T-889-89
Mattel Canada Inc. (demanderesse)
c.
GTS Acquisitions Ltd. et Nintendo of America
Inc. (défenderesses)
RÉPERTORIÉ: MATTEL CANADA INC. c. GTS ACQUISITIONS
LTD. (I 1s INST.)
Section de première instance, juge Joyal—
Toronto, 8 août; Ottawa, 31 août 1989.
Marques de commerce — Contrefaçon — Requête en
injonction interlocutoire en vue d'interdire la vente non autori-
sée de jeux vidéo «Nintendo» importés des É.-U. — La
demanderesse est le distributeur exclusif et l'usager inscrit au
Canada de la marque de commerce Nintendo — L'absence de
tromperie du public, en ce sens que les marchandises «Nin-
tendo» vendues par la défenderesse GTS sont authentiques,
n'est pas concluante — Lorsqu'est concerné le propriétaire ou
l'usager de la marque de commerce déposée ou qu'est soulevée
la question de la concurrence déloyale, il y a d'autres choses à
prendre en considération, par ex. les efforts déployés et les
sommes dépensées afin de créer un marché pour le produit —
L'art. 7e) de la Loi sur les marques de commerce interdit tout
ce qui est contraire aux honnêtes usages industriels, et l'art.
49(3) assimile l'emploi de la marque par l'usager inscrit à son
emploi par le propriétaire inscrit, aux fins de la Loi — La Loi
vise à instaurer l'équité sur le marché; elle ne peut pas servir à
légitimer le comportement illégal de quelqu'un.
Il s'agissait d'une requête en injonction interlocutoire en vue
d'interdire à la défenderesse GTS Acquisitions Ltd. («GTS») de
vendre des jeux vidéo et du matériel connexe sous un certain
nombre de marques de commerce associées, la principale étant
«Nintendo», dont la demanderesse est l'usager inscrit et le
distributeur exclusif au Canada. L'entente relative à la distri
bution prévoit des commandes et des ventes annuelles minima-
les garanties. La demanderesse a mené une campagne massive
de publicité et fournit d'importants services après-vente, ce qui
a entraîné une formidable augmentation des ventes. Soixante
pour cent des revenus de la demanderesse proviennent de la
vente de ces jeux. La défenderesse a importé des E.-U. des jeux
vidéo qui portaient la marque de commerce Nintendo, en vue
de leur distribution au Canada. La demanderesse a allégué que
ces ventes de contrefaçons risquent de l'empêcher de respecter
son engagement quant aux ventes minimales, de faire baisser
l'achalandage et de créer de la confusion. Selon l'action, il y
avait contrefaçon d'une marque de commerce. La défenderesse
a soutenu qu'une action en contrefaçon exige la vente de
marchandises en liaison avec une marque de commerce créant
de la confusion et qu'il s'agit d'un critère fondé sur la tromperie
concernant des marchandises fausses. Elle a ajouté qu'il n'y
avait pas contrefaçon lorsque la marque de commerce était
utilisée en liaison avec les marchandises garanties d'origine
fournies par le véritable propriétaire de la marque.
Jugement: la requête est accueillie.
L'absence de tromperie du public dans le cas de la vente des
propres marchandises du propriétaire d'une marque de com-
merce n'est pas concluante dans l'affaire. La décision de la
Cour suprême du Canada, Consumers Distributing Company
Ltd. c. Seiko Time Canada Ltd. et autres, a non seulement
ouvert la porte à d'autres considérations si le propriétaire d'une
marque de commerce déposée ou son usager inscrit est concerné
mais a ouvert également plus grande cette même porte à
d'autres critères lorsqu'est soulevé quelque genre de concur
rence déloyale que ce soit. La demanderesse a déployé de
grands efforts et dépensé des sommes considérables d'argent
pour créer un marché au Canada pour les produits Nintendo.
À première vue, le paragraphe 49(3) (qui assimile l'utilisa-
tion autorisée d'une marque de commerce par un usager inscrit
à son utilisation par un propriétaire inscrit aux fins de la Loi)
accordait une certaine protection à la demanderesse.
