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T-2639-85
Consumers Glass Company Limited (demande- resse)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CONSUMERS GLASS COMPANY LIMITED C. CANADA
Division de première instance, juge Cullen— Toronto, 14 juin; Ottawa, 29 juin 1988.
Restitution Droits de douane payés par erreur Rem- boursement des droits de douane versés dans un délai de deux ans conformément à l'art. 46 de la Loi sur les douanes Le solde est-il remboursable en vertu du principe de l'enrichisse- ment sans cause? En règle générale, les sommes payées par suite d'une erreur de droit, et non d'une erreur de fait, ne peuvent être recouvrées, sauf s'il y a eu contrainte La Cour suprême du Canada ayant reconnu le droit de recouvrer des sommes payées par suite d'une erreur sur la seule base de l'enrichissement sans cause L'art. 46 de la Loi sur les douanes ne fait pas obstacle au recouvrement car il n'interdit pas qu'une action fondée sur l'enrichissement sans cause soit intentée.
Douanes et accise Tarif des douanes Droits de douane payés par erreur Montants versés remboursés en applica tion de l'art. 46 de la Loi sur les douanes en vertu duquel les sommes peuvent être recouvrées si la demande est faite dans un délai de deux ans L'art. 46 ne fait pas obstacle à une action fondée sur l'enrichissement sans cause pour obtenir le remboursement du solde des sommes payées.
De 1979 1983, la demanderesse a payé des droits à l'égard de pièces de machine de fabrication du verre qui auraient pu être importées en franchise en vertu des numéros tarifaires 42700-1 ou 42700-6. Les droits ont été payés par suite d'une erreur de droit. Une nouvelle appréciation de la classification tarifaire a été effectuée en application de l'alinéa 46(2)b) de la Loi sur les douanes, et il y a eu remboursement des droits payés durant la période de deux ans qui a précédé la date du remboursement conformément à cette disposition. La demande- resse demande le remboursement du solde en invoquant l'enri- chissement sans cause.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
Dans une décision majoritaire, la Cour suprême du Canada a jugé dans l'arrêt Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro que les paiements effectués en raison d'une erreur de droit, plutôt que d'une erreur de fait, ne peuvent être recouvrés à moins que 1) les paiements n'aient été effectués par contrainte ou 2) que les paiements n'aient été effectués à l'égard d'une transaction illégale ou contraire à la loi, les parties n'étant pas parties à un acte illégal. Dissident, le juge Dickson [tel était alors son titre] a exprimé l'avis que la distinction établie entre l'erreur de droit et l'erreur de fait est dénuée de sens et que les sommes reçues devraient être rem- boursées si, en application des principes généraux de l'équité, il est injuste de les retenir. La majorité n'a pas rejeté expressé-
ment la position prise par la minorité au sujet des principes de l'enrichissement sans cause. La question n'a pas été soulevée, et il serait difficile de les appliquer à des organismes publics, comme dans cette cause.
Les caractéristiques suivantes sont attribuées à la doctrine de la restitution: 1) l'existence d'un rapport particulier entre les parties, le plus souvent un lien contractuel au départ; 2) la connaissance de l'avantage de la part du défendeur; 3) une demande, expresse ou tacite, du défendeur pour obtenir l'avan- tage, ou un acquiescement à son exécution. Les tribunaux ont abordé la question de l'enrichissement sans cause en se fondant sur diverses prémices. Cependant, il semble qu'il existe mainte- nant au Canada un principe plus général et plus fondamental accordant un recours contre l'enrichissement sans cause, prin- cipe qui peut aller au-delà de ses origines anglaises. Dans l'arrêt County of Carleton v. City of Ottawa, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit de recouvrer des sommes payées par erreur en vertu de la doctrine de l'enrichissement sans cause. Même s'il s'agissait dans cette affaire d'une erreur de fait, le recouvrement a été fondé uniquement sur l'enrichissement sans cause. L'opinion dissidente forte exprimée dans l'arrêt Nepean Hydro fournit une base solide pour le redressement demandé en l'espèce.
L'article 46 de la Loi sur les douanes prévoit un régime administratif grâce auquel des sommes peuvent être recouvrées du Ministère. Il n'interdit pas qu'une action fondée sur l'enri- chissement sans cause doit intentée, et par conséquent, il ne fait pas obstacle au recouvrement des montants payés.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 17.
Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 46. Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 46(2)b),(4)b).
Tarif des douanes, S.R.C. 1970, chap. C-41, annexe A, numéros tarifaires 42700-1, 42700-6 (édictés par S.C. 1980-81-82-83, chap. 67, art. 7(1)).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
County of Carleton v. City of Ottawa, [ 1965] R.C.S. 663; 52 D.L.R. (2d) 220.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Peel (municipalité régionale) c. Canada, [1987] 3 C.F. 103 (1"° inst.); Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe, Barbour Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Greenwood v. Bennett, [ 1972] 3 All E.R. 586 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Kasprzycki and Abel (1986), 55 O.R. (2d) 536 (C. dist.); Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326; Cooper v. Phibbs (1867), L.R. 2 H.L. 149; Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [1960] A.C. 192 (H.L.); Brook's Wharf and Bull Wharf Ld. v. Goodman Brothers, [1937] 1 K.B. 534 (C.A.); Nicholson v. St. Denis et al. (1975), 57 D.L.R. (3d) 699 (C.A. Ont.); McLaren c. La Reine, [ 1984] 2 C.F. 899 (1' inst.); More (James) & Sons Ltd. v. University of Ottawa (1974), 49 D.L.R. (3d) 666 (H.C. Ont.); Institut cana- dien des mines et de métallurgie c. Canada, T-898-78, juge Rouleau, jugement en date du 11-4-85, C.F. 1" inst., non publié.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Deglman v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725; [1954] 3 D.L.R. 785; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; 117 D.L.R. (3d) 257; White et al. v. Canada Central Trust Co. et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 236 (C.A.N.-B.).
DOCTRINE
Gautreau, J. R. Maurice, c.r., "The Renaissance of Res titution" (Exposé présenté devant la County of Carle- ton Law Association, 23 octobre 1986) [non publié].
AVOCATS:
John T. Morin, c.r. pour la demanderesse. Thomas L. James pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CULLEN: Aucun témoin n'a été cité. Les parties aux présentes ont déposé l'exposé con joint des fait qui suit:
1. La demanderesse Consumers Glass Company Limited (ci- après appelée «Consumers») est une société verrière constituée en vertu des lois du Canada, dont les bureaux et les installations sont situés dans la province de l'Ontario et ailleurs.
2. Depuis le début des années soixante, Consumers importe au Canada, pour les besoins de son entreprise, certaines pièces de machine pour la fabrication du verre. Au nombre des pièces importées par Consumers d'avril 1979 à mai 1983, citons les gaines en acier émoussé pour les machines à mouler les bouteil- les, les têtes de soufflage, les entonnoirs, les plaques-modèles, les moules de bague, les guinands, les moulages en bronze, les manchons, les assortiments de chicanes, les pinces de sortie
(bocaux), les moules ébaucheurs et différents autres accessoires et pièces de machine pour la fabrication du verre (ci-après appelés «les pièces»).
