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T-165-85
Donald Alexander Leighton, et al. (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: LEIGHTON C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon— Vancouver, 24, 25, 26, 27 février 1987; Ottawa, 18 mai 1988.
Couronne Pratique Intérêt Intérêt avant jugement Les demandeurs ont eu gain de cause dans une action demandant le remboursement de montants injustifiés fixés par le ministre en vertu d'un bail L'art. 35 de la Loi sur la Cour fédérale interdit qu'un intérêt soit accordé contre la Couronne à moins que celui-ci ne soit prévu dans un contrat ou dans une loi La common law comporte ce même principe Cette situation n'est pas modifiée par l'art. 15 de fa Charte Le Parlement, en vertu de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, est habilité à limiter la responsabilité à laquelle est exposée la Couronne en soustrayant celle-ci à l'obligation de payer de l'intérêt.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité La Couronne échappe en vertu de la common law et d'une loi au paiement de l'intérêt sur les jugements pronon- cés par les tribunaux Cette situation n'est pas modifiée par l'art. 15 de la Charte L'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 n'est pas restreint par l'art. 15 de , la Charte puisqu'il s'agit de deux dispositions constitutionnelles de même force Les individus ne se voient pas garantir l'égalité avec la Couronne.
Les demandeurs ont réclamé des intérêts avant jugement à l'égard de remboursements dus conformément aux conditions établies par un bail visant des terres indiennes. L'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit qu'aucun intérêt ne sera accordé contre la Couronne en l'absence d'une disposition d'un contrat ou d'une loi exigeant un tel paiement. L'article 40 prévoit qu'un jugement porte intérêt à compter du moment le jugement est rendu. Les demandeurs se sont appuyés sur l'arrêt Zutphen Brothers Construction Ltd., dans lequel la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse [Division d'appel] a conclu que le paragraphe 15(1) de la Charte prévaut sur les paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui confèrent à la Division de première instance une compétence exclusive en ce qui concerne les poursuites intentées contre la Couronne. La Cour de Nouvelle-Ecosse a décidé que l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, selon lequel le Parle- ment peut conférer une compétence exclusive à la Cour fédé- rale, est restreint par l'article 15 de la Charte. Alors que la Couronne pouvait agir contre le sujet en Cour suprême, le sujet ne jouissait pas du même droit d'y poursuivre la Couronne, de sorte que la loi ne s'appliquait pas également au sujet. Les paragraphes 17(1) et (2) n'étaient pas sauvegardés par l'article 1 de la Charte. La question en litige est celle de savoir si l'article 15 de la Charte l'emporte sur l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale.
Jugement: aucun intérêt avant jugement ne peut être adjugé.
Le raisonnement tenu dans l'arrêt Zutphen comportait deux erreurs. En premier lieu, l'article 101 de la Loi constitution- nelle de 1867 n'est pas restreint par l'article 15 de la Charte puisque ce sont deux dispositions constitutionnelles qui jouent toutes deux sur le même plan et ont même force et effet: Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.). En second lieu, l'article 15 garantit l'égalité de tous les individus (le terme «individual» est utilisé dans la version anglaise de cet article). La Couronne n'est pas un individu.
L'article 35 est une disposition législative valide adoptée dans l'exercice du pouvoir conféré au Parlement par l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Aucun délit ou quasi-délit nécessitant l'application de la Loi sur la responsabilité de la Couronne n'est en cause, et l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale s'applique, de sorte que la Cour ne peut adjuger aucun intérêt avant jugement en l'absence d'une disposition à cet effet dans le contrat.
LOIS ET RÈGLEMENTS
An Act to amend The Education Act, S.O. 1986, chap. 21.
Bill 30, Education Amendment Act, 1986 (No. 2), 2d Sess., 33d Leg. Ont., 1986-87.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2a), 15, 29.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 17, 35, 40.
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Zutphen Brothers Construction Ltd. v. Dywidag Systems International, Canada Ltd. (1987), 35 D.L.R. (4th) 433 (C.A.N.-É.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148; R. v. Stod- dart (1987), 59 C.R. (3d) 134 (C.A. Ont.); Ominayak v. Norcen Energy Resources (1987), 83 A.R. 363 (Q.B.); Sheldrick c. La Reine, [1986] 1 C.F. 244; 25 D.L.R. (4th) 721 (1"° inst.); Guerin c. R., [1982] 2 C.F. 445 (1'» inst.); confirmée par [1984] 2 R.C.S. 335.
