T-210-88
Sa Majesté la Reine (demanderesse) (appelante)
c.
Marcel Dumais (défendeur) (intimé)
RÉPERTORIE: DUMAIS C. M.R.N. (Ire INST.)
Section de première instance, juge Dubé—Québec,
12 octobre; Ottawa, 23 novembre 1989.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Gain en capital
— Effet de l'art. 1292 du Code civil sur la responsabilité à
l'égard de l'impôt sur le gain en capital découlant de la
disposition d'un bien immobilier qui faisait partie de la masse
commune de biens en vertu du régime matrimonial québécois
de la communauté de biens et d'acquêts — En vertu de ce
régime, le mari et la femme sont copropriétaires du terrain —
Toutefois, puisque le mari administre les biens de la commu-
nauté et qu'il a la jouissance sans restrictions des revenus que
la communauté produit, dont le gain en capital, il doit payer
l'impôt sur tous les gains en capital — La femme n'est pas
assujettie à l'impôt sur le gain en capital puisqu'elle n'a pas la
libre disposition des revenus réalisés lors de la vente — L'arrêt
rendu par la Cour suprême en 1961 dans l'affaire Sura v. The
Minister of National Revenue s'applique encore malgré les
modifications apportées en 1964 au Code civil — L'impôt
devrait atteindre tous les Canadiens également; il est inéquita-
ble que les contribuables d'une province soient favorisés par le
biais d'une loi provinciale face à l'application de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
L'intimé s'est marié au Québec en 1950 sous le régime
matrimonial légal de la communauté de biens, qui a changé de
nom pour devenir depuis la communauté de meubles et acquêts.
En 1973, l'intimé a acquis un terrain dont il a vendu une partie
en 1982, réalisant un gain de 63 118 $ dont la partie imposable
était de 31 559 $. Dans sa déclaration d'impôt de 1982, il a
indu seulement la moitié de cette somme. Le ministre établi
une nouvelle cotisation en partant du principe que l'intimé était
redevable de l'impôt sur tout le gain en capital imposable. Il
s'agit d'un appel formé contre la décision par laquelle la Cour
canadienne de l'impôt a statué que l'intimé n'était redevable de
l'impôt que sur la moitié du gain en capital imposable.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
Il s'agit de déterminer si la notion de propriété dans la Loi
est déterminante du sort du litige, ou si elle est subordonnée
aux règles du Code civil (particulièrement son article 1292)
régissant la communauté de meubles et acquêts. L'arrêt rendu
en 1961 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sura c.
The Minister of National Revenue s'applique encore. Dans
cette affaire, la question était de savoir si, pour les fins de
l'impôt, le revenu de la communauté des biens provenant du
salaire et des loyers immobiliers du contribuable était à lui seul,
ou si ce revenu était pour moitié celui de sa femme. Il a été tout
d'abord énoncé que la Loi de l'impôt sur le revenu visait
généralement à frapper d'impôt sur le revenu la personne et non
les biens, et que seul devait payer l'impôt sur le revenu celui qui
en avait la jouissance absolue. Bien qu'on ait reconnu que la
femme était copropriétaire des biens de la communauté, la
Cour a conclu que puisqu'elle ne touchait aucun revenu des
biens de la communauté avant la dissolution de celle-ci, elle
n'était pas assujettie à l'impôt sur le revenu de la communauté.
Il y a à déterminer en l'espèce qui a réalisé le gain en capital
et par conséquent qui était imposable. En dépit d'une modifica
tion apportée en 1964 au Code civil, restreignant ainsi le
pouvoir du mari de disposer des biens communs, c'est toujours
lui qui administre les biens de la communauté et qui a la
jouissance sans restrictions des revenus que la communauté
produit, dont le gain en capital. Il s'ensuit que pour la femme
commune en biens ne peut être assujettie à l'impôt sur le gain
en capital du seul fait qu'elle est copropriétaire d'un bien si elle
ne jouit pas du droit à la libre disposition des revenus réalisés
lors de sa vente.
Il convient de souligner qu'il serait inéquitable que les contri-
buables d'une province soient favorisés par le biais d'une loi
provinciale face à l'application de la Loi, qui doit viser égale-
ment tous les contribuables canadiens.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code civil du Bas-Canada, art. 1292 (S.Q. 1930-31,
chap, 101, art. 16; mod. par S.Q. 1964, chap. 66, art.
12; 1974, chap. 70, art. 443), 1268 à 1450.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 39, 40(4)a), 54c),e),n,h).