La Loi sur les marques de commerce réglemente tout le
champ de la propriété des marques de commerce et y incorpore
tout le champ de la concurrence déloyale. L'alinéa 7e) (qui
interdit out ce qui est contraire aux honnêtes usages industriels)
doit vouloir dire que certains petits jeux ne peuvent pas se
pratiquer sur le marché. Ce serait contraire au but de tout
régime législatif visant à instaurer l'équité sur le marché qu'une
personne puisse se servir de cette Loi pour légitimer un compor-
tement illégal de sa part.
Comme la défenderesse vendait un produit sous la marque de
commerce de la demanderesse pour laquelle aucune autorisa-
tion ni permis n'avaient été obtenus, il a été satisfait au critère
exposé dans l'arrêt American Cyanamid. Quant à la question
du tort irréparable et de la prépondérance des inconvénients, la
poursuite des ventes non autorisées de produits Nintendo au
Canada cause du tort à l'entreprise et à l'achalandage de la
demanderesse. Et plus il y aura de ces produits contrefaits sur
le marché canadien, plus les pertes qui en résulteront devien-
dront difficiles à évaluer quantitativement. La défenderesse n'a
supporté aucun risque ni n'a investi de capitaux. Elle n'a pas à
maintenir ou à financer de stock. Les produits Nintendo ne
constituent pas la partie importante de ses ventes, et, si elle veut
continuer de vendre des produits Nintendo, elle a une autre
source d'approvisionnement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 7e), 49(3),(4).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Consumers Distributing Company Ltd. c. Seiko Time
Canada Ltd. et autres, [ 1984] 1 R.C.S. 583; 10 D.L.R.
(4th) 161; (1984), 54 N.R. 161; 29 C.C.L.T. 296; 3
C.I.P.R. 223; 1 C.P.R. (3d) 1; Erven Warnink BV v J
Townend Et Sons (Hull) Ltd, [ 1979] 2 All ER 927
(H.L.); American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975]
A.C. 396 (H.L.); CBM Kabushiki Kaisha c. Lin Trading
Co. (1987), 10 C.I.P.R. 260; 14 C.P.R. (3d) 32; (1987), 9
F.T.R. 177 (C.F. 1f 0 inst.); McCabe c. Yamamoto & Co.
(America) Inc., [1989] 3 C.F. 290; 23 C.P.R. (3d) 498;
23 C.I.P.R. 64; (1989), 25 F.T.R. 186 (PC inst.);
Remington Rand Ltd. v. Transworld Metal Co. Ltd. et
al., [1960] R.C.É. 463; Dunlop Rubber Company Ld. v.
A. A. Booth & Co. Ld. (1926), 43 R.P.C. 139 (Ch.D.);
Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd.
(1987), 16 C.I.P:R. 131; 16 C.P.R. (3d)481; (1987), 11
F.T.R. 139 (C.F. 1" inst.); Philips Export B.V. et autre
c. Windmere Consumer Products Inc. (1985), 4 C.P.R.
(3d) 83 (C.F. 1" inst.); Bollinger (J.) v. Costa Brava
Wine Company Ltd., [ 1959] 3 All E.R. 800 (Ch.D.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Imperial Tobacco Co. of India v. Bonnan, [ 1924] A.C.
755 (P.C.); Revlon Inc. and Others v. Cripps & Lee Ltd.
and Others, [1980] 6 F.S.R. 85 (C.A.); Champagne
Heidsieck et Cie Monopole Société Anonyme v. Buxton
(1929), 47 R.P.C. 28 (Ch.D.).
AVOCATS:
K. W. Chalmers et Helen C. Walsh pour la
demanderesse.
John S. McKeown et Lesley M. Cameron
pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Day Wilson Campbell, Toronto, pour la
demanderesse.
Cassels Brock & Blackwell, Toronto, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: La demanderesse sollicite une
injonction interlocutoire en attendant l'instruction
de l'instance, en vue d'interdire à la défenderesse
GTS Acquisitions Ltd. de vendre certains jeux
vidéo et du matériel connexe sous un certain
nombre de marques de commerce associées dont la
demanderesse est l'usager inscrit au Canada. La
demanderesse prétend que l'utilisation de ces mar-
ques par la défenderesse constitue une contrefaçon
évidente et que, vu toutes les circonstances de
l'espèce, il serait bon que la Cour intervienne à ce
stade-ci de l'action.
La marque de commerce principale est «Nin-
tendo». Elle est utilisée en liaison avec des jeux
vidéo, des programmes et des cartouches de jeux
vidéo et des appareils vidéo. La marque appartient
à la société Nintendo of America Inc. et a été
déposée au Canada en 1983 sous le n° 282255.
