A-16-89
Apotex, Inc. (appelante) (défenderesse)
c.
Imperial Chemical Industries PLC et I.C.I.
Pharma, Division Atkemix Inc. (intimées)
(demanderesses)
RÉPERTORIÉ: IMPERIAL CHEMICAL INDUSTRIES PLC C.
APOTEX, INC. (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone,
J.C.A.—Ottawa, 13 septembre et 24 octobre 1989.
Brevets — Contrefaçon — Produits pharmaceutiques —
Appel formé contre une injonction interlocutoire interdisant la
vente au Canada de médicaments importés, aux termes d'une
licence temporaire, avant l'entrée en vigueur de modifications
législatives interdisant de se prévaloir d'une licence obligatoire
pour exercer le droit d'importer «pour vente au Canada le
médicament dans la préparation ou la production duquel
l'invention a été utilisée» — L'interprétation de l'art.
39.11(1)a) de la Loi sur les brevets est-elle une question
sérieuse à trancher? — Il est fait droit à l'appel — Les
demanderesses n'ont pas établi qu'elles subiront un préjudice
irréparable puisqu'elles pourraient obtenir des dommages-
intérêts les indemnisant adéquatement.
Injonctions — Appel interjeté d'une injonction interlocutoire
interdisant la contrefaçon d'un brevet relatif à un produit
pharmaceutique — Il s'agit de savoir si l'interprétation de
l'art. 39.11(1)a) de la Loi sur les brevets est une question
sérieuse à trancher — Les demanderesses ne subiront pas de
préjudice irréparable car elles pourraient obtenir des domma-
ges-intérêts les indemnisant adéquatement.
Appel a été interjeté de l'injonction interlocutoire empêchant
Apotex Inc. d'importer pour vente au Canada le médicament
Aténolol, qui faisait l'objet d'un brevet appartenant à l'intimée,
Imperial Chemical Industries PLC. Apotex a importé au
Canada 1 050 kilos d'Aténolol, aux termes d'une licence tempo-
raire, avant l'entrée en vigueur de modifications apportées à la
Loi sur les brevets (le 7 décembre 1987), et tendant à interdire
de se prévaloir d'une licence obligatoire pour exercer le droit
«d'importer pour vente au Canada le médicament dans la
préparation ou la production duquel l'invention a été utilisée».
Peu après, une licence obligatoire et un avis de conformité ont
été délivrés à Apotex. Trois questions se posaient en appel: le
juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant
qu'il y avait une question sérieuse à trancher, qu'il y aurait un
préjudice irréparable à l'égard duquel des dommages-intérêts
ne sauraient constituer une indemnisation, et que la balance des
inconvénients penchait en faveur des intimées?
Arrêt: il devrait être fait droit à l'appel. Il y aurait lieu de
modifier l'injonction interlocutoire afin d'exclure de son appli
cation l'utilisation et la vente de l'Aténolol importé au Canada
avant le 7 décembre 1987.
Le juge Heald, J.C.A.: Cette demande exigeait l'examen tant
des «contradictions de la preuve soumise par affidavit» que
d'.épineuses questions de droit». Il y avait une question sérieuse
à trancher, comme en font foi le désaccord entre le juge de
première instance et les juges d'appel à propos de l'interpréta-
tion qu'il convient de donner à l'alinéa 39.11(1)a), et le fait que
les parties ont longuement débattu cette question. Toutefois, les
intimées n'ont pas établi qu'elles subiraient un préjudice irrépa-
rable car les dommages-intérêts qu'elles pourraient obtenir les
indemniseraient adéquatement. Le juge de première instance a
conclu que, bien qu'il soit possible de chiffrer et de compenser
au moyen de dommages-intérêts les ventes perdues par les
demanderesses à cause de l'injonction, il n'était pas possible de
compenser au moyen de dommages-intérêts la perte de la
position commerciale des demanderesses, qui leur permettrait
d'établir leur réputation et de s'assurer une clientèle sur le
marché. Il a conclu que les demanderesses pourraient subir un
préjudice irréparable. La preuve du préjudice irréparable
n'était pas claire et c'est vraisemblablement pourquoi le juge de
première instance n'a voulu exprimer qu'une simple supposi
tion. L'appelante s'était engagée à tenir une comptabilité de
toutes les ventes de son Aténolol et il n'était pas allégué que
l'appelante n'aurait pas les moyens de payer les dommages-
intérêts accordés.
Le juge Mahoney, J.C.A.: Le juge de première instance a
mal interprété l'alinéa 39.1 1(1)a), lequel n'est pas ambigu. Il
n'interdit que l'importation. Il n'a pas d'effet rétroactif à
l'égard des médicaments importés avant son entrée en vigueur
et il n'interdit pas de se prévaloir d'une licence obligatoire pour
exercer des droits. L'interprétation de l'alinéa 39.11(1)a), dans
l'optique de son application aux faits, ne posait aucune question
de droit épineuse. Comme il n'y avait pas de question sérieuse à
trancher, il n'était pas nécessaire de considérer d'autres fac-
teurs, tels le préjudice irréparable et la balance des
inconvénients.
