A-13-86
Pizza Pizza Limited (appelante)
c.
Registraire des marques de commerce (intimé)
RÉPERTORIÉ: PIZZA PIZZA LTD. c. CANADA (REGISTRAIRE
DES MARQUES DE COMMERCE) (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et MacGuigan,
J.C.A—Toronto, 25 mai; Ottawa, 6 juin 1989.
Marques de commerce — Enregistrement — Appel du
jugement qui rejetait l'appel formé contre le refus d'enregis-
trer la combinaison «967-1111» comme la marque de com
merce d'une entreprise qui offre des pizzas à emporter — La
combinaison «967-l111» est le numéro de téléphone des points
de vente dans la région torontoise — Ce numéro figure sur
toutes les boites contenant le produit, dans tous les dépliants
publicitaires et les enseignes — Il y a eu une publicité impor-
tante — Appel accueilli — C'est à tort que le juge de première
instance et le registraire ont décidé que ce numéro n'était pas
une marque de commerce au sens de la définition figurant à
l'art. 2 — Le fait qu'il s'agisse d'un numéro de téléphone
n'empêche pas l'enregistrement — La combinaison n'est pas
uniquement fonctionnelle — La marque est hautement indica-
trice de l'appelante et de ses produits — Elle remplit les trois
conditions de marque de commerce posées par l'art. 2 — Le
juge de première instance a également commis une erreur en
statuant qu'un numéro de téléphone n'est pas enregistrable —
L'enregistrement d'une marque de commerce confère un mono-
pole uniquement pour son usage en liaison avec les marchan-
dises et services pour lesquels l'enregistrement est accordé.
Appel est interjeté de la décision par laquelle la Section de
première instance a rejeté l'appel formé contre le refus du
registraire d'enregistrer la combinaison «967-1I11» comme la
marque de commerce de l'entreprise de l'appelante qui offre des
pizzas à emporter. Les points de vente de la région torontoise
utilisent la combinaison «967-1 I I I» sur toutes les boîtes conte-
nant le produit, dans tous les dépliants publicitaires et les
enseignes. Il s'agit également du numéro de téléphone de tous
ces points de ventes. Le registraire et le juge de première
instance ont décidé que la combinaison 0967-11 II» ne corres-
pondait pas à la définition de marque de commerce figurant
dans la loi. Le juge de première instance a conclu en outre que
nul ne peut conférer un monopole à une séquence de sept
chiffres et pouvant constituer un numéro de téléphone. La
question se pose de savoir si la combinaison numérique est une
marque de commerce enregistrable.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge Pratte, J.C.A.: La jurisprudence invoquée pour
étayer l'idée qu'un numéro de téléphone n'est pas enregistrable
peut faire l'objet d'une distinction. Les marques qui ont été
jugées fonctionnelles faisaient partie des marchandises à l'égard
desquelles l'enregistrement a été demandé, de sorte que l'enre-
gistrement de ces marques aurait conféré aux requérants un
monopole sur les éléments fonctionnels de leurs marchandises;
les requérants auraient obtenu des brevets sous forme de mar-
ques de commerce. Comme la marque de commerce en l'espèce
n'est pas fonctionnelle dans ce sens, son caractère fonctionnel
n'empêche pas l'enregistrement.
Le juge Urie, J.C.A. (avec l'appui du juge MacGuigan,
J.C.A.): Le fait qu'un numéro de téléphone ait pour but de
permettre à une personne d'établir une communication à l'aide
d'un appareil en particulier n'empêche pas l'enregistrement de
ce numéro, compte tenu de la jurisprudence invoquée par le
registraire et le juge de première instance. La combinaison
«967-l111» n'était pas uniquement fonctionnelle. Elle n'était
pas utilisée uniquement pour indiquer la qualité, la grosseur ou
quelque chose de ce genre. Bien qu'il existât un élément
fonctionnel dans son utilisation comme numéro de téléphone,
telle n'était pas son unique fonction. La combinaison a délibéré-
ment été choisie parce qu'elle était propre à faire reconnaître la
source des produits de l'appelante et les niveaux de qualité qui
sont liés à ces produits, et la marque est maintenant hautement
indicatrice de Pizza Pizza Limited et de ses produits et distin-
gue les produits et services de celle-ci de ceux d'autrui. Elle
remplit les trois conditions de la définition de marque de
commerce figurant à l'article 2.
