T-2639-85
Consumers Glass Company Limited (demande-
resse)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CONSUMERS GLASS COMPANY LIMITED C.
CANADA
Division de première instance, juge Cullen—
Toronto, 14 juin; Ottawa, 29 juin 1988.
Restitution — Droits de douane payés par erreur — Rem-
boursement des droits de douane versés dans un délai de deux
ans conformément à l'art. 46 de la Loi sur les douanes — Le
solde est-il remboursable en vertu du principe de l'enrichisse-
ment sans cause? — En règle générale, les sommes payées par
suite d'une erreur de droit, et non d'une erreur de fait, ne
peuvent être recouvrées, sauf s'il y a eu contrainte — La Cour
suprême du Canada ayant reconnu le droit de recouvrer des
sommes payées par suite d'une erreur sur la seule base de
l'enrichissement sans cause — L'art. 46 de la Loi sur les
douanes ne fait pas obstacle au recouvrement car il n'interdit
pas qu'une action fondée sur l'enrichissement sans cause soit
intentée.
Douanes et accise — Tarif des douanes — Droits de douane
payés par erreur — Montants versés remboursés en applica
tion de l'art. 46 de la Loi sur les douanes en vertu duquel les
sommes peuvent être recouvrées si la demande est faite dans
un délai de deux ans — L'art. 46 ne fait pas obstacle à une
action fondée sur l'enrichissement sans cause pour obtenir le
remboursement du solde des sommes payées.
De 1979 1983, la demanderesse a payé des droits à l'égard
de pièces de machine de fabrication du verre qui auraient pu
être importées en franchise en vertu des numéros tarifaires
42700-1 ou 42700-6. Les droits ont été payés par suite d'une
erreur de droit. Une nouvelle appréciation de la classification
tarifaire a été effectuée en application de l'alinéa 46(2)b) de la
Loi sur les douanes, et il y a eu remboursement des droits
payés durant la période de deux ans qui a précédé la date du
remboursement conformément à cette disposition. La demande-
resse demande le remboursement du solde en invoquant l'enri-
chissement sans cause.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
Dans une décision majoritaire, la Cour suprême du Canada a
jugé dans l'arrêt Hydro Electric Commission of Nepean c.
Ontario Hydro que les paiements effectués en raison d'une
erreur de droit, plutôt que d'une erreur de fait, ne peuvent être
recouvrés à moins que 1) les paiements n'aient été effectués par
contrainte ou 2) que les paiements n'aient été effectués à
l'égard d'une transaction illégale ou contraire à la loi, les
parties n'étant pas parties à un acte illégal. Dissident, le juge
Dickson [tel était alors son titre] a exprimé l'avis que la
distinction établie entre l'erreur de droit et l'erreur de fait est
dénuée de sens et que les sommes reçues devraient être rem-
boursées si, en application des principes généraux de l'équité, il
est injuste de les retenir. La majorité n'a pas rejeté expressé-
ment la position prise par la minorité au sujet des principes de
l'enrichissement sans cause. La question n'a pas été soulevée, et
il serait difficile de les appliquer à des organismes publics,
comme dans cette cause.
Les caractéristiques suivantes sont attribuées à la doctrine de
la restitution: 1) l'existence d'un rapport particulier entre les
parties, le plus souvent un lien contractuel au départ; 2) la
connaissance de l'avantage de la part du défendeur; 3) une
demande, expresse ou tacite, du défendeur pour obtenir l'avan-
tage, ou un acquiescement à son exécution. Les tribunaux ont
abordé la question de l'enrichissement sans cause en se fondant
sur diverses prémices. Cependant, il semble qu'il existe mainte-
nant au Canada un principe plus général et plus fondamental
accordant un recours contre l'enrichissement sans cause, prin-
cipe qui peut aller au-delà de ses origines anglaises. Dans l'arrêt
County of Carleton v. City of Ottawa, la Cour suprême du
Canada a reconnu le droit de recouvrer des sommes payées par
erreur en vertu de la doctrine de l'enrichissement sans cause.
Même s'il s'agissait dans cette affaire d'une erreur de fait, le
recouvrement a été fondé uniquement sur l'enrichissement sans
cause. L'opinion dissidente forte exprimée dans l'arrêt Nepean
Hydro fournit une base solide pour le redressement demandé en
l'espèce.
L'article 46 de la Loi sur les douanes prévoit un régime
administratif grâce auquel des sommes peuvent être recouvrées
du Ministère. Il n'interdit pas qu'une action fondée sur l'enri-
chissement sans cause doit intentée, et par conséquent, il ne fait
pas obstacle au recouvrement des montants payés.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap.
F-10, art. 17.
Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 46.
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art.
46(2)b),(4)b).
Tarif des douanes, S.R.C. 1970, chap. C-41, annexe A,
numéros tarifaires 42700-1, 42700-6 (édictés par S.C.
1980-81-82-83, chap. 67, art. 7(1)).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
County of Carleton v. City of Ottawa, [ 1965] R.C.S. 663;
52 D.L.R. (2d) 220.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Peel (municipalité régionale) c. Canada, [1987] 3 C.F.
103 (1"° inst.); Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn,
Lawson, Combe, Barbour Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro,
[1982] 1 R.C.S. 347.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Greenwood v. Bennett, [ 1972] 3 All E.R. 586 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Kasprzycki and Abel (1986), 55 O.R. (2d) 536 (C.
dist.); Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of
Regina, [1964] R.C.S. 326; Cooper v. Phibbs (1867),
L.R. 2 H.L. 149; Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani,
[1960] A.C. 192 (H.L.); Brook's Wharf and Bull Wharf
Ld. v. Goodman Brothers, [1937] 1 K.B. 534 (C.A.);
Nicholson v. St. Denis et al. (1975), 57 D.L.R. (3d) 699
(C.A. Ont.); McLaren c. La Reine, [ 1984] 2 C.F. 899 (1'
inst.); More (James) & Sons Ltd. v. University of Ottawa
(1974), 49 D.L.R. (3d) 666 (H.C. Ont.); Institut cana-
dien des mines et de métallurgie c. Canada, T-898-78,
juge Rouleau, jugement en date du 11-4-85, C.F. 1" inst.,
non publié.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Deglman v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725; [1954] 3
D.L.R. 785; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; 117
D.L.R. (3d) 257; White et al. v. Canada Central Trust
Co. et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 236 (C.A.N.-B.).
DOCTRINE
Gautreau, J. R. Maurice, c.r., "The Renaissance of Res
titution" (Exposé présenté devant la County of Carle-
ton Law Association, 23 octobre 1986) [non publié].
AVOCATS:
John T. Morin, c.r. pour la demanderesse.
Thomas L. James pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour
la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CULLEN: Aucun témoin n'a été cité.
Les parties aux présentes ont déposé l'exposé con
joint des fait qui suit:
1. La demanderesse Consumers Glass Company Limited (ci-
après appelée «Consumers») est une société verrière constituée
en vertu des lois du Canada, dont les bureaux et les installations
sont situés dans la province de l'Ontario et ailleurs.
2. Depuis le début des années soixante, Consumers importe au
Canada, pour les besoins de son entreprise, certaines pièces de
machine pour la fabrication du verre. Au nombre des pièces
importées par Consumers d'avril 1979 à mai 1983, citons les
gaines en acier émoussé pour les machines à mouler les bouteil-
les, les têtes de soufflage, les entonnoirs, les plaques-modèles,
les moules de bague, les guinands, les moulages en bronze, les
manchons, les assortiments de chicanes, les pinces de sortie
(bocaux), les moules ébaucheurs et différents autres accessoires
et pièces de machine pour la fabrication du verre (ci-après
appelés «les pièces»).
3. Lorsqu'elle importait les marchandises au Canada, Consu
mers faisait affaire avec le bureau de douane et remettait à
l'agent de douane les formules et la documentation de déclara-
tion en douane dûment remplies à l'égard desquelles elle payait
des droits de douane. A la date de leur importation au Canada,
les pièces susmentionnées étaient exonérées de droits de douane.