Le juge Stone, J.C.A.: Dans l'arrêt American Cyanamid, la
Chambre des lords avait l'intention de mettre l'accent sur la
balance des inconvénients plutôt que sur le critère préliminaire
— une (forte) apparence de droit. Certes, des demandes d'in-
jonction interlocutoire pouvaient être rejetées faute de satisfaire
au critère préliminaire, parce qu'elles étaient indéfendables à la
lumière de l'interprétation du texte de loi, mais l'espèce n'ap-
partenait pas à cette catégorie. De toute façon, la question de
l'interprétation n'était pas la seule en litige puisque certains des
faits étaient contestés. Le juge du procès sera plus en mesure
d'interpréter la loi, ayant entendu les témoignages et les
plaidoiries.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, art. 39,
39.11 (édicté par L.R.C. (1985) (3° Suppl.), chap. 33,
art. 15).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2
C.F. 451; 24 C.P.R. (3d) 1 (C.A.); American Cyanamid
Co. v Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex Inc., [ 1989]
2 C.F. 608; 23 C.P.R. (3d) 1 (1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Cutter Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada,
Ltd. et autres (1980), 47 C.P.R. (2d) 53 (C.A.F.); Smith
v Inner London Education Authority, [1978] 1 All ER
411 (C.A.); Hadmor Productions Ltd. v. Hamilton,
[1983] 1 A.C. 191 (H.L.); Garden Cottage Foods Ltd. v.
Milk Marketing Board, [1984] A.C. 130 (H.L.).
AVOCATS:
Malcolm Johnston, c.r. et Harry B.
Radomski pour l'appelante (défenderesse).
James D. Kokonis, c.r. et Gunars Gaikis pour
les intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Malcolm Johnston & Associates, Toronto,
pour l'appelante (défenderesse).
Smart & Biggar, Ottawa, pour les intimées
(demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: J'ai eu l'occasion de
lire à l'état d'ébauche les motifs du jugement de
mon collègue, le juge Mahoney, J.C.A., dans le
présent appel. Comme lui, je conclus qu'il devrait
être fait droit à l'appel avec dépens et qu'il y aurait
lieu de modifier l'injonction interlocutoire décer-
née le 12 janvier 1989 [[1989] 2 C.F. 608; 23
C.P.R. (3d) 1] afin d'exclure de son application
l'utilisation et la vente des 1 050 kilos d'Aténolol
importés au Canada avant le 7 décembre 1987.
Néanmoins, comme ma conclusion est fondée sur
des motifs différents de ceux du juge Mahoney,
j'aimerais expliquer les raisons pour lesquelles je
ferais droit à l'appel.
Le juge Mahoney a donné dans ses motifs un
résumé exact et suffisant des faits pertinents. La
principale question soulevée en appel consistait à
savoir si le juge saisi de la requête a commis une
erreur en décernant l'injonction interlocutoire et
en concluant, pour ce faire, que les intimées
avaient accompli ce qui suit:
(i) satisfaire au critère préliminaire concernant
le bien-fondé de la cause;
(ii) faire la preuve d'un préjudice irréparable à
l'égard duquel des dommages-intérêts ne sau-
raient constituer une indemnisation;
(iii) démontrer que la balance des inconvénients
penche en faveur des intimées plutôt que de
l'appelante'.
De l'avis de mon collègue Mahoney, J.C.A. [à la
page 14], la seule question à trancher en appel
était
... à savoir si Apotex a le droit, conformément à la licence
obligatoire délivrée le 15 février 1988, d'utiliser et de vendre au
Canada les 1 050 kilos d'Aténolol qu'elle a importés, en exécu-
tion de la licence temporaire, avant le 7 décembre 1987.
Puis, il a expliqué que la réponse à cette question
reposait sur l'interprétation à donner aux alinéas
39.11(1)a) et (2)b) de la Loi sur les brevets,
L.R.C. (1985), chap. P-4 [édictée par L.R.C.
(1985) (3 e Suppl.), chap. 33, art. 15], qui sont
ainsi conçus:
39.11 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent
article et par dérogation à l'article 39 ou à toute licence
délivrée sous son régime, il est interdit de se prévaloir d'une
licence, peu importe la date de délivrance, accordée sous son
régime relativement à un brevet portant sur une invention liée à
un médicament pour revendiquer ou exercer le droit, si l'inven-
tion est un procédé, d'importer pour vente au Canada le
médicament dans la préparation ou la production duquel l'in-
vention a été utilisée ...
(2) L'interdiction est levée à l'expiration des délais suivants:
b) huit ans après la délivrance du premier avis de conformité
si, au 27 juin 1986, l'avis était délivré et si aucune licence n'a
été accordée pour le médicament et aucun avis de conformité
n'a été délivré à une personne autre que le breveté;
' L'appelante a informé la Cour qu'elle ne contesterait pas en
appel la constitutionnalité des modifications apportées à la Loi
sur les brevets et qu'elle ne soulèverait pas la question de la
violation de la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe
B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ou de la
Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice
1I1]. L'appelante a consacré à ces questions de larges pans de
son exposé des faits et du droit. Cet exposé mettait aussi en
doute la compétence de cette Cour pour juger le litige. Or
l'avocat de l'appelante n'en a pas traité dans sa plaidoirie orale.