C'est également à tort que le juge de première instance a
statué que nul ne peut conférer un monopole à un numéro de
téléphone. L'enregistrement d'une marque de commerce con-
fère un monopole sur cette séquence exacte de chiffres, unique-
ment pour son usage en liaison avec les marchandises et
services pour lesquels l'enregistrement est accordé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 2, 12, 36.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Parke, Davis & Co., Ltd. v. Empire Laboratories Ltd.,
[1964] R.C.É 399; (1963), 41 C.P.R. 121; confirmé,
[1964] R.C.S. 351; Elgin Handles Ltd. v. Welland Vale
Mfg. Co. Ltd., [1965] 1 R.C.É 3; (1964), 43 C.P.R. 20;
W.J. Hughes & Sons «Corn Flower» Ltd. v. Morawiec
(1970), 62 C.P.R. 21 (C. de l'É.); Adidas (Canada) Ltd.
v. Colins Inc. (1978), 38 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1" inst.).
DÉCISION RENVERSÉE:
Pizza Pizza Ltd. c. Canada (Registraire des marques de
commerce) (1985), 7 C.P.R. (3d) 428 (C.F. l'° inst.).
DOCTRINE
Fox, H. G. The Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition, 3' éd. Toronto: Carswell, 1972.
AVOCATS:
Marilyn Field -Marsham et Donna White
pour l'appelante.
Marlene I. Thomas pour l'intimé.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je conviens avec mon
collègue le juge Urie que le présent appel devrait
être accueilli.
L'avocate de l'intimé a tenté d'étayer la décision
de la Section de première instance [(1985), 7
C.P.R. (3d) 428] en invoquant un seul motif,
savoir qu'un numéro de téléphone n'est pas enre-
gistrable à titre de marque de commerce parce
que, selon la jurisprudence', une marque qui est
principalement conçue pour remplir une fonction
ne peut faire l'objet d'une marque de commerce.
Ce point de vue dénote, à mon avis, une interpréta-
tion totalement erronée de cette jurisprudence.
Dans ces affaires, les marques qui ont été jugées
fonctionnelles faisaient, en fait, partie des mar-
chandises à l'égard desquelles l'enregistrement a
été demandé, de sorte que l'enregistrement de ces
marques aurait conféré aux requérantes un mono-
pole sur les éléments ou caractéristiques fonction-
nelles de leurs marchandises; les requérantes
auraient en fait obtenu des brevets sous forme de
marques de commerce. La situation est tout à fait
différente en l'espèce. La marque de commerce
dont l'appelante a demandé l'enregistrement n'est
pas fonctionnelle dans ce sens; pour cette raison,
son caractère fonctionnel ne la rend pas «non
enregistrable».
Je suis d'avis de statuer sur l'appel de la manière
proposée par mon collègue le juge Urie.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE, J.C.A.: Appel est interjeté du
jugement par lequel le juge Muldoon de la Section
Parke, Davis & Co., Ltd. v. Empire Laboratories Ltd.,
[1964] R.C.É. 399; (1963), 41 C.P.R. 121 confirmé, [1964]
R.C.S. 351.
Elgin Handles Ltd. v. Welland Vale Mfg. Co. Ltd., [1965] 1
R.C.É. 3; (1964), 43 C.P.R. 20.
de première instance a rejeté l'appel formé par
l'appelante contre une décision du registraire des
marques de commerce qui l'a déboutée de sa
demande présentée en vue d'enregistrer, à titre de
marque de commerce, la combinaison numérique
«967-1111». Les faits pertinents, dont aucun n'a
été contesté, sont les suivants:
L'appelante possède, exploite des restaurants et
offre des repas à emporter, des services de livraison
de repas en liaison notamment avec des pizzas, des
raviolis, des spaghettis et des sous-marins. Elle
accorde également des franchises relativement à
ces opérations. À ce que je vois, au moment de
l'instruction, plus de soixante points de vente
exploités par le propriétaire ou donnés en franchise
existaient dans la région de la Communauté
urbaine de Toronto. Tous ces points de vente sont
essentiellement identiques et utilisent, dans une
grande mesure, la marque de commerce «967-
1111» de l'appelante, qui se trouve également être
le numéro de téléphone de tous ces points de vente,
soit en tant qu'entrepise exploitée par le proprié-
taire, soit en vertu de la licence accordée par
l'appelante au franchisé pour l'exploitation de ces
points de vente.
