T-726-89
Percy Minnabarriet, Chef de la bande indienne de
Cook's Ferry, agissant en son nom et pour le
compte de tous les autres membres de la bande
indienne de Cook's Ferry (à l'exception de Reg
Draney et Jim Billy) et la bande indienne de
Cook's Ferry (requérants)
c.
Le Conseil de la bande indienne de Cook's Ferry
(intimé)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE DE COOK'S FERRY C. BANDE
INDIENNE DE COOK'S FERRY (CONSEIL) (1" INST.)
Section de première instance, juge Reed —Vancou-
ver, 15 mai; Ottawa, 26 mai 1989.
Peuples autochtones — Parmi les mesures d'opposition aux
activités du conseil de la bande, il est demandé la nomination
d'un administrateur-séquestre pour s'occuper des biens de la
bande — La Cour fédérale a compétence pour nommer un
administrateur-séquestre — Nature et obligations du conseil
de la bande — Le contrôle et la gestion des biens ne sont pas
exclusivement réservés au conseil de la bande et à la Couronne.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — En vertu de l'art. 44 de la Loi sur la Cour fédérale,
celle-ci a compétence pour nommer un administrateur-séques-
tre pour s'occuper des biens de la bande lorsque le contrôle du
conseil de la bande est contesté — Le contrôle et la gestion des
biens ne sont pas exclusivement réservés au conseil de la bande
et à la Couronne.
Parmi les mesures visant à empêcher le conseil de la bande
indienne de Cook's Ferry d'accomplir certains actes, dont la
nomination de conseillers élus de la bande à des postes rémuné-
rés, il est demandé qu'un administrateur-séquestre soit nommé
pour s'occuper de tous les biens et de toutes opérations de la
bande. À cause d'exigences d'ordre juridictionnel, une poursuite
semblable a été intentée contre d'autres personnes devant la
Cour suprême de la Colombie-Britannique. La seule question à
trancher en l'espèce est de savoir si la Cour fédérale a compé-
tence pour nommer un administrateur-séquestre.
Jugement: un tel redressement relève de la compétence de
cette Cour.
La nomination d'un administrateur-séquestre est autorisée
par l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale. Le terme
«séquestre» y employé peut comprendre un administrateur-
séquestre. L'article 44 a clairement voulu que le séquestre
nommé pour protéger les biens soit habilité non seulement à
être le dépositaire de ces biens, mais aussi à les gérer et à les
administrer lorsque les circonstances le justifient. Les articles
18 et 44 doivent être lus ensemble et ne doivent pas être
considérés comme prévoyant des mesures de redressement tout
à fait distinctes et qui s'excluent l'une l'autre.
L'argument selon lequel aucun tribunal n'est compétent pour
enlever au conseil les pouvoirs qu'il exerce sur les biens de la
bande, étant donné qu'il n'y a aucune disposition législative qui
accorde pareil pouvoir à un tribunal, n'est pas fondé. La
jurisprudence concernant des chemins de fer sur laquelle s'ap-
puie l'intimé ne s'applique pas étant donné la nature particu-
lière des lois relatives aux chemins de fer.
Ne pourrait pas non plus être accueilli l'argument de l'intimé
selon lequel les sommes d'argent en question sont soumises à un
double contrôle, celui du conseil et celui de la Couronne, et
puisque celle-ci n'est pas intervenue ni n'a pris position dans le
litige, la Cour n'a pas compétence. La Couronne ayant été
avisée du litige, son silence pourrait être considéré comme un
consentement implicite. En tout état de cause, cela n'influe pas
sur la compétence.
On ne voit pas pourquoi cette Cour ne pourrait pas nommer
un administrateur-séquestre, en supposant qu'elle accueille la
demande de redressement fondée sur l'article 18, d'ici à ce que
soit réglé le litige dont est saisie la Cour suprême de la
Colombie-Britannique.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18, 44.
Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), chap. R-3, art.
94, 95, 110.
Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, S.C. 1984,
chap. 18, art. 45(1)d)(iv).
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. 1-5, art. 2(1),
61, 64(1) (mod. par S.C. 1985, chap. 27, art. 10),
66(1), 69, 81 87, 89 (mod. par S.C. 1988, chap. 23,
art. 12).
Règlement sur les revenus des bandes d'Indiens, C.R.C.,
chap. 953.
The Railway Companies Act, 1867, 30 & 31 Vict., chap.