Le juge qui a entendu la requête s'est dit d'avis
(aux pages 625 C.F.; 15 C.P.R.) que l'alinéa
39.11(1)a) a pour effet d'interdire la vente à la
consommation au Canada de médicaments fabri-
qués à partir de médicaments importés, peu
importe la date de leur importation. Mon collègue
le juge Mahoney, J.C.A. ne souscrit pas [à la page
15] à cette interprétation. Selon lui, cet alinéa:
... ne se prête pas à l'interprétation que le juge de première
instance lui a donnée. Cette disposition interdit de se prévaloir
d'une licence pour exercer le droit «d'importer pour vente au
Canada le médicament dans la préparation ou la production
duquel l'invention a été utilisée». Elle n'interdit que l'importa-
tion. Elle n'a pas d'effet rétroactif à l'égard des médicaments
importés avant son entrée en vigueur et elle n'interdit pas de se
prévaloir d'une licence obligatoire pour exercer d'autres droits
que celui d'importer des médicaments.
Par voie de conséquence, le juge Mahoney a
décidé, en s'appuyant sur le jugement de cette
Cour dans Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada
Inc., [1989] 2 C.F. 451; 24 C.P.R. (3d) 1, que les
autres facteurs qu'il faut considérer (tels le préju-
dice irréparable et la balance des inconvénients)
pour statuer sur l'opportunité de décerner une
injonction interlocutoire ne sont pertinents que
lorsqu'il y a une question sérieuse à trancher.
Puisque d'après lui, il n'y avait pas de question
sérieuse à trancher en l'espèce, il n'était pas néces-
saire d'étudier ces autres questions.
Je ne saurais souscrire à l'opinion émise par mon
collègue le juge Mahoney, J.C.A., selon qui il n'y a
pas de question sérieuse à trancher en l'espèce,
étant donné les circonstances 2 . Il suffit à cette
étape, que la Cour soit convaincue que «la
demande n'est ni futile ni vexatoire ou, en d'autres
termes, que la question à trancher est sérieuse» 3 .
Je souscris en particulier à l'affirmation suivante
de lord Diplock (à la page 407):
[TRADUCTION] La cour n'a pas, en cet état de la cause, à
essayer de résoudre les contradictions de la preuve soumise par
affidavit, quant aux faits sur lesquels les réclamations de
chaque partie peuvent ultimement reposer, ni à trancher les
épineuses questions de droit qui nécessitent des plaidoiries plus
poussées et un examen plus approfondi. C'est au procès qu'il
faut trancher ces questions.
2 Dans la décision Turbo Resources, cette Cour a dit qu'en
général, le critère approprié était le critère préliminaire énoncé
par lord Diplock dans American Cyanamid Co. y Ethicon Ltd,
[1975] A.C. 396 (H.L.).
3 Lord Diplock dans American Cyanamid, à la p. 407.
À mon sens, cette demande d'injonction interlocu-
toire exige l'examen tant des «contradictions de la
preuve soumise par affidavit» que d'«épineuses
questions de droit». La Cour remarque que la
preuve par affidavit soumise par les parties com-
porte des contradictions qui ressortent de l'exposé
des faits et du droit produit par les parties dans cet
appel. Je dis cela parce que des parties de l'affida-
vit de Laskin, de son contre-interrogatoire à ce
sujet et des engagements pris dans ce contexte,
ainsi que des parties de l'affidavit de Sherman, ont
été contestées (voir les paragraphes 14, 15, 16, 19,
21 et 26 de l'exposé des faits et du droit de
l'appelante, que les intimées n'ont pas admis). Par
surcroît, je pense que la demande soulève aussi
d'«épineuses questions de droit». Le juge saisi de la
requête a formulé avec clarté et concision l'argu-
ment avancé par les intimées, aux pages 625
C.F.; 15 C.P.R. de ses motifs:
Vu la clarté de la lettre et de l'esprit du texte de loi, il est
impossible de séparer les deux mots «importer» et «vente»
comme le suggère la défenderesse. On pourrait conclure de ce
texte que la défenderesse peut continuer à importer de l'Aténo-
lol et à accroître son stock de ce médicament si elle le souhaite.
Mais d'ici à 1991, elle ne peut pas mettre ce médicament en
vente à la consommation au Canada, étant donné le monopole
limité dont jouissent les demanderesses en application des
modifications apportées à l'article 41.11 de la Loi (maintenant
L.R.C. (1985), chap. P-4, art. 39.11).
En revanche, mon collègue Mahoney, J.C.A. en
arrive à la conclusion contraire, dans la partie de
ses motifs précitée. Lors de l'audition de l'appel,
l'appelante a consacré quelque huit paragraphes de
son exposé à l'interprétation de cette disposition.
Les intimées y ont répondu par un exposé tout
aussi détaillé. Ce problème d'interprétation de la
Loi a en outre été longuement débattu lors de
l'audition de l'appel. Selon moi, il est tout à fait
possible de défendre l'un ou l'autre parti et, par
conséquent, je m'abstiens de me prononcer là-des-
sus. Pour ces raisons, je n'ai aucune difficulté à
conclure que vu les circonstances de la présente
affaire, il a été satisfait au critère préliminaire de
la question sérieuse.
