A-355-88
La Reine, représentée par le Procureur général du
Canada (requérante)
c.
Alliance de la Fonction publique du Canada
(intimée)
et
Econosult Inc. (mise-en-cause)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. A.F.P.C.
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Hugessen,
J.C.A.—Montréal, 25 novembre 1988; Ottawa, 17
janvier 1989.
Fonction publique — Compétence — Privatisation de l'en-
seignement dans un pénitencier fédéral — Un contrat conclu
entre une firme et le gouvernement précisait les tâches des
enseignants — Le superviseur immédiat de l'enseignant était
employé par la compagnie, et le représentant du Service cor-
rectionnel vérifierait la qualité de l'enseignement — Les servi
ces étaient facturés à l'heure — Se fondant sur les art. 33 et 98
de la L.R.T.F.P., le syndicat a demandé une déclaration
portant que les enseignants étaient membres du groupe ED de
l'unité de négociation — Rejetant la forme pour le fond, la
Commission a accepté les prétentions du syndicat La Com
mission était-elle compétente à déterminer quels employés
font partie de la fonction publique? — La Commission a-t-elle
commis une erreur en examinant les circonstances entourant
l'exécution des fonctions afin de déterminer la nature de la
relation envisagée? — La législation définissant et régissant la
fonction publique empêche-t-elle l'application du critère de la
prédominance du fond sur la forme à la fonction publique?
La demande sollicite l'annulation d'une décision de la Com
mission des relations de travail dans la fonction publique
portant que des enseignants travaillant dans un pénitencier
fédéral étaient compris dans l'unité de négociation du groupe de
l'enseignement. Les enseignants faisaient partie du personnel
du Solliciteur général depuis 1984, l'année au cours de laquelle
une nouvelle politique de privatisation de l'enseignement aux
détenus a été mise en oeuvre. Le gouvernement a alors conclu
avec une firme privée un contrat prévoyant la fourniture de
services pédagogiques. Ce contrat précisait les tâches accom-
plies par les enseignants, en indiquant qu'ils seraient placés
directement sous la direction d'un employé de la firme. Un
représentant du Service correctionnel contrôlerait l'enseigne-
ment ainsi fourni. Ces services étaient facturés selon un taux
horaire. La firme recrutait et embauchait les enseignants. Le
syndicat, A.F.P.C., a demandé à la Commission, sur le fonde-
ment des articles 33 et 98 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique, de déclarer que les enseignants
étaient des employés de Sa Majesté et étaient membres de
l'unité de négociation du groupe ED. La C.R.T.F.P. a rejeté la
forme pour le fond de la relation envisagée, et elle a prononcé
les conclusions demandées. Ce faisant, elle a appliqué le critère
bien établi utilisé par les tribunaux du travail pour déterminer
si une relation employeur-employé existe véritablement. Les
questions soulevées par la demande fondée sur l'article 28 en
l'espèce sont celles de savoir si la Commission a excédé sa
compétence ou a commis une erreur de droit.
Arrêt (juge Hugessen, J.C.A., dissident): la demande devrait
être accueillie.
Le juge Marceau, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le
juge Pratte, J.C.A.): La décision visée est importante parce
qu'elle rejoint l'ensemble du processus de mise en oeuvre de la
politique du gouvernement en matière de privatisation de servi
ces marginaux jusque là fournis par les fonctionnaires de
l'administration fédérale.
Les enseignants ne sont pas des fonctionnaires au sens de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Trois
conclusions préliminaires sont mises de l'avant: (I) Le régime
d'emploi et le régime des relations de travail des fonctionnaires
sont distincts. Le régime du secteur public se trouve défini dans
la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la Loi sur les
relations de travail dans la fonction publique et la Loi sur la
gestion des finances publiques. Ces lois doivent s'interpréter les
unes par rapport aux autres, puisqu'elles ont été adoptées en
vue d'une application conjointe. (2) Il n'est pas question d'un
problème d'employés déguisés sous les apparences d'entrepre-
neurs autonomes. Les enseignants sont des employés; la ques
tion est de savoir de qui. (3) La méthode de création de la
relation employeur-employé est différente selon que le régime
des relations de travail envisagé est celui du secteur public ou
celui du secteur privé. Sous ce dernier régime, la qualité
d'employé s'infère souvent des circonstances entourant la pres-
tation du travail. Dans le secteur public, la qualité d'employé
est soumise à des règles strictes et rigides, et elle ne saurait être
inférée d'une situation de fait. Suivant les lois régissant l'emploi
dans la Fonction publique, pour que quelqu'un soit fonction-
naire, il est nécessaire qu'un poste ait été créé par le Conseil du
Trésor et qu'une nomination ait été faite par la Commission de
la fonction publique.
Ceci étant dit, la Commission ne détenait pas la compétence
voulue pour déterminer qui est un employé de la fonction
publique. Son autorité ne s'étend qu'aux fonctionnaires recon-
nus comme tels par les prescriptions d'une loi autre que celle
qui la gouverne et sous l'autorité d'une commission autre
qu'elle-même. De plus, les enseignants n'ont jamais été nommés
par la Commission de la fonction publique à des postes créés
par le Conseil du Trésor. Enfin, l'employeur ne cherchait pas à
se soustraire à son statut d'employeur en agissant par le
truchement artificiel d'un tiers. Il est clair que le Solliciteur
général a transféré le recrutement, le contrôle et la direction
des enseignants à une firme privée.