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Sura v. The Minister of National Revenue, [1962]
R.C.S. 65; (1961), 32 D.L.R. (2d) 282; [1962] C.T.C. 1;
62 DTC 1005.
DECISION INFIRMÉE:
Dumais (M.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2205; 88 DTC
1229.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727; (1972), 29 D.L.R. (3d)
389; 9 C.C.C. (2d) 32; [1972] CTC 412; 72 DTC 6329
(CA.); R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; [1983] CTC
393; 83 DTC 5409; 50 N.R. 321; Gagnon c. La Reine,
[1986] 1 R.C.S. 264; (1986), 25 D.L.R. (4th) 481;
[1986] 1 CTC 410; 86 DTC 6179; 65 N.R. 321; 1 R.F.L.
(3d) 113.
DECISION EXAMINÉE:
Laporte, R. c. M.R.N. (1984), 84 DTC 1208; [1984]
CTC 2260 (CCI).
DÉCISIONS CITÉES:
MRN c. Faure F., succession, [ 1975] CTC 136; 75 DTC
5076; 9 N.R. 61 (C.A.F.); Curlett v. Minister of Natio
nal Revenue, [1962] R.C.S. vii; 62 DTC 1320; Ministre
du Revenu national c. Simon et autre, [1977] 2 R.C.S.
812; (1977), 76 D.L.R. (3d) 562; [1977] CTC 340; 77
DTC 5228; 15 N.R. 589; 28 R.F.L. 363; Garant (I) c. La
Reine, [1985] 1 CTC 153; (1985), 86 DTC 6256 (C.F.
1"° inst.); dossier en appel A-287-85.
DOCTRINE
Baudouin, Jean-Louis. «Examen Critique de la Réforme
sur la Capacité de la Femme Mariée Québécoise»
(1965), 43 R. du B. Can. 393.
Beauregard, Pierre-Jean. «Interaction du droit civil et de
la Loi de l'impôt», Report of Proceedings of the
Thirty-seventh Tax Conference. L'Association Cana-
dienne d'Études Fiscales, 1985.
Caparros, Ernest. Les régimes matrimoniaux au Québec,
3» éd., Montréal: Wilson & Lafleur, 1985.
Comtois, Roger. Traité théorique et pratique de la com-
munauté de biens, Montréal: Le Recueil de droit et de
jurisprudence, 1964.
Dionne, André et Turcot, Michel. «Aspects fiscaux des
diverses étapes de la vie conjugale selon le nouveau
droit familial: IV Imposition pendant la durée du
régime», [1981] C.P. du N. 401.
Mayrand, Albert. «Commentaires, Impôt sur le revenu—
Revenu du mari commun en biens—Nature du droit de
la femme sur les biens de la communauté» (1962), 40
R. du B. Can. 256.
Pineau, Jean et Burman, Danielle. Effets du mariage et
régimes matrimonaiux, Montréal: Thémis, 1984.
AVOCATS:
Roger Roy pour la demanderesse (appelante).
Daniel Dumais pour le défendeur (intimé).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse (appelante).
Daniel Dumais, Chicoutimi (Québec) pour le
défendeur (intimé).
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: Cet appel cherche à infirmer
une décision de la Cour canadienne de l'impôt',
selon laquelle l'intimé n'était redevable de l'impôt
que sur la moitié du gain en capital imposable
provenant de la disposition en 1982 d'un bien
immobilier faisant partie de la masse commune de
biens en vertu du régime matrimonial québécois de
la communauté de meubles et acquêts 2 .
' Dumais (M.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2205; 88 DTC
1229.
2 Code civil du Bas-Canada, art. 1268à 1450.
Selon l'appelante, l'intimé doit être imposé sur
la totalité du gain en capital imposable.
Les faits ne sont pas contestés. L'intimé s'est
marié en 1950 sans contrat de mariage, alors que
le régime légal était celui de la communauté de
biens. Ce régime matrimonial est demeuré
inchangé depuis. En 1973, l'intimé a acquis à
même le produit de son travail un terrain dont il a
revendu une partie en 1982, réalisant un gain de
63 118 $ dont la partie imposable était de
31 559 $. Dans le calcul de son revenu pour l'année
d'imposition 1982, l'intimé n'a inclus que la moitié
de cette somme.
L'appelante ne conteste pas la qualification du
terrain comme étant un bien commun'.