Selon la preuve, l'appelante a adopté la marque
de commerce «967-1111» dans le dessein de l'utili-
ser sur tous les produits et dans toutes les annonces
afin de distinguer, ou de manière à distinguer ses
produits de ceux d'autrui. Cette marque a fait
l'objet d'une utilisation et d'une annonce impor-
tantes. Elle se trouve sur toutes les boîtes conte-
nant le produit utilisées dans la région torontoise,
dans tous les dépliants publicitaires et les enseignes
et ce, en caractères en relief. L'intimé ne conteste
pas le fait que la combinaison numérique «967-
1111», comme l'utilise l'appelante, apparaît
comme un élément séparé et distinct, qui a une
existence propre et qui crée une distinction réelle
ou essentielle entre l'appelante et d'autres com-
merçants et entre ses produits et ceux d'autrui. La
seule question se pose de savoir si elle est une
marque de commerce enregistrable en vertu de la
Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970,
chap. T-10] («la Loi»)?
L'appelante, à l'aide d'experts en matière de
linguistique et de commercialisation, a produit la
preuve qu'un nombre de sept chiffres peut distin-
guer les marchandises et services sur le marché de
détail et que, par l'importance de l'utilisation et de
l'annonce de la marque par l'appelante, la combi-
naison numérique «967-1111» sert effectivement à
identifier l'appelante et à distinguer ses marchan-
dises et services de ceux d'autrui. À mon avis, le
juge de première instance a à juste titre donné peu
de poids à cette preuve sous forme d'affidavit. La
fonction de la marque et sa capacité d'être une
marque de commerce constituent la question
même que le registraire doit trancher et, bien qu'il
puisse recevoir des éléments de preuve pour l'aider
dans sa décision, c'est lui qui décide du poids à
leur accorder, s'il en est, comme doit le faire le
juge à l'occasion d'un appel devant la Section de
première instance.
Le 24 janvier 1984, l'intimé a rejeté la demande
présentée par l'appelante en vue de l'enregistre-
ment de la combinaison numérique «967-1111»
pour le motif que l'objet de la demande n'était pas
une marque de commerce au sens de l'article 2 de
la Loi. Cet article est ainsi rédigé:
2. Dans la présente loi
«marque de commerce» signifie
a) une marque qui est employée par une personne aux fins ou
en vue de distinguer des marchandises fabriquées, vendues,
données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés,
par elle, de marchandises fabriquées, vendues, données à bail
ou louées ou de services loués ou exécutés, par d'autres,
b) une marque de certification,
c) un signe distinctif, ou
d) une marque de commerce projetée;
Le 20 décembre 1985, le juge Muldoon a
débouté l'appelante de son appel formé contre le
rejet de sa demande par le registraire. Il a con
firmé la décision de celui-ci selon laquelle la com-
binaison numérique «967-1111» n'est pas une
marque de commerce au sens de l'article 2 et, en
outre, il a conclu que nul ne peut enregistrer une
marque conférant un monopole, consistant en une
séquence de sept chiffres et constituant ou pouvant
constituer un numéro de téléphone. C'est contre ce
jugement que le présent appel est formé.
La conclusion du juge de première instance se
trouve dans les extraits suivants de ses motifs 2:
2 (1985), 7 C.P.R. (3d) 428 (C.F. I" inst.), aux pages 430 et
431.
Il existe de bonnes raisons pour refuser d'assimiler un
numéro de téléphone (quelle que soit la séquence de sept
chiffres qui le compose) à une marque de commerce. Une
marque de commerce confère un monopole dans tout le
Canada. Elle doit être employée par, dans le cas qui nous
occupe, une société «aux fins ou en vue de distinguer les
marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou
des services loués ou exécutés, par elle, de marchandises fabri-
quées, vendues, données à bail ou louées ou de services loués ou
exécutés, par d'autres», pour reprendre les termes utilisés dans
la définition donnée par l'article 2 de la Loi. Une marque de
commerce enregistrée confère au propriétaire et à ceux qui
agissent en son nom ou par son intermédiaire, le droit de
demander et d'obtenir probablement que des mesures strictes
soient prises à l'égard de quiconque la contrefait au Canada.
Un numéro de téléphone est une séquence de signaux électri-
ques donnée par l'exploitant du service téléphonique à un
abonné de façon que l'appareil de ce dernier puisse recevoir des
appels à partir de n'importe quel autre appareil de la région, du
système ou du réseau téléphonique. Au fond, cette séquence
numérique de sept chiffres appartient au système téléphonique,
si ce n'est aux propriétaires et aux exploitants du système. Il
s'agit d'un élément essentiel du système téléphonique, parfois
composé de lettres de l'alphabet, mais la plupart du temps de
chiffres, qui correspond toujours à la séquence de signaux
électriques requise pour établir la communication avec l'appa-
reil auquel le service public a attribué la séquence.