Le juge Hugessen, J.C.A. (dissident): La jurisprudence ainsi
que le contexte de la Loi établissent que la Commission est
habilitée à déterminer qui est un employé au sens de la Loi sur
les relations de travail dans la fonction publique. La Commis
sion n'a pas commis d'erreur en considérant la situation dans sa
réalité. En agissant ainsi, elle a simplement appliqué les critères
généraux établis par la Commission et par d'autres tribunaux
spécialisés en matière de relations de travail.
La corrélation entre la Loi sur les relations de travail dans
la fonction publique et la Loi sur l'emploi dans la fonction
publique n'est peut-être pas aussi étroite que le prétend le
procureur de la requérante. La Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique vise le gouvernement de l'extérieur et
réglemente les rapports collectifs entre le gouvernement et ceux
qui travaillent pour lui. La Loi sur l'emploi dans la fonction
publique vise la régie interne du gouvernement. Une personne
peut être un employé aux fins de ses relations de travail avec le
gouvernement sans pour autant avoir nécessairement le statut
de membre de la fonction publique. Quoi qu'en dise la Loi sur
l'emploi dans la fonction publique, l'arrêt Doré c. Canada a
établi que la création d'un poste et la nomination à celui-ci
dépendent de l'évaluation objective des faits.
La perception de la réalité est une question de fait. La
Commission a pesé la preuve avec soin et en a tiré ses conclu
sions. La Cour ne peut intervenir à moins que le résultat ne soit
manifestement absurde, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
La liberté d'association, qui est garantie par la loi suprême
du Canada, est à la base de la Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique. S'il existe un conflit entre les
principes qui sous-tendent la L.R.T.F.P. et la L.E.F.P., ce sont
les premiers qui doivent primer.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art.
6.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (l985),
chap. F-11.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C.
(1985), chap. P-33.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32.
Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), S.C. 1987,
chap. 48, art. 4.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 2, 34, 99.
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 2, 33, 98 (mod. par
S.C. 1974-75-76, chap. 67, art. 27).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS DISTINGUÉES:
Canada (Procureur général) c. Brault, [I987] 2 R.C.S.
489; Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Syndicat Général du Cinéma et de la Télévision
(S.G.C.T.) c. La Reine, [ 1978] I C.F. 346 (C.A.); Syndi-
cat international des marins canadiens c. Kent Line
Limited, [1972] C.F. 573 (C.A.).
AVOCATS:
Raymond Piché et Linda Gobeil pour la
requérante.
Diane Nicholas pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimée.
André Girouard, Econosult Inc., Montréal,
pour la mise-en-cause.
Service du contentieux, Commission des
relations de travail dans la fonction publique
pour la Commission des relations de travail
dans la fonction publique.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: On a eu raison de
parler ici d'un pourvoi dont la portée dépasse la
solution du litige particulier qui oppose cette
fois-ci les parties. La décision mise-en-cause dans
les présentes procédures vient de la Commission
des relations de travail dans la Fonction publique.
Son effet immédiat a été simplement d'accueillir
une requête et un renvoi que l'intimée, l'Alliance
de la Fonction publique du Canada, avait soumis à
la Commission en invoquant certaines dispositions
de la Loi sur les relations de travail dans la
fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35.
Mais par delà cet effet pratique immédiat, la
décision a rejoint et jeté un doute sur tout le
processus de mise en œuvre de la politique du
gouvernement en matière de privatisation de cer-
tains services marginaux assumés jusqu'à mainte-
nant par des fonctionnaires de l'administration
publique fédérale. On comprend sans peine l'im-
portance qu'attachent les autorités gouvernemen-
tales à cette demande d'examen et d'annulation
soumise en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10].
Les faits ne font pas difficulté. La décision
attaquée, qui couvre quelques 58 pages, en fait une
analyse exhaustive et soignée à laquelle les deux
parties n'hésitent pas à se référer. S'il me fallait
revoir ces faits dans la même optique que l'a fait
Me Bendel au nom de la Commission, il me fau-
drait m'y attarder aussi longuement que lui. Je ne
crois toutefois pas que ce soit nécessaire. Une fois
le contexte de base décrit et le tableau général de
la situation dégagé, l'analyse des difficultés juridi-
ques à résoudre, telles que je les vois, sera tout de
suite possible. Cela demande toutefois certains
développements. Les voici.
En 1971, le Solliciteur général du Canada prit la
décision d'offrir aux détenus des institutions péni-
tentiaires fédérales des programmes de formation
scolaire et universitaire dont la reconnaissance
serait assurée grâce au concours de commissions
scolaires, de collèges ou d'universités accrédités.
Au Québec, le Solliciteur général conclut aussitôt
avec le Gouvernement québécois une entente en
vertu de laquelle des organismes relevant du minis-
tère québécois de l'éducation fourniraient les servi
ces pédagogiques requis pour soutenir et encadrer
l'enseignement dans les deux secteurs dits acadé-
mique et professionnel. Pour ce qui est de l'ensei-
gnement lui-même, le Solliciteur général voulut
avoir recours à quelques professeurs de l'extérieur,
mais, au niveau professionnel surtout, il pensa
engager des enseignants et les joindre à son propre
personnel.
