menaces, cet
indicateur a dû exécuter différentes fonctions prévues dans le
plan d'extorsion. À ce que je sache, ces fonctions ne sont pas
identiques aux fonctions exercées par d'autres détenus de l'exté-
rieur. J'estime que le fait de donner d'autres détails relatifs à la
somme extorquée, aux services extorqués ou à la personne
impliquée rendrait plus probable l'identification de l'indicateur
en cause.
7. J'estime que si l'identité de l'un des indicateurs était révélée,
il risquerait d'être tué ou blessé gravement par d'autres
détenus.
8. J'ai communiqué à Jason Gallant et à Maya Singh Gill les
détails relatifs à ces incidents qui, à mon avis, pouvaient leur
être donnés sans danger, et je les ai invités à soumettre par écrit
leurs commentaires face à leur transfèrement projeté dans un
secteur à sécurité maximale supérieure, en Saskatchewan. J'ai
reçu des commentaires écrits tant de Jason Gallant que de
Maya Singh Gill. Je les ai lus et en ai tenu compte avant de
confirmer ma recommandation de transfèrement de Jason Gal
lant et de Maya Singh Gill vers le secteur à sécurité maximale
supérieure, en Saskatchewan.
Le juge Dubé a été saisi de cette demande. Il l'a
accueillie et a prononcé l'ordonnance visée par le
présent appel. Il a conclu que, compte tenu du fait
que l'avis donné à l'intimé n'était pas suffisant, la
décision de le transférer au pénitencier de la Sas-
katchewan a été rendue en contravention avec les
principes d'équité en matière de procédure. Le
juge ne fait aucune distinction entre les circons-
tances de l'espèce et celles de Demaria c. Comité
régional de classement des détenus' où la Cour
d'appel a annulé la décision portant le transfère-
ment d'un détenu vers un établissement à sécurité
maximale.
L'appelant reconnaît qu'il était lié par une obli
gation d'équité en matière de procédure lorsqu'il a
dû décider de transférer ou non l'intimé vers un
autre établissement où sa liberté serait encore plus
restreinte; il reconnaît également qu'en raison de
cette obligation, dans des circonstances normales,
l'intimé aurait dû être assez informé des alléga-
tions portées contre lui pour pouvoir y répondre.
L'appelant prétend que les circonstances de l'es-
pèce sont différentes de celles de l'affaire Demaria
et que, si l'on tient compte de ces circonstances
I [1987] 1 C.F. 74; (1986), 30 C.C.C. (3d) 55 (C.A.).
particulières, il a tout fait pour respecter les règles
d'équité en matière de procédure.
Les règles d'équité en matière de procédure, tout
comme les principes de justice naturelle, varient
selon les circonstances 2 . C'est ainsi que le direc-
teur d'un établissement carcéral est normalement
tenu de donner au détenu la chance d'être entendu
avant d'ordonner sa ségrégation. Toutefois, le
directeur est libéré de cette obligation lorsque la
décision d'imposer la ségrégation d'un détenu doit
être prise rapidement en cas d'urgence 3 .
En l'occurrence, l'intimé a reçu un avis mais
l'avis était rédigé de façon tellement générale qu'il
ne pouvait probablement pas réfuter les allégations
portées contre lui, si l'on présume de son inno
cence. Mais d'après la preuve non contredite qu'a
soumise le directeur, il croyait ne pas pouvoir
donner plus de détails sans, dans les faits, révéler
l'identité des six indicateurs qui risqueraient alors
«d'être tués ou blessés gravement par d'autres
détenus». Je ne vois pas de raison de mettre en
doute cette opinion. Il reste donc à savoir si ces
circonstances suffisaient à libérer l'appelant de
l'obligation de donner un avis plus détaillé. À mon
avis, elles étaient suffisantes. Lorsque le Parlement
a donné au commissaire et à ses délégués le pou-
voir de transférer des détenus d'un établissement
carcéral à un autre, il ne pouvait avoir l'intention
de les soumettre à des règles d'équité en matière de
procédure si l'application de ces règles mettait la
vie d'autres détenus en danger.
Cette conclusion n'est pas incompatible avec la
décision rendue par la Cour dans Demaria c.
2 Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Mats-
qui, [1980] ( R.C.S. 602, la p. 630.
Le juge Dickson:
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité
applicables aux cas individuelles variera selon les circons-
tances de chaque cas ...
Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent,
[1985] 2 R.C.S. 643, la p. 655.
Le juge Le Dain, au nom de la Cour:
À cause de la nature apparemment pressante ou urgente de
la décision d'imposer la ségrégation dans les circonstances
particulières du cas, il ne pouvait y avoir d'exigence ni à
l'égard d'un avis préalable ni à l'égard d'une audition préala-
ble à la décision.
Comité régional de classement des détenus'', sauf
si l'on en déduit qu'un détenu a toujours droit à un
avis raisonnable, peu importe les circonstances, ce
qui est incompatible avec l'extrait de la décision
rendue par la Cour suprême dans l'affaire Cardi
nal que j'ai déjà cité. Dans l'arrêt Demaria, l'ab-
sence d'avis raisonnable n'était pas fondée sur des
motifs valables. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
J'estime donc que la décision de l'appelant de
transférer l'intimé n'aurait pas dû être annulée au
motif qu'elle avait été rendue sans égard aux
principes d'équité en matière de procédure.