Dans la décision Turbo Resources, mon collègue
le juge Stone, J.C.A. a bien caractérisé l'état de la
cause une fois qu'il a été satisfait au critère préli-
minaire. Aux pages 467 F.C.; 14 C.P.R., il dit ce
qui suit:
Le fait pour un demandeur de satisfaire au critère de la
»question sérieuse à trancher» a pour seul effet de déloqueter la
porte du redressement a recherché; il ne lui ouvre pas cette
porte et ne lui permet surtout pas d'en franchir le seuil.
Après avoir cité les paroles de lord Diplock au
sujet des autres facteurs que doit apprécier le juge
de première instance une fois qu'il a conclu qu'il y
a une question sérieuse à trancher, en ce sens
qu'elle n'est ni futile ni vexatoire, le juge Stone
analyse les éléments principaux des facteurs discu-
tés par lord Diplock dans American Cyanamid.
Voici l'analyse qu'il en fait (aux pages 473-474
C.F.; 19 et 20 C.P.R.):
a) lorsque les dommages-intérêts que le demandeur pourrait
obtenir à l'égard de la poursuite par le défendeur de ses
activités pendant l'instance indemniseraient adéquatement
le demandeur et seraient à la mesure des moyens financiers
du défendeur, l'injonction interlocutoire ne devrait norma-
lement pas être accordée;
b) lorsque de tels dommages-intérêts n'indemniseraient pas le
demandeur adéquatement mais que des dommages-intérêts
(recouvrables en vertu de l'engagement du demandeur)
suffiraient à compenser le préjudice subi par le défendeur
à la suite de la limitation de ses activités, il n'existerait
aucun motif justifiant le refus d'une injonction interlocu-
toire;
c) lorsqu'il est douteux que le redressement en dommages-
intérêts pouvant s'offrir à l'une ou à l'autre partie soit
adéquat, il doit être tenu compte de la répartition des
inconvénients;
d) lorsque les autres facteurs en jeu tendent à s'équilibrer, il
est prudent de prendre des mesures qui préserveront le
statu quo;
e) lorsque les éléments de preuve présentés avec la requête
font apparaître la cause d'une partie comme beaucoup plus
forte que celle de l'autre, la répartiton des inconvénients
pourra être considérée comme favorisant cette première
partie pourvu que les préjudices irréparables subis par les
parties respectivement ne soient pas très disproportionnés;
g) (sic) d'autres facteurs particuliers qui ne sont pas précisés
peuvent être considérés dans les circonstances particulières
des différentes espèces.
À mon avis, eu égard à toutes les circonstances
pertinentes de cette affaire, les intimées n'ont pas
établi qu'elles subiront un préjudice irréparable. Je
pense que le dossier montre, en l'espèce, que les
dommages-intérêts que les intimées pourraient
obtenir les indemniseraient adéquatement de
toutes les pertes recouvrables qu'elles subiraient du
fait que les appelantes ont mis en vente à la
consommation au Canada les 1 050 kilos d'Aténo-
lol importés, en application de la licence provisoire,
avant le 7 décembre 1987. Voici le passage dans
lequel le juge saisi de la requête étudie la question
du préjudice irréparable (aux pages 631-632 C.F.;
20 et 21 C.P.R.):
En l'espèce, les ventes d'Aténolol représentent pour la
demanderesse ICI Pharma une source de revenu. Autoriser la
défenderesse à exercer le droit qu'elle tient de la licence obliga-
toire pourrait réduire ces ventes de moitié. Bien que ce manque
à gagner puisse être chiffré et indemnisé au moyen de domma-
ges-intérêts, ce qui ne peut être indemnisé est la perte de la
position commerciale des demanderesses, laquelle position leur
permettra d'établir leur réputation et de s'assurer une clientèle
sur le marché. J'estime que les demanderesses pourraient subir
un préjudice irréparable si l'on permettait à la défenderesse de
commencer à vendre l'Aténolol au Canada. [Non souligné dans
le texte original.]
De toute évidence, le juge saisi de la requête a tiré
deux conclusions relativement à cette question:
a) il est possible de chiffrer et de compenser au
moyen de dommages-intérêts les ventes perdues
par les demanderesses à cause de l'injonction;
b) il n'est pas possible de compenser au moyen
de dommages-intérêts la perte de la position
commerciale des demanderesses, qui leur per-
mettrait d'établir leur réputation et de s'assurer
une clientèle sur le marché, et, en conséquence,
les demanderesses pourraient subir un préjudice
irréparable.