D'autres marques associées ont été déposées en
1988 et 1989.
Nintendo of America Inc. (Nintendo U.S.A.)
est la filiale appartenant en propriété exclusive à
Nintendo Co. Ltd. (Nintendo, Japan), le fabricant
de ces jeux vidéo et de produits connexes. Nin-
tendo U.S.A. est le distributeur exclusif des pro-
duits Nintendo en Amérique du Nord et en 1986
elle a fait de la demanderesse son distributeur
exclusif au Canada. Cet arrangement portait sur
une période initiale de trois ans, mais il a été
depuis prolongé jusqu'au 30 juillet 1992. L'entente
entre les parties prévoit des commandes annuelles
minimales garanties et, pour l'année comprise
entre le 1°r avril 1989 et le 31 mars 1990, elle
stipule des ventes minimales d'environ 50 millions
de dollars U.S. de produits Nintendo.
Depuis 1986, la demanderesse mène une campa-
gne massive de mise en marché et de publicité afin
de promouvoir la vente de ces produits au Canada.
À la fin de 1989, quelque 20 millions de dollars
auront été dépensés à ce poste du budget de la
demanderesse. Les résultats ont été bons. Les
ventes de la demanderesse sont passées de 5 à 68
millions de dollars au cours de ces années.
Le logo et la marque de commerce «Mattel»
apparaissent sur les emballages, les guides de l'uti-
lisateur et le matériel publicitaire des jeux destinés
au marché canadien qui sont fabriqués et mis sous
emballage bilingue au Japon. Les jeux sont vendus
partout au Canada aux grands promoteurs de
vente, aux grands détaillants de jouets, aux mar-
chands spécialisés dans la vente d'appareils élec-
troniques et à deux sous-distributeurs, à savoir
Beamscope Canada et Bellevue Home Entertain
ment. La vente de ces jeux représente environ 60 %
des revenus de la demanderesse.
En plus des jeux eux-mêmes et dans le cadre de
sa politique de mise en marché, la demanderesse
offre une garantie de 90 jours contre tous les
défauts, permet aux clients de recourir aux services
qualifiés de ses ateliers de réparation et met égale-
ment à la disposition des clients des lignes télépho-
niques ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-qua-
tre pour leur venir en aide dans l'utilisation des
jeux vidéo.
Jusqu'à la fin de 1988, la demanderesse profitait
de la protection de l'entente de distribution exclu
sive conclue avec Nintendo U.S.A. Naturellement,
cette dernière s'occupait activement de vendre les
mêmes jeux aux États-Unis, mais elle a limité son
réseau de vente à ce pays et a interdit à ses
distributeurs et à ses vendeurs d'exporter des jeux
vidéo ou d'en vendre en vue de leur exportation à
l'extérieur des États-Unis.
Il y a eu toutefois plusieurs ruptures de l'entente
au début de 1989 lorsque la demanderesse a
découvert qu'il se créait un marché «gris» au
Canada en ce qui avait trait à ces jeux grâce à
l'achat et à l'importation au Canada de jeux amé-
ricains, qui portaient tous la marque de commerce
Nintendo. La demanderesse a immédiatement
intenté une action contre plusieurs de ces importa-
teurs ou vendeurs canadiens, dont la défenderesse
faisait partie.
La défenderesse est une compagnie comprenant
trois propriétaires mais aucun autre employé. Elle
a été constituée en janvier 1989 et a commencé
peu après à importer au Canada des jeux vidéo
américains en vue de leur distribution au pays.
Selon la preuve, ses sources d'approvisionnement
aux États-Unis semblent être principalement les
sociétés Colonel Video au Texas et Able Entrepri-
ses au Missouri. La défenderesse achète également
des jeux vidéo américains de Phil's Video de
Winnipeg.
À l'appui de sa demande d'injonction interlocu-
toire, la demanderesse fait valoir que, sans l'octroi
d'un redressement de ce genre, il n'y aura plus de
fin à la prolifération de jeux vidéo américains sur
le marché canadien. Ces jeux sont devenus des
articles recherchés, à la suite naturellement de la
campagne massive de publicité de la demanderesse
et en raison de ses programmes de service après-
vente. A titre d'usager inscrit des différentes mar-
ques de commerce associées à ses produits, ces
ventes de contrefaçons risquent non seulement de
l'empêcher de respecter l'engagement qu'elle a pris
avec Nintendo U.S.A. quant aux commandes
minimales, mais également de faire grandement
baisser l'achalandage qu'elle a créé en ce qui a
trait aux marques de commerce. Selon la deman-
deresse, il y a déjà de la confusion sur le marché.