Toutefois, cette conclusion ne règle pas tout le
litige puisque l'intimé prétend que la décision de
l'appelant contrevenait non seulement aux règles
d'équité en matière de procédure mais également à
l'article 7 de la Charte canadienne des droits et
libertés' [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Depuis les décisions rendues par la Cour
suprême du Canada dans Martineau c. Comité de
discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1
R.C.S. 602; La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S.
613; Cardinal et autre c. Directeur de l'établisse-
ment Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; et Morin c.
Comité national chargé de l'examen des cas
d'unités spéciales de détention et autres, [1985] 2
R.C.S. 662, il est certain que la décision de trans-
férer un détenu vers un établissement carcéral où
sa liberté sera plus restreinte constitue de fait un
renvoi à une prison au sein même d'une prison, ce
qui porte atteinte à la liberté du détenu. Pareille
décision doit donc être rendue «en conformité avec
les principes de justice fondamentale», selon l'arti-
cle 7 de la Charte.
4 [1987] 1 C.F. 74; (1986), 30 C.C.C. (3d) 55 (C.A.).
5 Voici le texte de l'article 7 de la Charte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en
conformité avec les principes de justice fondamentale.
Il est maintenant reconnu que «les principes de
justice fondamentale se trouvent dans les préceptes
fondamentaux ... de notre système juridique» et
qu'ils ne se limitent [pas] aux seules garanties en
matière de procédure» 6 . En l'occurrence, la déci-
sion de l'appelant n'est contestée qu'au motif
qu'elle était erronée sur le plan de la procédure.
Mais on peut dire, sans avoir peur de se tromper,
que les règles fondamentales de procédure qui font
partie des principes de justice fondamentale ne
diffèrent pas, quant au fond, des règles de justice
naturelle et d'équité en matière de procédure. Le
droit à une audience équitable est donc garanti par
les principes de justice fondamentale ainsi que par
les principes de justice naturelle et d'équité en
matière de procédure. Cependant, il s'agit alors de
déterminer si les règles de justice fondamentale
jouissent de la même souplesse que les règles de
justice naturelle et d'équité en matière de
procédure.
Avant de répondre à cette question, il faut noter
que lorsqu'on affirme que les règles de justice
naturelle et d'équité sont souples et varient selon
les cas, cela signifie deux choses différentes. Tout
d'abord, cela peut signifier simplement que la
même règle générale aura des effets différents
selon le contexte. Dans ce sens, on peut dire que les
règles de justice naturelle peuvent ou non, selon les
circonstances, exiger la tenue d'une audience; il en
est ainsi parce que, dans certains cas, il est possible
qu'une personne ne puisse se défendre à moins
d'être entendue de vive voix. Le fondement de la
justice naturelle demeure toujours le même: il faut
donner à la personne visée la possibilité d'être
entendue. Toutefois, les conséquences de l'applica-
tion de ce principe fondamental varient selon les
circonstances.
Les règles de justice naturelle et d'équité en
matière de procédure peuvent également être «sou-
ples» et «variables» dans un autre sens, lié cette
fois-ci au caractère même de ces règles. Dans
l'arrêt Bell Canada c. Travailleurs en communi
cation du Canada', le juge en chef Jackett a tenu
les propos suivants sur le caractère des règles de
justice naturelle:
6 Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [ 1985] 2 R.C.S.
486, aux p. 512 et 513, le juge Lamer.
7 [1 976] I C.F. 459 (C.A.), à la p. 477.
Dans une affaire comme celle-ci, il convient de rappeler que
les règles de la justice naturelle ont été imaginées par les
tribunaux pour leur permettre d'interpréter et d'appliquer la
législation de façon à éviter les injustices dans des cas particu-
liers. Elles ne sont pas rigides mais souples. Elles s'appliquent
en fonction des exigences propres à chaque cas et ne sont pas un
moyen de mettre en échec le but poursuivi par une loi
particulière.
Dans l'arrêt Inuit Tapirisat of Canada c. Le très
honorable Jules Légers, le juge Le Dain a repris
sensiblement les mêmes propos au sujet des règles
d'équité en matière de procédure:
L'équité procédurale, tout comme la justice naturelle, est une
exigence de la common law et s'applique en matière d'interpré-
tation des lois écrites. En l'absence de dispositions procédurales
expresses, elle est considérée comme implicitement prévue par
la loi. Il est nécessaire d'examiner le contexte législatif de
l'autorité prise dans son ensemble. Le véritable point en litige
est la question de savoir quelle procédure il convient d'imposer
à une autorité déterminée compte tenu de la nature de cette
dernière et du genre de pouvoir qu'elle exerce, et quelles
conséquences en résulteront pour ceux qui ont à subir ce
pouvoir. Il ne faut pas oublier de maintenir l'équilibre entre les
exigences d'équité et les besoins du processus administratif en
cause.