Puisque le juge saisi de la requête a conclu qu'il
était possible de chiffrer et de compenser les ventes
perdues, il ne reste à statuer que sur la question de
la perte de la position commerciale. Le juge saisi
de la requête n'a pas conclu expressément que les
demanderesses subiraient un préjudice irréparable
à cause de la perte de leur position commerciale. Il
s'est contenté d'exprimer une possibilité par le mot
«pourraient». Il ressort de la jurisprudence de cette
Cour que la preuve du préjudice irréparable doit
être claire et ne pas tenir de la conjecture 4 . À mon
avis, la preuve soumise au juge saisi de la requête
ne satisfait pas à ce critère et c'est vraisemblable-
ment pourquoi celui-ci n'a voulu exprimer qu'une
simple supposition. Un fait n'est pas contesté: le
prix demandé par l'appelante pour son Aténolol
était de 21 % à 25 % moins élevé que celui
demandé par les intimées pour l'Aténolol qu'elles
vendaient. Suivant l'affidavit de M. Sherman, pré-
sident et directeur de l'exploitation de la société
appelante, celle-ci a pris envers les divers ministè-
res provinciaux de la Santé l'engagement de four-
nir son Aténolol à des prix moins élevés que ceux
Cf. Cutter Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada,
Ltd. et autres (1980), 47 C.P.R. (2d) 53, à la p. 57, le juge en
chef Thurlow.
demandés par les intimées pour le leur. Par consé-
quent, de l'avis de M. Sherman, si l'appelante n'est
pas en mesure de fournir ce produit aux ministères
provinciaux, ceux-ci devront supporter une hausse
extraordinaire des frais d'application des program
mes de médicaments, qui se répercutera sur le prix
payé par les consommateurs et causera des désa-
gréments aux pharmaciens. Les calculs versés en
preuve ne sont pas non plus à l'avantage des
intimées. Loin de démontrer que les intimées
subissent un préjudice irréparable, ils font simple-
ment état d'un manque à gagner atteignant envi-
ron 16 %, d'après le chiffre d'affaires des intimées
en 1988 et leur chiffre d'affaires projeté en 1989.
De toute façon, il est possible de chiffrer ces pertes
et donc de les compenser au moyen de dommages-
intérêts.
Je me suis reporté plus tôt à la décision Cutter.
Dans cette affaire, le juge en chef Thurlow (tel
était alors son titre) a dit ce qui suit (aux pages 55
et 56):
Il est rare que dans une action en contrefaçon de brevet la
Cour de céans décerne une injonction interlocutoire. Dans la
plupart des cas, une requête en injonction interlocutoire intro-
duite dans le cours d'une action en contrefaçon de brevet ou en
contestation de validité, a pour effet d'amener le défendeur à
s'engager à tenir une comptabilité à la satisfaction du deman-
deur, ce qui entraîne le rejet de la requête avec dépens réservés.
C'est ce qui a été observé dans les actions en contrefaçon de
dessin industriel et qui a été la suite donnée à la requête
introduite dans l'affaire Lido Industrial Products Ltd. c.
Melnor Mfg. Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 171, 69 D.L.R. (2d)
256, [1968] R.C.S. 769. A mon avis, cet usage tient surtout à
ce que dans la plupart des cas, la nature de la propriété
industrielle en cause est telle que des dommages-intérêts (à
condition que ceux-ci soient évalués de manière raisonnable-
ment exacte) constituent une réparation adéquate de la viola
tion de cette propriété, qui pourrait se produire pendant le
procès. Il s'explique par le fait que si l'on considère la balance
des inconvénients, et si le défendeur s'engage à tenir une
comptabilité et qu'il n'y ait aucune raison de penser qu'il ne
sera pas en mesure de payer les dommages-intérêts alloués, l'on
doit pencher pour le rejet de la requête en injonction. Il ne faut
jamais oublier que l'interdiction faite au défendeur, durant une
période susceptible de se prolonger pendant des années, de faire
ce que, n'eut été l'injonction, il aurait le droit de faire s'il avait
gain de cause, pourrait avoir pour lui des effets tout aussi
graves que le préjudice causé au breveté par suite de la
contrefaçon, si le défendeur devait succomber.
Ces remarques sont, à mon sens, particulièrement
pertinentes en l'espèce. Il y a lieu de remarquer
que M. Sherman a pris l'engagement suivant au
nom de l'appelante: [TRADUCTION] a[. ..] tenir
une comptabilité de toutes les ventes de ses com-
primés Apo-Atenolol jusqu'à ce que soit rendu le
jugement dans cette cause ou jusqu'à ce qu'il soit
mis un terme à l'action». (Voir dossier d'appel,
volume 2., page 262, paragraphe 35, affidavit de
Bernard C. Sherman).
Finalement, je reviens à l'analyse précitée que le
juge Stone a faite des facteurs énoncés dans Ame-
rican Cyanamid, et j'en conclus, en application de
l'alinéa a) de cette énumération, que, puisque les
dommages-intérêts constitueraient une indemnité
adéquate et puisqu'il n'est pas allégué que l'appe-
lante n'aurait pas les moyens de payer les domma-
ges-intérêts accordés (qu'elle s'est engagée à
payer), l'injonction interlocutoire n'aurait pas dû
être décernée. En conséquence, je ferais droit à
l'appel avec dépens dans cette Cour. Je ne touche-
rais pas à l'adjudication des dépens aux intimées
devant la Section de première instance car seule-
ment une partie de l'injonction accordée par la
Section de première instance est révoquée en
appel. Je modifierais l'ordonnance de la Section de
première instance datée du 12 janvier 1989 par la
suppression du paragraphe 1 et par son remplace-
ment par ce qui suit:
1. Il est interdit à la défenderesse, jusqu'au 10 mars 1991,
d'importer pour vente à la consommation au Canada de l'Até-
nolol couvert par le brevet canadien n° 945,172, à la condition
qu'il soit permis à la défenderesse de vendre au Canada le reste
des 1 050 kilos d'Aténolol qu'elle a importés avant le 7 décem-
bre 1987, conformément aux déclarations n°` E484770 et
K006686 faites à la douane canadienne.