3. Lorsqu'elle importait les marchandises au Canada, Consu mers faisait affaire avec le bureau de douane et remettait à l'agent de douane les formules et la documentation de déclara- tion en douane dûment remplies à l'égard desquelles elle payait des droits de douane. A la date de leur importation au Canada, les pièces susmentionnées étaient exonérées de droits de douane. Toutefois, Consumers a versé, à l'égard des pièces, les droits de douane suivants pendant la période qui commence en avril 1979 et se termine en mai 1983:
1979 83 498,83 $
1980 131 750,33
1981 153 927,97
1982 90 809,12
1983 52 577,39
TOTAL 512 563,64 $
4. Avant avril 1979, Consumers avait importé en franchise au Canada des pièces de machine pour la fabrication du verre identiques ou de nature similaire en vertu d'un décret de remise pris suivant le numéro tarifaire 42700-1 des tarifs douaniers conformément à l'article 17 de la Loi sur l'administration financière. De plus, Consumers a obtenu, le 17 juillet 1980, une décision d'un appréciateur fédéral des Douanes à Hamilton selon laquelle ces pièces de machine de fabrication du verre étaient admissibles en franchise en vertu du numéro tarifaire 42700-6. Ledit appréciateur des Douanes a également jugé que ces marchandises, antérieurement visées par le numéro tarifaire 42700-1à titre de machines de fabrication du verre, étaient aussi admissibles en vertu du numéro tarifaire 42700-6.
5. Le numéro tarifaire 42700-6 est une disposition spéciale applicable aux machines de fabrication du verre, exception faite des fours, à leurs accessoires, équipement de commande, outils d'utilisation connexes et pièces. Les pièces auraient pu être importées en franchise au Canada si elles avaient été déclarées sous le régime de cette classification tarifaire, entrée en vigueur le 1«" janvier 1980. Les pièces auraient également pu être importées au Canada en vertu du numéro tarifaire 42700-1, ce qui aurait permis à Consumers de demander la prise d'une ordonnance de rémission rétroactive dans le cadre du Pro gramme de la machinerie. Par conséquent, à la date de leur importation, les pièces n'étaient pas assujetties au paiement de droits de douane. Ces droits n'ont donc jamais été exigibles de Consumers et celle-ci n'a jamais été tenue de les verser.
6. Aucune des pièces n'ont été importées par application des numéros tarifaires 42700-1 et 42700-6. À l'importation des pièces, Consumers ou son mandataire payait les droits de douane en conformité avec les classifications tarifaires accep- tées par les agents de douane agissant au nom de Sa Majesté. Par conséquent, Consumers a versé par erreur les droits de douane indiqués au paragraphe 3 des présentes. Aux fins de la présente action, les parties conviennent que Consumers a versé ces droits par suite d'une erreur de droit, et non d'une erreur de fait.
7. L'importation des pièces était nécessaire à l'entretien du matériel et des machines de Consumers. Sans ces pièces, elle n'aurait pas pu continuer de fabriquer les produits de verre essentiels à son entreprise. Cependant, en l'espèce, Consumers ne prétend pas que ces droits aient été versés ni arrachés par
contrainte de fait ou autre, et de ce fait, elle abandonne toute réclamation ou allégation en ce sens mentionnée dans sa déclaration.
8. Lorsqu'elle s'est aperçue que les pièces étaient importées sous le régime d'un numéro tarifaire autre que le numéro tarifaire 42700-1 ou 42700-6, Consumers a présenté, par écrit et selon la forme prescrite, des demandes à un appréciateur fédéral des Douanes en vue d'obtenir une nouvelle détermina- tion ou une nouvelle appréciation de la classification tarifaire, en vertu de l'alinéa 46(2)b) de la Loi sur les douanes et de l'alinéa 6a) du Mémorandum des Douanes D-11-6-1. Par suite de ces demandes, Consumers a obtenu environ 100 000 $ à titre de remboursement de droits de douane.
9. En ce qui concerne les demandes de nouvelle détermination de la classification tarifaire rejetées par l'appréciateur fédéral des Douanes, Consumers a présenté, vers le 8 mai 1984, au sous-ministre, Revenu Canada, une demande tendant à obtenir une nouvelle classification tarifaire conformément aux alinéas 46(1)a) et 46(4)d) de la Loi sur les douanes et de ses règle- ments d'application.
10. Vers le 16 juillet 1984, le sous-ministre a reconnu que les pièces auraient être classées par Consumers parmi les marchandises visées par le numéro tarifaire 42700-6. Il a versé la somme d'environ 90 000 $ à titre de remboursement supplé- mentaire pour les droits de douane payés par erreur par Consu mers à l'égard des pièces. Cependant, le sous-ministre n'a remboursé à Consumers que les droits payés par erreur durant la période de deux ans qui précède la date du remboursement, soit du 6 juillet 1982 au 6 juillet 1984, comme le prévoit l'article 46 de la Loi.
11. Par conséquent, sur la somme de 512 563,64 $ que Consu mers a payée à l'égard des pièces, sans y être tenue en droit, environ 190 000 $ ont été versés à Consumers au titre du remboursement qu'elle avait demandé en conformité des dispo sitions de la Loi.
12. Les parties conviennent qu'en vertu des dispositions de l'article 46 de la Loi, le sous-ministre n'avait pas le pouvoir de déterminer à nouveau la classification tarifaire applicable aux marchandises pour lesquelles Consumers n'avait pas présenté de demande dans les deux ans qui ont suivi leur importation. Il ne pouvait donc pas accorder un remboursement d'environ 322 563,64 $.
13. Le seul point en litige que doit trancher la Cour est la question de savoir si Consumers a droit au remboursement des montants qu'elle a versés par erreur en vertu du principe de l'enrichissement sans cause.
POINT EN LITIGE
Il s'agit de décider si la demanderesse a droit, en vertu de la doctrine de l'enrichissement sans cause, au remboursement d'un montant de 322 563,64 $, soit le solde des sommes qu'elle a payées par erreur. Pour résoudre cette question, il est néces- saire de statuer sur les points suivants:
1. les sommes payées par suite d'une erreur de droit peuvent être recouvrées en vertu du principe de restitution de l'enrichissement sans cause;
2. le recouvrement des sommes payées par Consu mers n'est pas interdit par les dispositions de la Loi sur les douanes [S.R.C. 1970, chap. C-40].
Remarque: Je me propose de faire quelques com- mentaires généraux sur l'erreur de fait et l'erreur de droit ainsi que sur les règles du droit relatives à la restitution avant d'aborder la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347. J'admets qu'il faudra tenir compte des incidences de la décision Nepean Hydro en ce qui concerne le recouvrement du paiement effectué par la demanderesse avant de débattre de quelque façon que ce soit de l'enrichis- sement sans cause. Pour l'essentiel, la majorité de la Cour suprême du Canada a décidé qu'en l'ab- sence de contrainte ou de transaction illégale, la règle applicable à l'erreur de droit commune fait obstacle au recouvrement des montants payés. En l'espèce, les parties ont convenu que les droits de douane ont été payés par suite d'une erreur de droit et qu'il n'y avait eu aucune contrainte.
DISCUSSION
Le principe sous-jacent qui régit le recouvre- ment des avantages obtenus par erreur a été for- mulé par le juge en chef suppléant Carnwath dans l'affaire Re Kasprzycki and Abel (1986), 55 O.R. (2d) 536 (C. dist.), à la page 539:
[TRADUCTION] Un principe général du droit anglais et du droit canadien veut que les sommes payées par erreur soient d'ordinaire recouvrables, sous réserve de certaines exceptions. Ce principe a été formulé pour la première fois en droit moderne dans l'affaire Kelly v. Solari (1841), 9 M. & W. 54, 152 E.R. 24. Il repose sur la théorie suivant laquelle les sommes payées par un demandeur à un défendeur seront recouvrables si le paiement n'était pas «volontaire». Par conséquent, le paie- ment effectué en raison de l'erreur du payeur, sans laquelle il n'aurait pas été effectué, a été qualifié de paiement non «volon- taire». La question du paiement est résolue comme si le payeur n'avait pas eu véritablement l'intention de conférer un avantage à la personne qui a reçu le paiement, si bien que cette dernière a été enrichie sans cause. Ce type de paiement a été décrit dans la jurisprudence comme un paiement effectué en raison d'une erreur de fait.
