T-165-85
Donald Alexander Leighton, et al. (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: LEIGHTON C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon—
Vancouver, 24, 25, 26, 27 février 1987; Ottawa, 18
mai 1988.
Couronne — Pratique — Intérêt — Intérêt avant jugement
— Les demandeurs ont eu gain de cause dans une action
demandant le remboursement de montants injustifiés fixés par
le ministre en vertu d'un bail — L'art. 35 de la Loi sur la Cour
fédérale interdit qu'un intérêt soit accordé contre la Couronne
à moins que celui-ci ne soit prévu dans un contrat ou dans une
loi — La common law comporte ce même principe — Cette
situation n'est pas modifiée par l'art. 15 de fa Charte — Le
Parlement, en vertu de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de
1867, est habilité à limiter la responsabilité à laquelle est
exposée la Couronne en soustrayant celle-ci à l'obligation de
payer de l'intérêt.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — La Couronne échappe en vertu de la common law
et d'une loi au paiement de l'intérêt sur les jugements pronon-
cés par les tribunaux — Cette situation n'est pas modifiée par
l'art. 15 de la Charte — L'art. 101 de la Loi constitutionnelle
de 1867 n'est pas restreint par l'art. 15 de , la Charte puisqu'il
s'agit de deux dispositions constitutionnelles de même force —
Les individus ne se voient pas garantir l'égalité avec la
Couronne.
Les demandeurs ont réclamé des intérêts avant jugement à
l'égard de remboursements dus conformément aux conditions
établies par un bail visant des terres indiennes. L'article 35 de
la Loi sur la Cour fédérale prévoit qu'aucun intérêt ne sera
accordé contre la Couronne en l'absence d'une disposition d'un
contrat ou d'une loi exigeant un tel paiement. L'article 40
prévoit qu'un jugement porte intérêt à compter du moment où
le jugement est rendu. Les demandeurs se sont appuyés sur
l'arrêt Zutphen Brothers Construction Ltd., dans lequel la
Cour suprême de la Nouvelle-Écosse [Division d'appel] a
conclu que le paragraphe 15(1) de la Charte prévaut sur les
paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui
confèrent à la Division de première instance une compétence
exclusive en ce qui concerne les poursuites intentées contre la
Couronne. La Cour de Nouvelle-Ecosse a décidé que l'article
101 de la Loi constitutionnelle de 1867, selon lequel le Parle-
ment peut conférer une compétence exclusive à la Cour fédé-
rale, est restreint par l'article 15 de la Charte. Alors que la
Couronne pouvait agir contre le sujet en Cour suprême, le sujet
ne jouissait pas du même droit d'y poursuivre la Couronne, de
sorte que la loi ne s'appliquait pas également au sujet. Les
paragraphes 17(1) et (2) n'étaient pas sauvegardés par l'article
1 de la Charte. La question en litige est celle de savoir si
l'article 15 de la Charte l'emporte sur l'article 35 de la Loi sur
la Cour fédérale.
Jugement: aucun intérêt avant jugement ne peut être adjugé.
Le raisonnement tenu dans l'arrêt Zutphen comportait deux
erreurs. En premier lieu, l'article 101 de la Loi constitution-
nelle de 1867 n'est pas restreint par l'article 15 de la Charte
puisque ce sont là deux dispositions constitutionnelles qui
jouent toutes deux sur le même plan et ont même force et effet:
Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the
Education Act (Ont.). En second lieu, l'article 15 garantit
l'égalité de tous les individus (le terme «individual» est utilisé
dans la version anglaise de cet article). La Couronne n'est pas
un individu.
L'article 35 est une disposition législative valide adoptée dans
l'exercice du pouvoir conféré au Parlement par l'article 101 de
la Loi constitutionnelle de 1867. Aucun délit ou quasi-délit
nécessitant l'application de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne n'est en cause, et l'article 35 de la Loi sur la Cour
fédérale s'applique, de sorte que la Cour ne peut adjuger aucun
intérêt avant jugement en l'absence d'une disposition à cet effet
dans le contrat.