Les règles de justice naturelle et d'équité sont des
règles de common law que le Parlement peut
abroger ou modifier 9 et qui, pour cette raison, ne
peuvent servir «à mettre en échec le but poursuivi
par une loi particulière». Elles sont donc souples,
en ce sens que dans chaque cas, elles devront être
appliquées de façon à ne pas contredire l'intention
du Parlement.
Il m'est facile d'admettre que les règles procédu-
rales de justice fondamentale sont tout aussi sou-
ples, selon le premier sens que je viens d'expliquer,
que les règles de justice naturelle et d'équité. C'est
ce qui a permis au juge en chef Thurlow d'affir-
mer, dans l'arrêt Howard c. Établissement Stony
Mountain 10 , que la question de savoir si les princi-
pes de justice fondamentale garantissent aux indi-
vidus le droit d'être représentés par un avocat
dépend «des circonstances de l'espèce, de sa nature,
de sa gravité, de sa complexité».
s [1979] 1 C.F. 710 (C.A.), à la p. 717.
9 The Queen v. Randolph et al., [1966] R.C.S. 260, la p.
265.
Le juge Cartwright:
[TRADUCTION] Il est indéniable que le Parlement a le pou-
voir d'abroger ou de modifier l'application de la maxime audi
alteram partem.
1 °[1984] 2 C.F. 642 (C.A.), à la p. 663.
D'autre part, j'estime qu'il est aussi vrai que les
règles de fond qui doivent être appliquées en vertu
de l'article 7 de la Charte ne sont pas «variables ou
souples» selon le deuxième sens donné à ces termes.
De fait, le Parlement ne peut modifier ces règles
qu'en conformité avec l'article 1 de la Charte; si ce
n'était pas le cas, le Parlement aurait toute la
latitude voulue pour éliminer la protection garan-
tie par l'article 7.
Les principes de justice fondamentale ne jouis-
sent donc pas de la même souplesse que les règles
de justice naturelle et d'équité. C'est pourquoi je
ne peux que conclure qu'en l'espèce, la décision de
transférer l'intimé au pénitencier de la Saskatche-
wan n'a pas été prise conformément aux principes
de justice fondamentale puisque l'intimé n'a pas
vraiment eu la chance de répondre aux allégations
portées contre lui.
Il nous faut maintenant déterminer si cette con
travention à l'article 7 de la Charte a été faite en
vertu d'une loi conforme aux exigences de l'article
1. La Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap.
P-6] donne au commissaire et à ses délégués le
pouvoir discrétionnaire de transférer un détenu
d'un établissement à un autre; ce pouvoir n'est
tempéré que par les principes d'équité en matière
de procédure, lorsque les circonstances le permet-
tent. C'est en vertu de cette Loi que la décision de
transférer l'intimé a été prise et il s'agit de déter-
miner si une loi conférant un pouvoir discrétion-
naire aussi large aux autorités du Service correc-
tionnel est conforme à l'article 1.
Malheureusement, aucun argument ni preuve
n'a été présenté à ce sujet. L'avocat de l'appelant a
choisi de ne pas tenir compte des arguments fondés
sur la Charte qu'a présentés l'intimé. Cependant,
la réponse me semble tellement évidente que je n'ai
besoin d'aucune preuve ni argument pour conclure
que, dans une société libre et démocratique, il est
raisonnable et parfois même nécessaire de conférer
pareil pouvoir discrétionnaire aux autorités carcé-
rales.
Pour ces motifs, je déciderais d'accueillir l'appel,
d'annuler l'ordonnance de la Section de première
instance et de rejeter la demande de certiorari
déposée par l'intimé, le tout avec dépens, tant en
appel qu'en première instance.
* * *
Ce gui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (motifs aux même
effet quant à la conclusion): Je souscris volontiers
à l'opinion du juge Pratte qui conclut que le
jugement interjeté en appel ne peut être confirmé.
Toutefois, je dois souligner que, sauf le respect que
je dois à mon confrère, il m'est difficile d'adhérer
aux motifs qu'il invoque et j'aimerais soumettre
ma propre opinion dans les commentaires qui
suivent.
1. Je n'ai pas compris que l'appelant avait
reconnu qu'il avait été obligé de quelque façon de
contrevenir à l'obligation d'agir équitablement à
laquelle il est habituellement tenu. L'appelant a
tout simplement reconnu qu'en remplissant son
obligation d'agir équitablement, il avait donné à
l'intimé tous les renseignements possibles sans lui
révéler l'identité des indicateurs. Donc, je ne crois
pas qu'il s'agisse de déterminer si la règle de
confidentialité à l'égard des indicateurs peut libé-
rer une instance décisionnelle de son obligation
d'agir équitablement; il s'agit plutôt d'établir si la
règle de confidentialité peut influencer, comme en
l'occurrence, la portée de cette obligation. Et j'es-
time que cette différence est essentielle puisqu'il
m'est très difficile d'accepter que le principe audi
alteram partem, qui est l'essence même de l'obli-
gation d'agir équitablement, puisse être entière-
ment écarté, sauf en cas d'urgence exceptionnelle
et pour une période très courte. (Voir Cardinal et
autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985]