127 (R.-U.), art. 4 (reproduite dans 38 & 39 Vict.,
chap. 31 (R.-U.)).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Allan v. Manitoba & N.W. Ry. Co., Re Gray, No. I
(1894), 10 Man. R. 106 (B.R.); Gardner v. London,
Chatham, and Dover Railway Company (No. 1)
(1866-67), L.R. 2 Ch. App. 201; Bande d'Eastmain c.
Gilpin, [1987] R.J.Q. 1637 (S.P.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Les Ustensiles de Cuisine Inoxydables Cook-o -
Matic Inc./Cook-o-Matic Kitchenware Stainless Steel
Inc. (1984), 53 C.B.R. (N.S.) 276 (C.F. 1" inst.); White -
bear Band Council v. Carpenters Prov. Council of Sask.,
[1982] 3 W.W.R. 554 (C.A. Sask.); Bear v. John Smith
Indian Band Chief, [1983] 5 W.W.R. 21 (B.R. Sask.).
DÉCISIONS CITÉES
In re Manchester and Milford Railway Company (1880),
14 Ch. D. 645 (C.A.); Marshall v. South Staffordshire
Tramways Company, [1895] 2 Ch. 36 (C.A.); Parker v.
Camden London Borough Council, [1986] Ch. 162
(C.A.); In re Salisbury Railway and Market House Co.
Ltd., [ 1969] 1 Ch. 349 (Ch. D.); Sage v. The Shore Line
Railway Co. (1901), 2 N.B. Eq. 321; Ritchie v. Central
Ontario R.W. Co. (1904), 7 O.L.R. 727 (C.P.D.); Ladore
v. Bennett, [1939] A.C. 468 (P.C.); Blackett v. Blackett
(1871), 19 W.R. 559 (Ch.); Brenan v. Preston (1852), 2
De G. M. & G. 813; 42 E.R. 1090 (Ch.).
DOCTRINE
Coyne H. E. B. The Railway Law of Canada, Toronto:
Canada Law Books Co. Ltd., 1947.
Kerr, W. W. Kerr on the law and practice as to receivers,
16 ° éd. by R. Walton, London: Sweet & Maxwell
Limited, 1983.
The Compact Edition of the Oxford English Dictionary,
vol. II, Oxford: Oxford University Press, 1971,
«receiver».
AVOCATS:
E. Jack Woodward et P. Hutchings pour les
requérants.
G. Anderson pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jack Woodward, Victoria, pour les requé-
rants.
Harper, Grey, Easton and Company, Vancou-
ver, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Conformément à l'article 18 de
la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap.
F-7], les requérants ont déposé un avis de requête
introductive d'instance dans lequel ils demandent
un bref de certiorari pour annuler certaines déci-
sions prises par le conseil de bande intimé, ainsi
qu'une injonction pour empêcher le conseil et quel-
ques-uns de ses membres de poser certains actes,
notamment de nommer des conseillers élus de la
bande à des postes rémunérés. Parmi les mesures
de redressement demandées par les requérants, il y
a la nomination d'un administrateur-séquestre
pour s'occuper de tous les biens et de toutes les
opérations de la bande (à l'exception des réserves
et des terres désignées au sens de la Loi sur les
Indiens [L.R.C. (1985), chap. I-5]). Le libellé de
la requête n'est pas clair, mais je crois comprendre
que les requérants réclament la nomination d'un
administrateur-séquestre en attendant que cette
Cour rende une décision finale au sujet de la
demande de redressement fondée sur l'article 18 et
que soit réglée la poursuite qu'ils ont intentée
devant la Cour suprême de la Colombie-Britanni-
que contre certains membres du conseil, à titre
individuel, et contre d'autres personnes qui ne sont
pas membres de la bande. Ces dernières figuraient
initialement au nombre des intimés dans le présent
litige. On a toutefois fait savoir au procureur des
requérants qu'elles ne pouvaient être poursuivies
devant cette Cour à cause de restrictions d'ordre
juridictionnel; une poursuite a donc été intentée
contre elles devant la Cour suprême de la
Colombie-Britannique.
La requête qui a été présentée est vague; on
demande simplement la nomination d'un adminis-
trateur-séquestre pour une période indéterminée.