Dans la décision dont appel, la Cour était d'avis
que l'épouse de l'intimé était devenue coproprié-
taire du terrain au moment de son acquisition et
qu'elle l'était encore au moment de sa disposition.
Elle devait alors être imposée sur l'autre moitié du
gain en capital imposable, conformément aux arti
cles 39 et suivants de la Loi de l'impôt sur le
revenu du Canada 4 (la «Loi»).
L'alinéa 39(1)a) en vigueur en 1982 se lisait
comme suit:
39. (1) Aux fins de la présente loi,
a) un gain en capital d'un contribuable, tiré, pour une année
d'imposition, de la disposition d'un bien quelconque, désigne
le gain, déterminé conformément aux dispositions de la pré-
sente sous-section (jusqu'à concurrence du montant de ce
gain qui ne serait pas, si l'on supprimait, dans l'alinéa a) de
l'article 3, l'expression «autre qu'un gain en capital imposable
résultant de la disposition d'un bien» et si l'on supprimait
l'alinéa b) de ce même article 3, inclus dans le calcul de son
revenu pour l'année ou pour toute autre année d'imposition)
que ce contribuable a tiré, pour l'année, de la disposition d'un
bien lui appartenant, autre ... [Mon soulignement.]
Les alinéas 40(4)a) et 54e) et f) auxquels réfère
le jugement relient également les notions de gain
en capital et de propriété.
Les gains en capital n'étaient pas imposables
avant la nouvelle Loi de 1972.
Il s'agit essentiellement de déterminer si la
notion de propriété dans la Loi est effectivement
déterminante du sort du litige, ou bien si elle doit
être subordonnée aux règles régissant la commu-
' Art. 1272 C.c.
4 S.C. 1970-71-72, chap. 63, tel que modifié.
nauté de meubles et acquêts. Pour les fins de la
présente, la plus importante de ces règles se trouve
à l'article 1292 C.c. lequel depuis 1974 5 se lit
comme suit:
Art. 1292. Le mari administre seul les biens de la commu-
nauté sous réserve de dispositions de l'article 1293 et des
articles 1425a et suivants.
Il ne peut, sans le concours de sa femme, vendre, aliéner ou
hypothéquer les immeubles de la communauté mais il peut,
sans ce concours, vendre, aliéner ou nantir les biens meubles
autres que les fonds de commerce et les meubles meublant
affectés à l'usage du ménage.
Le mari ne peut, sans le concours de sa femme, disposer entre
vifs à titre gratuit des biens de la communauté, excepté de
sommes modiques et de présents d'usage.
Le présent article ne limite pas le droit d'un mari de désigner
un propriétaire selon l'article 2540 ou de désigner un tiers
bénéficiaire d'une rente, d'une pension de retraite ou d'une
assurance sur la vie, et aucune récompense n'est due en raison
des sommes ou primes payées à même les biens de la commu-
nauté si le conjoint ou les enfants du mari ou du conjoint sont
bénéficiaires ou propriétaires. [Mon soulignement.]
La Cour suprême a rendu la décision fondamen-
tale en ce domaine dans Sura v. The Minister of
National Revenue 6 , laquelle a été citée par les
deux parties pour étoffer leurs prétentions
respectives.
Dans cette affaire, la question était de savoir si,
pour les fins d'impôt, le revenu de la communauté
de biens provenant du salaire du contribuable et
des loyers immobiliers était le revenu seul de
celui-ci, ou si ce revenu était pour moitié le revenu
du contribuable et pour l'autre moitié le revenu de
sa femme.
Au nom de la Cour, le juge Taschereau a révisé
la définition du terme «revenu» dans la loi fédérale
en vigueur à l'époque. Il conclut (à la page 68
R.C.S.):
Rien dans les amendements subséquents apportés à la loi, ne
change le principe que ce n'est pas la propriété d'un bien qui est
taxable, mais que la taxe est imposée sur un contribuable, et est
déterminée par le revenu que l'emploi, les entreprises, les biens,
ou la propriété procurent à celui qui en est le bénéficiaire légal.
Comme l'a dit M. le Juge Mignault dans la cause de McLeod v.
Minister of Customs and Excise ([1926] S.C.R. 457 la p.
464, 1 D.T.C. 85 (1917-27) C.T.C. 290):
All of this in accord with the general policy of the Act which
imposes the Income Tax on the person and not on the
property.
5 [Art. 1292 C.c. mod. par] L.Q. 1974, chap. 70, art. 443.
6 [1962] R.C.S. 65; (1961), 32 D.L.R. (2d) 282; [1962]
C.T.C. 1; 62 DTC 1005.