En 1984, le Solliciteur général crut devoir chan-
ger en partie sa politique. Il décida qu'à l'avenir on
aurait recours, pour les services pédagogiques et
pour l'enseignement, à des agences extérieures du
secteur privé, plutôt qu'à des enseignants faisant
partie du personnel régulier. Une note interne du
Commissaire du Service correctionnel du Canada
mérite d'être reproduite in extenso à cause des
précisions qu'elle contient quant à la mise en
oeuvre de cette politique nouvelle:
Re: Programme de formation par contrat ou «privatisation»
Préambule
Depuis 1971, au secteur «académique» principalement, le
S.C.C. offre des programmes de formation accréditée aux
détenu(e)s à notre charge par moyen de contrat avec une
Commission scolaire, un Collège, une Université ou un orga-
nisme privé. Au secteur «professionnel» (métier) le S.C.C. n'a
eu recours au contrat avec une agence extérieure qu'occasion-
nellement ou qu'exceptionnellement. C'est mon intention de
poursuivre et d'accélérer le processus de «privatisation» de nos
programmes d'éducation, aux deux secteurs de formation, aca-
démique et professionnelle (métier).
Tout en assurant en tout temps la haute qualité de nos pro
grammes de formation ainsi que la sécurité du personnel et des
détenu(e)s à notre charge, il ne doit plus y avoir de doutes
quant aux intentions de cette politique voulant que la formation
de nos détenu(e)s soit réalisée par des enseignant(e)s de Com
missions scolaires, Collèges et Universités à contrats.
Le recours à des contractuels est obligatoire lorsqu'une vacance
de professeur se crée au sein des établissements. L'engagement
de telles personnes qualifiées pour l'enseignement de nouveaux
programmes ou pour la poursuite de programmes existants doit
s'appliquer à toutes les sphères d'activités relevant aussi bien du
secteur académique que du secteur professionnel (métier).
Chaque SCR devra concevoir un système permettant de prévoir
le plus exactement possible la date des vacances qui seraient
créées. La conversion des années personnes (A.P.) en dollars
d'opération pour le recours à ces personnes contractuelles devra
ainsi faire partie de votre processus budgétaire.
Le 16 mai 1985, le Ministère des Approvisionne-
ments et Services du Canada (dont c'est l'une des
tâches, on le sait, de représenter le Gouvernement
fédéral pour l'acquisition de biens et services dont
peuvent avoir besoin les diverses unités de l'Admi-
nistration fédérale) passait avec une firme privée,
Seradep Inc., un contrat pour la fourniture de
services professionnels et pédagogiques aux déte-
nus de l'institution pénitentiaire de Cowansville,
l'une des institutions pénitentiaires fédérales située
dans la province de Québec. En vertu de ce con-
trat, qui devait prendre effet le ler juillet 1986 et
rester en vigueur jusqu'au 30 juin 1987, Seradep
Inc. s'engageait à mettre à la disposition de l'insti-
tution six enseignants, pour les niveaux élémen-
taire et secondaire, ainsi qu'un bibliothécaire. Le
contrat définissait avec précision les tâches qu'as-
sumeraient les enseignants tout en prévoyant qu'ils
seraient placés directement sous la direction d'un
superviseur employé par la firme. Il y était stipulé
qu'un coordonnateur pédagogique surveillerait
l'administration du contrat pour Seradep Inc., pen
dant que le Service correctionnel aurait, lui, un
représentant qui vérifierait la qualité de l'enseigne-
ment. Les services des enseignants et de leur super-
viseur devaient être facturés par Seradep Inc. sur
une base horaire.
Le contrat fut exécuté tel que convenu. Seradep
Inc. remplit ses engagements avec du personnel
que la compagnie embaucha elle-même et qui resta
sans contredit, aux yeux de tous, à son emploi, bien
qu'oeuvrant évidemment dans les bâtiments du
pénitentier et sous la surveillance du représentant
du Service correctionnel. Quelques jours avant la
date d'expiration du contrat à la fin de l'année,
comme il n'était pas question de renouvellement,
Seradep Inc. informa ses employés que leur emploi
prenait fin.
Au cours du mois de juillet 1987, un deuxième
contrat pour la fourniture de services pédagogiques
aux détenus de Cowansville intervenait entre le
Ministère des Approvisionnements et Services du
Canada et la firme Econosult Inc., ici mise-en-
cause. Ce contrat, prévu pour la période de juillet
1987 au 30 juin 1988, mais avec une possibilité de
renouvellement pour deux autres périodes, com-
portait essentiellement les mêmes clauses que celui
qu'avait conclu et exécuté Seradep Inc. Il ne sou-
leva pas plus de difficultés d'exécution que le
premier. La nouvelle firme eut recours aux services
des anciens employés de Seradep Inc., qu'elle
engagea, d'abord pour une période probatoire mais
par la suite de façon permanente (sauf un), et avec
une équipe, comprenant non plus 6 mais 8 ensei-
gnants et un superviseur pédagogique, elle s'ac-
quitta des tâches convenues de façon pleinement
satisfaisante.
Le 12 février 1987, alors que le premier contrat
(celui avec Seradep Inc.) était en cours, l'intimée,
l'Alliance de la Fonction publique du Canada,
présentait une requête à la Commission des rela
tions de travail dans la Fonction publique. Invo-
quant son statut d'agent négociateur accrédité
pour représenter tous les employés du Conseil du
Trésor, membres de l'unité de négociation du
groupe de l'enseignement, l'Alliance appuyait sa
requête sur les articles 33 et 98 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique
[S.R.C. 1970, chap. P-35 (mod. par S.C. 1974-
75-76, chap. 67, art. 27)] dont voici les termes:
33. Lorsque, à un moment quelconque après que la Commis
sion a décidé qu'un groupe d'employés constitue une unité
habile à négocier collectivement, se pose la question de savoir si
un employé ou une classe d'employés en fait ou n'en fait pas
partie ou fait partie d'une autre unité, la Commission doit, sur
demande de l'employeur ou de toute association d'employés
concernée, trancher la question.
