Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1297-88
Walter Muller (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: MULLER c. CANADA
Division de première instance, juge Strayer—Van- couver, 17 et 18 octobre 1988.
Pratique Jugements et ordonnances Jugement par défaut Défense non déposée dans le délai prescrit par la Règle 402(2)a) Requête ex parte en vue d'obtenir un jugement par défaut le premier jour ouvrable après l'expira- tion du délai de production de la défense Une demande de jugement par défaut est «faite» lorsqu'elle est entendue par la Cour et non pas lorsqu'un avis de requête est produit L'interprétation des Règles est influencée par le contexte, c'est-à-dire que le jugement par défaut constitue un recours discrétionnaire La réussite de l'action est incertaine puisque le litige porte sur d'importantes questions de droit et de fait Le demandeur n'a subi aucun préjudice en raison du délai si l'on considère qu'il était (1) d'une courte durée et en outre, que le demandeur (2) ne pouvait procéder dans ce litige avant l'audition de la demande d'accès à certains renseignements.
Pratique Dépens La défenderesse doit payer les dépens de la requête ex parte en jugement par défaut qui a échoué de même que ceux de la demande d'autorisation de déposer une défense en retard Le retard a donné lieu à la requête ex parte Retard inexpliqué.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, chap. 11 (R.-U.), art. 15.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 232(4).
Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, Annexe II.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 402(2)b)(i),c),(3), 489(l),(3), 440.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Waterside Ocean Navigation Co. Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1« inst.); Chinoin c. Le sous-procureur général du Canada, [1977] 2 C.F. 313 (1" inst.); Vespoli c. La Reine, [1983] 1 C.F. 337 (1" inst.); R. c. Rhine, [1979] 2 C.F. 308 (1« inst.); Smith c. La Reine, [1977] 2 C.F. 481 (1« inst.); Laird c. Ministre du Revenu national (1987), 9 F.T.R. 121 (1 « inst.).
A COMPARU:
Walter Muller pour son propre compte.
AVOCAT:
J. R. Haig, c.r., pour la défenderesse.
LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE: Walter Muller, Vancouver.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit, est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: J'ai entendu conjointement une demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir un jugement par défaut et une demande par laquelle la défenderesse vise à obtenir l'accep- tation de la défense soumise à la Cour le 7 octobre ou, subsidiairement, l'autorisation de produire une défense ce jour.
La déclaration relative au présent litige a été déposée le 4 juillet 1988. Il s'agit essentiellement d'une demande de dommages-intérêts non détermi- nés. Comme il s'agissait alors de la période des grandes vacances, la défenderesse a déposé un acte de comparution le 6 juillet 1988. En conséquence, conformément à la Règle 402(3) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] le délai de dépôt d'une défense ne commençait à courir qu'a- près les grandes vacances, de sorte que la date limite du dépôt était le 30 septembre 1988. Aucune défense n'a été déposée à cette date. Le 3 octobre 1988, le premier jour ouvrable suivant le 30 septembre, le demandeur a produit, sans avertir l'avocat de la défenderesse, la présente demande de jugement par défaut. Le 7 octobre, la défende- resse a présenté au greffe de la Cour une lettre de la même date à laquelle était jointe une défense. L'administrateur de district a avisé l'avocat de la défenderesse qu'il ne produirait pas la défense dans ces circonstances et que la question devrait être soumise à la Cour le 17 octobre, date à laquelle l'avis de demande de jugement par défaut du demandeur devait être présenté. Par la suite, le 12 octobre, la défenderesse a produit son avis de requête qui devait être présenté le même jour; il s'agissait d'une requête visant à obtenir l'accepta- tion de la défense ou, subsidiairement, l'autorisa- tion de produire la défense en retard conformé- ment à la Règle 402(2)c).