AVOCATS:
K. C. Mackenzie pour les demandeurs. Paul F. Partridge pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Guild, Yule, Lane, Sullivan, Mackenzie & Holmes, Vancouver, pour les demandeurs. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Les parties, par l'entre- mise de leurs avocats, sont convenues du texte du jugement en l'espèce, comme la Cour les avaient invitées à le faire dans ses premiers motifs de jugement, prononcés le 21 octobre 1987.
Ils n'ont pu, toutefois, s'entendre sur la question de savoir si chaque demandeur ayant gain de cause devrait ou non avoir droit à l'intérêt couru avant le jugement. Ce n'est pas une mince affaire pour les divers demandeurs, car il y a longtemps que, con- formément aux conditions du bail, ils payent les sommes supplémentaires injustifiées fixées par le ministre, pour lesquelles ils ont maintenant droit à un remboursement. Les demandeurs réclaments l'intérêt couru sur ces sommes. D'où ces seconds motifs.
Deux dispositions de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, sont intimement liées à la solution du litige. Ce sont:
35. Lorsqu'elle statue sur une demande contre la Couronne, la Cour n'accorde d'intérêt sur aucune somme qu'elle estime être due au demandeur, à moins qu'il n'existe un contrat stipulant le paiement d'un tel intérêt ou une loi prévoyant, en pareil cas, le paiement d'intérêt par la Couronne.
40. À moins qu'il n'en soit autrement ordonné par a Cour, un jugement, notamment un jugement contre la Couronne, porte intérêt à compter du moment le jugement est rendu au taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
En 1981, dans les motifs de son jugement Guerin c. R., [1982] 2 C.F. 445, M. le juge Collier, de la Cour, écrit les passages pertinents suivants, que l'on retrouve aux pages 448 et 449:
Les demandeurs ont intenté leur action devant notre juridic- tion. Il est vrai qu'ils n'auraient pu choisir un autre for. Mais notre juridiction a une compétence liée. Sa compétence maté- rielle et sa compétence personnelle, de même que les recours auxquels elle peut faire droit, doivent être prévus par la législa- tion fédérale en vigueur ou la common law fédérale. (McNa- mara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654 à la p. 658.)
Même si l'argumentation des demandeurs au sujet de l'arti- cle 35 était fondée, ils ne se heurteraient pas moins au principe de la common law canadienne arrêté par la Cour suprême du Canada selon lequel:
[TRADUCTION] Il est bien réglé par la jurisprudence qu'on ne peut accorder de l'intérêt contre le trésor public à moins qu'une loi ou un contrat ne le prévoit. (Le Roi c. Carroll [1948] R.C.S. 126, le juge Taschereau à la p. 132, l'on cite une jurisprudence antérieure de la Cour suprême du Canada ... )
Les avocats des demandeurs ont prétendu qu'une telle règle n'existait pas; les arrêts de la Cour suprême du Canada étaient ou à mauvais droit ou pouvaient être différenciés.
Le principe qu'énonce la Cour suprême du Canada, qu'il soit fondé ou non, est clair. Comme juge de première instance, je me dois d'obéir aux arrêts de la Cour suprême.
Le jugement de M. le juge Collier a été entière- ment confirmé par la Cour suprême du Canada, ([1984] 2 R.C.S. 335), unanime dans la solution à apporter au litige. Trois des huit juges qui ont participé à l'arrêt de la Cour suprême, dont Madame le juge Wilson exprime l'avis, ont expres- sément et directement la page 364) approuvé le refus du juge Collier d'octroyer un intérêt avant jugement. Un quatrième juge, le juge Estey, a souscrit la page 391) à la solution apportée aux faits et aux points litigieux par le juge Wilson. Les quatre autres juges, dont M. le juge Dickson (l'ac- tuel juge en chef) a exprimé l'opinion, ont cons- taté, comme il est rapporté à la page 391, que le jugement de M. le juge Collier «n'est entaché d'aucune erreur de principe». Il a par conséquent été rétabli sans modification.
Le seul point de droit qui pourrait actuellement altérer la validité de la décision de M. le juge Collier en matière d'intérêt, d'après l'avocat des demandeurs, c'est l'insertion, en 1982, de la dispo sition sur l'égalité juridique dans la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Il s'agit de l'article 15, entré en vigueur le 17 avril 1985. Le paragraphe 15(1) est ainsi conçu:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment [formes de discrimination sans pertinence en l'espèce.]