98. (1) Lorsque l'employeur et un agent négociateur ont
signé une convention collective ou sont liés par une décision
arbitrale et
a) que l'employeur ou l'agent négociateur cherche à faire
exécuter une obligation qu'on prétend découler de la conven
tion collective ou de la décision arbitrale, et
b) que l'obligation, s'il en est, n'est pas une obligation dont
l'exécution peut faire l'objet d'un grief d'un employé de
l'unité de négociation visée par la convention collective ou la
décision arbitrale,
l'employeur ou l'agent négociateur peut, de la manière pres-
crite, renvoyer l'affaire à la Commission qui doit l'entendre et
décider si l'obligation alléguée existe et, dans l'affirmative, s'il
y a eu inobservation ou inexécution.
(2) La Commission doit entendre et trancher l'affaire qui lui
est ainsi renvoyée en conformité du paragraphe (1) comme s'il
s'agissait d'un grief, et le paragraphe 95(2) ainsi que les articles
96 et 97 s'appliquent à son audition et à la décision à rendre en
l'espèce'.
' L'entrée en vigueur, le 12 décembre 1988, des Lois révisées
du Canada (1985) complique ici quelque peu la situation. Ces
(Suite à la page suivante)
Ce que l'Alliance espérait obtenir de la Commis
sion était clairement exprimé dans les conclusions
de sa requête:
De plus, par la présente requête, la requérante demande que
la Commission:
(a) déclare que tous les employés enseignants à l'Institution
de Cowansville sont les employés de l'employeur-intimée
(Sa Majesté du chef du Canada représentée par le
Conseil du Trésor) y compris ceux prodiguant leurs
services par le truchement de Seradep Inc.;
(b) déclare que tous les employés enseignant à l'Institution
de Cowansville sont membres de l'unité de négociation
du groupe de l'enseignement (ED);
(c) déclare que l'Alliance de la Fonction publique du
Canada est l'agent négociateur accrédité de tous les
employés enseignant à l'Institution de Cowansville;
(d) déclare que l'employeur-intimée doit se conformer à
l'article 10 de la Convention collective, portant sur la
retenue syndicale; ...
(Suite de la page précédente)
articles 33 et 98 sont devenus les articles 34 et 99 respective-
ment et leur libellé, surtout dans la version française, a été
modifié. La Loi sur les Lois révisées du Canada (1985) [S.C.
1987, chap. 48], son article 4, dit bien que «Les lois révisées
ne sont pas censées être de droit nouveau; dans leur interpréta-
tion et leur application, elles constituent une refonte du droit
contenu dans les lois abrogées par l'article 3 et auxquelles elles
se substituent». Pour assurer une meilleure concordance, je
m'en suis tenu dans mes motifs aux anciens textes, mais voici,
de toute façon les nouveaux, en anglais et en français:
34. À la demande de l'employeur ou de l'organisation
syndicale concernée, la Commission se prononce sur l'appar-
tenance ou non d'un fonctionnaire ou d'une classe de fonc-
tionnaires à une unité de négociation qu'elle a préalablement
définie, ou sur leur appartenance à une autre unité.
99. (1) L'employeur et l'agent négociateur qui ont signé
une convention collective ou sont liés par une décision arbi-
trale peuvent, dans les cas où l'un ou l'autre cherche à faire
exécuter une obligation qui, selon lui, découlerait de cette
convention ou décision, renvoyer l'affaire à la Commission,
dans les formes réglementaires, sauf s'il s'agit d'une obliga
tion dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part
d'un fonctionnaire de l'unité de négociation visée par la
convention ou la décision.
(2) Après avoir entendu l'affaire qui lui est renvoyée au
titre du paragraphe (I), la Commission se prononce sur
l'existence de l'obligation alléguée et, selon le cas, détermine
s'il y a eu ou non manquement.
(3) La Commission entend et juge l'affaire qui lui est
renvoyée au titre du paragraphe (1) comme s'il s'agissait
d'un grief, et le paragraphe 96(2) ainsi que les articles 97 et
98 s'appliquent à l'audition et à la décision.
Au terme d'une longue audition, qui eut lieu
après la prise à effet du contrat d'Econosult Inc.
(d'où la participation de cette dernière), MC
Bendel, au nom de la Commission, approuva les
prétentions de l'intimée. Analysant en détail les
relations des nouveaux enseignants de l'extérieur
avec le représentant du Service correctionnel et les
autres enseignants, membres du personnel du
ministère, et appliquant les critères utilisés par les
tribunaux du travail pour déceler, derrière les
apparences d'un contrat d'entreprise, l'existence
d'une véritable relation employeur-employé (con-
trôle de l'emploi, contrôle du travail, intégration,
risque), le président-suppléant en venait à la con
clusion qu'il devait, selon ses termes «rejeter la
forme pour le fond» et accepter de faire les décla-
rations que l'Alliance souhaitait. Le dispositif de
sa décision se lit comme suit:
a) je déclare que les enseignants qui travaillent à l'établisse-
ment Cowansville du Service correctionnel du Canada
comme «contractuels. au service d'Econosult Inc., y com-
pris Madame Lise Côté, le superviseur pédagogique, font
partie de l'unité de négociation du groupe de l'enseigne-
ment [sic], pour laquelle la requérante est l'agent négocia-
teur en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique;
b) je déclare que les mêmes personnes faisaient partie de cette
unité de négociation au mois de février 1987;
c) je déclare que le Conseil du Trésor est obligé de se
conformer à l'article 10 de la convention cadre, relative à
la retenue syndicale, à l'égard de ces employés, et ceci à
partir du mois de février 1987;
d) j'ordonne au Conseil du Trésor de payer à la requérante un
montant égal au montant que celle-ci aurait touché si le
Conseil du Trésor s'était conformé à l'article 10 de ladite
convention entre le 1" février et le 30 septembre 1987; ...