LOIS ET RÈGLEMENTS
An Act to amend The Education Act, S.O. 1986, chap.
21.
Bill 30, Education Amendment Act, 1986 (No. 2), 2d
Sess., 33d Leg. Ont., 1986-87.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 2a), 15, 29.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 17, 35, 40.
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Zutphen Brothers Construction Ltd. v. Dywidag Systems
International, Canada Ltd. (1987), 35 D.L.R. (4th) 433
(C.A.N.-É.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the
Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148; R. v. Stod-
dart (1987), 59 C.R. (3d) 134 (C.A. Ont.); Ominayak v.
Norcen Energy Resources (1987), 83 A.R. 363 (Q.B.);
Sheldrick c. La Reine, [1986] 1 C.F. 244; 25 D.L.R.
(4th) 721 (1"° inst.); Guerin c. R., [1982] 2 C.F. 445 (1'»
inst.); confirmée par [1984] 2 R.C.S. 335.
AVOCATS:
K. C. Mackenzie pour les demandeurs.
Paul F. Partridge pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Guild, Yule, Lane, Sullivan, Mackenzie &
Holmes, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Les parties, par l'entre-
mise de leurs avocats, sont convenues du texte du
jugement en l'espèce, comme la Cour les avaient
invitées à le faire dans ses premiers motifs de
jugement, prononcés le 21 octobre 1987.
Ils n'ont pu, toutefois, s'entendre sur la question
de savoir si chaque demandeur ayant gain de cause
devrait ou non avoir droit à l'intérêt couru avant le
jugement. Ce n'est pas une mince affaire pour les
divers demandeurs, car il y a longtemps que, con-
formément aux conditions du bail, ils payent les
sommes supplémentaires injustifiées fixées par le
ministre, pour lesquelles ils ont maintenant droit à
un remboursement. Les demandeurs réclaments
l'intérêt couru sur ces sommes. D'où ces seconds
motifs.
Deux dispositions de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, sont intimement
liées à la solution du litige. Ce sont:
35. Lorsqu'elle statue sur une demande contre la Couronne,
la Cour n'accorde d'intérêt sur aucune somme qu'elle estime
être due au demandeur, à moins qu'il n'existe un contrat
stipulant le paiement d'un tel intérêt ou une loi prévoyant, en
pareil cas, le paiement d'intérêt par la Couronne.
40. À moins qu'il n'en soit autrement ordonné par a Cour,
un jugement, notamment un jugement contre la Couronne,
porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au
taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
En 1981, dans les motifs de son jugement
Guerin c. R., [1982] 2 C.F. 445, M. le juge
Collier, de la Cour, écrit les passages pertinents
suivants, que l'on retrouve aux pages 448 et 449:
Les demandeurs ont intenté leur action devant notre juridic-
tion. Il est vrai qu'ils n'auraient pu choisir un autre for. Mais
notre juridiction a une compétence liée. Sa compétence maté-
rielle et sa compétence personnelle, de même que les recours
auxquels elle peut faire droit, doivent être prévus par la législa-
tion fédérale en vigueur ou la common law fédérale. (McNa-
mara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S.
654 à la p. 658.)
Même si l'argumentation des demandeurs au sujet de l'arti-
cle 35 était fondée, ils ne se heurteraient pas moins au principe
de la common law canadienne arrêté par la Cour suprême du
Canada selon lequel:
[TRADUCTION] Il est bien réglé par la jurisprudence qu'on ne
peut accorder de l'intérêt contre le trésor public à moins
qu'une loi ou un contrat ne le prévoit. (Le Roi c. Carroll
[1948] R.C.S. 126, le juge Taschereau à la p. 132, où l'on
cite une jurisprudence antérieure de la Cour suprême du
Canada ... )
Les avocats des demandeurs ont prétendu qu'une telle règle
n'existait pas; les arrêts de la Cour suprême du Canada étaient
ou à mauvais droit ou pouvaient être différenciés.
Le principe qu'énonce la Cour suprême du Canada, qu'il soit
fondé ou non, est clair. Comme juge de première instance, je
me dois d'obéir aux arrêts de la Cour suprême.