Je confirmerais par ailleurs l'ordonnance de la
Section de première instance à tous égards.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Appel est interjeté
de la décision de la Section de première instance
de décerner une injonction interlocutoire. L'appel
porte sur le brevet canadien n° 945,172 délivré
pour la protection d'une invention relative à l'Até-
nolol, ingrédient actif du médicament pour les
maladies cardiaques commercialisé au Canada,
sous le nom commercial de Tenormin, par l'inti-
mée Atkemix, Inc. Celle-ci est une filiale en pro-
priété exclusive de l'intimée, Imperial Chemical
Industries PLC, détentrice du brevet en cause.
I.C.I. Pharma est une succursale d'Atkemix Inc. et
n'a pas de personnalité juridique distincte.
Les dispositions qui suivent de la Loi sur les
brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, visent les faits
en litige.
39....
(4) Si, dans le cas d'un brevet portant sur une invention
destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la produc
tion de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles
fins, une personne présente une demande pour obtenir une
licence en vue de faire l'une ou plusieurs des choses suivantes
comme le spécifie la demande:
a) lorsque l'invention consiste en un procédé, utiliser l'inven-
tion pour la préparation ou la production de médicaments,
importer tout médicament dans la préparation ou la produc
tion duquel l'invention a été utilisée ou vendre tout médica-
ment dans la préparation ou la production duquel l'invention
a été utilisée;
b) lorsque l'invention consiste en autre chose qu'un procédé,
importer, fabriquer, utiliser ou vendre l'invention pour des
médicaments ou pour la préparation ou la production de
médicaments,
le commissaire accorde au demandeur une licence pour faire les
choses spécifiées dans la demande à l'exception de celles pour
lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas
accorder une telle licence.
(6) Après l'expiration d'un délai de six mois à compter du
jour où une copie de la demande adressée au commissaire en
conformité avec le paragraphe (4) est signifiée, de la manière
prescrite, au breveté, le demandeur peut, si le commissaire n'a
pas statué définitivement sur la demande, présenter au commis-
saire une requête aux fins d'obtenir une licence temporaire pour
faire, parmi celles que spécifie la demande, la ou les choses
spécifiées dans sa requête, et le commissaire, dès réception
d'une telle requête, signifie immédiatement au breveté un avis
lui indiquant qu'il peut, dans le délai spécifié par le commis-
saire dans l'avis, délai ne dépassant pas vingt et un jours à
compter du jour où l'avis est signifié au breveté, faire des
observations concernant la requête.
39.11 (I) Sous réserve des autres dispositions du présent
article et par dérogation à l'article 39 ou à toute licence
délivrée sous son régime, il est interdit de se prévaloir d'une
licence, peu importe la date de délivrance, accordée sous son
régime relativement à un brevet portant sur une invention liée à
un médicament pour revendiquer ou exercer le droit, si l'inven-
tion est un procédé, d'importer pour vente au Canada le
médicament dans la préparation ou la production duquel l'in-
vention a été utilisée, ou, si elle n'est pas un procédé, d'importer
l'invention pour des médicaments ou pour la préparation ou la
production de médicaments pour vente à la consommation au
Canada.
(2) L'interdiction est levée à l'expiration des délais suivants:
b) huit ans après la délivrance du premier avis de conformité
si, au 27 juin 1986, l'avis était délivré et si aucune licence n'a
été accordée pour le médicament et aucun avis de conformité
n'a été délivré à une personne autre que le breveté;
Les alinéas 39.11(2)a) et c) portent respective-
ment sur le cas où une licence obligatoire aurait
été délivrée au plus tard le 27 juin 1986 et sur le
cas où la délivrance du premier avis de conformité
serait survenue après cette date. Tous s'accordent
pour dire que l'alinéa 39.11(2)b) s'applique aux
faits de l'espèce.
Voici la chronologie des faits pertinents:
Le 9 avril 1974—Délivrance du brevet canadien
n° 945,172.
Le 10 mars 1983—Délivrance du premier avis
de conformité à I.C.I. Pharma.
Le 5 décembre 1985—Demande d'avis de con-
formité présentée par Apotex.
Le 3 mars 1986—Demande de licence obliga-
toire présentée par Apotex.
Le 27 juin 1986—Annonce du projet de modifi
cation de la Loi sur les brevets.
Le 15 juillet 1987—Délivrance à Apotex d'une
licence temporaire, valide pendant six mois,
en application du paragraphe 39(6), l'autori-
sant à [TRADUCTION] «importer et vendre des
médicaments dans la préparation ou la pro
duction desquels l'invention a été utilisée, et à
importer, utiliser et vendre l'invention pour
des médicaments ou pour la préparation ou la
production de médicaments, dont la vente
n'est pas limitée au territoire canadien», sous
réserve de conditions dont l'observation ne fait
pas l'objet du présent litige.