On ne peut pas plus mettre en doute cette proposition, qu'on
peut entretenir la moindre hésitation pour admettre, sans
réserve, que seul doit payer l'impôt sur le revenu, celui qui en a
la jouissance absolue, entachée d'aucune restriction concernant
la libre disposition qu'il juge à propos d'en faire. (Vide Robert-
son Ltd. v. M.N.R. ([1944] Ex.C.R. 170 la p. 180, 2 D.T.C.
655, [1944] C.T.C. 75.)).
Quant à la nature de la communauté de biens, le
juge Taschereau constate (à la page 69 R.C.S.):
Ce régime de communauté assure la prépondérance du mari
dans l'administration des biens. Comme conséquence de la
volonté du législateur (art. 1292), le mari seul administre les
biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothé-
quer, sans le concours de sa femme.
Lui seul peut disposer de ces revenus, lui seul en a la jouissance
sans restrictions, et rien ne peut sortir du fonds commun à
moins que ce ne soit comme résultat de l'expression de sa
volonté. Il reçoit pour lui, et nullement comme mandataire ou
fiduciaire pour le bénéfice de son épouse. Cette dernière ne
retire aucun revenu, et son bénéfice consiste dans l'augmenta-
tion des biens communs dont elle est copropriétaire et dans
lesquels elle a un droit éventuel au partage futur.
Cette prépondérance du mari ne lui conférait
pas un droit de propriété unique sur les biens de la
communauté. En fait, le juge Taschereau a explici-
tement rejeté cette théorie'. À l'instar de plusieurs
auteurs cités il était d'avis (aux pages 70 et 71
R.C.S.):
Que le mari et la femme soient copropriétaires des biens de
la communauté, ne peut faire, il me semble, aucun doute dans
l'esprit des juristes. Malgré les hésitations qu'ont pu entretenir
certains auteurs, je crois qu'il est maintenant universellement
admis que c'est bien là la règle qui doit nous régir.
S'il en était autrement, et si la femme n'était pas coproprié-
taire des biens communs, elle aurait à payer, lors de la dissolu
tion de la communauté, des droits de succession, car il s'agirait
alors d'une transmission de biens lui venant de son mari. Mais,
il n'en est pas ainsi, car il n'y a pas de transmission mais un
partage, où elle prend la part qui lui revient et qui lui appar-
tient depuis le mariage. Ce qu'elle reçoit ne provient pas du
patrimoine de son époux. Vide également les autorités suivantes
qui sont au même effet:—LAURENT, Principes de Droit Civil,
vol. 21, pp. 224-225; PLANIOL et RIPERT, (Boulanger)
Traité Pratique de Droit Civil, 1957, vol. 8, pp. 328, 331, 704;
JOSSERAND, Cours de Droit Civil, 1933, vol. 3, n° 14; HUC,
Code Civil, 1896, vol. 9, n° 72; MARCADE, Droit Civil, 7 e éd.,
vol. 5, p. 444; DURANTON, Cours de Droit Français, vol. 14,
p. 105.
Cependant, le fait que l'épouse était coproprié-
taire des biens communs n'était pas déterminant à
l'égard du revenu de la communauté pour les fins
Aux p. 72-73 R.C.S.
d'impôt. Le juge Taschereau explique cette dicho-
tomie apparente comme suit [à la page 72 R.C.S.]:
il est également vrai qu'elle n'a pas l'exercice de la plénitude
des droits que confère normalement la propriété (C.C. 406).
Son droit est informe, démembré, inférieur même à celui de
quelqu'un qui a la nue propriété d'un bien et dont un autre a
l'usufruit. Il est stagnant, presque stérile, parce qu'improductif
durant la vie du conjoint. Ce n'est qu'à la dissolution de la
communauté que la femme sera investie de la plénitude de son
droit de propriété, qui comporte le jus utendi, fruendi et
abutendi, dont sa condition maritale l'avait temporairement
dépouillée.
C'est ainsi qu'elle ne retire aucun revenu des biens de la
communauté, dont le mari est le seul administrateur (C.C.
1292), sans qu'il ait besoin, d'une façon générale, d'obtenir le
concours de son épouse. Tous les revenus sont les siens dont il
peut disposer, qu'il peut aliéner, même à titre gratuit, sauf les
restrictions imposées par la loi (C.C. 1292). Il résulte que la
femme ne touche aucun revenu des biens communs, qu'elle n'a
«aucun traitement, salaire ou rémunération», que rien ne lui
«provient d'entreprises, de biens, de charges ou d'emplois». Or,
c'est précisément ce qui est taxable.