Il est évident que ni une loi canadienne ni un fonctionnaire
fédéral ni le registraire dans l'exercice des pouvoirs que lui
confère cette loi, ne peut accorder un monopole à l'égard d'une
marque de commerce correspondant à un numéro de téléphone.
Bell Canada, à titre de service téléphonique ayant attribué à
l'appelante le numéro 967-1111 dans la région de Toronto,
pourrait se voir dans l'obligation, à tout moment, en raison des
exigences de ces circuits, de ses centraux locaux ou régionaux
ou encore de conventions interprovinciales, de donner un autre
numéro à l'appelante et le numéro de celle-ci à un autre
abonné, ou peut-être même de rayer le numéro tout simple-
ment. Qu'advient-il alors de la marque de commerce enregis-
trée? Dans les provinces de l'Ouest, les services téléphoniques
sont la propriété de la Couronne du chef de chacune des
provinces. Ces entreprises d'État sont-elles liées par la marque
de commerce de l'appelante une fois enregistrée? Chaque ser
vice téléphonique canadien aurait-il l'obligation de réserver ou
de rayer le numéro 967-1111 du fait qu'il s'agit d'une marque
de commerce enregistrée et de crainte qu'il ne soit employé en
liaison avec des marchandises ou des services de nature
commerciale?
Il serait absurde d'en arriver à de telles situations, ce qui
justifie amplement la décision du registraire selon laquelle
967-1111, ou tout autre numéro de téléphone au Canada, ne
saurait constituer une marque de commerce au sens de la Loi
sur les marques de commerce.
Nul ne peut enregistrer une marque conférant un monopole,
consistant en une séquence de sept chiffres et constituant ou
pouvant constituer un numéro de téléphone, bien que cette règle
ne s'applique pas nécessairement à l'égard de séquences plus
courtes ou plus longues composées de chiffres, à moins qu'elles
aient des caractéristiques identiques ou semblables.
Le registraire intimé a, dans sa décision,
exprimé son point de vue quant à la raison pour
laquelle la combinaison numérique n'était pas
enregistrable à titre de marque de commerce:
Le Webster's New International Dictionary (3» édition) défi-
nit un numéro de téléphone de la façon suivante: [TRADUC-
TION] «Un numéro associé à un appareil téléphonique et utilisé
par une personne pour communiquer avec cet appareil». Je suis
d'avis que, par définition, un numéro de téléphone a pour but
de permettre à une personne d'établir une communication à
l'aide d'un appareil en particulier, qu'il ne peut servir à distin-
guer les marchandises et services de la requérante de ceux
d'autres personnes et que, par conséquent, il ne peut être visé
par la définition d'une marque de commerce donnée par la loi.
Le numéro faisant l'objet de cette demande ne constituant
pas une marque de commerce au sens de la Loi sur les marques
de commerce, cette demande visant son enregistrement à titre
de marque de commerce est donc rejetée.
Dans son mémoire, l'avocate de l'appelante fait
valoir en premier lieu que tant l'intimé que le juge
Muldoon ont eu tort de décider que la définition de
«marque de commerce» figurant à l'article 2 de la
Loi n'incluait pas la combinaison numérique «967-
1111» qui faisait l'objet de la demande de l'appe-
lante et, en second lieu, que c'est à tort que le juge
a confirmé la décision du registraire en se fondant
sur les répercussions que pourrait avoir sur le
service téléphonique l'enregistrement de l'objet de
la demande de l'appelante, alors qu'il n'existe
aucune preuve qui étaye une telle spéculation.
Les décisions de l'intimé et du juge de première
instance semblent reposer sur l'idée qu'un numéro
de téléphone «a pour but de permettre à une
personne d'établir une communication à l'aide
d'un appareil en particulier». Il n'y a pas de doute
que cela est vrai. Mais la question se pose alors de
savoir si ce «but» empêche l'enregistrement du
numéro sur la base de la jurisprudence dégagée
par les affaires suivantes, sur lesquelles tant le
registraire que le juge semblent s'être appuyés:
Le juge Noël (tel était alors son titre) de la
Cour de l'Échiquier a rendu la décision Parke,
Davis & Co., Ltd. v. Empire Laboratories Ltd.,
[1964] R.C.É. 399; (1963), 41 C.P.R. 121, où il a
conclu [aux pages 419 R.C.É.; 141 C.P.R.] que la
présumée marque, qui était une pellicule de cou-
leur qui joignait deux moitiés d'une capsule conte-
nant des préparations pharmaceutiques, était inva-
lide à titre de marque de commerce parce qu'elle
[TRADUCTION] «monopolise sans aucun doute ...
toutes les formes des parties fonctionnelles des
capsules scellées par la pellicule de couleur». (C'est
moi qui souligne.)