À première vue, il semblerait que le paragraphe 15(1) ne peut guère être utile aux demandeurs, qui en ont pourtant grand besoin, dans leur quête de l'intérêt couru avant le jugement.
En janvier 1987, toutefois, la Division d'appel de la Cour suprême de Nouvelle-Écosse, dans une opinion unanime écrite par M. le juge Jones, a jugé que le paragraphe 15(1) de la Charte prévaut sur les paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, précitée, qui confèrent à la Division de première instance une compétence exclusive en matière de poursuites intentées contre la Cou- ronne. Voici comment cet arrêt de 1987 est cité: Zutphen Brothers Construction Ltd. v. Dywidag Systems International, Canada Ltd. (1987), 35 D.L.R. (4th) 433 (C.A.N.-É.) (ci-après: arrêt Zutphen.) Le raisonnement du juge Jones qui nous intéresse est résumé dans le sommaire, à la page 434, qu'il convient, pour les présentes fins, de reproduire:
[TRADUCTION] Avant l'adoption de la Charte, on ne doutait pas que le Parlement, en vertu de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 (aujourd'hui la Loi constitutionnelle de 1867), pouvait créer une Cour fédérale et la charger de connaître des actions intentées contre la Cou- ronne fédérale. Cependant, l'art. 101 est restreint par l'art. 15 de la Charte et, si le Parlement peut conférer une compétence exclusive à la Cour fédérale, il doit maintenant le faire d'une façon qui ne porte pas atteinte aux dispositions sur l'égalité de l'art. 15. L'effet de l'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale, quand il confère une compétence exclusive à la Cour fédérale, est de placer le sujet dans une position différente de la Cou- ronne en tant que justiciable. Alors que la Couronne peut agir contre le sujet en Cour suprême, le sujet ne jouit pas du même droit d'y poursuivre la Couronne. Il s'ensuit que la loi ne s'applique pas également au sujet, qui n'a pas droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Les paragraphes (1) et (2) de l'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale sont incompatibles avec les disposi tions du paragraphe 15(1) de la Charte dans la mesure ces dispositions prétendent conférer une compétence exclusive à la Cour fédérale en matière d'actions énumérées au paragraphe 17(2) de la Loi ou en matière de négligence. Il n'y a pas violation de la Charte dans la mesure ces dispositions se bornent à conférer une compétence à la Cour fédérale. Ces dispositions ne sont pas sauvegardées par l'art. 1 de la Charte. C'est à la Couronne que revient la charge de satisfaire aux exigences de l'art. 1. La nécessité d'attribuer une compétence exclusive à la Cour fédérale en vertu des paragraphes 17(1) et (2) n'a pas été démontrée. Les auteurs qui ont écrit sur la Cour fédérale conviennent tous que ces dispositions ne sont pas nécessaires et, même, qu'ils sont causes de grands inconvénients et de grandes dépenses. On ne saurait dire que ces dispositions répondent à des «préoccupations urgentes et réelles». Le pre mier critère pour déterminer si les dispositions constituent une restriction raisonnable en vertu de l'art. 1 de la Charte, énoncé
dans l'arrêt R. c. Oakes, n'étant pas satisfait, il n'est pas nécessaire de rechercher si les autres critères le sont.
Malgré tout le respect aux éminents juges d'appel de la Nouvelle-Écosse, on constatera que le raisonnement de l'arrêt Zutphen comporte deux failles qui détruisent la validité de leur conclusion. En premier lieu, l'article 101 de la Loi constitu- tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] n'est pas restreint par le paragraphe 15(1) de la Charte, puisque ce sont deux dispositions consti- tutionnelles qui jouent toutes deux sur le même plan, ayant même force et même effet constitu- tionnels. En second lieu, on ne saurait légalement affirmer que l'égalité garantie à «tous», («every individual» dans la version anglaise) par le para- graphe 15 (1) de la Charte, c'est l'égalité avec la Couronne, ni que tous jouissent des mêmes droits constitutionnels que la Couronne, sur le même plan.