La demande de révision dont il faut disposer
aujourd'hui était peu après introduite.
Je crois que le procureur général a eu raison de
demander l'intervention de la Cour car la décision
attaquée me semble clairement dénuée de fonde-
ment. Trois observations, dont je voudrais faire
état en guise de remarques préliminaires, me per-
mettront d'exprimer la base de mes objections à
son sujet.
1. On ne saurait confondre le régime d'emploi
et de relations de travail des employés du secteur
public fédéral avec celui des employés du secteur
privé ou semi-public. Le Parlement a voulu un
régime autonome et distinct pour les fonctionnai-
res de sa Majesté. L'article 6 (autrefois l'article
109) du Code canadien du travail (L.R.C. (1985),
chap. L-2) exclut expressément «les employés qui
sont au service de Sa Majesté du chef du Canada»,
de l'application de sa Partie I, sur les relations du
travail. Vouloir résoudre des problèmes soulevés
dans le cadre d'un régime par des solutions élabo-
rées pour la mise en oeuvre de l'autre peut con-
duire à fausser irrémédiablement la volonté du
législateur. Le régime du secteur public est défini,
on le sait, dans trois lois: la Loi sur l'emploi dans
la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, la
Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique, L.R.C. (1985), chap. P-35 et la Loi sur
la gestion des finances publiques (autrefois Loi
sur l'administration financière), L.R.C. (1985),
chap. F-11, qui doivent nécessairement s'interpré-
ter les unes par rapport aux autres, puisqu'elles ont
été adoptées en vue d'une application conjointe.
2. II n'était pas question en l'espèce d'un problè-
me d'employés déguisés sous les apparences d'en-
trepreneurs autonomes, problème pour la solution
duquel les cours et les tribunaux, autant civils que
du travail, ont dégagé, on le sait, un certain
nombre de critères de distinction. Personne ne
pouvait contester, il me semble, que les enseignants
de l'extérieur étaient des employés et non des
entrepreneurs. La question était uniquement de
savoir employés de qui.
3. Un des points de distinction les plus frap-
pants entre les deux régimes de relations de tra
vail, public et privé, se situe justement au niveau
de la création de la relation juridique employeur-
employé.
Il est constant que, dans le secteur privé, la
qualité d'employé d'une personne qui agit au béné-
fice d'une autre, bien qu'impliquant un contrat
dépendant d'actes de volonté, s'infère souvent en
pratique des circonstances entourant, dans la réa-
lité, la prestation de travail. C'est que la relation
employeur-employé est avant tout une relation
juridique que le droit rattache à une situation de
fait, le contrat de travail ne comportant aucune
forme particulière et pouvant résulter d'un simple
comportement des parties en présence. D'où l'éta-
blissement de critères permettant de la déceler
derrière des apparences qui pourraient la camou-
fler.
Dans le secteur public, au contraire, la qualité
d'employé de la Reine ne saurait, selon ce que je
comprends de la législation, s'inférer ainsi d'une
simple situation de fait. On a tout simplement
voulu, pourrait-on dire, mettre la Reine-employeur
à l'abri des faits et gestes de tous ses représentants
munis de pouvoirs exécutifs: autrement, a sans
doute pensé le Parlement, la situation deviendrait
vite aussi incontrôlable que chaotique. L'emploi
dans la fonction publique a été soumis à un ensem
ble de règles strictes et rigides.
C'est à la Loi sur les relations de travail dans la
fonction publique que l'on trouve d'abord la défi-
nition de «fonction publique», soit l'«ensemble des
postes qui sont compris dans les ministères ou
autres secteurs de l'administration publique fédé-
rale spécifiés à l'annexe I, ou qui en relèvent»
(article 2). Par la Loi sur la gestion des finances
publiques, le Parlement a confié au Conseil du
Trésor le soin d'organiser la fonction publique et
lui a donné en conséquence le pouvoir exclusif
d'approuver la création de postes, de les classifier,
et de les répartir entre les diverses unités de l'ad-
ministration publique. En vertu de la Loi sur
l'emploi dans la fonction publique, enfin, c'est la
Commission de la fonction publique, et elle seule,
qui a le pouvoir de combler les postes, au moyen de
nominations faites selon le principe du mérite. Il
n'y a tout simplement pas de place dans cette
construction juridique pour un fonctionnaire (i.e.
un employé de la Reine, membre de la fonction
publique) sans poste créé par le Conseil du Trésor,
et sans nomination faite par la Commission de la
fonction publique 2 .
Je n'oublie pas que, dans les causes Canada
(Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489
et Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, la Cour
suprême a tiré, de deux situations de faits qui
s'étaient développées aux seins d'unités de la fonc-
tion publique, des conséquences d'ordre juridique,
sans se soucier autrement de l'absence d'actes
officiels et formels émanant des autorités. Dans
Doré, elle a déduit du contexte factuel la preuve
d'une volonté de nommer à un poste dont l'exis-
tence n'était pas encore pleinement acquise bien
que sa création était depuis longtemps décidée
2 11 est question ici de la relation employeur-employé qui ne
correspond pas nécessairement à celle de commettant-préposé
en matière de responsabilité civile.