La Cour de l'Échiquier a également rendu une
décision dans l'affaire Elgin Handles Ltd. v. Wel-
land Vale Mfg. Co. Ltd., [1965] 1 R.C.É. 3;
(1964), 43 C.P.R. 20. La marque dont on deman-
dait la radiation consistait dans un dessin où était
plus foncée la couleur de la fibre du bois des
poignées des outils, dont la surface avait été durcie
par la chaleur, pour correspondre à la fin désirée.
Le président Jackett (tel était alors son titre) s'est
exprimé en ces termes aux pages 7 R.C.E.; 24
C.P.R. du recueil:
[TRADUCTION] Je suis donc arrivé à la conclusion que,
d'après la preuve, le procédé de durcissement par la chaleur
vise essentiellement à améliorer les poignées de bois en tant
qu'articles de commerce et a donc une caractéristique ou un
usage fonctionnel. Il s'ensuit que la modification de la forme du
bois qui est la conséquence normale du durcissement par la
chaleur ne saurait constituer une marque de commerce [C'est
moi qui souligne.]
Dans les deux affaires W.J. Hughes & Sons
«Corn Flower» Ltd. v. Morawiec (1970), 62
C.P.R. 21 (C. de l'É.); et Adidas (Canada) Ltd. v.
Colins Inc. (1978), 38 C.P.R. (2d) 145 (C.F. r e
inst.), les présumées marques—il s'agissait d'un
dessin incrusté dans la verrerie dans la première et
de trois rayures sur les vêtements de sport dans la
seconde—remplissaient seulement des fonctions
ornamentales dans chaque cas et ne pouvaient être
des marques de commerce.
J'estime que toutes ces quatre décisions peuvent
facilement faire l'objet d'une distinction. En pre
mier lieu, il n'a pas été allégué en l'espèce que la
combinaison numérique était destinée à une fin
d'ornementation. En deuxième lieu, on ne saurait
dire non plus, comme l'avocate l'a indiqué, qu'elle
est uniquement fonctionnelle. L'avocate voulait
dire par là que la combinaison n'était pas utilisée
uniquement pour indiquer la qualité, la grosseur
ou quelque chose de ce genre concernant les mar-
chandises de l'appelante. Si c'était le cas, elle ne
serait pas susceptible d'enregistrement en vertu de
l'alinéa 12(1)b) de la Loi, parce qu'il s'agit d'une
description ou d'une description trompeuse des
marchandises. À mon avis, bien qu'il existe certai-
nement un élément fonctionnel dans son utilisation
par l'appelante, c'est-à-dire que pour passer une
commande par téléphone pour l'un quelconque des
produits de l'appelante, la combinaison numérique
qui est le numéro de téléphone attribué par le
service téléphonique à l'appelante doit être utilisée,
telle n'est pas son unique fonction. Plutôt, elle est
complètement sans rapport avec les marchandises
elles-mêmes, ce qui ne serait pas le cas, par exem-
ple, de la partie numérotée d'un produit correspon-
dant simplement à un usage fonctionnel. Il est vrai
qu'on ne saurait dire que le choix par l'appelante
de la combinaison numérique correspondant à son
numéro de téléphone a été fortuit. Il s'agissait d'un
choix délibéré fait par le président actuel de l'ap-
pelante, Michael Overs, parmi les 20 ou 30 choix
qui s'offraient à lui [TRADUCTION] «parce qu'elle
était en soi propre à être utilisée par Pizza Pizza
Limited pour faire reconnaître à ses clients et à ses
clients éventuels la source des produits de Pizza
Pizza Limited et les niveaux de qualité qui ont été
et sont maintenant liés à ces produits» 3 , et la
marque est maintenant [TRADUCTION] «haute-
ment indicatrice de Pizza Pizza Limited et de ses
produits, et distingue les produits et services de
celle-ci de ceux d'autrui» 4 .