On ne précise nullement si cette nomination est
demandée à titre provisoire, c'est-à-dire jusqu'au
règlement du litige. On ne précise pas si elle doit
prendre fin soit lorsque cette Cour aura statué sur
la demande fondée sur l'article 18, soit lorsque
sera réglée la poursuite intentée contre l'intimé et
d'autres personnes devant la Cour suprême de la
Colombie-Britannique. Il est évident que la
requête devra être modifiée à cet égard. Il serait
inusité de nommer un administrateur-séquestre
sans prévoir un délai ou une restriction quelcon-
que. Je tiens à souligner que la question de la
durée de la nomination de l'administrateur-séques-
tre n'a pas été soulevée par les parties et n'a pas
été débattue devant moi.
M. le juge McNair a été saisi de la demande de
redressement fondée sur l'article 18 le jeudi 27
avril 1989. Il a ordonné que la question de savoir si
cette Cour est ou non compétente pour nommer un
administrateur-séquestre chargé de s'occuper des
biens du conseil d'une bande soit débattue le 15
mai 1989. Le procureur de l'intimé a alors pré-
senté un projet d'avis de requête en date du 9 mai
1989 dans lequel il a demandé à la Cour de statuer
[TRADUCTION] «que la Cour fédérale du Canada
n'est pas compétente pour nommer un administra-
teur-séquestre chargé de s'occuper des opérations
du conseil d'une bande dont les membres sont élus
en conformité de la Loi sur les Indiens, L.R.C.
(1985), chap. I-5». Le procureur des requérants
prétend que le libellé de cet avis de requête est trop
général car le redressement demandé par les
requérants consiste à obtenir la nomination d'un
administrateur-séquestre chargé de s'occuper des
biens du conseil de bande intimé, et non de l'en-
semble de ses opérations. À mon avis, cet avis de
requête est inutile et il n'y a pas lieu d'en tenir
compte. L'audience du 15 mai devant cette Cour a
été ordonnée par M. le juge McNair le 27 avril
1989 et a pour objet d'entendre les arguments des
parties au sujet de la question préliminaire de la
compétence de la Cour relativement à l'avis de
requête introductive d'instance déposé par les
requérants le 10 avril 1989. À mon sens, il n'était
nullement nécessaire que l'intimé présente un avis
de requête.
L'intimé soumet que cette Cour n'est pas com-
pétente pour nommer un administrateur-séquestre
dans les circonstances de l'espèce parce que: (1)
l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale ne
l'autorise pas à nommer un administrateur-séques-
tre; (2) le conseil d'une bande indienne est un
corps législatif qui exerce des pouvoirs qui lui sont
délégués par le gouvernement fédéral et qui, pour
cette raison, ne peut être remplacé par un adminis-
trateur-séquestre, et (3) les sommes d'argent et les
biens en litige appartiennent [TRADUCTION] «à Sa
Majesté la Reine du chef du Canada et personne
d'autre que le conseil de la bande ou Sa Majesté
ne peut se charger de les contrôler ou de les
administrer».
Aux termes de l'article 44 de la Loi sur la Cour
fédérale:
44. Indépendamment de toute autre forme de réparation
qu'elle peut accorder, la Cour peut, dans tous les cas où il lui
paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus,
une injonction ou une ordonnance d'exécution intégrale, ou
nommer un sequestre, soit sans condition soit selon les modali-
tés qu'elle juge équitables. [C'est moi qui souligne.]
Le procureur de l'intimé fait valoir que
l'article 44 prévoit la nomination d'un séquestre, et
non d'un administrateur-séquestre. Il rappelle la
distinction qui a été faite entre un séquestre et un
administrateur dans l'arrêt Allan v. Manitoba &
N.W. Ry. Co., Re Gray, No. 1 (1894), 10 Man. R.
106 (B.R.). Cet arrêt ne porte évidemment pas sur
l'interprétation de la Loi sur la Cour fédérale.
Pour sa part, le procureur des requérants cite
des extraits de l'ouvrage de Kerr sur les séquestres
(Receivers), (16 e éd., 1983), aux pages 5, 6, 13, 14
et 212, dans lesquels il est question des circons-
tances dans lesquelles un tribunal nomme un
séquestre ou un administrateur-séquestre. Le pro-
cureur des requérants invoque également la déci-
sion rendue par mon collègue le juge Joyal dans
l'arrêt R. c. Les Ustensiles de Cuisine Inoxyda-
bles, Cook-o -Matic Inc./Cook-o-Matic Kitchen
ware Stainless Steel Inc. (1984), 53 C.B.R. (N.S)
276 (C.F. ire inst.). Dans cette affaire, un séques-
tre avait été nommé sous le régime de l'article 44
et avait été habilité à exercer les fonctions d'admi-
nistration et de gestion rattachées à la charge de
séquestre.