J'examinerai d'abord la requête de la défende- resse parce que, si elle est bien fondée, celle du demandeur devra être rejetée. La requête visant à obtenir l'acceptation de la défense présentée le 7 octobre soulève la question de savoir quand une demande est censée avoir été «faite». Le sous-ali- néa 402(2)b)(i) permet le dépôt d'une défense après l'expiration de 30 jours suivant la significa tion de la déclaration, si elle est produite avant «qu'une demande de jugement par défaut ne soit faite». Se conformant à ce qui semble être une pratique habituelle, l'administrateur de district a rejeté la défense présentée le 7 octobre, parce qu'il a jugé qu'une demande de jugement par défaut avait déjà été faite le 3 octobre, lorsque l'avis de requête du demandeur a été déposé. Il s'agit d'une question difficile à trancher, mais il me semble que la demande ne saurait être considérée comme une demande qui a été faite avant que la Cour ne l'ait effectivement entendue. Cette Cour a déjà décidé, dans des contextes un peu différents, qu'une demande n'est pas faite lorsqu'un avis de requête est produit, mais uniquement lorsque la Cour entend l'objet de l'avis de requête'. Il est vrai que, dans un case, il a été décidé qu'aux fins du para- graphe 232(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63], une demande est faite dans les quatorze jours de la saisie de docu ments en vue d'obtenir une décision ordonnant la tenue d'une audience pour résoudre les questions de privilège du secret professionnel de l'avocat, si l'avis de requête est déposé dans ce délai de qua- torze jours, même si la date de présentation est postérieure à cette période. Dans ce contexte, cette interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu est essentielle afin d'éviter que le contribuable ne perde ses droits du seul fait que la Cour fédérale ne peut entendre cette requête avant l'expiration du délai de quatorze jours. Le but de la Loi serait bien respecté si le contribuable était tenu d'indi- quer, dans les quatorze jours de la saisie, s'il soumettra le cas aux tribunaux.
1 Waterside Ocean Navigation Co. Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1'e inst.), à la p. 263; Chinoin c. Le sous-procureur général du Canada, [1977] 2 C.F. 313 (1"' inst.), à la p. 317.
2 Vespoli c. La Reine, [1983] 1 C.F. 337 (1" inst.), aux p. 340 et 341.
Le contexte dans lequel les Règles doivent être interprétées a donc une très grande importance. Lorsqu'il s'agit d'un jugement par défaut, il faut d'abord souligner que, en vertu des Règles de notre Cour, le jugement par défaut n'est jamais automa- tique, mais qu'il relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour 3 . En outre, même si, en vertu du paragraphe 439(1) des Règles, une demande de jugement par défaut peut être faite ex parte, la Cour peut, conformément au paragraphe 439(3), annuler ou modifier un jugement par défaut même une fois que celui-ci a été rendu, «aux conditions qui semblent justes», et cela se produit très souvent lorsque le jugement par défaut a été obtenu ex parte. En d'autres mots, les Règles favorisent la remise d'un avis au défendeur avant l'inscription du jugement par défaut. Cela permet au défendeur de démontrer pourquoi le jugement par défaut ne devrait pas être inscrit ou de prendre des mesures en vue de déposer une défense. L'interprétation que j'ai donnée au sous-alinéa 402(2)b)(i) signifie que, jusqu'à ce que la Cour entende effectivement la demande de jugement par défaut, le défendeur peut remédier à l'erreur de procédure qu'il a com- mise. Un objectif similaire, soit celui d'éviter qu'un jugement final dans une cause ne soit fondé sur un vice de forme, caractérise la Règle 440, en vertu de laquelle un défendeur ne peut obtenir le rejet d'une action pour défaut de poursuivre, à moins d'avoir avisé la partie demanderesse qu'il présentera une demande en ce sens, sauf si le demandeur fait le nécessaire pour que l'instruction de l'action ait lieu. Il est sûrement préférable que les actions intentées en bonne et due forme devant la Cour soient réglées sur le fonds, après une audience en bonne et due forme, plutôt qu'à la suite d'une irrégularité technique commise par l'une des par ties. Dans ce contexte, je suis d'avis que le sous-ali- néa 402(2)b)(i) des Règles signifie qu'une défense peut être déposée en tout temps avant l'audition d'une demande de jugement par défaut, quelle que soit la date à laquelle l'avis de requête a été produit à l'égard de cette demande. Dans la pré- sente cause, la défense devrait être déposée nunc pro tune et porter la date du 7 octobre, soit dix jours avant l'audience de la demande de jugement par défaut du demandeur, aucun jugement par défaut ne pouvant par le fait même être rendu.