2 R.C.S. 643).
Le principe audi alteram partem qui porte tout
simplement que la personne dont les droits ou
intérêts peuvent être touchés doit pouvoir partici-
per au processus décisionnel, est fondé sur la pré-
misse suivante: la personne doit toujours avoir la
possibilité de soumettre de l'information, sous
forme de faits ou d'arguments, afin de permettre à
l'instance décisionnelle de rendre une décision
équitable et raisonnable. Il est reconnu depuis
longtemps qu'en toute logique et en pratique, la
portée et la nature de cette participation dépen-
dent des circonstances de l'espèce et de la nature
de la décision à rendre. Cette interprétation de
l'application pratique du principe doit être la
même, peu importe que l'obligation d'agir équita-
blement soit fondée sur le devoir d'agir équitable-
ment établi par la jurisprudence ou sur les princi-
pes de justice naturelle reconnus en common law
ou sur le concept de justice fondamentale auquel
se réfère l'article 7 de la Charte". Le principe
demeure évidemment le même, partout où il
s'applique.
Tel que je le vois, le problème ici est de détermi-
ner si, en vertu du principe audi alteram partem il
aurait fallu, dans les circonstances qui prévalaient,
donner au détenu plus de renseignements avant de
l'inviter à présenter ses observations. J'estime que,
compte tenu de la nature du problème dont l'appe-
lant était saisi et de sa responsabilité envers les
personnes qui lui sont confiées, il ne le fallait pas.
2. Il me semble que pour apprécier les consé-
quences pratiques du principe audi alteram
partem il ne faut pas traiter de la même façon
toutes les décisions administratives portant sur les
détenus en milieu carcéral, qu'elles soient rendues
par la Commission nationale des libérations condi-
tionnelles en matière de révocation de libération
conditionnelle ou par les comités de discipline à la
suite d'infractions pénales pouvant entraîner diffé-
rentes peines, jusqu'à la ségrégation, ou par les
autorités carcérales approuvant, comme en l'es-
pèce, le transfèrement des détenus d'un établisse-
ment à un autre pour des motifs d'ordre adminis-
tratif et de sécurité. Ces décisions sont non
seulement différentes en ce qui a trait aux droits,
privilèges ou intérêts personnels visés, ce qui peut
entraîner différentes normes en matière de garan-
ties procédurales, mais également, et c'est encore
plus important, quant à leurs objectifs et à leur
raison d'être, ce qui ne peut qu'influer sur le genre
de renseignements que le détenu doit connaître
afin que sa participation au processus décisionnel
ait une portée réelle. Dans le cas d'une décision
visant à imposer une sanction ou une punition à la
suite d'une infraction, les règles d'équité exigent
que la personne accusée dispose de tous les détails
connus de l'infraction. Il n'en est pas de même
dans le cas d'une décision de transfèrement rendue
pour le bon fonctionnement de l'établissement et
"«11 est également clair que les exigences de la justice
fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le
contexte dans lequel on les invoque.» Le juge La Forest dans R.
c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, la p. 361.
fondée sur la croyance que le détenu ne devrait pas
rester où il est, compte tenu des questions que
soulève son comportement. Dans un tel cas, il n'y a
pas de raison d'exiger que le détenu dispose d'au-
tant de détails relatifs aux actes répréhensibles
dont on le soupçonne. En effet, dans le premier
cas, ce qu'il faut vérifier est la commission même
de l'infraction et la personne visée devrait avoir la
possibilité d'établir son innocence; dans le second
cas, c'est uniquement le caractère raisonnable et
sérieux des motifs sur lesquels la décision est
fondée, et la participation de la personne visée doit
être rendue pleinement significative pour cela,
mais rien de plus. En l'occurrence, il ne s'agissait
pas d'établir la culpabilité du détenu, mais de
savoir si les renseignements reçus des six sources
différentes représentaient des préoccupations assez
importantes pour justifier son transfèrement.
3. Il y a des différences fondamentales très
nettes entre les circonstances de l'espèce et celles
dont était saisie la Cour lorsqu'elle prononça l'ar-
rêt Demaria 12 , dont s'est inspiré exlusivement le
juge de première instance:
a) Dans Demaria le transfèrement était fondé
sur la croyance que le détenu avait introduit du
cyanure dans la prison; il s'agissait donc d'un acte,
d'une opération qui avait déjà eu lieu et ne se
répéterait probablement pas. En l'espèce, il est
fondé sur la croyance que des détenus participaient
à un système d'extorsion qui existe peut-être
encore ou qui pourrait refaire surface.
b) Dans Demaria, il n'y avait pas de raison
directe de croire que la sécurité des autres détenus
était en cause; il n'y avait pas de victimes claires
des actes reprochés. Ici, au contraire, l'extorsion
par voie de menaces implique nécessairement
l'existence de victimes et met en danger la sécurité
d'autrui.
c) Dans Demaria la police avait fourni des
preuves indépendantes. En l'espèce, toute la preuve
venait d'indicateurs qui avaient de bonnes raisons
de craindre les représailles des prétendus extor-
queurs.
d) Dans Demaria, presque aucun renseignement
n'avait été divulgué, ce qu'on avait simplement
12 Demaria c. Comité régional de classement des détenus,
[1987] 1 C.F. 74; (1986), 30 C.C.C. 3(d) 55 (C.A.).