La loi, comme je l'ai signalé antérieurement, ne recherche
pas le capital ou la propriété d'un bien. Elle s'adresse à la
personne, et le montant de l'impôt est déterminé par les bénéfi-
ces qu'elle recueille.
Selon le procureur de l'intimé, les conclusions de
Sura ont été influencéees par l'article 1292 C.c.
dont la version en vigueur en 1962 8 prévoyait la
complète liberté de l'époux de disposer des biens
communs sans le concours de son épouse. Ces
conclusions sont atténuées par la modification
introduite en 1964 9 , laquelle est comprise dans le
texte reproduit ci-dessus, parce que la disposition
des immeubles de la communauté est devenue
conditionnelle au concours de l'épouse. Il conclut
que Sura ne devrait donc valoir qu'à l'égard du
revenu de biens et d'entreprise et non relativement
au gain en capital.
Il invoque aussi le fait qu'au moment où ce
jugement fut rendu, la notion de droit de propriété
d'un bien n'existait pas dans la Loi. Le gain en
capital n'était pas imposable. Depuis 1972, cepen-
dant, la législation fiscale fédérale impose nette-
ment au propriétaire le gain en capital réalisé sur
la vente des biens dont il y a eu disposition. Selon
lui, conclure autrement viderait de sens les termes
«appartenant» à l'alinéa 39(1)a), et «acquis» dans
8 S.Q. 1930-31, chap. 101, art. 16.
9 [Art. 1292 C.c. mod. par] S.Q. 1964, chap. 66, art. 12.
toute la partie de la Loi qui s'applique au gain en
capital: il serait donc mal fondé en droit de préten-
dre que l'imposition du gain en capital est détermi-
née en fonction du droit au produit de la disposi
tion du bien plutôt que du droit à la propriété du
bien.
À l'appui de ses prétentions, il cite Laporte, R.
c. M.R.N. 10 , une décision antérieure du même juge
de la Cour canadienne de l'impôt sur laquelle se
base le jugement faisant l'objet du présent appel.
Dans cette affaire il a été décidé que les actions
donnant lieu au gain en capital étaient des biens
communs, donc la copropriété des époux. Après
révision de l'alinéa 39(1)a) et des articles suivants
de la Loi, la Cour a conclu (aux pages 1229-1230
DTC):
Il appert clairement à la lecture de ces dispositions et aussi
de d'autres non-citées que le contribuable, pour être sujet à la
taxation d'un gain en capital, doit être propriétaire du bien dont
il y a disposition (réelle ou présumée).
De plus selon l'intimé en établissant le revenu imposable, la
disposition 3(b) établi que le gain en capital est considéré
comme revenu au même titre que les autres revenus. L'intimé
allègue également en s'appuyant sur les affaires Sura et James
B. McLeod que la Loi de l'impôt sur le revenu ne cherche pas à
imposer la propriété, mais le bénéficiaire du bien.
Lorsqu'en 1972, le législateur, dans la nouvelle Loi de l'im-
pôt sur le revenu, pose comme critère fondamental de la
taxation d'un gain en capital que le contribuable doit être
propriétaire du bien dont il y a disposition, ne vient-il pas poser
une condition sine qua non? Et la Cour n'aurait-elle pas à tenir
compte en interprétant la loi?
La Cour étant strictement liée par le texte de la loi doit
conclure que selon ces articles, le gain en capital résultant de la
disposition d'un bien commun doit être taxé entre les mains des
propriétaires du bien donc entre les mains des deux époux.
Même si l'article 3(b) détermine le revenu taxable, les articles
39(1)(a), 40(4)(a), 54(c) et (f) déterminent eux qui doit porter
le fardeau de la taxe, c'est le propriétaire. L'article 3(b), en
fait, assume que le contribuable imposé sur un gain en capital
était propriétaire du bien dont il y a eu disposition. En interpré-
tant l'article 3(b) en effet on doit tenir compte de l'article 39 et
suivants, incluant la condition de la propriété du bien.
Le procureur de l'intimé invoque également un
article de doctrine" qui conclut à la non-applicabi-
lité de l'arrêt Sura à l'égard du gain en capital (à
la page 420):
10 (1984), 84 DTC 1208; [1984] CTC 2260 (CCI), dossier en
appel T-959-84.