Toutefois, Consumers a versé, à l'égard des pièces, les droits de
douane suivants pendant la période qui commence en avril 1979
et se termine en mai 1983:
1979 83 498,83 $
1980 131 750,33
1981 153 927,97
1982 90 809,12
1983 52 577,39
TOTAL 512 563,64 $
4. Avant avril 1979, Consumers avait importé en franchise au
Canada des pièces de machine pour la fabrication du verre
identiques ou de nature similaire en vertu d'un décret de remise
pris suivant le numéro tarifaire 42700-1 des tarifs douaniers
conformément à l'article 17 de la Loi sur l'administration
financière. De plus, Consumers a obtenu, le 17 juillet 1980, une
décision d'un appréciateur fédéral des Douanes à Hamilton
selon laquelle ces pièces de machine de fabrication du verre
étaient admissibles en franchise en vertu du numéro tarifaire
42700-6. Ledit appréciateur des Douanes a également jugé que
ces marchandises, antérieurement visées par le numéro tarifaire
42700-1à titre de machines de fabrication du verre, étaient
aussi admissibles en vertu du numéro tarifaire 42700-6.
5. Le numéro tarifaire 42700-6 est une disposition spéciale
applicable aux machines de fabrication du verre, exception faite
des fours, à leurs accessoires, équipement de commande, outils
d'utilisation connexes et pièces. Les pièces auraient pu être
importées en franchise au Canada si elles avaient été déclarées
sous le régime de cette classification tarifaire, entrée en vigueur
le 1«" janvier 1980. Les pièces auraient également pu être
importées au Canada en vertu du numéro tarifaire 42700-1, ce
qui aurait permis à Consumers de demander la prise d'une
ordonnance de rémission rétroactive dans le cadre du Pro
gramme de la machinerie. Par conséquent, à la date de leur
importation, les pièces n'étaient pas assujetties au paiement de
droits de douane. Ces droits n'ont donc jamais été exigibles de
Consumers et celle-ci n'a jamais été tenue de les verser.
6. Aucune des pièces n'ont été importées par application des
numéros tarifaires 42700-1 et 42700-6. À l'importation des
pièces, Consumers ou son mandataire payait les droits de
douane en conformité avec les classifications tarifaires accep-
tées par les agents de douane agissant au nom de Sa Majesté.
Par conséquent, Consumers a versé par erreur les droits de
douane indiqués au paragraphe 3 des présentes. Aux fins de la
présente action, les parties conviennent que Consumers a versé
ces droits par suite d'une erreur de droit, et non d'une erreur de
fait.
7. L'importation des pièces était nécessaire à l'entretien du
matériel et des machines de Consumers. Sans ces pièces, elle
n'aurait pas pu continuer de fabriquer les produits de verre
essentiels à son entreprise. Cependant, en l'espèce, Consumers
ne prétend pas que ces droits aient été versés ni arrachés par
contrainte de fait ou autre, et de ce fait, elle abandonne toute
réclamation ou allégation en ce sens mentionnée dans sa
déclaration.
8. Lorsqu'elle s'est aperçue que les pièces étaient importées
sous le régime d'un numéro tarifaire autre que le numéro
tarifaire 42700-1 ou 42700-6, Consumers a présenté, par écrit
et selon la forme prescrite, des demandes à un appréciateur
fédéral des Douanes en vue d'obtenir une nouvelle détermina-
tion ou une nouvelle appréciation de la classification tarifaire,
en vertu de l'alinéa 46(2)b) de la Loi sur les douanes et de
l'alinéa 6a) du Mémorandum des Douanes D-11-6-1. Par suite
de ces demandes, Consumers a obtenu environ 100 000 $ à titre
de remboursement de droits de douane.
9. En ce qui concerne les demandes de nouvelle détermination
de la classification tarifaire rejetées par l'appréciateur fédéral
des Douanes, Consumers a présenté, vers le 8 mai 1984, au
sous-ministre, Revenu Canada, une demande tendant à obtenir
une nouvelle classification tarifaire conformément aux alinéas
46(1)a) et 46(4)d) de la Loi sur les douanes et de ses règle-
ments d'application.
10. Vers le 16 juillet 1984, le sous-ministre a reconnu que les
pièces auraient dû être classées par Consumers parmi les
marchandises visées par le numéro tarifaire 42700-6. Il a versé
la somme d'environ 90 000 $ à titre de remboursement supplé-
mentaire pour les droits de douane payés par erreur par Consu
mers à l'égard des pièces. Cependant, le sous-ministre n'a
remboursé à Consumers que les droits payés par erreur durant
la période de deux ans qui précède la date du remboursement,
soit du 6 juillet 1982 au 6 juillet 1984, comme le prévoit
l'article 46 de la Loi.
11. Par conséquent, sur la somme de 512 563,64 $ que Consu
mers a payée à l'égard des pièces, sans y être tenue en droit,
environ 190 000 $ ont été versés à Consumers au titre du
remboursement qu'elle avait demandé en conformité des dispo
sitions de la Loi.
12. Les parties conviennent qu'en vertu des dispositions de
l'article 46 de la Loi, le sous-ministre n'avait pas le pouvoir de
déterminer à nouveau la classification tarifaire applicable aux
marchandises pour lesquelles Consumers n'avait pas présenté
de demande dans les deux ans qui ont suivi leur importation. Il
ne pouvait donc pas accorder un remboursement d'environ
322 563,64 $.
13. Le seul point en litige que doit trancher la Cour est la
question de savoir si Consumers a droit au remboursement des
montants qu'elle a versés par erreur en vertu du principe de
l'enrichissement sans cause.
POINT EN LITIGE
Il s'agit de décider si la demanderesse a droit, en
vertu de la doctrine de l'enrichissement sans cause,
au remboursement d'un montant de 322 563,64 $,
soit le solde des sommes qu'elle a payées par
erreur. Pour résoudre cette question, il est néces-
saire de statuer sur les points suivants:
1. les sommes payées par suite d'une erreur de
droit peuvent être recouvrées en vertu du principe
de restitution de l'enrichissement sans cause;
2. le recouvrement des sommes payées par Consu
mers n'est pas interdit par les dispositions de la Loi
sur les douanes [S.R.C. 1970, chap. C-40].
Remarque: Je me propose de faire quelques com-
mentaires généraux sur l'erreur de fait et l'erreur
de droit ainsi que sur les règles du droit relatives à
la restitution avant d'aborder la décision rendue
par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario
Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347. J'admets qu'il faudra
tenir compte des incidences de la décision Nepean
Hydro en ce qui concerne le recouvrement du
paiement effectué par la demanderesse avant de
débattre de quelque façon que ce soit de l'enrichis-
sement sans cause. Pour l'essentiel, la majorité de
la Cour suprême du Canada a décidé qu'en l'ab-
sence de contrainte ou de transaction illégale, la
règle applicable à l'erreur de droit commune fait
obstacle au recouvrement des montants payés. En
l'espèce, les parties ont convenu que les droits de
douane ont été payés par suite d'une erreur de
droit et qu'il n'y avait eu aucune contrainte.
DISCUSSION
Le principe sous-jacent qui régit le recouvre-
ment des avantages obtenus par erreur a été for-
mulé par le juge en chef suppléant Carnwath dans
l'affaire Re Kasprzycki and Abel (1986), 55 O.R.
(2d) 536 (C. dist.), à la page 539:
[TRADUCTION] Un principe général du droit anglais et du
droit canadien veut que les sommes payées par erreur soient
d'ordinaire recouvrables, sous réserve de certaines exceptions.