Il n'y a pas de doute qu'on ne doit pas interpré-
ter l'article 44 aussi restrictivement que le soumet
le procureur de l'intimé. En premier lieu, le terme
«séquestre» pris dans son sens littéral peut com-
prendre un administrateur-séquestre. Les deux
termes ne s'excluent pas l'un l'autre. Dans le The
Compact Edition of the Oxford English Dictio
nary, 1971 [à la page 2437], on définit ainsi le
«receiver» (séquestre): [TRADUCTION] «Personne
nommée par un tribunal pour administrer les biens
d'un failli ou des biens litigieux durant l'instance».
Le pouvoir d'administrer comprend clairement le
pouvoir de gérer. En second lieu, comme le législa-
teur a adopté l'article 44 pour permettre à la Cour
d'accorder des ordonnances visant à protéger des
biens soit durant l'instance, soit dans l'attente d'un
événement postérieur à l'instance, il a sûrement
voulu qu'un séquestre nommé à cette fin soit habi-
lité non seulement à être le dépositaire de ces
biens, mais aussi à les gérer ou à les administrer
lorsque les circonstances le justifient.
Le procureur de l'intimé soutient qu'on ne peut
pas lire ensemble les articles 44 et 18 pour en
conclure qu'un séquestre peut être nommé durant
l'examen d'une demande fondée sur l'article 18,
parce que l'emploi des termes «mandamus» et
«injonction» serait alors redondant. En consé-
quence, ajoute-t-il, si on lisait l'article 18 avec
l'article 44, voici comment cet article 44 se lirait :
«Indépendamment de tout mandamus ou de toute
injonction qu'elle peut accorder aux termes de
l'article 18, la Cour peut accorder un mandamus,
une injonction ou une ordonnance ... dans tous les
cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire».
Sur le plan de l'interprétation des lois, cet argu
ment ne me convainc nullement. Il est clair que
l'article 44 doit être lu avec les autres articles de la
Loi, dans la mesure où le contexte de chacun de
ces articles peut l'exiger. On exagérerait la portée
de cet article en concluant que les articles 18 et 44
prévoient des mesures de redressement tout à fait
distinctes et qui s'excluent l'une l'autre, comme le
prétend le procureur de l'intimé.
Quant au deuxième argument de l'intimé, nul ne
conteste que le conseil d'une bande est un organe
polyvalent. Dans l'arrêt Whitebear Band Council
v. Carpenters Prov. Council of Sask., [1982] 3
W.W.R. 554 (C.A. Sask.), le juge Cameron a dit
[aux pages 560 et 561]:
[TRADUCTION] En résumé, le conseil d'une bande indienne
est un corps public dont les membres sont élus par les habitants
de la réserve, dont l'existence, les pouvoirs et les responsabilités
sont déterminés par le Parlement, et dont la principale fonction
consiste à exercer des pouvoirs municipaux et gouvernemen-
taux—qui lui sont délégués par le Parlement—à l'égard de
cette réserve. A ce titre, il agit de temps à autre comme
mandataire du ministre et comme représentant de la bande en
ce qui concerne l'administration et l'exécution de certains pro
grammes fédéraux au profit des Indiens sur des réserves indien-
nes, et il joue un rôle consultatif et parfois même décisionnel
lorsque le ministre exerce certains pouvoirs que lui confère la
Loi relativement à la réserve.
Voir aussi Bear v. John Smith Indian Band Chief,
[1983] 5 W.W.R. 21 (B.R. Sask.), surtout la page
25:
[TRADUCTION] À mon avis, ce qu'a dit, en gros, le juge
Cameron de la Cour d'appel dans son analyse de la Loi sur les
Indiens, c'est que pour certains aspects de ses activités, le
conseil de la bande agit comme préposé ou mandataire du
ministre (Couronne); toutefois, le conseil est aussi l'organe
représentatif élu des membres de la bande, agit comme organe
administratif de la réserve et s'occupe de l'organisation et du
fonctionnement de la réserve dans le quotidien.