La première règle se retrouve dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, de la Cour suprême du Canada. Il s'agit d'un renvoi du lieutenant-gouverneur en conseil de l'Ontario rela- tif au projet de loi 30 [Education Amendment Act, 1986 (No. 2), 2d Sess., 33d Leg. Ont., 1986-87], An Act to amend The Education Act [S.O. 1986, chap. 21], prévoyant le financement complet des écoles catholiques séparées de niveau secondaire. Les opposants aux modifications soutenaient que celles-ci portaient atteinte à l'égalité garantie par le paragraphe 15(1) de la Charte et que les nouvel- les dispositions, prévoyant un financement à même les fonds publics, violaient la liberté de religion garantie par l'alinéa 2a) de celle-ci, nonobstant les dispositions de l'article 29. Ce dernier article de la Charte prévoit:
29. Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Consti tution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles.
Voici certains passages pertinents des divers motifs du renvoi de la Cour suprême sur l'Educa- lion Act. L'opinion de Madame le juge Wilson, que partagent le juge en chef et MM. les juges McIntyre et La Forest, est rapportée aux pages 1197 et 1198 ainsi:
Toutefois, cela ne signifie pas que ces droits ou privilèges peuvent être contestés en vertu de l'al. 2a) et de l'art. 15 de la Charte. J'ai indiqué que les droits ou privilèges garantis par le par. 93(1) ne peuvent faire l'objet d'un examen en vertu de l'art. 29 de la Charte. J'estime que cela est clair. Ce qui est moins clair, c'est la question de savoir si l'art. 29 de la Charte était nécessaire pour atteindre ce résultat. J'estime que la réponse est non. Je crois qu'on l'a placé simplement pour souligner que la Charte ne porte pas atteinte au traitement spécial que la Constitution garantit aux écoles confessionnelles, séparées ou dissidentes, même s'il s'accorde mal avec concept de l'égalité enchâssé dans la Charte du fait que les autres écoles ne peuvent en bénéficier. À mon avis, on n'a jamais voulu que la Charte puisse servir à annuler d'autres dispositions de la Constitution et, en particulier, une disposition comme l'art. 93 qui représente une partie fondamentale du compromis confédé- ral. L'article 29 n'est, à mon sens, présent dans la Charte que pour assurer une plus grande certitude, en ce qui concerne tout au moins la province de l'Ontario.
En d'autres termes, l'art. 29 est pour protéger contre tout examen en vertu de la Charte les droits ou privilèges qui autrement, n'était-ce de cet article, pourraient faire l'objet d'un tel examen. La question devient alors la suivante: l'art. 29 protège-t-il les droits ou privilèges acquis en vertu des lois que la province a adoptées conformément au pouvoir absolu que lui confère en matière d'éducation la disposition liminaire de l'art. 93? J'estime que oui même si, encore une fois, je ne crois pas qu'il soit nécessaire à cette fin. [Soulignés ajoutés au texte original.]
En outre, dans le renvoi sur l'Education Act, M. le juge Estey, dont l'avis est partagé par M. le juge Beetz, avis rapporté à la page 1207, s'exprime en ces termes:
Je suis donc d'avis de conclure que le par. 93(3) constitue effectivement une reconnaissance de la compétence législative conférée par la disposition liminaire de l'art. 93, qui survit à l'application du par. 93(1). Le reste de la Constitution ne saurait toucher à cette compétence législative de la province au point de l'abroger. On ne saurait avoir recours à la Charte pour désavouer la mise en œuvre du par. 93(1) ou de lois protégeant les droits garantis par le par. 93(1) ou encore de lois prévues au par. 93(3).
Cette conclusion, que le projet de loi 30 est valide parce qu'il est fondé sur l'exercice de la compétence provinciale conférée par l'art. 93, exercice que la Charte ne saurait abolir ni supprimer, suffit pour trancher le pourvoi.
Enfin, M. le juge Lamer, à la page 1209, écrit:
J'ai eu l'avantage de lire les motifs du juge Wilson et du juge Estey. Je suis d'accord avec eux pour rejeter ce pourvoi. Toutefois, je rejetterais le pourvoi en adoptant le raisonnement du juge Wilson sur la seule base de la disposition liminaire de l'art. 93 et du par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je partage aussi l'avis du juge Wilson quant à l'effet de la Charte canadienne des droits et libertés sur l'art. 93 de la Loi consti- tutionnelle de 1867.