(une employée y avait été assignée et en exerçait
les fonctions et responsabilités depuis 9 mois); dans
Brault, elle a déduit de même façon la preuve
qu'un nouveau poste (inspecteur des douanes avec
chien, ou maître-chien) avait été créé et qu'une
nomination y avait été faite. Mais elle l'a fait, à
chaque fois, en vue de protéger le droit de candi-
dats non choisis de contester une affectation qu'ils
jugeaient injustifiée, et surtout d'empêcher qu'il ne
soit porté atteinte, même indirectement, au prin-
cipe du mérite dans la répartition des tâches à
l'intérieur de l'administration publique fédérale.
Et, dans les deux cas, tous les intéressés étaient,
sans conteste, des employés de la fonction publique
occupant déjà des postes où ils avaient été réguliè-
rement nommés. Les principes qui nous concernent
ici, ceux qui gouvernent l'entrée dans la fonction
publique et président à la création d'un fonction-
naire, n'étaient nullement en cause.
Si on accepte ces trois remarques préliminaires,
et il me semble difficile de les rejeter puisqu'elles
s'appuient directement sur les données de base de
la législation, on ne peut que se rendre compte que
la décision de la Commission n'est pas légalement
défendable.
D'abord, il n'appartient pas à la Commission des
relations de travail dans la fonction publique de
déterminer qui est un employé de la fonction publi-
que. J'ai cité plus haut l'ancien article 33
(ajourd'hui 34) d'où Me Bendel a prétendu tirer le
pouvoir de décider que les enseignants engagés par
les firmes Seradep Inc. et Econosult Inc. étaient
des employés de la fonction publique, des fonction-
naires. On aura remarqué que le texte ne définit
pas ce qu'il faut entendre par «employé» (ou «fonc-
tionnaire», dans le nouveau texte) et l'article inter-
prétatif de départ, l'article 2, ne s'en soucie guère
puisqu'il se contente de dire laconiquement que
«employé» ou «fonctionnaire» désigne: une «per-
sonne employée dans la fonction publique». C'est
que la Commission des relations de travail dans la
fonction publique n'a en aucune façon l'autorité de
dire qui est employé dans la fonction publique. Son
autorité ne s'exerce que sur les fonctionnaires
reconnus comme tels par les prescriptions d'une loi
autre que celle qui la gouverne et sous l'autorité
d'une commission autre qu'elle-même. C'est sur la
détermination, pour fin d'accréditation, des grou-
pes d'occupation et des catégories d'occupation, et
sur l'appartenance ou non d'un fonctionnaire à une
certaine unité accréditée, que la Commission des
relations de travail a complète juridiction, et c'est
à ces fins seulement que l'article 33 existe'.
Ensuite, il est certain que les enseignants de
Seradep Inc. et Econosult Inc. n'ont jamais été
nommés par la Commission de la fonction publi-
que à des postes créés par le Conseil du Trésor.
Sans doute ont-ils été appelés à succéder à des
enseignants qui occupaient des postes, mais il est
constant que ces postes ont été abolis et n'existent
plus. Déclarer malgré cela que les enseignants de
Seradep Inc. et d'Econosult Inc. sont des employés
du Conseil du Trésor et des membres de la fonc-
tion publique est directement contraire aux don-
nées de la Loi sur l'emploi dans la fonction publi-
que. C'est dans les circonstances un contre-sens
juridique.
Enfin, il ne me semble pas qu'à partir des faits
de la cause il soit possible d'assimiler la situation
qui se présente à celle d'un employeur qui cherche-
rait à se soustraire de son statut d'employeur en
agissant par le truchement artificiel d'un tiers. Le
but poursuivi par le Solliciteur général et le Ser
vice correctionnel du Canada est connu de tous et
dès maintenant les prérogatives d'employeur de ces
derniers ou du Conseil du Trésor—recrutement,
contrôle, direction—ont été clairement, et non pas
seulement artificiellement, transférées à la firme
privée, sous la seule réserve de la surveillance que
requièrent la nature et la localisation des services
prodigués. Mais, en fait, même s'il en était autre-
ment, je ne crois pas que, dans le secteur public,
cela soit de conséquence.
La conclusion, à mon avis, va de soi. Cette
demande sous l'article 28 est bien fondée. La Cour
devrait casser la décision attaquée, et elle devrait
retourner l'affaire à la Commission des relations
de travail dans la Fonction publique pour que
celle-ci la décide en prenant pour acquis que les
3 On peut se rendre compte que la nouvelle version française
de l'article 33, qui est devenu comme on a vu l'article 34, est
beaucoup moins équivoque à cet égard. J'en rappelle le texte:
34. A la demande de l'employeur ou de l'organisation
syndicale concernée, la Commission se prononce sur l'appar-
tenance ou non d'un fonctionnaire ou d'une classe de fonc-
tionnaires à une unité de négociation qu'elle a préalablement
définie, ou sur leur appartenance à une autre unité.
enseignants à l'emploi d'Econosult Inc. ne sont pas
des fonctionnaires, au sens de la Loi sur les rela
tions de travail dans la fonction publique.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je suis d'accord.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A. (dissident): Au
sein d'une seule et même prison, deux groupes de
professeurs offrent des services pédagogiques aux
détenus. Le premier groupe se compose de fonc-
tionnaires employés par Sa Majesté sous le régime
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique 4 .
Ils sont représentés par l'intimée, leur agent négo-
ciateur, selon la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publiques. Le second groupe,
appelé «les contractuels», se compose de personnes
dont l'employeur nominal est présentement la
mise-en-cause, Econosult Inc.; bien que la compo
sition de ce groupe soit demeurée à peu près la
même depuis un certain nombre d'années, l'em-
ployeur nominal, lui, a changé trois fois durant la
même période.