Cela dit, le procureur de l'intimé prétend qu'aucun
tribunal n'est compétent pour enlever au conseil les
pouvoirs qu'il exerce sur les biens de la bande.
Selon lui, c'est parce qu'il n'y a aucune disposition
législative qui accorde pareil pouvoir à un tribunal.
Il invoque l'arrêt Allan v. Manitoba & N.W. Ry.
Co., précité.
Je ne pense pas que le procureur de l'intimé
puisse s'appuyer sur cet arrêt, qui concerne un
chemin de fer. On sait très bien que les lois
relatives aux chemins de fer contiennent générale-
ment des dispositions spécifiques qui imposent cer-
taines obligations aux compagnies de chemin de
fer. Dans bien des cas, il y a aussi des dispositions
aux termes desquelles il faut obtenir l'approbation
du gouvernement avant de liquider les biens ou de
céder les opérations de ces compagnies'. On cons-
tate par ailleurs dans des lois plus récentes qu'il est
interdit d'abandonner l'exploitation d'une ligne
secondaire sans avoir obtenu l'approbation du gou-
vernement. Dans ce contexte, la Court of Chan
cery a statué dans l'arrêt Gardner v. London,
Chatham, and Dover Railway Company (No. 1)
(1866-67), L.R. 2 Ch. App. 201 qu'on pouvait
nommer un séquestre, mais non un administrateur-
séquestre, relativement à un tronçon de chemin de
fer. Dans ses motifs, lord Cairns a dit, aux pages
212 et 217:
[TRADUCTION] Ce qui ne fait aucun doute dans mon esprit,
c'est que la Cour se charge de gérer une entreprise uniquement
pour en faciliter la liquidation et la vente. Cette gestion a un
caractère provisoire; elle est nécessaire et justifiée à cause de la
compétence de la Cour en matière de liquidation et de vente.
La Cour gère et poursuit les activités de l'entreprise pour que
celle-ci puisse être vendue en tant qu'entreprise en exploitation,
et la gestion prend fin au moment de la vente.
Toutefois, outre le principe général selon lequel la Court of
Chancery n'assume en aucun cas la gestion permanente d'une
entreprise, il faut souligner le cas particulier des compagnies de
chemin de fer, dont la gestion même temporaire ne pourrait, à
mon avis, être confiée à la Court of Chancery. En effet, lorsque
le Parlement autorise, dans l'intérêt public, la construction et
l'exploitation d'un chemin de fer, à la fois comme voie publique
et comme route sur laquelle une compagnie peut elle-même
devenir transporteur de passagers et de marchandises, il attri-
bue des pouvoirs et impose des devoirs et des responsabilités
considérables et très importants, et il les attribue à' une compa-
gnie en particulier et à nul autre groupe de personnes.
L'entreprise en exploitation ainsi créée par le législateur ne doit
donc pas, en vertu d'un contrat la constituant en garantie, être
détruite, démantelée ou supprimée. Les droits de péage et les
sommes d'argent ejusdem generis—c'est-à-dire les revenus de
l'entreprise—doivent servir à rembourser l'hypothèque; à mon
avis, toutefois les créanciers hypothécaires ne peuvent pas, en
vertu de leur hypothèque ou à titre de créanciers hypothécai-
res—en saisissant ou en demandant à la Cour de saisir le
capital, les terres, le produit de la vente de ces terres ou le
matériel de l'entreprise—en empêcher la mise en opération ni la
réduire à ses éléments initiaux lorsqu'elle est en opération.
Cette décision reposait sans aucun doute sur
deux faits: (1) la Cour a présumé que la raison
pour laquelle un administrateur-séquestre était
nommé et la seule raison pour laquelle il pouvait
l'être, c'était pour procéder au démantèlement de
la compagnie en tant qu'entreprise en exploitation,
' Voir, par exemple, des dispositions législatives récentes
comme les articles 94, 95 et 110 de la Loi sur les chemins de
fer, L.R.C. (1985), chap. R-3.
pour la liquider; (2) la loi qui régissait la compa-
gnie imposait à ses administrateurs des devoirs et
des obligations que ceux-ci ne pouvaient déléguer.
Pour d'autres explications de l'arrêt Gardner, voir
In re Manchester and Milfrod Railway Company
(1880), 14 Ch. D. 645 (C.A.); et Marshall v.