Ce principe a été formulé pour la première fois en droit
moderne dans l'affaire Kelly v. Solari (1841), 9 M. & W. 54,
152 E.R. 24. Il repose sur la théorie suivant laquelle les sommes
payées par un demandeur à un défendeur seront recouvrables si
le paiement n'était pas «volontaire». Par conséquent, le paie-
ment effectué en raison de l'erreur du payeur, sans laquelle il
n'aurait pas été effectué, a été qualifié de paiement non «volon-
taire». La question du paiement est résolue comme si le payeur
n'avait pas eu véritablement l'intention de conférer un avantage
à la personne qui a reçu le paiement, si bien que cette dernière
a été enrichie sans cause. Ce type de paiement a été décrit dans
la jurisprudence comme un paiement effectué en raison d'une
erreur de fait.
Une distinction doit être établie entre l'opinion
fondée sur une erreur relative aux circonstances de
fait expliquant le paiement et l'opinion fondée sur
une erreur relative aux règles du droit applicables
à ces circonstances. De manière générale, les paie-
ments faits uniquement par suite d'une erreur de
droit ne peuvent être recouvrés par le payeur con-
trairement aux paiements effectués en raison d'une
erreur de fait qui sont d'ordinaire recouvrables.
Dans la décision Nepean Hydro, précitée, le juge
Estey explique le fondement de cette distinction à
la page 412:
À mon avis, la jurisprudence, tant ancienne que contempo-
raine, relative aux cas où seule l'erreur de droit est présente, se
fonde sur le bon sens et des considérations pratiques. En
matière de commerce et d'affaires publiques comme c'est le cas
en l'espèce, la certitude est un élément essentiel du bien-être de
la collectivité. Si on la compare à la règle applicable à l'erreur
de fait, la règle plus stricte applicable à l'erreur de droit émane
du besoin de cette sécurité et de l'assurance qui s'ensuit qu'il
n'y aura pas de rupture intempestive d'opérations conclues
antérieurement. L'erreur de fait se restreint, bien sûr, aux
parties et n'a pas de conséquences in rem; on est donc plus
libéral à son égard. En tout état de cause, les parties en l'espèce
n'ont fait ressortir, dans leur analyse du droit, aucun argument
justifiant le fusionnement des principes applicables aux catégo-
ries d'erreurs et, en fait, la sagesse inhérente à la jurisprudence
plaide en faveur du maintien de cette vieille distinction.
Cependant, diverses solutions jurisprudentielles
ont été élaborées pour contourner ce qu'on a
appelé la [TRADUCTION] «sévérité de la règle de
l'erreur de droit». Dans certains cas, les tribunaux
ont choisi de classer l'erreur parmi les erreurs de
fait plutôt que les erreurs de droit (voir l'affaire
Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of
Regina, [1964] R.C.S. 326) ou ils ont conclu qu'il
s'agissait d'un type d'erreur de droit se rapportant
à des droits privés plutôt qu'au droit en général,
c'est-à-dire aux lois ordinaires du pays (voir l'af-
faire Cooper v. Phibbs (1867), L.R. 2 H.L. 149).
Les tribunaux ont également pris en considération
la conduite du défendeur relativement à la transac
tion erronée (voir la décision Kiriri Cotton Co.
Ltd. v. Dewani, [ 1960] A.C. 192 (H.L.), et la
jurisprudence inspirée de l'affaire Kiriri qui sem-
blait établir que lorsque les parties ne sont pas
«parties à un acte illégal» (sur un pied d'égalité),
les sommes versées en raison d'une erreur de droit
peuvent être recouvrées). Lord Denning a fait le
commentaire suivant dans la décision Kiriri, à la
page 204:
[TRADUCTION] En réalité, on prétend qu'une somme payée en
raison d'une erreur de droit seulement, sans plus, ne peut être
recouvrée. Le lord juge James l'a souligné dans l'affaire Rogers
v. Ingham [(1876), 3 Ch. D. 351, 355]. S'il y a plus qu'une
erreur de droit (s'il ressort de la conduite du défendeur que
c'est lui qui est le premier responsable de l'erreur), alors la
somme peut être recouvrée. Ainsi, si entre eux, l'obligation
d'observer la loi incombe à l'un plutôt qu'à l'autre (si elle lui
incombe spécialement pour la protection de l'autre), ils ne sont
pas alors parties à un acte illégal et la somme peut être
recouvrée; voir Browning v. Morris [(1778), 2 Cowp. 790, 792],
motifs de lord Mansfield. De même, si la responsabilité de
l'erreur incombe plus à l'un qu'à l'autre (parce qu'il a induit
l'autre en erreur alors qu'il aurait dû être plus prudent), encore
là ils ne sont pas parties à un acte illégal et la somme peut être
recouvrée; voir Harse v. Pearl Life Assurance Co. [ 1904 1 K.B.
558, 564], motifs du lord juge Romer. Ces propositions sont
conformes aux principes formulés par lord Mansfield au sujet
de l'action pour enrichissement sans cause.
Dans les motifs de dissidence (page 367), le juge
Dickson (alors juge puîné) a écrit dans l'arrêt
Hydro Electric Commission of Nepean que le
principe de l'arrêt Kiriri permet à une partie de se
prévaloir d'une loi protectrice «et de recouvrer une
somme payée en raison d'une erreur de droit lors-
que la «loi» en question vise à protéger ses intérêts».
Arrêt Hydro Electric Commission of Nepean c.
Ontario Hydro, précité:
Bien que divers arguments puissent être invo-
qués pour contourner la «règle de l'erreur de droit»,
il reste que par une décision majoritaire, la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Nepean Hydro a
préservé la distinction traditionnelle établie entre
le recouvrement d'une somme payée en raison
d'une erreur de droit et celui d'une somme payée
en raison d'une erreur de fait. Dans cette affaire,
la municipalité de Nepean avait contesté des fac-
tures de l'Ontario Hydro en faisant valoir que la
demande de paiement n'était pas permise en vertu
de la loi. Nepean n'avait aucune obligation légale,
morale ou autre d'effectuer ces paiements. Toute-
fois, Ontario Hydro avait exigé ces paiements et la
municipalité avait payé par erreur.
Les motifs majoritaires et minoritaires méritent
d'être examinés car ils comportent une analyse
approfondie des règles relatives au recouvrement
des paiements effectués en raison d'une erreur de
droit.
Décision majoritaire: La majorité était d'accord
avec la décision des tribunaux inférieurs. Les juges
ont décidé que les paiements n'étaient pas autori-
sés par la loi et que les sommes avaient été versées
en raison d'une erreur de droit commune. S'expri-
mant au nom de la majorité, le juge Estey a conclu
à la page 411:
L'erreur de droit [TRADUCTION] «sans plus» (selon les termes
de lord Denning dans l'arrêt Kiriri, précité, à la p. 204) peut
faire allusion à la nécessité de conclure à l'existence de con-
trainte ou à l'illégalité pour donner droit au recouvrement
quand il y a erreur de droit commune. Lorsqu'il y a contrainte,
le recouvrement est permis puisque le paiement n'est pas volon-
taire et il n'y a aucune raison de présumer, simplement parce
qu'il y a eu paiement, que le demandeur a abandonné son droit
de recouvrer les sommes qu'il a payées par suite d'une con-
trainte de fait. Dans le cas d'une opération illégale, on applique
le concept des parties à un acte illégal pour décider du droit au
recouvrement. En l'absence de l'un ou l'autre de ces éléments,
la condition »s'il y a plus qu'une erreur de droit» fait défaut et
la règle relative à l'erreur de droit commune s'applique pour
refuser le recouvrement.
Le droit applicable à l'opération en l'espèce est non pas celui
qui s'applique au recouvrement de paiements effectués sous
contrainte ou au recouvrement de sommes payées aux termes
d'une opération illégale, mais plutôt le droit qui s'applique au
recouvrement de sommes versées en raison d'une erreur de droit
commune qui s'est produite en l'absence de l'un ou l'autre des
deux autres éléments. Ainsi les règles du recouvrement qui
s'appliquent dans le cas de l'illégalité et de la contrainte ne sont
pas pertinentes. Dans ces circonstances, les exceptions relatives
aux opérations illégales sont inapplicables. Le principe de l'er-
reur de droit empêche donc le recouvrement des sommes ver
sées par l'appelante.