Aucune partie du témoignage précédent n'a été
contredite ou même contestée. Cela étant, il s'agit
d'une marque de commerce, et je ne vois pas
pourquoi le simple fait qu'elle serve également de
numéro de téléphone de l'appelante peut la priver
de son caractère enregistrable. Elle correspond à la
définition de «marque de commerce» figurant à
l'article 2 de la Loi parce que
a) elle est une marque qui est employée par une
personne (une société)
b) elle est employée aux fins de distinguer les
marchandises fabriquées ou vendues par elle, et
c) elle distingue ces marchandises de celles ven-
dues par d'autres.
Cela étant, à l'occasion d'une demande d'enre-
gistrement, s'il n'est pas convaincu en vertu du
paragraphe 36(1) que la marque de commerce ne
devrait pas être enregistrée, le registraire doit l'en-
registrer', en l'absence d'une opposition qui abou-
3 Dossier d'appel, p. 154, par. 7.
4 Dossier d'appel, p. 155, par. 10.
5 Fox, H. G. The Canadian Law of Trade Marks and Unfair
Competition, 3e éd., Toronto: Carswell, 1972, p. 81.
tit, à condition que l'enregistrement de la marque
ne soit pas prohibé par le paragraphe 12(1) 6 .
Même si elle ne remplit pas les critères du carac-
tère enregistrable en vertu de ce paragraphe, il est
possible qu'elle soit susceptible d'être enregistrée
sous le régime du paragraphe 12(2) si elle a été
employée au Canada de façon à caractériser le
requérant.
Par tous ces motifs, j'estime que le registraire a
eu tort de rejeter la demande d'enregistrement de
la marque de l'appelante pour les motifs sur les-
quels il a fondé son opposition. En conséquence,
j'estime en outre que le juge de première instance
a eu tort de débouter l'appelante de son appel du
rejet de la demande par le registraire; l'appel dont
est saisie cette Cour doit être par conséquent
accueilli.
Je ne devrais pas mettre un point final à l'affaire
sans faire remarquer que, à mon avis, le juge de
première instance s'est trompé lorsqu'il a dit sans
réserve [à la page 431 ] que «Nul ne peut enregis-
trer une marque conférant un monopole, consistant
en une séquence de sept chiffres et constituant ou
pouvant constituer un numéro de téléphone . . .N. Il
n'a cité aucune jurisprudence pour étayer cette
idée puisque j'ai le sentiment qu'aucune jurispru
dence de ce genre n'existe. Il y a plus important
encore, l'octroi de l'enregistrement d'une marque
de commerce, qu'il s'agisse d'un nombre en combi-
naison ou non, confère un monopole sur cette
séquence exacte de chiffres, qu'il s'agisse d'un
numéro de téléphone ou non, uniquement pour son
usage en liaison avec les marchandises et services
6 12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com
merce est enregistrable si elle ne constitue pas
a) un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de
famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les
trente années précédentes;
b) peinte, écrite ou prononcée, soit une description claire,
soit une description fausse et trompeuse, en langue anglaise
ou française, de la nature ou de la qualité des marchandises
ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à
l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions
de leur production, ou des personnes qui y sont employées, ou
du lieu d'origine de ces marchandises ou services;
e) le nom, dans quelque langue, de l'une des marchandises
ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée,
ou à l'égard desquels on projette de l'employer;
d) une expression créant de la confusion avec une marque de
commerce déposée; ou
e) une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption.
pour lesquels l'enregistrement est accordé. Autant
que je sache, cet enregistrement n'entravera pas
non plus, de quelque façon que ce soit, l'exercice
par le service téléphonique de ses droits. Si, après
que l'affaire lui a été renvoyée, le registraire juge
bon d'accueillir la demande d'enregistrement, l'ar-
ticle 36 l'oblige à faire annoncer la demande de la
manière prescrite. Le service téléphonique peut, en
conséquence, s'opposer à l'enregistrement connu à
ce moment. Si ce service n'est pas satisfait de la
décision du registraire de permettre l'enregistre-
ment malgré son opposition, d'autres voies de
recours lui sont ouvertes pour faire redresser le
préjudice perçu.
J'accueillerais donc l'appel, j'infirmerais le juge-
ment dont appel et je renverrais l'affaire à l'intimé
pour qu'il procède à un nouvel examen de la
demande d'enregistrement présentée par l'appe-
lante.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris aux
motifs de jugement prononcés par le juge Urie,
J.C.A., et à la manière de statuer sur l'affaire qu'il
a proposée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.