11 André Dionne et Michel Turcot «Aspects fiscaux des diver-
ses étapes de la vie conjugale selon le nouveau droit familial: IV
Imposition pendant la durée du régime», [1981] C.P. du N.
401,à la p. 411.
119.... En effet, le gain en capital devrait s'ajuster en
fonction du droit de propriété déterminé selon les règles du
Code civil. Comme le juge Taschereau affirme de façon très
nette que les époux étaient déjà à cette époque considérés
comme copropriétaires des biens communs, il résulte que le
gain en capital devrait être partagé entre le mari et la femme.
Pour toutes ces raisons, il doute que le juge
Taschereau tiendrait aujourd'hui les mêmes propos
qu'en 1962. Il prétend que l'intimé doit bénéficier
de ce doute, et invite la Cour à faire montre de
prudence avant d'appliquer Sura au cas présent.
De son côté, le procureur de l'appelante prétend
que les conclusions de l'arrêt Sura sont aussi appli-
cables aujourd'hui qu'elles l'étaient en 1962. Dans
le cas présent, comme dans Sura, le fait que les
époux peuvent être désignés copropriétaires des
biens communs n'est pas déterminant. D'ailleurs
cette désignation ne fait pas l'unanimité dans la
jurisprudence 12 . Le point en litige n'est pas de
savoir s'il y a copropriété, il s'agit plutôt de déter-
miner qui a la jouissance des biens et qui peut en
disposer.
Selon lui, la modification apportée à l'article
1292 C.c. en 1964 n'a pas eu pour effet de réduire
les pouvoirs du mari. La situation relativement aux
biens communs n'a été altérée qu'à l'égard de la
disposition des biens immeubles. C'est toujours le
mari qui a le droit et le pouvoir de vendre les biens
communs et d'administrer seul le revenu provenant
de leur disposition. C'est toujours lui qui en est le
bénéficiaire légal au sens soulevé dans Sura.
À son dire, la question centrale est de savoir si
l'ajout du gain en capital à la Loi a modifié le
système d'imposition existant à l'époque de Sura.
Il suggère qu'une réponse négative s'infère du fait
que la Loi alors en vigueur comprenait plusieurs
dispositions où la notion d'acquisition était reliée à
l'allocation du coût en capital, la dépréciation, etc.
En omettant de partager la dépréciation (présu-
mée) entre les époux copropriétaires des immeu-
bles, l'arrêt Sura a implicitement reconnu que le
revenu provenant de bien était le revenu seul de
l'administrateur de la communauté.
Il considère que même si l'alinéa 39(1)a) parle
de bien «appartenant» au contribuable, l'aspect le
12 MRN c. Faure F., succession, [1975] CTC 136; 75 DTC
5076; 9 N.R. 61 (C.A.F.), aux p. 146-147 CTC (motifs de
Pratte J.).
plus important de l'article, c'est que la personne
qui réalise un gain en capital est celle qui tire un
bénéfice ou un gain de la disposition. De plus,
l'intimé ayant été au moins copropriétaire du bien,
ce bien lui appartenait au sens de l'alinéa 39(1)a):
le gain réalisé sur la disposition doit donc être
évalué à 100 % parce que lui seul en a la jouissance
et la libre disposition.
L'appelante se réfère également à un arrêt de la
Cour d'appel d'Ontario, R. v. Poynton 13 , où il
fallait déterminer si des sommes obtenues par
fraude étaient imposables à titre de revenu. La
Cour a conclu que le fraudeur devait effectivement
être imposé. Elle attribuait le sens suivant au
terme «income» (à la page 732 O.R.):
[TRADUCTION] La question est de savoir comment il faut
désigner un profit, un gain ou un bénéfice avant qu'il puisse
être qualifié de «revenu» pour fins d'imposition. Il ne fait aucun
doute que le mot «revenu» figurant dans la Loi de l'impôt sur le
revenu a une portée suffisamment étendue pour inclure des
sommes d'argent autres que celles provenant d'opérations con-
clues de bonne foi.
Cette même Cour a également déterminé que ce
n'était pas la propriété du revenu qui était déter-
minante, mais plutôt la jouissance du revenu. Se
référant à l'arrêt Curlett ' 4 de la Cour suprême du
Canada, elle constata (à la page 736 O.R.):
[TRADUCTION] La Cour a statué que les sommes d'argent
constituaient un revenu de Curlett en dépit de son moyen de
défense selon lequel il avait une obligation de rendre compte et
son droit n'était pas absolu. Le principe qui se dégage du
jugement, selon moi, est que le droit strict de propriété n'est pas
l'unique critère de l'assujettissement à l'impôt et qu'en détermi-
nant ce qui constitue un revenu pour fins d'imposition, un
tribunal doit tenir compte des circonstances entourant la récep-
tion de l'argent et de la façon dont celui-ci est détenu.