Aux pages 395 398 du jugement rendu par le
juge Estey, celui-ci examine les principes énoncés
dans l'affaire Kiriri qui permettaient le recouvre-
ment lorsque le paiement a été fait en raison d'une
erreur de droit:
1) De par sa conduite, le défendeur est le premier
responsable de l'erreur;
2) Entre eux, l'obligation d'observer la loi
incombe à l'un plutôt qu'à l'autre;
3) L'obligation d'observer la loi incombe à l'un
pour la protection de l'autre.
À la page 399, il déclare que même en supposant
que le droit applicable est celui énoncé dans l'arrêt
Kiriri, précité, l'appelante n'a pas établi que ce
droit lui est applicable, et par conséquent, les
principes généraux de l'erreur de droit s'appli-
quent. En fait, le juge Estey ne croyait pas que les
principes énoncés dans l'arrêt Kiriri, précité, s'ap-
pliquaient au cas dont était saisie la Cour et il a
fondé sa décision sur d'autres motifs. Il dit à la
page 400:
Comme je l'ai déjà souligné, le Comité judiciaire du Conseil
privé a, dans l'arrêt Kiriri, précité, prétendu puiser dans les
décisions rendues par lord Mansfield entre 1760 et 1780 la
source du changement du droit général applicable au recouvre-
ment des sommes versées par suite d'une erreur de droit. Voici
les arrêts qui ont été mentionnés directement ou indirectement:
Smith v. Bromley (1760), 2 Doug. 696; 99 E.R. 441 (in notis);
Browning v. Morris (1778), 2 Cowp. 790; 98 E.R. 1364; Lowry
and Another v. Bourdieu (1780), 2 Doug. 468; 99 E.R. 299.
Toutefois, ces décisions ont trait à la règle invoquée dans les
actions en recouvrement des sommes payées aux termes d'une
opération illégale.
Il poursuit à la page 407:
Dans le cadre de leurs activités respectives en vertu de la Loi,
l'appelante et l'intimée ont participé au programme antérieur à
1966 et à celui en vigueur après 1966. Chacune a cru à tort que
cette loi autorisait le programme. Les principes juridiques
applicables aux droits des parties à des opérations illégales ne
s'appliquent pas parce qu'ils se rapportent à des opérations
contraires à l'ordre public ou interdites par la loi. Ce n'est
évidemment pas le cas en l'espèce. Il s'agit ici d'actes non
autorisés et d'une erreur commune relative à ces actes. La règle
de l'erreur commune s'applique parce qu'une erreur commune
s'est produite en l'espèce. Nulle exception à la règle générale
qui interdit de recouvrer les sommes versées dans le cadre d'une
opération illégale lorsque les parties ne sont pas parties à un
acte illégal ne s'applique en l'espèce parce qu'aucune partie n'a
commis un délit ni aucun méfait au sens d'un acte contraire à
une loi ou à l'ordre public.
Par conséquent, selon le juge Estey, les principes
applicables à l'erreur de droit et à l'illégalité sont
distincts. Donc, le demandeur qui a effectué un
paiement par suite d'une erreur de droit (unique-
ment) ne pourrait pas invoquer la participation à
une opération illégale puisque cet argument n'est
valable que dans les cas d'illégalité du contrat, et
non lorsqu'il y a eu simplement erreur commune.
Cependant, le juge Estey précise bien qu'il y a
deux situations dans lesquelles les paiements effec-
tués en raison d'une erreur de droit peuvent être
recouvrées, à savoir:
1) les paiements ont été effectués par contrainte
car ils n'étaient pas volontaires;
2) les paiements étaient illégaux ou contraires à la
loi parce que les parties n'étaient pas parties à une
opération illégale.
Dans l'arrêt Nepean Hydro, le juge Estey a
décidé que les circonstances de l'affaire ne corres-
pondaient ni à l'une ni à l'autre de ces situations. Il
fallait donc appliquer la règle de l'erreur
commune.
Dans la cause dont je suis saisi, les parties ont
convenu que le paiement des droits de douane n'a
pas été effectué par contrainte. Par conséquent, les
commentaires du jùge Estey à la page 408 ne
seraient d'aucune utilité à la demanderesse. En
fait, le juge Estey a affirmé avec netteté que si les
paiements avaient été faits par contrainte, les
sommes auraient été recouvrables, abstraction
faite de toute erreur de droit. Essentiellement, la
présence d'une erreur de droit dans un cas de
contrainte ne serait pas pertinente. (Pour une
autre affaire portant sur la possibilité de recouvrer
un paiement effectué en raison d'une erreur de
droit et sous la contrainte, voir Peel (municipalité
régionale) c. Canada, [1987] 3 C.F. 103 (P»
inst.)).
Comme il a été mentionné précédemment, le
juge en chef suppléant Carnwath dans l'affaire Re
Kasprzycki and Abel, précitée, a examiné la ques
tion de savoir si des sommes payées par suite d'une
erreur de droit pouvaient malgré tout être recou-
vrées en raison d'une situation de fait particulière.
Le juge en chef suppléant a décidé que les paie-
ments faits par le locataire à la suite d'une aug
mentation de loyer, nulle en vertu de la loi, ont été
versés en raison d'une erreur de droit. Cependant,
ces paiements étaient recouvrables parce qu'ils
avaient été effectués en vertu d'un contrat illégal
et que les parties contractantes n'étaient pas par
ties à une opération illégale. Le juge Carnwath a
fait remarquer que la Landlord and Tenant Act
[R.S.O. 1980, chap. 232] avait été adoptée pour la
protection des locataires. Le locataire faisait donc
partie de la catégorie de personnes à protéger qui
sont visées par l'affaire Kiriri.
Motifs du juge Dickson, dissident: Dans les motifs
de dissidence, le juge Dickson (alors juge puîné), a
examiné en détail les nombreuses exceptions au
principe général selon lequel les sommes payées en
raison d'une erreur de droit ne sont pas recouvra-
bles. Le juge Dickson a exprimé l'avis que la
distinction établie entre l'erreur de droit et l'erreur
de fait était dénuée de sens, et que les sommes
reçues devraient être remboursées si, en applica
tion des principes de l'équité, il serait injuste de les
retenir. Dans l'affaire dont était saisie la Cour, le
juge Dickson a souligné que l'honnêteté et la
simple justice exigeaient que la défenderesse rem-
bourse la demanderesse. Il a fait le commentaire
suivant aux pages 367 et 368:
Enfin, l'apport judiciaire le plus important dans le domaine
de l'erreur de droit n'est pas une exception ni une restriction à
la règle, mais plutôt la réapparition, dans la jurisprudence
anglaise et canadienne, de la doctrine de la restitution ou de
l'enrichissement illégitime (ou injustifié). L'arrêt Fibrosa et, en
particulier, les motifs de lord Wright ont marqué le [TRADUC-
TION] «retour moderne de la restitution comme système souple
et de plus en plus répandu» (Waddams, The Law of Contracts
(1977), à la p. 213, n. 6). Une fois admise la doctrine de la
restitution ou de l'enrichissement illégitime, la distinction entre
l'erreur de droit et l'erreur de fait perd simplement tout son
sens.