Le jugement de M. le juge Collier a été entière-
ment confirmé par la Cour suprême du Canada,
([1984] 2 R.C.S. 335), unanime dans la solution à
apporter au litige. Trois des huit juges qui ont
participé à l'arrêt de la Cour suprême, dont
Madame le juge Wilson exprime l'avis, ont expres-
sément et directement (à la page 364) approuvé le
refus du juge Collier d'octroyer un intérêt avant
jugement. Un quatrième juge, le juge Estey, a
souscrit (à la page 391) à la solution apportée aux
faits et aux points litigieux par le juge Wilson. Les
quatre autres juges, dont M. le juge Dickson (l'ac-
tuel juge en chef) a exprimé l'opinion, ont cons-
taté, comme il est rapporté à la page 391, que le
jugement de M. le juge Collier «n'est entaché
d'aucune erreur de principe». Il a par conséquent
été rétabli sans modification.
Le seul point de droit qui pourrait actuellement
altérer la validité de la décision de M. le juge
Collier en matière d'intérêt, d'après l'avocat des
demandeurs, c'est l'insertion, en 1982, de la dispo
sition sur l'égalité juridique dans la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)]. Il s'agit de l'article 15, entré en
vigueur le 17 avril 1985. Le paragraphe 15(1) est
ainsi conçu:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment [formes de discrimination sans pertinence en
l'espèce.]
À première vue, il semblerait que le paragraphe
15(1) ne peut guère être utile aux demandeurs, qui
en ont pourtant grand besoin, dans leur quête de
l'intérêt couru avant le jugement.
En janvier 1987, toutefois, la Division d'appel de
la Cour suprême de Nouvelle-Écosse, dans une
opinion unanime écrite par M. le juge Jones, a
jugé que le paragraphe 15(1) de la Charte prévaut
sur les paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la
Cour fédérale, précitée, qui confèrent à la Division
de première instance une compétence exclusive en
matière de poursuites intentées contre la Cou-
ronne. Voici comment cet arrêt de 1987 est cité:
Zutphen Brothers Construction Ltd. v. Dywidag
Systems International, Canada Ltd. (1987), 35
D.L.R. (4th) 433 (C.A.N.-É.) (ci-après: arrêt
Zutphen.) Le raisonnement du juge Jones qui nous
intéresse est résumé dans le sommaire, à la page
434, qu'il convient, pour les présentes fins, de
reproduire:
[TRADUCTION] Avant l'adoption de la Charte, on ne doutait
pas que le Parlement, en vertu de l'art. 101 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique de 1867 (aujourd'hui la Loi
constitutionnelle de 1867), pouvait créer une Cour fédérale et
la charger de connaître des actions intentées contre la Cou-
ronne fédérale. Cependant, l'art. 101 est restreint par l'art. 15
de la Charte et, si le Parlement peut conférer une compétence
exclusive à la Cour fédérale, il doit maintenant le faire d'une
façon qui ne porte pas atteinte aux dispositions sur l'égalité de
l'art. 15. L'effet de l'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale,
quand il confère une compétence exclusive à la Cour fédérale,
est de placer le sujet dans une position différente de la Cou-
ronne en tant que justiciable. Alors que la Couronne peut agir
contre le sujet en Cour suprême, le sujet ne jouit pas du même
droit d'y poursuivre la Couronne. Il s'ensuit que la loi ne
s'applique pas également au sujet, qui n'a pas droit à la même
protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de
toute discrimination. Les paragraphes (1) et (2) de l'art. 17 de
la Loi sur la Cour fédérale sont incompatibles avec les disposi
tions du paragraphe 15(1) de la Charte dans la mesure où ces
dispositions prétendent conférer une compétence exclusive à la
Cour fédérale en matière d'actions énumérées au paragraphe
17(2) de la Loi ou en matière de négligence. Il n'y a pas
violation de la Charte dans la mesure où ces dispositions se
bornent à conférer une compétence à la Cour fédérale. Ces
dispositions ne sont pas sauvegardées par l'art. 1 de la Charte.