Ainsi, la Cour suprême du Canada, dans le renvoi sur l'Education Act, ne fournit aucune base
qui soutienne la thèse de l'arrêt Zutphen, dont autorisation de se pourvoir à son encontre a été accordée [29 juin 1987]. Les neuf juges, en fait, ont jugé qu'une loi prétendue discriminatoire, adoptée en vertu d'une compétence provinciale octroyée par la Loi constitutionnelle de 1867, échappe au contrôle de la Charte sans même requérir qu'une disposition insérée dans la Charte en protège la validité. Il va sans dire, bien entendu, que, même si elle est adoptée en apparence confor- mément au partage des compétences constitution- nelles, la législation ordinaire, que ce soit dans le domaine provincial, par exemple, des biens immeu- bles, ou dans le domaine fédéral, par exemple, du droit criminel, fait toujours l'objet de la scrutation judiciaire au regard de sa conformité, ou des atteintes qu'elle porte, aux droits et libertés garan- tis dans et par la Charte. Il en sera dit plus long là-dessus plus loin.
Seconde faille dans le raisonnement de l'arrêt Zutphen, le paragraphe 15(1) de la Charte garan- tit uniquement l'égalité des individus les uns par rapport aux autres et non par rapport à la Cou- ronne. En juillet 1987, la Cour d'appel de l'Onta- rio, unanime, dont M. le juge Tarnopolsky exprime l'avis, dans l'arrêt R. v. Stoddart (1987), 59 C.R. (3d) 134, a examiné le même argument égalitaire et rejeté la thèse énoncée dans l'arrêt Zutphen, comme il est rapporté aux pages 142 147. A la page 145, le juge Tarnopolsky déclare sans détour: [TRADUCTION] «La Couronne n'est pas un «indi- vidu» et on ne saurait la comparer à celui-ci pour déterminer s'il y a violation du paragraphe 15(1).» À la page 146, on rapporte qu'il conclut: [TRA- DUCTION] «Si j'ai tort de juger en ce sens, alors, à cause de leur rôle fort différent, comme il vient d'être exposé, je jugerais qu'un inculpé et la Cou- ronne ne sont pas dans une position semblable pour les fins de la loi.» Que ces courts extraits ne dissuadent pas le lecteur de goûter pleinement, par le détail et tout à loisir, l'arrêt Stoddart. Plus récemment encore, en octobre 1987, le juge en chef Moore, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, dans l'arrêtOminayak v. Norcen Energy Resources (1987), 83 A.R. 363 avait à décider s'il autoriserait la modification d'une déclaration pour ordonner de mettre en cause Sa Majesté la Reine du chef du Canada. L'instance dont était saisi le juge en chef Moore est fort semblable à celle sur laquelle s'est prononcée la Cour d'appel de Nou-
velle-Écosse dans l'arrêt Zutphen. Se référant expressément à cette affaire et en rejetant tout aussi expressément sa conclusion, le juge en chef Moore de la Cour du Banc de la Reine a écrit, notamment, les passages, nécessairement choisis, suivants [aux pages 369 et 370]:
[TRADUCTION] J'ai acquis la conviction que les requérants ne peuvent agir contre la Couronne fédérale devant la présente Cour en dépit de la décision de la Cour d'appel de Nouvelle- Écosse dans l'arrêt Zutphen Bros. Construction v. Dywidag Systems Int'l (1987), 76 N.S.R. (2d) 398; 189 A.P.R. 398; 35 D.L.R. (4d) 433 (C.S. D.A. N.-É.). Dans cette affaire, la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse a fait droit à une requête en mise en cause de la Couronne du chef du Canada.
La Cour d'appel de Nouvelle-Écosse a jugé que les paragra- phes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, 2e Supp., chap. 10, et le paragraphe 7(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970 chap. 38, étaient incompatibles avec l'article 15 de la Charte.
Je suis d'avis que les termes «personne» et «tous», à l'article 15 de la Charte, n'incluent pas la Couronne et que ces termes, dans le sens ils sont employés à l'article 15, ont mal été interprétés par la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse.
L'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement du Canada le pouvoir d'instituer des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada. Le Parlement a établi la Cour fédérale et lui a conféré une compétence exclusive de première instance en matière d'actions en dommages-intérêts et de poursuites engagées contre la Couronne fédérale. À mon avis, l'article 15 ne saurait prévaloir sur l'article 101 de la Loi constitutionnelle.
Je n'admets pas, tout simplement, devoir exercer mon pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragrahe 38(3) des Règles de l'Alberta, pour mettre en cause la Couronne fédérale à titre de partie défenderesse.
La lecture de l'arrêt Ominayak en apprendra beaucoup plus au lecteur attentif que l'aperçu qui en est donné ci-dessus.