Dans l'arrêt Corporation of the County of Carleton c. Cor
poration of the City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663, cette Cour
a appliqué la doctrine de la restitution ou de l'enrichissement
illégitime. Dans cette affaire, le comté de Carleton avait par
erreur payé l'entretien d'un indigent et, conformément à un
règlement et à une entente, la responsabilité de cet entretien
incombait en réalité à la ville d'Ottawa. On n'a pas mentionné
l'existence d'une erreur de droit (la responsabilité en vertu du
règlement ou de plusieurs ententes en matière d'aide sociale) ou
d'une erreur de fait (le procureur du comté de Carleton avait
négligé d'inscrire le nom de cet indigent sur la liste des bénéfi-
ciaires de l'aide sociale fournie à la ville d'Ottawa). L'action a
été intentée et décidée conformément à la doctrine de la
restitution. En citant l'énoncé de lord Wright dans l'arrêt
Fibrosa, le juge Hall a conclu ce qui suit, à la p. 669:
[TRADUCTION] L'intimée [la ville d'Ottawa], du fait de
l'annexion et aux termes de ladite pièce 11, par. 10, a assumé
les obligations d'aide sociale de l'appelant [le comté de
Carleton] envers les résidents de la zone annexée, et le fait
que le nom d'un bénéficiaire de l'aide sociale ait été omis de
la liste par inadvertance ne permet pas à l'intimée de se
dégager de sa responsabilité à l'égard de ce bénéficiaire. Pour
reprendre les termes de lord Wright, il serait moralement
inacceptable qu'elle puisse le faire.
Y a-t-il donc une autre méthode pour «passer sous
silence» l'erreur de droit et statuer en appliquant la
doctrine de l'enrichissement sans cause? Bien que
j'aie tendance à être d'accord avec le juge Dickson
pour dire qu'une fois admise la doctrine de l'enri-
chissement sans cause, cette distinction entre l'er-
reur de droit et l'erreur de fait perd tout son sens,
j'estime néanmoins que puisque les parties ont
convenu que le paiement avait été effectué en
raison d'une erreur de droit, la question doit être
abordée d'une façon ou d'une autre, compte tenu
surtout de la décision de la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Nepean Hydro, précité.
Fait intéressant, dont l'importance ne saurait
être négligée, le juge Estey ne rejette pas expressé-
ment la position prise par la minorité dans l'arrêt
Nepean Hydro au sujet des principes de l'enrichis-
sement sans cause. Il précise bien à la page 412
que la question n'a pas été soulevée. À la page 413,
il dit ce qui suit:
Aucune n'a le pouvoir d'«accumuler» des surplus d'actifs ou de
ressources. Le concept de l'enrichissement illégitime ne peut
être facilement associé à ces rapports.
L'enrichissement sans cause:
Le principe de l'enrichissement sans cause est
pour le moins vague. L'analyse de ce principe
commence d'ordinaire avec la décision rendue par
la Cour d'appel anglaise dans l'affaire Brook's
Wharf and Bull Wharf Ld. v. Goodman Brothers,
[1937] 1 K.B. 534 (C.A.). Dans cet arrêt, la
demanderesse a été autorisée à recouvrer des droits
de douane qu'elle avait payés à l'égard de fourru-
res importées par la défenderesse. Lord Wright a
examiné la doctrine de la restitution et il a dit à la
page 545 qu'entre la demanderesse et la défende-
resse, l'obligation ne découlait pas du contrat mais
plutôt:
[TRADUCTION] La Cour impose l'obligation simplement en
raison des circonstances de l'affaire et de ce qu'elle considère
être juste et raisonnable, eu égard aux rapports entre les
parties.
Comme je l'ai souligné précédemment, la Cour
suprême du Canada a cité et appliqué cet extrait
dans l'arrêt County of Carleton v. City of Ottawa,
[1965] R.C.S. 663; 52 D.L.R. (2d) 220.
Quelques années plus tard, lord Wright a fait
une observation, maintes fois reprises depuis, dans
l'arrêt Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn,
Lawson, Combe, Barbour Ld., [1943] A.C. 32
(H.L.), à la page 61:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se
doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'enri-
chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une
personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle
a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep-
table de garder ou de conserver. Ces recours en droit anglais
sont génériquement différents de ceux qui sont propres aux
contrats ou aux délits, et ils appartiennent maintenant à une
troisième catégorie du common law appelée quasi-contrat ou
restitution.
Dans l'arrêt Nicholson v. St. Denis et al.
(1975), D.L.R. (3d) 699 (C.A. Ont.), (autorisation
de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée
[[1975] 1 R.C.S. x]), le juge d'appel MacKinnon
a fait des commentaires judicieux (page 701) sur
les termes employés par lord Wright et sur la
doctrine de l'enrichissement sans cause:
[TRADUCTION] Le juge de première instance a reconnu que
les termes de ce passage sont extrêmement vagues et généraux,
mais il a estimé que la Cour ne devait pas tenter de les préciser.
L'avocat du demandeur s'est dit d'avis devant la présente Cour
que ces termes signifiaient réellement qu'il revient entièrement
à chaque juge de décider s'il estime que les circonstances
justifient d'accorder le moyen de redressement qu'est l'enrichis-
sement sans cause.
Si cette assertion exprimait la doctrine, alors à ce cheval
fougueux qu'est l'intérêt public viendrait se joindre un coursier
aux tendances encore plus imprévisibles. Le droit de l'enrichis-
sement sans cause, qu'il serait plus exact d'appeler la doctrine
de la restitution, s'est développé pour prévoir un redressement
dans les cas où il serait injuste, dans les circonstances, de
permettre à un défendeur de conserver un avantage que le
demandeur lui a octroyé à ses dépens. Cela ne signifie pas qu'il
y aura restitution dans les cas d'enrichissement d'une personne
et d'appauvrissement d'une autre. Certaines règles se sont
élaborées au cours des ans pour guider le tribunal lorsqu'il
détermine si cette doctrine s'applique dans un cas particulier.
Il est difficile de concilier toute la jurisprudence sur la
restitution et il serait, à toutes fins, inutile d'essayer de le faire.
On peut dire, toutefois, que dans presque tous les cas, les faits
ont établi qu'il existait un rapport particulier entre les parties,
le plus souvent un lien contractuel au départ, qui rendait injuste
pour le défendeur de conserver l'avantage que lui avait accordé
le demandeur—un avantage, faut-il le préciser, qui n'a pas été
accordé «officieusement». Par ailleurs, ce rapport est habituelle-
ment, mais pas toujours, marqué par deux caractéristiques:
premièrement, la connaissance de l'avantage de la part du
défendeur, et deuxièmement, une demande expresse ou tacite
du défendeur pour obtenir l'avantage, ou un acquiescement à
son exécution.
Donc, le juge d'appel MacKinnon a associé les
caractéristiques suivantes à la doctrine de la
restitution:
1) l'existence d'un rapport particulier entre les
parties, le plus souvent un lien contractuel au
départ;
2) la connaissance de l'avantage de la part du
défendeur;
3) une demande, expresse ou tacite, du défendeur
pour obtenir l'avantage, ou un acquiescement à son
exécution.
Dans l'affaire Nicholson, un entrepreneur (deman-
deur) avait effectué des améliorations à un édifice
à la demande de l'occupant, qui était en possession
des lieux en vertu d'une promesse d'achat. L'entre-
preneur croyait à tort que l'occupant était proprié-
taire de l'édifice. Après l'exécution des travaux,
l'occupant n'a pas respecté l'entente ni la promesse
d'achat. Le propriétaire (défendeur) a repris pos
session de l'édifice, et l'entrepreneur a essayé de
récupérer les sommes impayées en invoquant l'en-
richissement sans cause du propriétaire. La Cour
d'appel a décidé que le principe de l'enrichissement
sans cause ne s'appliquait pas dans cette affaire.
Aucune entente n'avait été conclue avec le défen-
deur et il n'y avait pas de rapport entre lui et le
demandeur. Le défendeur n'avait pas encouragé
les travaux et il n'était coupable d'aucune faute.
En outre, le demandeur n'avait pris aucune mesure
pour vérifier les titres de propriété ni protéger ses
droits en vertu de la Mechanics' Lien Act [R.S.O.