L'appelante soutient que le raisonnement dans
Poynton a reçu l'approbation de la Cour suprême
du Canada à au moins deux reprises 15 . Il convient
de noter, cependant, que les contextes de ces deux
arrêts et de Poynton, diffèrent sensiblement de
celui de la présente affaire.
" [1972] 3 O.R. 727; (1972), 29 D.L.R. (3d) 389; 9 C.C.C.
(2d) 32; [1972] CTC 412; 72 DTC 6329 (C.A.)
14 Curlett v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S.
vii; 62 DTC 1320.
15 R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; [1983] CTC 393; 83
DTC 5409; 50 N.R. 321, la p. 441, R.C.S.; Gagnon c. La
Reine, [1986] 1 R.C.S. 264; (1986), 25 D.L.R. (4th) 481;
[1986] 1 CTC 410; 86 DTC 6179; 65 N.R. 321; 1 R.F.L. (3d)
113, la p. 275, R.C.S.
À mon sens, il ne s'agit pas ici de déterminer s'il
existe un revenu au sens de la Loi. Personne ne
conteste le fait que le gain en capital constitue un
revenu. Le litige concerne l'identification de la
personne qui a réalisé ce gain et qui, de ce fait, est
imposable. La résolution du présent litige ne néces-
site pas la réouverture du débat relativement au
droit de propriété des biens communs. Même s'il
est vrai que ce débat n'est pas entièrement clos 16 , il
m'appert évident qu'une prépondérance d'autorités
jurisprudentielles' 7 et doctrinales 18 conclut à la
copropriété des biens communs. Je ne vois pas la
nécessité de conclure différemment, vu la décision
vers laquelle je me dirige.
Quant à l'article 1292 C.c. je n'accorde pas une
importance déterminante à la modification de
1964. J'en conviens qu'au moment où la Cour
suprême du Canada s'est prononcée dans Sura,
l'étendue du pouvoir du mari quant à la disposition
de biens communs était plus considérable qu'à la
suite de cette modification. Cependant, l'amende-
ment, pas plus que la version originale d'ailleurs,
ne s'adressait au droit de propriété. Les auteurs
québécois reconnaissent que le législateur cher-
chait plutôt à faire disparaître la pré-éminence du
mari et à exiger l'intervention des deux époux à
l'égard des actes de disposition de certains biens, le
tout dans l'intérêt de la communauté 19 .
16 MRN c. Faure, F., succession, supra, note 12; Comtois,
Roger, Traité théorique et pratique de la communauté de
biens, Montréal, Le Recueil de droit et de jurisprudence, 1964,
aux pages 23 56; Pineau, J. et D. Burman, Effets du mariage
et régimes matrimoniaux, Montréal, Thémis, 1984, aux p.
229-230.
17 Sura v. The Minister of National Revenue, supra, note 6;
Ministre du Revenu national c. Simon et autre, [1977] 2
R.C.S. 812; (1977), 76 D.L.R. (3d) 562; [1977] CTC 340; 77
DTC 5228; 15 N.R. 589; 28 R.F.L. 363, aux p. 813-814
R.C.S.; Laporte, R. c. M.R.N., supra, note 10; Garant (I) c. La
Reine, [1985] 1 CTC 153: (1985) 86 DTC 6256 (C.F. inst.),
à la p. 6258 DTC, dossier en appel A-287-85.
18 Sura v. The Minister of National Revenue, supra, note 6,
aux pp. 70-71 R.C.S.; Baudouin, J-L «Examen Critique de la
Réforme sur la Capacité de la Femme Mariée Québécoise»
(1965), 43 R. du B. Can. 393, la p. 409; Mayrand, A.
«Commentaires» Impôt sur le revenu—Revenu du mari
commun en biens—Nature du droit de la femme sur les biens
de la communauté (1962), 40 R. du B. Can. 256 aux p.
258-259; Beauregard, P.-J. «Interaction du droit civil et de la
Loi de l'impôt», Report of Proceedings of the Thirty-seventh
Tax Conference, 1985.