Les clients à la recherche du produit s'aperçoivent
que l'emballage et le mode d'emploi sont rédigés
en anglais seulement. De plus, comme la garantie
liée aux jeux vidéo canadiens ne s'applique pas au
produit américain, les téléphonistes chargés des
lignes ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-qua-
tre de la demanderesse doivent continuellement
expliquer au public qu'elle [TRADUCTION] «ne
peut pas être tenue responsable des jeux vidéo
américains», position qui mine la crédibilité de la
demanderesse relativement à ses garanties, à ses
programmes de service après-vente et à sa politi-
que de promotion des ventes.
La demanderesse prie la Cour de conclure que
la situation satisfait au critère énoncé par la
Chambre des lords dans la célèbre affaire Ameri-
can Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396 (H.L.):
I . Il y a une question importante à trancher, la demanderesse
jouissant du droit exclusif d'utiliser au Canada les marques de
commerce Nintendo;
2. la poursuite des ventes de jeux vidéo américains par la
défenderesse et par plusieurs autres cause un tort irréparable
qui ne peut pas être réparé par des dommages-intérêts;
3. comme la défenderesse peut toujours acheter le produit
canadien, l'octroi d'une injonction à ce stade-ci ne l'empêche-
rait pas de faire des affaires et par conséquent la prépondérance
des inconvénients penche en faveur de la demanderesse.
Dans sa preuve, la défenderesse soutient fonda-
mentalement que ses ventes au Canada des pro-
duits Nintendo assujettis aux marques de com
merce ne constituent pas une contrefaçon. au sens
de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C.
1970, chap. T-10]. La preuve de la demanderesse,
ajoute-t-elle, s'appuie sur les droits qui découlent
en sa faveur du contrat conclu avec Nintendo
U.S.A. dont les importations au Canada pour-
raient constituer une rupture de contrat, mais une
telle rupture ne découle pas de la Loi ni ne s'appli-
que à l'encontre de la défenderesse.
La défenderesse allègue qu'une action en contre-
façon intentée en vertu de la Loi sur les marques
de commerce s'appuie sur la vente, la distribution
ou la promotion de marchandises en liaison avec
une marque de commerce créant de la confusion. Il
s'agit d'un critère fondé sur une tromperie concer-
nant des marchandises fausses. D'après les faits de
l'espèce, il ne peut y avoir contrefaçon si la marque
est utilisée en liaison avec les marchandises garan-
ties d'origine fournies par le véritable propriétaire
de la marque.
Quant à la perte d'achalandage, la défenderesse
prétend que l'achalandage se rapporte au fabri-
cant, Nintendo, et non pas à la demanderesse. Par
conséquent, et en conformité avec la décision
rendue par le Conseil privé dans l'affaire Imperial
Tobacco Co. of India v. Bonnan, [1924] A.C. 755,
la défenderesse devrait être tout à fait libre en
vertu de la Loi de vendre les marchandises du
fabricant au Canada en concurrence avec la
demanderesse, même si, en vertu du contrat, la
demanderesse est le seul distributeur du fabricant
au Canada.
En outre, aux dires de la défenderesse, la
demanderesse elle-même s'est adonnée par le passé
au même genre de pratiques que la défenderesse.
La demanderesse, selon la preuve, a déjà dans le
passé importé au Canada des jeux vidéo améri-
cains. Cela s'est apparemment produit lorsque
Nintendo Japan ne pouvait satisfaire à la demande
canadienne. La demanderesse ne peut donc pas
faire valoir l'existence d'un tort irréparable, qui est
l'une des conditions préalables essentielles à une
demande d'injonction interlocutoire.
La défenderesse soutient que, de toute façon, les
dommages-intérêts qui pourraient revenir à la
demanderesse, si celle-ci devait avoir gain de cause
au procès, pourraient être facilement comptabili-
sés. La défenderesse a déjà fourni à la demande-
resse le chiffre de ses ventes à ce jour de jeux vidéo
américains et continuerait naturellement d'en tenir
le compte.