3 Voir, par ex., R. c. Rhine, [1979] 2 C.F. 308 (1" inst.), à la p. 313.
Indépendamment de ce point de droit, j'aurais, à tout événement, exercé mon pouvoir discrétion- naire de façon à refuser un jugement par défaut et à permettre à la défenderesse de déposer sa défense à la date des présentes. En ce qui a trait aux deux questions, il convient que je me demande s'il y a des doutes sérieux quant aux chances que le demandeur aurait de réussir si sa cause était ins- truite 4 . Le litige semble porter sur des questions de fait importantes concernant la question de savoir si certains renseignements se trouvaient dans les dos siers personnels du demandeur au ministère de la Défense nationale et si ces renseignements ont été divulgués à d'autres personnes qu'à lui-même et au coordonnateur à la protection des renseignements personnels de ce ministère. Une partie de l'action est une demande de dommages-intérêts pour motifs de diffamation verbale et écrite et une des questions qui se pose est certainement celle de savoir si, en droit, l'une ou l'autre des publications donnerait lieu à une responsabilité, si elle était prouvée. Pour déterminer si un jugement par défaut devrait être rendu ou si une autorisation devrait être accordée en vue de permettre le dépôt tardif d'une défense, il convient également d'exa- miner le délai qui s'est écoulé et le préjudice possible qu'a subi le demandeur. Dans la présente cause, la défenderesse était prête à déposer la défense dans les sept jours suivant l'expiration du délai. Bien que la défenderesse n'ait fourni aucune explication au sujet du délai à l'aide d'une preuve appropriée, c'est un point dont il faudra tenir compte lors de l'adjudication des dépens, mais il est difficile de voir en quoi le demandeur aurait pu être lésé. Il est évident, à la lumière de sa déclara- tion et des commentaires qu'il a formulés devant moi, qu'il ne pourra procéder dans ce litige avant qu'une décision n'ait été rendue dans une autre action qu'il a intentée devant cette Cour, dans le dossier T-484-88, en vertu de la Loi sur la protec tion des renseignements personnels [S.C. 1980-81- 82-83, chap. 111, annexe II], laquelle action con- cerne l'accès à certains renseignements que la défenderesse retient à l'heure actuelle. Le deman- deur a dit lui-même que l'instruction de la présente affaire ne devrait pas avoir lieu avant l'audition de
4 Voir, par ex., Smith c. La Reine, [1977] 2 C.F. 481 (1" inst.); Laird c. Ministre du Revenu national, (1987) 9 F.T.R. 121 Ore inst.), à la p. 122.
la cause concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels; la date de l'audition de cette cause a été fixée au mois de décembre 1988. Je ne vois donc pas en quoi le demandeur a été lésé par le retard d'une semaine relativement au dépôt de la défense.
Le demandeur a 'invoqué la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], mais le seul article qui m'apparaît pertinent en l'espèce est l'article 15, qui garantit l'égalité devant la loi. Comme je l'ai dit au demandeur à l'audience, le refus d'accorder un jugement par défaut dans la présente cause serait compatible avec la façon dont ces demandes sont habituellement traitées. Effecti- vement, s'il était représenté par un avocat, il est très peu probable que ce dernier aurait demandé un jugement par défaut le tout premier jour ouvra- ble suivant l'expiration du délai de production de la défense, du moins sans avertir l'avocat de la défenderesse. Le jugement par défaut n'est jamais automatique et la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire à l'égard du demandeur en l'espèce de la même façon qu'elle le ferait pour tout autre demandeur. En conséquence, il ne semble pas y avoir de question en litige en vertu de l'article 15 de la Charte.
J'ordonne donc que la défense présentée le 7 octobre soit acceptée aux fins de dépôt, qu'elle porte cette date et que la demande de jugement par défaut du demandeur soit rejetée. Comme la présente demande résulte uniquement du défaut de la défenderesse de produire une défense dans les délais prescrits, même si elle disposait de près de trois mois à cette fin, et comme aucune explication n'a été donnée au sujet de ce retard, la défende- resse doit payer les dépens qui se rapportent aux deux demandes.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.