Les conditions de travail, incluant notamment
l'embauche, le salaire, la surveillance et l'évalua-
tion du rendement, sont, à toutes fins pratiques,
identiques pour les deux groupes.
S'autorisant de l'article 33 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique 6 ,
l'intimée a présenté à la Commission une requête
visant à faire déclarer que les membres du second
groupe font partie de l'unité de négociation du
premier groupe. La Commission a accueilli la
requête, d'où la présente demande, faite en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale'.
Malgré le respect que je dois aux tenants de la
thèse contraire, je ne vois pas sur quelle base nous
serions justifiés d'intervenir dans la décision
attaquée.
4 S.R.C. 1970, chap. P-32.
5 S.R.C. 1970, chap. P-35.
6 33. Lorsque, à un moment quelconque après que la Com
mission a décidé qu'un groupe d'employés constitue une unité
habile à négocier collectivement, se pose la question de savoir si
un employé ou une classe d'employés en fait ou n'en fait pas
partie ou fait partie d'une autre unité, la Commission doit, sur
demande de l'employeur ou de toute association d'employés
concernée, trancher la question.
7 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
Dans un premier temps, il me paraît évident que
la Commission a la compétence pour déterminer
qui sont les employés au sens de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique.
Cette attribution de compétence découle non seule-
ment du contexte général de la Loi elle-même mais
aussi de la jurisprudence. Dans Syndicat Général
du Cinéma et de la Télévision (S.G.C.T.) c. La
Reine 8 , notre cour était saisie d'une demande, faite
en vertu de l'article 28, l'encontre d'une décision
de la Commission qui avait refusé une demande
d'accréditation au motif que les personnes que le
syndicat voulait représenter, des pigistes engagés
par l'Office national du Film, n'étaient pas des
«employés» au sens de la Loi. Le juge Le Dain, au
nom de la Cour, a ainsi défini le problème [à la
page 349]:
La question en litige consistant à savoir si les personnes que
veut représenter le requérant sont des employées au sens de la
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique a été
tranchée par la Commission des relations de travail dans la
Fonction publique.
Et ensuite [à la page 352]:
La question en litige porte sur le sens et l'étendue du terme
«poste» dans la définition de Fonction publique et dans les
article 13 et 14 de la Loi nationale sur le filin.
Et de conclure le juge Le Dain [à la page 353]:
Une personne considérée comme un employé de l'Office selon
les critères généraux permettant de distinguer un employé d'un
entrepreneur indépendant, doit être réputée, à mon avis, occu-
per un poste au sens de l'article 14.
Le résultat de ce raisonnement était [à la page
354]:
... que la Commission des relations de travail dans la Fonction
publique aurait dû se prononcer sur la question de savoir si les
personnes que veut représenter le requérant sont des employées
plutôt que des entrepreneurs indépendants ...
La conséquence de cet arrêt me paraît inélucta-
ble. La Commission est habilitée, c'est même là
pour elle une obligation, à déterminer elle-même,
selon les critères généraux, qui sont des employés
au sens de la Loi. Pour ce faire, elle doit se baser
sur la réalité juridique des relations telle qu'elle-
même la perçoit.
Dans un second temps, je considère que la déci-
sion attaquée n'est entachée d'aucune erreur de
droit de nature à permettre notre intervention.
8 [ 1987] 1 C.F. 346 (C.A.).
D'abord, la Commission, à mon avis, a bien saisi
la nature de la tâche qu'elle avait à accomplir:
La question essentielle que la Commission doit trancher con-
siste à savoir si les enseignants contractuels qui travaillent à
l'établissement Cowansville en application du contrat entre le
gouvernement du Canada et Econosult Inc., sont les employés
du gouvernement du Canada dans la perspective de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique. Si on se
limitait à la forme, il n'y aurait pas de possibilité de doute ou de
controverse: ils seraient les employés d'Econosult Inc. avec qui
ils ont passé un contrat d'emploi. Les commissions des relations
de travail et les arbitres ne se sont cependant pas limités à des
questions de forme dans ce genre de litige, parce qu'un respect
aveugle de la forme permettrait aux entreprises de faire fi des
droits conférés par la législateur (sic) aux employés et aux
syndicats. Le principe qui a donc orienté les commissions des
relations de travail et les arbitres dans ce domaine veut que si
une entreprise reçoit les services d'employés d'un tiers et que sa
relation avec ces employés est au fond une relation d'emploi
dans la perspective de la législation, elle ne puisse pas se
protéger contre les conséquences qui découlent de cette relation
en vertu des lois du travail ou en vertu des conventions collecti
ves en invoquant des contrats passés avec l'entrepreneur ou les
contrats que celui-ci a passés avec les employés. (Aux pages
458 (verso) et 459 du dossier.)
Que la réalité doive primer sur les apparences, le
fond sur la forme, me paraît une proposition inat-
taquable, surtout en matière de relations de tra
vail. D'ailleurs, dans un de ses premiers arrêts,
cette Cour, quoique dans un contexte bien diffé-
rent, a entériné le principe:
J'estime que l'importance qu'on pouvait attribuer aux apparen-
ces était une matière laissée à la discrétion du Conseil; que
celui-ci n'était pas obligé de ne considérer que les apparences et
de rejeter les faits; et que le Conseil était fondé à tirer une telle
conclusion étant donné la preuve qui lui était soumise 9 .