Enfin, la défenderesse mentionne que la deman-
deresse, à titre d'usager inscrit des marques de
commerce, n'a pas respecté les dispositions expres
ses du paragraphe 49(4) de la Loi sur les marques
de commerce et que son action en l'espèce est
prématurée. Ainsi qu'il s'est avéré, la question n'a
pas été débattue sérieusement devant moi. Je cons-
tate, de toute façon, que le début du paragraphe
49(4) de la Loi fournit une réponse complète à
cette exigence de forme.
La Cour doit maintenant s'arranger avec la
question. On fait remarquer dans l'arrêt Champa
gne Heidsieck et Cie Monopole Société Anonyme
v. Buxton (1929), 47 R.P.C. 28 (Ch.D.), à la page
35, que le droit exclusif conféré à un propriétaire
d'utiliser une marque est le droit d'utiliser la
marque comme marque de commerce, c'est-à-dire
pour indiquer que les marchandises sur lesquelles
elle est apposée sont ses marchandises, et d'empê-
cher les autres de vendre sous cette marque des
marchandises qui ne sont pas les siennes.
Si l'action dont je suis saisi avait été intentée par
le propriétaire des marques Nintendo et s'il ressor-
tait uniquement de la preuve que la défenderesse
vend un produit Nintendo auquel s'applique la
marque de commerce, il n'y aurait pas de litige en
ce qui concerne le propriétaire. Il serait quelque
peu ridicule de faire valoir la contrefaçon ou le
passing off lorsque la défenderesse traite avec les
propres marchandises du propriétaire. Il ne peut y
avoir de tromperie dans de tels cas. Le propriétaire
pourrait avoir à l'encontre de la défenderesse une
certaine cause d'action fondée sur le contrat pour
le motif que la défenderesse vend dans un territoire
qui lui est interdit, mais une telle action, à mon
avis, ne pourrait pas se fonder sur la duperie ou la
tromperie.
Dans l'arrêt Imperial Tobacco Co., précité, il est
mentionné à la page 762 [TRADUCTION] qu'«On
ne peut rien faire pour empêcher un vendeur d'ac-
quérir des marchandises d'un fabricant et de les
vendre en concurrence avec lui, même dans un
pays dans lequel le fabricant ou son représentant a
été jusqu'ici le seul importateur ... Il n'y a ni
mensonge ni tentative en vue de tromper.»
Les tribunaux anglais ont adopté essentiellement
la même approche dans l'arrêt Revlon Inc. and
Others v. Cripps & Lee Ltd. and Others, [ 1980] 6
F.S.R. 85 (C.A.), lorsque, dans des circonstances
similaires à celles de l'affaire dont je suis saisi, la
Cour d'appel a jugé qu'il n'y avait pas passing off
quand ce sont les marchandises du véritable pro-
priétaire de la marque de commerce qui sont ven-
dues. Si la vente est effectuée par un vendeur non
autorisé, c'est une question de contrat et non pas
de contrefaçon.
Dans une décision plus récente de la Cour
suprême du Canada dans l'affaire Consumers Dis
tributing Company Ltd. c. Seiko Time Canada
Ltd. et autres, [1984] 1 R.C.S. 583; 10 D.L.R.
(4th) 161; (1984), 54 N.R. 161; 29 C.C.L.T. 296;
3 C.I.P.R. 223; 1 C.P.R. (3d) 1, le juge Estey, au
nom de la Cour, nous fournit une analyse minu-
tieuse de la doctrine traditionnelle selon laquelle la
tromperie, c'est-à-dire la vente des marchandises
de quelqu'un comme étant celles d'un autre, est au
centre de toute action en vue d'une injonction.
Dans le cas dont la Cour était saisie, la société
Consumers Distributing avait vendu des montres
Seiko qui n'avaient pas été obtenues du distribu-
teur exclusif du propriétaire au Canada mais
avaient été obtenues de l'extérieur du pays. Après
examen des faits, le juge Estey n'a pas pu conclure
que le geste de Consumers constituait du passing
off. Les montres Seiko qu'elle vendait étaient de
fait des montres identiques à celles que vendait le
distributeur exclusif canadien et toutes ces mon-
tres naturellement provenaient de la même source
de fabrication. De plus, l'octroi d'une injonction et
de dommages-intérêts était déjà venu régler toute
possibilité de confusion dans l'esprit du public
relativement à la structure de vente mise en place
par le distributeur canadien, y compris les services
des points de vente, le guide de l'utilisateur et les
garanties endossées véritablement, et par consé-
quent il n'y avait plus devant la Cour de litige au
sujet duquel on pouvait invoquer le «passing off».