19 Baudouin, J-L, op. cit., note 18, aux p. 408-4U9; Caparros,
E. Les régimes matrimoniaux au Québec, 3° édition, Montréal,
Wilson & Lafleur, 1985, à la p. 235.
Ceci étant dit, il convient de réitérer les propos
suivants du juge Taschereau, lesquels me convain-
quent que l'introduction explicite de la notion de
propriété dans la législation fiscale n'affecte pas
l'application de ses conclusions au gain en capital.
Il affirme (aux pages 68 72 R.C.S.):
... la taxe est imposée sur un contribuable, et est déterminée
par le revenu que l'emploi, les entreprises, les biens ou la
propriété procurent à celui qui en est le bénéficiaire légal.
... seul doit payer l'impôt sur le revenu, celui qui en a la
jouissance absolue, entachée d'aucune restriction concernant la
libre disposition qu'il juge à propos d'en faire.
Lui seul peut disposer de ces revenus, lui seul en a la jouissance
sans restrictions, et rien ne peut sortir du fonds commun à
moins que ce ne soit comme résultat de l'expression de sa
volonté.
Tous les revenus sont les siens ... Il résulte que la femme ne
touche aucun revenu des biens communs, qu'elle n'a «aucun
traitement, salaire ou rémunération», que rien ne lui «provient
d'entreprises, de biens, de charges ou d'emplois». Or, c'est
précisément ce qui est taxable. [Mon soulignement.]
Ces remarques du savant juge visent, on ne peut
plus clairement, le bénéficiaire légal du revenu, et
non pas le ou les propriétaires des biens d'où
découle ce revenu. Or, aucun des amendements
apportés à l'article 1292 C.c. n'a modifié l'identité
du titulaire de ce rôle: c'est toujours le mari qui
administre les biens de la communauté, c'est donc
toujours le mari qui a la jouissance sans restric
tions des revenus que la communauté produit, dont
le gain en capital. Il s'ensuit que pour la femme
commune en biens, il ne suffit pas pour les fins de
l'imposition du gain en capital d'être copro-
priétaire d'un bien, en l'absence du droit à la libre
disposition des revenus réalisés lors de sa vente.
Cette conclusion est renforcée par une lecture
attentive des alinéas 54c) et h) de la Loi, qui se
lisaient comme suit:
54....
c) «disposition de biens» comprend, sauf dispositions con-
traires expresses,
(i) toute opération ou tout événement donnant droit au
contribuable au produit de la disposition de biens,
h) «produit de la disposition» d'un bien comprend
(i) le prix de vente du bien qui a été vendu,
Il faut retenir que dans le régime de la com-
munauté de biens l'article 1292 C.c. accorde au
mari le droit au produit de la disposition de biens.
Et ce n'est pas le bien qui est frappé par l'impôt,
mais le contribuable et, en l'espèce, celui qui a
entre les mains le produit de la disposition du bien.
Il convient finalement de noter certaines obser
vations d'Albert Mayrand extraites de ses «Com-
mentaires» sur l'arrêt Sura 20 :
... dans l'affaire Sura nos tribunaux et commentateurs se sont
surtout inspirés d'un principe d'équité: dans une fédération, la
taxe imposée par l'autorité centrale doit atteindre également les
contribuables des divers États ou Provinces, sans égard aux
particularités des lois locales. Le Conseil Privé a déjà formulé
ce principe dans Minister of Finance v. Cecil R. Smith:
[TRADUCTION] En outre, il est normal que le législateur ait eu
l'intention d'imposer tous les contribuables canadiens selon les
mêmes principes plutôt que de laisser les incidences de l'impôt
dépendre des lois diverses et divergentes des différentes
provinces.
La Commission d'Appel de l'Impôt a été plus explicite dans une
affaire récente (No. 676 v. M.N.R. (1959), 23 Tax A.B.C. 263,
à la p. 266):
[TRADUCTION] Le jugement dans l'affaire Sura, qui a donné
gain de cause au ministre, écarte une fois pour toutes la
suggestion que pour certains contribuables de la province de
Québec, par exemple, qui sont assujettis au régime de la
communanté de biens, les règles d'imposition seraient dif-
férentes qu'elles ne le sont pour les contribuables des autres
provinces.
En effet, il serait tout à fait inéquitable que les
contribuables d'une province soient favorisés par le
biais d'une loi provinciale face à l'application de la
Loi qui doit viser également tous les contribuables
canadiens.
Pour ces motifs, l'appel est accueilli avec frais.
20 O p. cit., note 18, aux p. 260-261.
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