C'est à la Couronne que revient la charge de satisfaire aux
exigences de l'art. 1. La nécessité d'attribuer une compétence
exclusive à la Cour fédérale en vertu des paragraphes 17(1) et
(2) n'a pas été démontrée. Les auteurs qui ont écrit sur la Cour
fédérale conviennent tous que ces dispositions ne sont pas
nécessaires et, même, qu'ils sont causes de grands inconvénients
et de grandes dépenses. On ne saurait dire que ces dispositions
répondent à des «préoccupations urgentes et réelles». Le pre
mier critère pour déterminer si les dispositions constituent une
restriction raisonnable en vertu de l'art. 1 de la Charte, énoncé
dans l'arrêt R. c. Oakes, n'étant pas satisfait, il n'est pas
nécessaire de rechercher si les autres critères le sont.
Malgré tout le respect dû aux éminents juges
d'appel de la Nouvelle-Écosse, on constatera que le
raisonnement de l'arrêt Zutphen comporte deux
failles qui détruisent la validité de leur conclusion.
En premier lieu, l'article 101 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)]
n'est pas restreint par le paragraphe 15(1) de la
Charte, puisque ce sont là deux dispositions consti-
tutionnelles qui jouent toutes deux sur le même
plan, ayant même force et même effet constitu-
tionnels. En second lieu, on ne saurait légalement
affirmer que l'égalité garantie à «tous», («every
individual» dans la version anglaise) par le para-
graphe 15 (1) de la Charte, c'est l'égalité avec la
Couronne, ni que tous jouissent des mêmes droits
constitutionnels que la Couronne, sur le même
plan.
La première règle se retrouve dans le Renvoi
relatif au projet de loi 30, An Act to amend the
Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, de la
Cour suprême du Canada. Il s'agit d'un renvoi du
lieutenant-gouverneur en conseil de l'Ontario rela-
tif au projet de loi 30 [Education Amendment Act,
1986 (No. 2), 2d Sess., 33d Leg. Ont., 1986-87],
An Act to amend The Education Act [S.O. 1986,
chap. 21], prévoyant le financement complet des
écoles catholiques séparées de niveau secondaire.
Les opposants aux modifications soutenaient que
celles-ci portaient atteinte à l'égalité garantie par
le paragraphe 15(1) de la Charte et que les nouvel-
les dispositions, prévoyant un financement à même
les fonds publics, violaient la liberté de religion
garantie par l'alinéa 2a) de celle-ci, nonobstant les
dispositions de l'article 29. Ce dernier article de la
Charte prévoit:
29. Les dispositions de la présente charte ne portent pas
atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Consti
tution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles
confessionnelles.
Voici certains passages pertinents des divers
motifs du renvoi de la Cour suprême sur l'Educa-
lion Act. L'opinion de Madame le juge Wilson,
que partagent le juge en chef et MM. les juges
McIntyre et La Forest, est rapportée aux pages
1197 et 1198 ainsi:
Toutefois, cela ne signifie pas que ces droits ou privilèges
peuvent être contestés en vertu de l'al. 2a) et de l'art. 15 de la
Charte. J'ai indiqué que les droits ou privilèges garantis par le
par. 93(1) ne peuvent faire l'objet d'un examen en vertu de
l'art. 29 de la Charte. J'estime que cela est clair. Ce qui est
moins clair, c'est la question de savoir si l'art. 29 de la Charte
était nécessaire pour atteindre ce résultat. J'estime que la
réponse est non. Je crois qu'on l'a placé là simplement pour
souligner que la Charte ne porte pas atteinte au traitement
spécial que la Constitution garantit aux écoles confessionnelles,
séparées ou dissidentes, même s'il s'accorde mal avec lé concept
de l'égalité enchâssé dans la Charte du fait que les autres écoles
ne peuvent en bénéficier. À mon avis, on n'a jamais voulu que
la Charte puisse servir à annuler d'autres dispositions de la
Constitution et, en particulier, une disposition comme l'art. 93
qui représente une partie fondamentale du compromis confédé-
ral. L'article 29 n'est, à mon sens, présent dans la Charte que
pour assurer une plus grande certitude, en ce qui concerne tout
au moins la province de l'Ontario.