Une distinction doit être établie entre l'opinion fondée sur une erreur relative aux circonstances de fait expliquant le paiement et l'opinion fondée sur une erreur relative aux règles du droit applicables à ces circonstances. De manière générale, les paie- ments faits uniquement par suite d'une erreur de droit ne peuvent être recouvrés par le payeur con-
trairement aux paiements effectués en raison d'une erreur de fait qui sont d'ordinaire recouvrables. Dans la décision Nepean Hydro, précitée, le juge Estey explique le fondement de cette distinction à la page 412:
À mon avis, la jurisprudence, tant ancienne que contempo- raine, relative aux cas seule l'erreur de droit est présente, se fonde sur le bon sens et des considérations pratiques. En matière de commerce et d'affaires publiques comme c'est le cas en l'espèce, la certitude est un élément essentiel du bien-être de la collectivité. Si on la compare à la règle applicable à l'erreur de fait, la règle plus stricte applicable à l'erreur de droit émane du besoin de cette sécurité et de l'assurance qui s'ensuit qu'il n'y aura pas de rupture intempestive d'opérations conclues antérieurement. L'erreur de fait se restreint, bien sûr, aux parties et n'a pas de conséquences in rem; on est donc plus libéral à son égard. En tout état de cause, les parties en l'espèce n'ont fait ressortir, dans leur analyse du droit, aucun argument justifiant le fusionnement des principes applicables aux catégo- ries d'erreurs et, en fait, la sagesse inhérente à la jurisprudence plaide en faveur du maintien de cette vieille distinction.
Cependant, diverses solutions jurisprudentielles ont été élaborées pour contourner ce qu'on a appelé la [TRADUCTION] «sévérité de la règle de l'erreur de droit». Dans certains cas, les tribunaux ont choisi de classer l'erreur parmi les erreurs de fait plutôt que les erreurs de droit (voir l'affaire Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326) ou ils ont conclu qu'il s'agissait d'un type d'erreur de droit se rapportant à des droits privés plutôt qu'au droit en général, c'est-à-dire aux lois ordinaires du pays (voir l'af- faire Cooper v. Phibbs (1867), L.R. 2 H.L. 149). Les tribunaux ont également pris en considération la conduite du défendeur relativement à la transac tion erronée (voir la décision Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [ 1960] A.C. 192 (H.L.), et la jurisprudence inspirée de l'affaire Kiriri qui sem- blait établir que lorsque les parties ne sont pas «parties à un acte illégal» (sur un pied d'égalité), les sommes versées en raison d'une erreur de droit peuvent être recouvrées). Lord Denning a fait le commentaire suivant dans la décision Kiriri, à la page 204:
[TRADUCTION] En réalité, on prétend qu'une somme payée en raison d'une erreur de droit seulement, sans plus, ne peut être recouvrée. Le lord juge James l'a souligné dans l'affaire Rogers v. Ingham [(1876), 3 Ch. D. 351, 355]. S'il y a plus qu'une erreur de droit (s'il ressort de la conduite du défendeur que c'est lui qui est le premier responsable de l'erreur), alors la somme peut être recouvrée. Ainsi, si entre eux, l'obligation d'observer la loi incombe à l'un plutôt qu'à l'autre (si elle lui incombe spécialement pour la protection de l'autre), ils ne sont pas alors parties à un acte illégal et la somme peut être
recouvrée; voir Browning v. Morris [(1778), 2 Cowp. 790, 792], motifs de lord Mansfield. De même, si la responsabilité de l'erreur incombe plus à l'un qu'à l'autre (parce qu'il a induit l'autre en erreur alors qu'il aurait être plus prudent), encore ils ne sont pas parties à un acte illégal et la somme peut être recouvrée; voir Harse v. Pearl Life Assurance Co. [ 1904 1 K.B. 558, 564], motifs du lord juge Romer. Ces propositions sont conformes aux principes formulés par lord Mansfield au sujet de l'action pour enrichissement sans cause.
Dans les motifs de dissidence (page 367), le juge Dickson (alors juge puîné) a écrit dans l'arrêt Hydro Electric Commission of Nepean que le principe de l'arrêt Kiriri permet à une partie de se prévaloir d'une loi protectrice «et de recouvrer une somme payée en raison d'une erreur de droit lors- que la «loi» en question vise à protéger ses intérêts».
Arrêt Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, précité:
Bien que divers arguments puissent être invo- qués pour contourner la «règle de l'erreur de droit», il reste que par une décision majoritaire, la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nepean Hydro a préservé la distinction traditionnelle établie entre le recouvrement d'une somme payée en raison d'une erreur de droit et celui d'une somme payée en raison d'une erreur de fait. Dans cette affaire, la municipalité de Nepean avait contesté des fac- tures de l'Ontario Hydro en faisant valoir que la demande de paiement n'était pas permise en vertu de la loi. Nepean n'avait aucune obligation légale, morale ou autre d'effectuer ces paiements. Toute- fois, Ontario Hydro avait exigé ces paiements et la municipalité avait payé par erreur.
Les motifs majoritaires et minoritaires méritent d'être examinés car ils comportent une analyse approfondie des règles relatives au recouvrement des paiements effectués en raison d'une erreur de droit.
Décision majoritaire: La majorité était d'accord avec la décision des tribunaux inférieurs. Les juges ont décidé que les paiements n'étaient pas autori- sés par la loi et que les sommes avaient été versées en raison d'une erreur de droit commune. S'expri- mant au nom de la majorité, le juge Estey a conclu à la page 411:
L'erreur de droit [TRADUCTION] «sans plus» (selon les termes de lord Denning dans l'arrêt Kiriri, précité, à la p. 204) peut faire allusion à la nécessité de conclure à l'existence de con- trainte ou à l'illégalité pour donner droit au recouvrement
quand il y a erreur de droit commune. Lorsqu'il y a contrainte, le recouvrement est permis puisque le paiement n'est pas volon- taire et il n'y a aucune raison de présumer, simplement parce qu'il y a eu paiement, que le demandeur a abandonné son droit de recouvrer les sommes qu'il a payées par suite d'une con- trainte de fait. Dans le cas d'une opération illégale, on applique le concept des parties à un acte illégal pour décider du droit au recouvrement. En l'absence de l'un ou l'autre de ces éléments, la condition »s'il y a plus qu'une erreur de droit» fait défaut et la règle relative à l'erreur de droit commune s'applique pour refuser le recouvrement.
Le droit applicable à l'opération en l'espèce est non pas celui qui s'applique au recouvrement de paiements effectués sous contrainte ou au recouvrement de sommes payées aux termes d'une opération illégale, mais plutôt le droit qui s'applique au recouvrement de sommes versées en raison d'une erreur de droit commune qui s'est produite en l'absence de l'un ou l'autre des deux autres éléments. Ainsi les règles du recouvrement qui s'appliquent dans le cas de l'illégalité et de la contrainte ne sont pas pertinentes. Dans ces circonstances, les exceptions relatives aux opérations illégales sont inapplicables. Le principe de l'er- reur de droit empêche donc le recouvrement des sommes ver sées par l'appelante.