South Staffordshire Tramways Company, [1895]
2 Ch. 36 (C.A.), aux pages 51à 55; Parker v.
Camden London Borough Council, [1986] Ch. 162
(C.A.); In re Salisbury Railway and Market
House Co. Ltd., [1969] 1 Ch. 349 (Ch. D.). Le
législateur britannique a d'ailleurs adopté, un an
après l'arrêt Gardner, une loi autorisant la nomi
nation d'administrateurs-séquestres pour les com-
pagnies de chemin de fer, mais soustrayant le
matériel roulant et les installations de la compa-
gnie à la saisie aux fins de l'exécution de juge-
ments: The Railway Companies Act, 1867, 30 &
31 Vict., chap. 127 (R.-U.), art. 4, reproduite dans
38 & 39 Vict. chap., 31 (R.-U.).
C'est l'arrêt Gardner qui a été invoqué dans
l'affaire Allan v. Manitoba and N.W. Ry. Co.
Dans cette affaire, les créanciers hypothécaires
d'une partie du chemin de fer ont demandé au
tribunal de nommer un administrateur-séquestre et
de prononcer la forclusion de l'hypothèque. Le
tribunal a accepté de nommer un séquestre mais a
refusé de nommer un administrateur-séquestre. On
ne sait pas très bien si cette décision reflétait
exactement l'état du droit au Canada à cette
époque: voir H. E. B. Coyne, The Railway Law of
Canada (1947), la page 146; Sage v. The Shore
Line Railway Co. (1901), 2 N.B. Eq. 321; Ritchie
v. Central Ontario R.W. Co. (1904), 7 O.L.R. 727
(C.P.D.).
Quoi qu'il en soit, les motifs qui sous-tendent la
décision rendue dans l'arrêt Gardner ne s'appli-
quent pas en l'espèce. Les requérants ne veulent
pas qu'un administrateur-séquestre soit nommé
pour dissoudre le conseil ou liquider les biens de la
bande. Cette nomination leur apparaît nécessaire
pour protéger les biens de la bande. De plus, la
bande n'est visée par aucune obligation semblable
à celles qui régissent les chemins de fer ou d'autres
genres de services publics. Par exemple, la bande
n'est nullement obligée de fournir certains services
publics comme des services de transport d'un point
A à un point B. Les dispositions qui portent sur les
conseils de bandes (articles 81à 87 de la Loi sur
les Indiens) confèrent des pouvoirs aux conseils;
elles sont facultatives et n'obligent pas les conseils
à s'acquitter de certaines obligations. Enfin, la Loi
sur les Indiens ne contient pas de dispositions
semblables à celles des lois sur les chemins de fer
au sujet de la conservation des biens. On peut
liquider les biens d'une bande, les grever d'un
privilège ou les vendre, sauf dans la mesure prévue
à l'article 89 [mod. par L.C. 1988, chap. 23, art.
12]:
89. (1) Sous réserve de la présente loi, les biens d'un Indien
ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire
l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque,
d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécu-
tion en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un
Indien ou une bande.
Comme les requérants en l'espèce sont des Indiens,
ils ne sont pas visés par l'interdiction prévue à
l'article 89.
En dernier lieu, j'ai parcouru la jurisprudence
relative aux municipalités, qui sont des corps sem-
blables aux conseils de bandes, et je n'y ai relevé
aucune règle disant que les biens d'une municipa-
lité ne peuvent être confiés à un administrateur-
séquestre vu la nature de ces entités. Tout comme
les conseils de bandes, les municipalités sont poly-
valentes, c'est-à-dire qu'elles exercent à la fois des
pouvoirs administratifs et des pouvoirs législatifs
délégués. Peut-être y a-t-il des dispositions législa-
tives à cet effet, mais je n'ai trouvé aucun principe
général de common law voulant que les biens d'une
municipalité ne puissent être confiés à un adminis-
trateur-séquestre. En pratique, toutefois, lors-
qu'une municipalité éprouve des difficultés finan-
cières, le gouvernement provincial intervient et
prend la situation en charge: voir par exemple
Ladore v. Bennett, [1939] A.C. 468 (P.C.).
Le tribunal a donc rendu sa décision dans l'arrêt
Allan en présumant que la loi constituant la com-
pagnie de chemin de fer interdisait le démantèle-
ment de ses opérations. Il a tenu compte du cadre
législatif, qui obligeait la compagnie de chemin de
fer à s'acquitter de certaines obligations. Il a éga-
lement tenu compte du fait que l'administrateur-
séquestre dont on demandait la nomination allait
être chargé de vendre ou de liquider les biens
litigieux de la compagnie. À mon sens, cet arrêt ne
sert pas la cause de l'intimé.