1970, chap. 267].
Après avoir cité le juge d'appel MacKinnon
dans l'affaire Nicholson, le juge Muldoon dans la
décision McLaren c. La Reine, [1984] 2 C.F. 899
(ire inst.), a décrit le «rapport particulier» aux
pages 905 et 906 dans les termes suivants:
Quel est ce rapport particulier? Il peut s'agir d'un lien
contractuel, de fiducie ou d'un lien matrimonial. 11 peut s'agir
d'un accord fortuit ou d'un contrat inexécutable. Ce rapport
semble être la condition sine qua non de la réussite, mais il n'est
pas une garantie de la réussite. Le rapport particulier est
présent dans toutes les affaires citées par l'avocat où les deman-
deurs ont eu gain de cause, sauf dans deux cas. C'est le lien
essentiel qui existe entre les paroles et la conduite du défendeur
et l'octroi de l'avantage par le demandeur dans les affaires
suivantes: [Le juge Muldoon cite ici dix affaires].
L'enrichissement sans cause a été invoqué dans d'autres
affaires, et cet argument a échoué lorsque les tribunaux n'ont
trouvé aucun lien ou rapport particulier, ou aucun lien suffi-
sant, entre les parties. Dans cette catégorie, notons les déci-
sions: Nicholson v. St-Denis et al. ((1975) 51 D.L.R. (3d) 699
(C.A.Ont.)); Ledoux v. Inkman et al., ([1976] 3 W.W.R. 430
(C.A.C.-B.)); Norda Woodwork & Interiors v. Scotia Centre
Ltd. ([1980] 3 W.W.R. 748 (C.B.R. Alb.)).
Le juge Muldoon a décidé, étant donné l'absence
de tout rapport particulier et étant donné la preuve
produite, que l'action de la demanderesse fondée
sur l'enrichissement sans cause ne pouvait être
accueillie. Selon le juge Muldoon, l'élément déter-
minant dans la cause dont il était saisi était l'ab-
sence de tout rapport particulier entre les parties.
Dans l'affaire McLaren, précitée, un «rancher»,
ci-après appelé «l'occupant», avait hypothéqué sa
terre en faveur de la Banque d'expansion indus-
trielle. Celle-ci a exercé son droit de saisie. Le
ministère des Affaires indiennes et du Nord cana-
dien s'est porté acquéreur du titre de propriété.
L'occupant a engagé des procédures judiciaires en
vue de racheter les terres. Il a obtenu la permission
de demeurer en possession de fait pendant les
poursuites. C'est au cours de cette période que les
demandeurs ont fourni des semences et des servi
ces pour les semailles. Les demandeurs ont intenté
contre Sa Majesté une action en recouvrement de
la valeur de ces semences et services en invoquant
le mandat d'urgence ou l'enrichissement sans
cause.
À la lumière des causes précitées, il semblerait
que pour obtenir gain de cause dans une action
fondée sur l'enrichissement sans cause, le deman-
deur doive d'abord convaincre la Cour qu'un rap
port particulier existait entre lui et le défendeur.
Cependant, si l'existence de ce rapport ne peut être
établie, l'affaire Greenwood v. Bennett, [1972] 3
All E.R. 586 (C.A.) montre qu'une action fondée
sur l'enrichissement sans cause peut réussir malgré
l'absence d'un rapport particulier. À la lecture de
l'exposé conjoint des faits, j'estime qu'une distinc
tion peut facilement être établie avec l'affaire
Greenwood, et comme l'a dit le juge Muldoon dans
la décision McLaren à la page 907:
Cet arrêt [Greenwood] étend le principe au-delà du cas d'un
rapport particulier. S'il représente l'état de la common law au
Canada, ce qui est fort douteux, cet arrêt n'est néanmoins pas
applicable en l'espèce.
Il convient de noter que les tribunaux ont abordé
la question de l'enrichissement sans cause en se
fondant sur diverses prémices. La façon de traiter
la question ne semble pas limitée.
Dans la décision More (James) & Sons Ltd. v.
University of Ottawa (1974), 49 D.L.R. (3d) 666
(H.C. Ont.), le juge Morden, à la page 676, cite
l'ouvrage intitulé Law of Restitution (1966) de
Goff et Jones:
[TRADUCTION] Ce principe [enrichissement sans cause] «pré-
suppose trois choses: premièrement, le défendeur a été enrichi
en recevant un avantage; deuxièmement, cet enrichissement
s'est effectué aux dépens du demandeur; et troisièmement, il
serait injuste de lui permettre de conserver l'avantage».
Le juge Morden a appliqué les principes susmen-
tionnés aux faits de l'espèce et il a décidé que la
demanderesse avait droit à la restitution parce que
la défenderesse aurait été injustement enrichie si
elle avait été autorisée à conserver la partie des
taxes payées par la demanderesse mais non inclu-
ses dans le prix contractuel. La demanderesse,
entrepreneur de construction, avait signé un. con-
trat avec l'Université d'Ottawa pour la construc
tion d'un édifice. Aux termes de ce contrat, une
réduction des taxes imposées sur les matériaux de
construction devait profiter à l'Université. Cepen-
dant, le contrat était silencieux sur la répartition
des augmentations de taxes. La taxe de vente
provinciale a été abolie mais en même temps une
taxe fédérale additionnelle a été imposée sur les
matériaux de construction. En vertu du contrat,
l'entrepreneur devait transmettre la réduction de
taxe provinciale à l'Université. Cependant, il était
quand même tenu de payer la taxe fédérale addi-
tionnelle. En application de l'article 47A de la Loi
sur la taxe d'accise [S.C. 1963, chap. 12, art. 6
(mod. par S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 46)],
l'Université a demandé et reçu du gouvernement
fédéral un remboursement fiscal fondé sur la taxe
supplémentaire payée par l'entrepreneur. La
demande de recouvrement des taxes payées était
fondée sur l'enrichissement sans cause. Le juge
Morden a fait les commentaires suivants aux pages
676 et 677:
[TRADUCTION] À mon humble avis, les faits en l'espèce établis-
sent manifestement le droit au recouvrement de la demande-
resse en vertu de la doctrine de la restitution. Sans aucun doute,
la défenderesse s'est enrichie en recevant un avantage (la
somme de 9 094,54 $). J'ai employé le mot enrichie parce que
ce paiement constitue pour la défenderesse un profit ou une
aubaine. L'avantage n'a aucune commune mesure avec un
remboursement. Deuxièmement, cet enrichissement s'est effec-
tué aux dépens de la demanderesse. Théoriquement, la défende-
resse a reçu l'argent de la demanderesse et le conserve. Aux
termes exprès de l'article 47A de la Loi sur la taxe d'accise,
avant que le remboursement de la taxe ne puisse être effectué,
il faut que «la taxe imposée par la Partie VI a[it] été payée à
l'égard de ces matériaux». La demanderesse a bel et bien payé
cette taxe. N'eût été ce paiement, la défenderesse n'aurait pas
reçu les sommes du gouvernement. Elle tire directement avan-
tage du paiement effectué par la demanderesse. A mon avis, il
ne fait aucun doute qu'il est injuste que la défenderesse con
serve l'avantage. L'obligation que la loi fait peser sur la défen-
deresse ne découle pas de la Loi sur la taxe d'accise mais du
principe de l'enrichissement sans cause.
En revanche, dans la décision Institut canadien
des mines et de métallurgie c. Canada, T-898-78,
jugement en date du 11-4-85, C.F. ire inst., non
publié, le juge Rouleau a fait remarquer à la page
6 que pour réussir dans une action fondée sur
l'enrichissement sans cause, «le demandeur doit
persuader la Cour qu'il y a un enrichissement de la
part de la défenderesse, une perte qui en découle et
qui s'y rattache subie par le demandeur et l'ab-
sence de justification juridique pour l'enrichisse-
ment de l'un au détriment de l'autre».