Aux pages 395 398 du jugement rendu par le juge Estey, celui-ci examine les principes énoncés dans l'affaire Kiriri qui permettaient le recouvre- ment lorsque le paiement a été fait en raison d'une erreur de droit:
1) De par sa conduite, le défendeur est le premier responsable de l'erreur;
2) Entre eux, l'obligation d'observer la loi incombe à l'un plutôt qu'à l'autre;
3) L'obligation d'observer la loi incombe à l'un pour la protection de l'autre.
À la page 399, il déclare que même en supposant que le droit applicable est celui énoncé dans l'arrêt Kiriri, précité, l'appelante n'a pas établi que ce droit lui est applicable, et par conséquent, les principes généraux de l'erreur de droit s'appli- quent. En fait, le juge Estey ne croyait pas que les principes énoncés dans l'arrêt Kiriri, précité, s'ap- pliquaient au cas dont était saisie la Cour et il a fondé sa décision sur d'autres motifs. Il dit à la page 400:
Comme je l'ai déjà souligné, le Comité judiciaire du Conseil privé a, dans l'arrêt Kiriri, précité, prétendu puiser dans les décisions rendues par lord Mansfield entre 1760 et 1780 la source du changement du droit général applicable au recouvre- ment des sommes versées par suite d'une erreur de droit. Voici les arrêts qui ont été mentionnés directement ou indirectement: Smith v. Bromley (1760), 2 Doug. 696; 99 E.R. 441 (in notis); Browning v. Morris (1778), 2 Cowp. 790; 98 E.R. 1364; Lowry
and Another v. Bourdieu (1780), 2 Doug. 468; 99 E.R. 299. Toutefois, ces décisions ont trait à la règle invoquée dans les actions en recouvrement des sommes payées aux termes d'une opération illégale.
Il poursuit à la page 407:
Dans le cadre de leurs activités respectives en vertu de la Loi, l'appelante et l'intimée ont participé au programme antérieur à 1966 et à celui en vigueur après 1966. Chacune a cru à tort que cette loi autorisait le programme. Les principes juridiques applicables aux droits des parties à des opérations illégales ne s'appliquent pas parce qu'ils se rapportent à des opérations contraires à l'ordre public ou interdites par la loi. Ce n'est évidemment pas le cas en l'espèce. Il s'agit ici d'actes non autorisés et d'une erreur commune relative à ces actes. La règle de l'erreur commune s'applique parce qu'une erreur commune s'est produite en l'espèce. Nulle exception à la règle générale qui interdit de recouvrer les sommes versées dans le cadre d'une opération illégale lorsque les parties ne sont pas parties à un acte illégal ne s'applique en l'espèce parce qu'aucune partie n'a commis un délit ni aucun méfait au sens d'un acte contraire à une loi ou à l'ordre public.
Par conséquent, selon le juge Estey, les principes applicables à l'erreur de droit et à l'illégalité sont distincts. Donc, le demandeur qui a effectué un paiement par suite d'une erreur de droit (unique- ment) ne pourrait pas invoquer la participation à une opération illégale puisque cet argument n'est valable que dans les cas d'illégalité du contrat, et non lorsqu'il y a eu simplement erreur commune. Cependant, le juge Estey précise bien qu'il y a deux situations dans lesquelles les paiements effec- tués en raison d'une erreur de droit peuvent être recouvrées, à savoir:
1) les paiements ont été effectués par contrainte car ils n'étaient pas volontaires;
2) les paiements étaient illégaux ou contraires à la loi parce que les parties n'étaient pas parties à une opération illégale.
Dans l'arrêt Nepean Hydro, le juge Estey a décidé que les circonstances de l'affaire ne corres- pondaient ni à l'une ni à l'autre de ces situations. Il fallait donc appliquer la règle de l'erreur commune.
Dans la cause dont je suis saisi, les parties ont convenu que le paiement des droits de douane n'a pas été effectué par contrainte. Par conséquent, les commentaires du jùge Estey à la page 408 ne seraient d'aucune utilité à la demanderesse. En fait, le juge Estey a affirmé avec netteté que si les paiements avaient été faits par contrainte, les sommes auraient été recouvrables, abstraction
faite de toute erreur de droit. Essentiellement, la présence d'une erreur de droit dans un cas de contrainte ne serait pas pertinente. (Pour une autre affaire portant sur la possibilité de recouvrer un paiement effectué en raison d'une erreur de droit et sous la contrainte, voir Peel (municipalité régionale) c. Canada, [1987] 3 C.F. 103 (P» inst.)).
Comme il a été mentionné précédemment, le juge en chef suppléant Carnwath dans l'affaire Re Kasprzycki and Abel, précitée, a examiné la ques tion de savoir si des sommes payées par suite d'une erreur de droit pouvaient malgré tout être recou- vrées en raison d'une situation de fait particulière. Le juge en chef suppléant a décidé que les paie- ments faits par le locataire à la suite d'une aug mentation de loyer, nulle en vertu de la loi, ont été versés en raison d'une erreur de droit. Cependant, ces paiements étaient recouvrables parce qu'ils avaient été effectués en vertu d'un contrat illégal et que les parties contractantes n'étaient pas par ties à une opération illégale. Le juge Carnwath a fait remarquer que la Landlord and Tenant Act [R.S.O. 1980, chap. 232] avait été adoptée pour la protection des locataires. Le locataire faisait donc partie de la catégorie de personnes à protéger qui sont visées par l'affaire Kiriri.
Motifs du juge Dickson, dissident: Dans les motifs de dissidence, le juge Dickson (alors juge puîné), a examiné en détail les nombreuses exceptions au principe général selon lequel les sommes payées en raison d'une erreur de droit ne sont pas recouvra- bles. Le juge Dickson a exprimé l'avis que la distinction établie entre l'erreur de droit et l'erreur de fait était dénuée de sens, et que les sommes reçues devraient être remboursées si, en applica tion des principes de l'équité, il serait injuste de les retenir. Dans l'affaire dont était saisie la Cour, le juge Dickson a souligné que l'honnêteté et la simple justice exigeaient que la défenderesse rem- bourse la demanderesse. Il a fait le commentaire suivant aux pages 367 et 368:
Enfin, l'apport judiciaire le plus important dans le domaine de l'erreur de droit n'est pas une exception ni une restriction à la règle, mais plutôt la réapparition, dans la jurisprudence anglaise et canadienne, de la doctrine de la restitution ou de l'enrichissement illégitime (ou injustifié). L'arrêt Fibrosa et, en particulier, les motifs de lord Wright ont marqué le [TRADUC- TION] «retour moderne de la restitution comme système souple et de plus en plus répandu» (Waddams, The Law of Contracts
(1977), à la p. 213, n. 6). Une fois admise la doctrine de la restitution ou de l'enrichissement illégitime, la distinction entre l'erreur de droit et l'erreur de fait perd simplement tout son sens.