voulu justifier par l'affirmation générale, reprise
par le juge Hugessen [à la page 78], que « "tous les
renseignements concernant la sécurité préventive"
[étaient] confidentiels et [ne pouvaient] être com-
muniqués». En l'espèce, d'une part, beaucoup plus
de renseignements ont été divulgués, y compris le
rapport intégral sur l'évolution du cas du détenu,
la portée des préoccupations du directeur et les
raisons qui justifient le refus de communiquer
d'autres détails 13 . D'autre part, les autorités carcé-
rales ont clairement affirmé sous serment qu'au-
cun autre renseignement ne pouvait être révélé
sans danger, notamment dans la déclaration du
directeur qui, comme l'affirme avec raison le juge
de première instance, [aux pages 271 C.R.; 153
F.T.R.] «connaît mieux les conditions carcérales
que la Cour et peut évaluer de façon plus réaliste
ce que des détenus sont capables de déduire de
renseignements donnés» 14 .
Je disposerais donc de l'appel comme l'a suggéré
le juge Pratte.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A. (dissidente): J'ai
eu la chance de lire la première version des motifs
des jugements rendus par le juge Pratte et le juge
Marceau.
Le juge Pratte a décrit les faits pertinents. Je
m'en tiens à ceux-ci aux fins des motifs de mon
jugement.
" Voici un extrait très pertinent de l'avis: [TRADUCTION]
Selon des renseignements fiables que nous avons reçus, il appert
qu'entre janvier et décembre 1987, vous avez participé à l'ex-
tortion de fonds et de biens personnels de détenus, à l'extorsion
de fonds de membres de la population, à des menaces de
violence envers d'autres personnes ainsi qu'à l'achat de stupé-
fiants destinés à l'établissement Kent. Nous ne pouvons fournir
de renseignements plus détaillés car cela pourrait mettre vos
victimes en danger.
14 De fait, il y a eu bien plus qu'une affirmation générale
dans l'affidavit du directeur. Le directeur a déclaré que les
renseignements qui l'avaient poussé à agir ainsi venaient exclu-
sivement de six indicateurs dont il s'était engagé à protéger
l'anonymat. Puisque les sommes d'argent demandées et les
menaces employées étaient différentes dans quatre cas rappor
tés par les victimes présumées, le directeur a conclu que le fait
de dévoiler les détails relatifs aux incidents auraient pu permet-
tre leur identification. De même, dévoiler les renseignements
fournis par le soi-disant complice au plan d'extorsion et par un
parent d'un détenu menacé rendrait plus probable leur identifi
cation par les intimés.
L'appel dont nous sommes saisis porte sur le
degré d'information dont doit disposer un détenu à
l'égard de son transfèrement d'un établissement à
sécurité maximale à un secteur à sécurité maxi-
male supérieure pour satisfaire aux normes de
common law en matière d'équité procédurale ainsi
qu'à l'article 7 de la Charte canadienne des droits
et libertés, lorsque l'on prétend que la vie et la
sécurité d'autres personnes, tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur de l'établissement, pourraient être
menacées s'il reçoit les renseignements nécessaires.
La protection de l'identité des indicateurs n'est
pas en cause. Cette question est réglée depuis
l'arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; 7
C.C.C. (3d) 385. Ni l'une ni l'autre des parties
n'ont tenté de mettre en doute ce qui est mainte-
nant un lieu commun.
L'appelant prétend qu'en vertu des règles
d'équité, il n'est pas nécessaire que tous les rensei-
gnements détaillés dont dispose l'instance décision-
nelle soient révélés et que, pour des raisons de
sécurité, les renseignements ou observations com-
muniqués par un indicateur peuvent rester secrets.
Il reconnaît toutefois que les règles d'équité en
matière de procédure prévoient que le détenu doit
être informé de l'essentiel de l'information déposée
contre lui (Cadieux c. Directeur de l'établissement
Mountain, [1985] 1 C.F. 378, la page 397;
(1984), 13 C.C.C. (3d) 330 (ire inst.), à la page
345; Demaria c. Comité régional de classement
des détenus, [1987] 1 C.F. 74; (1986), 30 C.C.C.
(3d) 55 (C.A.)). Il prétend qu'en vertu de l'avis de
recommandation de transfèrement du 19 janvier
1988 (pièce A, dossier d'appel, à la page 14) et du
rapport sur l'évolution du cas du 20 janvier 1988
(pièce B, dossier d'appel, à la page 16), l'intimé
connaissait un certain nombre des motifs de son
transfèrement, à savoir qu'entre janvier et décem-
bre 1987, selon des renseignements fiables, le
détenu avait participé à l'extorsion de fonds et de
biens personnels des détenus et de membres de la
population; qu'il y avait eu menace de violence
envers d'autres personnes et introduction de stupé-
fiants dans l'établissement Kent; que les menaces
employées pour obtenir de l'argent, des biens per-
sonnels et des stupéfiants étaient des menaces de
violence physique contre d'autres détenus; que l'ar-
gent obtenu à la suite de ces menaces de violence a
servi à acheter des stupéfiants; que la preuve dépo-
sée contre l'intimé venait d'indicateurs; et enfin,
que le fait de communiquer le nom des victimes,
les sommes d'argent extorquées, les menaces
employées ou la procédure suivie pour amasser des
fonds entraînerait probablement l'identification
des indicateurs. L'appelant conclut que l'intimé
connaissait assez bien les motifs de son transfère-
ment, puisqu'il avait été informé de la période
visée, de l'endroit, des actes reprochés, du genre de
personnes impliquées et du but visé par les actes;
de plus, l'intimé savait pourquoi les autres rensei-
gnements ne pouvaient être divulgués.