Le procureur de l'intimé invoque également l'ar-
rêt Bande d'Eastmain c. Gilpin, [1987] R.J.Q.
1637 (S.P.). Dans cet arrêt, on a jugé valide un
règlement imposant un couvre-feu aux enfants de
moins de 16 ans, que le conseil de la bande avait
adopté en conformité du sous-alinéa 45(1)d)(iv),
de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec,
S.C. 1984, chap. 18. Cet arrêt n'est pas pertinent
en l'espèce.
Le troisième argument du procureur de l'intimé,
c'est que les sommes d'argent que détient le conseil
de la Bande sont soumises à un double contrôle:
celui du conseil et celui de l'État. Il s'appuie sur le
paragraphe 64(1) [mod. par S.C. 1985, chap. 27,
art. 10] et l'article 61 de la Loi sur les Indiens.
Aux termes du paragraphe 64(1)
64. (1) Avec le consentement du conseil d'une bande, le
ministre peut autoriser et prescrire la dépense de sommes
d'argent au compte en capital de la bande:
a) pour distribuer per capita aux membres de la bande un
montant maximal de cinquante pour cent des sommes d'ar-
gent au compte en capital de la bande, provenant de la vente
de terres cédées;
b) pour construire et entretenir des routes, ponts, fossés et
cours d'eau dans des réserves ou sur des terres cédées;
k) pour toute autre fin qui, d'après le ministre, est à l'avan-
tage de la bande. [C'est moi qui souligne.]
L'article 61 est ainsi libellé:
61. (1) L'argent des Indiens ne peut être dépensé qu'au
bénéfice des Indiens ou des bandes à l'usage et au profit
communs desquels il est reçu ou détenu, et, sous réserve des
autres dispositions de la présente loi et des clauses de tout traité
ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si les fins
auxquelles l'argent des Indiens est employé ou doit l'être, est à
l'usage et au profit de la bande.
(2) Les intérêts sur l'argent des Indiens détenu au Trésor
sont alloués au taux que fixe le gouverneur en conseil. [C'est
moi qui souligne.]
Comme le fait valoir le procureur des requé-
rants, le paragraphe 64(1) ne s'applique pas car il
n'est pas question d'argent. En ce qui concerne
l'article 61, on précise dans la définition de l'ex-
pression «argent des Indiens» qui figure au para-
graphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, qu'il s'agit
de «sommes d'argent ... détenues par Sa Majesté
à l'usage et au profit des Indiens ou des bandes».
De toute évidence, les sommes en question sont
détenues non pas par Sa Majesté, mais par la
bande. Par conséquent, l'article 61 n'est pas
pertinent.
Il y a enfin le paragraphe 66(1) et l'article 69 de
la Loi sur les Indiens. Le paragraphe 66(1) est
ainsi libellé:
66. (1) Avec le consentement du conseil d'une bande, le
ministre peut autoriser et ordonner la dépense de sommes
d'argent du compte de revenu à toute fin qui, d'après lui,
favorisera le progrès général et le bien-être de la bande ou d'un
de ses membres. [C'est moi qui souligne.]
L'article 69 est ainsi libellé:
69. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, permettre
à une bande de contrôler, administrer et dépenser la totalité ou
une partie de l'argent de son compte de revenu; il peut aussi
modifier ou révoquer un tel décret.
(2) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements
pour donner effet au paragraphe (I) et y déclarer dans quelle
mesure la présente loi et la Loi sur la gestion des finances
publiques ne s'appliquent pas à une bande visée par un décret
pris sous le régime du paragraphe (1). [C'est moi qui souligne.]
Il n'y a pas de disposition législative qui accorde
au conseil de la bande un contrôle sur ses deniers
de revenu comme le prévoit l'article 69: voir le
Règlement sur les revenus des bandes d'Indiens,
C.R.C., 1978, chap. 953. Selon le procureur de
l'intimé, comme cet argent est assujetti à un
double contrôle, la Cour ne peut nommer un
séquestre sans obtenir le consentement de la Cou-
ronne. Il prétend que c'est à la Couronne qu'il
incombe de régler le différend entre les parties.