Dans l'arrêt Corporation of the County of Carleton c. Cor poration of the City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663, cette Cour a appliqué la doctrine de la restitution ou de l'enrichissement illégitime. Dans cette affaire, le comté de Carleton avait par erreur payé l'entretien d'un indigent et, conformément à un règlement et à une entente, la responsabilité de cet entretien incombait en réalité à la ville d'Ottawa. On n'a pas mentionné l'existence d'une erreur de droit (la responsabilité en vertu du règlement ou de plusieurs ententes en matière d'aide sociale) ou d'une erreur de fait (le procureur du comté de Carleton avait négligé d'inscrire le nom de cet indigent sur la liste des bénéfi- ciaires de l'aide sociale fournie à la ville d'Ottawa). L'action a été intentée et décidée conformément à la doctrine de la restitution. En citant l'énoncé de lord Wright dans l'arrêt Fibrosa, le juge Hall a conclu ce qui suit, à la p. 669:
[TRADUCTION] L'intimée [la ville d'Ottawa], du fait de l'annexion et aux termes de ladite pièce 11, par. 10, a assumé les obligations d'aide sociale de l'appelant [le comté de Carleton] envers les résidents de la zone annexée, et le fait que le nom d'un bénéficiaire de l'aide sociale ait été omis de la liste par inadvertance ne permet pas à l'intimée de se dégager de sa responsabilité à l'égard de ce bénéficiaire. Pour reprendre les termes de lord Wright, il serait moralement inacceptable qu'elle puisse le faire.
Y a-t-il donc une autre méthode pour «passer sous silence» l'erreur de droit et statuer en appliquant la doctrine de l'enrichissement sans cause? Bien que j'aie tendance à être d'accord avec le juge Dickson pour dire qu'une fois admise la doctrine de l'enri- chissement sans cause, cette distinction entre l'er- reur de droit et l'erreur de fait perd tout son sens, j'estime néanmoins que puisque les parties ont convenu que le paiement avait été effectué en raison d'une erreur de droit, la question doit être abordée d'une façon ou d'une autre, compte tenu surtout de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nepean Hydro, précité.
Fait intéressant, dont l'importance ne saurait être négligée, le juge Estey ne rejette pas expressé- ment la position prise par la minorité dans l'arrêt Nepean Hydro au sujet des principes de l'enrichis- sement sans cause. Il précise bien à la page 412 que la question n'a pas été soulevée. À la page 413, il dit ce qui suit:
Aucune n'a le pouvoir d'«accumuler» des surplus d'actifs ou de ressources. Le concept de l'enrichissement illégitime ne peut être facilement associé à ces rapports.
L'enrichissement sans cause:
Le principe de l'enrichissement sans cause est pour le moins vague. L'analyse de ce principe commence d'ordinaire avec la décision rendue par la Cour d'appel anglaise dans l'affaire Brook's Wharf and Bull Wharf Ld. v. Goodman Brothers, [1937] 1 K.B. 534 (C.A.). Dans cet arrêt, la demanderesse a été autorisée à recouvrer des droits de douane qu'elle avait payés à l'égard de fourru- res importées par la défenderesse. Lord Wright a examiné la doctrine de la restitution et il a dit à la page 545 qu'entre la demanderesse et la défende- resse, l'obligation ne découlait pas du contrat mais plutôt:
[TRADUCTION] La Cour impose l'obligation simplement en raison des circonstances de l'affaire et de ce qu'elle considère être juste et raisonnable, eu égard aux rapports entre les parties.
Comme je l'ai souligné précédemment, la Cour suprême du Canada a cité et appliqué cet extrait dans l'arrêt County of Carleton v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663; 52 D.L.R. (2d) 220.
Quelques années plus tard, lord Wright a fait une observation, maintes fois reprises depuis, dans l'arrêt Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe, Barbour Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.), à la page 61:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'enri- chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep- table de garder ou de conserver. Ces recours en droit anglais sont génériquement différents de ceux qui sont propres aux contrats ou aux délits, et ils appartiennent maintenant à une troisième catégorie du common law appelée quasi-contrat ou restitution.
Dans l'arrêt Nicholson v. St. Denis et al. (1975), D.L.R. (3d) 699 (C.A. Ont.), (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée [[1975] 1 R.C.S. x]), le juge d'appel MacKinnon a fait des commentaires judicieux (page 701) sur les termes employés par lord Wright et sur la doctrine de l'enrichissement sans cause:
[TRADUCTION] Le juge de première instance a reconnu que les termes de ce passage sont extrêmement vagues et généraux, mais il a estimé que la Cour ne devait pas tenter de les préciser. L'avocat du demandeur s'est dit d'avis devant la présente Cour que ces termes signifiaient réellement qu'il revient entièrement à chaque juge de décider s'il estime que les circonstances justifient d'accorder le moyen de redressement qu'est l'enrichis- sement sans cause.
Si cette assertion exprimait la doctrine, alors à ce cheval fougueux qu'est l'intérêt public viendrait se joindre un coursier aux tendances encore plus imprévisibles. Le droit de l'enrichis- sement sans cause, qu'il serait plus exact d'appeler la doctrine de la restitution, s'est développé pour prévoir un redressement dans les cas il serait injuste, dans les circonstances, de permettre à un défendeur de conserver un avantage que le demandeur lui a octroyé à ses dépens. Cela ne signifie pas qu'il y aura restitution dans les cas d'enrichissement d'une personne et d'appauvrissement d'une autre. Certaines règles se sont élaborées au cours des ans pour guider le tribunal lorsqu'il détermine si cette doctrine s'applique dans un cas particulier.
Il est difficile de concilier toute la jurisprudence sur la restitution et il serait, à toutes fins, inutile d'essayer de le faire. On peut dire, toutefois, que dans presque tous les cas, les faits ont établi qu'il existait un rapport particulier entre les parties, le plus souvent un lien contractuel au départ, qui rendait injuste pour le défendeur de conserver l'avantage que lui avait accordé le demandeur—un avantage, faut-il le préciser, qui n'a pas été accordé «officieusement». Par ailleurs, ce rapport est habituelle- ment, mais pas toujours, marqué par deux caractéristiques: premièrement, la connaissance de l'avantage de la part du défendeur, et deuxièmement, une demande expresse ou tacite du défendeur pour obtenir l'avantage, ou un acquiescement à son exécution.
Donc, le juge d'appel MacKinnon a associé les caractéristiques suivantes à la doctrine de la restitution:
1) l'existence d'un rapport particulier entre les parties, le plus souvent un lien contractuel au départ;
2) la connaissance de l'avantage de la part du défendeur;
3) une demande, expresse ou tacite, du défendeur pour obtenir l'avantage, ou un acquiescement à son exécution.
Dans l'affaire Nicholson, un entrepreneur (deman- deur) avait effectué des améliorations à un édifice à la demande de l'occupant, qui était en possession des lieux en vertu d'une promesse d'achat. L'entre- preneur croyait à tort que l'occupant était proprié- taire de l'édifice. Après l'exécution des travaux, l'occupant n'a pas respecté l'entente ni la promesse d'achat. Le propriétaire (défendeur) a repris pos session de l'édifice, et l'entrepreneur a essayé de récupérer les sommes impayées en invoquant l'en- richissement sans cause du propriétaire. La Cour d'appel a décidé que le principe de l'enrichissement sans cause ne s'appliquait pas dans cette affaire. Aucune entente n'avait été conclue avec le défen- deur et il n'y avait pas de rapport entre lui et le
demandeur. Le défendeur n'avait pas encouragé les travaux et il n'était coupable d'aucune faute. En outre, le demandeur n'avait pris aucune mesure pour vérifier les titres de propriété ni protéger ses droits en vertu de la Mechanics' Lien Act [R.S.O. 1970, chap. 267].