Le juge de première instance a délivré un bref
de certiorari à l'encontre de l'appelant, au motif
que les critères établis dans l'arrêt Demaria c.
Comité régional de classement des détenus, pré-
cité, n'avaient pas été satisfaits. L'appelant a inter-
jeté appel au motif que l'avis donné à l'intimé était
beaucoup plus détaillé que l'avis donné au détenu
que dans l'affaire Demaria et qu'il faudrait faire
une distinction entre l'arrêt Demaria et l'espèce.
Dans Demaria, le détenu purgeait une peine
d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre et
avait été transféré dans un établissement à sécurité
moyenne lorsque, moins d'une semaine plus tard, il
fut soupçonné d'avoir introduit du cyanure dans
l'établissement. Il a été placé en ségrégation en
attendant l'issue d'une enquête, puis transféré à un
établissement à sécurité maximale. Les seuls
motifs dont il disposait étaient énoncés dans un
avis de 48 heures portant simplement que les
autorités carcérales avaient des motifs probables et
raisonnables de croire que le détenu était responsa-
ble de l'introduction de cyanure dans l'établisse-
ment. Voici ce qu'a affirmé le juge Hugessen, au
nom de la Cour, aux pages 77 et 78:
On fait savoir à l'appelant qu'il existe des motifs raisonnables
de croire qu'il a introduit du cyanure dans la prison. Aucune
indication ne lui est fournie sur la nature de ces motifs. Les
allégations formulées à son sujet ne comportent aucun détail
significatif. Où? Quand? Comment? D'où provenait le poison?
Comment avait-il été obtenu? Pour quelles fins? Quelle en était
la quantité? Les allégations sont censées être fondées sur des
renseignements obtenus du personnel de Millhaven et de la
Sûreté de l'Ontario. Quels renseignements proviennent de
quelle source? Y a-t-il un indicateur en cause? Si tel est le cas,
quelle partie de sa déclaration peut-on dévoiler tout en gardant
son identité secrète? La police a-t-elle poursuivi son enquête?
A-t-elle procédé à des arrestations? Les questions s'enchaînent
presque à l'infini.
Comme il était simplement allégué qu'il existait des motifs
de croire qu'il avait introduit du cyanure dans la prison,
l'appelant était réduit à nier les faits allégués—ce qui en soi est
presque toujours moins convaincant qu'une affirmation—et à se
livrer à des spéculations futiles sur la nature réelle de la preuve
présentée contre lui.
Il ne fait naturellement aucun doute que les autorités étaient
justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignement
confidentielles. Un pénitencier n'est pas un établissement pour
enfants de choeur et, si certains renseignements provenaient
d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de tirer aucune
conclusion à ce sujet), il est important que ces derniers soient
protégés. Mais, même si cela était le cas, il devrait toujours être
possible de transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne
dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il incombe toujours aux
autorités d'établir qu'elles n'ont refusé de transmettre que les
renseignements dont la non-communication était strictement
nécessaire à de telles fins. Outre son caractère invraisemblable,
une affirmation générale, comme celle en l'espèce, voulant que
[TRADUCTION] «tous les renseignements concernant la sécurité
préventive» soient «confidentiels et (ne puissent) être communi-
qués», est tout simplement trop large pour être acceptée par un
tribunal chargé de protéger le droit d'une personne à un
traitement équitable. En dernière analyse, il s'agit de détermi-
ner non pas s'il existe des motifs valables pour refuser de
communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseigne-
ments communiqués suffisent à permettre à la personne concer-
née de réfuter la preuve présentée contre elle.
Dans Demaria, la Cour n'était pas saisie de la
même question qu'en l'espèce, c'est-à-dire, d'une
part, les renseignements dont doit disposer le
détenu, pour se défendre, s'il est innocent, et d'au-
tre part, le fait que les autorités carcérales préten-
dent que les autres renseignements demandés par
le détenu risquent de mettre en danger la vie
d'autres personnes, la plupart vivant dans le milieu
clos d'un pénitencier.
En l'occurrence, les autorités carcérales deman-
dent, par voie d'affidavit, beaucoup plus que la
reconnaissance de la simple confidentialité de
l'identité des indicateurs, en vertu de la règle
établie dans Bisaillon c. Keable (précitée). Elles
prétendent qu'elles ne peuvent donner plus de
détails à l'intimé parce que cela mettrait probable-
ment en danger la vie ou la sécurité des indica-
teurs. Sans le dire clairement, elles réclament de
fait la protection du droit des autres détenus et
d'un membre de la population à la sécurité de leur
personne, droit garanti par l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés.