Le juge Estey ajoute toutefois, aux pages 597
R.C.S.; 172 D.L.R. et s., que la duperie ou la
tromperie consistant à vendre les marchandises de
quelqu'un comme étant celles d'un autre ne couvre
plus le comportement préjudiciable ou délictuel.
Le véritable fondement en est la concurrence
déloyale, une notion qui naturellement doit être
interprétée en tenant compte de l'intérêt public
déclaré à maintenir un marché libre et concurren-
tiel. Essentiellement, ainsi qu'il a été dit dans
l'affaire du Champagne Bollinger (J.) v. Costa
Brava Wine Company Ltd. [1959] 3 All E.R. 800
- (Ch.D.), à la page 805:
[TRADUCTION] ... selon moi, il serait juste de dire qu'à cet
égard la loi s'intéresse à la concurrence déloyale entre commer-
çants plutôt qu'à la tromperie dont le public peut être victime
en raison de la conduite de la demanderesse, car l'action dite
«en passing off» n'est pas intentée par le membre du public qui
a été induit en erreur, mais par le commerçant dont le com
merce risque de subir un préjudice par la suite de la tromperie
pratiquée à l'endroit du public, mais sans qu'il soit lui-même le
moindrement trompé.
Le juge Estey cite également lord Diplock, dans
l'arrêt Erven Warnink BV v J Townend Et Sons
(Hull) Ltd, [1979] 2 All ER 927 (H.L.), à la page
931:
[TRADUCTION] Les pratiques commerciales déloyales en tant
que délit donnant lieu à des poursuites par d'autres commer-
çants qui, par suite de ces pratiques, perdent des affaires ou
leur achalandage, peuvent revêtir différentes formes ... mais
de loin le plus protéiforme est ce qu'on appelle généralement de
nos jours, bien que cette appellation puisse être trompeuse, le
«passing off». Les diverses formes de pratiques commerciales
déloyales varieront en fonction des méthodes commerciales, de
la réputation de l'entreprise et de l'achalandage acquis. [C'est
moi qui souligne.]
Enfin, en concluant dans l'affaire Seiko que
Consumers n'avait pas commis de délit donnant
lieu à des poursuites, le juge Estey, aux pages 612
et 613 R.C.S.; 184 D.L.R., se sent obligé de faire
remarquer que rien n'avait été avancé par l'inti-
mée, le distributeur canadien, relativement aux
droits qui pourraient découler du fait d'être le
propriétaire ou l'usager inscrit de la marque de
commerce «Seiko». Ni l'une ni l'autre condition
n'existant, dit le juge Estey, il n'y avait pas lieu de
confronter une décision rendue antérieurement par
la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Remington
Rand Ltd. v. Transworld Metal Co. Ltd. et al.,
[1960] R.C.É. 463.
Dans cette dernière affaire, le juge Thurlow [tel
était alors son titre] s'est prononcé en faveur d'une
injonction interlocutoire en attendant le procès
relativement à l'importation et à la vente au
Canada de certains rasoirs électriques portant la
marque déposée de la demanderesse «Remington»,
«Rollectric» et «Princess». Les rasoirs vendus par la
demanderesse sous ces marques étaient fabriqués
pour elle par sa compagnie mère située aux É.-U.,
la Remington Rand Electric Shaver Corporation,
qui était une division de la Sperry Rand Corpora
tion. Les rasoirs de la défenderesse étaient fabri-
qués par la compagnie mère américaine et égale-
ment par une compagnie allemande portant le nom
de Remington Rand. Il est ressorti de la preuve
que les rasoirs de la défenderesse étaient, en appa-
rence du moins, identiques à ceux vendus par la
demanderesse.
Le juge Thurlow dit ceci à la page 464: [TRA-
DUCTION] «Malgré le lien existant entre la deman-
deresse et sa compagnie mère américaine, la
preuve de l'utilisation des marques par les défende-
resses au Canada constitue, à mon avis, une solide
preuve prima facie de la contrefaçon des mar-
ques.» Dans sa décision, le juge Thurlow invoque
l'arrêt Dunlop Rubber Company Ld. v. A. A.