Après avoir cité le juge d'appel MacKinnon dans l'affaire Nicholson, le juge Muldoon dans la décision McLaren c. La Reine, [1984] 2 C.F. 899 (ire inst.), a décrit le «rapport particulier» aux pages 905 et 906 dans les termes suivants:
Quel est ce rapport particulier? Il peut s'agir d'un lien contractuel, de fiducie ou d'un lien matrimonial. 11 peut s'agir d'un accord fortuit ou d'un contrat inexécutable. Ce rapport semble être la condition sine qua non de la réussite, mais il n'est pas une garantie de la réussite. Le rapport particulier est présent dans toutes les affaires citées par l'avocat les deman- deurs ont eu gain de cause, sauf dans deux cas. C'est le lien essentiel qui existe entre les paroles et la conduite du défendeur et l'octroi de l'avantage par le demandeur dans les affaires suivantes: [Le juge Muldoon cite ici dix affaires].
L'enrichissement sans cause a été invoqué dans d'autres affaires, et cet argument a échoué lorsque les tribunaux n'ont trouvé aucun lien ou rapport particulier, ou aucun lien suffi- sant, entre les parties. Dans cette catégorie, notons les déci- sions: Nicholson v. St-Denis et al. ((1975) 51 D.L.R. (3d) 699 (C.A.Ont.)); Ledoux v. Inkman et al., ([1976] 3 W.W.R. 430 (C.A.C.-B.)); Norda Woodwork & Interiors v. Scotia Centre Ltd. ([1980] 3 W.W.R. 748 (C.B.R. Alb.)).
Le juge Muldoon a décidé, étant donné l'absence de tout rapport particulier et étant donné la preuve produite, que l'action de la demanderesse fondée sur l'enrichissement sans cause ne pouvait être accueillie. Selon le juge Muldoon, l'élément déter- minant dans la cause dont il était saisi était l'ab- sence de tout rapport particulier entre les parties.
Dans l'affaire McLaren, précitée, un «rancher», ci-après appelé «l'occupant», avait hypothéqué sa terre en faveur de la Banque d'expansion indus- trielle. Celle-ci a exercé son droit de saisie. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord cana- dien s'est porté acquéreur du titre de propriété. L'occupant a engagé des procédures judiciaires en vue de racheter les terres. Il a obtenu la permission de demeurer en possession de fait pendant les poursuites. C'est au cours de cette période que les demandeurs ont fourni des semences et des servi ces pour les semailles. Les demandeurs ont intenté contre Sa Majesté une action en recouvrement de la valeur de ces semences et services en invoquant le mandat d'urgence ou l'enrichissement sans cause.
À la lumière des causes précitées, il semblerait que pour obtenir gain de cause dans une action fondée sur l'enrichissement sans cause, le deman- deur doive d'abord convaincre la Cour qu'un rap port particulier existait entre lui et le défendeur. Cependant, si l'existence de ce rapport ne peut être établie, l'affaire Greenwood v. Bennett, [1972] 3 All E.R. 586 (C.A.) montre qu'une action fondée sur l'enrichissement sans cause peut réussir malgré l'absence d'un rapport particulier. À la lecture de l'exposé conjoint des faits, j'estime qu'une distinc tion peut facilement être établie avec l'affaire Greenwood, et comme l'a dit le juge Muldoon dans la décision McLaren à la page 907:
Cet arrêt [Greenwood] étend le principe au-delà du cas d'un rapport particulier. S'il représente l'état de la common law au Canada, ce qui est fort douteux, cet arrêt n'est néanmoins pas applicable en l'espèce.
Il convient de noter que les tribunaux ont abordé la question de l'enrichissement sans cause en se fondant sur diverses prémices. La façon de traiter la question ne semble pas limitée.
Dans la décision More (James) & Sons Ltd. v. University of Ottawa (1974), 49 D.L.R. (3d) 666 (H.C. Ont.), le juge Morden, à la page 676, cite l'ouvrage intitulé Law of Restitution (1966) de Goff et Jones:
[TRADUCTION] Ce principe [enrichissement sans cause] «pré- suppose trois choses: premièrement, le défendeur a été enrichi en recevant un avantage; deuxièmement, cet enrichissement s'est effectué aux dépens du demandeur; et troisièmement, il serait injuste de lui permettre de conserver l'avantage».
Le juge Morden a appliqué les principes susmen- tionnés aux faits de l'espèce et il a décidé que la demanderesse avait droit à la restitution parce que la défenderesse aurait été injustement enrichie si elle avait été autorisée à conserver la partie des taxes payées par la demanderesse mais non inclu- ses dans le prix contractuel. La demanderesse, entrepreneur de construction, avait signé un. con- trat avec l'Université d'Ottawa pour la construc tion d'un édifice. Aux termes de ce contrat, une réduction des taxes imposées sur les matériaux de construction devait profiter à l'Université. Cepen- dant, le contrat était silencieux sur la répartition des augmentations de taxes. La taxe de vente provinciale a été abolie mais en même temps une taxe fédérale additionnelle a été imposée sur les matériaux de construction. En vertu du contrat, l'entrepreneur devait transmettre la réduction de
taxe provinciale à l'Université. Cependant, il était quand même tenu de payer la taxe fédérale addi- tionnelle. En application de l'article 47A de la Loi sur la taxe d'accise [S.C. 1963, chap. 12, art. 6 (mod. par S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 46)], l'Université a demandé et reçu du gouvernement fédéral un remboursement fiscal fondé sur la taxe supplémentaire payée par l'entrepreneur. La demande de recouvrement des taxes payées était fondée sur l'enrichissement sans cause. Le juge Morden a fait les commentaires suivants aux pages 676 et 677:
[TRADUCTION] À mon humble avis, les faits en l'espèce établis- sent manifestement le droit au recouvrement de la demande- resse en vertu de la doctrine de la restitution. Sans aucun doute, la défenderesse s'est enrichie en recevant un avantage (la somme de 9 094,54 $). J'ai employé le mot enrichie parce que ce paiement constitue pour la défenderesse un profit ou une aubaine. L'avantage n'a aucune commune mesure avec un remboursement. Deuxièmement, cet enrichissement s'est effec- tué aux dépens de la demanderesse. Théoriquement, la défende- resse a reçu l'argent de la demanderesse et le conserve. Aux termes exprès de l'article 47A de la Loi sur la taxe d'accise, avant que le remboursement de la taxe ne puisse être effectué, il faut que «la taxe imposée par la Partie VI a[it] été payée à l'égard de ces matériaux». La demanderesse a bel et bien payé cette taxe. N'eût été ce paiement, la défenderesse n'aurait pas reçu les sommes du gouvernement. Elle tire directement avan- tage du paiement effectué par la demanderesse. A mon avis, il ne fait aucun doute qu'il est injuste que la défenderesse con serve l'avantage. L'obligation que la loi fait peser sur la défen- deresse ne découle pas de la Loi sur la taxe d'accise mais du principe de l'enrichissement sans cause.
En revanche, dans la décision Institut canadien des mines et de métallurgie c. Canada, T-898-78, jugement en date du 11-4-85, C.F. ire inst., non publié, le juge Rouleau a fait remarquer à la page 6 que pour réussir dans une action fondée sur l'enrichissement sans cause, «le demandeur doit persuader la Cour qu'il y a un enrichissement de la part de la défenderesse, une perte qui en découle et qui s'y rattache subie par le demandeur et l'ab- sence de justification juridique pour l'enrichisse- ment de l'un au détriment de l'autre».