En d'autres termes, l'art. 29 est là pour protéger contre tout
examen en vertu de la Charte les droits ou privilèges qui
autrement, n'était-ce de cet article, pourraient faire l'objet d'un
tel examen. La question devient alors la suivante: l'art. 29
protège-t-il les droits ou privilèges acquis en vertu des lois que
la province a adoptées conformément au pouvoir absolu que lui
confère en matière d'éducation la disposition liminaire de l'art.
93? J'estime que oui même si, encore une fois, je ne crois pas
qu'il soit nécessaire à cette fin. [Soulignés ajoutés au texte
original.]
En outre, dans le renvoi sur l'Education Act, M. le
juge Estey, dont l'avis est partagé par M. le juge
Beetz, avis rapporté à la page 1207, s'exprime en
ces termes:
Je suis donc d'avis de conclure que le par. 93(3) constitue
effectivement une reconnaissance de la compétence législative
conférée par la disposition liminaire de l'art. 93, qui survit à
l'application du par. 93(1). Le reste de la Constitution ne
saurait toucher à cette compétence législative de la province au
point de l'abroger. On ne saurait avoir recours à la Charte pour
désavouer la mise en œuvre du par. 93(1) ou de lois protégeant
les droits garantis par le par. 93(1) ou encore de lois prévues au
par. 93(3).
Cette conclusion, que le projet de loi 30 est valide parce qu'il
est fondé sur l'exercice de la compétence provinciale conférée
par l'art. 93, exercice que la Charte ne saurait abolir ni
supprimer, suffit pour trancher le pourvoi.
Enfin, M. le juge Lamer, à la page 1209, écrit:
J'ai eu l'avantage de lire les motifs du juge Wilson et du juge
Estey. Je suis d'accord avec eux pour rejeter ce pourvoi.
Toutefois, je rejetterais le pourvoi en adoptant le raisonnement
du juge Wilson sur la seule base de la disposition liminaire de
l'art. 93 et du par. 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je
partage aussi l'avis du juge Wilson quant à l'effet de la Charte
canadienne des droits et libertés sur l'art. 93 de la Loi consti-
tutionnelle de 1867.
Ainsi, la Cour suprême du Canada, dans le
renvoi sur l'Education Act, ne fournit aucune base
qui soutienne la thèse de l'arrêt Zutphen, dont
autorisation de se pourvoir à son encontre a été
accordée [29 juin 1987]. Les neuf juges, en fait,
ont jugé qu'une loi prétendue discriminatoire,
adoptée en vertu d'une compétence provinciale
octroyée par la Loi constitutionnelle de 1867,
échappe au contrôle de la Charte sans même
requérir qu'une disposition insérée dans la Charte
en protège la validité. Il va sans dire, bien entendu,
que, même si elle est adoptée en apparence confor-
mément au partage des compétences constitution-
nelles, la législation ordinaire, que ce soit dans le
domaine provincial, par exemple, des biens immeu-
bles, ou dans le domaine fédéral, par exemple, du
droit criminel, fait toujours l'objet de la scrutation
judiciaire au regard de sa conformité, ou des
atteintes qu'elle porte, aux droits et libertés garan-
tis dans et par la Charte. Il en sera dit plus long
là-dessus plus loin.
Seconde faille dans le raisonnement de l'arrêt
Zutphen, le paragraphe 15(1) de la Charte garan-
tit uniquement l'égalité des individus les uns par
rapport aux autres et non par rapport à la Cou-
ronne. En juillet 1987, la Cour d'appel de l'Onta-
rio, unanime, dont M. le juge Tarnopolsky exprime
l'avis, dans l'arrêt R. v. Stoddart (1987), 59 C.R.