Booth & Co. Ld. (1926), 43 R.P.C. 139 (Ch.D.) et
cite le juge Tomlin aux pages 144 et 145:
[TRADUCTION] L'entreprise de pneus «Dunlop» est dirigée sui-
vant un système dans lequel il y a des compagnies différentes
dans les différents pays, de sorte que la compagnie anglaise est
propriétaire, en Angleterre, d'un certain nombre de marques de
commerce et que la compagnie française «Dunlop» détient des
marques de commerce en France qui sont identiques aux
marques de commerce anglaises, et j'en déduis qu'une situation
semblable a cours en Italie et peut-être dans d'autres pays. Il
s'ensuit qu'un pneu français «Dunlop» portant les marques de
commerce qui sont identiques aux marques de commerce
anglaises ne peut pas être importé en Angleterre en vue d'y être
vendu sans contrefaire les marques de commerce anglaises.
Le présent examen de la jurisprudence m'indi-
que que l'absence de tromperie à l'endroit du
public dans le cas de la vente des propres marchan-
dises du propriétaire d'une marque de commerce
n'est pas concluante dans le genre de question dont
je suis saisi. L'affaire Seiko à laquelle je me suis
reporté ouvre non seulement la porte à d'autres
considérations si le propriétaire d'une marque de
commerce déposée ou son usager inscrit est con
cerné mais ouvre également plus grande cette
même porte à d'autres critères lorsqu'est soulevé
un certain genre de concurrence déloyale. Je n'ai
qu'à répéter ici les remarques de lord Diplock dans
l'arrêt Warnink, précité, selon lesquelles les diver-
ses formes de pratiques commerciales déloyales
varieront en fonction des méthodes commerciales,
de la réputation de l'entreprise et de l'achalandage
acquis.
Les faits de l'affaire dont je suis saisi et que j'ai
déjà exposés ne peuvent mener qu'à la conclusion
que la demanderesse a déployé de grands efforts et
dépensé des sommes considérables d'argent afin de
créer un marché au Canada pour les produits
Nintendo. La demanderesse l'a fait sous la double
protection de sa qualité de distributeur exclusif de
Nintendo U.S.A. et de son statut d'usager inscrit
exclusif en vertu de la Loi sur les marques de
commerce. Cette protection semble avoir été effi-
cace pendant quelque trois ans. Ce n'est que lors-
que, grâce aux efforts de la demanderesse, Nin-
tendo est devenu le jeu le plus recherché en ville
qu'elle a commencé à faire face à la pénétration du
marché «gris».
Selon le paragraphe 49(3) de la Loi, l'utilisation
autorisée d'une marque de commerce par un
usager inscrit a aux fins de la Loi le même effet
que son utilisation par un propriétaire inscrit. Je
pense que, à première vue, une telle disposition
accorde une certaine protection à la demanderesse.
Simultanément, et je me reporte de nouveau aux
remarques formulées par le juge Estey dans l'af-
faire Seiko, non seulement la Loi sur les marques
de commerce réglemente-t-elle tout le champ de la
propriété des marques de commerce mais égale-
ment elle y incorpore tout le champ, on pourrait
dire tout le champ de mines, de la concurrence
déloyale. L'article 7 de cette loi établit cela de
façon tout à fait claire. Si on y prévoit expressé-
ment à l'alinéa 7e) que nul ne doit «faire un autre
acte ou adopter une autre méthode d'affaires con-
traire aux honnêtes usages industriels ou commer-
ciaux ayant cours au Canada», on veut sûrement
que certains petits jeux ne puissent pas se prati-
quer sur le marché.
Je n'ai pas besoin de rendre une décision finale
quant à savoir si l'affaire dont je suis saisi con-
cerne ou non quelque chose où il manque d'honnê-
tes usages commerciaux au Canada. Si la validité
est le critère des pratiques honnêtes, il pourrait
être tout à fait illégal pour les vendeurs américains
d'exporter des produits Nintendo U.S.A. au
Canada, mais leur vente subséquente par la défen-
deresse à des consommateurs canadiens pourrait
être admise. Dans un tel cas, le principe moral
strict prévu de façon évidente à l'alinéa 7e) de la
Loi ne pourrait pas s'étendre aux vendeurs du
Texas ou du Missouri et avoir pour effet d'imputer
aux actes involontaires de leurs acheteurs cana-
diens les manquements manifestes de leurs fournis-
seurs américains.