Il s'agissait d'une action en recouvrement de sommes payées entre 1969 et 1975 par le deman- deur en sus du tarif du courrier de seconde classe. Pendant les années en question, le maître de poste avait décidé que le tarif inférieur, soit celui du courrier de seconde classe, ne s'appliquait pas aux périodiques du demandeur. Cependant, en 1975, le demandeur a réussi à convaincre le maître de poste du contraire. Le juge Rouleau a conclu qu'il
n'existait entre les parties aucune obligation con- tractuelle susceptible de servir de fondement à la demande. Quant à l'enrichissement sans cause invoqué, il a décidé que le troisième élément néces- saire à l'application de la doctrine, soit l'absence de justification juridique, faisait défaut en l'espèce.
Enfin, le juge Strayer, dans l'arrêt Peel (munici- palité régionale), précité, a déclaré à la page 117 ce qui suit: «l'affaire Deglman, l'affaire County of Carleton et le jugement dissident rendu dans l'af- faire Nepean (qui n'a pas été rejeté quant au fond par la majorité mais qu'on a estimé ne pas s'appli- quer à cette affaire) indiquent tous qu'au Canada il existe maintenant un principe plus général et plus fondamental accordant un recours contre l'en- richissement sans cause, principe qui peut aller au-delà de ses origines anglaises et qui guide ou devrait guider tout jugement particulier dans ce domaine».
La doctrine:
L'avocat de la demanderesse a fait valoir ce qui suit:
[TRADUCTION] Selon la vaste majorité des auteurs, rien ne justifie le maintien de la distinction entre l'erreur de fait, qui donne droit au recouvrement d'une somme, et l'erreur de droit. Cette distinction est intenable. Elle est inutile, et les commenta- teurs ont été incapables de trouver un véritable fondement à son existence: voir l'affaire Nepean, motifs du juge Dickson, à la page 210; Klippert, Unjust Enrichment, à la page 152; S.M. Waddams, The Law of Contracts, (2' éd. 1984) la page 292.
J. R. Maurice Gautreau, c.r., dans un exposé érudit intitulé «The Renaissance of Restitution», prononcé au Mont Ste-Marie, le 23 octobre 1986, devant la Carleton Law Association, a notamment dit ce qui suit:
[TRADUCTION] INTRODUCTION
Le droit de la restitution renaît devant les tribunaux cana- diens. Qu'il s'agisse de supprimer un enrichissement sans cause ou d'imposer une obligation fiduciaire, nos tribunaux montrent une volonté et une assurance aussi réjouissantes qu'elles sont réfléchies. Il se peut que nous soyions entrés dans une nouvelle ère d'équité. [Non souligné dans le texte original.] Ce change- ment est bienvenu car le règne de l'absolutisme dans les domai- nes du commerce et des biens ne laissait pas beaucoup de place à des considérations d'équité et de morale. (Par exemple, voir Jirma Ltd. c. Mister Donut (1975) 1 R.C.S. 2 en matière contractuelle et Murdock (1975) 1 R.C.S. 423 en droit des biens.)
PRINCIPES DE BASE
Le droit de la restitution:
1. Est un domaine distinct du droit, indépendant de la res- ponsabilité délictuelle et des contrats;
2. Est un droit d'application générale et non de cas d'espèce;
3. Est fondé sur l'enrichissement sans cause qui en est le principe premier.
Il est particulièrement utile en raison de sa souplesse; en outre, le fardeau de la preuve est moins lourd et les redressements sont plus larges.
LA RESTITUTION EN GÉNÉRAL
L'action fondée sur la restitution présente des traits caracté- r4tiques qui la distinguent de l'action fondée sur la responsabi- lité délictuelle ou le droit contractuel. L'on reconnaît mainte- nant qu'elle appartient à une troisième catégorie en common law qu'on a autrefois appellée le quasi-contrat ou contrat tacite et que l'on désigne maintenant de façon plus exacte par les termes restitution ou enrichissement sans cause ... Je veux faire ressortir ici que l'action en restitution a une existence propre, il n'est pas nécessaire de la formuler de façon qu'elle corresponde à un quasi-contrat ou à une quasi-fiducie.
Le principe fondamental de cette action est l'obligation imposée par les liens de la justice naturelle et de l'équité. Elle a pour objet d'empêcher une personne de conserver un profit ou un avantage obtenu d'une autre dans des circonstances il serait contraire à la justice et à la morale que la personne soit autorisée à le conserver.
Les catégories de la restitution ne sont jamais exhaustives. C'est un droit d'application générale qui n'est pas confiné à des cas d'espèces. Nous n'avons donc pas à présenter la demande sous le titre du «quantum meruit» ni d'action «pour deniers retenus» ...
M. le juge La Forest, alors juge de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, a rédigé le jugement de la Cour portant sur la restitution dans l'affaire White v. Central Trust Co. (1984) 7 D.L.R. (4th) 236. Traçant à grands traits les principes en cause, ce jugement érudit arrive à point parce qu'il éclaire ce domaine du droit et le remet dans son contexte. Le juge a déclaré que les catégories bien connues de l'enrichissement sans cause doivent être regardées comme des exemples clairs du principe plus général qui les transcende. En ce qui concerne l'enrichissement sans cause, nous sommes actuellement au même point qu'en ce qui a trait à la négligence. Nous préférons depuis quelque temps invoquer une obligation généralisée de diligence envers autrui plutôt que des obligations particulières. Le principe de l'enrichissement sans cause a été créé par le droit pour résoudre des cas d'injustice flagrante, et des détails tels que la question de savoir si une opération particulière donnant ouverture à la restitution découle d'un contrat ou non ne sauraient y faire obstacle. Ce principe transcende ces distinctions.
L'ENRICHISSEMENT SANS CAUSE
D'ordinaire, trois éléments sont nécessaires pour invoquer
l'enrichissement sans cause:
a) un enrichissement;
b) un appauvrissement correspondant;
c) l'absence de justification juridique pour l'enrichissement (Sorochan c. Sorochan C.S.C. 31 juillet 1986, non publié [publié depuis à [1986] 2 R.C.S. 38]).
Ces exigences sont assez évidentes. L'avantage et l'appau- vrissement sont de simples questions de fait. La justification juridique de la conservation de l'avantage peut être aussi simple que l'intention de faire un cadeau ou l'existence d'une obliga tion, contractuelle ou autre, de donner l'avantage.
LA SOUPLESSE
La souplesse est un élément clé dans le domaine du droit de la restitution ou de l'enrichissement sans cause. Dans l'affaire Sorochan, précitée, la Cour suprême a répété ce qu'elle avait dit dans l'arrêt Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, aux pages 850-851:
Le principe d'equity sur lequel repose le recours à la fiducie par interprétation est large et général; son but est d'empêcher l'enrichissement sans cause dans toutes les circonstances il se présente.
EXEMPLES RÉCENTS
Les affaires Sorochan et White v. Central Trust Co. sont deux bon exemples de l'approche canadienne moderne. [Non souligné dans le texte original.] Elles montrent la flexibilité des principes de la restitution.