Le transfèrement d'un détenu d'un établisse-
ment à un autre est une mesure d'ordre discipli-
naire. Il faut donc lui appliquer les critères du
droit administratif et non du droit pénal. À ce
stade-ci, le détenu n'est pas privé de la liberté
absolue dont disposent les citoyens. Il l'a déjà
perdue au moment de son incarcération. Il ne
dispose pas de tous les droits conférés à un prévenu
en matière pénale. Le transfèrement implique la
modification des conditions de sa détention. Ce
genre d'entrave à la liberté s'ensuit et entraîne
l'application des règles d'équité en matière de pro-
cédure, tant selon la common law qu'en vertu de
l'article 7 de la Charte.
L'équité en matière de procédure varie selon les
circonstances. Alors qu'ils élaborent les normes
d'application équitable de la loi, les tribunaux
américains ont pris soin de tenir compte de la
nature de la décision gouvernementale visée et de
la portée de la perte pour le détenu. J'estime qu'à
cet égard, notre droit ne diffère pas de cet énoncé
fait par la Cour suprême des Etats-Unis dans
l'arrêt Wolff v. McDonnell, 418 U.S. 539 (1974),
à la page 560:
[TRADUCTION] ... Ella nature même du principe d'application
équitable de la loi s'oppose à toute notion de procédures rigides
applicables universellement à toute situation imaginable. Cafe
teria Worker v. McElroy, 367 U.S., à la p. 895. «Pour établir
les procédures qui doivent être suivies pour une application
équitable de la loi dans des circonstances données, il faut tout
d'abord définir la nature de la fonction gouvernementale visée
ainsi que des intérêts privés touchés par la mesure gouverne-
mentale.» Mid; Morrissey, 408 U.S., à la p. 481. Dans ce même
ordre d'idée, il est évident que l'on ne peut appliquer automati-
quement des règles procédurales conçues pour les citoyens
libres d'une société, ou pour des prisonniers en libération
conditionnelle dans des situations restreintes, au cas très diffé-
rent d'une procédure disciplinaire tenue dans une prison d'Etat.
[Je souligne.]
Voici ce qu'a affirmé la même Cour dans Bell v.
Wolfish, 441 U.S. 520, la page 547; 99 S Ct
1861, la page 1877; 60 L Ed 2d 447 (1979), à la
page 473:
[TRADUCTION] Les administrations carcérales ... devraient
jouir d'une grande souplesse dans l'adoption et l'application des
politiques et pratiques qui, de leur avis, sont nécessaires à
l'ordre et à la discipline internes et au maintien de la sécurité
dans leur établissement.
Cela me rappelle les propos du juge Dickson [tel
était alors son titre], au nom de la Cour, dans
l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S 821,
aux pages 839 et 840:
En règle générale, je n'estime pas qu'il est loisible aux tribu-
naux de mettre en doute le jugement du chef de l'institution sur
ce qui peut être nécessaire ou non au maintien de la sécurité
dans un pénitencier.
De fait, dans Wolff v. McDonnell, (précitée), à
la page 566, la Cour suprême des Etats-Unis a
reconnu que [TRADUCTION] «[1]e moins que l'on
puisse dire, c'est que l'administration d'un établis-
sement carcéral est une tâche extrêmement diffi-
cile». Il ne faut pas sous-estimer les risques réels
que courent les indicateurs détenus en prison lors-
qu'ils collaborent avec les dirigeants de l'établisse-
ment; et il est possible que dans un tel cas, les
autorités carcérales soient plus prudentes qu'intré-
pides. Du même coup, il incombe à ces autorités de
démontrer que, lorsqu'elles adoptent une mesure
disciplinaire, les circonstances ne leur permettant
pas d'informer le détenu des faits sur lesquels
l'accusation est fondée. Ce n'est pas là un mince
fardeau, puisque la protection de la loi et de la
Constitution ne s'arrête pas aux portes de la
prison.
L'intimé n'avait probablement pas assez de ren-
seignements pour se défendre convenablement. Il
prétend que même si l'avis qu'il a reçu était indé-
niablement plus considérable que celui visé dans
l'arrêt Demaria (précité), il ne contenait pas plus
de détails concernant les allégations portées que
l'avis jugé insuffisant dans Demaria. Par exemple,
l'intimé affirme que l'avis en cause ne prévoit pas
le genre et la quantité de stupéfiants visés, la
fréquence de l'introduction au cours de l'année
pendant laquelle on prétend qu'il les a introduits
dans l'établissement, les sommes d'argent et le
genre de biens qui ont été extorqués, ni la popula
tion extérieure touchée par ce plan. De plus, il ne
mentionne pas l'existence d'une enquête menée par
la police ni, le cas échéant, les résultats de leur
enquête.
Pour avoir gain de cause dans un cas semblable,
les autorités carcérales doivent avoir pris les mesu-
res nécessaires pour réduire la marge d'erreur. Et
je ne suis pas convaincue que cela a été fait en
l'espèce.