Ensuite la Commission a soigneusement exa-
miné la situation des contractuels dans les faits;
notamment elle s'est interrogée sur la manière
d'embaucher les employés, sur la façon d'établir et
de payer leurs salaires, sur la surveillance et l'éva-
luation de leur travail par leurs supérieurs hiérar-
chiques et l'identité de ceux-ci, et finalement sur le
degré de leur intégration au fonctionnement de
l'établissement. Cet examen, bien sûr, a été effec-
tué à la lumière des critères généraux établis par la
Commission elle-même et par d'autres tribunaux
spécialisés en matière de relations de travail pour
déterminer quand et en quelles circonstances des
9 Syndicat international des marins canadiens c. Kent Line
Limited, [1972J C.F. 573 (C.A.), par le juge Thurlow (tel était
alors son titre), à la p. 578.
personnes, en apparence des tiers par rapport au
contrat de louage de services, sont quand même
censées être des employés aux fins des rapports
collectifs de travail.
C'est cet examen et ces critères qui permettent à
la Commission de tirer sa conclusion générale:
Quoi qu'en dise le contrat entre Econosult Inc. et le gouverne-
ment du Canada, Econosult Inc., à mon avis, joue un rôle plutôt
marginal dans la vie de travail des contractuels. Il s'agit d'un
contrat selon lequel Econosult Inc. doit fournir de la main-
d'oeuvre, sous la forme de six (ou huit) enseignants et un
superviseur pédagogique. Une fois sur place, cette équipe est
largement gérée et coordonnée dans l'exécution de ses tâches
par les responsables du Service correctionnel du Canada. ll n'y
a pas d'autres obligations contractuelles de la part d'Econosult
envers le gouvernement du Canada. Même pour ce qui est de
ses deux responsabilités principales, soit le recrutement des
contractuels et leur rémunération, je qualifierais le rôle d'Eco-
nosult Inc. de marginal. (À la page 463 (verso) du dossier).
Devant nous, le procureur de la requérante a
soutenu avec insistance que les contractuels ne
pouvaient pas être des employés au sens de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que parce qu'ils n'avaient pas été engagés selon les
formalités prévues par la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique. Pour ma part, je suis loin d'être
certain que la corrélation entre les deux lois men-
tionnées est aussi étroite que le prétend le procu-
reur. Les deux lois n'ont pas exactement le même
objet. La première vise le gouvernement de l'exté-
rieur et, tout comme le Code canadien du travail 10
le fait pour les employeurs dans le secteur privé,
réglemente les rapports collectifs entre le gouver-
nement et ceux qui travaillent pour lui. Par contre,
la seconde vise la régie interne du gouvernement et
s'apparente plutôt aux règlements corporatifs d'un
employeur du secteur privé. À mon avis donc et en
principe, rien ne s'oppose à ce qu'une personne soit
considérée comme employé aux fins de ses rela
tions de travail avec le gouvernement sans pour
autant avoir nécessairement le statut de membre
de la fonction publique". De plus il est maintenant
bien établi, il me semble, que, quoi qu'en dise la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, la
création d'un poste et la nomination à celui-ci ne
dépendent pas de l'intention subjective du gouver-
nement mais bien de l'évaluation objective des
faits de chaque espèce:
10 S.R.C. 1970, chap. L-I.
" Voir, par exemple, le cas des pigistes à l'Office national du
film, mentionné dans l'affaire Syndicat général du Cinéma et
de la Télévision, précitée.
... l'application du principe du mérite et le droit d'appel que
prévoit l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique ne peuvent dépendre de la question de savoir si le
Ministère choisit de considérer ce qui a été fait comme la
création d'un poste et une nomination à celui-ci au sens de la
Loi. En réalité, c'est ce que le Ministère a objectivement fait et
non ce qu'il a, en droit, eu l'intention de faire ou l'interprétation
qu'il en avait qui doit déterminer l'application du principe du
mérite et du droit d'appel 12 .
D'aucuns prétendront que la Commission aurait
erré en droit en écartant les contrats existant entre
la mise-en-cause Econosult Inc. et les employés
concernés, d'une part, et le gouvernement, d'autre
part, et en concluant que malgré ces contrats il
existait une relation d'employeur à employé entre
le gouvernement et les contractuels. Soutenir cette
thèse c'est, à mon avis, se méprendre sur la nature
de la décision attaquée. J'ai déjà dit que la Com
mission avait le droit et l'obligation de chercher la
réalité à travers les apparences. Or la perception
de la réalité, même en matière de relations juridi-
ques, est avant tout une question de faits. La
Commission a pesé la preuve avec soin et en a tiré
ses conclusions. Notre cour ne peut intervenir à
moins, évidemment, que le résultat ne soit mani-
festement absurde. Qu'on soit d'accord ou non
avec la décision attaquée, elle est fondée sur une
jurisprudence et une pratique bien établies des
tribunaux spécialisés en la matière; il ne peut être
ici question d'absurdité.
En fin de compte, ce qui est en jeu ici c'est la
liberté d'association, garantie par la loi suprême
du pays. À mon avis, cette liberté est à la base
même de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique. Il serait aberrant de prétendre
que le gouvernement puisse se soustraire à ses
obligations vis-à-vis des personnes qui sont, en fait,
ses employés en invoquant l'ensemble des règles,
strictes et techniques, régissant l'embauche dans la
fonction publique. Si réellement il existe un conflit
entre les principes qui sous-tendent la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique et
les règles édictées dans la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, ce sont les premiers qui doivent
primer.
Je conclurais au rejet de la demande.
12 Doré e. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, par le juge Le Dain,
à la p. 510.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.