Dans la décision White v. Central Trust Co., Mearle Smith réclamait aux enfants de sa femme certaines valeurs mobilières qu'il avait données à leur mère, qui, à son tour, les avait léguées par testament à ses enfants. M. Smith prétendait qu'elles lui appartenaient. Il a demandé qu'ils les lui remettent, ce que les enfants ont fait. Il était entendu que ceux-ci seraient désignés comme légataires dans le testament de M. Smith. En lui remettant les valeurs mobilières, les enfants ont également signé une mainlevée en faveur de la succession de leur mère et de M. Smith à titre d'exécuteur testamentaire. A son décès, les enfants n'étaient pas bénéficiaires en vertu de son testament; Ils ont intenté une action contractuelle et pour deniers retenus. Le juge de première instance a décidé qu'il n'y avait aucun contrat et, qu'en outre, ils avaient signé une mainlevée.
La Cour d'appel n'était pas aussi certaine qu'il n'y avait pas de contrat (le juge de première instance avait conclu à l'absence de l'intention nécessaire) mais, de toute façon, elle a statué sur la demande en application des principes de l'enrichissement sans cause.
Le juge d'appel La Forest a rendu le jugement de la Cour sur la question de l'enrichissement sans cause. (Le juge d'appel Angers a souscrit au jugement mais il a rédigé des motifs supplémentaires portant sur l'inopposabilité de la mainlevée. Il a décidé que la succession de la mère était libérée mais que la réclamation contre M. Smith n'était pas éteinte).
Selon le juge d'appel La Forest, la demande de restitution fondée sur l'enrichissement sans cause n'était pas subordonnée à l'existence ou à l'absence d'un contrat. A cet égard, il a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] ... le principe de l'enrichissement sans cause a été créé par le droit pour résoudre des cas d'injustice flagrante, et on ne saurait y faire obstacle par des subtilités du langage en se demandant si une opération particulière,
donnant ouverture à la restitution, découle ou non d'un contrat. Le principe transcende de telles distinctions. En effet, les moyens de procédure qui ont précédé la restitution et que l'on retrouve dans les premières causes d'action en common law, ont encadré des classifications plus récentes comme celle des contrats ...
Il a ajouté:
Comme j'ai tenté de le montrer, les catégories bien connues de l'enrichissement sans cause doivent être considérées comme des exemples claires du principe plus général qui les transcende. Nous sommes actuellement à l'égard de l'enri- chissement sans cause dans la même situation que nous étions au sujet de la négligence, domaine dans lequel nous avons abandonné le recours à des obligations particulières en faveur d'une obligation généralisée envers autrui, bien que cette évolution ne soit pas aussi avancée dans le cas de la restitution.
Les faits de l'affaire White présentaient des similitudes avec les catégories d'enrichissement sans cause précédemment recon- nues mais ils ne correspondaient exactement à aucune d'entre elles. Mais cette situation ne devait pas faire échouer la demande.
Il ressort clairement du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sorochan, précitée, que les règles de forme ne valent pas dans les cas d'enrichissement sans cause et que les principes appliqués sont larges, généraux et souples.
CONCLUSIONS
Le premier point en litige:
Sur ce point, je conclus que le droit canadien évolue vers une renaissance ou une plus grande utilisation des règles du droit relatives à la restitu tion et fondées sur l'enrichissement sans cause. L'enrichissement sans cause choque notre sens de la justice. Les règles du droit relatives à la restitu tion «sont particulièrement utile[s] en raison de [leur] souplesse; en outre, le fardeau de la preuve est moins lourd et les redressements sont plus larges» (Gautreau, précité). Elles sont conforme aux convictions exprimées par lord Wright dans l'arrêt Fibrosa, précité la page 611:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'enri- chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep- table de garder ou de conserver.
Il ne fait aucun doute que la doctrine de l'enrichis- sement sans cause soit fermement enchassée et acceptée dans le droit canadien. Voir, Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe, Barbour Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.); Deglman v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725, aux pages 734 et 735; [1954] 3 D.L.R. 785, aux pages 794-795;
County of Carleton v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663, aux pages 668 et 669; 52 D.L.R. (2d) 220, aux pages 224 et 225; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S 834, aux pages 847 et 849; 117 D.L.R. (3d) 257, aux pages 273 275; White et al. v. Canada Central Trust Co. et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 236 (C.A.N.-B.), aux pages 241 à 247.
Ne pas reconnaître les règles du droit relatives à la restitution et fondées sur l'enrichissement sans cause, c'est faire abstraction de l'equity et des recours fondés sur cette notion. À mon avis, le droit anglais est beaucoup plus strict que les règles du droit canadien sur ce point, ce qui est tout à l'honneur de la jurisprudence canadienne qui a admis cette solution reconnue en equity.
Je serais plus circonspect dans mes conclusions si le juge Estey avait rejeté les motifs de dissidence dans l'arrêt Nepean, précité. Cependant, ses com- mentaires à ce sujet la page 412] méritent d'être rappelés:
Depuis que j'ai rédigé ces motifs, j'ai eu l'occasion de lire les motifs de mon collègue le juge Dickson. L'argument principal de l'appelante portait sur la question de savoir si les parties à l'erreur de droit étaient parties à un acte illégal. L'enrichisse- ment illégitime n'est mentionné dans son mémoire qu'en ce qui a trait à l'argument selon lequel l'appelante et l'intimée ne sont pas parties à un acte illégal. Au cours des plaidoiries, l'appe- lante a déclaré, en réponse à une question de la Cour, qu'elle ne fondait pas son appel sur l'abolition de la distinction en droit de l'erreur de fait et l'erreur de droit et qu'elle ne réclamait pas cette abolition dans son appel. En fait, la règle était acceptée et, dans son argument, l'appelante cherchait à faire appliquer la règle de la même manière que, selon elle, cette Cour l'a fait dans l'arrêt Eadie c. The Township of Brantford, précité. En conséquence, mes motifs se limitent à l'application de la doc trine de l'erreur de droit telle qu'elle a été plaidée.
Avant l'affaire Nepean, la Cour suprême du Canada avait reconnu dans l'arrêt Carleton, pré- cité, le droit de recouvrer des sommes payées par erreur, en vertu de la doctrine de l'enrichissement sans cause. Même s'il s'agissait d'une erreur de fait dans l'affaire Carleton, le recouvrement a été fondé uniquement sur l'enrichissement sans cause.
L'opinion dissidente forte exprimée dans l'arrêt Nepean, qu'un auteur a qualifiée de tour de force, n'a pas été rejetée par la décision majoritaire, et elle fournit une base solide pour le redressement demandé en l'espèce.
Par conséquent, la demanderesse a droit de recouvrer le solde des sommes payées en droit de douane par erreur, soit 322 563,64 $, avec intérêts.
Le deuxième point en litige:
Le recouvrement est-il interdit en application de l'article 46 de la Loi sur les douanes? Cette disposition prévoit une méthode pour obtenir une nouvelle détermination ou estimation émanant d'un appréciateur fédéral. Elle permet un ultime appel au sous-ministre, après lequel un appel à la Cour fédéral est possible au sujet d'une question de droit. En l'espèce, les parties sont bien d'accord, elles admettent qu'il y a eu une erreur et que des droits de douanes excédentaires ont été payés.
La disposition en question prévoit un régime administratif, les règles de procédure devant être suivies pour recouvrer des sommes du Ministère. Elle n'interdit pas qu'une action fondée sur l'enri- chissement sans cause soit intentée. Si le Parle- ment avait eu l'intention d'exclure ce droit fonda- mental de poursuivre en justice, il l'aurait précisé de façon explicite dans la Loi. Comme les poursui- tes judiciaires ne sont pas interdites, la demande- resse a droit d'intenter cette action.
La demanderesse a droit aux dépens dans la présente action.
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