J'ai noté que dans l'arrêt Cadieux c. Directeur
de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378, à
la page 402; (1984), 13 C.C.C. (3d) 330 (1`e inst.),
le juge Barbara Reed, saisie d'une demande de
bref de certiorari visant à annuler une décision de
la Commission nationale des libérations condition-
nelles qui avait annulé le programme d'absence
temporaire sans escorte du requérant, a envisagé
(aux pages 402 C.F.; 349 C.C.C.) la possibilité que
les tribunaux exigent dans certaines circonstances
la production d'un affidavit placé dans une enve-
loppe scellée et accompagné d'une explication pré-
cise des raisons pour lesquelles les renseignements
ne devraient pas être divulgués. La juge Reed
compare cette procédure à celle employée en
common law, dans les affaires de secret profession-
nel, ainsi qu'à celle prévue à l'article 36.1 [édicté
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4, annexe
III] de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C.
1970, chap. E-10. Ce genre de mesure n'est toute-
fois peut-être pas pratique dans le cas des autorités
carcérales et je souscris à l'opinion du juge Mar-
ceau (à la page 342, 2e paragraphe de ses motifs de
jugement) selon laquelle «il ne faut pas traiter de
la même façon toutes les décisions administratives
portant sur les détenus en milieu carcéral, qu'elles
soient rendues par la Commission nationale des
libérations conditionnelles ... , les comités de dis
cipline ou ... les autorités carcérales ...». Cette
question a également été soulevée dans l'arrêt
Wolff v. McDonnell (précité).
Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un cas où les
autorités carcérales ont allégué le caractère urgent
de la situation pour justifier le transfèrement de
l'intimé, même s'il pouvait y avoir une certaine
urgence lorsque le détenu a été placé en ségréga-
tion en attendant l'issue de l'enquête. Toutefois, il
ne s'est pas plaint de la première étape de la
mesure disciplinaire.
On a fait appel à des renseignements confiden-
tiels et l'avis reçu par l'intimé est fondé sur des
«renseignements fiables (que nous avons)
reçus ...» (je souligne). Toutefois, les affidavits ne
contiennent aucune explication de ce qui a poussé
les autorités carcérales à croire que les renseigne-
ments obtenus étaient fiables.
Je retiens des décisions rendues par les tribu-
naux américains Dawson v. Smith, 719 F.2d 896
(C.A. III. 1983); certiorari refusé 104 S Ct 1714;
80 L Ed 2d 186 (1984); Lamoureux v. Superin
tendent, Massachusets Correctional Inst., Wal-
pole, 456 N.E.2d 1117 (Mass. 1983); Goble v.
Wilson, 577 F.Supp. 219 (Dist. Ct. Ky. 1983);
Homer v. Morris, 684 P.2d 64 (Utah 1984); State
ex rel. Staples v. Department of Health and
Social Services, Div. of Corrections, 340 N.W.2d
194 (Wis. 1983), qui ont toutes certains points en
commun avec le présent appel, que lorsque les
autorités carcérales fondent leur décision de pren-
dre des mesures disciplinaires sur des renseigne-
ments confidentiels, le dossier doit comprendre les
renseignements factuels inhérents à partir desquels
les autorités peuvent déduire raisonnablement que
l'indicateur est crédible ou les renseignements fia-
bles. Lorsqu'il est impossible de faire appel au
contre-interrogatoire, à la confrontation ou à des
renseignements adéquats pour faire ressortir la
vérité, il doit y avoir des mesures qui garantissent
que l'enquête vise bel et bien la recherche des faits
pertinents où la véracité des actes répréhensibles
reprochés puisse être vérifiée afin de prévenir une
vengeance personnelle de la part des indicateurs.
Aucun des tribunaux cités n'a étudié des rensei-
gnements confidentiels in camera, sauf dans
Dawson v. Smith (précité), aux pages 898 et 899,
où le tribunal l'a fait à la demande des parties et
non proprio motu. Dans bon nombre de ces déci-
sions, il semble qu'il existait des règles administra-
tives permettant aux autorités carcérales de conci-
lier le besoin d'équité en matière disciplinaire et la
sécurité en milieu carcéral. Ce n'est pas le cas en
l'espèce.
Il y a différentes façons de faire la preuve de la
fiabilité de renseignements, notamment par une
enquête indépendante ou par la recherche de ren-
seignements visant à les corroborer, et ce à partir
de sources indépendantes. D'après les affidavits
déposés par l'appelant, aucune enquête indépen-
dante n'a été tenue. Dans ce cas, pourquoi les
autorités carcérales étaient-elles certaines de la
fiabilité des renseignements reçus? Les déclara-
tions ont-elles été faites sous serment? Les rensei-
gnements obtenus des six indicateurs visaient-ils à
corroborer des faits essentiels? Pourquoi l'intimé
n'a-t-il pas été placé sous surveillance continue
pour ainsi permettre la cueillette de preuves contre
lui? Qu'est-ce qui aurait pu empêcher que cette
mesure soit prise? La police a-t-elle été informée
de la situation, surtout des activités ayant eu lieu à
l'extérieur de l'établissement?
J'aurais rejeté l'appel, faute d'affidavits con-
vaincants.
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