Dans l'affaire CBM Kabushiki Kaisha c. Lin
Trading Co. (1987), 10 C.I.P.R. 260; 14 C.P.R.
(3d) 32; (1987), 9 F.T.R. 177 (C.F. ire inst.), et
dans l'affaire plus récente McCabe c. Yamamoto
& Co. (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290; 23
C.P.R. (3d) 498; 23 C.I.P.R. 64; (1989), 25
F.T.R. 186 (i re inst.), je me suis permis de suggé-
rer que ce qui sous-tend toute la Loi sur les
marques de commerce, c'est le principe fondamen-
tal selon lequel la Loi ne devrait jamais venir
protéger les activités illégales de quelqu'un. Ce
serait contraire au but de tout régime législatif que
de permettre à quelqu'un sur le marché de se servir
de cette même loi pour faire approuver ou pour
légitimer un comportement illégal de sa part.
Je ne peux naturellement pas décider au stade
interlocutoire de la présente instance si le présent
principe de la légitimité pourrait s'appliquer à
l'affaire dont je suis saisi. Je peux seulement con-
clure qu'il faudrait accorder un certain poids au
paragraphe 49(3) et à l'article 7 de cette loi.
Comme dans l'affaire Dunlop Rubber, précitée, et
l'affaire Remington Rand, précitée, la défende-
resse vend un produit sous la marque de commerce
de la demanderesse pour laquelle aucune autorisa-
tion ni permis n'ont été obtenus. Cela, à mon avis,
fait plus que satisfaire au critère à trois volets
exposé dans l'arrêt American Cyanamid et auquel
je me suis déjà reporté.
Après avoir tranché cette question, je n'ai pas à
me donner beaucoup de mal pour traiter de celle
du tort irréparable ou de la prépondérance des
inconvénients. Ainsi que je l'ai constaté, la pour-
suite des ventes des produits Nintendo au Canada
au moyen d'exportations américaines non autori-
sées cause du tort à l'entreprise et à l'achalandage
de la demanderesse. Si de plus en plus de ces
produits étaient offerts aux vendeurs canadiens,
cela aurait l'effet d'une vanne. Les pertes de la
demanderesse deviendraient de plus en plus diffici-
les à évaluer et à calculer. Les produits Nintendo
constituent upe part importante des activités com-
merciales de la demanderesse. L'avantage dont elle
jouit maintenant sur le plan commercial, avantage
qu'elle a manifestement acquis grâce à ses investis-
sements considérables, s'éroderait continuellement
ou diminuerait de façon importante.
Dans la mesure où la défenderesse est concer-
née, elle n'est entrée sur le marché qu'au début de
la présente année. Sa décision à cet égard résulte
essentiellement des efforts déployés par la deman-
deresse pour créer le marché en premier lieu. La
défenderesse n'a donc supporté aucun risque et son
entrée dans le champ en question n'entraîne pas
d'investissement de capitaux. Elle n'a pas à main-
tenir ou à financer de stock. Elle ne fait que
commander des produits auprès de ses sources
d'approvisionnement aux E. -U. selon les comman-
des que placent ses propres clients. Les produits
Nintendo ne constituent pas la partie principale ni
même une partie importante de ses ventes. De
plus, elle voulait continuer d'approvisionner ses
clients en produits Nintendo, elle a probablement
une autre source d'approvisionnement.
Monsieur le juge Cullen de notre Cour a trouvé
des situations semblables dans les affaires Joseph
E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd.
(1987), 16 C.I.P.R. 131; 16 C.P.R. (3d) 481;
(1987), 11 F.T.R. 139 (C.F. l ie inst.), et Philips
Export B.V. et autre c. Windmere Consumer Pro
ducts Inc. (1985), 4 C.P.R. (3d) 83 (C.F. 1`° inst.).
Il n'a pas eu plus de difficulté qu'en eut le juge
Thurlow dans l'affaire Remington Rand, précitée,
à conclure en faveur d'une injonction interlocu-
toire. J'arrive à la même conclusion. L'affaire dont
je suis saisi représente vraiment un cas où devrait
être accordée une injonction interlocutoire assortie
de conditions. Il s'ensuivra une ordonnance en
conséquence.
Les dépens suivront l'issue de l'affaire.
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