(3d) 134, a examiné le même argument égalitaire
et rejeté la thèse énoncée dans l'arrêt Zutphen,
comme il est rapporté aux pages 142 147. A la
page 145, le juge Tarnopolsky déclare sans détour:
[TRADUCTION] «La Couronne n'est pas un «indi-
vidu» et on ne saurait la comparer à celui-ci pour
déterminer s'il y a violation du paragraphe 15(1).»
À la page 146, on rapporte qu'il conclut: [TRA-
DUCTION] «Si j'ai tort de juger en ce sens, alors, à
cause de leur rôle fort différent, comme il vient
d'être exposé, je jugerais qu'un inculpé et la Cou-
ronne ne sont pas dans une position semblable pour
les fins de la loi.» Que ces courts extraits ne
dissuadent pas le lecteur de goûter pleinement, par
le détail et tout à loisir, l'arrêt Stoddart. Plus
récemment encore, en octobre 1987, le juge en
chef Moore, de la Cour du Banc de la Reine de
l'Alberta, dans l'arrêtOminayak v. Norcen Energy
Resources (1987), 83 A.R. 363 avait à décider s'il
autoriserait la modification d'une déclaration pour
ordonner de mettre en cause Sa Majesté la Reine
du chef du Canada. L'instance dont était saisi le
juge en chef Moore est fort semblable à celle sur
laquelle s'est prononcée la Cour d'appel de Nou-
velle-Écosse dans l'arrêt Zutphen. Se référant
expressément à cette affaire et en rejetant tout
aussi expressément sa conclusion, le juge en chef
Moore de la Cour du Banc de la Reine a écrit,
notamment, les passages, nécessairement choisis,
suivants [aux pages 369 et 370]:
[TRADUCTION] J'ai acquis la conviction que les requérants
ne peuvent agir contre la Couronne fédérale devant la présente
Cour en dépit de la décision de la Cour d'appel de Nouvelle-
Écosse dans l'arrêt Zutphen Bros. Construction v. Dywidag
Systems Int'l (1987), 76 N.S.R. (2d) 398; 189 A.P.R. 398; 35
D.L.R. (4d) 433 (C.S. D.A. N.-É.). Dans cette affaire, la Cour
d'appel de Nouvelle-Écosse a fait droit à une requête en mise
en cause de la Couronne du chef du Canada.
La Cour d'appel de Nouvelle-Écosse a jugé que les paragra-
phes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970,
2e Supp., chap. 10, et le paragraphe 7(1) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970 chap. 38, étaient
incompatibles avec l'article 15 de la Charte.
Je suis d'avis que les termes «personne» et «tous», à l'article
15 de la Charte, n'incluent pas la Couronne et que ces termes,
dans le sens où ils sont employés à l'article 15, ont mal été
interprétés par la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse.
L'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au
Parlement du Canada le pouvoir d'instituer des tribunaux
additionnels pour la meilleure administration des lois du
Canada. Le Parlement a établi la Cour fédérale et lui a conféré
une compétence exclusive de première instance en matière
d'actions en dommages-intérêts et de poursuites engagées
contre la Couronne fédérale. À mon avis, l'article 15 ne saurait
prévaloir sur l'article 101 de la Loi constitutionnelle.
Je n'admets pas, tout simplement, devoir exercer mon pouvoir
discrétionnaire, en vertu du paragrahe 38(3) des Règles de
l'Alberta, pour mettre en cause la Couronne fédérale à titre de
partie défenderesse.
La lecture de l'arrêt Ominayak en apprendra
beaucoup plus au lecteur attentif que l'aperçu qui
en est donné ci-dessus.
L'article 35, voire aussi l'article 40, de la Loi sur
la Cour fédérale relèvent-ils entièrement le défi
constitutionnel lancé par cette invocation de la
Charte? Oui, si l'on estime qu'en définissant la
responsabilité à laquelle s'expose la Couronne, le
cas échéant, et en disant quel tribunal devra déter-
miner la mesure de cette responsabilité, le cas
échéant, l'on accepte—comme ce fût longtemps le
cas—que le Parlement peut, pour «la meilleure
administration des lois du Canada» [article 101],
limiter la responsabilité à laquelle elle s'expose en
maintenant l'immunité, pour la Couronne du chef
du Canada, en matière de paiement d'un intérêt
aux demandeurs, comme le fait l'article 35 de la
Loi.