Août et septembre 1987—Importation par
Apotex de 1 050 kilos d'Aténolol au Canada.
Le 7 décembre 1987—Proclamation de l'entrée
en vigueur des modifications apportées à la
Loi sur les brevets, y compris l'article 39.11.
Le 15 février 1988—Délivrance à Apotex d'une
licence obligatoire en application de l'alinéa
39(4)a), l'autorisant à [TRADUCTION]
«importer, fabriquer, utiliser et vendre le
médicament, qui est un produit chimique,
connu sous le nom générique d'Aténolol, cou-
vert par le [brevet n° 945,172] dont est titu-
laire Imperial Chemical Industries PLC».
Le 30 juin 1988—Délivrance à Apotex de l'avis
de conformité à l'égard de l'Aténolol.
Bien que d'autres questions aient été soulevées
devant le juge de première instance, la seule ques
tion en litige dans cet appel consiste à savoir si
Apotex a le droit, conformément à la licence obli-
gatoire délivrée le 15 février 1988, d'utiliser et de
vendre au Canada les 1 050 kilos d'Aténolol
qu'elle a importés, en exécution de la licence tem-
poraire, avant le 7 décembre 1987. Deux questions
se posent en appel: premièrement, le juge a-t-il mal
interprété les dispositions du paragraphe 39.11(1)
et de l'alinéa 39.11(2)b) et a-t-il ainsi commis une
erreur de droit en concluant qu'il y avait une
question sérieuse à trancher relativement aux
1 050 kilos et, deuxièmement, s'est-il trompé lors-
qu'il a conclu que les intimées subiraient un préju-
dice irréparable si l'injonction interlocutoire décer-
née ne visait pas les 1 050 kilos? Étant donné la
conclusion que je tire au sujet de cette affaire, il
n'est pas nécessaire d'étudier la seconde question.
Dans sa décision, qui est publiée ([1989] 2 C.F.
608; 23 C.P.R. (3d) 1), le juge de première ins
tance a rejeté sommairement l'argument qui, à
mon sens, devrait prévaloir (aux pages 625 C.F.;
15 C.P.R.). Il dit:
Le second argument avancé par la défenderesse, savoir que
les modifications législatives dont il s'agit ne s'appliquent qu'à
l'Aténolol importé dans le pays après le 7 décembre 1987, est
fort original mais ne saurait, à mon avis, être accueilli. La
défenderesse soutient qu'elle a le droit de vendre au Canada
l'Aténolol dont elle a fait l'acquisition avant l'entrée en vigueur
de la nouvelle Loi. Les alinéas [39.11(1)a) et b)] interdisent
clairement l'importation de l'Aténolol aux fins de vente à la
consommation au Canada, quelle qu'en soit la date. Vu la
clarté de la lettre et de l'esprit du texte de loi, il est impossible
de séparer les deux mots «importer» et «vente» comme le
suggère la défenderesse. On pourrait conclure de ce texte que la
défenderesse peut continuer à importer de l'Aténolol et à
accroître son stock de ce médicament si elle le souhaite. Mais
d'ici à 1991, elle ne peut pas mettre ce médicament en vente à
la consommation au Canada, étant donné le monopole limité
dont jouissent les demanderesses en application des modifica
tions apportées à l'article [39.11] de la Loi.
L'alinéa 39.11(1)a) n'est pas ambigu et j'estime
qu'il ne se prête pas à l'interprétation que le juge
de première instance lui a donnée. Cette disposi
tion interdit de se prévaloir d'une licence pour
exercer le droit «d'importer pour vente au Canada
le médicament dans la préparation ou la produc
tion duquel l'invention a été utilisée». Elle n'inter-
dit que l'importation. Elle n'a pas d'effet rétroactif
à l'égard des médicaments importés avant son
entrée en vigueur et elle n'interdit pas de se préva-
loir d'une licence obligatoire pour exercer d'autres
droits que le droit d'importer des médicaments.
Dans l'affaire récente Turbo Resources Ltd. c.
Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451; 24 C.P.R.
(3d) 1, cette Cour a examiné minutieusement le
critère que l'on appelle parfois le critère prélimi-
naire de l'arrêt American Cyanamid. Pour statuer
sur l'opportunité de décerner une injonction inter-
locutoire, il n'y a lieu de prendre en considération
d'autres facteurs qu'une fois que le tribunal a
décidé qu'il y avait une question sérieuse à tran-
cher. S'il conclut qu'il n'y a pas de question
sérieuse à trancher, il rejette la demande, sans
plus.
Les intimées se fondent en particulier sur l'opi-
nion incidente qu'a émise lord Diplock dans Ame-
rican Cyanamid Co. y Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396 (H.L.), à la page 407:
[TRADUCTION] La cour n'a pas, en cet état de la cause, à
essayer de résoudre les contradictions de la preuve soumise par
affidavit, quant aux faits sur lesquels les réclamations de
chaque partie peuvent ultimement reposer, ni à trancher les
épineuses questions de droit qui nécessitent des plaidoiries plus
poussées et un examen plus approfondi. C'est au procès qu'il
faut trancher ces questions.