Il s'agissait d'une action en recouvrement de
sommes payées entre 1969 et 1975 par le deman-
deur en sus du tarif du courrier de seconde classe.
Pendant les années en question, le maître de poste
avait décidé que le tarif inférieur, soit celui du
courrier de seconde classe, ne s'appliquait pas aux
périodiques du demandeur. Cependant, en 1975, le
demandeur a réussi à convaincre le maître de poste
du contraire. Le juge Rouleau a conclu qu'il
n'existait entre les parties aucune obligation con-
tractuelle susceptible de servir de fondement à la
demande. Quant à l'enrichissement sans cause
invoqué, il a décidé que le troisième élément néces-
saire à l'application de la doctrine, soit l'absence
de justification juridique, faisait défaut en l'espèce.
Enfin, le juge Strayer, dans l'arrêt Peel (munici-
palité régionale), précité, a déclaré à la page 117
ce qui suit: «l'affaire Deglman, l'affaire County of
Carleton et le jugement dissident rendu dans l'af-
faire Nepean (qui n'a pas été rejeté quant au fond
par la majorité mais qu'on a estimé ne pas s'appli-
quer à cette affaire) indiquent tous qu'au Canada
il existe maintenant un principe plus général et
plus fondamental accordant un recours contre l'en-
richissement sans cause, principe qui peut aller
au-delà de ses origines anglaises et qui guide ou
devrait guider tout jugement particulier dans ce
domaine».
La doctrine:
L'avocat de la demanderesse a fait valoir ce qui
suit:
[TRADUCTION] Selon la vaste majorité des auteurs, rien ne
justifie le maintien de la distinction entre l'erreur de fait, qui
donne droit au recouvrement d'une somme, et l'erreur de droit.
Cette distinction est intenable. Elle est inutile, et les commenta-
teurs ont été incapables de trouver un véritable fondement à son
existence: voir l'affaire Nepean, motifs du juge Dickson, à la
page 210; Klippert, Unjust Enrichment, à la page 152; S.M.
Waddams, The Law of Contracts, (2' éd. 1984) la page 292.
M° J. R. Maurice Gautreau, c.r., dans un exposé
érudit intitulé «The Renaissance of Restitution»,
prononcé au Mont Ste-Marie, le 23 octobre 1986,
devant la Carleton Law Association, a notamment
dit ce qui suit:
[TRADUCTION] INTRODUCTION
Le droit de la restitution renaît devant les tribunaux cana-
diens. Qu'il s'agisse de supprimer un enrichissement sans cause
ou d'imposer une obligation fiduciaire, nos tribunaux montrent
une volonté et une assurance aussi réjouissantes qu'elles sont
réfléchies. Il se peut que nous soyions entrés dans une nouvelle
ère d'équité. [Non souligné dans le texte original.] Ce change-
ment est bienvenu car le règne de l'absolutisme dans les domai-
nes du commerce et des biens ne laissait pas beaucoup de place
à des considérations d'équité et de morale. (Par exemple, voir
Jirma Ltd. c. Mister Donut (1975) 1 R.C.S. 2 en matière
contractuelle et Murdock (1975) 1 R.C.S. 423 en droit des
biens.)
PRINCIPES DE BASE
Le droit de la restitution:
1. Est un domaine distinct du droit, indépendant de la res-
ponsabilité délictuelle et des contrats;
2. Est un droit d'application générale et non de cas d'espèce;
3. Est fondé sur l'enrichissement sans cause qui en est le
principe premier.
Il est particulièrement utile en raison de sa souplesse; en outre,
le fardeau de la preuve est moins lourd et les redressements
sont plus larges.
LA RESTITUTION EN GÉNÉRAL
L'action fondée sur la restitution présente des traits caracté-
r4tiques qui la distinguent de l'action fondée sur la responsabi-
lité délictuelle ou le droit contractuel. L'on reconnaît mainte-
nant qu'elle appartient à une troisième catégorie en common
law qu'on a autrefois appellée le quasi-contrat ou contrat tacite
et que l'on désigne maintenant de façon plus exacte par les
termes restitution ou enrichissement sans cause ... Je veux
faire ressortir ici que l'action en restitution a une existence
propre, il n'est pas nécessaire de la formuler de façon qu'elle
corresponde à un quasi-contrat ou à une quasi-fiducie.
Le principe fondamental de cette action est l'obligation
imposée par les liens de la justice naturelle et de l'équité. Elle a
pour objet d'empêcher une personne de conserver un profit ou
un avantage obtenu d'une autre dans des circonstances où il
serait contraire à la justice et à la morale que la personne soit
autorisée à le conserver.
Les catégories de la restitution ne sont jamais exhaustives.
C'est un droit d'application générale qui n'est pas confiné à des
cas d'espèces. Nous n'avons donc pas à présenter la demande
sous le titre du «quantum meruit» ni d'action «pour deniers
retenus» ...
M. le juge La Forest, alors juge de la Cour d'appel du
Nouveau-Brunswick, a rédigé le jugement de la Cour portant
sur la restitution dans l'affaire White v. Central Trust Co.
(1984) 7 D.L.R. (4th) 236. Traçant à grands traits les principes
en cause, ce jugement érudit arrive à point parce qu'il éclaire ce
domaine du droit et le remet dans son contexte. Le juge a
déclaré que les catégories bien connues de l'enrichissement sans
cause doivent être regardées comme des exemples clairs du
principe plus général qui les transcende. En ce qui concerne
l'enrichissement sans cause, nous sommes actuellement au
même point qu'en ce qui a trait à la négligence. Nous préférons
depuis quelque temps invoquer une obligation généralisée de
diligence envers autrui plutôt que des obligations particulières.
Le principe de l'enrichissement sans cause a été créé par le
droit pour résoudre des cas d'injustice flagrante, et des détails
tels que la question de savoir si une opération particulière
donnant ouverture à la restitution découle d'un contrat ou non
ne sauraient y faire obstacle. Ce principe transcende ces
distinctions.
L'ENRICHISSEMENT SANS CAUSE
D'ordinaire, trois éléments sont nécessaires pour invoquer
l'enrichissement sans cause:
a) un enrichissement;
b) un appauvrissement correspondant;
c) l'absence de justification juridique pour l'enrichissement
(Sorochan c. Sorochan C.S.C. 31 juillet 1986, non publié
[publié depuis à [1986] 2 R.C.S. 38]).
Ces exigences sont assez évidentes. L'avantage et l'appau-
vrissement sont de simples questions de fait. La justification
juridique de la conservation de l'avantage peut être aussi simple
que l'intention de faire un cadeau ou l'existence d'une obliga
tion, contractuelle ou autre, de donner l'avantage.
LA SOUPLESSE
La souplesse est un élément clé dans le domaine du droit de
la restitution ou de l'enrichissement sans cause. Dans l'affaire
Sorochan, précitée, la Cour suprême a répété ce qu'elle avait
dit dans l'arrêt Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, aux
pages 850-851:
Le principe d'equity sur lequel repose le recours à la fiducie
par interprétation est large et général; son but est d'empêcher
l'enrichissement sans cause dans toutes les circonstances où il
se présente.
EXEMPLES RÉCENTS
Les affaires Sorochan et White v. Central Trust Co. sont
deux bon exemples de l'approche canadienne moderne. [Non
souligné dans le texte original.] Elles montrent la flexibilité des
principes de la restitution.
Dans la décision White v. Central Trust Co., Mearle Smith
réclamait aux enfants de sa femme certaines valeurs mobilières
qu'il avait données à leur mère, qui, à son tour, les avait léguées
par testament à ses enfants. M. Smith prétendait qu'elles lui
appartenaient. Il a demandé qu'ils les lui remettent, ce que les
enfants ont fait. Il était entendu que ceux-ci seraient désignés
comme légataires dans le testament de M. Smith. En lui
remettant les valeurs mobilières, les enfants ont également
signé une mainlevée en faveur de la succession de leur mère et
de M. Smith à titre d'exécuteur testamentaire. A son décès, les
enfants n'étaient pas bénéficiaires en vertu de son testament; Ils
ont intenté une action contractuelle et pour deniers retenus. Le
juge de première instance a décidé qu'il n'y avait aucun contrat
et, qu'en outre, ils avaient signé une mainlevée.