Comme l'a jugé M. le juge Strayer de la Cour
dans l'affaire Sheldrick c. La Reine, [1986] 1 C.F.
244; 25 D.L.R. (4th) 721, où, aux pages 254 C.F.;
729 D.L.R., il est rapporté qu'il a dit:
Les articles 35 et 40 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2` Supp.), chap. 10] m'empêchent d'accorder un intérêt
avant jugement contre la Couronne à moins que le paiement
d'un tel intérêt soit stipulé par contrat ou prévu par une loi.
Voir, à titre d'exemples, les arrêts Eaton c. La Reine, [1972]
C.F. 185 (1" inst.); et Corpex (1977) Inc. c. La Reine du chef
du Canada (Requête et nouvelle audition), [1982] 2 R.C.S.
674. Même si, en vertu de l'article 3 de la Loi sur la responsa-
bilité de la Couronne [S.R.C. 1970, chap. C-38], la Couronne
fédérale peut être condamnée, dans le cadre d'actions en res-
ponsabilité, à verser un intérêt avant jugement lorsqu'un tel
intérêt serait payable en vertu de la loi provinciale applicable
au délit en question, il n'existe pas de tel pouvoir général en ce
qui concerne les actions contractuelles du genre de celle qui
nous intéresse. L'avocat du demandeur a été incapable de
m'indiquer quelque stipulation contractuelle ou disposition
législative habilitante prévoyant le paiement d'un intérêt avant
jugement dans les circonstances de l'espèce. Je pourrais, en
vertu de l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale, fixer
l'intérêt après jugement à un taux supérieur à celui prescrit par
la Loi sur l'intérêt [S.R.C. 1970, chap. I-18]. Cependant,
comme l'avocat du demandeur n'a pas présenté de demande
explicite à cet effet et que je n'ai pas eu l'occasion d'entendre le
pour et le contre sur ce que serait un taux approprié, je ne ferai
donc aucune adjudication spéciale à cet égard.
La Cour, dans le présent litige, doit trancher les
prétentions opposées des parties au sujet des paie-
ments à faire en vertu d'un contrat, la location de
terres indiennes aux demandeurs. Aucun délit ni
quasi-délit n'est en cause, comme les premiers
motifs du jugement l'indiquent. Si, à l'opposé, la
Couronne pouvait réclamer un intérêt avant juge-
ment de ses locataires, ce qui, d'après les termes
du contrat intervenu entre les parties, n'est pas
absolument certain, il est évident que les parties
devraient modifier leur contrat afin d'assurer la
parité des obligations. Mais la Cour ne peut les
forcer à le faire et, naturellement, la Couronne
peut toujours profiter de l'inégalité en trouvant
refuge dans l'article 35 de la Loi. Quoi qu'il en
soit, un intérêt avant jugement ne peut être octroyé
en l'espèce, quoique cela soit fort malheureux pour
les demandeurs qui obtiennent, par ailleurs, gain
de cause.
Les dépens cependant ont été et sont toujours
adjugés. L'adjudication des dépens dans le juge-
ment définitif pourrait être exprimée ainsi:
... les demandeurs non déboutés ont droit, comme un seul et
unique demandeur, aux pleins dépens, soit les débours réels,
avec doublement des droits, que la défenderesse est condamnée
à payer, entre parties, sur-le-champ, après taxation.
Il semble fort probable que les parties vont
maintenant s'entendre sur la forme que doit pren-
dre le jugement. Le projet déjà présenté accorde
un intérêt qui ne peut l'être. Par conséquent, pour
éviter les erreurs, autant que possible, les avocats
des parties restent enjoints de s'atteler à la tâche
de rédiger un projet de jugement traduisant la
décision de la Cour, comme ils étaient à le faire,
conformément au dernier paragraphe des motifs
prononcés par la Cour en date du 21 octobre 1987.
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