D'abord, le procureur des requérants n'admet
pas que les sommes d'argent en question sont
assujetties à un double contrôle. Qui plus est, il est
clair que les autorités fédérales ont été avisées du
litige, et qu'elles n'ont pris aucune mesure pour
intervenir dans la poursuite. D'après ce que je
comprends des explications du procureur, celui-ci a
invité la Couronne à intervenir. De toute évidence,
cette offre a été refusée; une lettre à cet effet a été
déposée à la Cour.
À mon avis, l'intimé ne peut pas s'appuyer sur le
refus de la Couronne d'intervenir ou de prendre
position dans le litige pour nier toute compétence à
cette Cour. En effet, on pourrait très bien considé-
rer comme un consentement implicite (si un tel
consentement est nécessaire) l'attitude passive de
la Couronne, compte tenu du fait qu'elle a été
avisée du litige. Même si ce double contrôle qu'in-
voque le procureur de l'intimé était un motif suffi-
sant pour constituer la Couronne partie au litige
ou intervenante, soit à la demande de l'une ou
l'autre partie, soit de sa propre initiative, je ne
pense pas que cela concerne la compétence de cette
Cour. Il serait tout à fait injuste de permettre à
l'intimé de s'appuyer sur l'absence de consente-
ment ou d'intervention de la Couronne pour rendre
cette Cour incompétente dans le cas en litige. Les
requérants n'auraient alors aucun recours.
Pour les motifs précités, je suis d'avis que la
Cour peut nommer un administrateur-séquestre
qui exercera ses fonctions pendant toute la durée
de l'instance et même après que la Cour aura
statué sur la demande fondée sur l'article 18, si les
circonstances le justifient. Je refuse de me pronon-
cer sur la question de savoir si cette ordonnance
pourrait dépendre de l'issue du litige devant la
Cour suprême de la Colombie-Britannique. Cette
question ne m'a pas été soumise directement.
L'avis de requête, tel qu'il est rédigé, n'en parle
pas. Dans son ordonnance, M. le juge McNair n'a
pas prévu que l'on débatte ce point. C'est le procu-
reur des requérants qui l'a soulevé dans sa plaidoi-
rie. Il a cité plusieurs décisions qui ont été rendues
avant l'unification des tribunaux d'equity et des
tribunaux de common law en Angleterre en 1873:
Blackett v. Blackett (1871), 19 W.R. 559 (Ch.);
Brenan v. Preston (1852), 2 De G. M. & G. 813,
42 E.R. 1090 (Ch.). Il a fait valoir qu'aujourd'hui
encore, lorsqu'un requérant se heurte à une compé-
tence partagée, comme c'est le cas en l'espèce, les
tribunaux doivent collaborer pour atténuer les dif-
ficultés que cela peut causer.
Les décisions rendues avant 1873 ne sont pas
vraiment pertinentes parce que les tribunaux
d'equity venaient en aide aux tribunaux de
common law, lesquels ne pouvaient pas rendre des
ordonnances en equity. En l'espèce, la Cour
suprême de la Colombie-Britannique et la Cour
fédérale sont toutes deux des tribunaux d'equity.
Par conséquent, il n'est pas nécessaire que l'une
vienne en aide à l'autre. Chacune d'elles a sa
propre compétence en equity. D'autre part, je ne
vois pas pourquoi le principe de la collaboration
judiciaire, qui est sous-jacent dans les décisions
rendues avant 1873, ne s'appliquerait ici. Je ne
vois pas pourquoi cette cour ne pourrait pas
nommer un administrateur-séquestre, en supposant
qu'elle accueille la demande de redressement
fondée sur l'article 18, d'ici à ce que soit réglé le
litige dont est saisie la Cour suprême de la Colom-
bie-Britannique. La nomination d'un administra-
teur-séquestre pourrait fort bien dépendre de l'is-
sue de ce litige, comme elle pourrait aussi
dépendre de tout autre événement pertinent,
pourvu qu'il s'agisse d'un cas où il paraît juste et
opportun de le faire, comme le prévoit l'article 44
de la Loi sur la Cour fédérale.
Pour les motifs précités, la requête en l'espèce ne
sera pas radiée, ni modifiée de façon à exiger la
suppression de la demande de nomination d'un
administrateur-séquestre. Il est du ressort de cette
Cour d'accorder une telle mesure de redressement.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.