La Cour d'appel n'était pas aussi certaine qu'il n'y avait pas
de contrat (le juge de première instance avait conclu à l'absence
de l'intention nécessaire) mais, de toute façon, elle a statué sur
la demande en application des principes de l'enrichissement
sans cause.
Le juge d'appel La Forest a rendu le jugement de la Cour sur
la question de l'enrichissement sans cause. (Le juge d'appel
Angers a souscrit au jugement mais il a rédigé des motifs
supplémentaires portant sur l'inopposabilité de la mainlevée. Il
a décidé que la succession de la mère était libérée mais que la
réclamation contre M. Smith n'était pas éteinte).
Selon le juge d'appel La Forest, la demande de restitution
fondée sur l'enrichissement sans cause n'était pas subordonnée
à l'existence ou à l'absence d'un contrat. A cet égard, il a
déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] ... le principe de l'enrichissement sans cause
a été créé par le droit pour résoudre des cas d'injustice
flagrante, et on ne saurait y faire obstacle par des subtilités
du langage en se demandant si une opération particulière,
donnant ouverture à la restitution, découle ou non d'un
contrat. Le principe transcende de telles distinctions. En
effet, les moyens de procédure qui ont précédé la restitution
et que l'on retrouve dans les premières causes d'action en
common law, ont encadré des classifications plus récentes
comme celle des contrats ...
Il a ajouté:
Comme j'ai tenté de le montrer, les catégories bien connues
de l'enrichissement sans cause doivent être considérées
comme des exemples claires du principe plus général qui les
transcende. Nous sommes actuellement à l'égard de l'enri-
chissement sans cause dans la même situation que nous
étions au sujet de la négligence, domaine dans lequel nous
avons abandonné le recours à des obligations particulières en
faveur d'une obligation généralisée envers autrui, bien que
cette évolution ne soit pas aussi avancée dans le cas de la
restitution.
Les faits de l'affaire White présentaient des similitudes avec
les catégories d'enrichissement sans cause précédemment recon-
nues mais ils ne correspondaient exactement à aucune d'entre
elles. Mais cette situation ne devait pas faire échouer la
demande.
Il ressort clairement du jugement de la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Sorochan, précitée, que les règles de
forme ne valent pas dans les cas d'enrichissement sans cause et
que les principes appliqués sont larges, généraux et souples.
CONCLUSIONS
Le premier point en litige:
Sur ce point, je conclus que le droit canadien
évolue vers une renaissance ou une plus grande
utilisation des règles du droit relatives à la restitu
tion et fondées sur l'enrichissement sans cause.
L'enrichissement sans cause choque notre sens de
la justice. Les règles du droit relatives à la restitu
tion «sont particulièrement utile[s] en raison de
[leur] souplesse; en outre, le fardeau de la preuve
est moins lourd et les redressements sont plus
larges» (Gautreau, précité). Elles sont conforme
aux convictions exprimées par lord Wright dans
l'arrêt Fibrosa, précité [à la page 611:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se
doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'enri-
chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une
personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle
a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep-
table de garder ou de conserver.
Il ne fait aucun doute que la doctrine de l'enrichis-
sement sans cause soit fermement enchassée et
acceptée dans le droit canadien. Voir, Fibrosa
Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe,
Barbour Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.); Deglman v.
Constantineau, [1954] R.C.S. 725, aux pages 734
et 735; [1954] 3 D.L.R. 785, aux pages 794-795;
County of Carleton v. City of Ottawa, [1965]
R.C.S. 663, aux pages 668 et 669; 52 D.L.R. (2d)
220, aux pages 224 et 225; Pettkus c. Becker,
[1980] 2 R.C.S 834, aux pages 847 et 849; 117
D.L.R. (3d) 257, aux pages 273 275; White et al.
v. Canada Central Trust Co. et al. (1984), 7
D.L.R. (4th) 236 (C.A.N.-B.), aux pages 241 à
247.
Ne pas reconnaître les règles du droit relatives à
la restitution et fondées sur l'enrichissement sans
cause, c'est faire abstraction de l'equity et des
recours fondés sur cette notion. À mon avis, le
droit anglais est beaucoup plus strict que les règles
du droit canadien sur ce point, ce qui est tout à
l'honneur de la jurisprudence canadienne qui a
admis cette solution reconnue en equity.
Je serais plus circonspect dans mes conclusions
si le juge Estey avait rejeté les motifs de dissidence
dans l'arrêt Nepean, précité. Cependant, ses com-
mentaires à ce sujet [à la page 412] méritent
d'être rappelés:
Depuis que j'ai rédigé ces motifs, j'ai eu l'occasion de lire les
motifs de mon collègue le juge Dickson. L'argument principal
de l'appelante portait sur la question de savoir si les parties à
l'erreur de droit étaient parties à un acte illégal. L'enrichisse-
ment illégitime n'est mentionné dans son mémoire qu'en ce qui
a trait à l'argument selon lequel l'appelante et l'intimée ne sont
pas parties à un acte illégal. Au cours des plaidoiries, l'appe-
lante a déclaré, en réponse à une question de la Cour, qu'elle ne
fondait pas son appel sur l'abolition de la distinction en droit de
l'erreur de fait et l'erreur de droit et qu'elle ne réclamait pas
cette abolition dans son appel. En fait, la règle était acceptée et,
dans son argument, l'appelante cherchait à faire appliquer la
règle de la même manière que, selon elle, cette Cour l'a fait
dans l'arrêt Eadie c. The Township of Brantford, précité. En
conséquence, mes motifs se limitent à l'application de la doc
trine de l'erreur de droit telle qu'elle a été plaidée.
Avant l'affaire Nepean, la Cour suprême du
Canada avait reconnu dans l'arrêt Carleton, pré-
cité, le droit de recouvrer des sommes payées par
erreur, en vertu de la doctrine de l'enrichissement
sans cause. Même s'il s'agissait d'une erreur de
fait dans l'affaire Carleton, le recouvrement a été
fondé uniquement sur l'enrichissement sans cause.
L'opinion dissidente forte exprimée dans l'arrêt
Nepean, qu'un auteur a qualifiée de tour de force,
n'a pas été rejetée par la décision majoritaire, et
elle fournit une base solide pour le redressement
demandé en l'espèce.
Par conséquent, la demanderesse a droit de
recouvrer le solde des sommes payées en droit de
douane par erreur, soit 322 563,64 $, avec intérêts.
Le deuxième point en litige:
Le recouvrement est-il interdit en application de
l'article 46 de la Loi sur les douanes? Cette
disposition prévoit une méthode pour obtenir une
nouvelle détermination ou estimation émanant
d'un appréciateur fédéral. Elle permet un ultime
appel au sous-ministre, après lequel un appel à la
Cour fédéral est possible au sujet d'une question
de droit. En l'espèce, les parties sont bien d'accord,
elles admettent qu'il y a eu une erreur et que des
droits de douanes excédentaires ont été payés.
La disposition en question prévoit un régime
administratif, les règles de procédure devant être
suivies pour recouvrer des sommes du Ministère.
Elle n'interdit pas qu'une action fondée sur l'enri-
chissement sans cause soit intentée. Si le Parle-
ment avait eu l'intention d'exclure ce droit fonda-
mental de poursuivre en justice, il l'aurait précisé
de façon explicite dans la Loi. Comme les poursui-
tes judiciaires ne sont pas interdites, la demande-
resse a droit d'intenter cette action.
La demanderesse a droit aux dépens dans la
présente action.
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