D'après les intimées, cette opinion signifie, si on
l'interprète correctement, qu'il ne convient pas de
résoudre d'épineuses questions de droit à l'occasion
d'une demande d'injonction interlocutoire, même
quand les faits importants ne sont pas contestés.
Selon leur thèse, il s'ensuit qu'il n'y aurait pas lieu
de toucher à la décision que le juge de première
instance a prise dans l'exercice de son pouvoir
discrétionnaire, en fonction de son interprétation
de l'alinéa 39.11(1)a).
À mon avis, l'interprétation de cette disposition,
dans l'optique de son application aux faits de
l'espèce, lesquels ne sont pas contestés, ne pose
aucune question de droit épineuse. Je vais me
contenter de fonder ma décision sur cette raison et
de remettre à plus tard l'examen de la thèse des
intimées, s'il s'avérait qu'une question de droit
épineuse se pose en l'espèce. Je dois cependant
avouer que je doute fort de la vérité de cette
assertion. Si les faits pertinents ne sont pas contes
tés, pourquoi une épineuse question de droit ne
pourrait-elle pas faire l'objet de plaidoiries pous-
sées et d'un examen approfondi à l'étape de la
demande d'injonction interlocutoire comme à celle
du procès? Le procès ne change pas le droit; il sert
à établir les faits et y appliquer le droit.
Je ferais droit à l'appel avec dépens et modifie-
rais l'injonction interlocutoire décernée le 12 jan-
vier 1989, afin d'exclure de son application l'utili-
sation et la vente des 1 050 kilos d'Aténolol
importés au Canada avant le 7 décembre 1987.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: J'ai eu l'occasion de
lire à l'état d'ébauche les motifs du jugement de
mes deux collègues et je désire seulement y ajouter
quelques motifs.
Sans vouloir répéter ce que j'ai dit dans Turbos
au sujet de l'importance de la décision de la
Chambre des lords dans American Cyanamid 6 sur
cette question de droit, je ferai observer que leurs
Seigneuries avaient de toute évidence l'intention de
mettre l'accent avant tout sur la balance des incon-
vénients pour les parties plutôt que sur le critère
préliminaire (qui consistait jusque-là dans la
preuve de l'existence d'une «apparence de droit» ou
d'une «forte apparence de droit»). Antérieurement,
nombre de demandes d'injonction interlocutoire
étaient rejetées faute de satisfaire au critère préli-
minaire. Le nouveau critère préliminaire, auquel il
est un peu plus facile de satisfaire, implique que la
décision d'accorder ou de refuser la réparation
demandée reposera souvent sur l'appréciation de la
balance des inconvénients. Le requérant qui n'a
subi aucune perte irréparable parce que des dom-
mages-intérêts l'indemniseraient adéquatement ne
5 Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F.
451; 24 C.P.R. (3d) 1.
6 American Cyanamid Co. y Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396
(H.L.).
pourra habituellement pas démontrer que la
balance des inconvénients est en sa faveur.
Bien entendu, il n'est pas trop difficile d'imagi-
ner des causes qui seraient si complètement indé-
fendables, à la lumière de l'interprétation du texte
de loi, qu'il y aurait lieu de rejeter, en fonction du
critère préliminaire, la demande d'injonction inter-
locutoire fondée sur cette interprétation. Toutefois,
je n'ai pas pu me persuader que l'espèce appar-
tienne à cette catégorie. Le langage employé dans
la Loi en cause n'est pas sans présenter quelque
difficulté, mais je suis d'avis que cette Cour serait
à même de résoudre la question de l'interprétation
si elle était la seule en litige'. Cependant, certains
des faits sont contestés. Il conviendrait donc de
laisser le juge du procès statuer sur la question car
il sera mieux en mesure d'interpréter la Loi à la
lumière de tous les éléments de preuve produits et
des plaidoiries.
Comme le juge Heald, je suis aussi convaincu
que l'intimée ne subirait pas de préjudice irrépara-
ble si l'injonction décernée ne comportait pas tous
les éléments du paragraphe 1 du jugement de
première instance. Je souscris aux motifs qu'il a
avancés pour lesquels il serait opportun de modi
fier la décision rendue par le juge saisi de la
requête, dans l'exercice de son pouvoir discrétion-
naire à l'égard de cette question. Ces motifs sem-
blent bel et bien rester dans les limites du pouvoir
de révision d'une cour d'appel dans une cause de
cette natures.
Je statuerais donc sur cet appel de la manière
proposée par le juge Heald et pour les motifs qu'il
a énoncés.
' Voir par exemple Smith y Inner London Education Autho
rity, [1978] 1 All ER 411 (C.A.), dans laquelle le tribunal a
décidé, sur une question d'interprétation de la loi, que le
pouvoir de l'Administration d'agir d'une manière donnée était
indiscutablement conféré par les termes même de la loi et que,
par conséquent, il n'y avait pas de «question sérieuse» à
trancher.
8 Voir Hadmor Productions Ltd. v. Hamilton, [1983] 1 A.C.
191 (H.L.), lord Diplock, à la p. 220; Garden Cottage Foods
Ltd. v. Milk Marketing Board, [ 1984] A.C. 130 (H.L.), à la p.
137.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.