L'article 35, voire aussi l'article 40, de la Loi sur la Cour fédérale relèvent-ils entièrement le défi constitutionnel lancé par cette invocation de la Charte? Oui, si l'on estime qu'en définissant la responsabilité à laquelle s'expose la Couronne, le cas échéant, et en disant quel tribunal devra déter- miner la mesure de cette responsabilité, le cas échéant, l'on accepte—comme ce fût longtemps le cas—que le Parlement peut, pour «la meilleure administration des lois du Canada» [article 101], limiter la responsabilité à laquelle elle s'expose en maintenant l'immunité, pour la Couronne du chef du Canada, en matière de paiement d'un intérêt
aux demandeurs, comme le fait l'article 35 de la Loi.
Comme l'a jugé M. le juge Strayer de la Cour dans l'affaire Sheldrick c. La Reine, [1986] 1 C.F. 244; 25 D.L.R. (4th) 721, où, aux pages 254 C.F.; 729 D.L.R., il est rapporté qu'il a dit:
Les articles 35 et 40 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2` Supp.), chap. 10] m'empêchent d'accorder un intérêt avant jugement contre la Couronne à moins que le paiement d'un tel intérêt soit stipulé par contrat ou prévu par une loi. Voir, à titre d'exemples, les arrêts Eaton c. La Reine, [1972] C.F. 185 (1" inst.); et Corpex (1977) Inc. c. La Reine du chef du Canada (Requête et nouvelle audition), [1982] 2 R.C.S. 674. Même si, en vertu de l'article 3 de la Loi sur la responsa- bilité de la Couronne [S.R.C. 1970, chap. C-38], la Couronne fédérale peut être condamnée, dans le cadre d'actions en res- ponsabilité, à verser un intérêt avant jugement lorsqu'un tel intérêt serait payable en vertu de la loi provinciale applicable au délit en question, il n'existe pas de tel pouvoir général en ce qui concerne les actions contractuelles du genre de celle qui nous intéresse. L'avocat du demandeur a été incapable de m'indiquer quelque stipulation contractuelle ou disposition législative habilitante prévoyant le paiement d'un intérêt avant jugement dans les circonstances de l'espèce. Je pourrais, en vertu de l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale, fixer l'intérêt après jugement à un taux supérieur à celui prescrit par la Loi sur l'intérêt [S.R.C. 1970, chap. I-18]. Cependant, comme l'avocat du demandeur n'a pas présenté de demande explicite à cet effet et que je n'ai pas eu l'occasion d'entendre le pour et le contre sur ce que serait un taux approprié, je ne ferai donc aucune adjudication spéciale à cet égard.
La Cour, dans le présent litige, doit trancher les prétentions opposées des parties au sujet des paie- ments à faire en vertu d'un contrat, la location de terres indiennes aux demandeurs. Aucun délit ni quasi-délit n'est en cause, comme les premiers motifs du jugement l'indiquent. Si, à l'opposé, la Couronne pouvait réclamer un intérêt avant juge- ment de ses locataires, ce qui, d'après les termes du contrat intervenu entre les parties, n'est pas absolument certain, il est évident que les parties devraient modifier leur contrat afin d'assurer la parité des obligations. Mais la Cour ne peut les forcer à le faire et, naturellement, la Couronne peut toujours profiter de l'inégalité en trouvant refuge dans l'article 35 de la Loi. Quoi qu'il en soit, un intérêt avant jugement ne peut être octroyé en l'espèce, quoique cela soit fort malheureux pour les demandeurs qui obtiennent, par ailleurs, gain de cause.
Les dépens cependant ont été et sont toujours adjugés. L'adjudication des dépens dans le juge- ment définitif pourrait être exprimée ainsi:
... les demandeurs non déboutés ont droit, comme un seul et unique demandeur, aux pleins dépens, soit les débours réels, avec doublement des droits, que la défenderesse est condamnée à payer, entre parties, sur-le-champ, après taxation.
Il semble fort probable que les parties vont maintenant s'entendre sur la forme que doit pren- dre le jugement. Le projet déjà présenté accorde un intérêt qui ne peut l'être. Par conséquent, pour éviter les erreurs, autant que possible, les avocats des parties restent enjoints de s'atteler à la tâche de rédiger un projet de jugement traduisant la décision de la Cour, comme ils étaient à le faire, conformément au dernier paragraphe des motifs prononcés par la Cour en date du 21 octobre 1987.
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